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j'ai mal à ma mère

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© 1979, Éditions Fleurus, Paris. © 1993 Édition revue et augmentée.

ISBN 978-2-215-00309-0

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Michel LEMAY

j'ai mal à ma mère

APPROCHE THÉRAPEUTIQUE DU CARENCE RELATIONNEL

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR AUX MÊMES ÉDITIONS :

PSYCHOPATHOLOGIE JUVÉNILE. Les désordres de la conduite chez l'enfant et l'adolescent, Tomes I et IL Collection Pédagogie Psy­chosociale n° 20 (4 e édition).

LE DIAGNOSTIC EN PSYCHIATRIE INFANTILE. Pièges, para­doxes et réalités. Collection Pédagogie Psychosociale n° 26 (2 e édi­tion).

L'ÉCLOSION PSYCHIQUE DE L'ÊTRE HUMAIN. La naissance du sentiment d'identité chez l'enfant. Collection Pédagogie Psychoso­ciale n° 44.

L'auteur a également traduit, dans la même collection, de Fritz Redl et David Wineman, L'ENFANT AGRESSIF. Méthodes de rééducation, tome II (14 e édition). Collection Pédagogie Psychosociale n° 3.

Il a collaboré à la rédaction du TRAITEMENT DES ADOLES­CENTS DÉLINQUANTS. Perspectives et prospectives internatio­nales. Collection Pédagogie Psychosociale n° 50.

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS :

LES GROUPES DE JEUNES INADAPTÉS. Rôle du jeune meneur. Coll. SUR Presses Universitaires de France.

LES FONCTIONS DE L'ÉDUCATEUR SPÉCIALISÉ DE JEUNES INADAPTÉS. Presses Universitaires de France.

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La phrase qui sert de titre à cet ouvrage fut écrite par Maryse Choisy dans son livre Problèmes sexuels de l'adolescence (Editions Aubier, Paris). Elle devait la citer à nouveau dans Le chrétien devant la psychanalyse (Librairie P. Téqui, Paris, 1955) avec ce bref commentaire : « J'ai même pro­posé de réunir tous les mauvais départs affectifs dans la phrase : "J'ai mal à ma mère" (comme on a mal au foie ou à la tête). »

Nous remercions tant les Éditions Aubier que la Librairie P. Téqui de nous avoir permis d'utiliser la phrase de leur auteur.

Note de l'Éditeur.

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INTRODUCTION

Depuis plus de cinquante ans, de nombreux cliniciens ont étudié la situation des enfants qui subissaient la perte de leur mère ou de leur substitut maternel dans les premières années de leur vie. A l'aide de multiples observations, ils ont analysé les symptômes, proposé des mesures préventives et défini parfois des interventions thérapeu­tiques. Il peut apparaître étrange d'ajouter à tous ces ouvrages d'autres réflexions consacrées aux jeunes carences relationnels. J 'ai pris pourtant la décision d'écrire un volume sur cette question en abordant essentiellement le domaine de l 'approche thérapeutique. Pourquoi m'a-t-il paru nécessaire d'entreprendre ce travail ? Il est vrai que la littérature pédopsychiatrique est riche en articles et en mémoires sur la situation de l'enfant abandonné. D'ores et déjà, j ' a i pu recenser un peu plus de 1400 études sur cette question. Pourtant la lecture de ces recherches impressionne par la disparité et par la contradiction des résultats. Le terme « carence » n'est pas toujours défini. Il peut vouloir dire la disparition transitoire d'un parent investi ou l'absence à peu près totale d'un adulte significatif. Il est parfois utilisé d'une manière si générale qu'il devient une explication com­mode à des troubles multiformes dont les étiologies sont insuffisam­ment analysées. De nombreux écrits décrivent les réactions du très jeune enfant face à la disparition maternelle. A. Freud et D. Burlin-gham, J. Bowlby, R. Spitz, J. Aubry, G. Appell et Myriam David, M. Matejcek et J. Langmeier, M. Ainsworth, W. Goldfarb, S. Provence, S. Ritvo, J. Robertson, M. Soulé, M. Rutter, L. Yarrow, C. Heinicke,

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P. Racamier, A. Solnit ont ainsi présenté avec beaucoup de finesse le langage symptomatique de ce petit carence qui proteste puis se dépri­me, tout en exprimant par le corps, par la mimique et par le mode de relation, l'angoisse intense qu'il ressent. Assez curieusement, cette littérature abondante se raréfie au fur et à mesure que l'enfant grandit. A. Freud développe un peu ce qu'il advient des symptômes à la pério­de de latence ; S. Provence et S. Ritvo font de même. J. Bowlby affir­me qu'il existe des liens étroits entre la délinquance future et l'aban­don précoce. M. Mathis analyse les problèmes qui lui semblent spécifiques en fonction de l'âge. G. Guex, surtout, consacre un ouvra­ge remarquable à l 'adulte abandonnique. Pourtant, de nombreux points ne sont plus étudiés. Que devient, chez l'adolescent et chez l'adulte, le mode de relation incorporatif décrit par la majorité des cli­niciens ? Qu'en est-il des difficultés intellectuelles ? Comment le carence peut-il assumer sa fonction parentale ? etc. Le syndrome du jeune abandonnique s'évanouit au fil des années et se noie dans la nosographie psychiatrique classique. Des cliniciens, travaillant sur la cause de la dépression, nous signalent les liens étroits entre les ten­dances auto-destructives et la perte objectale (Ph. Mazet et D. Siber-tin-Blanc, J. Bowlby, M. Klein, H. Barry, D. Lindemann, K. Abra­ham, F. Brown, A. Beck, S. Gréer, J. Birtchnell). Dans les écrits sur les psychoses, la carence est parfois signalée comme un facteur psy­chologique important (M. Mahler, P. Racamier, J. Hilgard, M. New-man, J. Delage). Les points de vue divergent par rapport à l'étiologie de la délinquance (J. Bowlby, R. Andry, P. Racamier, D. Braunsch-weig, S. Lebovici, J. Van Thiel-Godfrind, C. Wolkind, H. Flavigny, S. Naess, M. Rutter). Plusieurs auteurs estiment que la personnalité « borderline » prend sa racine dans la disparition précoce de l'adulte investi (J. Bergeret, J. Masterson et D. Rinsley, I. Fast, M. Leclaire, D. Widlocher). Il m'apparaît nécessaire d'adopter une perspective longitudinale afin de comprendre le devenir possible d'un enfant carence tant sur le plan psychopathologique que sur celui de l'adapta­tion sociale.

Ceci me semble d'autant plus fondamental que les opinions demeurent très partagées quant à la gravité des privations relation­nelles précoces pour le développement ultérieur de l'être humain. Si R. Spitz, J. Bowlby, W. Goldfarb, par exemple, soulignent l'importan­ce des séquelles psychologiques lorsque l'enfant ne rencontre pas

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d'adultes substitutifs, M. Rutter regroupe un ensemble d'articles qui dénoncent la vision trop pessimiste des premiers chercheurs.

Le domaine de la prévention a fait l'objet de très nombreux tra­vaux qui réfléchissent à de multiples formes de prévention : détection des troubles précoces de la relation mère-enfant (Y. Gauthier, J. Bowlby, A. Freud, C. Aubry et collaborateurs, J. Robertson, R. Spitz, D. Winnicott, T. Wolff, S. Fraiberg et collaborateurs, H. Rhein-gold, M. Ainsworth) - Action possible dans les centres de neonatolo­gie (R Satge, M. Soulé, G. Lortie, l'équipe de Montpellier autour de F. Moleña) - Intervention dans un milieu hospitalier (J. Bowlby, J. Robertson et D. Rosenbluth, B. Schoenberg et autres, F. Weil-Hal-pern, K. et J.D. Oremland, etc.) - Amélioration des conditions de vie en institution pour petits enfants (J. Aubry et collaborateurs, J. Bowl­by, M. David et G. Appell, C.A. Chandler, R.S. Lourie et A.D. Peters, D. Rapaport et J. Levy, J. Langmeier et Z. Matejcek) - Placements familiaux et adoption (J. Aubry, J. Bowlby, G. Appell, M. David, S. Lebovici, M. Soulé, L. Eisenberg, W. Goldfarb).

Si l'action préventive est bien étudiée, l'approche thérapeutique avec l'enfant carence a fait l'objet de très peu de travaux. Pour la thé­rapie par le milieu, je peux citer : M. Mathis, M. David et G. Appell, B. Flint, H. Bissonnier, B. Bettelheim, G. Hayez. Pour les psychothé­rapies, j ' a i lu avec profit les écrits d'auteurs suivants : G. Guex, G. Appell, M. David, A. Alpert. Ce contraste entre la richesse des des­criptions sémiologiques et la rareté des recherches sur les approches thérapeutiques n'est d'ailleurs pas propre à la carence. Il se trouve dans l'étude de la majorité des syndromes pédopsychiatriques. Ce livre veut contribuer à diminuer ce décalage.

Je l'écris cependant avec beaucoup d'inquiétude quant aux utili­sations possibles. Malgré bien des affirmations contraires, je demeure persuadé de la nécessité absolue du diagnostic. Nous ne pouvons trai­ter que ce que nous connaissons bien. Il nous faut découvrir comment un ensemble de facteurs pathogènes crée à un âge donné un processus à la fois déficitaire et conflictuel qui, bouleversant l'équilibre émo­tionnel du sujet, le force à se réaménager selon des lignes de dévelop­pement inhabituelles. L'enfant s'exprime alors par un langage symp-tomatique à la fois corporel, affectif, cognitif et socio-moral qui percute l'environnement et conduit celui-ci à des modes de réponses

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souvent inadéquates. L'aide apportée passe nécessairement par une compréhension progressive de ce que peut ressentir et vivre le jeune, de ce que peut éprouver le milieu qui l'accueille afin d'organiser un champ interactionnel nouveau. De sujet à sujet, nous découvrons des constantes qui nous autorisent prudemment à bâtir des schémas dia­gnostiques et thérapeutiques d'ensemble. Cette manière de penser et d'agir est en même temps fort dangereuse. Chaque être humain réagit selon ses registres propres et ses demandes ne sont jamais tout à fait identiques. Bien que nous puissions définir un certain nombre de règles générales, nous devons le reconnaître dans sa singularité et le voir comme un sujet unique.

Je crains les refus apparemment généreux de théorisations. Ils débouchent sur des tâtonnements subjectifs, sur des projections, sur des réactions impulsives parfois géniales et parfois destructrices, sur des incohérences entre les praticiens, sur des conduites répétitives qui ne peuvent pas être reconnues.

Je crains tout autant l'édification de systèmes rigides. Ils contrai­gnent le sujet à s'intégrer à un moule pré-établi, ils nient l'impondé­rable, ils interdisent les ajustements, ils paralysent l'écoute, ils orien­tent subtilement vers des conduites oppressives.

Si le lecteur utilise ce livre pour construire a priori une démarche institutionnelle, psychothérapique, éducative ou pédagogique devant être appliquée stade par stade sur tout enfant et adolescent carence, je lui demande instamment d'oublier mes points de vue et de se laisser aller à son intuition. Cela sera finalement moins néfaste.

S'il reçoit ces réflexions comme des hypothèses de travail à remettre perpétuellement en question afin de pouvoir saisir derrière le fatras des symptômes le véritable désir de l'autre puis afin d'organiser ses réponses dans le sens des attentes reconnues, il sera tantôt en accord avec mes points de vue, tantôt agacé, tantôt en divergence et mobilisera ainsi sa propre créativité.

« L'enfant problème » que j ' a i choisi d'étudier est le carence. Ce terme doit être clairement défini pour qu ' i l n ' eng lobe pas un ensemble trop disparate de manifestations conflictuelles. Tous les tra­vaux portant sur le développement précoce du petit enfant débouchent sur les mêmes conclusions. Un long processus de maturation neuro-

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biologique rend le nouveau-né capable de recevoir, d'intégrer, d'éla­borer et de synthétiser un ensemble de stimulations issues partielle­ment du milieu interne du bébé et majoritairement de son environne­ment. La présence d'adultes stables, sécurisants, capables de projeter sur le petit être humain des désirs cohérents et respectueux de son identité naissante permet d'inscrire l'enfant dans un lieu où les per­sonnes, les objets, l'espace, les séquences temporelles ont une fonc­tion structurante. Que nous parlions d'attachement, de genèse des relations objectales, de naissance de la vie fantasmatique, de sépara-tion-individuation, de découverte du corps propre, etc., nous sous-ten­dons la même conviction, fondée sur l'observation, de l'importance déterminante des premiers échanges parents-enfants.

La situation carentielle est précisément la rupture dans cette ren­contre interpersonnelle initiale. Pour des raisons extrêmement variées, l'enfant de zéro à trois ans perd ses points de références avec les adultes qui partageaient son existence.

Carence et abandon sont deux événements qu'il faut nettement distinguer. L'abandon est une situation de perte définitive dont la compensation dépend essentiellement des adultes substitutifs qui vont ou non prendre le relais dans l'éducation de l'enfant. Tout abandon n'est d'ailleurs pas dramatique. Si un petit enfant se trouve dans un milieu familial disloqué qui se révèle incapable de lui apporter amour et sécurité, sa chance est parfois d'être précocement abandonné afin qu'il puisse bénéficier d'une adoption définitive dans une famille unie.

La carence est un processus morbide qui risque d'apparaître lors­qu'un enfant de moins de trois ans a subi la rupture de ses premiers investissements avec les personnes significatives de son entourage sans que cette rupture ait pu être réparée. Cette discontinuité entraîne non seulement la blessure narcissique que l'on peut retrouver à toute période de l'enfance et qui se traduira par une dépression plus ou moins marquée mais, du fait de la structuration encore incomplète du Moi, elle provoque de graves perturbations dans la construction même de l'identité. Qu'il s'agisse de la prise de conscience du corps, de l'enracinement dans l'espace et dans le temps, de la découverte de la causalité, de l'intégration des premières relations objectales, de la maîtrise de l'anxiété, de l'organisation de la vie symbolique conscien-

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te et inconsciente, le sujet se trouve altéré dans ce que l'on peut appe­ler « la colonne vertébrale psychique de la personnalité ».

Ce drame peut se produire dans deux situations existentielles : - soit le petit enfant demeure dans son milieu familial mais ne peut pas bénéficier d'un « accrochage affectif » cohérent et continu avec le parent maternant - soit l'enfant voit disparaître ces premiers objets libidinaux sans pouvoir retrouver un milieu substitutif permanent.

Dans nos connaissances actuelles, il est très difficile d'apprécier avec exactitude l'âge critique au-delà duquel une telle discontinuité constitue un traumatisme grave. Se poser cette question revient en effet à se demander à quel moment le nouveau né établit un échange spécifique avec une ou des personnes dont la signification devient si importante que leur départ ou leurs irrégularités d'apports relationnels bloquent ou dérèglent les aptitudes à se bâtir des points de référence déterminants pour son organisation psychique. Si nous adoptons les perspectives de René Spitz, nous sommes amenés à penser que les pertes relationnelles deviennent un drame potentiel à partir de sept, huit mois, c'est-à-dire à partir du moment où l'enfant reconnaît un parent déterminé et s'inquiète s'il est pris par un étranger. Durant les mois antérieurs, il aurait surtout besoin de stimulations cohérentes, de séquences rythmiques régulières, d'adultes intéressés à ses progrès mais les changements de personnes (dans la mesure où les interven­tions demeurent coordonnées) n'auraient pas une influence désastreu­se sur son développement. L'observation d'un bébé avec sa mère amène à recevoir avec prudence une telle affirmation. Le nourrisson est manifestement très sensible aux variations émotionnelles présen­tées par son environnement. Il est apaisé par telles formes de berce­ments, excité par des cris ou par des gestes précipités. Il refuse la nourriture si le parent ne suit pas son rythme de succion, crie et pro­teste s'il est arraché trop brutalement de son sommeil. Il se crispe, se détourne du sein, devient hypertonique s'il est pris dans les bras par une personne très anxieuse. Tout se passe comme s'il ressentait, dès les premières semaines de l'existence, la multitude des craintes, des émois et des affects projetés sur lui. En fonction d'une réactivité qui lui est propre mais qui est accentuée, modifiée, diminuée par la suite, il établit très précocement des modes de réponses spécifiques par ses cris, ses pleurs, ses réactions psychologiques, ses périodes de som-

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meil, ses états de veille, son activité gestuelle, ses automatismes. La mère découvre ainsi pas à pas des besoins puis des désirs naissants de son tout petit. Elle l'inscrit progressivement dans son vécu fantasma­tique qui s'est construit bien avant la naissance et qui se trouve sans cesse interpellé et transformé par les signaux infantiles peu à peu décodés. Tous les actes de la vie quotidienne se structurent en fonc­tion de cette compréhension intuitive perpétuellement remise en cau­se, dans la mesure où le parent peut écouter son bébé sans être prison­nier de condui tes répét i t ives immuables . La séparat ion ou la discontinuité des soins risque de perturber la mise en place de ce lent processus. Les changements dans le rythme de pouponnage, dans les stimulations tactiles, visuelles, auditives, gustatives, olfactives, laby-rinthiques et kinesthésiques, les réponses différentes aux réactions instinctives du nourrisson, les variations dans les sollicitations créent un nouvel univers.

Dans le cas du petit enfant demeurant dans son milieu familial mais subissant au fil des jours des apports affectifs inégaux tant en quantité qu'en qualité, on voit apparaître très vite des changements dans la manière d'interpeller son environnement. Le rythme du som­meil, les modes de succion, les manières de se blottir, etc, deviennent insolites. Les cris, les pleurs puis les phases de retrait traduisent un état de souffrance qui se répercute parfois sur le plan de la santé phy­sique. De bébé sage et gratifiant, l'enfant devient « persécuteur » par ses comportements, ses exigences, ses difficultés à s'abandonner. Chez ces mères et ces pères qui ressentaient déjà une vive ambivalen­ce à l'égard du nourrisson dont ils attendaient une totale réparation narcissique sans pouvoir beaucoup donner en échange, ces premiers troubles de la conduite désorganisent un réseau d'échanges déjà bien fragile. Si la situation n'est pas décelée et si le milieu familial n'est pas aidé, un cercle vicieux ne tarde pas à s'installer, cercle vicieux dont je parlerai en détail dans le chapitre consacré aux entraves de la compétence parentale chez l'adulte avec un passé carentiel.

Dans le cas de rupture complète avec le milieu familial origi­naire, tout va dépendre de la qualité de la famille d'accueil. Si elle accompagne avec empathie et sécurité les premiers efforts d'inser­tion, les difficultés peuvent disparaître rapidement ou progressive­ment. Si elle ne parvient pas à faire la transition entre la famille d'ori-

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gine et le placement actuel, elle va se trouver gravement désorientée par les problèmes qui surgissent, les colères sont ressenties comme des messages de rejet.

Les problèmes alimentaires, les cauchemars durant la nuit, les jeux auto-érotiques tels que le balancement deviennent des signaux angoissants qui invitent au retrait, aux menaces ou aux stimulations excessives. L'enfant devient un poids intolérable et subit un nouvel abandon. Après un court séjour dans la pouponnière initiale, dans un service hospitalier ou dans un foyer de l'enfance, il est remis dans une autre famille. Ces mouvements de protestation s'accentuent et se mêlent à présent à des comportements régressifs ainsi qu'à des mani­festations dépressives. Il devient insolite dans ses modes de réponse à l'affection. Il semble vouloir être pris sur les genoux puis il se détour­ne brusquement, mord, se raidit ou se met à hurler de façon inexpli­cable. Au grand scandale du milieu nourricier, il se barbouille de matières fécales, étale ses fèces sur le mur ou les mange. Il se balance interminablement sur son lit et semble ne plus entendre les messages qui lui sont adressés. Il refuse la nourriture puis se bourre de frian­dises. Il se précipite vers l'adulte, recherche ses caresses, le gratifie ainsi par ses demandes de tendresse puis il fuit, urine sous lui, détruit sans raison apparente un objet qu'il semblait aimer. Il exacerbe sur­tout les mouvements pulsionnels des adultes qui partagent son exis­tence : amour, agressivité, plaisir de contact sensoriel, joie de donner, déception, culpabilité, rancœur, crainte, insatisfaction, enthousiasme, dépression deviennent le lot quotidien. En raison de ces multiples émotions éveillées, la rupture ne se prépare pas. Elle éclate violem­ment et s'exprime par un coup de téléphone indigné au service social. « L'enfant doit être repris sur le champ parce qu'il détruit notre foyer, parce qu'il est anormal, parce qu'il nous fait du mal » crie le parent épuisé. Le cercle vicieux des essais - tâtonnements - échecs et nou­velles tentatives est désormais installé. Il va entraîner le cortège habi­tuel des placements multiformes : familles nourricières, centres pour enfants inadaptés, foyer de groupes, famille d'accueil, services psy­chiatriques. Quatorze ou quinze placements en dix ans ne sont pas exceptionnels. Ils sont entrecoupés de nombreux bilans psychia­triques, pédiatriques, psychologiques, pédagogiques ou psychomo­teurs. Par moments, l'enfant fugue et retourne chez sa mère ou son

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père d'origine qui, après quelques promesses, le rejette à son tour. Ces garçons et ces filles qui crient perpétuellement « j ' a i mal à ma mère »* mais qui semblent incapables d'investir sur une personne aimée sont les jeunes dont ce livre voudrait parler. Ils sont nombreux et leur effectif augmente en raison de l'accroissement des dislocations familiales. Ils ont parfois connu de longues périodes d'institutionnali­sation. Pourtant les séjours prolongés dans un orphelinat deviennent relativement exceptionnels. Ce type d'établissement tend en effet à disparaître pour de multiples raisons : diminution des vocations reli­gieuses, ce qui entraîne une diminution du seul personnel stable _ cri­tiques adressées à ce genre de maison - accroissement des difficultés financières. La fermeture de ces maisons qui regroupaient souvent une population disparate trop jeune et trop nombreuse était sans doute souhaitable. La formule de l'orphelinat a constitué une étape impor­tante dans la prise en charge de l'enfant abandonné. Elle n'avait pas que des inconvénients mais elle n'a pas su évoluer au rythme des réa­lités sociales. Il serait pourtant naïf de penser que la fermeture de tels établissements a résolu le problème des enfants carences. Ces der­niers sont moins visibles parce qu'ils sont dispersés mais leur situa­tion reste extrêmement précaire.

Pour les définir encore plus nettement, il est nécessaire de regrouper avec précision les facteurs pathogènes qu'ils subissent.

L'enfant carence vit la perte de ses parents réels ou substitutifs. _ Tantôt cette perte s'inscrit dans une absence totale de désirs

projetés sur lui. Le bébé est mis au monde mais il n'est pas investi. Son développement psychomoteur, ses capacités intellectuelles, la richesse de sa vie affective vont se trouver gravement retardés et les risques de séquelles définitives si bien décrits par R. Spitz vont croître en fonction de la durée de la situation.

- Tantôt la perte se produit alors que l'enfant était situé dans le champ de désirs parentaux cohérents. Ses parents disparaissent brus­quement par décès, hospitalisation prolongée, arrestation, etc. La plu­part du temps, il est pris en charge par un autre membre du groupe familial et peut réorganiser correctement son existence. S'il s'était attaché électivement à l'un des adultes séparés, il présente une phase

voir p. 9

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de protestation suivie de périodes de dépression et de détachement telles qu'elles ont été décrites par J. Bowlby. L'évolution dépendra de la capacité du milieu substitutif d'affronter sans trop d'angoisse les troubles du comportement.

- Tantôt la perte exprime la grande difficulté pour un parent de situer clairement l'enfant dans l'univers de sa vie socio-affective. Il est le jeu de désirs contradictoires et ne peut être ni réellement aimé, ni vraiment délaissé. C'est alors que commence la série de place­ments transitoires, les ruptures provenant d'abord du milieu d'origine qui, culpabilisé, reprend impulsivement le jeune, ensuite de l'enfant lui-même qui, par ses comportements, épuise les bonnes volontés.

Dans tous ces cas, le facteur pathologique essentiel n'est pas la disparition de l'image parentale mais l'impossibilité pour le garçon ou la fille d'expérimenter secondairement un milieu de remplacement qui demeure stable malgré les vicissitudes de l'existence.

L'âge où se produit la perte demeure un élément important pour expliquer l'intensité des réactions de détresse présentées. J'ai déjà dit un peu plus haut combien il est difficile d'apprécier avec exactitude le moment où le bébé établit un processus d'attachement spécifique avec un adulte déterminé. L'expérimentation animale (H.F. Harlow, S.J. Suomi, R.A. Hinde, Y. Spencer-Booth, B. Seay, M. Hoffer, L. Kaufman, L. Rosenblum, etc.) milite en faveur d'un mécanisme qui apparaîtrait précocement dans le développement. Toute applica­tion à l'être humain des recherches sur l'animal demeure discutable. L'épanouissement du néocortex et la capacité d'élaborer des méca­nismes de défense diversifiés sont bien l'apanage du petit homme. Lorsqu'une forme pourvue de certaines odeurs, émettant certains sons, possédant certaines qualités tactiles devient nettement reconnue (à partir de deux mois), il est logique de penser que sa disparition puisse créer un état marqué d'anxiété. Lorsque l'image est clairement distinguée et comparée à d'autres images (entre cinq et huit mois), le traumatisme créé par la perte ne fait plus aucun doute. L'impression douloureuse d'un manque va se développer et les réactions de protes­tation deviennent manifestes.

La durée de cette rupture constitue un troisième facteur carentiel important. Si l'abandon persiste sans autres rencontres substitutives, nous voyons apparaître des comportements dépressifs puis une altéra-

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