JENNYDOWNHAM

JEVEUXVIVRE

Atteinted'uneleucémie,Tessasaitqu'ilneluirestequepeudetemps.Mais,à16

ans,elleaenviedevivreintensémentjusqu'aubout.AidéedesameilleureamieZoey,desesparentsetdesonpetitfrère,ellevaengageruneformidablecoursecontrelamortpouraccomplirsadernièrelistedesouhaits:sexe,drogue,célébrité...LavievaégalementluiréserverunebellesurpriseenmettantsursoncheminAdam,avecquiellevaavoirlachancededécouvrirl'amour...

Un

J’aimeraisavoirunpetitami.J’aimeraisqu’ilvivesuruncintredansmapenderie.

Jepourraisl’ensortirquandjevoudraisetilmeregarderaitcommelesgarçonsregardentlesfillesdanslesfilms,commesij’étaisbelle.Ilparleraitpeumaisrespireraittrèsviteenôtantsavestedecuiretendéboutonnantsonjean.Ilporteraituncaleçonblancetseraitsisublimequejem’enévanouiraispresque.Alorsilmeretireraitmesvêtements.Etmurmurerait:«Jet’aime,Tessa.Jesuisfoudetoi.Tuesbelle.»Voilàexactementcequ’ildiraitenmedéshabillant.

Jem’assiedsetallumelalampedechevet.Jetrouveunfeutre,maispasdepapier,alorsj’écrissurlemurderrièremoi:«Jeveuxsentirlepoidsd’ungarçonsurmoncorps.»Puisjemerallonge,lesyeuxtournésverslafenêtre.Lecielestd’uneétrangecouleur,rougeoyantetcharbonneuxàlafois,commesilejourperdaitsonsang.

Çasentlasaucisse.Ilyatoujoursdessaucisses,lesamedisoir.Avecdelapurée,duchouetdelasauceauxoignons.Papaadûachetersonticketdeloterie,c’estCalquiadûchoisirlesnumérosetilsvontdînertouslesdeuxenfacedelatélévision,leurplateausurlesgenoux.Enregardant«TheXFactor»,puis«Quiveutgagnerdesmillions?».Ensuite,CaliraprendresonbainetsecouchertandisquePaparesteraàboireunebièreetàfumerjusqu’àcequ’ilsoitasseztardpourqu’ilaitsommeil.

Unpeuplustôt,ilestmontémevoir.Ilatraversémachambrepourouvrirlesrideaux.«Regarde-moiça!»a-t-ildittandisquelalumièreinondaitlapièce.Ça,l’après-midi,lacimedesarbres,leciel.Sa

silhouettesedessinaitàcontre-jourdevantlafenêtre.Debout,lesmainssurleshanches,ilavaitl’aird’unPowerRanger.

«Situnem’enparlespas,commentpuis-jet’aider?»a-t-ilditenvenants’asseoirsurleborddemonlit.

J’airetenumarespiration.Quandonfaitçaassezlongtemps,onfinitparavoirdespetiteslumièresblanchesquidansentdevantlesyeux.Ils’estpenchépourm’effleurerlatête,memasserdoucementlapeauducrâneduboutdesdoigts.

«Respire,Tessa»,a-t-ilmurmuré.

Pourtouteréponse,j’aiattrapémonchapeauposésurlatabledenuitetmelesuisenfoncéjusqu’auxoreilles.Alorsilestparti.

Maintenant,ilestenbas,entraindefairefrirelessaucisses.J’entendslagraissepostillonner,lasaucecrépiterdanslapoêle.Jen’auraisjamaiscrupouvoirdiscernertoutceladupremierétage,maisdésormaisplusriennem’étonne.Cal,quiétaitpartiacheterdelamoutarde,enlèvesonblousondansl’entrée:j’entendslebruitdelafermetureÉclair.Enluidonnantdel’argent,ilyadixminutes,Papaluiarecommandédeneparlerà«personnedebizarre».Etensonabsence,ilestrestésurleseuildelaportedujardinàfumerunepetiteclope.J’entendaislechuchotementdesfeuillestombantàsespiedssurlegazon.L’automnes’installe.

«RangetonblousonetgrimpevoirsiTessabesoindequelquechose,ditPapa.Ilyapleindemûres:essaiedeluidonnerenvie.»

Calportesesbaskets,l’airchuintedanssessemellestandisqu’ilmontel’escalieretentredansmachambre.Jefaissemblantdedormirmaisiln’estpasdupe.Ilsepenchesurmoietmurmure:

«Mêmesitunem’adressesplusjamaislaparole,jem’enfiche.»

Jesoulèveunepaupièreetrencontredeuxyeuxbleus.

«Jesavaisbienquetufaisaissemblant,triomphe-t-ilavecunlargeetadorablesourire.Papademandesituveuxdesmûres.

—

Non.

—

Qu’est-cequejeluidis?

—

Dis-luiquejeveuxunbébééléphant.»

Ilrit.

«Tuvasmemanquer»,dit-il,etilm’abandonneenlaissantlaportegrandeouvertesurlespremièresmarchesdel'escalier.

Deux

Zoeyfaitirruptionsansmêmefrapperàlaporteets’effondrebruyammentauboutdemonlit.Ellemeregardebizarrement,commesiellenes’attendaitpasàmetrouverlà.

«Qu’est-cequetufabriques?dit-elle.

—

Commentça?

—

Tunedescendsplusjamais,maintenant?

—

C’estPapaquit’atéléphoné?

—

Tuasmal?

—

Non.»

Ellemejetteunregardsuspicieuxetselèvepourenleversonmanteau.Elleporteuneroberougearchi-courte.Assortieausacqu’ellealaissétomberparterre.

«Tusors?Tuasrendez-vousavecungarçon?»

Ellehausselesépaules,sedirigeverslafenêtreetcontemplelejardin.Endessinantduboutdudoigtuncerclesurlavitre,ellesuggère:

«Peut-êtrequetudevraisessayerdecroireenDieu.

—

Moi?

—

Benoui.Noustous,d’ailleurs.Toutlegenrehumain.

—

Non,jenecroispas.Amonavis,ildoitêtremort.»

Elleseretourneversmoi.Sonvisageestpâle,couleurhiver.Derrièresonépaule,unaviontracesavoiesurl’horizonenclignotant.

«Qu’est-cequetuasécritsurlemur?»demande-t-elle.

Jenesaispaspourquoi,maisjelalaisselire.Parcequej’aienviequ’ilsepassequelquechose,sansdoute.C’estàl’encrenoire.SousleregarddeZoey,lesmotssetortillentcommedesaraignées.Ellelitetrelit.Jehaislapitiéqu’elledoitressentirpourmoi.

«Cen’estpasvraimentDisneyland,tonplan,commente-t-elled’unevoixtoutedouce.

—

Jen’aijamaisditça,nonplus.

—

J’avaiscrucomprendrequec’étaitl’idéegénérale.

—

Ehbien,çanel’estpas.

—

Amonavis,tonpères’attendplusàcequeturéclamesunponeyqu’unjules.»

C’estsurprenant,lebruitdenotrefourire.Çafaitmal,etpourtantj’adore.RireavecZoeyestdécidémentundemespasse-tempsfavoris,parcequejesaisquelesmêmesimagesdinguesnoustraversentl’espritaumêmemoment.

«Enfait,ceseraitunharasqu’iltefaudrait»,dit-elle,etçasuffitpournousrendretouteslesdeuxhystériques.

«Tupleures?»demandeZoey.

Jenesuispassûre.Jecrois,oui.Jegémiscommecesfemmesqu’onvoitàlatélé,donttoutelafamilleaétéanéantie.Jegémiscommeunanimalquirongesonproprepied.Jesuissoudainsubmergéepartoutcequim’arrive.Mesdoigtsquinesontplusquedesos,mapeaupratiquementtransparente.Lescellulesquejesenssemultiplierdansmonpoumongauche,oùelless’empilent,tellesdescendresremplissantlentementunvase.Jenepourraibientôtplusrespirer.

«Cen’estpasgravequetuaiespeur,ditZoey.

—

Si,c’estgrave.

—

Jet’assurequenon.Éprouverquelquechoseesttoujoursbien.Quoiquecesoit.

—

Imaginedeuxminutescequec’est,Zoey,d’êtreperpétuellementterrifiée.

—

J’imagine,oui.»

Non,ellenepeutpas.Commentpourrait-elle,alorsqu’elleatoutelaviedevantelle

?Jemecamoufledenouveausousmonchapeau,justequelquessecondes,parcequeçavamemanquerdenepluspouvoirrespirer.Etparler.Etregarderparlafenêtre.

Lesgâteauxvontmemanquer.Etlespoissons,j’aimelespoissons.J’aimelafaçondontleurpetitebouches’ouvreetserefermeindéfiniment.

Etoùjevais,onnepeutrienemporter.

Jem’essuielesyeuxaveclecoindelacouette.

«Fais-leavecmoi,dis-jeàZoey.

—

Fairequoi?demande-t-elle,interloquée.

—

Cequej’aigribouillésurdesboutsdepapier,unpeupartout.Jevaistemettrelalisteauproprepourquetum’aidesàlefaire.

—

Maist’aideràfairequoi?Cequetuasécritsurlemur?

—

Oui,etd’autrestrucsaussi.Maiscettehistoiredegarçonestmapriorité.Tuasfaitl’amourdesquantitésdefois,Zoey.Moi,onnem’amêmejamaisembrassée.»

Jevoismesmotsdescendreenelle.Jusqu’auplusprofond.

«Pasdesquantitésdefois,répond-ellefinalement.

—

S’ilteplaît,Zoey.Mêmesijetesuppliedemelaissertranquille,mêmesijesuisinsupportableavectoi,ilfautquetumeforcesàlefaire.J’aitouteunelonguelistedeschosesquejeveuxréaliser.

—

D’accord,merépond-elled’untonnaturel,commesijeluidemandaisquelquechosed’archifacile,venirmevoirplussouvent,parexemple.

—

Tuesd’accord?

—

Jeviensdetedirequeoui.»

Serend-ellevraimentcomptedeceàquoielles’engage?

Jem’assiedsdansmonlitetlaregardefarfouillerdanslefonddemapenderie.Elledoitavoirunplan.C’estçaquiestsympa,avecZoey.Elleferaitbiendesedépêcherparcequejememetsàpenseràuntasdechoses,commeauxcarottes,parexemple.

Al’air.Auxcanards.Auxpoiriers.Auveloursetàlasoie.Auxlacs.Laglace,aussi,vamemanquer.Etlecanapé.Etlesalon.EtcettepassionqueCalapourlestoursdemagie.Etlestrucsblancs,lelait,laneige,lescygnes.

ZoeyextirpedufonddemapenderielarobeportefeuillequePapam’aoffertelemoisdernier.L’étiquetteestencoredessus.

«Jevaismettreça,ettoi,tuvasenfilerlamienne,dit-elleendéboutonnantsarobe.

—

Tum’emmènes?Onsort?

—

Onestsamedisoir,Tess.T’enasdéjàentenduparler,non?»

Evidemment.Evidemmentquej’enaientenduparler.

Celafaitdesheuresquejenemesuispasmiseàlaverticale.Jemesensunpeubizarre,vide,éthérée.Enpetiteculotte,Zoeym’aideàpasserlaroberouge.

Empreintedesonodeur.Letissuestdouxetmecolleàlapeau.

«Pourquoiveux-tuquejeportetarobe?

—

Parcequeçafaitdubien,parfois,desesentirquelqu’und’autre.

—

Quelqu’uncommetoi?

—

Peut-être,oui,dit-elleaprèsréflexion.Peut-êtrequelqu’uncommemoi.»

Jemecontempledanslaglace:latransformationestgéniale.C’estmoi,cettefilletroublante,auxyeuximmenses?Mêmemescheveuxfontdel’effet,semblentspectaculairementrasésalorsqu’ilscommencentàpeineàrepousser.C’estexcitant,toutparaîtpossible.Côteàcôte,nousnousexaminons,puisZoeymepousseverslelit.Elleprendmatroussedemaquillagesurlacoiffeuseets’assiedprèsdemoi.

Pendantqu’ellepiocheunpeudefonddeteintduboutdudoigtetm’enenduitlesjoues,jemeconcentresursonvisage.Elleesttrèspâle,trèsblonde,etl’acnélafaitressembleràunesortedesauvage.Moi,jen’aijamaiseuunboutondemavie.Laloteriedelavie...

Elledessinelecontourdemeslèvresetremplitl’espacederouge.Farfouillepourtrouverunmascaraetmedemandedelaregarderdanslesyeux.J’essaied’imaginercequejeressentiraissijeluiressemblais.Jelefaissouvent,d’ailleurs,maissansjamaisvraimentyparvenir.Quandellem’entraînedenouveaufaceaumiroir,jesuisradieuse.Unpeucommeelle.

«Oùveux-tualler?»demande-t-elle.

Dansunefouled’endroits.Lepub.Uneboîte.Unesoiréechezdesgens.Jevoudraisunegrandesallesombreoùl’onpeutàpeinebougertantlescorpssefrôlent.Jeveuxentendreunmillierdechansonsaveclasonoàpleintube.Jeveuxdansersivitequemescheveuxrepoussentetquejemeprennelespiedsdedans.Jeveuxquemavoixretentisseassezfortpourcouvrirlerythmelancinantdesbasses.Jeveuxavoirtropchaudetcroquerdesglaçonspourmerafraîchir.

«Allonsdanser,dis-je.Ettrouverdesgarçonsavecquifairel’amour

—

Trèsbien.»

Elleramassesonsacetmepousseversl’escalier.

Papasortdusalon,montequelquesmarches.Ilfeintd’allerauxtoilettesetd’êtretoutsurprisdenousrencontrer.

«Tuesdebout?C’estunmiracle!»

Puis,ens’inclinantpourluisignifieràcontrecœursonrespect,ildemandeàZoey:

«Commentas-turéussi?

—

Elleavaitjustebesoind’unepetitemotivation,souritZoeyenfixantlesol.

—

C’est-à-dire?»

Jem’avanceetleregardedroitdanslesyeux:

«Zoeym’emmènefairedupole-dancing.

—

Trèsdrôle.

—

Non,c’estvrai.»

Ilsecouelatêteetsefrotteleventreenpetitscercles.Ilm’attendrit,parcequ’ilnesaitvraimentpascommentréagir.

«Jeplaisante,onvajusteenboîte.»

Ilconsultesamontrecommesicelapouvaitluidonneruneinformationsupplémentaire.

«Jeveilleraisurelle»,prometZoey.

Elleal’airsigentilleetsisaineque,mêmemoi,jelacroispresque.

«Non,ditPapa.Ilfautqu’elleserepose.Pasquestiond’unesalleenfuméeetbruyante.

—

S’ilfallaitqu’elleserepose,pourquoim’avoirappelée?

—

Jevoulaisquetuviennesluiparler,pasquetul’emmènes!

—

Nevousinquiétezpas,rit-elle.Jevouslarendrai.»

Jesenstoutmonbonheurs’évanouirparcequejesaisquePapaaraison.Sijesorsenboîte,ilmefaudraunesemainedesommeilpourm’enremettre.Quandjedépensetropd’énergie,jedoistoujourspayerlafactureaprès.

«Bon,tantpis,dis-je.Cen’estpasgrave.»

Zoeym’agrippelebrasetmetirejusqu’enbasdel’escalier.

«J’ailavoituredemamère,lance-t-elle.Jelaramèneraiverstroisheures.»

Papaproteste,c’esttroptard,minuitauplustard,répète-t-ilplusieursfoispendantqueZoeycherchemonmanteaudansleplacarddel’entrée.Surleseuildelaporte,jeluicrieaurevoirmaisilnerépondpas.Zoeyclaquelaportederrièrenous.

«Minuit,çava,luidis-je.

—

Écoute,mabelle,répond-elleenseretournantversmoi,situasl’intentiondemenertonplanàbien,ilvafalloirapprendreàviolerquelquesrègles.

—

Maisçam’estégalderentreràminuit.Inutiledel’inquiéter.

—

Qu’ils’inquiète!Aucuneimportance.Çaneportepasàconséquencespourquelqu’uncommetoi!»

Jen’avaisjamaisenvisagélachosesouscetangle-là.

Trois

Biensûr,nousentronsfacilementauclub.Iln’yajamaisassezdefillespourtoutlemondelesamedisoiretZoeyauncorpsdedéesse.Lesvideurslareluquentavecenvieennousfaisantsignededépassertoutelaqueue.Elleesquisseunpetitpasdedanseàleurintentionetilsnoussuiventdesyeuxtandisquenoustraversonslehalljusqu’auvestiaire.«Bonnesoirée,mesdemoiselles!»lancent-ils.Nousn’avonsmêmepasàpayer.C’estlamaisonquiinvite.

Aprèsavoirdéposénosmanteauxauvestiaire,nousallonsaubaretcommandonsdeuxCocas.Zoeytireunegourdeplatedesonsacetajouteausienunerasadederhum.Touslesétudiantsdesafacfontça,dit-elle,çaréduitlecoûtdessorties.Pourmoi,interdictionabsoluedeboireetjem’ytiens:celamerappelletroplaradiothérapie.Unjour,jemesuiscuitéeentredeuxséancesderayonsavecunemixtured’alcoolschipésdansleplacarddePapaetmaintenantlesdeuxchosessontliéesdansmatête.L’alcoolapourmoilegoûtdel’irradiationdetoutmoncorps.

Nousnousadossonsaubarpourinspecterleslieux.Lasalleestdéjàpleineàcraquer,lapistededansebondéedecorpsexcités.Lesspotsbalayentleurpinceaudelumièreentrelesseins,lesculs,leplafond.

«Apropos,j’aidespréservatifs,ditZoey.Ilssontdansmonsac.Tuenprendsquandtuenasbesoin.Tutesensbien?ajoute-t-elleenm’effleurantlamain.

—

Ouais.

—

Tupaniquespas?

—

Non.»

Toutecettesallealluméeparlafièvredusamedisoirestexactementcequ’ilmefallait.J’aiattaquémalisteetZoeyestd’accordpourm’aider.Cesoir,jevaispouvoircocherlepremiermot:sexe.Etjen’aipasl’intentiondemouriravantd’enavoirfaitautantaveclesneufautres.

«Tiens,qu’est-cequetupensesdecelui-là?»medemandeZoeyenmedésignantungarçon.

C’estunbondanseur,ilsebalancelesyeuxferméscommes’ilétaitseul,commes’iln’avaitbesoinderiend’autrequedemusique.

«Ilvienttouteslessemaines.Jenesaispascommentilsedébrouillepourqu’onlelaissefumersonshitici.Ilestmignon,non?

—

Jeneveuxpasd’undrogué.

—

Qu'est-cequeturacontes?ditZoeyenfronçantlessourcils.

—

S’ilestdéfoncé,ilnesesouviendrapasdemoi.Jeneveuxpasnonplusd’untypebourré.»

Zoeyclaquebruyammentsonverresurlebar.

«J’espèrequetunet’attendspasàtomberamoureuse,quandmême?Nemedispasquec’estsurtaliste,çaaussi?

—

Pasvraiment.

—

Encoreheureux,parceque,jesuisdésoléedetelerappeler,maisletempsjouecontretoi.Allez,viens,autravail!»

Ellem’entraîneverslapiste,assezprèsdeStonerBoy1pourqu’ilnousremarque,etnousnousmettonsàdanser.

Ettoutvabien.J’ail’impressiondefairepartied’unetribu,toutlemondebougeetrespireaumêmerythme.Lesgensseregardent,serepèrentlesunslesautres.

Personnenepourram’enleverça.Êtreici,entraindedanserunsamedisoir,etd’attirerleregardd’ungarçonsurmoi,moidanslaroberougedeZoey.Ilyadesfillesquineconnaîtrontjamaisça.Mêmepasça.

Jesaiscommentcelavasepassermaintenantparcequej’aiénormémentdetempspourlireetquejeconnaistouslesscénarios.StonerBoyvaserapprocherpournousexaminerdeplusprès.Zoeynevapasleregarder,maismoi,oui.Jelefixeraiunesecondedetropetilsepencheraversmoipourmedemandermonnom.«Tessa»,dirai-je,etillerépétera:lecinglantduT,lesifflementdesdeuxS,leApleind’espoir...Jehocherailatêtepourluisignifieràquelpointjesuisheureusequemonnomrésonnedefaçonsinouvelleetharmonieuse,prononcéparlui.Alorsiltendralesbras,paumesversleciel,commepourdire:«Jemerends,commentrésisteràtantdebeauté?»Jesourirai,faussementtimide,etbaisserailesyeux.Pourluifairecomprendrequ’ilpeutoserunpasdeplus,jenemordspas,jeconnaislesrèglesdujeu.Ilmeprendradanssesbrasetnousdanseronsenlacés,matêteposéesursapoitrine,moiécoutantbattresoncœur,lecœurd’uninconnu.

Maiscen’estpasdutoutcommeçaqueleschosessepassent.J’avaisoubliétroischoses.D’abordqueleslivresn’ontrienàvoiraveclaréalité.Ensuite,quejen’aipasassezdetempsdevantmoipourflirter.Zoey,elle,s’ensouvient.Zoey,letroisièmeélémentquej’avaisnégligé...Etlavoilàquis’approche.

«C’estmonamie,hurle-t-elleaugarçonpar-dessuslamusique.Elles’appelleTessa.Jesuissûrequ’uneboufféedetonjointluiferaitplaisir.»

Ilsourit,tendlejoint,nousjaugetouteslesdeux,sonregards’attardantsurlalongueurdescheveuxdeZoey.

«C’estdel’herbepure»,chuchoteZoey.

Quoiquecesoit,c’estdenseetâcreàl’arrièredemagorge.Jetousse,j’ailatêtequitourne.JelepasseàZoeyquiinhalelonguement,puislerendaugarçon.

Noussommesàl’unissontouslestroismaintenant,etdansonsensembleaurythmedesbassesquiscandentnospasetlebattementdusangdansnosveines.Desimageskaléidoscopiquesvacillentsurlesécransvidéodesmurs.Lejointcirculedenouveauentrenous.

Jenesaispascombiendetempsceladure.Desheurespeut-être.Oudesminutes.

Toutcequejesais,c’estqu’ilnefautpasquejem’arrête.Sijecontinueàdanser,lessombresrecoinsdelasallenemeparaîtrontpasplusmenaçants,lesilenceentrelespistesneserapasplusassourdissant.Sijecontinueàdanser,jeverraidenouveaulesbateauxsurlamer,jemangeraidescoquesetdesbulots,etj’entendrailecrissementdelaneigequandonestlapremièrepersonneàlafoulerauxpieds.

1Stoner:habituédeladéfonce.

Unpeuplustard,Zoeymetendunjointtoutneufenmarmonnant:«Tuescontented’êtrevenue?»

Jem’arrêtepourtirerunetaffe,restebêtementimmobileunesecondedetrop,oubliantdedanser.Etçayest,lecharmeestrompu.J’essaiedemecramponner,deretrouverunpeud’enthousiasmemaisj’ail’impressionqu’unvautourestperchésurmapoitrine.Zoey,Stonerettouslesautresdanseursmeparaissentlointains,irréels,commeunprogrammedetélé.Auqueljenem’attendsplusàparticiper.

«Jerevienstoutdesuite»,dis-jeàZoey.

Danslesilencedestoilettes,jem’assiedssurlacuvetteetcontemplemesgenoux.Ilsuffiraitquejeretrousseuntoutpetitpluscetteminiroberougepourvoirmonestomac.J’aiencoredesecchymosessurl’estomac.Surlescuissesaussi.J’aibeaum’enduiredecrème,mapeauestsèchecommecelled’unlézard.Etl’intérieurdemesbrashantédetrousd’aiguilles.

Jefaispipi,m’essuie,redescendsmarobe.Quandjesors,Zoeyestlà,quim’attendprèsdusèche-mains.Jenel’aipasentendueentrer.Sesyeuxsontplussombresqued’habitude.Jemelavetrèslentementlesmains.Conscientedesonregardsurmoi.

«Ilaunami,dit-elle.Quiestencoreplusbeauquelui,maistupeuxleprendrepuisquec’esttongrandsoir.Ilss’appellentScottetJakeetnouspartonschezeux.»

Jem’appuiesurleborddulavabopourscrutermonvisagedanslaglace.Mesyeuxsontbizarres.

«UndesTweeniess’appelleJake,dis-je.

—

Écoute,répondZoeyquicommenceàs’énerver.Tuveuxfairel’amour,ouiounon?»

Dulavabod’àcôté,unefillemelanceuncoupd’œilfurtif.J’aienviedeluiexpliquerquejenesuispascequ’elleimagine.Quejesuistrèsgentille,enfait,qu’ellem’aimeraitsûrement.Maisonn’apasletemps.

Zoeym’entraînehorsdestoilettesetmeremorqueendirectiondubar.

«Ilssontlà.Letien,c’estcelui-là.»

Ellem’indiqueungarçon,lesmainsplaquéessurl’aine,lespoucesglissésdanssaceinture.Ilressembleàuncow-boyscrutantl’horizon.Ilnenousvoitpasarriveretjestoppenet.

«Jenepeuxpas!

—

Maissi,tupeux!Visàcentàl’heure,meursjeune,soisunravissantcadavre!

—

Arrête,Zoey!»

J’ailevisageenfeu.Iln’yapasmoyendetrouverunpeud’air,ici?Oùestdonclaporteparlaquellenoussommesentrées?

Zoeymejetteunregardhargneux:

«C’esttoiquim’asdemandédet’aider.Qu’est-cequejesuiscenséefairemaintenant?

—

Rien.Tunefaisrien.

—

Tuespathétique!»m’assène-t-elleenhochantlatête,puiselletraverseàgrandesenjambéeslapistededanseetsedirigeversl’entrée.

Jemeprécipitederrièreelleetlavoissortirmonticketdevestiaire.

«Qu’est-cequetufais?

—

Jevaisprendretonmanteauettetrouveruntaxipourquetupuissesfoutrelecampcheztoi.

—

Tunepeuxpasallertouteseulechezcesgarçons,Zoey.

—

Tumeconnaismal!»

Ellepousselaporteetjetteuncoupd’œildanslarue.Toutparaîtcalmemaintenantquepluspersonnenefaitlaqueueetiln’yaaucuntaxienvue.Lelongdutrottoir,quelquespigeonspicorentunemballagedepouletrôti.

«Jet’enprie,Zoey,jesuisfatiguée.Tuneveuxpasmereconduire?

—

Tuestoutletempsfatiguée,répond-elleavecunhaussementd’épaules.

—

Arrêted’êtresiméchante!

—

Arrêted’êtresichiante!

—

Jeneveuxpasallerchezdesgarçonsquejeneconnaispas.N’importequoipeutarriver.

—

J’espèrebien!Cequiestsûrentoutcas,c’estque,sionn’yvapas,ilnesepasserastrictementrien.»

Jerestebêtementhésitante,terrorisée,toutàcoup.

«Jeveuxquecesoitparfait,Zoey.Fairel’amouravecuntypequejeneconnaismêmepasneferademoiqu’unesalope.»

Zoeysetourneversmoi,lesyeuxbrillants:

«Non,pasunesalope,unêtrevivant.MaissitupréfèresprendreuntaxietrentrerchezPapa...»

Jem’imaginegrimpantdansmonlit,respirantl’airrenfermédemachambretoutelanuit,etmeréveillantdemainsansquerienaitchangé...

Zoeyaretrouvésonsourire:

«Allez!Tuvaspouvoirbarrerlapremièrechosedetaputaindeliste.Jesaisquec’estçaquetuveux.Disoui,Tessa.Allez...

—

D’accord.

—

Hurrah!»

Ellem’attrapeparlebrasetm’entraînedansleclub:

«Maintenant,envoieunmessageàtonpèrepourluidirequetupasseslanuitchezmoi,ethop,c’estparti!»

Quatre

«Tun’aimespaslabière?»demandeJake.

Ilestdebout,appuyécontrel’évierdesacuisineetmoitoutprèsdelui.Tropprès.

Exprès.

«J’avaisjusteenvied’unpeudethé.»

Ilhausselesépaules,faittintersabouteillecontrematasseetboitaugoulot,latêteenarrière.Jeremarquesursagorgeunepetitecicatriceblanche,unefinezébruresouslementon,souvenird’unlointainaccident.Ils’essuielabouchesursamancheets’aperçoitquejel’observe.

«Çava?dit-il.

—

Ouais.Ettoi?

—

Ouais.

—

Tantmieux.»

Ilmesourit.Ilaunjolisourire.Jesuiscontente.Ceseraittellementplusdifficiles’ilétaitlaid.

Ennousouvrantlaportedechezeuxilyaunedemi-heure,luietsoncopain,StonerBoy,ontéchangéunsourireentendu.Ilssemblaientsecongratulerd’avoirmarquéunpointetZoeyleuraconseillédenepasfairelesmalinstropvitemaisnoussommesquandmêmeentréesetellealaisséStonerBoyluiretirersonmanteau.

Deplusenplusdéfoncée,elleriaitàsesplaisanteries,acceptaitlesjointsqu’ilroulaitpourelle.

Jelesaperçois,touslesdeux,danslapièceàcôté.Ilsontmisdelamusique,unesortedejazzlangoureux,éteintleslumièresetilsdansent,bougeantlentementl’uncontrel’autreenfaisantdusurplace.Zoeyaunemainenl’airpourtenirsonjoint,l’autredanslebasdudosdeStonerBoy,glisséedanssonpantalon.Stonerlatientenlacéeentresesdeuxbras:onal’impressionqu’ilss’aidentmutuellementàtenirdebout.

Jemesenstoutàcoupbienraisonnableàsirotermonthé,là,danslacuisine.Ilseraittempsquejepasseauxactes.Toutça,c’estpourmoi,aprèstout.

Jefinismatasse,lareposesurl’évieretmerapprochedeJake.Leboutdemeschaussurestouchelessiennes.

«Embrasse-moi»,dis-je,cequejetrouveridiculeàpeinel’ai-jeprononcémaisçan’apasl’airdelegêner,lui.Ilposesabièreetsepenchesurmoi.

Nousnousembrassonstoutdoucement,noslèvress’effleurent,sonsoufflesemêleaumien.J’aitoujourssuquej’embrasseraisbien.J’ailutouslesmagazines,touslesarticlesquivousexpliquentcommentnepassecognerlenez,éviterl’excèsdesalive,oùmettresesmainspendantcetemps-là.Maisjen’avaispasimaginécequej’éprouvemaintenant,lelégerpicotementdesonmentonfrottantlemien,ladouceurdesesmainsexplorantmondos,l’ardeurdesalangueparcourantmeslèvresetl’intérieurdemabouche.

Nousnousembrassonslonguement,deplusenplusétroitementserrés,arquésl’undansl’autre.C’estuntelsoulagementd’êtreavecquelqu’unquinesaitriendemoi.

Mesgestess’enhardissent,mamaindescendlelongdesondosets’arrêtepourlecaresseràl’oréedesfesses.Ilal’airsibienportant,sisolide.

J’ouvrelesyeuxpourvoirs’ilaimeçamaismonregardestattiréparlafenêtrederrièrelui,lacimedesarbresdansl’obscuritédelanuit.Deuxpetitesbranchessombrestapotentsurlecarreau,ondiraitdesdoigtshumains.Jerefermevitelesyeuxetmeblottiscontrelui,assezprèspoursentirlafermetédesondésiràtraversmapetiteroberouge.Ungémissements’échappedufonddesagorge.

«Montonsdansmachambre»,dit-il.

Iltentedem’entraînerverslaportemaisjeposeunemainsursontorsepourleteniràdistance,letempsderéfléchir.

«Allez,viens,insiste-t-il.Tuenasenvie,non?»

Jesensmoncœurbattrejusqu’auboutdemesdoigts.Ilmesouritet,oui,j’aienvie.

N’est-cepaspourçaquejesuisvenue?

«OK.»

Samainestchaude,sesdoigtsenlacentlesmienstandisqu’ilmeguideàtraverslesalonversl’escalier.Zoeyestentraind’embrasserStonerBoy.Ellealedoscontrelemuretunejambetendueentrecellesdugarçon.Ilsnousentendentpasseretseretournenttouslesdeux.Ilsontl’airdébraillésetexcités.Zoeymeregardeentortillantsalanguequiscintillecommeunpetitpoissonaufondd’eauxcaverneuses.

JelâchelamaindeJakepourprendrelesacdeZoeysurledivan.Jefarfouillededans,conscientedeleursregards,dusourirequis’ébauchesurlevisagedeStoner.

Jakeattend,adosséauchambranledelaporte.Est-cequ’illeurfaitsignequec’estgagné?Jen’osepasregarder.Jen’arrivepasnonplusàtrouverlespréservatifs,est-ceuneboîte?unpaquet?Jenesaismêmepasvraimentàquoiçaressemble.Dansmonembarras,jedécidedeprendretoutlesac.Zoeyn’auraqu’àmontersielleabesoindequelquechose.

«Onyva»,dis-je.

EnsuivantJakedansl’escalier,jemeconcentresurlebalancementdeseshanchespourmaintenirma

bonnehumeur.Jemesensunpeubizarre.J’ailatêtequitourneetvaguementmalaucœur.Jen’auraispasimaginéquegrimperdesmarchespourmonterdanslachambred’ungarçonmerappelleraituncouloird’hôpital.Peut-êtresuis-jesimplementfatiguée.J’essaiedemerappelerlesconsignesquandonsesentnauséeux:respirerdel’airfraischaquefoisquec’estpossible,ouvrirunefenêtreousortirsionpeut.Trouverdesdistractionspouroublierletraitement,s’occuper,peuimporteàquoi,l’essentielestdepenseràautrechose.

«Entre»,dit-il.

Sachambren’ariendeparticulier.C’estunepetitepièceavecunbureau,unordinateur,deslivreséparpillésparterre,unechaiseetunlitd’unepersonne.Surlesmurs,quelquespostersennoiretblanc,desmusiciensdejazzpourlaplupart.

Ilmeregarderegardersachambre.

«Posetonsac»,dit-il.

Ilretireunpeudelingesaledulitetlejetteparterre,retapelacouette,s’assiedetm’invited’ungesteàlerejoindre.

Maisjenebougepas.Pourm’asseoirsurcelit,ilfautquelalumièresoitéteinte.

«Tupeuxallumerlabougie?»

Ilselève,cherchedesallumettesdansuntiroir,allumelabougie,éteintlalumièreetserassoit.

Commeceluidemesrêves,ilmedéshabilledesyeux,sarespirations’accélère,ilmedésire.Lemomentestarrivé,monmoment.Maismoncœurbatlachamade.Leseulmoyendem’ensortirsanspasserpourunedemeuréetotaleestsansdoutedefairesemblantd’êtrequelqu’und’autre.Jedécided’êtreZoeyetcommenceàdéboutonnersarobe.

Ilmecouvedesyeux:unbouton,deuxboutons.Ilpassesalanguesurseslèvres.

Troisboutons.

«Laisse-moifaire»,dit-ilenselevant.

Sesgestessontprestes.Onsentquesesdoigtsontdéjàfaitça.Unautresoir,avecuneautrefille.Quatreboutons,cinq,lapetiterobeglissedemesépaulesàmeshanches,puistombeparterreetseloveenformedebaiserautourdemespieds.Jerestedeboutdevantlui,ensoutien-gorgeetculotte.

«Qu’est-cequec’estqueça?demande-t-ilendécouvrantlapeaudemapoitrinetouteplissée.

—

J’aiétémalade.

—

Qu’est-cequetuaseu?»

Jeluicoupelaparoleenl’embrassant.

Monodeurestdifférentemaintenantquejesuispresquenue,uneodeurchaudeetmusquée.Songoûtàluiaussiachangé,unmélangedefuméeetdequelquechosedesucré.Lavie,peut-être.

«Tunetedéshabillespas?»dis-jeavecmameilleurevoixdeZoey.

IlenlèvesonT-shirtetrestesansdéfensel’espaced’uninstant,lesbraslevésetlevisagecaché:jecontemplesonbusteétroitcriblédetachesderousseur,l’éclatsombredesesaisselles.IlbalancesonT-shirtetseremetàm’embrasser.Ilessaiededébouclersaceintured'uneseulemain,sansregarder,maisn’yarrivepas.Ils’écarte,sansmequitterdesyeux,toutencherchantàtâtonsleboutonetlafermetureÉclair.

Finalement,ilenlèvesonpantalonet,deboutdevantmoiencaleçon,semblehésiterquelquessecondes,incertain,presquetimide.Sespiedsensocquettesblanchesmefontpenseràd’innocentespâquerettesetmedonnentenviedeluifaireuncadeau.

«Jen’aijamaisfaitcela,dis-je.Jenesuisjamaisalléejusqu’aubout,avecungarçon.»

Laflammedelabougievacille.

D’abordilnerépondrien,secontentedesecouerlatête,incrédule:

«Çaalors,c’estincroyable!finit-ilpardire.Vienslà.»

Jemeblottiscontresonépaule.C’estréconfortant,peut-êtrequetoutvabiensepasser,aprèstout.Ilm’enlaced’unbrastandisquesonautremainremontelentementlelongdemondosetmecaresselanuque.Ilyadeuxheures,jenesavaismêmepascommentils’appelait.

Etsionnefaisaitpasl’amour?Sionrestaitjusteserrésl’uncontrel’autreetqu’ons’endormaitsouslacouette?Peut-êtrequ’ontomberaitamoureux.Quejefiniraispartrouveruntraitementetseraisguériepourl’éternité.

Maisnon.

«Tuasdespréservatifs?murmure-t-il.Moi,jesuisàcourt.»

J’attrapelesacdeZoey,renversetoutsoncontenuparterre,ànospieds,etilsesert,poseunpréservatifsurlatabledenuit,prêtàl’emploi,retireseschaussettes.

J’enlèvelentementmonsoutien-gorge.C’estlapremièrefoisquejesuistoutenuedevantungarçon.Ilmeregardecommes’ilavaitenviedemedévoreretnesavaitpasparquelboutcommencer.J’entendslesbattementsdemoncœur.Ilbandetellementqu’iladumalàretirersonslip.Jeretiremaculotteetmemetsàfrissonner.Noussommesnustouslesdeux.AdametEve.

«Toutvabien»,medit-ilenprenantmamainpourm’attirersurlelit.

Iltirelacouetteetnousnousétendons.Lelitmefaitpenseràunbateau,unetanière,unendroitoùsecacher.

«Tuvasadorer»,promet-il.

Nouscommençonsànousembrasser,d’abordtrèslentement,sesdoigtssoulignantparesseusementletracédemesos.J’aimeça,notredouceurl’unenversl’autre,notrelenteuràlalueurdelabougie.Maisçanedurepaslongtemps.Sesbaisersdeviennentplusimpératifs,salangueplusviveetentreprenantecommes’ilnepouvaitserassasier.Sesmainsaussisontdeplusenpluspressantes,insistantes.Qu’est-cequ’ilchercheexactement?Ilrépète:«Oui,ohoui»maisjenecroispasquecelas’adresseàmoi.Ilalesyeuxfermés,labouchepleinedemesseins.

«Regarde-moi,luidis-je.J’aibesoinquetumeregardes.

—

Quoi?dit-ilenrelevantlatête.

—

Jenesaispascequejedoisfaire.

—

Tufaistrèsbien.»

Sesyeuxsontsisombresqu’ilenestméconnaissable.C’estdevenuquelqu’und’autre.Mêmepluslepresqueétrangerqu’ilétaitpourmoiilyaquelquesminutes.

«Toutvabien»,assure-t-ilavantdeseremettreàm'embrasserlecou,lesseins,leventrejusqu’àcequesonvisages’enfouissedenouveauhorsdemonchampdevision.

Samainsuitlemêmecheminetjenesaispascommentluidemanderd’arrêter.Jem’éloignedeluid’uncoupdehanchesmaisiln’entientpascompte.Sesdoigtstremblententremesjambesetlasurprisemecoupelesouffleparcequepersonnenem’ajamaisfaitça.

Qu’est-cequej’aiquidéraillepourquejenesoismêmepascapabledefairel’amour?Jepensaisquejesauraiscommentmecomporter,cequiallaitarriver.

Maislesévénementsm’échappent,c’estplutôtJakequim’obligeàtenirmonrôle.

Jemecramponneàluietluitapoteledoscommes’ilétaitunchienquejenecomprendspas.

Ilremonteverslehautdulitets’assied.

«Toutvabien?»

J’acquiesced’unhochementdetête.

Iltendlebrasverslatabledenuit,prendlepréservatifetl’enfilerapidement.Onsentl’expert.

«Tuesprête?»

J’acquiescedenouveau.Ceseraitmalélevéderefuser.

Ils’étend,écartemesjambesd’unmouvementdelasienne,secouchesurmoi,m’écrasedesonpoids.Tout,àcoup,jelesensàl’intérieurdemoi,jevaisenfincomprendrepourquoionenfaittantd’histoires.C’estcequejevoulais.

Pendantqueleschiffresrougesdesonradio-réveilpassentde3heures15à3

heures19,j’ailetempsderemarqueruntasdechoses.Queseschaussuresgisentprèsdelaporte.Quelaporten’estpasbienfermée.Qu’ilyauneombrebizarredansuncoinduplafond,uneombreenformedevisage,quiressembleàungrosmonsieurquej’aivuunjourjoggerdansnotrerue,touttranspirant.Ouàunepomme.Jemedisquejeseraisbienàl’abricachéesouslelit,oulatêteposéesurlesgenouxdemamère.

Ilsehissesurlesbras,bougeantlentementau-dessusdemoi,levisagetournéverslecôté,lesyeuxfermésserré.Etvoilà.Çayest.Celaarrivepourdebon.Jesuisentraindefairel’amour.

Quandc’estfini,jeresteétenduesouslui,jemesenstoutepetite,jen’aipasenviedeparler.Nousrestonsquelquetempsimmobiles,puissoncorpsroulesurlecôtéetilmedévisageattentivement.

«Quoi?Qu’est-cequ’ilyaquinevapas?»

Jenepeuxpasleregarder,jepréfèremerapprocher,m’enfouircontrelui,mecacherdanssesbras.Jesaisquejedoisparaîtreridicule.Jereniflecontreluicommeunbébé,sanspouvoirm’arrêter.C’estterrible.

«Chut...»murmure-t-ilenmecaressantdoucementledos,puisilfinitparm’écarterpourscrutermonvisage.

«Qu’est-cequisepasse?Tunevaspasprétendrequetunevoulaispas,n’est-cepas?»

Jem’essuielesyeuxavecuncoindelacouetteetm’assiedsauborddulit,jambespendantes,enluitournantledos,lesyeuxfixéssurmesvêtementséparpillésparterre,commeautantd’ombresétrangères.

Quandj’étaisenfant,jemontaissouventàchevalsurlesépaulesdemonpère.

J’étaissipetitequ’ildevaitmaintenirfermementmesdeuxjambespourm’empêcherdechavirer,maisainsiperchéejedevenaissigrandequejepouvaisbalayerd’unemainlesfeuillesdesarbres.VoilàquelquechosequejenepourraisjamaisraconteràJake.Celanel’intéresseraitpas.Jecroisquelesgenssontinsensiblesauxmots.

Insensiblesàtout,d’ailleurs,peut-être.

J’enfilemesvêtementsenvitesse.Laroberougeparaîtpluscourtequejamais,jetiredessuspouressayerdecachermesgenoux.Commentai-jepusortirdansuneboîtedenuitattiféecommeça?

JemetsmeschaussuresetrassemblelesaffairesdeZoeydanssonsac.

«Tun’espasobligéedepartir»,ditJake,enseredressantsuruncoude.

Sapoitrineparaîtpâleàlalumièrevacillantedelabougie.

«Jepréfère.»

Ilselaisseretombersurl’oreiller,unbrasballantverslesol,sesdoigtseffleurantlamoquette,etsecouetrès,trèslentementlatête.

Enbas,Zoeydortsurledivandusalon.StonerBoyaussi.Ilssetiennentenlacés,leursvisagestoutprèsl’undel’autre.Jedétestequetoutaillesibienpourelle.Elleluiamêmepiquésachemise,dontlespetitesrangéesdeboutonsnacrésmefontpenseràlamaisonensucredescontespourenfants.Jem’agenouilleprèsd’euxeteffleurelégèrementlebrasdeZoey.Sapeauestchaude.Jelacaressejusqu’àcequ’ellesoulèveunepaupière.Ellemedévisageenclignantdesyeux:

«Salut,murmure-t-elle.C’estdéjàfini?»

Jeluifaissignequeoui,sanspouvoirm’empêcherdesourire,cequiestsurprenant.

EllesedépêtredesbrasdeStoner,s’assiedetinspectelesol.

«Yauraitpasunpeudecamequitraîneraitparlà?»

Jetrouvelaboîtequicontientl’herbe,laluitendsetvaismeservirunverred’eaufraîcheàlacuisine,persuadéequ’ellevamesuivremaisellenelefaitpas.CommentluiparlerenprésencedeStoner?Jebois,posemonverresurl’égouttoiretretourneausalonm’asseoirauxpiedsdeZoey.Elleestentraind’humecterunefeuilleRizla,ellelacolleàuneautre,lèchel’autrecôté,fixeletout,déchirelesdeuxbouts.

«Bon,alorscommentças’estpassé?demande-t-elle.

—

Trèsbien.»

Eblouieparunrayondelumièrequifiltreentrelesrideaux,jen’aperçoisquel’éclatdesesdents.

«Çat’aplu?»

J’imagineJakelà-haut,lamaintraînantparterre.

«Jenesaispas.»

Zoeytiresursonjoint,medévisageaveccuriosité,exhalelafumée.

«Ilfautquetut’habitues.Unjour,mamèrem’aditquefairel’amourneprocuraitquetroisminutesdeplaisir.J’aitrouvéquec’étaitvraimentpeu!Trèspeupourmoi.

Pourmoi,ceseraitbeaucoupplus.Etçal’est.Situleurfaiscroirequ’ilssontdefabuleuxamants,ehbien,d’unemanièreoud’uneautre,leschosestournentbien.»'

Jemelèveetentrouvreunpeupluslesrideaux.Lesréverbèressonttoujoursallumés,cen’estpasencorelematin,loindelà.

«Tul’asplantélà,commeça?demandeZoey.

—

Benoui.

—

Çanesefaitpas...Tudevraisyretourneretrecommencer.

—

Jen’aiaucuneenvie.

—

Detoutefaçon,onnepeutpaspartirmaintenant.Jesuiscomplètementdéfoncée.»

Elleécrasesonjointdanslecendrier,retournes’installercontreScottetfermelesyeux.Jel’observelonguement,regardesapoitrinemonteretdescendreaurythmedesarespiration.Uneguirlandedelumièreslelongdumurprojetteunjolihalosurlamoquette.Ilyaaussiunepetitecarpetteovale,avecdesvaguesbleuesetgrises,commelamer.

Jeretourneàlacuisineetbranchelabouilloire.Unefeuilledepapiertraînesurleplandetravail.Quelqu’unaécrit:Fromage,beurre,haricots,pain.Jem’assiedssuruntabouretetajouteàlaliste:Chocolataucaramelaubeurre,sixCremeEggs.

J’adorecesœufsdePâquesquiressemblenttellementàdevraisœufs.Dansdeuxcentdix-septjours,ceseraPâques.

Peut-êtren’est-cepastrèsréaliste,commecommande...JebarrelesœufsdePâquesetécrisàlaplaceChocolatPèreNoël,celuienpapierrougeetoravecuneclocheautourducou.Celui-là,jel’auraipeut-être.Iln’yaquecenttreizejoursavantNoël.

JeretournelafeuilleetécrisTessaScott.Unbeaunomdetroissyllabes,dittoujoursmonpère.Sij’arriveàécriremonnomplusdecinquantefoissurcemorceaudepapier,c’estquetoutvas’arranger.Jecommenceàécrireenlettresminuscules,commelaFéedesdentsdelaitdoitécrireenrépondantauxlettresd’enfant.Monpoignetmefaitmal.Labouilloiresiffle.Lacuisines’emplitdebuée.

Cinq

Parfois,ledimanche,PapanousemmènerendrevisiteàMaman.Nousprenonsl’ascenseurjusqu’auhuitièmeétageetc’esttoujoursungrandmomentquandellenousouvrelaporteets’écrie:«Bonjour,vous!»ennousincluanttouslestroisdanssonregard.Généralement,Papas’attardeunpeusurleseuiletilsparlent.

Maisaujourd’hui,ilatellementhâtedes’éloignerdemoiqu’ilestdéjàpresqueretournéàl’ascenseurlorsqueMamanouvrelaporte.

«Surveille-la,dit-ilenbrandissantundoigtdansmadirection.Onnepeutpasluifaireconfiance.

—

Pourquoidonc?demandeMamanenriant.

—

Papaluiavaitdéfendud’allerdansuneboîtedenuit,hurleCalaucombledel’excitation.

—

Tiens,celanem’étonnepasdetonpère,répondMaman.

—

Elleyestalléequandmême.Ellevientjustederentreràlamaison.Elleapassétoutelanuitdehors.»

Mamanmesourittendrement.

«Tuasrencontréungarçon?

—

Non.

—

Jedevinequesi.Comments’appelle-t-il?

—

Jen’airencontrépersonne.»

Papaal’airfurieux.

«Typique,ça!Toutàfaittoi!J’auraisdûm’endouterquejenerecevraisaucunsoutiendetapart...

—

Calme-toi,ditMaman.Celaneluiafaitaucunmal,apparemment.

—

Maisregarde-la!Elleestépuisée.»

Touslestroismecontemplentlonguement.Jedétesteça.Jemesenslamentable,frigorifiéeetj’aimalauventre.J’aimaldepuisquej’aifaitl’amouravecJake.

Personnenem’avaitprévenuequeceseraitdouloureux.

«Jereviensversquatreheures,ditPapaenseretournantversl’ascenseur.Celafaitpresquequinzejoursqu’ellerefusetouteanalysedesang,alorsappelle-mois’ilyaduchangement.D’accord?

—

Oui,oui,net’inquiètepas,ditMamanensepenchantpourm’embrassersurlefront.Jevaisprendresoind’elle.»

Caletmoinousasseyonsautourdelatabledelacuisine.Mamanbranchelabouilloire,repêchetroistassessalesdansl’évier,leslavesouslerobinet,cherchedessachetsdethédansleplacard,sortdulaitduFrigidaire,lerenifle,etdisposedesbiscuitsdansuneassiette.

J’engloutisunBourbond’uneseulebouchée.Celameparaîtdélicieux.Lechocolatbonmarchéetl’affluxdesucredansmoncerveau.

«Jet’aidéjàparlédemonpremierpetitami?demandeMamanenposantbruyammentlathéièresurlatable.Ils’appelaitKevinettravaillaitchezunhorloger.

J’adoraislevoirseconcentreravecsaloupevisséesurl’œil.

—

Aufait,tuaseucombiendepetitsamis,Maman?»demandeCalenreprenantunbiscuit.

Ellesemetàrireetfaitbasculerseslongscheveuxd’unseulcôté.

«Envoilàunequestion!

—

C’estPapaquiétaitlemeilleur?

—

Ah,votrepère!»gémit-elleenfaisantminedesangloter,lamainsurlecœur.

Calhurlederire.

Unjour,j’aidemandéàMamancequinecollaitpasentreelleetPapa.«C’estl’hommeleplus

raisonnablequej’aiejamaisrencontré»,m’avait-ellerépondu.

J’avaisdouzeansquandellel’aquitté.Pendantquelquetemps,elleaenvoyédescartespostalesd’endroitsdontjen’avaisjamaisentenduparler:Skegness,Grimsby,Hull.Surunedescartes,ilyavaitunhôtelenpremierplan.C’esticiquejetravaillemaintenant,écrivait-elle.J’apprendslemétierdechefpâtissièreetjedeviensobèse!

«Parfait,qu’elleexplose!Bienfaitpourelle»,avaitcommentéPapa.

J’épinglaissescartespostales.surlemurdemachambre:Carlisle,Melrose,Dornoch.

Nousvivonsdansunepetitefermecommedesbergers,écrivait-elle.Savez-vousqu’onutiliselegosier,lespoumons,lecœuretlefoiedumoutonpourfairelehaggis?

Non,jenesavaispas,pasplusquejenesavaisquiétait«nous»,maisj’aimaisbienregardercettephotoduvillageJohnO’Groatsetsonvastehorizons’étirantsurl’Estuaire.

Audébutdel’hiver,onnousaannoncécedontjesouffrais.Jenesuispassûrequemamèreaittoutdesuitecomprisdequoiils’agissaitcarelleaprissontempspourrebroussercheminetrentrer.J’avaistreizeanslorsqu’elleaenfinsonnéànotreporte.

«Tuesravissante,m’a-t-elleditlorsquejesuisalléeluiouvrir.Pourquoiest-cequetonpèrefaittoujoursdesdramesavectout?

—

Tureviensvivreavecnous?

—

Pastoutàfait,non.»

Etelleaemménagédanssonappartement.

C’esttoujourspareil.Jenesaissic’estparmanqued’argentouparcequ’elleapeurquejemefatiguemaisavecelleonfinittoujoursparregarderunfilmoujoueràdesjeuxdesociété.Aujourd’hui,Calachoisi«LeJeudelavie».C’estnul,cetruc,etj’yjouecommeunmanche,enplus.Jeterminelapartieavecunmari,deuxenfantsetunjobdansuneagencedevoyages.J’oubliedesouscrireuneassuranceetlorsquesurvientunetempête,jeperdstoutmonargent.Pendantcetemps-là,Calestdevenuunepopstar,nantid’unevillaauborddelamer,etMamanuneartistepeintrequigagnebeaucoupd’argentetvitdansuneénormemaison.Quandjeprendsmaretraite,cequiarrivetôtparcequejecontinueàtirerdesdix,jeneprendsmêmepaslapeinedecomptercequimerested’argent.

Après,Cal.veutmontreràMamansonnouveautourdemagie.Ilabesoind’unepiècequ’ilvachercherdanssonsac;pendantcetemps,j’attrapelechâlepliésurledosducanapéetMamanm’aideàl’étalersurmesgenoux.

«Ilfautquej’ailleàl’hôpitallasemaineprochaine,luidis-je.Tuviendras?

—

Papanet’accompagnepas?

—

Vouspourriezvenirtouslesdeux.»

Ellemeregarde,embarrassée.

«Pourquoidois-tualleràl’hôpital?

—

J’aidenouveaudesmauxdetête.Onvamefaireuneponctionlombaire.»

Ellesepenchepourm’embrasser,jesenssonsoufflechaudsurmonvisage.

«Çavaaller,net’inquiètepas.Jesuissûrequeçavaallertrèsbien.»

Calrevientavecsapièce.

«Regardezattentivement,Mesdames!»annonce-t-il.

Maisjen’aipasenviederegarderattentivement.J’enaimaclaquedevoirdeschosesdisparaître.

DanslachambredeMaman,jesoulèvemonT-shirtetmecontempledanslaglace.

Avant,j’avaisl’aird’unenainemonstrueuse.Mapeauétaitgrise.J’avaisleventreenflécommeunebouledepainquiatroplevéetsijepoussaismondoigtdedans,ils’enfonçait,tellementc’étaitmou.Cesontlesstéroïdesquifontça.Prednisoloneetdexamethasoneàhautedose.Deuxpoisonsquivousrendentgrosse,laideetdemauvaisehumeur.

Depuisquejen’enprendsplus,jemesuismiseàrétrécir.Aujourd’hui,j’aideshanchesanguleusesetdescôtessaillantes.Telunspectre,jem’éloignepeuàpeudemoi-même.

Jem'assiedssurlelitdeMamanetappelleZoey.

«C’estquoi,exactement,“fairel’amour”?

—

Mapauvre,ilt’avraimentmalbaisée,ondirait?demande-t-elle.

—

Non,simplementjenecomprendspaspourquoijemesenssibizarre.

—

Commentça,bizarre?

—

Seule.Etpuisj’aimalauventre.

—

Ahoui!Jemesouviensdeça.Commesionavaitouvertuncheminàl’intérieurdetoi?

—

Unpeu,oui.

—

Çavapasser.

—

Pourquoij’aitoutletempsenviedepleurer?

—

Tuprendsçatropausérieux,Tess.Lesexen’estqu’unmoyend’êtreavecquelqu’un,c’esttout.Unefaçondesetenirchaudetdesesentirdésirable.»

Elleaunedrôledevoix,commesiellesouriait.

«Tuesencoredéfoncée,Zoey?

—

Non!

—

Oùes-tu?

—

Écoute,ilfautquejepartedansdeuxminutes.Dis-moiquelestlesecondpointdetalisteetonsefaitunplan.

—

J’aiannulémaliste.C’étaitidiot.

—

Maisnon,c’étaitdrôle!N'abandonnepas.Tuétaisenfinentraindefairequelquechosedetavie!»

Jeraccroche,comptejusqu’àcinquante-septetappellele999.

Unevoixdefemmeannonce:

«IcileServicedesUrgences?Quelestvotreproblème?»

Jenerépondsrien.

«S’agit-ild’uneurgence?insistelastandardiste.

—

Non.

—

Vousêtessûrequ’ilnes’agitpasd’uneurgence?Pouvez-vousmedonnervotreadresse?»

JeluidonnecelledeMamanetluiconfirmequ’iln’yapasd'urgence.JemedemandesiMamanvarecevoirunefacturequelconque.J’espèrebienqueoui.

J’appellelesrenseignementstéléphoniquesetdemandelenumérodeS.O.S.

Amitiés.Jelecomposetrèstrèslentement.

«Allô?ditunevoixdouce,irlandaisepeut-être.Allô?»répète-t-elle.

Commej’aiunpeuhontedeluifaireperdresontemps,jedis:

«Lavien’estqu’unpaquetdemerde.»

J’entendsunpetit«Hun-Hun»sortirdufonddesagorgeetcelamefaitpenseràPapa.Quiaémisexactementlemêmepetit«Hun-Hun»ilyasixsemaineslorsquelemédecindel’hôpitalnousademandésinousavionsbiencomprislesimplicationsdecequ’ilnousexpliquait.Jemesouviensm’êtreditqu’effectivementPapan’avaitpeut-êtrepascompris,ilpleuraittropfortpourécouter.

«Jesuistoujourslà»,insisteladame.

J’aienviedeluiexpliquer.J’appuietrèsfortl’écouteurcontremonoreilleparcequepourparlerdequelquechosed’aussiimportantilfautvraimentêtretrèsconcentré.

Maisjenetrouvepaslesmotspourledire.

«Vousêtestoujoursenligne?demandelavoix.

—

Non.»

Etjeraccroche.

Six

Papameprendlamain.

«Donne-moiladouleur»,dit-il.

Jesuiscouchéesurunlitd’hôpital,enpositionfœtale,latêtesurunoreiller.Macolonnevertébraleestparallèleaucôtédulit.

Ilyadeuxmédecinsetuneinfirmièredanslachambremaisjenelesvoispascarilssontderrièremoi.Undesmédecinsestuneinterne.Elleneditpasgrand-chosemaisjedevinequ’elleregardesonpatronchercherlebonendroitetl’indiqueràl’encresurmacolonne.Ilnettoielapeauavecunantiseptique.Leproduitesttrèsfroid.Ilcommenceparlàoùilvapiquer,etfrotteencerclesconcentriques,puisilétenduneserviettesurmondosetenfiledesgantsstériles.

«Jevaisutiliseruneaiguillen°25etuneseringuedecinqmillilitres»,explique-t-ilàl’étudiante.

Derrièrel’épauledePapa,ilyauntableauaccrochéaumur.Jenel’aijamaisvu,celui-là,ilsenchangenttoutletempsdanscethôpital.Jelefixeintensément.C’estl’unedesnombreusestechniquesquej’aiapprisesaucoursdesquatredernièresannéespoursupporterladouleur.

Surletableau,c’estlafindel’après-mididansunequelconquecampagneanglaise,lesoleilestdéjàbasdansleciel.Unpaysanluttepéniblementcontrelepoidsd’unecharrue.Desoiseauxplongentenpiquésurleursproies.

Papaseretournesursachaiseenplastiquepourvoircequejeregardeetmelâchelamainpourallerinspecterletableaudeplusprès.

Toutaufondduchamp,unefemmecourt.Ellerelèvesajuped’unemainpourallerplusvite.

«LaGrandePesteatteintEyam,litPapaàvoixhaute.Envoilàunjolipetittableauguilleretpourunechambred’hôpital!»

Lemédecinsemetàrire.

«Savez-vousqu’ilyaencoretroismillecasdepestebuboniqueparan?

—

Non,répondPapa.Jenesavaispas.

—

GrâceàDieu,nousavonslesantibiotiques,n’est-cepas?

—

GrâceàDieu.»

Papaserassoitetreprendfermementmamaindanslasienne.

Lafemmedutableaudispersedespouletsdevantelleencourantetcen’estquemaintenantquejeremarquel’expressionaffoléedesonvisage.

Lapeste,legrandincendieetlaguerrecontrelaHollande,toutcelas’estpasséen1666.Jemesouviensl’avoirapprisenclasse.Desmillionsdegenss’entassaientdansdescharrettes,onjetaitlescadavresdansdescarrièresdepierreàchauxoudesfossesanonymes.Quelquetroiscentquaranteansplustard,touslestémoinsdecesévénementsontdisparu.LesseulsélémentsfigurantsurcetableauquiaientsurvécusontleSoleil.EtlaTerre.Cettepenséemedonnel’impressiond’êtrequantiténégligeable.

«Attention,çavapiquerunpeu»,prévientlemédecin.

Papamecaresselamaindesonpoucetandisquedesvaguesdechaleurstatiqueenvahissenttousmesos.Jepenseàl’expression«àjamais»,jepensequ’ilyaplusdemortsquedevivants,jepensequenoussommesentourésdefantômes.Celadevraitmeréconforter,maisnon.

«Serremamain,ditPapa.

—

Jeneveuxpastefairemal.

—

Quandtamèreaaccouchédetoi,ellem’abroyélamainpendantquatorzeheuresd’affiléemaisnem’adémoliaucundoigt!Iln’yaaucunechancequetumefassesmal,Tessa.»

C’estcommedel’électricité,commesimonépinedorsaleétaitcoincéedansungrille-painetquelemédecinessayaitdeladécoinceravecuncouteauémoussé.

«Qu’est-cequetupensesqueMamanvafaireaujourd’hui?»

Mavoixrésonnebizarrement.Contenue.Etranglée.

«Aucuneidée.

—

Jeluiaidemandédevenir.

—

Ahbon?ditPapa,surpris.

—

Jemedisaisquevouspourriezvousretrouveràlacafétéria,après.

—

Quelledrôled’idée!»répond-ilenfronçantlessourcils.

Jefermelesyeux,j’imaginequejesuisunarbreécrasédesoleil,quejenedésireriend’autrequelapluie.Jepenseàdesjetsd’eauargentéeruisselantsurmesfeuilles,détrempantmesracines,remontantjusqu’àlamoindredemesnervures.

Lemédecindévidedesstatistiquesàl’intentiondesonexterne.

«Unmaladesurmille,environ,souffred’unelésionnerveuseàlasuitedecetexamen.Ilyaaussiunrisqued’infection,d’hémorragieoud’atteinteducartilage.»

Puisilretirel’aiguille.

«C’estfini.Bravo,vousêtestrèscourageuse.»

J’ail’impressionqu’ilvametapoterlacroupecommesij’étaisunbonchevalobéissant.Maisilsecontentedemetendretroiséprouvettes.

«Ilfaudraporterçaaulaboratoire»puis,sansmêmedireaurevoir,ilseglissediscrètementhorsdelachambre,l’étudiantesurlestalons.Commes’ilsesentaitsoudainembarrassédel’intimitéquiavaitpus’installerentrenous.

L’infirmière,elle,estadorable.Ellebabilletoutenmemettantunegazepropresurledos,faitletourdulitetsepencheversmoiensouriant:

«Tuasbesoind’unpeuderepos,monpetit.

—

Jesais,oui.

—

Cen’estpaslapremièrefoisquetuviens,n’est-cepas?»

Puis,setournantversPapa:

«Etvous,qu’allez-vousfaire,maintenant?

—

M’asseoirprèsd’elleavecmonlivre.

—

Trèsbien.Jesuislàtoutprès.Savez-vousceàquoiilfaudrafaireattentionquandelleserarentréeàlamaison?»

Trèsprofessionnel,Paparépondd’unetraite:

«Tremblements,fièvre,nuqueraideoumauxdetête.Suintementsousaignements,engourdissementoupertedeforcesousl’endroitdelapiqûre.

—

Vousêtesdrôlementcalé!approuvel’infirmière,impressionnée.

—

Bravo,Tess,meditPapaaprèssondépart.Ouf,c’estfini.

—

Saufsilesrésultatsdulabosontmauvais.

—

Ilsneserontpasmauvais.

—

Jevaisdevoirrevenirtouteslessemainespouruneponction.

—

Chut!Essaiededormirmaintenant,chérie.Letempspasseraplusvite.»

Ilprendsonlivreets’appuiesurledossierdesonfauteuil.

J’ailesyeuxquipiquentcommesidesluciolesbattaientdesailescontremespaupières.J’entendsmonsangcirculerdansmesveines,ondiraitungalopdesabotssurlespavésd’unerue.Dehorslalumièregrises’assombritdeplusenplus.

Papatourneunepage.

Derrièresonépaule,dansletableau,unepetitefuméesortinnocemmentdelacheminéed’unefermetandisqu’unefemmecourt,levisagehagard,déforméparlaterreur.

Sept

«Lève-toi!Allez,lève-toi!»hurleCal.

Jeplongesouslacouettemaisilmelaretiredeforce.

«Papaditque,situnetesorspasimmédiatementdetonlit,ilmonteavecungantdetoilettemouillé.»

Jemeroulesurlecôtépourluiéchappermaisilfaitletourdulitetmelanceensouriant:

«Papaditquetudevraistelevertouslesmatinsettesecouerunpeu!

—

Çam’estparfaitementégal,Cal.Fichelecampdemachambres’ilteplaît!»

Ils’envaetjesuismoi-mêmesurprisedevoiràquelpointcelam’estégal.

Lebruitm’agresse.Touslesbruits:lechahutqueCalfaitendescendantl’escalier,lescliquetisd’assietteslorsqu’ilentredanslacuisinesansrefermerlaportederrièrelui.Lesmoindressonsm’atteignent:leclapotisdulaitqu’ilversedanssescéréales,leszébruresdelacuillerqu’iltournoieenl’air,lett-tt...agacédePapaqui,d’uncoupdeserviette,luiessuieunetachedelaitsursachemised’uniforme.

J’entendsgrincerleplacarddel’entréeoùPapavaprendreleblousondeCal.Jel’entendsremonterlafermetureÉclairetboutonnersoigneusementlecolpourqu’iln’aitpasfroid.Jel’entendsl’embrasseretsoupirer-unegrandevaguededésespoirquienvahittoutelamaison.

«Montedireaurevoir»,ditPapa.

Calbonditdansl’escalier,marqueuntempsd’arrêtdevantmaporte,puisentreetfoncedroitversmonlit.

«J’espèrequetuvasmourirpendantquejeseraienclasse,siffle-t-il.Etqueçavatefairesalementmal!Etj’espèrequ’onvat’enterrerdansunendroithorrible,commechezlepoissonnierouchezledentiste!»

Aurevoir,petitfrère.Aurevoir.Aurevoir.

C’estl’heureoùPapaseretrouveseuldanslacuisineendésordre,seulenpantouflesetrobedechambre,malraséetdésemparé,sefrottantlesyeuxcommeétonnédesasolitude.Depuisquelquessemaines,ilsuitlamêmepetiteroutinematinale.AprèsledépartdeCal,ilsefaituncafé,débarrasselatable,rincelesassiettesetmetlamachineenroute.Cequiluiprendunevingtainedeminutes.Àlasuitedequoi,ilmontemedemander-dansl’ordre-sij’aibiendormi,sij’aifaimetàquelleheurejecomptemelever.

Jerépondsinvariablement«Non,non,etjamais».Alorsilvas’habiller,redescend,etvas’asseoirdevantsonordinateuroùilsurfedesheuresetdesheures,enquêted’informationsquipourraientmesauverlavie.

J’aientendudirequ’ilyavaitcinqphasessuccessivesdanslechagrin.Sic’estexact,alorsilestévidentquePapan’apasdépassél’étapenuméroun:lanégation.

Bizarrement,aujourd’hui,ilfrappeàmaporteplustôtqued’habitude.Iln’apasprissoncafénirangélacuisine.Qu’est-cequisepasse?Jerestetranquillementallongéetandisqu’ilentre,refermedoucementlaportederrièreluietretiresespantoufles.

«Pousse-toi,medit-ilensoulevantuncoindemacouette.

—

Qu’est-cequetufabriques,Papa?

—

Jemecoucheprèsdetoi.

—

Maisjeneveuxpasdetoi,moi!»

Ilpasseunbrasautourdemoipourm’immobiliser.Sesossontdurs,seschaussettesrugueusescontremespiedsnus.

«Sorsdemonlit,Papa!

—

Non.»

Jerepoussesonbrasetmeredressepourleregarder.Ilsentletabacfroid,labière,etparaîtplusvieuxquejenem’ensouvenais.J’entendsbattresoncœur,cequin’estpasbiennormal,àmonavis.

«Maisqu’est-cequetuveux,àlafin?

—

Tunemeparlesjamais,Tess.

—

Ettucroisquet’incrusterdansmonlitvamefaireparler?

—

Peut-être,soupire-t-il.

—

Tuaimerais,toi,quejem’installedansletienpendantquetudors?

—

Tulefaisaissouventquandtuétaispetite.Tudisaisquecen’étaitpasjusteque,toi,tudormestouteseule.Ettouslessoirs,Mamanetmoi,ontelaissaitfairepourquetunetesentespasabandonnée.»

Jesuissûrequecen’estpasvrai.Jem’ensouviendrais.Ildevientpeut-êtrefou.

«Bon,situneveuxpassortirdelà,c’estmoiquivaism’enaller.

—

Parfait,répond-il.Jenedemandequeça.

—

Ettoi,tuvasresterlà?»

Ilseblottitsouslacouetteensouriant.

«C’estagréableetchaud,ici.»

Jeflageolesurmesjambes.Jen’aipasbeaucoupmangéhier,ondiraitquecelam’arenduetransparente.Jem’agrippeauxbarreauxdulit,boitillejusqu’àlafenêtre.Ilestencoretôt:lalunes’effacedanslecielgrispâle.

«Ilyalongtempsquetun’aspasvuZoey,remarquePapa.

—

C’estvrai.

—

Qu’est-cequis’estpassé,lesoirdelaboîtedenuit?Vousvousêtesbrouillées,touteslesdeux?»

Enbasdanslejardin,leballonorangedeCalgîtsurl’herbecommeuneplanètedégonfléeet,del’autrecôtédelahaie,ilyacegarçonquiestlà,denouveau.

J’appuiemesmainscontrelavitre.Touslesmatins,iltravailledehors,ilbêche,ilratisseouilbricolequelquechose.Encemoment,ilcoupelesroncesquienvahissentlahaieetlesrassemblepourlesbrûler.

«Tuentendscequejetedis,Tess?

—

Oui,maisjen’aipasenviederépondre.

—

Tudevraisréfléchiràl’idéederetournerenclasse.Tuverraisd’autresamis.

—

Jen’aipasd’autresamis,dis-jeenmeretournantversPapa.Etjetesignaletoutdesuitequejen’aiaucuneenviedem’enfaire.Jen’ainulbesoindecurieuxmorbidesquiveulentmeconnaîtrepourpouvoirs’apitoyeràmonenterrement.»

Papasoupire,remontelacouettesoussonmentonethochelatêteversmoi.

«Tunedevraispasparlercommeça.Lecynisme,c’esttrèsmauvaispourtoi.

—

Tuasluçaquelquepart?

—

Avoiruneattitudepositiverenforcelesdéfensesimmunitaires.

—

Donc,c’estmafautesijesuismalade,c’estça?

—

Tusaistrèsbienquecen’estpascequejepense.

—

Riendecequejefaisn’estjamaisbien,d’aprèstoi!

—

Cen’estpasvrai!proteste-t-ilenserelevantpéniblement.

—

Si,c’estvrai!Ondiraitquejenemeurspasconvenablement.Tupassestontempsàmonterdansmachambrepourmediredemeleveretdemesecouer.Etmaintenant,ilfaudraitquejeretourneàl’école,enplus!C’estridicule!»

Jefonceverssespantoufles,glissemespiedsdedans.Ellessontbientropgrandespourmoimaisjem’enfiche.Papasehissesuruncoudeenmedévisageant.Ondiraitquejeviensdelegifler...

«Neparspas.Oùvas-tu?

—

Loindetoi.»

Jeclaquelaporteavecbonheur.Qu’ilgardemonlits’ilveut.Ilpeutbiens’ycoucheretycrever!

Huit

Legarçonal’airsurprisquandjepassematêtepardessuslahaiepourl’appeler.Ilestplusvieuxquejenepensais,dix-huitansenviron,avecdescheveuxnoirsetunebarbenaissante.

«Oui?

—

Est-cequejepeuxbrûlerquelquechosesurtonfeu?»

Sanssourire,ils’approched’unpastraînantdansl’allée,ets’essuielefrontd’unreversdemaincommes’ilavaitchaud.Ilalesonglessalesetlescheveuxpleinsdepetitesfeuilles.

Jelèvelesdeuxboîtesàchaussurespourqu’ilpuisselesvoir.J’aibalancélarobedeZoeyentraversdemonépaulecommeundrapeau.

«Qu’est-cequ’ilya,là-dedans?

—

Essentiellementdupapier.Jepeuxtelesapporter?»

Ilhausselesépaules,niouininon,alorsj’ouvrenotreporteetenjambelemuretdeséparationentrelesdeuxmaisons,jetraversesonpetitjardindedevantetlongesamaison.Ilestdéjàlà,tenantlagrilleouvertepourmelaisserentrer.J’hésite.

«Jem’appelleTessa.

—

Moi,Adam.»

Nousmarchonsensilencedansl’allée.Ildoitimaginerquemonpetitamivientdemelarguer,etquemesboîtescontiennentdeslettresd’amour.Pasétonnant,doit-ilpenser,avecsatêtedecadavreetsoncrânerasé.

Jesuisdéçueparlefeu,unpauvrepetitfeudefeuillesetdebrindilles,avecbeaucoupdefuméeetquelquesflammèchesautour.

«Lesfeuillessonthumides,explique-t-il.Lepapiervaleranimer.»

J’ouvreunedemesboîtesetlarenversesurlefeu.

Dujouroùmonpèrearemarquélepremierbleusurmacolonnevertébralejusqu’àceluioù-ilyadeuxmois-l’hôpitalaofficiellementrenoncéàfairequoiquecesoitpourmoi,j’aitenumonjournal.Çabrûledrôlementbienquatreannéesd’optimismepathétique,unvraifeud’artifice!Touteslescartesdevœuxdeguérisonquej’aireçuessegondolentsouslachaleur,secalcinentaussitôtets’envolentenfumée.En

quatreinterminablesannées,onoublielenomdesgens.

Ilyavaituneinfirmièrequidessinaitdescaricaturesdesmédecinsetlesaccrochaitprèsdemonlitpourmefairerire.Ellenonplus,jenemerappellepascommentelles’appelait.Louise,peut-être?Elleétaittrèsprolifique.Lefeucrépite,s’embrase,projettedesétincellesdanslesarbres.

«Jem’allèged’unfardeau»,dis-jeàAdam.

Maisjecroisqu’iln’écoutepas.Iltraverselapelouseentirantunamasderoncesverslefeu.

C’estlaboîtesuivantequejedétesteleplus.Celledanslaquelleonfouillaitsouvent,Papaetmoi,enéparpillantlesphotossurmonlitd’hôpital.

«Tuvasguérirtrèsvite,disait-ilenpassantundoigtsurunephotodemoienclasse,lorsquej’avaisonzeans,toutefièredansmonnouveluniforme,lejourdemonentréeensixième.Etregardecelle-là,onétaitenEspagne,tutesouviens?»

J’étaismince,bronzéeetpleined’espoir,àl’époque.C’étaitpendantmapremièrerémission.Ungarçonm’avaitsiffléesurlaplage.Papam’avaitpriseenphoto,endisantquejevoudraistoujoursgarderunsouvenirdemonpremieradmirateur.

Maisjeneveuxplus.

J’éprouvel’enviesubitedecouriràlamaisonpourallerchercherd’autrestrucsàbrûler.Mesvêtements,meslivres.

«Jepourraivenirlaprochainefoisquetuferasdufeu?»dis-jeàAdam.

D’unpied,ilmaintientunboutdelaronceetembobinel’autrepourlapousserdanslefeu.

«Pourquoiveux-tutedébarrasserdetoutça?»

JeroulelarobedeZoeyenboule;elleparaîttoutepetiteserréedansmonpoing.Jelajettedanslebrasier,elles’embraseavantmêmed’avoiratteintlesflammes.Ensuspension,immobile,elleseréduitenplastiqueincandescent.

Toutematièresecomposedeparticules.Plussolideestlamatière,plussesparticulessontétroitementaccrochéeslesunesauxautres.Lesgenssontsolides,maisleurintérieurliquide.Setenirtropprèsd’unfeualtèrepeut-êtrelesparticulesducorpshumain.Entoutcas,jemesenssoudaintrèsfaible,prisedevertige.Jenesaispastrèsbienpourquoi-est-celemanquedenourriture?-maisjenemesensplusd’aplombdansmonproprecorps.Lejardins’illuminebrusquement.

Commepourlesescarbillesquivolettentenretombantdansmescheveuxetsurmesvêtements,laloidelapesanteurveutquetoutcorpsquitombesoitattiréverslaterre.

Amongrandétonnement,jemeretrouvecouchéedansl’herbe,leregardlevéverslevisagepâled’Adam,auréolédenuages.Jemetsunelongueminuteàémerger.

«Nebougepas,dit-il.Jecroisquetut’esévanouie.»

J’essaiedeparlermaismalangueestparalyséeetc’esttellementplusfacilederesterlà,étendue.

«Tuesdiabétique?Tuasbesoindesucre?J’aiunCoca,situveux.»

Ils’assiedprèsdemoi,attendquejemesoulèveetmetendlacanette.Matêtebourdonnelorsquelesucreatteintmoncerveau.Jemesensfaible,encoreplusspectralequ’avant,maistellementmieux.Nousregardonslefeu.Toutlecontenudemesboîtesestconsumé,lesboîteselles-mêmescarbonisées.Larobevolatilisée.Maislescendressontencorechaudes,etassezrougeoyantespourattirerunemite,uneimbéciledemitequidanseverslefeuets’ybrûlelesailesavecunpetitcrépitement.

Nousfixonstousdeuxl’espaceoùelleestpasséedel’êtreaunéant.

«Tufaisbeaucoupdejardinage,n’est-cepas?

—

J’aimeça.

—

Jetevoisdemafenêtre.Jeteregardebêcherettoutça.

—

Ahbon?Pourquoi?demande-t-il,inquiet.

—

J’aimebient’observer.»

Ilfroncelessourcils,l’airperplexe,semblesurlepointdefaireuncommentaire,puisdétournelesyeux.Sonregardparcourtlejardin.

«J’ail’intentiondecréerunpotagerdanscecoin.Despetitspois,deschoux,deslaitues,desharicots.Tout,quoi.C’estpourmamère,plusquepourmoi.

—

Pourquoi?»

Ilhausselesépaules,regardeverslamaisoncommesilefaitdeparlerd’ellerisquaitdel’attireràlafenêtre.

«Elleaimebienlespotagers.

—

Ettonpère?

—

Non.Iln’yaqueMamanetmoi.»

Jeremarqueunpetitfiletdesangsurledosdesamain.Ilsuitmonregardetl’essuiesursonjean.

«Ilvafalloirquej’yaille.Tutesensmieux?GardeleCoca,situveux.»

Ilm’accompagnedansl’alléeoùj’avancedoucement,heureused’avoirréduitencendresmesphotosetmonjournal,heureusequelarobedeZoeyaitdisparu.J’ail’impressionqu’ilvapouvoirmaintenantsepasserquelquechosedenouveau.

Arrivéeàlaporte,jemetourneversAdam:

«Mercidetonaide.

—

Jet’enprie.»

Lesmainsdanslespoches,ilmesourit,détournesonregard,fixesesbottes.Maisjesaisquec’estmoiqu’ilvoit.

Neuf

«Jenevoispaspourquoionvousaenvoyésiciaujourd’hui,ditlaréceptionniste.

—

Onnousademandédevenir,répondPapa.LasecrétaireduDr.Ryannousatéléphonépournousconvoquer.

—

Non.Pasici.Etpasaujourd’hui.

—

Si,insiste-t-il.Ici,etaujourd’hui.»

Agacée,elleseretourneverssonordinateuretfaitdéfilerl’écran.

«C’estpouruneponctionlombaire?

—

Non,cen’estpaspouruneponctionlombaire,grognePapa,deplusenplusexaspéré.LeDr.Ryantient-iluneconsultationaujourd’hui,aumoins?»

Jeleslaissesedébrouillerensembleetvaism’asseoirdanslecoinsalled’attente.

Touslessuspectshabituelssontlà:dansuncoin,leschauvesàchapeau,branchésàleurperfusion,parlantdiarrhéesetnausées;ungarçoncramponnéàlamaindesamère,latêtecouvertedenouveauxpetitscheveuxaussiprécairesquelesmiens;unefillesanssourcilsfaisantsemblantdelireunlivre.Elles’estdessinéuntraitdecrayonau-dessusdelacourbedeseslunettes.Ellevoitquejelaregardeetmesourit,maisjen’enveuxpas,desonsourire.C’estunedemesrègles:nepascréerdeliensavecdesgensentraindemourir.Iln’yariendebonàenattendre.Unjour,jemesuisfaituneamie,ici.Elles’appelaitAngela,ons’envoyaitdesmailstouslesjoursetpuis,toutàcoup,plusrien.Finalementsamèreatéléphonéàmonpèrepourluidirequ’Angelaétaitmorte.Morte.Commeça,sansmêmemeprévenir.J’aidoncdécidédeneplusm’encombrerdequiquecesoit.

J’attrapeunmagazinequejen’aimêmepasletempsd’ouvrir.Papametapesurl’épauleetm’aideàmelever:

«Onagagné,dit-il.

—

Quoi?

—

Onavaitraison,c’estellequiavaittort,annonce-t-ilenfaisantunpetitgested’adieuamicalàlaréceptionniste.Ellenecomprendrienàrien,lapauvrefemme.Enfait,noussommesbeletbienattendusdanslebureaudugrandpatron.Onyvatoutdesuite.»

LeDr.Ryanaunepetitesaletésurlementon.Quelquechosederouge,quejenepeuxpasm’empêcherdefixertandisquenousnousinstallonsfaceàsonbureau.Delasaucetomate,oudelasoupe,peut-être?Oualors,ilvientdefiniruneopération?

C’estpeut-êtredelaviandecrue.

«Mercid’êtrevenus»,dit-ilentapotantdesdoigtssursatable.

Papaavancesachaiseplusprèsdelamienneetappuiesongenoucontrelemien.

J’ailagorgeserréeetrésisteàlatentationdemeleveretdepartir.Sijen’écoutepascequ’ilvanousannoncer,jenelesauraipasetpeut-êtrequ’alorsçaneseréaliserajamais.

LeDr.Ryan,lui,n’hésitepas.Savoixestferme.

«Jesuisdésolé,Tessa,lesnouvellesnesontpasbonnes...D’aprèslesrésultatsdetadernièreponctionlombaire,toncancerauraitatteintleliquiderachidien.

—

Etcen’estpasbon,ça?»dis-jeenplaisantant.

Ilneritpas.

«C’esttrèsmauvais,Tessa.Celaindiquequelescellulesleucémiquesattaquentlesystèmenerveuxcentral.Jesaisquec’estterriblepourtoid’entendreça,malheureusementleschosesévoluentplusvitequenousnel’avionsprévu.

—

Quelleschoses?

—

Tuasfranchiuneétape,Tessa»,répond-ilenchangeantdepositionsursachaise.

Ilyaunegrandefenêtrederrièresonbureau,àtraverslaquellej’aperçoislacimededeuxarbres.Leursbranches,leursdernièresfeuillesetunmorceaudeciel.

«Quelleétape,exactement?

—

Laseulechosequejepuissefaireesttedemandercommenttutesens,Tessa.

Es-tuplusfatiguée?As-tuplusdenausées?As-tumalauxjambes?

—

Unpeu.

—

C’estdifficiledemeprononcer,maisjeteconseilledefairetoutcequetusouhaitesfaire.»

Pourconfirmersondiagnostic,ilsortquelquesdiaposqu’ilnousprojettecommedesphotosdevacances,ennousfaisantremarquerdestachessombres,deslésions,desdébrisvisqueuxflottantàladérive.Oncroiraitqu’onalâchédansmoncorpsunenfantmunid’unpinceau,d’unpotdepeinturenoireetdetropd’enthousiasme.

Papatenteenvaindenepaspleurer.Degrosseslarmessilencieusess’échappentdesesyeux.Ledocteurluitendunmouchoir.

«Etqu’est-cequ’onfait,maintenant?

—

IlsepeutqueTessaréagissebienàuntraitementintrathécal.Jesuggéreraisquatresemainesdeméthotrexateetd’hydrocortisone.Sicelaréussit,lessymptômess’améliorerontetonpourrapoursuivreletraitementd’entretien.»

Lemédecincontinueàparler,Papaàécouter,maismoijen’entendsplusrien.

C’estvraimententraind’arriver.Onnousavaitprévenusmaispersonnen’avaitimaginéqueceseraitsirapide.Jen’iraiplusjamaisenclasse.Plusjamais.Jeneseraijamaiscélèbre,jenelaisserairienderrièremoidigned’intérêt.Jen’iraijamaisàl’université,jen’auraijamaisdemétier.Jeneverraipasmonpetitfrèregrandir.Jenevoyageraipas,jenegagneraipasd’argent,jeneconduiraipas,jenetomberaipasamoureuse,jenequitteraijamaislamaisonetn’auraijamaisunchez-moiàmoi.

C’estvraiment,vraimentvrai.

Unepenséefulgurantemetraversecommeunéclair,unesorted’élancementquimedéchiredepartenpart,aupointd’éliminertoutlereste.Jenepenseplusqu’àcela.

Unhurlementmuetm’assourdit.J’aiétémaladesilongtemps,avecleventregonflé,malaucœur,lesonglesdédoublés,lescheveuxquitombaientetcettesensationdenauséepermanentequim’envahissaitjusqu’auxos.Cen’estpasjuste.Jeneveuxpasmourircommeça,pasavantd’avoirvraimentvécu.Celamesemblesiévidentquej’enreprendspresqueespoir,c’estdingue.Jeveuxvivreavantdemourir.C’estlaseulechoseàfaire.

L’imagedelapièceoùnousnoustrouvonsactuellementreprendsoudaindescontoursnets.

Leprofesseurenestmaintenantauxmédicamentsàl’essai,auxtestscliniquesquinem’aiderontprobablementpas,moi,mais,peut-êtreplustard,d’autresmalades.

Papapleuretoujourssilencieusement.Jeregardeparlafenêtreetmedemandepourquoilalumièresemblebaissersivite.Est-iltard?Depuiscombiendetempssommes-nousassislà?Jeregardemamontre,ilesttroisheuresetdemieetdéjàlejours’achève.Noussommesenoctobre.Touscesgaminsquiviennentderentrerenclasseavecdestroussesetdescartablesneufspensentdéjàauxvacancesdesemi-trimestre.BientôtceseraHalloween,lanuitdufeud’artifice.Noël.Leprintemps.

Pâques.Etpuismonanniversaire,enmai.J’auraidix-septans.

Combiendetempspuis-jetenir?Jenesaispas.Toutcequejesais,c’estquej’ailechoix:oujeresteblottiesousmescouverturesetjecontinueàmouriroujereprendsmalistelàoùj’enétaisetjecontinueàvivre.

Dix

«Tiens,tuesdebout!»s’exclamePapa.

Puisilremarquemaminijupeetseslèvressepincent.

«JepariequetuvasvoirZoey?

—

Oui,oùestleproblème?

—

N’oubliepasça»,dit-ilenmetendantmesvitaminesentraversdelatable.

D’habitudeilmelesmontesurunplateaudansmachambre,aujourd’huiiln’aurapasàsedonnercettepeine.Cequin’apasl’airdeleréjouirpourautant,ilsecontentedemeregarderingurgiterpilulesurpilule.

LavitamineEaidel’organismeàrécupéreraprèslaradiothérapie.LavitamineAcombatleseffetsdesradiationssurl’intestin.L’ormerougeremplacelamatièremuqueuselelongdetouteslestuyauteriesducorps.Lasilicefortifielesos.Lepotassium,leferetlecuivrerenforcentlesdéfensesimmunitaires.L'AloeVeraestbonpourtout.Quantàl’ail...heu...Papaaluquelquepartqu’onneconnaissaitpasencoretrèsbienlespropriétésdel’ail.IlappelleçalavitamineX.Jefaispasserletoutavecdujusd’orangefraisetunecuilleràcafédemielnonraffiné.Miammiam.

Ensouriant,jerepousseleplateauendirectiondePapaquiselèveetlereposebruyammentsurl’évier.

«Jecroyaisqu’hiertuavaisdesdouleursetdesnausées,dit-ilenouvrantlerobinet.

—

Aujourd’hui,jevaisbien.Malnullepart.

—

Tunecroispasqu’ilseraitplussagedetereposer?»

Terraindangereux.JechangerapidementdesujetettournemonattentionversCalquiécrasesescornflakesenpuréepâteuse.Ilal’airaussimorosequePapa.

«Qu’est-cequ’ilyaquinevapas?

—

Rien.

—

Onestsamedi?Tudevraisêtrecontent,non,qu’onsoitsamedi?

—

Tuneterappellespas,hein?grogne-t-ilavecunregardfuribond.

—

Jenemerappellepasquoi?

—

Tuavaispromisqu’auxpetitesvacances,tum’emmèneraisfairedescourses.

Quetuprendraistacartedecrédit.Jesavaisbienquetuneseraisjamaisfoutuedelefaire!ajoute-t-ilenfermantlesyeuxtrèsserré.

—

Onsecalme!intervientPapasurletondoctequ’ilprendtoujoursquandCalcommenceàpéterlesplombs.

—

C’estvrai,jetel’aipromis,Cal,maisaujourd’huijenepeuxpas.

—

Situpeux!»melance-t-il,furieux.

D’accord,ilfautquejelefasse...C’estlarègledujeu.Lepointnumérodeuxdemalisteestformel:jedoisdireouiàtout,àtoutlemonde,toutaulongdelajournée.

Accepterquoiquecesoit,dequiquecesoit.

Surlepasdelaporte,jechancelledepeur,toutàcoup,envoyantlevisagepleind’espoirqueCallèveversmoi.

«J’envoieuntextoàZoeypourlaprévenirquenoussommesenroute»,luidis-je.

Ilmerépondqu’ildétesteZoey.Dur,dur,parceque,moi,j’aibesoind’elle.Desonénergie,desaprésencequisuffitàelleseuleàdéclencherdesévénements.

«Jeveuxalleràl’airedejeux,ditCal.

—

Tun’espasunpeutropvieuxpourça?

—

Non.Tuvasvoir,onvabiens’amuser.»

J’aitendanceàoublierquec’estencoreunpetitgarçon,qu’ilyatouteunepartdeluiquiaimetoujourslesbalançoiresetlesmanèges.Enplus,Zoeymerépondquec’estparfait,detoutefaçonelleétaitenretard,ellenousrejoindralà-bas.

Jem’assiedssurunbancetregardeCalgrimperdansuneénormetoiled’araignéeencorde.Ilparaîtsiminusculetoutlà-haut.

«Jevaismonterencoreplus,crie-t-il.Jegrimpejusqu’enhaut,d’accord?

—

Oui,dis-jepourrespectermapromesse.Lenumérodeuxdemaliste.

—

Onsecroiraitenavion,hurle-t-il.Viensvoir!»

C’estdifficile,l’escalade,quandonestenminijupe.

Latoiled’araignéeoscillefortementetjedoisenvoyerbaladermeschaussuresparterre.Calrigole.

«Allez!Jusqu’enhaut!»ordonne-t-il.

C’estvachementhaut,cetruc,etungaminquiaunesaletronches’amuse,d’enbas,àsecouerlescordes.Jemehissetantbienquemal.Mesbrasmefontsouffrirmaismoiaussijeveuxplanercommeenavion.Moiaussi,jeveuxépierleventethapperlesoiseauxenpleinvol.

Çayest,j’ysuisarrivée.Jedomineleclocherdel’église,lesarbresquibordentleparcettouteslescossesdesmarronsprêtesàéclater.L’atmosphèreestlimpide,lesnuagessemblenttoutprochescommesinousétionssurunepetitemontagne.Jevoisenbastouslesvisagesdesgensquiregardentenl’air.

«C’esthaut,hein?ditCal.

—

Trèshaut.

—

Onvaauxbalançoires,maintenant?

—

D’accord.»

D’accordpourtout,Cal,maislaisse-moid’abordsentirleventsurmonvisage.Etcontemplerlacourbe

delaTerretandisquenoustanguonslentementautourduSoleil.

«Jet’avaisbienditqu’ons’amuserait,ditCal,levisageradieuxdebonnehumeur.

Onvaallerabsolumentpartout,d’accord?»

Commeilyalaqueueauxbalançoires,nouscommençonsparlesbascules.Jesuisencoreunpeupluslourdequelui,jesuistoujourssagrandesœuret,d’unviolentcoupdepied,jelefaisrebondirsihautqu’ilhurledejoieenretombantrudementsurlesfesses.Ilvaêtrecouvertdebleusmaisils’enfiche.

Oui.Justedireouiàtout.

Nousallonspartout.Danslapetitemaisonenhautdel’échelledubacàsable,oùnousarrivonstoutjusteànousfaufiler.Surlamotovisséesurunressortgéant,quiviredebordsibrutalementlorsquejel’enfourchequejem’écorchelegenouparterre.Ilyaaussiunepoutreenboisoùnousfaisonssemblantd’êtredesgymnastes,unserpentpeintsurl’asphaltequionduledelettreenlettre,unemarelle,deséchellesdesinges.Retourauxbalançoires,oùdesmèrescramponnéesauxdoudousdeleursbébéspotelésfonttoujourslaqueue,etrâlentquandjem’empareavecCaldelaseulebalançoirelibre.Marobeseplaquesurmescuisses,çamefaitrire.Jemepencheencorepluspourm’envolerencoreplushaut.Peut-êtrequesijemebalanceassezhautdansleciel,lemondeneserapluslemême.

JenevoispasZoeyarriver.C’estCalquimelamontredudoigt.Appuyéecontrelaported’entréedel’airedejeux,ellenousobserve.Peut-êtreest-ellelàdepuisdeslustres.Elleporteunpetittopquilaissevoirsonnombriletunejupequiluicacheàpeinelesfesses.

«Bonjour,dit-elleennousrejoignant.Vousavezcommencésansmoi,àcequejevois.»

Jemesensrougir.

«Calvoulaitquejel’accompagnesurlabalançoire.

—

Ettuasdûdireoui,évidemment.

—

Oui.»

EllefixeCald’unairpénétré.

«Ecoute,nousallonsaumarché.Onvas’acheterdestrucsetparlerdenosrègles,çavaêtreterriblementennuyeuxpourtoi.»

L’airgrognon,levisagemaculédeterre,illuitienttête:

«Jeveuxalleraumagasindefarcesetattrapes.

—

D’accord.Ehbien,vas-y.Onseretrouvetoutàl’heure.

—

Non,ilnousaccompagne,jeluiaipromis.»

Zoeysoupireetsemetenmarche.Caletmoiluiemboîtonslepas.

Al’école,Zoeyétaitlaseulefilledemaclassequin’avaitpaspeurdemamaladie.

C’estaussilaseulepersonnequejeconnaissequisecomportedanslaruecommesilesagressionsn’existaientpas,commesionn’étaitjamaisattaquéàcoupsdecouteau,commesilesbusnemontaientjamaissurlestrottoirs,commesilamaladienevousfrappaitjamais.Êtreavecellemedonnel’impressionqu’ons’esttrompé,jenevaispasmourir,c’estuneerreur,ils’agissaitdequelqu’und’autre.

«Allez,tortille-toi,Tessa!melance-t-ellepar-dessussonépaule.Rouledeshanches.»

Elleestvraimentcourte,cettejupe.Ellenedissimuleaucunrepli,aucuntressaillementdemapeau.Unautomobilisteklaxonne.Unebandedegarçonsjettentdesregardsappuyéssurmesseins,surmoncul.

«Pourquoiest-cequetuluiobéis?demandeCal.

—

Parceque.»

Zoey,enchantée,nouslaisselarattraperetpassesonbrassouslemien.

«Tuespardonnée,dit-elle.

—

Pardonnéedequoi?

—

D’avoirétésiodieusel’autrejour,avectoncouppourri,mechuchote-t-elleavecunairdeconspiratrice.

—

Odieuse,moi?

—

Etcomment!Mais,bon,cen’estpasgrave.

—

C’estmalélevédeparleràvoixbasse!»remarqueCal.

Zoeylepoussedevantnousetsecolleencorepluscontremoipourmarcher.

«Bon,alors,jusqu’oùes-tuprêteàaller?Tuteferaistatouersijeteledemandais?

—

Oui.

—

Tuprendraisdeladrogue?

—

Jeveuxdeladrogue!

—

Tudiraisàcethommequetul’aimes?»

Lepassantqu’ellememontredudoigtestchauve,plusvieuxquemonpère.Ilsortdubureaudetabac,retirelepapiercellophaned’unpaquetdecigarettesetlelaissetomberparterre.

«Oui.

—

Ehbien,vas-y!»

L’hommesortunecigarette,l’allume,tireunebouffée,rejettelafumée.Jelesuis,ilsetourneversmoiavecundemi-sourire,commes’ilattendaitquelqu’und’autre,peut-être.

«Jevousaime»,luidis-je.

Ilfroncelessourcils,puisremarqueZoeyquiricane.

«Fichez-moilapaix,pauvrepetiteconne»,medit-il.

C’estrigolo.Zoeyetmoinousjetonsdanslesbrasl’unedel’autreenhurlantderire.

«Est-cequ’onpeutyaller,maintenant?»supplieCal,l’airdésespéré.

Lemarchémesoulèvelecœur.Lesgenssepressent,commes’ilsétaienttousdansl’urgence.Degrossesvieillesdamesmebousculentavecleurpanieràprovision,desparentsenvahissentl’alléeavecleurspoussettes.Piétineraumilieudecettefoule,danslalumièreblafardedecettejournéegrise,estcauchemardesque,j’ail’impressiondenepluspouvoirbouger,engluéesurplacesurletrottoirpoisseux,d’avoirdespiedsdeplomb.Jecroisedesgarçonsquirôdent,capuchonrelevé,visagefermé.Desfillesaveclesquellesj’étaisàl’écoleautrefoisetquinemereconnaissentpas;ilyasilongtempsquejen’aipasmislespiedsdansuneclasse.L’airestécœurant,çasentlasaucisse,lebarbecue,l’oignonfrit.On

peuttoutacheter,ici,despouletsentraindecuire,suspendusparlespattes,desplateauxdetripesetabats,desmoitiésdecochonsdontonpeutcompterlescôtesécartelées.Destissus,delalaine,deladentelle,desrideaux.Surl’étaldesjouets,leschiensjappent,fontdessautspérilleuxetilsuffitd’untourdeclefpourquelespetitssoldatsclaquentdescymbales.Levendeurmesouritenmemontrantunepoupéedeplastiquegéante,emprisonnéesouscellophane:

«10livresseulementpourtoi,mabelle.»

Jedétournelesyeux,faisantminedenepasentendre.

Zoeymesurveillesévèrement:

«Tuescenséedireouiàtout.Laprochainefois,tuachètes,d’accord?Quoiquecesoit.

—

D’accord.

—

Bon.Jereviensdansuneminute»,dit-elleendisparaissantdanslafoule.

Jen’aimepaslavoirpartir.J’aibesoind’elle.Siellenerevientpas,majournéeserésumeraàuneexpéditionauparcdesenfantsetàquelquessifflementssurmonpassagedansl’alléedumarché.

«Tuvasbien?demandeCal.

—

Ouais.

—

Onnediraitpas.

—

Si,si,jevaistrèsbien.

—

Ehben,moi,jem’ennuie.»

Houlà:danger!S’ilmedemandederentreràlamaison,jevaisêtreobligéededireoui.

«Zoeyrevientdansuneminute.Peut-êtrequ’onpourraprendrelebuspourallerdanslecentre.Danslaboutiquedesmagiciens.»

Calhausselesépaulesenenfonçantsesmainsdanssespoches.

«Ellenevajamaisvouloirqu’onfasseça.

—

Regardelesjouets,enattendant.

—

Ilssontmerdiques,cesjouets.»

Ahbon?Quandj’étaispetiteetquejevenaisavecPapa,ilsmeparaissaienttoussiétincelants.

Zoeyrevient,l’airtrèsénervée.

«Quelsalementeur,ceScott!

—

Qui?

—

Scott.Ilm’aditqu'iltravaillaitsurunstand,ici,maisiln’estpaslà.

—

StonerBoy?Quandest-cequ’ilt’aditça?»

Ellemeregardecommesij’étaiscomplètementdébile,s’éloignedenouveau,sedirigeversunmarchanddefruitsetsepenchesurlescaissesdebananespourluiparler.Illouchesursesseins.

Unefemmechargéedesacsenplastiques’approchedemoietmefixedroitdanslesyeux.Jenedétournepaslatête.

«Dixcôtesdeporc,troispaquetsdebaconetunpouletbouilli,murmure-t-elle.

Vousenvoulez?

—

Oui.»

Ellemetendunsac,etgrattesonnezcroûteuxpendantquejecherchedel’argent.

Jeluitendscinqlivres,ellefouilledanssapocheetm’enrenddeux:

«Vousfaitesuneaffaire!»dit-elle.

Callaregardes’éloigner,l’airunpeueffrayé.

«Pourquoituasfaitça?

—

T’occupe!»

Aprèstout,larèglenem’obligepasàêtrecontentedecequej’accepte.D’ailleurs,commeilnemerestequedouzelivres,jemedemandesijenevaispasmodifierlerèglement,etneplusdireouiqu’àcequiestgratuit.Desgouttesdesangtombentdusac.Jenesuispeut-êtrepasobligéenonplusdegardertoutcequej’achète...

Zoeyrevient,remarquelesacdontelles’empareaussitôt.

«Qu’est-cequec’estquecessaloperies?dit-elleenfouillantdedans.Ondiraitdesmorceauxdechienmort!»

Ellevalebalancerdansunepoubelleetrevientversmoiensouriant.

«Finalement,j’aitrouvéScott.Ilestbienlà.AvecJake.Allez,onyva.»

Ennousfrayantunchemindanslafoule,ellem’explique,enévitantmonregard,qu’ellearevuplusieursfoisScottdepuislasoiréequenousavonspasséechezeux.

«Pourquoinem’enas-tupasparlé?

—

Parcequetuasdisparudelacirculationpendantunmois!Et,detoutefaçon,jepensaisqueçatemettraitenrogne.»

C’esttrèssurprenantdelesdécouvrirenpleinjour,derrièreleurétaldelampestorche,degrille-pain,deréveilsetdebouilloires.Ilsparaissentplusvieuxquedansmonsouvenir.

ZoeyfaitletourdustandpourallerparleràScott.Jakem’adresseunpetitsalut.

«Çava?

—

Ouais.

—

Tufaisdescourses?»

Transpirant,vaguementgêné,cen’estpluslegarçonquej’aiconnu.Uneclientes’approche,Caletmoinouseffaçonspourluilaisserlaplace.Elleachèteunpetitpaquetdequatrepiles.Quicoûteunelivre.Jakelemetdansunsacdeplastique,leluitendetprendsonbilletenéchange.

«Tuasbesoindepiles?demande-t-ilsansmeregardervraimentdanslesyeux.Tun’aspasbesoindepayer,tusais.»

Alafaçondontilmeditça,commes’ilmefaisaituneénormefaveur,pourmemontrerqu’ilestdésolépourmoietqu’ilestuntypecorrect,jecomprendsqu’ilestaucourant.Zoeyluiadit.Jedevinelapitiéetlaculpabilitédanssonregard.Ilabaiséunemouranteetmaintenantc’estluiquimeurtdepeur.Sij’étaiscontagieuse...Mamaladiel’afrôléetleguettepeut-êtreàsontour.

«Alors,tuenveux?»

Ilmetendunpaquetdepilesetun«Oui»s’échappedemeslèvres.Lasommededéceptioncontenuedanscesimplemotestdureàavaler.Jeprendssesconneriesdepilesetlesfourredansmonsac.

Calm’envoieunsévèrecoupdecoudedanslescôtes:

«Onpeutpartir,maintenant?

—

Oui.

—

Non,ditZoey,unbrasautourdelatailledeScott.Nousallonschezeux.Ilsontunepausepourledéjeunerdansunedemi-heure.

—

Moi,j’emmèneCalenville.»

Zoeyfaitletourdustandversmoi,toutesouriante.Elleestravissante,commesiScottl’avaitranimée.

«Est-cequetun’espascenséedireoui?

—

C’estCalquim’ademandéenpremier.»

Ellefroncelessourcils.

«Ilsontdelakétaminechezeux.Toutestorganisé.AmèneCalsituveux.Ilstrouverontbiendequoil’occuper,unePlaystation,ouquelquechosecommeça.

—

Tul’asditàJake.

—

Ditquoi?

—

Àproposdemoi.

—

Non,jeneluienaipasparlé.»

Ellerougitetdoittirerunedernièreboufféedesacigaretteetl’écraserd’uncoupdetalonpouréviterdemeregarderenface.

J’imaginelascènecommesij’yétais.Elleadûallerchezeux,suggérerqu’ilsfumentunjointtouslestroisensemble,insisterpourtirerlapremièretaffe,aspirerlonguement,puiss’affalerprèsdeScottendisant:«Eh,vousvoussouvenezdeTessa?»

Etalorselleleuratoutdéballé.Elleapeut-êtremêmepleuré.J’imaginequeScottapasséunbrasautourdesesépaules,tandisqueJakes’emparaitdujointetinhalaitassezprofondémentpourneplusavoiràpenser.

JesaisislamaindeCaletl’entraîne.LoindeZoey.Loindumarché.Jeluifaisdescendrelesmarchesderrièrelesstandsetletiresurlechemindehalagelelongducanal.

«Onvaoù?pleurniche-t-il.

—

Laferme!

—

Tumefaispeur!»

Jeregardel’expressiondesonvisagemaisjem’enfous.

Jerêveparfois,commeça,quej’erredanslamaison,depièceenpièce,etquepersonnedemafamillenemereconnaît.JecroisePapadansl’escalieretilmesaluepolimentcommesij’étaislafemmedeménage,ouquenousétionsclientsd’unmêmehôtel.Calmedévisaged’unairsoupçonneuxetj’entredansmachambre.

Toutesmesaffairesontdisparu,etuneautrefilles’estinstalléeàmaplace,unefilleavecunerobeàfleurs,deslèvresbrillantes,desjouesfermescommedespommes.

Cedoitêtremavieparallèle.CelleoùjesuisenbonnesantéetoùJakeestheureuxdemeconnaître.

Danslavieréelle,jetraînemonfrèrelelongduchemindehalagejusqu’aucaféquiauneterrassesurlecanal.

«Çavaêtrebon,tuvasvoir.Onvaseprendredelaglace,duchocolatchaudetduCoca.

—

Tunedoispasmangerdesucre.JevaisledireàPapa.»

Jeserresamainencoreplusfort.Entrenousetlecafé,unhommeenpyjamacontemplel’eauducanalenmâchonnantunmégot.

«Jeveuxrentreràlamaison»,ditCal.

Maisjeveuxluimontrerlesratsquicourentsurlesberges,lesfeuillesdéchiréesparleventquitombentdesarbresenbruissant,lafaçondontlesgensévitentd’affrontercequiestdifficile,jeveuxluimontrerquecethommeenpyjamaestplusprochedelaréalitéqueZoeyquitrottederrièrenousavecsagrandegueuleetsesridiculescheveuxblondasses.

«Fichelecamp!luidis-jesansmêmemeretourner.

—

Pourquoiest-cequetoutesttoujourssicompliqué,avectoi?»répond-elleenm’attrapantlebras.

Jelarepousse.

«Jenesaispas,Zoey.Pourquoi,àtonavis?

—

Benquoi,cen’étaitpasunsecret.DestasdegenssaventquetuesmaladeetJakeatrèsbienréagi.Saufque,maintenant,iltetrouvecomplètementfrapadingue.

—

Jesuiscomplètementfrapadingue.

—

Enfait,jecroisquetuadoresêtremalade,dit-elleenplissantlesyeux.

—

Ahbon?

—

Tunesupportespasd’êtrenormale.

—

C’estvrai.Tuasraison.C’estgéniald’êtremalade.Tuveuxqu’onchange?

—

Toutlemondemeurt,dit-ellecommesil’idéevenaitdeluitraverserl’esprit,etqu’elle-mêmes’enfichaitroyalement.

—

Regarde»,ditCalentirantmamanchepourattirermonattention.

L’hommeenpyjamaestentrédanslecanal,ilbarboteaubordettapesesmainsdansl’eaupourprovoquerdeséclaboussures.Ilnousjetteunregardvide,puisnousdécocheunlargesourirequidécouvreunerangéededentsenor.J’enaidespicotementstoutlelongdelacolonnevertébrale.

«Çavouschantedeprendreunbain,mesjolies?»nouslance-t-il.

Ilaunaccentécossais.JenesuisjamaisalléeenÉcosse.

«Ehbien,valerejoindre,ditZoey.Pourquoipas?

—

Tumeledemandes?

—

Oui»,répond-elle,méchamment.

Jejetteuncoupd’œilverslaterrasseducafé.Touslesclientsontlesyeuxbraquéssurnous.Ilsvontsûrementpenserquejesuisdroguée,cinglée,psychopathe.J’enlèvemajupeetlafourredansmaculotte.Caldemandenerveusement:

«Qu’est-cequetufabriques?Toutlemondeteregarde!

—

Ehbien,faiscommesitunemeconnaissaispas.

—

D’accord!»répond-il,l’airbuté,ens’asseyantdansl’herbe.

Jeretiremeschaussuresettrempeundoigtdepieddansl’eau.Elleestsiglacialequetoutemajambegonfleets’engourdit.Zoeyposeunemainsurmonbras:

«N’yvapas,Tess.Jenedisaispasçasérieusement.Nefaispasl’idiote!»

Ellenecomprenddoncrienàrien?

Jemelancejusqu’àavoirdel’eauenhautdescuisses.Descanardsapeuréss’éloignentencancanant.Cen’estpasprofond,assezboueux,toutessortesdesaloperiesjonchentprobablementlefond.Lesgensbalancentdesboîtesdeconservedanslecanal,oudescaddiesdesupermarché,desaiguilles,desvieilles

seringues.Jesenslaboueclapoterentremesdoigtsdepied.

L’hommeauxdentsd’ormefaitsigne,ritetpataugeversmoientapantl’eaudesesdeuxmains.

«Envoilàunegentillefille!»dit-il.

Sesfaussesdentsétincellententreseslèvresbleuiesdefroid.Ilauneestafiladesurlatête,dusangsuintedusommetdesoncrânejusqu’àsesyeux.Celameglaceencoreplus.

Unhommesortducaféenagitantuneserviettedetable.

«Hé!crie-t-il.Sortezdelà,voyons!»

Ilporteuntablieretsonestomacballottelorsqu’ilsepenchepourm’aideràsortir.

«C’estdelafolie!Vouspouvezchopern’importequellemaladiedanscetteeau!

Vousêtesavecelle?ajoute-t-ilensetournantversZoey.

—

Jesuisdésolée.Jen’aipasréussiàl’arrêter»,répond-elleensecouantlescheveuxpourprotesterqu’ellen’yestvraimentpourrien.

Jetrouveçaminable.

«Non,ellen’estpasavecmoi,dis-jeàl’homme.Jenelaconnaispas.»

LevisagedeZoeysefermebrusquementetlepatronducafé,troublé,seretourneversmoi.Ilmeprêtesaserviettepourm’essuyerlesjambesetvitupèrecontretoutecettejeunessedroguéetandisquejeregardeZoeys’enaller.Elles’éloigne,devientdeplusenpluspetite,disparaîtcomplètement.Oùsontmesparents?medemandelecafetier.Est-cequejeconnaisleclochardauxdentsd’or?Celui-ci,maintenantdel’autrecôtéducanal,sehissepéniblementsurlariveens’esclaffanttoutseul.Toutengrommelant,lepatronducafém’aideàremontersurlechemindehalage,mefaitasseoiretm’apporteunetassedethé.Jelasirotedoucementaprèsyavoirmistroissucres.Beaucoupdegensmeregardent.Cal,ratatinésurlui-même,sembleaffolé.

«Qu’est-cequetufais?»murmure-t-il.

Ilvatellementmemanquerquecelamedonneenviedeluifairemal.

CelamepousseaussiàlerameneràlamaisonetàleconfieràPapaavantquejenecausenotreperteàtouslesdeux.Maisc’esttriste,lamaison.Alamaison,jenepeuxdireouiàriennipersonne,parcequePapanemedemandejamaisrienquisoitdelavraievie.

Lethémeréchauffeleventre.Lecielpassedelagrisailleausoleil,puisredevientmaussade.Mêmeletempsn’arrivepasàsedécider,etfaitdesembardéesd’unextrêmeàl’autre.

«Allonsprendreunbus!»

Jemelèveenm’appuyantsurleborddelatableetremetsmeschaussures.Lesgensfeignentdenepass’intéresseràmoi,maisjesensleurregard.Ilmedonnelasensationd’êtrevivante.

Onze

«C’estvrai?medemandeCaltandisquenousmarchonsjusqu’àl’arrêtdubus.

C’estvraiquetuaimesêtremalade?

—

Parfois.

—

C’estpourçaquetuassautéàl’eau?»

Jem’arrêtepourleregarder,luietsesgrandsyeuxbleupâle.Mouchetésdegris,commelesmiens.Surcertainesphotosdeluietdemoiaumêmeâge,iln’yastrictementaucunedifférenceentrenous.

«J’aisautéparcequejemesuisfaitunelistedechosesàaccomplir.Et,d’aprèsmaliste,aujourd’huijedoisdireouiàtout.»

Ilréfléchitquelquessecondesàcequecelaimpliqueetm’adresseungrandsouriretriomphant:

«Donc,jepeuxtedemandern’importequoi,tudoisdireoui?

—

T’astoutcompris.»

Nousmontonsdanslepremierbusquipasse.Etnousnousasseyonsàl’étage,danslefond.

«D’accord,chuchoteCal.Tirelalangueàcemonsieur.»

Jem’exécute.Ilestgrisé.

«MaintenantfaislesigneVàladamesurletrottoir,etenvoiedesbaisersaugroupedegarçons.

—

Ceseraitplusdrôlesitulefaisaisavecmoi.»

Nousadressonsdesgrimacesetdessignesàtoutlemonde,élevonslavoixpourprononcerdesmotscommecrotte,culouquéquette.Lorsquenousappuyonssurlasonnettepourdemanderl’arrêt,iln’yapluspersonneànotreétage.Nousavonsfaitlevideautourdenousmaisnousnousenfichonsroyalement.

«Oùallons-nous?demandeCal.

—

Fairedescourses.

—

Tuastacartedecrédit?Tuvasm’acheterdeschoses?

—

Oui.»

Notrepremierachatestunesoucoupevolantetélécommandée,capabledemonterjusqu’àdixmètresdehautetdeplanerensuspension.Caljettel’emballagedansunecorbeilleensortantdumagasinetfaitvolersonengindevantnousdanslarue.

Éblouispartoussessignauxlumineuxmulticolores,nouslesuivonsjusqu’ànotresecondeétape,uneboutiquedelingerie.

J’installeCalsurunsiège,avectouslesmessieursquiattendentleurfemme.Etjepasseunmomentdélicieuxàretirermonchemisiernonpaspourunexamenmaispourqu’unevendeuseàlavoixsuaveprennemesmesuresetmefasseessayerunsoutien-gorgeendentellehorsdeprix.

«Lilas,luidis-jequandellemedemandelacouleur.Etj’aimeraisaussileslipassorti,s’ilvousplaît.»

Alacaisse,ellemetendunsactrèschicauxpoignéesargentées.

Ensuitej’achèteàCalunrobot-tirelirequiparle,etpourmoiunjean.LemêmeslimdélavéqueceluideZoey.

PuisunjeudePlaystationpourCal.Etunerobepourmoi.Noiretvertémeraude.

C’estlachoselapluschèrequej’aiejamaisachetée.Jemefaisunclind’œildanslemiroir,abandonnemavieillejupehumidedanslacabineetrejoinsCal.

«Cool!approuve-t-il.Tuasencoreassezd’argentpourunemontredigitale?»

Oui,biensûr.Etjeluioffreaussiunréveil,undecesmodèlesquiprojettentl’heuresurleplafonddelachambre.

Maintenant,desbottes.Encuir,zippées,àpetitstalons.Et,danslemêmemagasin,unfourre-toutpourmettretoutesnosemplettes.

AprèsquelquesaccessoiresdemagiepourCal,ilnousfautunevaliseàroulettespourporterlefourre-tout.Caladorelapiloterensefaufilantdanslafoulemaisilmevientàl’espritquesinouscontinuonsàfairedescourses,ilnousfaudraunevoiturepourmettrelavalise.Uncamionpourmettrelavoiture.Unferry-boatpourmettrelecamion.Etpuisunport,unocéan,uncontinent.

LadouleurattaqueauMcDonald’s.Commesitoutàcoupquelqu’unmescalpaitavecunecuilleretfouillaitdansmoncerveau.J’aimalàlatête,malaucœur,levertige,l’universvacilleautourdemoi.Jeprendsduparacétamolmaisjesaistrèsbienquecelan’auraqu’uneffetsuperficiel.

«Çava?s’inquièteCal.

—

Trèsbien.»

Ilsaitquejemens.Ilestrassasiéetcomblémaislapeurassombritsonregard.

«Jevoudraisrentreràlamaison.»

Ilfautquejediseoui.Nousfaisonstouslesdeuxsemblantdecroirequecen’estpasparcequejemesensmal.

Dehors,jedoism’appuyersurlemurpourgardermonéquilibrependantqueCalhèleuntaxi.Jeneveuxpasfinircettejournéeparunetransfusion.Pasdecesépouvantablesaiguillesdansmoncorpsaujourd’hui.

Dansletaxi,Calmetendunepetitemainamicale,quiserrefranchementlamienne.

J’essaiedesavourercemoment.C’esttrèsrarequ’ilmetendespontanémentlamain.

«Tucroisqu’onvaavoirdesennuis?demande-t-il.

—

Qu’est-cequ’onpourraitnousfaire?»

Ilrit.

«Alorsonrecommencera?

—

Biensûr.

—

Onirafairedupatinàglace,laprochainefois?

—

Trèsbien.»

Ilbabillegaiement,parlederafting,desesrêvesd’équitation,etmêmedesautàl’élastique,pourquoipas?Jeregardeparlafenêtre,lecrâneprêtàexploser.Lalumièrerebonditsurlesmurs,lesvisages,etmesauteauxyeux,intense,aveuglante.

Descentainesd’incendiesm’embrasent.

Douze

Dèsquejereprendsconscience,jesaisquejesuisàl’hôpital.Ilsonttouslamêmeodeur,etladouleurdelaperfusiondansmonbrasm’estfamilière.J’essaiedem’asseoirmaismatêtes’effondreetunflotdebileremontedansmagorge.

Uneinfirmièreseprécipiteavecunbolencarton,maisc’esttroptard.Toutagiclésurmoietsurlesdraps.

«Cen’estpasgrave,dit-elle.Onvanettoyerçatoutdesuite.»

Ellem’essuielaboucheetmeroulesurlecôtépourpouvoirmeretirermachemisedenuit.

«Lemédecinarrive.»

Lesinfirmièresnedisentjamaiscequ’ellessavent.Onlesengagepourleurgaietéetl’épaisseurdeleurchevelure.Ilfautqu’ellesaientl’airsainetvivantpourdonnerenvieauxpatientsderetrouverlasanté.

Celle-cipapotetoutenm’aidantàenfilerunechemisedenuitpropre,meracontequ’autrefoisellevivaitauborddelamer,enAfriqueduSud.

«Lesoleilestplusprèsdelaterre,là-bas,ilfaittoujourschaud.»

Elleretired’ungesteprestemondrapdedessouseteninstalleunpropreaveclamêmeadresse.

«J’aitellementfroidauxpieds,enAngleterre.Bon,voilà,vousroulezversmoi,maintenant.Prête?Parfait.Nousysommes.Etregardez,nousfinissonsjustedanslestemps,voiciledocteur.»

Ilestchauve,pâle,nivieuxnijeune.Ilmesaluecourtoisementettireunechaisepours’asseoirprèsdemonlit.Jecontinueàespérerqu’unjour,dansunquelconquehôpitaldecepays,jetomberaisurleparfaittoubib,maiscen’estmalheureusementjamaislecas.Ilmefaudraitunmagicienavecunegrandecapeetunebaguettemagique,ouunchevalierintrépidearméd’uneépée.Celui-ciestaussipolietinsipidequ’unreprésentantdecommerce.

«Tessa,savez-vouscequ’estl’hypercalcémie?

—

Sijerépondsnon,est-cequejepeuxavoirautrechose?»

Ilmeregarde,médusé.C’estça,leproblème,ilsnecomprennentjamaisvraimentlaplaisanterie.Siseulementilavaitunassistant,unesortedebouffon,quelqu’unquilechatouilleraitavecuneplumependantqu’ildévidesondiagnostic...

Ilfeuillettemondossierposésursesgenoux.

«Votreniveaudecalciumestbeaucouptrophaut,c’estçaqu’onappellel’hypercalcémie.Nousvousadministronsdesbiphosphonatesquidevraientlefairebaisser.Vousdevriezdéjàvoussentirmoins

confuseetmoinsnauséeuse.

—

Jemesenstoujoursconfuse.

—

Vousavezdesquestionsàmeposer?»

Ilattendvisiblementuneréponseetjedétesteledécevoir,maisquepourrais-jebiendemanderàcebanalpetitbonhomme?

Ilmeditquel’infirmièrevamedonnerquelquechosepourm’aideràdormir,selèveetmesalueavantdepartir.C’estlàoùlebouffonpourraitjeterquelquespeauxdebananedevantlaporte,puisvenirs’asseoirsurmonlit.Onriraitensembleenentendantledocteurdéraper.

Ilesttardquandjemeréveilleetjeneparvienspasàmerappelerquoiquecesoit.Cequimefaitcomplètementflipper.Pendantquelquessecondes,jemedébats,repousseàgrandscoupsdepiedlesdraps,entortillés,persuadéequej’aiétékidnappéeoupireencore.

C’estPapaquiseprécipiteàmonchevet,mecaresselescheveux,murmureinlassablementmonnomcommeuneformulemagique.

Ettoutàcoupjemesouviens.J’aisautédanslarivière,j’aientraînéCaldansunedéliranteorgiedeshoppingetmaintenantjesuisàl’hôpital.Maiscetinstantd’amnésiecontinueàfairebattremoncœurcommeceluid’unlapinaffolé:enfait,pendantquelquessecondes,j’aioubliéquij’étais.Jesuisdevenuepersonneetjesaisquecelavasereproduire.

Papasepenchesurmoiensouriant.

«Tuveuxunpeud’eau?Tuassoif?»

Ilmesertunverremaisjefaisnondelatêteetillereposesurlatabledenuit.

«Est-cequeZoeysaitquejesuisici?»

Ilfouilledanssaveste,sortunpaquetdecigarettes,selèveetvaouvrirlafenêtre.Uneboufféed’airfroidentredanslachambre.

«Tunepeuxpasfumerici,Papa.

—

Non,tuassansdouteraison»,dit-ilenrefermantlafenêtreetenremettantsescigarettesdanssapoche.

Ilrevients’asseoirprèsdemoi,cherchemamain.Jemedemandesiluiaussiaoubliéquiilétait.

«J’aidépenséuntasd’argent,Papa.

—

Jesais.Çan’apasd’importance.

—

Enfait,jenesavaispassimacartedecréditpourraitpayertoutça.Danschaquemagasin,jemedisaisqu’onallaitmelarefuser,etpuisnon,ilsl’acceptaient.

Maisj’ailesticketsdecaisse,tusais,onpourratoutleurrapporter.

—

Chut...Net’inquiètepas.

—

CommentvaCal?Jenel’aipastropfaitflipper?

—

Ilsurvivra.Tuveuxlevoir?Ilestdanslecouloiravectamère.»

Jamais,aucoursdecesquatredernièresannées,ilsnesontvenusmerendrevisitetouslestroisenmêmetemps.J’aisoudaintrèspeur.

Ilsentrentsisérieusement:CalserrelamaindeMamandontlaprésenceiciparaîtincongrue,Papaleurtientlaporte.Touslestroisrestentdeboutprèsdemonlitàmedévisager.Ondiraitlarépétitiondecequivasepasserbientôt.Plustard.Pastoutdesuite.Lejouroùjeneseraipluscapabledelesregardermeregarder,deleursourire,deleurdired’arrêterdepaniqueretdes’asseoir.

Mamanapprocheunechaiseetsepenchepourm’embrasser.Sonodeurfamilière,mélangedelapoudreàlaverqu’elleutiliseetdel’huileàl’orangedontelleseparfume,medonneenviedepleurer.

«Tum’asfaitpeur,dit-elleensecouantlatêtecommesiellenepouvaittoutsimplementpasycroire.

—

Moiaussi,j’aieulatrouille,raconteCal.Tut’esévanouiedansletaxietlechauffeurcroyaitquetuétaisivremorte.

—

Oh!

—

Oui,etmoijenesavaispasquoifaire.Ildisaitqu’ilfaudraitpayerpluschersitudégobillais.

—

Etj’aidégobillé?

—

Non.

—

Alorstuluiasditd’allersefairevoir,j’espère?

—

Non,ditCalavecunsourirehésitant.

—

Tuveuxvenirt’asseoirsurlelit?»

Ilsecouelatête.

«Ohnon,Cal,nepleurepas!Allez,vienst’asseoirprèsdemoi.Onvaessayerdeserappelertoutcequ’onaacheté.»

Maisilpréfères’asseoirsurlesgenouxdeMaman.Jenepensepasl’avoirjamaisvufaireçaauparavant.Papanonplus,j’imagine.Callui-mêmeal’airsurpris.Ilenfouitsatêtesurl’épauledeMamanetsanglotepourdebon.Elleluicaressedoucementledos.Paparegardeparlafenêtre.Etmoijefixemesdoigtsécartéssurledrap.Ilssontpâlesetdécharnés,commedesdoigtsdevampire,capablesd’aspirerlavieden’importequi.

«Quandj’étaispetite,jerêvaisd’unerobeenvelours,ditMaman.D’unerobeverteavecuncoldedentelle.Masœurenavaituneetpasmoi,etjecomprendstrèsbienquetuaiesenviedejolieschoses.Laprochainefoisquetuvoudrasfairedescourses,Tessa,jet’accompagnerai.Noust’accompagneronstous»,ajoute-t-elleavecungestemagnanimeenglobanttoutelapièce.

Calrelèvelatête.

«C’estvrai?Jepourraiveniraussi?

—

Biensûr!

—

Etquifinanceral’expédition,onsedemande!»ironisePapa,toujoursréfugiéprèsdelafenêtre.

Mamansourit,essuieleslarmesdeCald’unreversdemainetluiembrasselajoue.

«Cequetuessalé!Aussisaléquel’eaudemer.»Papal’observeembrassersonfils.Jemedemandesi

elles’enrendcompte.

ElleselancedansunehistoireàproposdesasœurSarahsigâtéeetd’uncertainponeynomméTango.Papalataquine:ellecharriedejouerlesenfantsmartyrs.

Mamanluirépondenriant,etnousracontecommentelleaeneffettournéledosàunefamilleaiséepourallers’encanailleravecluietl’épouser.PuisCalnousfaituntourdeprestidigitationavecunepiècequ’ilfaitcirculerd’unemainàl’autrepourfinalementouvrirsesdeuxpoingsetnousmontrerqu’elleadisparu.

J’aimelesentendreparler,j’aimecesmotsquirebondissentavecgrâcedel’unàl’autre.Lessentirsiprochesdemoi,touslestrois,atténueladouleurdansmesos.

Peut-êtrequesijerestebientranquille,ilsneremarquerontpaslalunepâlequis’estalluméedansleciel,nilecliquetisdeschariotsdemédicamentsdusoirquirésonnedanslecouloir.Onpourraitrestertoutelanuitàchahuter,àraconterdeshistoiresdrôlesjusqu’auleverdusoleil.

MaisfinalementMamanditàPapa:

«Calestfatigué.Jevaislereconduireàlamaisonetlemettreaulit.Onseretrouvelà-bas.»

Ellem’embrasse,puis,surlepasdelaporte,soufflesursamainpourm’envoyerundernierbaiser.Quejesensréellementatterrirsurmajoue.

«Àplus!»ditCal.

Ilssontpartis.JedemandeàPapa:

«Mamanvacouchercheznous?

—

Justepourcesoir,çaparaîtunebonneidée.»

Ilvients’asseoirsurlachaiseprèsdemonlitetmeprendlamain.

«Tusais,quandtuétaispetite,tamamanetmoionrestaitdeboutlanuitpourteregarderrespirer.Nousétionspersuadésquetuallaisoubliercommentfairesioncessaitdetesurveiller.»

Sesmainssedétendent,lacourbedesesdoigtss’adoucit.

«Moque-toidemoisituveux,maisc’estvrai.Aufuretàmesurequelesenfantsgrandissent,celadevientplusfacile,etpourtantl’inquiétudenedisparaîtjamais.J’aitoutletempspeurpourtoi.

—

Pourquoitumedisça?

—

Parcequejesaisquetuasquelquechoseentête,soupire-t-il.Calm’aparléd’unecertaineliste.J’aibesoindesavoirdequoiils’agit.Pasdutoutpourt’empêcherdelaréaliser,justeparcequejeveuxteprotéger.

—

Çarevientaumême,non?

—

Non,jenecroispas.Ondiraitqueturenoncesaumeilleurdetoi-même,Tessa.

Justepouréchapperàcequitefaitsimal.»

Savoixs’estompe.Est-cevraimentcequ’ilveut.Participer,m’aider?MaiscommentluiparlerdeJakeetdesonétroitpetitlit?Commentluiraconterquec’estZoeyquim’apousséeàsauteràl’eau,etqu’ilfallaitquejem’exécute.Leplannumérotrois,c’estladrogue.Etaprèsladrogue,j’auraiencoreseptautresdéfisàrelever.Sijeluienparle,ilneserapasd’accord.Etmoi,jeneveuxpaspasserlerestedemonexistencerouléedansunecouvertureavecmatêtesurl’épauledePapa.

Lalisteestmaseulefaçondesurvivre.

Treize

Jepensaisquec’étaitlematin.Quelamaisonétaitsilencieuseparcequetoutlemondes’étaitlevéetétaitdéjàparti.Maisnon,iln’estquesixheuresetl’opaquelumièredel’aubem’oppresse.

Jeprendsunpaquetd’amuse-gueuleaufromagedansleplacarddelacuisineetallumelaradio.Plusieurspersonnessontrestéesbloquéestoutelanuitdansleurvoitureàlasuited’uncarambolagesurlaM3.Lesservicesdesécuritéleurontapportéàboireetàmangermaisleproblèmetoilettesestrestésanssolution.

Bouchons.Laplanèteestembouteillée.Undéputéconservateurtrompesafemme.

Onatrouvéuncadavredansunechambred’hôtel.Ondiraitunecaricaturedumonde.

Jecoupelesonetsorsunchocolatglacéducongélateur.Ilmelaissel’impressiond’êtrevaguementivreetfrigorifiée.Jedécrochemonmanteaudelapatèreetrôdeàpasdeloupautourdelacuisineenécoutantlesrumeursdesfeuilles,desténèbres,lebruitfeutrédelapoussièrequitombe.Celameréchauffeunpeu.

Ilestsixheuresdix-sept.

Jevaispeut-êtredécouvrirautrechosedanslejardin,untroupeaudebufflessauvages,unesoucoupevolante,unemontagnederosesrouges.J’ouvretoutdoucementlaportedederrière,ensuppliantl’universdem’offrirunesurprise,quelquechosedemirifique.Maisnon,toutestdésespérémentnormal,lesplates-bandesvides,l’herbedétrempée,lesnuagesgris.

J’envoieuntextoàZoey,unseulmot:drogue.

Ellenerépondpas.ElledoitêtrechezScott,j’imagine,tièdeetcombléedanssesbras.Ilssontvenusmevoiràl’hôpitaletsesontassissurlamêmechaisecommes’ilss’étaientmariéspendantquej’avaisledostourné.Ilsm’ontapportédesprunesdumarchéetunetorched’Halloween.

«J’aiaidéScottsurlestand»,aracontéZoey.

J’aipenséalorsquelafinoctobreétaitvraimentarrivéeàtouteallureetquelepoidsdubrasdeScottautourdesesépaulesralentissaitdrôlementsonzèle.C’estvraiqu’ellem’aenvoyéunmessagetouslesjoursmaismalisten’aplusl’airdel’intéresserbeaucoup.

Sanselle,àtouslescoupsjevaisresterlà,plantéesurleseuildelaporte,àregarderlesnuagess’accumuler,puiscrever.L’eauvaruisselersurlafenêtredelacuisineetunenouvellejournéevas’effriterautourdemoi.Peut-onappelerçavivre?Est-cequeçamériteseulementunnom?

Uneportes’ouvreetserefermechezlesvoisins.J’entendsdespaslourdsdebottesdanslaboue.Jetraverselejardinetpassematêteau-dessusdelahaie.

«Bonjour!»

Adamportelamainàsoncœurcommesijeluiavaisprovoquéuninfarctus.

«MonDieu!Tum’asfaitpeur!

—

Excuse-moi.»

Iln’apassatenuedejardinierhabituelle.Maisunevestedecuir,unjeanetuncasquedemotoàlamain.

«Tuvastebalader?

—

Oui.»

Nousregardonstousdeuxsamoto,cadenasséeàlaportedelacabaneàoutils.Elleestrougeetargent,etsembleprêteàbondirpourpeuqu’onlalibère.

«Elleestchouette.

—

Oui.Onvientjustedelaréparer.

—

Qu’est-cequ’elleavait?

—

Quelqu’unm’avaitheurtéetlafourcheétaittordue.Tut’yconnais?»

J’hésiteàfairesemblantqueoui,c’estlegenredemensongequiseretourneviteenpiège.

«Pasvraiment.Maisj’aitoujourseuenvied’enenfourcherune.»

Ilmejetteunregardperplexe.Quimefaitmedemanderàquoijeressemble.Hier,j’avaisunesaletête,parcequemapeaucommenceàjaunir,semble-t-il.Lesoir,j’avaismisdesbouclesd’oreillespourcompensermaiscematinj’aioubliédemeregarderdanslaglace:n’importequoiapuarriver,pendantlanuit.Safaçondemedévisagermemetmalàl’aise.

«Ecoute,dit-il.Ilyaquelquechosequ’ilvautsansdoutemieuxquejetedise.»

Asontondevoixembarrassé,jemedoutedequoiils’agit,etj’essaiedeluiépargnercemomentembarrassant.

«Jesais,jesais.Monpèreenparleàtoutlemonde.Mêmelesinconnusmeregardentavecpitiécestemps-ci.

—

Non,non.C’estmoiqui,netevoyantpastouscesjoursderniers,aidemandéàtonfrèrecommenttuallais.C’estluiquim’adit.»

Jefixemespieds,lepetitcoindegazondevantmespieds,l’espacequiséparelegazondelahaie.

«J’aicruquetuétaisdiabétique.Tusais,quandtut’esévanouiel’autrejour...Jen’avaispascompris.

—

Non.

—

Jesuisdésolé.Vraiment.Çam’abouleverséquandilm’amisaucourant.

—

Oui.

—

Celam’aparuimportantquetusachesquejesais.

—

Merci.»

Cedialogue,lourddesens,envahitmonesprit,etsonéchorésonnedansmoncœur.

Finalement,jedis:

«C’estuneréalitéquifaitpeuràlaplupartdesgens,ilsnepeuventpasl’affronter.»

Ilapprouved’unsignedetête.Commes’ilsavaitparexpérience.

«Maisjenevaispastomberraidemorte,là,toutdesuite.J’aiencoretouteunelistedechosesàfaire,avant.»

Jenesaispaspourquoijeluiparledeça.Çam’étonnemoi-même.Celamesurprendaussiqu’ilsemetteàsourire.

«Commequoi,parexemple?»

JenevaiscertainementpasluiparlerdeJake,nidemonsautdanslarivière.

«Heu,monprochainprojetestd’essayerunedrogue.

—

Unedrogue?

—

Oui,etjeneparlepasd’aspirine.

—

J’imagine!répond-ilenriant.

—

J’aiuneamiequivaseprocurerdel’ecstasy.

—

Del’ecstasy?Tuferaismieuxd’essayerdeschampignons,c’estmeilleur.

—

Leschampignons,çaauneffethallucinogène,non?Jen’aiaucuneenviedevoirdessquelettesfoncersurmoi.

—

Non,çafaitrêver.Tun’espasdéfoncée,turêves.»

Jememéfie.Généralement,jenefaispaslesmêmesrêvesquetoutlemonde.Çaseterminetoujoursdansdeslieuxdedésolationdontilestdifficilederevenir.Jemeréveilletrempéedesueuretmourantdesoif.

«Jepeuxt’enprocurer,situveux.

—

C’estvrai?

—

Aujourd’hui,situveux.

—

Aujourd’hui?

—

Pourquoiremettreàdemain?

—

J’aipromisàmacopinequejeneferaisriensanselle.

—

Sacréepromesse,disdonc!»

Jemedétourne,regardeverslamaison.Papavabientôtselever,seprécipitersursonordinateur,Calallerenclasse.

«Jepeuxl’appeleretluidemandersielleestlibre.

—

D’accord,dit-ilenzippantsonblouson.

—

Oùvas-tulestrouver?

—

Unjour,jet’emmèneraisurmamotoetjetemontrerai»,répond-ilensouriant.

Etils’éloignedansl’allée.Maisilmerestelaclartédesesyeuxvertpâleencematinblême.

Quatorze

«Oùest-cequetucroisqu’ilvalestrouver?

—

ÀLegoland.OuToytown,peut-être?répondZoeyenbâillant.

—

Pourquoit’essidésagréable?»

Elleseretourneversmoi.

«Parcequ’ilestmocheetennuyeux,etquetum’as,moi,doncjenevoispasenquoiilt’intéresse,nipourquoituluiasdemandé,pourladrogue,jet’avaisditquejet’entrouverais.

—

Onnepeutpasdirequejet’aievuebeaucoupcesdernierstemps...

—

Sijemesouviensbien,ladernièrefoisqu’ons’estvues,tuétaiscomplètementK.-O.àl’hôpitaletj’étaisvenueterendrevisite!

—

Sijemesouviensbien,sij’étaisK.-O.,c’estparcequetum’avaismiseaudéfidesauterdansunerivière.»

Ellemetirelalangue,jeluitourneledosetregardeparlafenêtredemachambre.

Adamestdéjàrentrédepuislongtemps,puisaréapparudanslejardinoùilratissedesfeuilles.J’espéraisqu’ilallaitvenirtoquerànotreporte.Peut-êtres’attend-ilàcequecesoitnousquivenionschezlui.

Zoeyselèvepourmerejoindreetnousl’observons:chaquefoisqu’ilchargelabrouette,desdizainesdefeuilless’envolentets’éparpillentsurlapelouse.

«Iln’ariendemieuxàfairedanslavie?»

J’étaissûrequ’ellepenseraitça.Ellen’aaucunepatience,Zoey,etnesupportepasd’attendre.Pourrien.Sielleplantaitunegraine,elleladéterreraittouslesjourspourvoirsiellepousse,ouiounon.

«Ilaimejardiner.»

Ellemejetteunregardnavré:

«C’estunretardémental?

—

Maisnon!

—

Ilnedevraitpasêtreàlafacouquelquechose?

—

Jecroisqu’ils’occupedesamère.

—

Tiens,tiens,ilteplaît,jevois!dit-elleavecdesairsdeconspiratrice.

—

Pasdutout.

—

Moi,jetedisquesi.Tul’aimesensecret.Tusaisdeschosessurluiquetunesauraispass’ilt’étaitindifférent.»

Jesecouelatêtepouressayerdeladétournerdecettepiste.Avantqu’ellen’enfassetoutuncirque,justepoursedistraire.

«Tul’espionnesdetafenêtrecommeçatouslesjours?

—

Non.

—

Jesuissûrequesi.Jevaisallerluidemandersiluiaussi,ilenpincepourtoi.

—

Arrête,Zoey!»

Ellecourtverslaporteenriant.

«Jevaisluidemanders’ilal’intentiondet’épouser.

—

S’ilteplaît,Zoey,negâchepastout.»

Ellerevientlentementsursespasenhochantlatête.

«Jecroyaisquetuavaiscomprislesrègles,Tessa.Netelaissejamaisalleràaimeruntype.C’estmortel.

—

EttoietScott,alors?

—

Çan’arienàvoir.

—

Pourquoi?

—

C’estjustesexuel,sourit-elle.

—

Tuparles!Quandvousêtesvenusmevoiràl’hôpital,tunepouvaispaslequitterdesyeux.

—

N’importequoi!

—

Non,c’estlapurevérité.»

Avant,Zoeysecomportaitdanslaviecommesilaracehumaineétaitsurlepointdedisparaître,doncquerienn’avaitderéelleimportance.Maintenant,dèsqueScottestdanslesparages,elledevientdouceettendre.Nes’enrend-ellepascompte?

Ellemeregarded’unairsigravequej’attiresonvisageversmoietl’embrassepourladérider.Seslèvressontsoyeusesetellesentbon.L’idéemetraversel’espritquecepourraitêtreunefaçond’aspirerquelques-unesdesessainescellulesblanchesmaisellemerepousseavantquej’aieletempsdemettremathéorieenpratique.

«Pourquoit’asfaitça?

—

Pourpasquetugâchestout.Allez,descendsdemanderàAdams’ilatrouvédeschampignons.

—

Vas-ytoi-même.

—

Bon,onyvatouteslesdeux»,dis-jeenriant.Elles’essuieleslèvressursamanche,perplexe.

«D’accord,onyva.Detoutefaçon,ilcommençaitàrégnerunedrôled’ambiancedanscettechambre!»

Ennousvoyantarriver,Adamposesonrâteauets’avanceverslahaieànotrerencontre.J’ailatêtequitournelorsqu’ils’approche.Lejardinsemblepluslumineux.

«VoicimonamieZoey.»

Ils’inclineverselle.

«J’aitellemententenduparlerdetoi!»s’écrie-t-elleavecunsoupir,undesessoupirsquilafontparaîtrefrêleetsansdéfense.

TouslesgarçonsquejeconnaistrouventZoeysublime.

«C’estvrai?

—

Biensûr.Tessaparledetoisansarrêt!»

Jeluienvoieunpetitcoupdepiedpourlafairetairemaisellem’esquiveetfaitdansersescheveux.

«Tuenastrouvé?»dis-jepourdétournerd’ellel’attentiond’Adam.

Ilfouilledanssapocheetmetendunsacdeplastiquepleindepetitschampignonsfoncés.Ilsontl’airàpeineéclos,mystérieux,pasencoreprêtsàaffronterlemonde.

«D’oùviennent-ils?

—

Jelesaicueillis.»

Zoeys’enemparebrusquement.

«Qu’est-cequinousditqu’ilssontcomestibles?Ilssontpeut-êtrevénéneux!

—

Non,pasdutout.Cenesontnidesamanitesphalloïdesnidesorongesciguës.»

Zoeyfroncelenezetluirendlesac.

«Jecroisqu’onvalaissertomber.Onpréfèrel’ecstasy.

—

L’unn’empêchepasl’autre.Leschampignonsaujourd’hui,l’ecstasyunautrejour.

—

Qu’est-cequetuenpenses,Tessa?

—

Jetrouvequ’ondevraitessayer.»

Évidemment,moi,jen’aipasgrand-choseàperdre.

«Bravo!ditAdamensouriant.Entrez,jevaisvousenfaireuneinfusion.»

C’esttellementpropre,chezlui,ondiraitunecuisinedeshowroom.Iln’yamêmepasdevaissellequisèchesurl’égouttoir.C’estétonnantàquelpointcetintérieurestlecontrairedunôtre,passeulementparcequeleplanestinversémaisàcausedesonatmosphèrecalmeetsoignée.

Adamtireunechaiseetjem’assiedsdevantlatable.

«Est-cequetamèreestlà?

—

Elledort.

—

Elleestmalade?

—

Non,non,çava.»

Ilbranchelabouilloireetsortdestassesduplacard.

Zoeyfaitunegrimacederrièresondos,puismesouritenenlevantsonmanteau.

«C’estexactementlamêmemaisonquecheztoi.Saufquec’estàl’envers.

—

Assieds-toi,Zoey.»

Elles’emparedusacdechampignonsposésurlatable,l’ouvreetlerenifle.

«Beurk!Tuessûrqu’ilssontbons?»

Adamlesluiprenddesmains,lesmetdanslathéièreetversedel’eaubouillantedessus.Zoeyrestedeboutderrièreluipourleregarderfaire.

«Iln’yapasl’aird’enavoirbeaucoup.Est-cequetuconnaislesproportions,enfait?

—

C’estjustepourvousdeux.Jen’enprendspas,moi.Quandilscommencerontàfaireleureffet,jevousemmèneraiquelquepartetjem’occuperaidevous.»

Zoeyrouledesyeuxversmoicommesic’étaitlachoselaplusminablequ’elleaitjamaisentendue.

«Jenet’aipasattendupourdécouvrirladrogue,tusais,nousn’avonsaucunbesoindebaby-sitter.»

J’observeledosd’Adamremuantsamixture.LetintementdelacuillermerappellePapaquandilnousprépareduchocolat,lesoir,avantqu’onsecouche,Caletmoi.

C’estlamêmeferventeminutie.Jeluidemande:

«Tunetemoqueraspasdenoussionfaitdeschosesidiotes?»

Ilmesouritpar-dessussonépaule.

«Vousn’enferezpas.

—

Tunenousconnaispas,ditZoey.Noussommescapablesdespiresfolies.

Tessaestprêteàn’importequelledingueriedepuisqu’elleaattaquésaliste.

—

C’estvrai?

—

Ferme-la,Zoey!»

Ellemerejointàtable,l’airfaussementcontrit.Adamposelestassesdevantnous.

Ils’endégagedelavapeuretuneodeurassezrépugnanted’ortiesetdecartonmouillé.

Zoeysepenchepourreniflersatasse.

«Ondiraitdelasaucederagoût!

—

C’estbon,jet’assure,dit-ilens’asseyantprèsd’elle.J’aimisunbâtondecannellededanspourparfumer

unpeu.»

Ellemejetteunregardendouce,essaieunegorgéeetlarecracheenfaisantlagrimace.

«Avaletoutd’uncoup,ditAdam.Plusvitevousbuvez,plusvitevousserezdéfoncées.»

Jenesaispastropcequelasuitenousréserve,maisilsedégagedeluiuntelcalmecontagieux,savoixestsinettelorsqu’ilnousdit:«Allez,buvez»,quelà,danssacuisine,soussonregardattentif,nousavalonssamixturemarronnasse.Zoeysepincelenezetboitenplusieursgorgées,l’airdégoûté.Moi,j’ingurgitetoutd’uncoup.Detoutefaçon,peuimportecequejemangeoubois,plusrienn’adegoûtpourmoi,maintenant.

Nousrestonsassislàunmoment,àparlerdetoutetderien.Jen’arrivepasàmeconcentrer.J’attendsqu’unévénementseproduise,changelafacedeschoses.Adamnousexpliquequ’onreconnaîtceschampignonsàleurpiedgrêleetàleurchapeaupointu.Ilspoussentenplaques,maisseulementàlafindel’étéetenautomne.Leurconsommationn’ariend’illégal,dit-il,onentrouvemêmedesséchésdanscertainsmagasins.Puis,commeilnesepassetoujoursrien,ilnousprépareunetassedethénormal.Jen’enaipasvraimentenvieetmecontentedetenirlatasseentremesdeuxmainspourmeréchauffer.Ilfaitglacialdanscettecuisine,plusfroidquedehors.JevoudraisdemanderàZoeyd’allermecherchermonmanteaudansl’entréemaisj’ailagorgetropserréepourparler,ondiraitquedespetitesmainsm’étranglentàl’intérieur.

«C’estnormalqueçafassemalaucou?»

Adamfaitnondelatête.

«J’ail’impressionquematrachéeserétrécit.

—

Çavapasser»,répond-il,maisunéclairdepeurflashedanssesyeux.

Zoeyluijetteunregardfuribond:

«Tunousenasdonnétrop?

—

Non,toutvabien,elleajustebesoindeprendreunpeul’air.»

Ledoutevoilesavoix.Jedevinequ’ilpenselamêmechosequemoi:jesuisuncasspécial,moncorpsneréagitpasnormalement,c’étaitpeut-êtreuneerreur.«Venez,onvasepromener.»

Jemelèveetilm’accompagnejusqu’àlaported’entrée.

«Attends-moilà,jevaistechercherunmanteau.»Lafaçadedelamaisonestàl’ombre.J’attendssurleseuil,essayantderespirercalmement,denepaspaniquer.

Enbasduperron,unsentiermèneàl’alléed’entréeetàlavoituredelamèred’Adam.Lesentier

serpentedansl’herbe.Qui,pourjenesaisquelleraison,meparaîtdifférentedel’herbehabituelle.Acausedesacouleur,maisaussiparcequ’elleesttonduetrèscourt,commeuncrânerasé,disons.Plusjeregarde,plusilmeparaîtévidentqueleperronetlesentiersontsansdanger,maisquecetteherbeestmalveillante.

Jem’accrocheaumarteaudelaportepourêtresûredenepasglisser.Etenl’empoignant,jem’aperçoisqu’ilyauntroudanslaporte,untrouquiressembleàunœil.Lesveinesetlesnœudsduboisconvergentverscetœil,cequidonnel’impressionquelaportes’enroulesurelle-même,enspiralesverslecentrepuisversl’extérieur,enunmouvementlentetsubtil.Jel’observelonguement.Poseunœilsurletroumaisonn’yvoitrien,là-dedans,alorsjerentredanslamaison,refermelaporteetregardeverslejardin,cettefois.

L’universesttoutautre,vudecetœilmagique,l’allées’étire,paspluslargequ’unfil.

«Commentvatagorge?demandeAdamquiréapparaîtavecunmanteaupourmoi.

—

Tuasdéjàregardéàtraversl’œil?

—

Tespupillessontimmenses!Ilfautqu’onsorte.Enfilecemanteau.»

C’estuneparkaavecdelafourrureautourdelacapuche.Adammelaboutonnesoigneusement.J’ail’impressiond’êtreunepetiteInuit.

«Oùesttonamie?»

Dequimeparle-t-il?Ahoui,Zoey,jemerappelle,etj’aiunélandetendresseverselle.

«Zoey!Zoey!Viensvoirquelquechose.»

Ellesouritentraversantl’entrée,sonregardestprofond,sombrecommeunenuitd’hiver.

«Oh,tesyeux!

—

Lestiensaussisontbizarres!»dit-elle,stupéfaite.

Nousnousdévisageonsl’unel’autredesiprèsquenosnezsetouchent.

«Tusaisquoi?chuchote-t-elle.Ilyauntapisdanslacuisinequicontientunmondeentier.

—

C’estlamêmechoseaveclaporte.Situregardesàtravers,leschoseschangentdeforme.

—

Montre-moi.

—

Excusez-moi,intervientAdam,jeneveuxpasgâchercemomentmaissionallaitfaireuntour,çavousdit?»

Iltiredesclefsdesapocheetnouslesmontre.Ellessontbizarres,cesclefs.

IlécarteZoeydelaporteetnoussortons.Adamdirigelebipverslaportièrepourl’ouvrir.Jedescendsleperronetm’aventureprudemmentsurlesentierenprévenantZoeydefaireattentionmaisellenem’écoutepasetdansesurlegazon.Cequisembleneluifaireaucunmal,leschosessontsansdoutedifférentespourelle.

Danslavoiture,jem’assiedsprèsd’Adam,Zoeyàl’arrière.

«Alors,qu’enpensez-vous?»demandeAdam.

Maisj’éludesaquestion.

Jeremarqueavecquelleprécautionilavancelesmainsverslevolantcommes’ilessayaitd’apprivoiserunoiseaurareenluitendantàmanger.

«J’adorecettevoiture»,dit-il.

Jelecomprends.Onal’impressiond’êtreassisàl’intérieurd’unemontredeluxe,là-dedans.

«C’étaitlavoituredemonpère.Mamèren’aimepasquejelaconduise.

—

Onn’aqu’àresterici,alors,proposeZoey.Ceseraitsympa,non?

—

Jevousemmènequelquepart,martèleAdamtrèslentement,enseretournantverselle.J’aijusteditqu’ellen’aimeraitpasbeaucoupça.»

Furieuse,Zoeyselaissetombersurlesiègearrièreensetapantlatêtecontreletoitensigned’incrédulité.

«Faisattention,nemetspasteschaussuressurlabanquette!»hurle-t-il.

Elleseredresseaussitôtetpointesondoigtsurlui.

«Non,maisregarde-toi!Ondiraitunchiensurlepointdechierlàoùilnedevraitpas...

—

Laferme!répond-ild’unevoixabruptedontjel’auraiscruincapable.

—

Allez,chauffeur,enroute»,marmonneZoeyens’enfonçantleplusloinpossibledelui.

Jenemerendsmêmepascomptequ’iladémarré.Elleesttellementluxeetsilencieuse,cettevoiture,qu’onn’entendpaslemoteur.Nousglissonslentementlelongdel’allée,passonslagrille,etjeregardeavecdélicedéfilerlesmaisonsetjardinsdenotrerue.Jesensquecetripvam’ouvrirdeshorizons.Monpèredittoujoursquelesmusiciensécriventleursmeilleureschansonsquandilssontdéfoncés.Jevaisdécouvrirquelquechosed’étonnantetlegarderprécieusement.

CommeleSaintGraal.

J’ouvrelafenêtreetlaissependreunbrasdehors,puistoutlehautdemonbuste.

Zoeyenfaitautantàl’arrière.L’airmefouettelevisage.Jemesenssiréveillée.Jevoisdeschosesquejen’aijamaisvuesauparavant,jepénètredansd’autresvies.Unejoliefillefixelonguementsonamoureux,plaçanttellementd’espoirenlui.Untypeàl’arrêtdel’autobussegrattelatête,ettoutessespelliculesscintillentavantd’atteindrelesol,commedesparcellesdesonêtrequ’ilrépandraitsurlaterre.Prèsdelui,unenfantpleureparcequ’ilentrevoitdéjààquelpointtoutcelaestéphémèreetsansespoir.

«Regarde,Zoey!»

Jeluimontreunemaisondontlaporteestouverte,onaperçoitdansl’entréeunemèrequiembrassesafille.L’enfanthésitesurleseuil.Jeteconnais,jecrois.N’aiepaspeur.

Deboutsurlesiègearrière,Zoeyaouvertletoitetpasséunegrandepartiedesoncorpsàl’extérieur.Elleseplieendeuxetsonvisageapparaîtàmafenêtre.Ondiraitunesirèneàlaproued’unnavire.

«Rentreimmédiatementdanscettefoutuevoitureetenlèvetesfoutuspiedsdecesiège!»luicrieAdam.

Elleobéitets’affalesurlabanquetteenhurlantderire.

Noustraversonslequartierqu’onappelleMuggerMile.Monpèrelitsouventdesarticlesdujournallocalsurcettezoneoùlesagressionssontmonnaiecourante.

MuggerMileestleroyaumedelaviolenceaveugle,delapauvretéetdudésespoir.

Maislavoitureaccélère,d’autresviesdéfilentsousmesyeuxetjevoisàquelpointlesgenssontbeaux.Jemourrailapremière,jesais,maisilsmerejoindronttous,unparun.

Maintenant,nouscouponspardespetitesruesendirectiondubois.Ilyauncaféavecunjardinlà-bas,expliqueAdam,oùpersonnenenousconnaîtra.

«Vouspourrezfairelesfollesautantquevousvoulez,dit-il,personnenevousreconnaîtra.Etcen’estpastroploin,nousseronsrentrésàtempspourlethé.

—

Queldébile!râleZoeyàl’arrière.Onsecroiraitdansunromand’EnidBlyton

!Moi,jeveuxquetoutlemondesachequejesuisdéfoncéeetjen’enboiraipasunegouttedetasaletédethé!»

Ellesepenchedenouveauparlafenêtreenvoyantdesbaisersàtouslespassants.

Sescheveuxclaquentdanslevent,ondiraitRapunzels’échappantdesatour.AlorsAdamécraselefreinbrutalementetZoeysecognelatêtecontreletoit.

«Maisc’estpasvrai!braille-t-elle.Tul’asfaitexprès,jesuissûre!»

Elles’effondresurlabanquetteetsefrottelatêteengeignantdoucement.

«Excuse-moi,ditAdam.Ilfautqu’onprennedel’essence.

—

Salecon!»

Ilsortettourneautourdelavoitureversleréservoiretlapompe.Zoeysembles’êtresoudainendormie,affaléeàl’arrièreensuçantsonpouce.Elleapeut-êtresubiunecommotion.

«Çava,Zoey?

—

Ilaenviedetoi!persifle-t-elle.Ilessaiedesedébarrasserdemoipourt’avoiràluitoutseul.Nelelaissepasfaire,jet’enprie!

—

Qu’est-cequeturacontes?

—

Lavérité!Tun’aspasremarqué?»

Ellesedétournedemoietremetsonpoucedanssabouche.Jel’abandonne,sorsdelavoitureetvaisparleràl’hommeduguichet.Ilaunecicatricequipartdescheveuxettraversetoutsonfrontjusqu’àl’arêtedesonnez,ondiraitunerivièred’argent.IlressembleàmononcleBill,quiestmort.

Ilsepenchesursonpetitbureau:

«Quelnuméro?demande-t-il.

—

Huit.»

Celaal’airdeletroubler.

«Non,pashuit.

—

O.K.Trois,alors.

—

Maisoùestvotrevoiture?

—

Là-bas.

—

LaJaguar?

—

Jenesaispas.

—

Commentça,vousnesavezpas?

—

Non,jenesaispassonnom.

—

Dieuduciel!»

Laglacequinousséparecontientmalsacolère.Jem’éloigne,stupéfaiteetimpressionnée.

«Jecroisquec’estunsorcier,dis-jeàAdamquivientdemerejoindreetposeunemainsurmonépaule.

—

Jecroisquetuasraison,murmure-t-il.Ilvautmieuxqueturemontesdanslavoiture.»

Plustard,jemeréveilledansunbois.Lavoitureestarrêtée,Adamn’estpaslà.

Zoeydort,soncorpsàl’abandonsurlabanquettecommeceluid’unenfant.Unelumièreglauque,fantomatique,filtreentrelesarbres.Jen’arrivepasàdéterminersic’estlejouroulanuit.Paisiblement,

j’ouvrelaportièreetfaisquelquespasdehors.

Ilyaénormémentd’arbres,dedifférentesespèces,certainsàfeuillescaduques,d’autrespersistants.Ilfaitsifroidquecedoitêtrel’Écosse.

Jemepromèneunpeu,touchedesécorces,caresselesfeuilles.Jemerendscomptequej’aifaim,trèsfaim,dangereusementfaim.Siunourspasseparlà,jelecloueraiausoletluiarracherailatêted’uncoupdedent.Jedevraispeut-êtreallumerunfeu.

Tendredespièges,creuserdestrous,etleprochainanimalquirôderadanslesecteurfiniraàlabroche.Jevaismeconstruireunecabanedebranchesetdefeuillesetm’installerlàpourtoujours.Iln’yanimicro-ondesnipesticides,ici.Pasdepyjamafluonideréveilsquibrillentdansl’obscurité.Pasdetélé,pasdeplastique.Pasdecheveuxteintésetlaqués,pasdecigarette.L’usinepétrochimiqueesttrèsloin.Jesuisàl’abri,danscebois.Jerisdoucementtouteseule.Jenecomprendspaspourquoijen’aipaspenséàçaplustôt.Levoilà,lesecretquejesuisvenuechercher.

Puisj’aperçoisAdam.Quimeparaîtpluspetit,etsilointaintoutàcoup.Jeluicrie:

«J’aidécouvertquelquechose!

—

Qu’est-cequetufabriques?»demande-t-ild’unevoixdouceetharmonieuse.

Jenerépondspaspourluiéviterd’êtreridicule.C’estévident,cequejefais.

Pourquoiserais-jemontéelà-hautsicen’étaitpaspourcueillirdesbranchesetdesfeuillages?

«Descendsdelà!»hurle-t-il.

Maisl’arbremeprenddanssesbrasetmesuppliedenepaspartir.J’essaiedel’expliqueràAdam,quinedoitpasm’entendrecarilenlèvesonblousonetcommenceàgrimper

«Ilfautquetudescendes!»insiste-t-il.

Ilmettantdeferveurdanssalenteescalade,brancheparbranche,pourveniràmonsecours.

«Tonpèrevametuersijamaistutecassesquelquechose.Jet’enprie,Tessa,redescends.»

Ilesttoutprèsmaintenant,sonvisageréduitàlaflammequiscintilleaufonddesesyeux.Jemepenchepourlécherlafroiduredesonvisage.Sapeauestsalée.

Celanefaitpasmaldutout.Nousplanonsensemble,enattrapantdegrandesbrasséesd’air,etatterrissonssurunniddefeuilles.Adammetientdanssesbrascommeunbébé.

«Maisqu’est-cequetufabriquais?Qu’est-cequetupouvaisbienfoutrelà-haut?

—

J’amassaisdesbranchagespourmeconstruireunecabane.

—

Jecroisquetacopinearaison.Jem’enveuxdet’enavoirdonnétant.»

Maisilnem’ariendonnédutout.Sonnometlaterresoussesongles,c’esttoutcequejeconnaisdelui.Jemedemandesijepeuxluifaireconfianceetluilivrermonsecret.

«Jevaistedirequelquechose.Maispromets-moidenelerépéteràpersonne,d’accord?»

Ilhochelatête,hésitant.Jemerapprochedeluietleforceàmeregarderavantdecommencer.Unhalomulticoloreauréolesonvisage.Ilestsilumineuxquejepeuxvoirsesos,etl’universentierpar-delàsonregard.

«Jenesuisplusmalade,luidis-je,tellementexcitéequej’aidumalàarticuler.Ilfautquejeresteici,danscebois.Ilfautquejeviveàl’écartdumondemoderne,detoussesgadgets,etjeguérirai.Tupeuxresteravecmoisituveux.Onseconstruiradesrefuges,ontendradespièges.Onferapousserdeslégumes.»

Lesyeuxd’Adamseremplissentdelarmes.Levoirpleurerestcommedégringolerduhautd’unemontagne.

«Tessa...»

Au-dessusdesonépaule,ilyauntroudanslecielàtraverslequellecliquetissidérald’unsatellitemefaitclaquerdesdents.Puisildisparaît,pournelaisserplacequ’àunvidebéant.

Jeposeundoigtsurleslèvresd’Adam:

«Non,nedisrien.»

Quinze

«Jesuisenligne,ditPapaenmontrantsonordinateur.Tunepeuxpasallerfairelescentpasdansuneautrepièce?»

Lerefletdesonécranvacilledansseslunettes.Jem’assiedsdanslefauteuilenfacedelui.

«Çaaussi,c’estennuyeux,dit-ilsansmêmeleverlesyeux.

—

Quejem’asseyelà?

—

Non.

—

Quejetapotesurlatable?

—

Ecouteça.Ilyaunmédecinquiainventéuneméthodeappeléelarespirationdesos.Tuenasdéjàentenduparler?

—

Non.

—

Tudoisimaginerl’airqueturespirescommeunecouleurvive,puistuinhalesàpartirdetonpiedgauche,turemonteslajambejusqu’àlacuisseetturejettesl’airenrepartantdansl’autresens.Septfoisdesuite,puislamêmechosepourlajambedroite.Tuveuxessayer?

—

Non.

—

Ilnepleutplus,dit-ilenenlevantseslunettes.Pourquoinevas-tupast’asseoirdanslejardinavecunecouverture?Jet’appelleraiquandl’infirmièrearrivera.

—

Jen’aipasenvie.»

Ilsoupire,remetseslunettes,retourneàsonordinateur.Jeledéteste.Jesenssonregardtandisquejequittelapièce.J’entendssonpetitsoupirdesoulagement.

Touteslesportesdeschambressontfermées,etilfaitsombredansl’entrée.Jemontel’escalieràquatrepattes,m’assiedsenhautetregardeenbas.Elleestmouvante,cetteobscurité.Peut-êtrequejecommenceàvoirdeschosesquelesautresnevoientpas.Desatomes,parexemple.Jedégringolelesmarchessurmonderrièreetlesremonteenrampant.J’aimesentirlamoquettes’écrasersousmesgenoux.Ilyatreizemarches.Jecompteetrecompte.Treize.

Jemerouleenbouleenbasdesmarches.C’estlàquelachattes’assiedquandelleveutfairetrébucherquelqu’un.J’auraisbienaiméêtreunchat.Affectueuxetdomestiquéquandilaenvie,sauvagequandçaluichante.

Onsonneàlaporte.Jemerecroquevilleencoreplus.

Papasort,m’aperçoit.

«Tessa!Pourl’amourduciel!»

Tiens,c’estunenouvelleinfirmière,aujourd’hui.Elleestaussiimposantequ’unpaquebotetporteunejupeécossaise.Papaal’airdéçu.

«VoilàTessa,dit-ilenluimontrantoùjesuiscouchée.

—

Elleesttombée?demandel’infirmière,choquée.

—

Non,ellerefusedesortirdelamaisondepuispresquequinzejoursetçalarendunpeudingue.»

Elles’avanceversmoietmetendlamainpourmerelever,cequifaittremblotersonénormepoitrine.Samainestaussilargequ’uneraquettedetennis.

«Jem’appellePhilippa»,annonce-t-ellecommesicelaexpliquaittout.

Ellemeconduitausalon,m’aideàm’asseoirets’accroupitbrusquementenfacedemoi.

«Bon,jevoisquevousnevoussentezpastrèsbien,aujourd’hui.

—

Vousvoussentiriezbien,vous?»

Papamejetteunregardsévère.M’enfous.

«Avez-vousdumalàrespirer?Malaucœur?

—

Jeprendsdesantiémétiques.Vousn’avezpaslumondossier?

—

Excusez-la,intervientPapa.Elleajusteeuunpeumalauxjambescestempsderniers,riend’autre.L’infirmièrequil’avuelasemainedernièreditqueçava.Elles’appelleSian,jecrois,elleestaucourantdesontraitement.»

Jereniflebruyamment.Ilessaiedeprendreuntondétachémaisçanemarchepasavecmoi.LadernièrefoisqueladénomméeSianestvenue,ill’ainvitéeàdînerets’estcouvertderidicule.

«L’équipedenotreassociationessaied’assurerunecontinuitémaiscen’estpastoujourspossible,ditPhilippaquiseretourneversmoi,abandonnantPapaàsanavrantevieamoureuse.Vousavezbeaucoupdebleussurlesbras,Tessa.

—

Jesuismontéedansunarbre.

—

Ilsembleraitquevousn’ayezpasassezdeplaquettes.Vousavezdesprojetsd’activitésimportantespourcettesemaine?

—

Jen’aipasbesoindetransfusion!

—

Detoutefaçon,nousallonsdemanderuneanalysedesang,parprécaution.»

Papaluiproposeuncafé.Qu’ellerefuse.Sianauraitaccepté.Ilvabouderàlacuisine.

«Monpèrenesupportepasbienlasituation,dis-jeàPhilippa.Ilfaittoutlecontrairedecequ’ilfaudrait.

—

Etvousleressentezcomment,vous?demande-t-elleenm’aidantàretirermonchemisier.

—

Çamefaitrire.»

Ellesortdelagazeetunantiseptiquedesasacoche,enfiledesgantsstériles,etmelèvelebraspourpouvoirnettoyertoutautourducathéter.Enattendantqueçasèche,jeluidemande:

«Vousavezunjules?

—

J’aiunmari.

—

Comments’appelle-t-il?

—

Andy.»

Elleal’airgênéeenprononçantsonnom.Jepassemontempsàvoirdesgensdifférents,etilsneseprésententjamaisconvenablement.Alorsqu’ilsveulenttoutsavoirdemoi.

«VouscroyezenDieu?

—

Envoilàunequestion!répond-elleenfronçantlessourcils.

—

Vousycroyez?

—

Disonsquej’aimeraisycroire.

—

Etauparadis?Vouscroyezauparadis?

—

L’idéeparaîtplaisante,dit-elleensortantuneaiguillestériledesonemballage.

—

Çaneprouvepasqueçaexiste.»

Regardsévère.

«Ehbien,espéronsquesi.

—

Àmonavis,c’estdel’inventionpureetsimple.Quandonestmort,onestmort.»

Là,jecommenceàl’ébranler.Elleal’airtroublée.

«Etnotreâme,toutcefluxvital,çadeviendraitquoi?

—

Rien.C’estanéanti.

—

Voussavez,ilexistedesgroupesd’entraide,desréunionsoùvouspouvezrencontrerd’autresjeunesdanslamêmesituationquevous.

—

Personnen’estdanslamêmesituationquemoi.

—

C’estcequevousressentez?

—

C’estlaréalité.»

Lesemi-robotquejesuisdevenue,avectoutceplastiqueetcemétalenchâsséssousmapeau,lèvelebraspourqu’ellepuisseaspirerlesangàtraverslecathéter.Elleenlèveunepremièreseringuequineserviraàrienparcequ’ellen’estpaspure,polluéedesérum.Quelgâchis,toutescespremièresseringues!Aucoursdesannées,mesinfirmièresontdûbalancerl’équivalentdetoutcequ’uncorpscontientdesang,aveccespremièresseringuesinutiles...Philippaenaspireuneseconde,transfèresoncontenudansunebouteilleetyinscritmonnomàl’encrebleue.

«Voilà.Jevousappelledansuneheureenvironpourvousdonnerlesrésultats.

Vousvoulezquelquechosed’autreavantquejeparte?

—

Non.

—

Vousavezsuffisammentdemédicaments?Vousvoulezquejem’arrêtechezlemédecinpourfairerenouvelervosordonnances?

—

Non,jen’aibesoinderien.»

Ellesesoulèvepéniblementdesachaiseetmetoisesévèrement.

«Notreassociationpeutvousaccompagnerplusquevousnel’imaginez,Tessa.

Nouspouvonsvousaideràretourneràl’école,parexemple,mêmesicen’estqu’àtempspartiel,mêmesicen’estquepourquelquessemaines.Vousdevriezessayerdenormaliservotreexistence,celavautpeut-êtrelapeine.»

Jericane:

«Vousiriezenclasse,vous,àmaplace?

—

Jesouffriraissansdoutedesolitude,ici,toutelajournée.

—

Jenesuispasseule.

—

Non,maisc’estpéniblepourvotrepère.»

Quellegarce!Commentpeut-onbalancerdesvacheriespareilles?Jelaregardedroitdanslesyeux.Ellereçoitlemessage.

«Aurevoir,Tessa.Jepassematêteàlacuisinepourluidireunmotetjem’envais.»

Elleabeauêtredéjàobèse,elleacceptelecaféetlecakequePapaluipropose.Laseulechosequenousdevrionsoffrirauxétrangers,c’estdessacsenplastiquepourprotégerleurschaussures.EtondevraitdessinerunénormeXsurnotreporte.

JefaucheunecigarettedanslavestedePapaetmonteregarderparlafenêtredanslachambredeCal.Jeveuxvoirlarue.Onl’aperçoitàtraverslesarbres.Unevoiturepasse.Uneautre.Unpassant.

Jesoufflelafuméedehors.Àchaqueboufféequejetire,j’entendsmespoumonsgrésiller.Peut-êtrequejesuistuberculeuse.J’aimeraisbien.Lesmeilleurspoètesétaienttuberculeux.C’estunepreuvedesensibilité.Lecancern’estunepreuvederiendutout.C’estjustehumiliant.

Philippasortsurleperron.Jefaistombermacendresursatêtemaiselleneremarquepas,secontentededireaurevoiraveccettevoixtonitruantequ’elleaets’éloigneensedandinant.

Jem’assiedssurlelitdeCal.Papavamonterdansdeuxminutes.Enattendant,j’attrapeunfeutreetécrissurlepapierpeintau-dessusdulit:parachutes,cocktails,cailloux,sucettes,seauxd’eau,zèbres,cabanes,cigarettes,robinetd’eaufroide.

Jereniflemesaisselles,lapeaudemonbras,mesdoigts,jemelisselescheveuxdansunsensetàrebrousse-poil,commeonbrosseuntapis.

Papametuntempsfouàvenir,jetourneautourdelapièce.Devantlaglace,jem’arracheuncheveu.Unquirepoussebizarrementbeaucoupplussombreetfriséquelesautres,commeunpoildepubis.Jelelaissetombersurlamoquette.Pasfâchéedepouvoirengaspillerun.

SurlemurdeCal,ilyaunecartedumonde.Desocéans,desdéserts.Etsursonplafond,lesystèmesolaire.Jemecouchepourmieuxregarder.Celamedonnel’impressiond’êtreminuscule.

Apeinecinqminutesplustard,j’ouvrelesyeuxetdescendsvoircequefabriquePapa.Troptard,ilafichulecamp,enmelaissantunmessageidiotsursonordinateur.Jeluitéléphone:

«Oùes-tu?

—

Tudormais,Tess.

—

Maisoùes-tu?

—

Jesuisjustealléprendreunpetitcafé,dansleparc.

—

Pourquoi?Pourquoiallerdansunjardinpublic,onenaàlamaison,ducafé!

—

Arrête,Tess.J’aibesoindeprendrel’airdetempsentemps.Allumelatélévisionsitut’ennuies.Jerentretoutdesuite.»

Unefemmeexpliquelarecettedupouletpané.Troishommespressentsurdesboutonspourrépondreàunconcours:l’enjeuestdecinquantemillelivres.Deuxcomédiensdiscutentàproposd’unchatmort.L’und’euxricaneenproposantdel’empailler.Jesuiseffondrée.C’estnul,cesprogrammes,est-cevraimenttoutcequenousavonsàdire?

J’envoieunmessageàZoey:tou?Ellemerépondqu’elleestencours,cequiestunmensonge,jesaistrèsbienqu’ellen’enapaslevendredi.

Siseulementj’avaislenumérodeportabled’Adam.Jeluidemanderais:tmor?

Ildevraitêtredehors,entraind’épandredel’engrais,delatourbeetdufumier.J’ailutoutlechapitredeNovembre,dansleGuideduJardinageduReader’sDigestdontsesertPapa,etilsdisentquec’estl’époqueidéalepourpréparerlesol.Ildevraitaussisongeràplanterunnoisetier,unnoisetierembellitn’importequeljardin.Moi,jeluiconseilleraisplutôtunavelinier.Quiadesnoisettesenformedecœur.

Maiscelafaitdessièclesqu’iln’apasréapparudanslejardin.

Alorsqu’ilavaitpromisdem’emmenerfaireunebaladeenmoto.

Seize

Ilestpluslaidquejenem’ensouvenais.Mamémoirel’aenjolivétouteseule.

Commentçasefait?J’imagineZoeys’étranglantdeméprissielleapprenaitquejesuisalléesonnerchezlui...Jeneluidiraijamais.Elleprétendquelesgensmochesluidonnentlamigraine.

«Tum’évites?»

Ilad’abordl’airsurprismaissereprendtrèsvite.

«J’aiététrèsoccupé.

—

C’estvrai?

—

Oui.

—

Alorscen’estpasparcequetumecroiscontagieuse?Beaucoupdegenssecomportentavecmoicommes’ilsrisquaientd’attrapermoncancer,oucommesijel’avaisbienmérité.

—

Non,non!Cen’estpasdutoutcequejepense,proteste-t-il,inquiet.

—

Bon.Alorsquandest-cequ’onvafaireuntoursurtamoto?»

Ilsedandined’unpiedsurl’autre,maquestionl’embarrassemanifestement.

«Jen’aipaslepermisdéfinitif,enfait.Jen’aipasledroitdeprendredepassager,pourlemoment.»

Monteràl’arrièredelamotod’Adamestpeut-êtreunemauvaiseidéepourunmillionderaisons.Parcequenousrisquonsunaccident.Parcequecen’estpeut-êtrepasaussigénialquejel’espère.Parcequequ’est-cequejediraisàZoey?Parcequec’estvraimentcequej’aileplusenviedefaire.Plusquen’importequoid’autre.

Maisparcequ’iln’apaslepermisqu’ilfaut,alorsça,non.Jenemarchepas!

«Tuasuncasquepourpassager?»

Cesourirehésitant,denouveau...J’adoresonsourire.Est-cequejenevienspasdeletrouverlaid,ilyauninstant?Non,ilesttransfiguré.

«Oui,danslaremise.J’aiunsecondblouson,aussi.»

Jenepeuxpasm’empêcherdeluisourireàmontour.Jemesensaudacieuse,sûredemoi.

«Allons-y,alors.Avantqu’ilpleuve.

—

Ilnevapaspleuvoir»,affirme-t-ilenfermantlaportederrièrelui.

Nouscontournonslamaisonpourprendresesaffairesdanslaréserve.Maisjusteaumomentoùilfermesoigneusementleblousonqu’ilmeprête,justealorsqu’ilm’expliquequesabécaneestcapabled’atteindrecentcinquanteàl’heureetqueleventvaêtreglacial,laportearrièredelamaisons’ouvre,unedamesortetfaitquelquespasdanslejardin.Enrobedechambreetpantoufles.

«Rentrevite,Maman,luiditAdam.Tuvasattraperfroid.»

Ellecontinuequandmêmeàavancerversnous.Sonvisageestleplustristequej’aiejamaisvu,unvisagedenoyéeoùlamaréeauraitlaissésatraceenseretirant.

«Oùvas-tu?demande-t-ellesansmeprêterlamoindreattention.Iln’estpasunpeutôtpoursortir?

—

Jevaisfaireuntourenmoto.Jen’enaipaspourlongtemps.»

Undrôledepetitgloussements’échappedesagorge.

«Non,Maman,jet’enprie!Rentreprendretonbainett’habiller.Jeserairevenuavantmêmequetunet’enaperçoives.»

Ellehochelatêted’unairdésespéré,revientsursespas,s’arrêtecommesielleavaitoubliéquelquechose,seretourne,etmedévisage,moi,cetteétrangèredanssonjardin.

«Quiêtes-vous?

—

Votrevoisine.JesuisvenuerendrevisiteàAdam.

—

C’estbiencequejepensais»,répond-elle,avecunregarddeplusenpluslugubre.

Adampasseunbrassursesépaulesetlapoussedoucementverslamaison.

«Ilvautmieuxqueturentres,Maman.»

Sansprotester,ellelelaisselaraccompagnermaiss’arrêtesurlepasdelaportepourmedévisagerànouveau.Sansmotdire.Jeneparlepasnonplus.Nousnousobservonsensilence,puisellepénètredans

lacuisine.Cequisepasseentreeuxalors,jel’ignore.Quandilrevient,jemecontentededemanderàAdam:

«Çavaaller?

—

Oui.Fichonslecampd’ici.»

Cen’estpasdutoutcommejel’imaginais.Commedévalerunecollineàbicycletteoumêmepenchersatêteparlafenêtresurl’autoroute.C’estd’uneviolencebienplusprochedeséléments,commecelled’unventd’hiverquimugitsurlaplage.Lescasquesontdesvisièresenplastique.J’aidescendulamienne,Adamrelevélasienne.

«J’aimeprendreduventpleinlesyeux»,dit-il.

Ilm’aexpliquécommentmepencherlorsqu’onattaqueunvirage.Etqu’onnerouleraitpastropviteparcequej’étaisdébutante.Maisc’estquoitropvite?Mêmeàvitessemoyenne,onpourraittrèsbiendécoller.S’envoler.

Nouslaissonsderrièrenouslesrues,lesréverbères,lesmaisons.Nousdépassonslescentrescommerciaux,lazoneindustrielle,lesdépôtsdebois,etfranchissonslesfrontièresdetoutcequi,deprèsoudeloin,estliéàlaville.Apparaissentdesarbres,deschamps,l’espace.Jemelovecontrelacourbedudosd’Adametfermelesyeuxenmedemandantoùilm’emmène.J’imagineleschevauxdesonmoteur,crinièreauvent,narinesfrémissantes,crachantdesjetsdevapeur.Unjour,j’ailul’histoired’unenymphe,kidnappéeparundieuquil’emmena,àl’arrièredesonchariot,versdefunestesténèbres.

L’endroitoùnousfinissonsparnousarrêter,lelongdelarouteàquatrevoies,neressembleàriendecequej’imaginais.C’estunparkingboueux,oùstationnentdeuxpoidslourds,deuxvoituresetunstanddehot-dogs.

Adamcoupelemoteur,calelamotosursonpied,enlèvesoncasque.

«C’esttoiquidoisdescendrelapremière.»

J’approuved’unsigne,presqueincapabledeparler.Monsouffleestrestéquelquepartenroute.Mesgenouxtremblentetc’estuneffortconsidérabledebalancermajambepar-dessuslamotopourendescendre.Laterrefermeparaîtd’uncalmerassurant.Undescamionneursmelanceunclind’œilduhautdesacabine.Iltientunetassedethéfumante.Lafilleàqueue-de-chevalquivendleshot-dogstendunsacdechipsàunclient.Luitientunchienenlaisse.Jemesenssidifférented’euxtous.Commesinousétionsdesextraterrestresatterrisaumilieudegensordinaires.

«Cen’estpasçal’endroitquejeveuxtemontrer.Maismangeonsd’abordquelquechoseetjet’yemmène.»

Ilal’airdecomprendrequejenesuispasencorecapabledeparleretn’attendpaslaréponse.Jelesuislentement,l’écoutecommanderdeshot-dogsauxoignonsfrits.

Commentsait-ilquec’est,pourmoi,ledéjeuneridéal?

Nousmangeonsdebout.PartageonsunCoca.Jen’enrevienspasd’êtrelà.C’estsiétonnant,cetuniversquejedécouvredel’arrièred’unemoto,cecielsoyeux,cetaprès-midiquis’annonce,niblanc,nigris,nivraimentargenté,maisunmélangedestrois.Jejettemonassietteencartonàlapoubelle,boisladernièregorgéedeCocaetAdammedemande:

«Onyva?»

Onyva.Nousfranchissonsuneportesituéederrièrelabaraqueàfrites,enjambonsunfossé,puisempruntonsuncheminboueuxquitraverseunpetitboisépaispourfinalementaboutir,del’autrecôtédubosquet,surunesorted’esplanade.Jenem’étaispasrenducomptequenousétionsàcettealtitude.C’estfantastique,toutelavilles’étendsousnosyeuxcommesiquelqu’unl’avaitdérouléeànospieds.Pourquenousn’ayonsqu’àlacontemplerduhautdenotreperchoir.

«Waouh!J’ignoraiscomplètementqu’ilyavaitcepointdevue,ici.

—

Ouais.»

Nousnousasseyonscôteàcôtesurunbanc,nosgenouxsefrôlantàpeine.Lesolestdur,sousnospieds.L’airfroidsentl’annoncedugel,l’approcheglacialedel’hiver.

«C’estlàquejeviensquandj’aibesoindeprendredurecul,ditAdam.C’estpariciquej’aicueillileschampignons.»

Ilsortsablagueàtabac,l’ouvreetrouleunecigarette.Sesonglessontsalesetjefrémisàl’idéedesesmainsmecaressant.

«Tiens,dit-il,çavateréchauffer.»

Ilmetendlacigaretteets’enrouleuneautrepourlui.Ondiraitunpetitdoigtblanc.

Ilm’offredufeuetnousrestonslongtempssansriendire,justeàsoufflerdelafuméeverslavillequis’étireenpanoramiqueànospieds.

«N’importequoipourraitarriver,là,enbas,icitunelesauraismêmepas.»

Jecomprendscequ’ilveutdire.Ilpeutrégnerunbordeltotaldanstoutescespetitesmaisonsapparemmentidylliques,lerêvedechacunpeutavoirtournéaucauchemar.

Maisd’ici,toutparaîtpaisible.Pur.

«Jesuisdésolépourcematin,mamèreestd’unabordunpeudifficile,parfois.

—

Elleestmalade?

—

Non,pasvraiment.

—

Qu’est-cequiluiestarrivé,alors?»

Ilsoupire.Sepasselamaindanslescheveux.

«Monpèreestmortdansunaccidentdelaroute,ilyaunanetdemi.»

Iljettesonmégotdansl’herbeetnousenfixonstousdeuxlacendrerougeoyante.Ilsepassequelquesminutesavantquejeparvienneàarticuler:

«Tuasenvied’enparler?

—

Iln’yapasgrand-choseàendire,répond-ilenhaussantlesépaules.Monpèreetmamèresesontdisputés,luiafichulecamppouralleraupubetaoubliéderegarderentraversantlaroute.Deuxheuresplustard,lesflicscognaientàlaporte.

—

Merde!

—

Tuasdéjàvuunflicterrorisé?

—

Non.

—

C’estterrifiant.Mamères’estassisedansl’escalier,lesmainsplaquéessurlesoreilles,eteux,deboutdansl’entrée,leurcasqueàlamain,flageolaientsurleursjambes.Ilsétaientàpeineplusvieuxquemoi,ajouteAdamavecunpetitriretriste.

Etilsnesavaientabsolumentpascommentgérerlasituation.

—

Quellehorreur!

—

Çan’arienarrangé.Ilsontemmenémamèrevoirlecorpsdemonpère.C’estellequil’ademandémaisilsn’auraientpasdûaccepter.Ilétaitterriblementécrabouillé.

—

Tuesalléavecelle?

—

Oui,maisjesuisrestéassisdehors.»

JecomprendsmaintenantpourquoiAdamestsidifférentdeZoey,ouden’importelequeldemescopainsdeclasse.Noussommesdesbousillésdelavie,luietmoi.

«Jepensaisquedéménagerdenotreanciennemaisonallaitarrangerunpeuleschoses,maiscen’estpaslecas,enfait.Elleprendencoredestonnesd’antidépresseurs.

—

Ettoi,tut’occupesd’elle.

—

Forcément,oui.

—

Ettavieàtoi,alors?

—

Jen’aipasfranchementlechoix.»

Ilsetournepourmefaireface.Meregardecommes’illisaitenmoi,commes’ilsavaitquelquechosesurmoiquemêmemoij’ignore.

«Tuaspeur,Tessa?»

C’estunequestionquepersonnenem’ajamaisposée.Jamais.Jemedemandes’ilsefoutdemoi,ous’ildemandeçaparpolitesse,maisilsoutientmonregard.Alorsjeluiraconteàquelpointj’aipeurdunoir,peurdedormir,peurdesdoigtspalmés,desespacesclos,desportes.

«Çavaetçavient,lapeur.Lesgenscroientquelamaladievousrendcourageux,prêtàtoutaffronter,maiscen’estpaslecas.Laplupartdutemps,j’ail’impressiond’êtretraquéeparundingue,qu’onrisquedemetirerdessusd’unmomentàl’autre.

Etpuisparfois,ilsepassedesheuressansquej’ypense.

—

Qu’est-cequit’aideàoublier?

—

Voirdesgens.Fairedeschoses.Quandjesuisalléeavectoidanslebois,l’autrejour,j’aioubliépendanttoutunaprès-midi.»

Ilhochelentementlatête.

Unsilences’installe.Unpetitsilence,maisquiaunesignification,commeuncoussinpourarrondirdesanglesaigus.

«Jet’aimebeaucoup,Tessa.

—

C’estvrai?»

J’aidumalàavalertantmagorgeestdouloureuse.

«Lejouroùtuesvenuebalancertestrucsdanslefeu,tuasditquetuvoulaist’enlibérer.Tuasditaussiquetumeregardaisparlafenêtre.Laplupartdesgensneparlentpascommeça.

—

Çat’achoqué?

—

Non,aucontraire,dit-ileninspectantsespiedscommes’ilallaitytrouverunindice.Pourtant,jenepeuxpastedonnercequetucherches.

—

Cequejecherche?

—

Moi-même,jesurvistantbienquemal.S’ilsepassaitquelquechoseentrenous,cequej’aimeraisbien,çarimeraitàquoi?Çadémarresurdesimauvaisesbases»,conclut-ilensetortillantsurlebanc.

Jemelève,étrangementdéterminée.Inflexible.J’ail’impressiondefermerunesortedefenêtreintérieure.Cellequicontrôlelatempératureetlessentiments.Jemesenscraquantecommeunefeuillepleinedegivre.

«Bon,ehben,àundecesjours!

—

Tut’envas?

—

Ouais.J’aidestrucsàfaireenville.Désolée,jenemesuispasrenducomptequ’ilétaitsitard.

—

Tudoispartirtoutdesuite?

—

Oui,j’airendez-vousavecdesamis.Ilsdoiventdéjàm’attendre.»

Ilfouilledansl’herbepourrécupérerlescasques.

«Jeteraccompagne,alors.

—

Non,non,cen’estpaslapeine.Jevaisdemanderàl’und’euxdevenirmechercher.Ilsonttousdesvoitures.»

Ilal’airéberlué.Bienfait,tiens!Çaluiapprendraàressembleràtoutlemonde.Jeparssansmêmeluidireaurevoir.

«Attends!»

Non,jen’attendspas.Jenemeretournepas.

«Lesentierrisqued’êtreglissant,crie-t-il.Ilcommenceàpleuvoir.»

Jel’avaisbiendit,qu’ilpleuvrait.J’enétaissûre.

«Tessa!Laisse-moiteraccompagner!»

Maiss’ils’imaginequejevaisremontersurcettemotoaveclui,ilsefaitdesillusions.

Etmoiquipensaisqu’ilpouvaitmesauver,quelleerreur!

Dix-sept

Jecommenceparunevoiedefait,etbalanceungrandcoupd’épauledansledosd’unedameenmontantdanslebus.Elleseretourne,indignée:

«Aïe!Faitesattentionoùvousallez!

—

C’étaitlui»,dis-jeenluimontrantuntypederrièremoi,tropoccupéàhurlerdanssonportabletoutenberçantunbébébrailleurpourm’entendrel’accuseràtort.

Ladamemedépasseetluilance:

«Connard!»

Ça,ill’entend.Jeprofitedelaconfusionquienrésultepournepaspayeretvaism’asseoiràl’arrière.Troisdélitsenmoinsd’uneminute.Pasmal.

Enredescendantlacolline,j’aifouillédanslespochesdublousond’Adammaisn’yaitrouvéqu’unbriquetetunecigarettetoutetordue,doncdetoutefaçonjenepouvaispaspayerlebus.Jepasseaucrimenuméroquatreetallumelaclope.Unvieuxmecseretourneenpointantsondoigtversmoi:

«Jetezçaimmédiatement!

—

Allezvousfairefoutre!»dis-je,cequidoitbienêtreconsidérécommeuncomportementviolentparuntribunal.

Jenesuispasmauvaise,quandmême.Passonsàl’assassinat,maintenant.UnpetittourdeJeudelaMort.

Troissiègesdevantmoi,ilyaunhommequifaitmangerdesnouilleschinoisesàunpetitgarçonassissursesgenoux.Jem’octroietroispointspourlanourrituredistillantsonpoisondanslesveinesdel’enfant.

Del’autrecôtéducouloir,unefemmenouesonfoulard.Unpointpourlagrosseursursoncou,roseetàvifcommeunepincedecrabe.

Unautrepointpourlebusexplosantalorsqu’ilfreineaufeurouge.Etdeuxpourleplastiquedessiègesenfusiondéchirantl’air.

Unepsyquej’aivueàl’hôpitalaffirmequecen’estpasmafaute.D’aprèselle,beaucoupdemaladeséprouventdesecrètespulsionsmalveillantesenverslesbien-portants.

Jeluiaiditquemonpèreparlaitducancercommed’unetrahisonpuisquelecorpsfabriquequelquechoseàl’insudel’esprit,sanssonconsentement.Jeluiaidemandésicejeupouvaitêtreunmoyenpourmonespritdeprendresarevanche.

«Peut-être,a-t-ellerépondu.Vousyjouezsouvent?»

Lebuspassedevantlecimetière,lesgrillesdefers’ouvrent.Troispointspourlesmortssoulevantlentementlecouvercledeleurcercueil.Décidésànuireauxvivants.

Incapablesdes’arrêter.Leurgorges’estliquéfiée,leursdoigtsétincellentsouslepâlesoleilautomnal.

Bon,çasuffitpeut-être.Ilyatropdemondedanscetautobusmaintenant.Lesgensvacillentdansl’alléecentrale,changentdeplace,leursportablescouinent.

«Jesuisdanslebus»,répondent-ils.Leséliminertousneferaquemedéprimer.

Jem’obligeàregarderparlafenêtre.NoussommesdéjàdansWillisAvenue.J’ailongtempsétéàl’école,danscequartier.Tiens,lepetitcentrecommercial!

Commentai-jepul’oublier,celui-là,alorsqu’ilaétélepremierendroitenvilleàvendredesSlushPuppies2?L’été,ons’enachetaitunparjour,Zoeyetmoi.Ilsontuntasd’autrestrucs,aussi,desdattes

fraîches,desfigues,del’halva,dupainausésameetdesspécialitésturques.Commentai-jepugommertoutçademamémoire?

C’estincompréhensible.

Àgauche,voilàlevidéoclubet,surleseuilduBarbecueCafé,unhommeentablierblancquiaiguiseuncouteau.Envitrine,unagneautournelentementsursabroche.

Avecl’argentdelacantine,onpouvaits’offrirunkebabetdeschips,ici,ilyadeuxans,ouunkebab,deschipsetunecigaretteachetéesouslemanteau,sionétaitZoey.

Ellememanque,Zoey.JedescendsplaceduMarchéetl’appelle.Savoixsembleremonterdesprofondeurs.

«Tuesdansunepiscine?

—

Non,dansmabaignoire.

—

Touteseule?

—

Evidemmenttouteseule!

—

Toutàl’heure,tum’asprétenduquetuétaisencours,menteuse!

—

Qu’est-cequetuveux,Tessa?

—

Transgresserlaloi.

—

Quoi?

—

C’estlenuméroquatredemaliste.

—

Etcommentcomptes-tut’yprendre?»

Autrefois,elleauraiteuuneidée.Maintenant,ellen’estpluslamême.Sescontoursdeviennentflous,seconfondentavecceuxdeScott.

«JesongeàassassinerlePremierministre.J’adoreraisprovoquerunerévolution.

—

Trèsdrôle.

—

Oulareine.OnpourraitprendreunbuspourBuckinghamPalace.»

Zoeysoupire.N’essaiemêmepasdeledissimuler.

«Jesuisoccupée,moi.Jenepeuxpaspassermesjournéesavectoi.

—

Çafaitdixjoursquejenet’aipasvue!»

Silence.Unsilencequimedonneenviedeluifairemal.

«Tuaspromisdem’aider,Zoey.Jen’airéussiquelestroispremièreschosesdemaliste.Acetrain-là,jen’arriveraijamaisàtoutfiniràtemps.

—

Oh,merde,arrête!

—

Jesuisaumarché.Viensmerejoindre,onvas’amuser.

—

Aumarché?Scottestlà?

—

Jenesaispas.Jeviensjustededescendredubus.

—

Jeteretrouvedansvingtminutes.»

2Boissonsglacéespourenfants.

Ilyadusoleildansmatassedethé.Onestbienlà,àlaterrassedececafé.

«Tuescommeunvampire,tumepompestoutemonénergie»ditZoeyenrepoussantsonassiettedecôtépourposersatêtesurlatable.

J’aimebiencetendroit,lestoremulticoloreaudessusdenostêtes,lavuesurlesquareaveclafontainedanslefond.J’aimel’odeurdelapluiequimenaceetlarangéed’oiseauxperchéssurlemurauquelsontadosséeslespoubelles.

«Qu’est-cequec’est,cesoiseaux?»

Zoeyouvreunœilpourregarder.

«Desétourneaux.

—

Commentlesais-tu?

—

Jelesais,c’esttout.»

Unpeusceptique,j’écrisquandmêmeétourneauxsurmaservietteenpapier.

«Etcesnuages.Qu’est-cequec’estcommeracedenuages?»

Ellegrogneetsecouelatêtesurlatable.

«Etlespierres,Zoey,tucroisqu’ellesontdesnoms?

—

Non!Nilesgouttesdepluie,nilesfeuilles,nitouscestrucsaveclesquelstumepompesl’air!»

Elleenfouitsatêtedanssesbraspoursecacherencoremieuxdemoi.Depuisqu’elleestarrivée,ellen’arrêtepasderâleretçacommenceàm’énerver.Enprincipe,onestlàpouressayerquejemesentemieux,non?

«Tun’espasgelée,toi?dit-elleensetortillantsursachaise.

—

Non.

—

Bonalors,onvaladévalisercettebanque,oucequetuveuxd’autre...cequ’onestcenséesfaire?

—

Tuveuxbienm’apprendreàconduire?

—

Pourquoitunedemandespasàtonpère?

—

Jeluiaidemandé,çan’apasmarché.

—

Maisçavanousprendrecentans,Tessa!Etjen’aiprobablementpasledroit,jeviensjusted’apprendremoi-même.

—

Depuisquandest-cequetutesouciesdecequiestpermisoupas?

—

Onenreparleraplustard,d’accord?Allez,onyva?»

Ellereculesachaise,maisjenesuispasencoreprête.Jeveuxregarderlegrosnuagequifoncesurlesoleil.Jeveuxvoirlecielvirerdugrisaunoir.Leventvaselever,ettouteslesfeuillessedécrocherdesarbres.Jeveuxcourirderrièreelles.Etfairedescentainesdevœux.

Troisfemmestirantdespoussettesetdesenfantstraversentlesquareetsedirigentversnous.

«Vite!crient-elles.Entrezviteiciavantqu’ilneseremetteàpleuvoir.»

Ellesfrissonnentetrientensebousculantversunetablevideprèsdelanôtre.«Quiveutquoi?Dequoiavez-vousenvie,lesenfants?»pépient-elles.Commedesétourneaux.

Zoeys’étire,plisselesyeuxenlesregardantcommesic’étaientdesanimauxexotiques.Ellesremuentbeaucoupd’air,enlèventlesmanteauxdeleursmarmots,lesjuchentsurdeschaiseshautes,leurmouchentlenez,commandentdesgâteauxetdesjusdefruits.

«Mamèrem’amenaiticilorsqu’elleétaitenceintedeCal.Elleseshootaitauxmilk-shakes.Onvenaittouslesjours,àlafinelleétaitsigrossequ’onnevoyaitmêmeplussesgenouxquandelleétaitassise.Jedevaism’asseoirsuruntabouretàcôtéd’elle,quandonregardaitlatélé.

—

MonDieu!râleZoey,hargneuse.C’estpirequ’unfilmd’horreurd’êtreavectoi!»

Jel’observeattentivement.Ellen’afaitaucuneffort,s’estcontentéed’enfilerunpantalondejoggingetunsweat-shirt.Jecroisquec’estlapremièrefoisquejelasurprendssansfonddeteint.Onnevoitquesesboutons.

«Ilyaquelquechosequinevapas,Zoey?

—

J’aifroid.

—

Tupensaisquec’étaitunjourdemarché,aujourd’hui?TuespéraisvoirScott

?

—

Non.

—

Tantmieux,parcequetun’espasaumieuxdetaforme.»

Ellemelanceunregardfurieux.

«J’aiunplan!Volerdansunmagasin.Allez,viens,onyva!»

Dix-huit

Morrisonsestleplusgrandsupermarchéducentrecommercial.C’estbientôtl’heuredelasortiedesécolesetilyabeaucoupdemonde.

«Prendsunpanier,ordonneZoey.Etfaisattentionauxvigiles.

—

Àquoiressemblent-ils?

—

Ilsressemblentàdesflicsquitravaillentici!»

J’avancelentement,savourantchaquedétail.Ilyadessièclesquejenesuispasalléedansunsupermarché.Aurayontraiteur-épiceriefine,jeprendsdeuxmorceauxdefromageetuneolivedanslespetitessoucoupesdedégustationposéessurlecomptoir.Jemeursdefaim,enfait.Aurayonfruits,jem’octroieunegrossepoignéedecerisesquejedévoreenmarchant.

«C’estincroyablecequetupeuxmanger!grogneZoey.Çamerendmaladerienqu’àteregarder!»

Ellem’apprendcommentremplirmonpanierdemarchandisesdontjen’aipasenvie,destrucsdeconsommationcourante,commedelasoupedetomateoudescrackersaufromage.

«Etdanstespoches,tumetscequetuveuxvraiment.

—

Commequoi?

—

J’ensaisfoutrerien,moi!Ilyaunmagasinentierpleinàcraquer.Choisistoi-même!»répond-elle,exaspérée.

Jecommenceparunepetitebouteilledevernisàonglesrougevampirequejeglissefacilementdansmapoche.Jeportetoujoursleblousond’Adam,ilyadespochespartout.

«Bravo!applauditZoey.Tuasréussiàenfreindrelaloi!Onpeutyaller,maintenant?

—

Quoi,c’esttout?

—

Techniquement,oui.

—

Cen’estpastrèsdrôle!Déguerpirducafésanspayerauraitétéplusexcitant.»

Ellesoupire,jetteuncoupd’œilàsonportable

«OK,cinqminutes,alors.»

JecroiraisentendrePapa.

«Ettoi,tutecontentesderegarder?

—

Moi,jefaisleguet.»

Lapharmacienneestentraindeconseillerunclientquiseplaintdequintesdetoux.

Jenepensepasqu’elleremarqueladisparitiondecetubedeReliefBodyMoisturizeroudecepetitpotdeCrèmedeCorpsnutritif.Danslepanier,unpaquetdepainScandinave,dansmapoche,delacrèmehydratante.Duthéensachetspourlepanier,unevraiepeaudesoiepourmoi.J’aiunpeul’impressiondecueillirdesfraises.

«Jesuisdouéepourcesport!dis-jeàZoey.

—

Parfait!»

Ellen’écoutemêmepas.Tuparlesd’unesentinelle!Elletraficotejenesaisquoiappuyéeaucomptoirdelapharmacie.

«Onvaaurayonchocolat,maintenant?»

Maisellenerépondpasetjel’abandonneàsesaffaires.

Onn’estpasvraimentenBelgique,maisquandmême,ilyaaurayonconfiseriedesminiboîtesdetruffesauchocolatentouréesderavissantsrubansquinecoûtentque1,99£.J’enpiquedeuxquejefourredansmapoche.Lesblousonsdemotard,c’estlerêve,pourlafauche.JemedemandesiAdamsaitça.

Auboutdel’alléecentrale,mespochesgonflentcarrément.JeregardelessurgelésenmedemandantcombiendetempsuneglaceBenandJerrypeuttenirdansunepochelorsquejecroisedeuxfillesaveclesquellesj’étaisautrefoisàl’école.Elless’arrêtentenmevoyant,penchentlatêtel’uneversl’autrepoursechuchoterquelquechose.JesorsmontéléphonepourappelerZoeyàlarescoussemais,troptard,ellesm’abordent:

«TuesbienTessaScott?demandelablonde.

—

Ouais.

—

Tutesouviensdenous?FionaetBeth.»

Elleenchaîneleursdeuxnomscommedesduettistes.

«Tuasquittél’écolequandtuétaisensixième,c’estça?

—

Encinquième.»

Ellesmedévisagent,avidesd’ensavoirplus.Neserendent-ellespascomptequ’ellesviennentd’uneautreplanète-quitournebeaucoupmoinsvitequelamienne

-etquejen’aiabsolumentrienàleurdire?

«Commentvas-tu?demandeFiona,tandisqueBethhochelatêtepourmontrerqu’elleapprouveentièrementlaquestion.Tuestoujoursenchimio?

—

Non,plusmaintenant.

—

Çavamieux,alors?

—

Non.»

Jelesregardecomprendre.Celadémarredansleursyeux,puisgagneleursjouesetleurbouche.Tellementprévisible.Etcommeiln’yaplusdequestionpoliepossible,ellesn’enposentplus.J’aimeraislessortirdecettesituationembarrassantemaisnesaistropcommentleslibérer.

«JesuisiciavecZoey,dis-jeaprèsunsilenceprolongé.ZoeyWalker.Elleétaitdanslaclasseau-dessusdenous.

—

Vraiment?ditFionaenpoussantsacopineducoude.C’estétonnant,j’étaisjustemententraindeparlerd’elleàBeth.»

Bethsejettesurl’informationpourenchaîner,soulagéedutonnormalqu’areprislaconversation,etmedemandecommesielleparlaitàunegaminedequatreans:

«Ellet’aideàfairedescourses?

—

Pasvraiment,non.

—

Tiens,regarde!ditFiona.Elleestlà.Tuvoisquijevoulaisdire,maintenant?

—

Oh,elle!»

Jecommenceàcomprendrequej’auraismieuxfaitdemetairemaisc’esttroptard,maintenant.Zoeyn’apasl’airenchantéedelesvoir:

«Qu’est-cequevousfaiteslà?

—

Tuvois,nousparlonsavecTessa?

—

Dequoi?

—

Dechosesetd’autres.»

Zoeymelanceunregardsoupçonneux.

«Tuesprêteàpartir?

—

Ouais.»

FionatendlamainverslamanchedeZoey.

«Oh,avantquetupartes,jevoulaistedemander,c’estvraiquetusorsavecScottRedmond?

—

Pourquoi?Tuleconnais?»

Fionarenifle,lanceunregardcompliceàBeth.«Toutlemondeleconnaît.Etquandjedistoutlemonde,c’estvraimenttoutlemonde.

—

Ouais,ricaneBeth.Avecmasœur,celaaduréàpeuprèsunedemi-heure.

—

C’estvrai?»

Zoeyalesyeuxquibrillent.Ilesttempsquej’intervienne.

«C’estpassionnant,toutça,maisfautqu’onyaille,nous.Jedoisdresserlalistedesinvitésàmonenterrement.»

Celaleurclouelebec.

«Vraiment?demandeFiona,interloquée.

—

Ouais,dis-jeenattrapantZoeyparlebras.Dommagequejenepuissepasyêtremoi-même,j’adorelesfêtes.Envoyez-moiunmessages’ilyadesbonscantiquesauxquelsvouspensez.»

Nouslesplantonslà,abasourdies,prenonsl’alléetransversaleetnousarrêtonsaustanddesustensilesdecuisine,entrecoutellerieetacierinoxydable.

«T’inquiète,Zoey...Ellesdisentn’importequoi,cesdeuxnulles.

—

Jen’aipasenvied’enparler,répond-elle,feignantdes’intéresseràunepinceàsucre.

—

Sionfaisaitquelquechosededinguepournousréconforter?Lemaximumdetrucsillégauxenuneheure.

—

OnpourraitmettrelefeuàlamaisondeScott,lâcheZoeyavecunsourireréticent.

—

Necroispasunmotdecequ’ellesracontent,Zoey.

—

Pourquoipas?

—

Parcequetuleconnaismieuxqu’elles.»

Jen’aijamaisvuZoeypleurer.Jamais.Niquandelleaapprislesrésultatsdesonbac,nimêmequandjeluiaiannoncéquej’allaismourir.J’aitoujourspenséqu’elleenétaitincapable,commeunVulcain.Mais,là,maintenant,ellepleure.Enpleinsupermarché.Etelleessaiedelecacherensedissimulantderrièresescheveuxblonds.

«Quoi?Qu’est-cequisepasse?

—

Ilfautquejeletrouve.

—

Maintenant?

—

Désolée.»

Çameglacedelavoirpleurercommeça:commentpeut-elleaimerScottàcepoint-là?Elleneleconnaîtquedepuisquelquessemaines.

«Maisonn’apasfinid’enfreindrelaloi!»

Ellesecouelatête,leslarmesglissentsursesjoues.

«Tun’asqu’àabandonnerlepanieretàsortir,quandtuaurasfini.Excuse-moi.Jen’ypeuxrien.Ilfautquejeparte.»

Celamerappellequelquechose.J’aidéjàvécucela,ellemelaissanttomber,sescheveuxdorésdansantsursesépaulestandisqu’elles’éloignedeplusenplusdemoi.

C’estpeut-êtreàsamaisonàellequejedevraismettrelefeu.

Sanselle,cen’estplustrèsamusant.J’abandonnelepanierenmegrattantlatête,style«nemeditespasquej’aioubliémonporte-monnaie»etmedirigeverslasortie.Maisquelqu’unm’agrippeparlepoignetjusteavant.

Soi-disantlesvigilesétaientfacilesàreconnaître,d’aprèsZoey.Moi,jelesavaisimaginésencostume-cravate,etsansmanteaupuisqu’ilssontàl’intérieurtoutelajournée.

Celui-làporteunblousonenjeanetalecrânerasé.

«Vousavezl’intentiondepayerlesarticlesquisontdansvospoches?dit-il.Vousavezdissimulédesarticlessurvousdanslesallées5et7.Unmembredupersonnelvousavuefaire.»

Jesorslevernisàonglesdemapocheetleluitends:

«Tenez,vouspouvezlereprendre.

—

Veuillezmesuivre,s’ilvousplaît.»

Uneboufféedechaleurmontelelongdemoncou,demesjoues,jusqu’àmesyeux.

«Non,jeneveuxpas.

—

Vousaviezl’intentiondepartirsanspayer»,répète-t-ilenmetirantparlebras.

Ilmeremorquelelongdesalléesverslefonddumagasin.Toutlemondepeutmevoiretcesregardsmebrûlent.Jenesuispassûrequ’ilaitledroitdemetirercommeça.Ilpourraitnepasêtreunvigile,aprèstout,etm’entraînerdansuncoinretiré.Jefreinesurmestalonsetmecramponneàuneétagère.J’aidumalàrespirer.Ilhésite.

«Vousnevoussentezpasbien?Vousavezdel’asthmeouquelquechose?

—

Non,dis-jeenfermantlesyeux.Je...Jeneveuxpas...»

Jeneparvienspasàpoursuivre.Lesmotssebousculent...

Ilfroncelessourcils,sortsonbipetappelledel’aide.Deuxpetitsgarçonsassisdansunchariotmedévisagentaupassage.Unefilledemonâgepasseetrepassedevantmoi,l’airnarquois.

Lafemmequiarriveàtouteallureporteunbadgeavecsonnom.Elles’appelleShirleyetmetoised’unœilsévère.

«Allons-nous-end’ici,dit-elleàsoncollègue.Venezparlà.»

Ilyaunpetitbureaudissimuléderrièrelecomptoirdelapoissonnerie.Dontlesclientsordinairesignorentsûrementl’existence.Shirleyfermelaportederrièrenous.

C’estlegenredepiècequ’onvoitdanslessériespolicières,minuscule,sansfenêtre,meubléed’unetableetdedeuxchaises,chichementéclairéeparuntubedenéonquiclignoteauplafond.

«Asseyez-vous,ditShirley,etvidezvospoches.»

Jem’exécute.Rassembléssurlatableentreelleetmoi,lesarticlesquej’aipiquésparaissentminables,bonmarché.

«Bon,j’appelleraisceladespreuves,pasvous?»

J’essaiedepleurermaisçanel’émeutpas.Ellemetendunmouchoiràcontrecœur,attendquejememoucheetm’indiquelacorbeilleàpapier.

«J’aiquelquesquestionsàvousposer.Commentvousappelez-vous,pourcommencer?»

Çan’enfinitpas.Elleveuttouslesdétails,monâge,monadresse,lenumérodetéléphonedePapa.EllenotemêmelenomdeMaman,jenevoispasbienl’intérêt.

«Vousavezlechoix,dit-elle.Ounousappelonsvotrepèreounousappelonslapolice.»

Jedécidedejouerletoutpourletout.Jeretireleblousond’Adametdéboutonnemonchemisier.

«Jenevaispastrèsbien,dis-jeendénudantmonbraspourluimontrerledisquemétalliquequej’aisousl’aisselle.C’estuncathéter,c’estlàqu’onmebranchelesperfusions.

—

Rhabillez-vous,s’ilvousplaît.

—

Jeveuxquevousmecroyiez.

—

Jevouscrois.

—

Est-cequevoussavezaumoinscequ’estuneleucémieaiguëlymphoblastique

?

—

Jecrainsquenon.

—

C’estuncancer.»

Maismêmecemot-lànel’arrêtepas.ElleappellePapa.

SousleFrigidaire,àlamaison,ilyatoujoursunepetiteflaqued’eaufétide.Touslesmatins,Papal’essuieavecuneépongedésinfectante.Maisàlafindelajournée,ilyadenouveaudel’eauquisuinte.L’humiditécommenceàdéformerlesplinthesdebois.Unenuitoùjen’arrivaispasàdormir,j’aivutroiscafardsquiontdéguerpidelàquandj’aiallumélalumière.Lelendemain,Papaaachetédespiègesdegluqu’iladissimuléssousunepeaudebanane.Maisnousn’avonsjamaisattrapéunseulcafard.

Papaditquej’aidesvisions.

Mêmequandj’étaistoutepetite,jereconnaissaislessignes,lespapillonsquisedesséchaientdanslespotsdeconfiture,lelapindeCalquidévoraitsespropresenfants.

Ilyaunefilledemaclassequis’estfaitécraserentombantdecheval.Etpuisuntaxiarenversélefilsdumarchanddelégumes.Ensuite,mononcleBillaeuunetumeuraucerveau.Touslessandwichesdelaréceptionaprèssonenterrementavaientlesbordsracornis.Etpendantdesjours,jen’aipaspuenleverlabouedelatombequicollaitàmeschaussures.

Quandj’airemarquélesbleusquej’avaisdansledos,Papam’aemmenéechezlemédecin.Quiaditquecen’étaitpasnormalquejesoissifatiguée.Quiaditaussiuntasd’autreschoses.Lesoir,lesbranchestapaientsurmafenêtrecommesilesarbresvoulaientpénétrerdansmachambre.Jesuiscernée.Jelesais.

Papaarrive,s’accroupitprèsdemachaise,prendmonmentond’unemainetm’obligeàleregarderenface.Ilal’airplustristequejamais.

«Tuvasbien?»

Jesaisqu’ilparledemasantéetluifaissignequeoui.Jeneluiparlepasdesaraignéesquiprospèrentsurleborddelafenêtre.

PapaserelèveetsetourneversShirley.

«Mafilleadesproblèmesdesanté.

—

Ellem’enaparlé.

—

Etçanechangerien,pourvous.Êtes-vousinsensibleàcepoint?

—

Votrefilleaétésurpriseentraindecamouflerdesarticlesavecl’intentiondequitterlemagasinsanslespayer,soupireShirley.

—

Commentsavez-vousqu’ellen’allaitpaslespayer?

—

Ellelesavaitcachéssurelle.

—

Maisellen’apasquittélemagasin.

—

L’intentiondevolerestundélitensoi.Àcestade,nouspouvonsnouscontenterdedonnerunavertissementàvotrefillecarnousn’avonsjamaiseuaffaireàelleetjenesuispasobligéed’appelerlapolice.Àconditiondevouslaconfierpersonnellement.Etàconditiond’êtrecertainequevousnepreniezpascetépisodeàlalégère.»

Papalaregardecommesielleluiposaitunequestiontrèsdifficileetqu’ilavaitbesoinderéfléchiravantderépondre.

«D’accord,dit-ilenm’aidantàmerelever.

—

Nousnouscomprenonsbien,n’est-cepas?ditShirleyenselevantàsontour.

—

Excusez-moi,répondPapa,troublé.Dois-jevousdonnerdel’argentouquelquechose?

—

Del’argent?

—

Pourcequ’elleapris.

—

Non,non.

—

Jepeuxlarameneràlamaison,alors?

—

Vousluiferezcomprendrelagravitédecetincident?»

Papasetourneversmoi.Ilmeparlelentementcommesij’étaisdevenuesoudainstupide:

«Enfiletonblouson,Tessa,ilfaitfroiddehors.»

Àlamaison,j’aiàpeineletempsdedescendredevoiturequ’ilmebousculejusqu’àlaported’entrée,mepoussedanslesalon.

«Allez,assieds-toi!»

Jememetssurlecanapé,luidanslefauteuilenfacedemoi.Ilestencoreplustenduquedanslemagasin.Ilal’airoppressé,accablé,commes’iln’avaitpasdormidepuisdessemainesetétaitprêtàtout.

«Maisqu’est-cequetufabriques,Tessa?

—

Rien.

—

Rien!Volerdansunmagasin,tuappellesçarien!Tudisparaistoutl’après-midisansmelaisserunmotouquoiquecesoit,ettutrouvesçanormal?»

Ilserrelesbrasautourdesapoitrinecommes’ilavaitfroidetnousrestonsplantéslà.Onn’entendqueletic-tacduréveil.Jetripoteundesesmagazinesd’automobiles,poséprèsdemoisurlatablebasse,plieetreplieentrianglelecoindelacouverture,enattendantqu’ilsepassequelquechose.

Quandilsemetàparler,c’estaveccirconspection,prenantgrandsoind’employerlesmotsjustes.

«Ilyacertainesrèglesqu’onpeutassouplirpourtoi,Tessa.Certaineschosesquetupeuxfaire.Maisd’autresquetun’obtiendrasjamais,mêmesituenasterriblementenvie.»

Jememetsàrire.Ondiraitunverrequisecasseentombantdetrèshaut.Celam’étonnemoi-même,autantquemesurprendreàplierlemagazinedePapaendeuxetàenarracherlacouverture:unevoiturerougeetunejoliefilleauxdentsblanches.

Jelarouleenbouleetlajetteparterre.Puisjedéchiresystématiquementtoutlemagazine,pageparpage,quejeclaquebruyammentsurlatablebasse,jusqu’àcequetoutsoitdéchiquetéentrenousdeux.

Papaetmoifixonsleslambeauxdepapier,jecherchemarespiration,siseulementilpouvaitsepasserquelquechose,quelquechosedemonstrueux,uneéruptiondevolcandanslejardin,parexemple.Mais

riennesurvient,Papasecontentedeserrerlesbrasencoreplusétroitementautourdelui,cequ’ilfaittoujoursquandilestbouleversé:onn’obtientjamaisriend’autredeluiquecettesortedevide,commes’ilétaitanéanti.

«Queva-t-ilsepasser,Tessa,finit-ilpardire,situlaisseslacolèret’envahir?Queva-t-ellefairedetoi?Querestera-t-ildetoi?»

Jenerépondsrien.Jemecontentederegarderlalumièreobliquedelalamperaserlecanapéavantd’éclabousserlamoquetteetdesefigeràmespieds.

Dix-neuf

Ilyaunoiseaumortsurlapelouse,unoiseauauxpattesfinescommedespiquesdecocktail.Jeleregarde,étenduesurunechaiselonguesouslepommier.

«Jetejurequ’ilvientdebouger»,dis-jeàCalentraindejonglerprèsdemoi.

Ils’interromptetsepenchepourvoir.

«Cesontlesasticots.Ilfaitsichaud,àl’intérieurd’uncadavre,queceuxquisontaumilieudoiventvenirdetempsentempssurlesbordspourserafraîchir.

—

Commenttusaisdeschosespareilles,toi?

—

Internet»,répond-ilenhaussantlesépaules.

Duboutdupied,iltripotel’oiseaujusqu’àcequesonventresedéchire.Descentainesd’asticotstombentetsetortillentdansl’herbe,affolésparlalumière.

«Tuvois?ditCalquis’accroupitetasticotelesasticotsavecunbâton.Uncadavreestsonpropreécosystème.Danscertainesconditions,çaneprendqueneufjoursàuncorpshumainpourseréduireàl’étatdesquelette.Maisçanet’arriverapasàtoi,ajoute-t-ild’unairsongeur.

—

Non?

—

Non,ça,c’estquandlesgensontétéassassinésetabandonnésdehors.

—

Qu’est-cequivam’arriveràmoi,Cal?»

Quellequesoitsaréponse,j’ail’intuitionqu’elleserabonne,commecelled’ungrandsagequidétiendraitlavéritéuniverselle.Maisilsecontentedehausserlesépaules:

«Jevaismerenseigner,jetedirai.»

Etilpartchercherunebêchedanslaremise.

«Surveillel’oiseau»,merecommande-t-il.

Ilesttrèsbeau,cetoiseau,quandlabriseébouriffesesplumes,noiresavecunrefletbleu,commedupétrolesurlamer.Lesasticotspaniquéssontplutôtbeaux,euxaussi,grouillantdansl’herbeàlarecherchedel’oiseau,àlarecherchelesunsdesautres.

C’estalorsqu’Adamsurgitsurlapelouse.

«Salut!Commentvas-tu?»

Jemeredressesurmachaiselongue.

«Tuassautépar-dessuslaclôture?

—

Non,ilyauntrou,là-basaufond.»

Ilporteunjean,desbottes,unevestedecuir,etcachequelquechosedanssondos.

«Tiens!dit-ilenmetendantunebrasséedefeuillageentourantdesfleursorangequiressemblentàdeslanternesoudesminipotirons.

—

C’estpourmoi?

—

C’estpourtoi,oui.

—

J’essaiedenerienacquérirdenouveau»,dis-je,lecœurserré.

Ilsourit.

«Leschosesvivantes,çanecomptepeut-êtrepas.

—Amonavis,ellesdoiventcompterplus...»

Ils’assieddansl’herbeaupieddemachaiselongueetposelesfleursentrenous.

C’esthumide,parterre,ilvamouillersonfonddeculotte.Ilvaavoirfroid.Maisjeneluidispas.Pasplusquejeneluiparledesasticots.Qu’ilsrampentdanssespoches,bienfait...

Calrevientavecsoninstrument.

«Tuplantesquelquechose?luidemandeAdam.

—

Unoiseaumort,répondCalenleluidésignantd’ungeste.

—

Ah,uncorbeau.C’estvotrechattequil’aattrapé?

—

J’saispas.Jevaisl’enterrerentoutcas.»

Cals’éloigneverslahaiedufond,repèreunendroitdanslaplate-bandeetsemetàcreuser.Laterreestmollecommedelapâteàtarte.Quandlabêcheheurtedespetitscailloux,ondiraitlebruitdepascrissantsurlegravier.

«Jesuisdésolépourcequejet’aiditl’autrejour,melanceAdamentripotantdesbrinsd’herbe.

—

Net’enfaispas.

—

Jemesuismalexprimé.

—

Jet’assure,aucuneimportance.Çanevautpaslapeined’enparler.»

L’airgrave,toujoursabsorbéparsesbrinsd’herbe,évitantdemeregarder,ilhochelatête.

«Pourmoi,tuvauxlapeine.

—

Ahbon?

—

Oui.

—

Ettuvoudraisqu’onsoitamis?

—

Sitoituleveux,oui.

—

Tuessûrqueçarimeàquelquechose?»

Celam’enchantedelevoirrougir,setroubler.Papaapeut-êtreraison,lacolèremegagne.

«Oui,çarimeàquelquechose.

—

Alorstuespardonné.»

Nousnousserronslamain.Lasienneestchaude.

Calrevient,toutsale,brandissantsabêche.Ilal’aird’undétraquéquitravailleraitdanslespompesfunèbres.

«Latombeestprête»,annonce-t-il.

Adaml’aideàinstallerlecorbeausurlabêche.Ilestraideetparaîtlourd.Ondistinguebiensablessure,uneentaillesanglanteàl’arrièreducou,etsatêtedodelinedanslevidependantletrajet.Calluiparleenmarchant:

«Pauvreoiseau,ilestl’heuredetereposer,maintenant.»

Jem’enrouledanslacouvertureetmelèvepourassisteràl’opération.Undesyeuxducorbeaubrilleversnous.Ilal’airserein,presquereconnaissant,sesplumessemblents’êtreassombries.

«Est-cequ’onditquelquechose?»demandeCal.

Jepropose:

«Goodbyebird?

—

Goodbyebird,répèteCal.Aurevoir,l’oiseau.Mercid’êtrevenu.Bonnechance

!»

Illerecouvredeterremaislaissesatêtedépasser,commepourdonneraucorbeauunedernièrechancederegarderlepaysage.

«Etlesasticots?demande-t-il.

—

Quoi,lesasticots?

—

Ilsrisquentd’étouffer.

—

Faisuntroupourlaisserpasserl’air.»

L’idéeparaîtluiplaire,iljettedelaterresurlatêtedel’oiseau,tasseletoutetperceuntrouavecunbâtonpourlesasticots.

«Trouve-moidescailloux,Tess,pourqu’onfasseunedécoration.»

J’obéisetvaischercherdescailloux.AdamresteavecCal.Illuiexpliquequelescorbeauxsontdesoiseauxtrèssociables,etquetouslesamisdusienluiseronttrèsreconnaissantsdel’avoirenterréavectantdesoin.

Jecroisqu’ilessaiedem’impressionner.

Voilà:deuxcaillouxblancspresqueparfaitementronds,unecoquilled’escargot,unefeuillerouge.Uneplumegrispâle.Jelesregardedansmamain.Ilssontsijolisquejedoism’appuyercontrelaremiseetfermerlesyeux.

C’estuneerreur.Jesombreaufonddesténèbres.

Ilyadelaterresurmatête.J’aifroid.Lesverscreusentleurcheminversmoi.

Bientôtarriverontlestermitesetlescloportes.

J’essaiedepenseràdeschosespositivesmaisc’estsidurdejouerdespiedsetdesmainspourémerger.

Jerouvrelesyeux,retrouvelesgriffesrugueusesdupommier,unetoiled’araignéeauxfrémissementsargentés,lescaillouxquejeserredansmamainchaude.

Maistoutcequiestchaudvarefroidir,mesoreillesvonttomber,mesyeuxvontsedéliter,maboucheseverrouiller,meslèvresdevenirgluantes.

Adamapparaît.

«Tunetesenspasbien?»

Jemeconcentresurmarespiration.Inspirer.Expirer.Maisprendreconsciencedemarespirationaaussiuneffetnégatif.Mespoumonsvontséchercommedeséventailsenpapier.Expirer.Expirer.

Calposesamainsurmonépaule:

«Tessa!»

Aucungoût,aucuneodeur,aucuncontact.Rienàregarder.Levide.Total.À

jamais.

Calarriveencourant:

«Qu’est-cequinevapas?

—

Rien.

—

Tuasl’airbizarre.

—

J’aiunpeulevertigequandjemebaisse.

—

Tuveuxquej’appellePapa?

—

Non.

—

T’essûre?

—

Oui,oui,çava.Finislatombe,Cal.»

Jeluitendscequej’aitrouvéetilrepartencourant.Adamresteprèsdemoi.

Unmerlepasseenrase-mottessurlahaie.Lecielestpommelédegrisetderose.

Respirer.Inspirer.Inspirer.

«Qu’est-cequ’ilya?»demandeAdam.

Commentluidire?

Iltendlebrasversmoietposesamainàplatsurmondos.J’ignorecequeçasignifie.Samainestferme,ilmemassedoucementledosenpetitscercles.Ons’étaitmisd’accordpourêtreamis.C’estun

comportementamical,ça?

Sachaleurpénètreàtraverslesmaillesdelacouverture,àtraversmonblouson,monchandail,monT-shirt.Traversemapeau.Celamefaitsimalquemespenséessebrouillent.Jenesuisplusquesensations.

«Arrête.

—

Quoi?

—

Va-t’en,c’esttout!»dis-jeenlerepoussant.

Ilyauntempsd’arrêt,unsilencequirésonnecommesiquelquechosedeminusculevenaitdesecasser.

«Tuveuxquejem’enaille?

—

Oui.Etnerevienspas.»

Iltraverselapelouse,ditaurevoiràCaletrepartparletroudelaclôture.C’estcommes’iln’étaitjamaisvenu.Àpartlesfleurs,prèsdemachaiselongue,quejeramasse.Lespetitescitrouillesoranges’inclinentversmoitandisquejelestendsàCal.

«C’estpourl’oiseau.

—

Cool!»

Illesdisposesurlaterrehumideet,côteàcôte,nouscontemplonslatombe.

Vingt

Papametuneéternitéàdécouvrirquej’aidisparu.J’aimeraisbienqu’ilsedépêcheparcequ’àforcederesteraccroupie,majambegauchecommenceàs’engourdir,ilfautquejebougeavantd’avoirlagangrèneoujenesaisquoi.Jechangedeposition,attrapeunpullsurl’étagèreau-dessusdemoi,letired’unemainetm’organiseunendroitplusconfortablepourm’asseoiraumilieudeschaussures.Laporteduplacardgrince,l’espaced’uninstant.Puiss’arrête.

Laportedemachambres’ouvredoucementetPapaavanceàpasdeloupsurlamoquette.

«Tess?Tamamanestlà.Tun’aspasentenduquejet’appelais?»

Laporteduplacardestassezentrouvertepourquejepuisselireledésarroisursonvisagequandildécouvrequelaformeaumilieudulitn’estquelacouette.Illasoulèveetvérifiequejenesuispasdessouscommesij’avaispurapetisseràcepointdepuisladernièrefoisqu’ilm’avueaupetitdéjeuner.

«Merde!»dit-ilensepassantunemainsurlefront,perplexe.Ilsepencheàlafenêtrepourregarderdanslejardin.Surl’appuidefenêtre,ilyaunepommeenverrevert,souvenirdumariagedemacousine,oùj’étaisdemoiselled’honneur.J’avaisdouzeans,àl’époque,onvenaitdedécouvrircequej’avais.Jemesouviensdetouslesgensquimedisaientcommej’étaisjolieavecmonfoulardàfleursdrapésurmoncrânechauve,alorsquetouteslesautresdemoisellesd’honneuravaientdevraiesfleurspiquéesdanslescheveux.

Papaprendlapomme,l’élèvedanslalumièredumatin.Leverreestmarbrédecrèmeetdebrunquiimiteparfaitementlecœurd’unevraiepomme,aucentreduquelleverrierasoufflédespépins.Illafaittournerlentementdanssamain.J’aisisouventregardél’universàtraversceverrevert,ilyparaîtminusculeettranquille.

Jen’aimepasvoirmonpèretripotermesaffaires.IlferaitmieuxderépondreàCalquil’appelleenhurlantdubasdel’escalier:ilyaunproblèmeavecl’antennedelatélévision.Jepenseaussiqu’ildevraitdescendredireàMamanquelaseuleraisonpourlaquelleilluiademandédevenirestqu’ilvoudraitqu’ellerevienneàlamaison.

S’immiscerdansdesproblèmesdedisciplineétantcontraireàtouslesprincipesdeMaman,iln’attendsûrementaucunecoopérationdesapart,encedomaine.

Ilreposelapomme,s’arrêtedevantmabibliothèque,passeundoigtsurledosdeslivres,commesurdestouchesdepiano,regardel’étagèredemesCD,ensortun,litlapochette,leremetenplace.

«Papa,crieCal.L’imageestcomplètementfloueetMamann’yconnaîtrien!»

Papasoupire,sedirigeverslaportesanspouvoirs’empêcherderetaperlacouetteaupassage.Ilenprofitepourlirecequej’aiécritsurlemur:lalistedetoutcequivamemanquer,detoutesleschosesquejeveux.Ilhochelatête,sepenchepourramasserunT-shirtparterre,leplieetlemetsurmonoreiller.C’estalorsqu’ilremarquequeletiroirdematabledenuitestentrouvert.

Calserapproche:

«Jevaisratertoutemonémission!

—

Descends,Cal!J’arrivetoutdesuite.»

MaisPaparestelà,s’assiedsurleborddulit,glisseundoigtpourouvrirpluslargementletiroir.C’estlàquejerangelespagesetlespagesquej’aiécritesàproposdemaliste.Mesréflexionssurlesquatreobjectifsquej’aidéjàatteints-sexe,ouiàtout,drogue,délits-etmesprojetspourlasuite.Ilvaflippergraves’illitcequej’ail’intentiond’entreprendreaujourd’hui,leplannumérocinq.J’entendslefroissementdelaliassedepapiers,lebruitdel’élastiquequ’ilretire.J’essaiedifficilementdemerelever,avecl’idéedebondirhorsduplacardetdeleplaquerausol,maisCalmesauveenfaisantirruption.Paparepoussemaladroitementmespapiersdansletiroirqu’ilrefermeenclaquant.

«Jenepeuxpasavoirlapaix,detempsentemps?Neserait-cequecinqminutes?

—TufouillaisdanslesaffairesdeTessa?

—

Çaneteregardepas,quejesache!

—

Çameregarderasijeluiraconte.

—

Oh,pourl’amourduCiel,laisse-moitranquille!»

Papadescendlourdementl’escalier,Calsurlestalons.

Jerampehorsduplacardetmefrottelesjambespourrétablirlacirculation.Jesensuncaillotdesangàlahauteurdemongenouetj’aiunpiedcomplètementendormi.

Jeboitillejusqu’àmonlitetmelaissetomberdessusjusteaumomentoùCalrevient.

Ilmeregarde,stupéfait.

«Papaaditquetun’étaispaslà.

—

Jenesuispaslà.

—

Si,tueslà!

—

Chut,neparlepassifort.Oùest-ilallé?

—

IlestàlacuisineavecMaman,grogneCal.Jeledéteste.Ilvientdemedirequej’étaischiant,quej’aillemefairefoutre,tuterendscompte?

—

Est-cequ’ilsparlentdemoi?

—

Oui,etilsveulentmêmepasquejeregardelatélé.»

Nousdescendonsl’escalieràpasdeloupetnouspenchonspar-dessuslarampe.

Perchémaladroitementsurunhauttabouretaumilieudelacuisine,Papafarfouilledanslapochedesonpantalonàlarecherchedesescigarettesetdesonbriquet.

Adosséeauréfrigérateur,Mamanleregarde.

«Quandas-turecommencéàfumer?»demande-t-elleenluipassantuncendrier.

Enjean,lescheveuxattachésenarrière,saufquelquesmèchesfollesquiencadrentsonvisage,elleparaîtjeuneetjolie.

Papaallumesaclopeetenvoieunnuagedefuméeverselle.

«Jesuisdésolé,j’ail’aird’avoirtrouvéunfauxprétextepourtefairevenir.»

Ils’arrête,embarrassé,commes’ilnesavaitpasquoidireensuite,etreprend:

«Jemedemandaisjustesitunepouvaispaslaraisonnerunpeu.

—

Oùpenses-tuqu’ellesoitalléeaujourd’hui?

—

Laconnaissant,elledoitêtreenrouteversl’aéroport.»

Mamansemetàrire,cequiluidonnel’airétonnammentplusvivantequePapa,d’unecertainefaçon.Illuirépondavecunsourireamer,ensepassantlamaindanslescheveux.

«Jesuiséreinté.

—

Jevois,oui.

—

Onnesaitjamaisoùonenest,avecelle.Tantôt,ellenesupportepersonneautourd’elle,tantôtilnefautpaslaquitterpendantdesheures.Elleresteenferméeàlamaisonplusieursjoursd’affilée,puisdisparaîtaumomentoùjem’yattendslemoins.Safoutuelistemerenddingue.

—

Tusais,laguérirseraitlaseulechoseàfairepourelle,maisça,personnenelepeut.

—Jenesaispascombiendetempsjepourraiencoreyarrivertoutseul,ditPapaenlaregardantintensément.Certainsmatins,j’arriveàpeineàouvrirlesyeux.

—

Sijeluicrachaisdessus?chuchoteCalenmepoussantducoude.

—

Ouais.Visesoncendrier.»

Ilrassemblesasaliveetl’envoieleplusloinqu’ilpeutmaisratesonbut.Elleatteintàpeinelaportedelacuisine,unegrandepartieglisselelongdesonmentonetsurletapisducouloir.

Jerouledesgrosyeuxetluifaissignedemesuivre:nousremontonsdansmachambre.

«Assieds-toiparterrepourcoincerlaporte,luidis-je.Metstesmainssurtesyeuxetnelaissepersonneentrer.

—

Qu’est-cequetuvasfaire?

—

M’habiller.

—

Etaprès?»

Jeretiremonpyjama,choisismonplusjolislipetenfilelarobeensoiequej’aiachetéedansmontripshoppingavecCal.Jemefrottelespiedspoureffacerlestracesd’aiguillesetdepiqûresetmetsmessandalesàlanières.

«TuveuxvoirmonMegazord?proposeCal.Ilfautquetuviennesdansmachambreparcequ’ildéfendunevilleet,sijelebouge,tousleshabitantsvontmourir.»

J’attrapemonmanteausurledossierdelachaise.

«Enfait,jesuisunpeupressée,maintenant.»

Ilécartelégèrementlesdoigtspourmeregarder.

«C’esttarobed’aventurière,ça!

—

Ouais.»

Ilselèveenmaintenanttoujourslaportebloquée.

«Jepeuxveniravectoi?

—

Non.

—

S’ilteplaît!J’enaimarred’êtreici!

—

Non.»

Jelaissemonportableparcequ’onpeutrepéreroùvousêtes,aveccetruc-là,etjefourrelespapiersdemontiroirdansmapoche.Jelesjetteraiquelquepartdansunepoubelle.Tuvois,Papa,commeleschosesdisparaissentsoustonnez...

Avantdel’expédierenbas,jesoudoieCal.Quisaitparfaitementcombiend’accessoiresdemagicienonpeuts’acheteravecunbilletd’unelivreetpigetrèsvitequ’ilseraitrayédemontestamentsijamaisilcafardait.

J’attendsqu’ilsoitdescendu,avantdeluiemboîterlentementlepas.Jemarqueunepausesurlepalier,passeulementpourreprendremonsouffle,maispouradmirerparlafenêtrel’étenduedugazon,frotterundoigtcontrelemur,caresserunbarreaudelarampe,sourireauxphotosenhautdel’escalier.

Alacuisine,Cals’estaccroupienfacedesparentsetlesregardetranquillement.

«Tuveuxquelquechose?demandePapa.

—

Jeveuxécouter.

—

Désolé,maisc’estuneconversationentregrandespersonnes.

—

Alorsjevoudraisquelquechoseàmanger.

—

Tuviensd’avalerundemi-paquetdebiscuits.

—

J’aiduchewing-gum,proposeMamanenlesortantdesapoche.Tuenveux?»

Calenfournelechewing-gumdanssabouche,mâchonnepensivementetfinitpardire:

«QuandTessaseramorte,onpourrapartirenvacances?

—

Tun’aspashontededireunechosepareille!ditPapa,l’airenmêmetempsstupéfaitethargneux.

—

JenemesouviensmêmepasduvoyageenEspagne.C’estlaseulefoisquej’aiprisl’avionetc’étaitilyasilongtempsqueçapourraitaussibienn’êtrejamaisarrivé.

—

Çasuffit!»

PapaselèvemaisMamanl’arrête.

«Laisse-leparler!Tessaestmaladedepuistrèslongtemps.Parfois,tudoistesentirunpeuabandonné,Cal.C’estça?

—

Ouais,répondCalavecunlargesourire.Ilyadesmatinsoùjepeuxàpeineouvrirlesyeux.»

Vingtetun

Zoeyvientm’ouvrir,lescheveuxébouriffés,danslamêmetenuequeladernièrefoisquejel’aivue.

«Jet’emmèneauborddelamer?»dis-jeenfaisantdanserlesclefsdelavoituresoussesyeux.

Ellerepèrepar-dessusmonépaulelavoituredePapa.

«Tuesvenuejusqu’icitouteseule?

—

Ouais.

—

Jecroyaisquetunesavaispasconduire!

—

Maintenant,jesais.C’estlenumérocinqdemaliste.»

Zoeyfroncelessourcils:

«Tuasprisdesleçons?

—

Enquelquesorte,oui...Jepeuxentrer?»

LamaisondesparentsdeZoeyesttoujoursétonnammentimpeccable,unevraiephotodecatalogue.Ilstravaillenttellementtouslesdeuxquej’imaginequ’ilsontrarementl’occasiondemettredudésordrechezeux.JesuisZoeyausalon,m’installesurlecanapé.Ellesecampedansunfauteuilfaceàmoi,brascroisés.

«Donc,tonpèret’auraitprêtésavoiture,c’estça?Alorsquetun’espasassuréeetquec’estcomplètementillégal?

—

Ilnesaitpasvraimentquejelaluiaiempruntéemaisjeconduistrèsbien,tuverras.Jepourraispassermonpermissij’avaisl’âge.»

Ellehochelatête,l’airdesedemandercommentjepeuxêtresistupide.Elledevraitêtrefièredemoi,pourtant.JesuispartiesansquePapaleremarque.J’aipenséàregarderdanslesrétroviseursavantdemettrelecontact,dedébrayer,depasserenpremière,d’embrayeretd’accélérer.J’aifaittroisfoisletourdupâtédemaisonsennecalantquedeuxfois,monrecordabsolujusqu’àprésent.J’aitournicotéunpeudanslequartieretsuismêmepasséeentroisièmesurlaroutequimènechezZoey.Etmaintenant,elleest

lààmetoisersévèrementcommesitoutçan’étaitqu’uneformidableerreur.

Jemelèveetremontelafermeturedemonblouson.

«Tusaisquoi?Jemesuisditquesij’arrivaisjusquecheztoisansaccident,laseuledifficulté,après,seraitlarouteàquatrevoies.Ilnem’estpasvenuàl’espritquetuseraisunetelleemmerdeuse.»

Ellelabourelamoquetteavecsonpied,commepourgommerquelquechose.

«Désolée.C’estjustequejesuistrèsoccupée.

—

Àfairequoi?

—

Cen’estpasparcequetoitueslibrequetoutlemondel’est,figure-toi!»

Unesortedecertitudemonteenmoitandisquejelaregarde:enfait,jenel’aimepasdutout,c’estclair.

«OK.Laissetomber.Jecontinueraimalistetouteseule.»

Elleselève,secouesesstupidescheveuxblonds,prendl’airoffensée.Çamarchepeut-êtreaveclesgarçons,soncinéma,maispasavecmoi.

«Jen’aijamaisditquejeneviendraispas!»

Maiselleenamarredemoi,c’estévident.Ellen’aqu’uneenvie:quejemedépêchedemourir,pourpouvoirpoursuivresapetitevietranquillement.

«Non,non,restecheztoi!Detoutefaçon,leschosestournenttoujoursmalquandtuesdanslesecteur.

—

Cen’estpasvrai!»proteste-t-elleenmesuivantdansl’entrée.

Jehausseleton:

«Si,c’estvrai.Çatournemalpourmoi,jeprécise.Tun’aspasremarquéquec’esttoujoursmoiquitrinquequandçafoire?Jamaistoi?

—

Quand?Quandest-cequec’estarrivé?

—

Toutletemps.Jemedemandeparfoissicen’estpaspourçaqu’onestamies,pourquetupuissescontinueràjouerlebeaurôle.

—

Arrête!Tunepeuxpascesserdepenseràtoineserait-cequ’uneminute?

—

Laferme!dis-je,etc’estsijouissifquejelerépète.

—

Ferme-latoi-même»,répond-ellemais,bizarrement,savoixn’estplusqu’unmurmure.Elles’éloigneunpeu,s’arrêtecommepourdirequelquechose,yrenonce,toutcomptefait,etmontel’escalier.

Jenelasuispas.Jeresteunmomentdansl’entrée,conscientedel’épaisseurdelamoquettesousmespieds.Dutic-tacdel’horloge.Jecomptesoixantesecondes,vaisdanslesalonetallumelatélévision.Jeregardeuncoursdejardinagependantseptminutes.Apprendsque,dansuncoinensoleillé,bienexposéausud,onpeutfairepousserdesabricotsmêmeenAngleterre.Etpuis,leronronnementdelavoixidiotedutype,seshistoiresdepuceronsetd’araignéesrougescommencentàm’ennuyer.

J’envoieuntextoàZoey:désolée.

Jevérifieparlafenêtresilavoitureesttoujoursbienlà.Ellel’est.Leciels’estassombri,lesnuages,couleurdesoufre,volentvraimenttrèsbas.Jen’aijamaisconduitsouslapluie,c’estennuyeux,ça.Onétaitmieuxenoctobre.Ilfaisaitchaud,commesilaplanèteavaitoubliéquec’étaitletourdel’automne.Jemerappelleavoirregardélesfeuillestomberparlafenêtredel’hôpital.

Zoeyrépond:moioci.

Elledescendmerejoindreausalon.Elleamisunerobeturquoiseetuntasdebraceletsquiserpententsursonbrasettintentlorsqu’ellesepenchepourm’embrasser.Ellesentbon.Jemepenchesursonépauleetellemeposeunbaisersurlesommetducrâne.

Quandjedémarreetcaleimmédiatement,elleéclatederire.Jereparset,toutencahotantlelongdelarue,jeluiracontequePapam’adonnécinqleçonsmaisque,aveclui,jen’ysuisjamaisarrivée.Jem’emmêlaislespieds,neparvenaisjamaisàreleverdoucementlapédaled’embrayagetoutenappuyantaussidélicatementsurl’accélérateur.

«Là!Tuyes!criait-il.Tusenslepointcritique?»

Jenesentaisriendutout,mêmeenenlevantmeschaussures.

Ons’estlasséstouslesdeux.Lesséancess’écourtaientchaquefois,etpuisonn’amêmeplusessayé,etnil’unnil’autren’enavonsplusjamaisparlé.

«Jenepensepasqu’ils’aperçoivequelavoitureadisparuavantledéjeuner.Etquandbienmême,quepourrait-ilfaire?Tumel’asdittoi-mêmel’autrejour:j’échappeauxrègles.

—

Tuesunevéritablehéroïne,dit-elle.Tuesfantastique!»

Etnousrionscommeaubonvieuxtemps.J’avaisoubliéàquelpointj’aimerireavecZoey.ContrairementàPapa,ellenecritiquepasmafaçondeconduire.Ellen’estpasaffoléequandjepasseentroisièmeouquandj’oubliedesignalerquejetourneàgaucheauboutdesarue.Maconduiteestbienmeilleureavecelleàmescôtés.

«Cen’estpassimal,ilaquandmêmeréussiàt’apprendrequelquechose,tonpère.

—

J’adoreça.Tuimaginescequeceseraitamusantdesebaladerdanstoutel’Europe?Tupourraisprendreuneannéesabbatiquepourveniravecmoi.

—

Non,jen’aipasenvie,répond-elleenprenantunecarte.

—

Onn’apasbesoindecarte.

—

Pourquoipas?

—

Imagineçacommeunroadmovie.

—

Quelleconnerie!»dit-elle,etelletapedudoigtsurlepare-brise.

Unebandedegarçonsenbécanebloquelarouteunpeuplusloin.Ilsontrelevéleurcapuchepourfumeràl’abriduvent.Lecielestd’unecouleurvraimentbizarre,iln’yapresquepersonned’autreenvue.Jeralentis.

«Qu’est-cequejefais?

—

Marchearrière,conseilleZoey.Ilsnevontsûrementpasbouger.»

Jedescendsmafenêtre:

«Hé!Vousvousmaniezlecul,oui?»

Ilsseretournentnonchalamment,s’écartentparesseusementetsourientquandjeleurenvoiedesbaisersaupassage.Zoeysemblemédusée:

«Qu’est-cequit’apris?

—

Rien.Jenesaispasfairemarchearrière,c’esttout.»

Surlagrand-rue,noussommesbloquéesdanslesembouteillagesetjecapteparlafenêtredesbribesdelaviedesautres.Unbébépleure,ficelésursonsiège,unhommepianoted’énervementsursonvolant.Unefemmesegrattelenez.Unenfantnousfaitunsignedelamain.

«C’estétonnant,tunetrouvespas?

—

Quoi?

—

Jesuismoi,tuestoi,ettouscesgenssonteux.Noussommestousdifférentsmaistousaussiinsignifiants.

—

Parlepourtoi,disdonc!

—

C’estvrai.Tun’ypensesjamaisenteregardantdanslaglace?Tunet’imaginesjamaisentêtedemort?

—

Àvraidire,non,jamais.

—

Jen’aijamaisretenulatabledeseptnilatabledehuit,jedétestelabetteraveetlecéleri.Toi,tun’aimespastonacnénitesjambes,etalors?Quelleimportanceçaa,finalement,danslegrandschémadel’existence?

—

Ferme-la,Tessa!Arrêteavectesidéesàlacon.»

Jelaferme.Maisdansmatête,jesaisquej’aiunehaleinequisentlamenthedemondentifriceetquelasienneestaigreparcequ’ellefume.J’aiuncancer.Sesparentsàelleviventensemble.Quandjemesuislevéecematin,mesdrapsétaienttrempésdesueur.Jesuisentraindeconduire.C’estmonvisagequisereflètedanslerétroviseur,monsourire,mesosqu’onvabrûlerouenterrer.Ceseramamort.PascelledeZoey.Lamienne.Etpourunefois,ypensern’estpassidouloureux.

Nousneparlonspas.Elleregardeobstinémentparlafenêtreetc’estmoiquiconduis.Horsdelaville,

surlarouteàquatrevoies.Lecielnoircitdeplusenplus.

C’estgénial.

Maisfinalement,Zoeyrecommenceàrâler.

«Cequetupeuxconduiremal!J’aimalaucœur.Pourquoiest-cequ’onn’arrivenullepart?

—

Parcequejeneregardepaslespanneauxdesignalisation.

—

Etpourquoi?Jeveuxallerquelquepart,moi!

—

OK!D’accord»,dis-jeenappuyantàfondsurl’accélérateur.

Zoeys’arc-boutedesdeuxmainsautableaudebordetglapit:

«Ralentis,merde,quoi!Tusaisàpeineconduire!»

Cinquante.Soixante.Quellepuissanceentremesmains.

«Ralentis!Ilyaeuuncoupdetonnerre!»

Lapluieéclabousselepare-brise,toutparaîtflouetbrillantàtraversleprismedesgouttessurleverre.Ondiraitdel’électricité,plusquedel’eau.Jecomptesilencieusementlessecondesquiséparentleséclairs.

«L’orageestàunkilomètre,dis-jeàZoey.

—

Range-toi.

—

Pourquoifaire?»

Lapluieruisselledutoit,maintenant,etjenetrouvepasl’essuie-glace.Jecafouille,tripoteleslumières,leklaxon,lecontact.J’oubliequelavoitureestenquatrième,etcaleimmédiatement.

«Pasici!hurleZoey.Noussommessurunerouteàquatrevoies.Tuveuxmourir?

»

Jepasseaupointmort.Jen’aiabsolumentpaspeur.Desvaguesdepluiebalayentlepare-brise,derrière

nouslesvoituresfontdesappelsdephare,klaxonnentennousdépassant,mais,trèscalmement,jeregardedanslerétroviseur,metslecontact,passeenpremièreetdémarre.Jedénichemêmel’essuie-glace,passeenseconde,puisentroisième.

Zoeyestvertedepeur.

«Tuescinglée?Passe-moilevolant!

—

Tun’espasassurée.

—

Toinonplus!»

L’orageestdeplusenplusviolent,iln’yaplusaucundécalageentreéclairsettonnerre.Lesautresautomobilistessemettentencodebienqu’onsoitenpleinjour.

Maismoi,jenesaispascommentonfait.

«S’ilteplaît,range-toi!supplieZoey.S’ilteplaît.

—

Onestensécurité,là-dedans.Çaadespneusdecaoutchouc,lesvoitures.

—

Ralentis!crie-t-elle.Onvaavoirunaccident.Tun’asjamaisentenduparlerdesdistancesàrespecter?»

Non.Enrevanche,j’aidécouvertunecinquièmevitessedontj’ignoraismêmel’existence.Nousroulonsnettementplusvitemaintenantetlecielestzébréd’éclairsenzigzag.C’estlapremièrefoisquej’envoisd’aussirapprochéslesunsdesautres.

QuandnoussommesallésenEspagneavecPapa,unsoirilyaeuunoragedechaleursurlamer,onl’aregardédubalcondenotrechambred’hôtel.Maisiln’avaitpasl’airvrai,onauraitditunspectacleorganisépourtouristes.Celui-ciclaquejusteau-dessusdenostêtes.C’estsomptueux.

Pourmoi,entoutcas.Zoey,elle,estrecroquevilléedetrouillesursonsiège.

«C’estenmétal,unevoiture,braille-t-elle.Onpeutêtreélectrocutéesd’uneminuteàl’autre.Range-toisurlebas-côté.Arrête-toi.»

Jesuisdésolée,maisàproposdelafoudre,elleatort.

«Là!Arrête-toilà,ilyaunestation-service.Arrête-toi,oujemejetteparlaportière.»

Commej’aienviedechocolat,j’obtempère.Nousroulonsunpeutropvitemaisj’arriveàdénicherle

freinàmain.Aprèsuneglissadethéâtraleàl’entrée,nousfinissonsparnousarrêterprèsdespompesàessence,sousl’éclairagefluorescentdesnéons.Zoeyfermelesyeux.Bizarre,moi,jepréféreraistellementêtredehorssurlaroute,lesyeuxgrandsouverts.

«Aquoitujoues?persifle-t-elle.Tuasfaillinoustuertouteslesdeux!»

Ellesortdelavoiture,claquelaportièreetsedirigeverslaboutique.J’envisagel’espaced’uninstantdepartirsansellemais,avantquej’aieletempsd’yréfléchirvraiment,ellerevientetouvremaportière.Elleachangéd’odeur,sentl’airfrisquet,etretiredesabouchelamèchedecheveuxqu’ellemâchouillait.

«Jen’aipasd’argent.Ilmefautdescigarettes.»Jeluipassemonsac.Jemesenstrèsheureuse,toutàcoup.

«Tupeuxm’acheterduchocolatpendantquetuyes?

—Jefumeunecigarette,jevaisauxtoilettes,etquandjereviens,tumelaissesconduire,d’accord?»Elleclaquelaporteetrepart.Ilpleutàverseetcelam’attendritdelavoirserecroquevillersouscedélugeetsursauterquandl’oragetonnedenouveau.C’estlapremièrefoisquejelavoisterroriséecommeçaetj’éprouveunsoudainéland'amourpourelle.Ellenesaitpasaffronterlapeur.Ellen’apasl’habitude.Alorsquelemondeentierpourraitexploser,moi,çanem’effraieraitpas.Uneavalancheauprochaincarrefour,unepluienoire,uneinvasiondesauterellessortantdelaboîteàgants,peum’importe...PauvreZoey.Jelaregardeacheterinnocemmentdesbonbonsetdescigarettesdanslastation-service.D’accord,jevaislalaisserconduire.Maisseulementparcequejechoisisdelefaire.Ellen’aplusdepouvoirsurmoi,désormais.Jel’aidépassée.

Vingt-deux

Quatreheuresvingt,lamerestgrise.Lecielaussi,maisunpeupluslumineuxetmoinsmouvementé.Lamer,elle,medonnelevertige:cemouvementsansfin.Cemouvementquenuln’estcapabled’interrompre.

«C’estdingued’êtreici,ditZoey.Commentai-jepumelaisserpersuader?»

Noussommessurunbanc,surlefrontdemer.L’endroitestquasidésert.Là-bastrèsloinsurlaplage,unchienaboiedevantlesvagues.Sonmaîtreestlepluspetitpointquel’ondiscerneàl’horizon.

«Autrefois,jevenaistouslesétésici.AvantqueMamans’enaille.Avantquejesoismalade.Onallaittoujoursàl’hôtelCrosskeys.Aprèslepetitdéjeuner,ondescendaitsurlaplageetonypassaittoutelajournée.Toutelajournée,touslesjours,pendantquinzejours.

—

Cedevaitêtred’unegaieté,youpi!ditZoeyquis’affalesurlebancenresserrantsonmanteau.

—Onneremontaitmêmepasàl’hôtelpourdéjeuner.Papafaisaitdessandwicheset,enguisededessert,ilachetaitdespaquetsd’AngelDelight3qu’ilbattaitavecdulaitdansdesboîtesTupperware.Lecliquetisdelafourchettecontrelesparoisdubolparaissaitsibizarreaumilieudescrisdesmouettesetduclapotisdesvagues.»

Zoeyscrutemonvisaged’unlongregardappuyé:«Tun’aspasoubliédeprendreundetesmédicaments,aujourd’hui?

—

Non.Viens,jevaistemontrerl’hôteloùnousallions.»

Nousmarchonslelongdeladigue.Au-dessous,laplageestcouvertedeseiches.

Ellessontépaissesettoutesbalafrées,commesichaquemaréelesavaitprojetéeslesunescontrelesautres.Jeplaisanteenproposantd’enramasseretdelesvendreàuneboutiqued’animaux,pourlesperruches.Maisc’estquandmêmeétonnant.Jenemerappellepasavoirjamaisvuceladutempsoùnousvenionsici.

«Peut-êtrequeçan’arrivequ’enautomne,ditZoey.Oualors,c’estàcausedelapollution.Toutecetteplanètedefousestentraindecrever.Estime-toiheureused’êtresortiedelà!»

Puiselleannoncequ’elleabesoindefairepipi,descendsurlaplageets’accroupit.

Jen’enrevienspas.Iln’yaquasimentpersonneenvuemaisd’habitudeellefaitspécialementattentionàcequepersonnenelavoie.L’urinecreuseunpetittroudanslesable,puisdisparaîtenfumant.EtZoeyaunealluretrèsprimitivelorsqu’elleserelèveetvientmerejoindre.

Côteàcôte,nouscontemplonslamer,l’assautdesvaguesquidéferlent,sebrisentetseretirent.

«Jesuiscontentequetusoismonamie,Zoey»,dis-jeenserranttrèsfortsamaindanslamienne.

Nouslongeonsleport.Sijeluiparlaisd’Adam,delaviréeenmoto,decequis’est3Dessertenpoudrepourenfants.

passésurlacolline?Non,c’esttropdifficile,etd’ailleursjen’aipasvraimentenvied’enparler.Jepréfèreplongerdansmessouvenirs.Toutm’estsifamilier,ici,labaraquedumarchanddesouvenirs,lesseaux,lespelles,lestourniquetsdecartespostales,lesmursblanchisàlachauxdupetitsalondethé,etsonenseigne,uncornetdeglacerosegéantquiétincelaitausoleil.Jeretrouvemêmed’instinctleraccourciqu’onprenaitpourallerduportàl’hôtel.

«Celaparaîtdifférent,dis-jeàZoey.Autrefois,toutétaitplusgrand.

—

Maisonestbienaubonendroit?

—

Ouais.

—

Parfait,onpeutrepartir,alors?»

J’ouvreleportillon,m’engagesurlesentierquivaversl’hôtel.

«Jemedemandes’ilsmelaisseraientregardernotrechambre.

—

MonDieu!»gémitZoeyenselaissanttombersurlemuretpourattendre.

Unedameentredeuxâgesvientnousouvrir.Elleestgrosse,gentilleetporteuntablier.Jenemesouvienspasd’elle.Jeluiexpliquequejevenaisiciquandj’étaispetite,qu’onprenaittoujourslamêmechambreavecleslitsd’enfantsetqu’onrestaitquinzejourschaqueété.

<<Etvouscherchezunechambrepourcettenuit?»

Àdirevrai,celanem’avaitpastraversél’espritmaisquellemerveilleuseidée!

«Onpeutavoirlamême?»

Zoeyselève,m’agrippeparlebrasetmeforceàmeretourner:

«Qu’est-cequetufous,àlafin?

—

Jeprendsunechambre.

—

Maisjenepeuxpasresterici!J’aicours,moi,demain.

—

Tuenastoujours,descours.Etdesdemain,ilt’enresteplein.»

Apparemmentc’estassezéloquentpourluifermerleclapet.Elleretournes’asseoirsursonmur,etregardeleciel.

«Excusez-la,madame.»

Maisl’hôtelière,trèssympa,nesemblepassoupçonnerquoiquecesoit.Peut-êtreai-jel’aird’avoircinquanteans,aujourd’hui,peut-êtreprend-elleZoeypourmafille,uneadoinsupportable.

«Ilyaunlitàbaldaquindanscettechambre,maintenant,maiselleatoujourssasalledebainsséparée.

—

Trèsbien.Onlaprend.»

Nouslasuivonsdansl’escalier.Sonénormederrièreoscilleaurythmedesespas.

Jemedemandeàquoiçaressembleraitdel’avoirpourmère.

«Voilà,dit-elleenouvrantlaporte.Vousallezlatrouverchangée,nousavonscomplètementrenouveléladécoration.»

Eneffet.Untrèshautlitàbaldaquinancien,tapissédeviolet,envahitlapièce.

«Nousavonsbeaucoupdejeunesmariésenvoyagedenoces,explique-t-elle.

—

Fantastique!»grogneZoey.

Jenereconnaispaslachambreensoleilléedanslaquellenousnousréveillionstouslesmatins.Leslitsdecampontdisparu,remplacésparunetableoùsontdisposésunebouilloireetunserviceàthé.Maisilrestelamêmefenêtrearrondie,lesmêmespenderieslelongdumur.

«Jevouslaisse»,ditnotrehôtesse.

Zoeyenlèveseschaussuresetgrimpesurlelit.

«Jetesignalequeleprixdelanuitestdesoixante-dixlivres.Tuasassezd’argent

?

—

Justement,j’allaisvérifier.

—

Tuesfolle!

—

Non,dis-jeenmontantprèsd’ellesurlelit.Maissijet’explique,çavapeut-

êtreteparaîtreidiot.

—

Essaietoujours!»

Alorsjeluiracontenotredernierétéici.PapaetMamansedisputaientdeplusenplus.Unbeaumatin,aupetitdéjeuner,Mamanarefusédemanger:elleenavaitmarredessaucissesetdestomatesenboîte,d’ailleursceseraitbeaucoupmoinscherd’alleràBenidorm.

«Ehbien,vas-y!ditPapa.Tunousenverrasunecartepostaledelà-bas.»

Mamanm’apriseparlamainetnoussommesremontéesdanslachambre.

«Sionsecachait,m’a-t-elledit.Ceseraitamusant,non?»

J’étaistrèsexcitée.ElleavaitabandonnéCaletPapa.C’estmoiqu’elleavaitchoisie.

Ons’estcachéesdanslapenderie.

«Personnenenoustrouveraici.»

Effectivement,personnenenousatrouvées,quoiquejenesoispasbiensûrequequiquecesoitnousaitcherchées.Onestrestéesassiseslà-dedansdesheuresjusqu’àcequeMamansorteenrampantpourprendreuncrayondanssonsac,rentredansleplacardetécrivesoigneusementsonnomàl’intérieurdelaporte.Puisellem’apassélecrayonpourquej’enfasseautant.

«Commeça,a-t-elledit,mêmesinousnerevenonsjamais,nousresteronslàpourtoujours.»

Zoeymeregarde,incrédule.

«C’esttout.Findel’histoire?

—

C’esttout,oui.

—

Attends!Tamèreettoiavezécritvotrenomdansunplacardetnousavonsfaitquatre-vingtskilomètrespourquetumeleracontes?

—

Zoey,nousdisparaissonsrégulièrement.Enquelquesannées,toutesnoscellulessontremplacéespard’autres.Iln’yapasuneparcelledemoncorpsquisoitlamêmequ’àcetteépoque-là.J’étaisquelqu’und’autrequandj’aiécritmonnomdanscettependerie,quelqu’unenbonnesanté.»

Zoeyseredresse,furieuse.

«Ouais!Etsitasignatureesttoujourslà,tuvasguérircommeparmiracle,c’estça

?Etsiellen’estpluslà,hein?Tuasentendu,labonnefemmet’aditquecettechambreavaitétéentièrementrefaite.»

Jedétestequandellebraillesurceton.

«Regardepourmoidanslapenderie,Zoey,tuveuxbien?

—

Non.Tum’astraînéedeforceicialorsquejen’avaispasenviedevenir.Jem’emmerde.Etmaintenant,ilfaudraitquej’ailleregarderdanscetteconneriedeplacard?Tuesincroyable,quandmême!

—

Pourquoies-tusiencolère?

—

Jemetire,dit-elleendescendantdulit.Çameprendlatêtedetevoirchercherdessignescommeça,partout,toutletemps.»

Elleramassesonmanteaulàoùellel’avaitlaissétomberenentrantetletired’uncoupsec.

«Turessassestesproblèmesindéfiniment,commesituétaislaseuleaumondeàenavoir.Onesttousdanslemêmebateau,tusais.Onnaît,onbouffe,onchieetonmeurt.Etvoilà.»

Jesuistoujoursdésemparéequandellehurlecommeça.

«C’estquoi,tonproblème,Zoey?

—

C’estàtoiqu’ilfautposerlaquestion!

—

Àpartceluiquiestévident,jen’aiaucunproblème.

—

Danscecas,jevaistrèsbienaussi.

—

Non,tunevaspasbien.Regarde-toi!

—

Regarde-moiquoi?Qu’est-cequej’ai?

—

L’airtriste.»

Ellechancelle,s’appuieprèsdelaporte.

«Triste?»

Unterriblesilences’installe.Jeremarqueunpetitaccrocdanslepapierpeintau-dessusdesonépaule.Destracesdedoigtssalesautourdel’interrupteur.Uneportes’ouvreetsefermequelquepartaurez-de-chaussée.QuandZoeyseretourneversmoi,jecomprendsquelavieestfaited’unesuccessiondemoments,chacunmarquantuneétapeversl’instantfinal.

Quandellemerépondenfin,c’estd’unevoixgraveettriste:

«Jesuisenceinte.

—

MonDieu!

—

Jenevoulaispasteledire.

—

Tuessûre?

—

J’aifaitdeuxtests,répond-elleens’écroulantsurunechaiseprèsdelaporte.

—

Tunet’espastrompée?

—

Siledeuxièmepetitvoyantdevientroseetresterose,tuesenceinte.Lesdeuxfois,ilestrestérose.

—

MonDieu!

—

Arrêtederépéterça!

—

Scottestaucourant?

—

Oui.Jen’aipaspuletrouver,lejourdusupermarché,etiln’apasréponduautéléphonedetoutleweek-end,alorsjesuisalléechezluihieretjel’aiforcéàm’écouter.Ilmehait.Tuauraisdûvoirl’expressiondesonvisage...

—

Qu’est-cequ’ilenpense?

—

Ilpensequejesuisuneconne.Ilsedemandecommentj’aipuêtreaussistupide.Ilsortavecquelqu’und’autre.C’estvrai,ellesavaientraison,lesdeuxfilles.»

J’aienviedem’approcherd’elle,deluicaresserl’épaule,dedétendredoucementl’arcdesondos,maisjemeretiens,ellen’aimeraitsansdoutepasça.

«Qu’est-cequetuvasfaire?»

Ellehausselesépaulesmaisjedevinetoutledésarroiquecachecegeste.Elleal’aird’avoirdouzeans.Elleal’aird’unegaminepaumée,traversantlesocéansseulesurunbateau,sanscompasniprovisions.

«Tupeuxlegarder,Zoey.

—

Cen’estpasdrôle.

—

Jenevoulaispasêtredrôle.Garde-le.Pourquoipas?

—

Jenevaispaslegarderpourtefaireplaisir!»

Cen’estévidemmentpaslapremièrefoisqu’elleyréfléchit.

«Alors,débarrasse-t’en.»

Elleémetunpetitgémissementenappuyantsatêtecontrelemurderrièreelleetregardeleplafond,l’airdésespéré.

«J’ensuisàplusdetroismois.Tucroisquec’esttroptard?Tucroisqu’onm’autoriseraàavorter?dit-elleenessuyantseslarmesavecsamanche.Quelleimbécilejesuis!Commentai-jepuêtreaussiconne?Mamanvafinirparledécouvrir.J’auraisdûallerdemanderlapiluledulendemaindansunepharmacie.Jevoudraisn’avoirjamaisrencontrécetype!»

Jenesaisquerépondre.M’écouterait-elle,d’ailleurs?Elleestàcentlieuesd’ici,là,assisesurcettechaise.

«Jevoudraisjustequ’ildisparaisse,dit-elle,enmeregardantdroitdanslesyeux.

Tumedétestes?

—

Non.

—

Tum’envoudrassijefaiscequ’ilfaut?»

Çasepourraitbien...

«Jevaisnouspréparerunetassedethé»,dis-je.

Ilyadessabléssuruneassiette,despetitssachetsdesucreetdulait.Elleestvraimentchouette,cettechambre.Jeregardeparlafenêtreenattendantquel’eaubouille.Deuxgarçonsjouentaufootsurladigue.Ilpleut,ilsontrabattuleurcapuche,jemedemandecommentilsvoientlaballe.Ilyaquelquesminutes,nousétionslàtouteslesdeux,Zoeyetmoi.Jeluitenaislamain.

«Ilyadesdépartsdebateauxtouslesjours,deceport.Peut-êtrequ’ilsvontdansdelointainspayschauds.

—

Jevaisdormir,dit-elle.Tumeréveillerasquandceserafini.»

Maisellenebougepasdesachaiseetnefermepaslesyeux.

Unefamillepassesouslafenêtre.Lepèrepousseunlandau,unepetitefilleenimperroseplastiqueserrelamaindesamèresouslapluie.Elleestmouillée,geléepeut-être,maisellesaitqu’elleserabientôtrentréeàlamaison.Ausec.Laitchaud.

Dessinanimé.Biscuitetpyjamaplustôtqued’habitude,peut-être.

Commentpeut-elles’appeler?Rosie?Amber?Elleparaîtfaitepourporterunnomdecouleur.Scarlett4?

Cen’estpasprémédité.Sansmêmeréfléchir,jetraverselapièceetouvrelapenderie.Surpris,lescintrestintentlesunscontrelesautres.Uneodeurd’humiditémeprendàlagorge.

«C’esttoujourslà?»demandeZoey.

L’intérieurdelaporteestripolinédeblanc.Entièrementrepeint.Jeletoucheduboutdesdoigtsmaisçanes’envapas.C’estsibrillantquelachambresembleondulersurlesbords.

Touslesseptans,nousdisparaissons.

«Tun’auraispasdûregarder»,soupireZoey.

Jefermel’armoire,retourneverslabouilloire.

Enversantl’eau,jecalculedansmatête.Zoeyestenceintedetroismois.Ilenfautneufpourfabriquerunbébé.Doncilnaîtraenmai,commemoi.J’aimebienlemoisdemai.Ilyadeuxweek-endsprolongés.Descerisiersenfleur.Desjacinthesdesbois.Destondeusesàgazon.L’odeurgrisantedel’herbefraîchementcoupée.

Ilyacentcinquante-quatrejoursd’icimai.

4Rosie:rosé;Amber:ambre;Scarlett:écarlate.

Vingt-trois

Calrevientaupetittrotdufonddujardinettendlamain:

«Unautre»,dit-il.

Mamanouvrelaboîtedefeuxd’artificeposéesursesgenoux,regardelonguementcommesiellechoisissaitunchocolat,enprendundélicatementetlitl’étiquetteavantdeleluitendre:

«Jardinenchanté»,annonce-t-elle.

CalrepartaugalopversPapa.Lesbordsdesesbottessefrottentl’uncontrel’autrequandilcourt.Filtréeparlesbranchesdupommier,lalumièredelaluneéclabousselapelouse.

Mamanetmoiavonssortideschaisesdelacuisineetsommesassisesensembleprèsdelaportedujardin.Ilfaitfroid.Lespetitsjetsdevapeurdenotrerespirationressemblentàdesfuméesdecigarettes.L’hiverestarrivé,çasentlaterrehumide,commesilavies’accroupissait,s’aplatissaitausolpouréconomiserdel’énergie.

«Tuterendscompteàquelpointc’estangoissantquandtudisparaissansdireàpersonneoùtues?»demandeMaman.

Venantdelaplusgrandeexperteendisparitiondetouslestemps,celamefaitfranchementrire.Elleal’airétonnée,manifestementinconscientedel’ironiedesespropos.

«Papam’aditqu’àtonretourtuavaisdormiquarante-huitheuresd’affilée.

—

J’étaisfatiguée.

—

Luiétaitterrifié.

—

Ettoi?

—

Biensûr,nousl’étionstouslesdeux.

—

EtvoicileJardinenchanté»,prévientPapa.

Uncrépitementretentitetunbouquetdefleursincandescentess’ouvresousnosyeux,s’épanouitdansleciel,retombeets’éteintdansl’herbe.

«Oh!s’écrieMaman.C’étaitravissant.

—

Moi,j’aitrouvéçaennuyeux,crieCalencavalantversnous.

—

Qu’est-cequetupenseraisd’unefusée,alors?propose-t-elleenouvrantsaboîte.

—

Génial!»applauditCalquirepartàfonddetrainetfaituntourdejardinenthousiasteenbrandissantlafuséeavantd’allerlatendreàPapa.

Ensemble,ilslaplantentdanslesol.Jepenseàl’oiseau,aulapindeCal,àtouteslescréaturesmortesdansnotrejardin,dontlessquelettessebousculentsouslaterre.

«Pourquoiauborddelamer?demandeMaman.

—

J’enrêvais.

—

PourquoilavoituredePapa?

—

Conduireétaitsurmaliste.

—

Tusais,tunepeuxpascontinueràfairen’importequoiuniquementparcequetuenasenvie.Penseunpeuauxgensquit’aiment.

—

Qui?

—

Lesgensquit’aiment.

—

Attentionàladétonation!prévientPapa.Bouchez-vouslesoreilles.»

Lafuséeéclateenunseulboum,tellementviolentquel’explosionébranletoutmoncorps.Lesondesdeladéflagrationricochentjusquedansmesveines.Envahissentmoncerveau.

Mamannem’ajamaisditqu’ellem’aimait.Jamais.Etjenepensepasqu’ellelefasseunjour.Maintenant,ceseraitunmanquedetact,çaressembleraittropàdelapitiéetnousembarrasseraittouteslesdeux.Parfois,jepenseauxrapportssereinsquenousdevionsavoir,elleetmoi,avantmanaissance,lorsquej’étaislovéedanslenoir,auplusprofondd’elle.Parfois.Passouvent.

Malàl’aise,elleremuesursachaise:

«Tessa,dit-ellesuruntonfaussementanodin,est-cequec’estdanstesprojetsdetuerquelqu’un?

—

Biensûrquenon!

—

Ahbon,dit-elle,manifestementsoulagée.Etc’estquoi,leprochainplandetaliste?

—

Tuveuxvraimentsavoir?

—

Jeveuxvraimentsavoir.

—

OK.Devenircélèbre.»'

Mamansecouelatête,consternée,maisCal,revenuchercherdesmunitions,trouveçahilarant.

«Essaiedevoircombiendepaillestupeuxtenirenmêmetempsdanstabouche,propose-t-il.Leprécédentrecordestdedeuxcentcinquante-huit.

—

D’accord,jevaisypenser.

—

Outupourraistefairetatouertoutlecorpscommedelapeaudeléopard.Oualorsonpourraittepousserdanstonlitsurl’autoroute.»

Mamanleregardepensivementetluitendla«Cascadedesvingtetunfeux».

Nouslescomptons.Ilséclatentavecunlégerbruit,explosentenunbouquetd’étoilesetdériventlentementverslesol.Jemedemandesidemainmatinilyauradestachesjaunesoufre,vermillonouaigue-marinesurlegazon.

Suitunecomète,quiapaiselegoûtdeCalpourl’action.Papal’allumeetellefileau-dessusdutoit,tramantderrièreelleunequeuephosphorescente.

Mamanaachetédesbombesfumigènes.Ellescoûtent3,50£pièce.Franchementimpressionné,CalcrieleprixàPapa.

«C’estunedépensetrèsexagérée»,répondPapa.

MamanbranditdeuxdoigtsenVversluietilritsichaleureusementqu’elleenfrissonne.

«J’enaieudeuxpourleprixd’une,m’explique-t-elle.Fautbienqueçaaitunavantagedetirerunfeud’artificeenpleindécembre...»

Lesbombessaupoudrentlejardindefuméesvertes.Ilyenapartout,commeuneinvasiondelutins.CaletPapareviennentdufonddujardinencrachotantetenriant.

«C’estdingue,toutecettefumée,gémitPapa.OnsecroiraitàBeyrouth.

—Tiens,unSoleil,maintenant,c’estcequejepréfère»,ditMamanenleluitendant.

EtelleselèvepourmaintenirlepoteaudelahaiependantquePapaenfoncelecloudedansàcoupsdemarteau.Ilsplaisantentensemble.

«Nemetapepassurlesdoigts,dit-elleenluilançantuncoupdecoude.

—

C’estcequivaarriversitumepousses!»

Calvients’asseoirprèsdemoietdéchireunpaquetdeciergesmagiques.

«Jepariequejeseraicélèbreavanttoi.

—

Jepariequenon.

—

JevaisêtreleplusjeuneàavoirjamaisfaitpartieduCerclemagique.

—

Encorefaut-ilqu’ontelepropose.

—

Onvameleproposer.Parcequej’aidutalent.Alorsquetoi,qu’est-cequetusaisfaire?T’esmêmepasfichuedechanter.

—

Ehlà!Qu’est-cequej’entends?»ditPapa.

Mamansoupire:

«Nosdeuxenfantsveulentdevenircélèbres.

—

Ahbon?

—

LacélébritéestleprochaindéfidelalistedeTessa.»

Papas’attendaitàtoutsaufàcela,çaselitsursafigure.Illaisseglissersonmarteauetsetourneversmoi:

«Célèbre?

—

Ouais.

—

Etcomment?

—

Jen’aipasencoredécidé.

—

Jepensaisquec’étaitfini,cettehistoiredeliste.

—

Non.

—

Aprèslavoiture,ettoutcequis’estpassé...

—

Non,Papa.Jen’aipasfini.»

JepensaisquePapaétaitcapableden’importequoipourmoi,qu’ilpouvaitmesauverdetout.Maisilnepeutpas,cen’estqu’unhomme.Mamanl’entouredesonbrasetilsepencheverselle.

Jelesregarde,touslesdeux.Mamère.Monpère.Sonvisageàluiestdansl’ombre,sescheveuxàelleauréolésdelumière.Jeresteimmobile.Prèsdemoi,Calnemouftepas.

«Waouh!»mechuchote-t-il.

Ladouleurestpirequejen’auraisjamaispul’imaginer.

Jevaismerincerlabouchedanslacuisineetcrachedansl’évier.C’estsivisqueuxquejedoisouvrirlerobinettoutgrandpourquelapuissancedujetl’évacue.L’évierestfroidcontremapeau.

J’éteinslalumièreetcontemplemafamilleparlafenêtre.Deboutsurlapelouse,ilssontentraindetriercequ’ilrestedefeuxd’artifice.Papalessortunparun,pointesatorchedessus.Ilschoisissent,refermentlaboîteetvontjusqu’aufonddujardin.

Peut-êtresuis-jedéjàmorte.Peut-êtrequeceseracela,niplusnimoins.Lesvivantscontinuerontàvivredansleurunivers,àtoucher,àmarcher.Etmoi,prisonnièredunéant,jenecesseraidetapersilencieusementsurlavitrequinousséparera.

Jesorsdel’autrecôtédelamaison,fermelaportederrièremoietm’assiedssurleperron.Àunfroissementdebroussailles,jedevinelafuitefurtivedejenesaisquelpetitanimalnocturneapeuréparmonapparition.Jenepaniquepas,nefaispasungeste.Mesyeuxs’habituentàl’obscurité,jediscernelaclôtureetlesbuissonsquilabordent.Jevoislaruedel’autrecôtédelagrille,lepinceaudelumièredesréverbèressurlespavésetlesvoituresparquéesdanslarue,lesrefletsdanslesfenêtresdesmaisonsvoisines.

Çasentlekebabetl’oignonfrit.Simavieétaitdifférente,jeseraispartiezoneravecZoey.Onachèteraitdeschips.Quelquepartàuncoinderue,onlécheraitnosdoigtspleinsdeselenattendantdepasseràl'action.Maisnon.Jesuisici.Mortesurlepasdelaporte.

J’entendsAdamavantdelevoir,jereconnaislebruitgutturaldesamoto.Aufuretàmesurequ’ilapproche,lesondessonoresfontvibrerl’air,danserlesarbres.Ils’arrêtedevantchezlui,coupelecontactetleslumières.Nousreplongeonsdanslesilenceetl’obscuritétandisqu’ilenlèvesoncasque,l’accrocheauguidonetpoussesabécaneàl’intérieur.

Jecroisessentiellementàlathéorieduchaos.Sinosvœuxseréalisaient,mesosnemeferaientpasmalcommes’ilsavaientépuisétoutleurespaceintérieur.Jen’auraispasunvoiledevantlesyeuximpossibleàdissiper.

Pourtant,enregardantAdamremonterl’allée,j’ail’impressiondepouvoirfaireunchoix.Mêmesic’estlehasardquirégitl’univers,jemesenslepouvoirdeprovoquerunchangement.

Jemepenchesurlemuretquiséparenospetitsjardinscôtérue.Ilestentraindecadenassersamotolelongdesamaison.Ilnemevoitpas.Jem’approchederrièrelui,sûredemoi,demonpouvoir.

«Adam?»

Ilseretourne,surpris.

«Merde!J’aicruvoirunfantôme!»

Ilsedégagedeluiuneodeurpuredefroid,commecelled’unanimalsurgidel’ombre.Jem’approcheunpeuplus.

«Qu’est-cequetufaisici?demande-t-il.

—

Onadécidéd’êtreamis.

—

Heu,oui...,répond-il,troublé.

—

Ehbien,jeneveuxplus.»

Unespacenoussépare,etdanscetespaceilfaitnoir.J’avanced’unpas,noussommessiprochesl’undel’autrequenossouffless’emmêlent.Seconfondent.

«Tessa,jesaisquec’estunsigne,maisjem’enfous.

—

Lepirequipuissearriver,c’estquoi?

—

Quecelafassemal.

—

Çafaitdéjàmal.»

Ilacquiescesansmotdire.Letempsparaîts’interrompre,touts’arrête,etcetteminutepréciseoùnousnousregardons,siprèsl’undel’autre,cetteminute-làn’appartientqu’ànous.Ilsepencheversmoi,uneétrangechaleurm’envahit.J’oublietouscestristesvisagesaperçusderrièretoutescesfenêtres,cesvisagesquihantentmespensées.Ilsepencheversmoietjenesensquelachaleurdesonsoufflesurmapeau.Nousnousembrassonslégèrement.Apeine.Incertains.Seulesnoslèvressetouchent.

Nousnousreculonspournousregarder.Quelsmotspourraientremplacerceregardquenouséchangeons?Autourdenous,lesombresdelanuitserassemblent,nousobservent.Toutesceschosesperduesetretrouvées.

«Merde,Tess!

—

Net’inquiètepas,jenerompraipas.»

Pourleluiprouver,jelepoussecontrelemurdesamaisonetl’ymaintiens.Etcettefois,ilnes’agitplusdetendresse.Malangueexploresabouche,cherche,trouvelasienne.Sesbrasm’enlacent,meréchauffent.Samainmaintientmoncou.Lamiennedescendlelongdesondos.Jemepressecontrelui,plusprès,maiscen’estpasassezprès.Jevoudraisgrimperàl’intérieurdelui.Vivreenlui.Êtrelui.Nousnesommesplusquedésir.Jelelècheavidement,picoreleborddeseslèvres.

Jenem’étaisjamaisrenducomptequej’étaissiaffamée.

Ilmerepousse.

«Merde!Merde!»répète-t-ilenpassantlamaindanssescheveuxsombres,humides,quiluisentcommedespoilsd’animal.

Lalumièredesréverbèressereflètedanssesyeux.

«Qu’est-cequinousarrive?

—

J’aienviedetoi»,luidis-je.

Moncœurcogne.Jemesensabsolumentvivante.

Vingt-quatre

Zoeyn’auraitpasdûmedemanderdel’accompagner.Depuisquenousavonsfranchilaporte,jenepeuxpasm’empêcherdecomptermentalement.Noussommeslàdepuisseptminutes.L’heuredesonrendez-vousestdanssixminutes.Elleestenceintedepuisquatre-vingt-quinzejours.

J’essaiedepenseràdeschiffresauhasardmaisilsonttousl’airdeserecouperavecquelquechose.Huit:ilyahuitétroitesfenêtresdanslemurd’enface.Un:l’uniqueréceptionnisteestdiscrète,elleaussi.Cinqcents:cinqcentslivres,c’estleprixquedevrapayerScottpoursedébarrasserdubébé.

Zoeymesouritnerveusementau-dessusdesonmagazine.

«Jepariequetunepeuxpast’offrircegenred’endroitaveclaSécuritésociale.»

Jamais.Ici,lessiègessontencuir,ilyauntasdemagazinesdeluxeempiléssurlagrandetablebassecarréeetilfaitsichaudquejedoisretirermonmanteau.Jepensaisquelasalled’attenteseraitpleinedefillesdésespérées,pétrissantleurmouchoir,maisnoussommesseules,Zoeyetmoi.Pâle,l’airfatiguée,elles’esttirélescheveuxenqueue-de-chevaletporteencoresonvieuxjoggingpoché.

«Tusaisdequelssymptômesjeserailepluscontented’êtredébarrassée,dit-elleenlescomptantsurses

doigts.D’abord,messeinssonttoutveinésdebleu,ondiraitunecartedegéographie.Jemesenslourde,mêmemesdoigtssontpesants.Jepassemontempsàvomir.J’aiunmaldetêtepermanentetlesyeuxquipiquent.

—

Riendebien?

—

Si.J’aiunenouvelleodeur,dit-elleaprèsuntempsderéflexion.Uneodeurtrèsagréable.»

Jemepencheau-dessusdelatablebassepourlarenifler.Ellesentletabac,leparfum,lechewing-gum.Etquelquechosed’autre.

«Lafécondité.

—

Quoi?

—

Lefaitquetusoisfertile.

—

C’esttonjulesquit’aapprisça?»demande-t-elleenmeregardantcommesij’étaisdébile.

Jenerépondspas,etellesereplongedanssonmagazine.Vingt-deuxpagesdenouveauxgadgetssexy.Commentécrireunelettred’amourparfaite.Pourrons-nousvraimentunjourvoyagerdansl’espace?

«Unjour,j’aivuunfilm,l’histoired’unefillequimeurt.Quandellearriveauparadis,lebébémort-nédesasœurestdéjàlàetelleprendsoindeluijusqu’àcequ’ilssoienttousréunis.»

Zoeyfeintdenepasentendre,tourneunepagequ’elleprétendavoirlue.

«Celapourraitm’arriver,Zoey.

—

Çanet’arriverapas.

—

Ilestsipetit,tonbébé,qu’iltiendraitdansmapoche.

—

Arrête,Tessa!

—

L’autrejour,tucherchaisdesvêtementsdebébé.»

Zoeys’affaledanssonfauteuil,fermelesyeux,laissetomberlescoinsdesabouche,ondiraitqu’elleestdébranchée.

«S’ilteplaît,tais-toi,jet’enprie.Sic’étaitpourmecritiquer,tuauraismieuxfaitdenepasvenir.»

Ellearaison.J’ypensaislanuitdernièrequandjen’arrivaispasàdormir.Del’autrecôtéducouloir,lerobinetdeladouchecoulaitgoutteàgoutteetunebestiole-

cafard,araignée?-atraverséletapisdebainàfonddetrain.

Jemesuislevéeetjesuisdescendueenrobedechambre,avecl’intentiondemefaireunchocolatchaudoupeut-êtrederegarderunpeulatélévision.Maisquandjesuisentréedanslacuisine,ilyavaitunesourisprisedansundespiègesquePapametpourlescafards.Laseulepartiedesoncorpsquin’étaitpasengluéesurlecartonétaitunepattearrièrequ’elleutilisaitcommeunepagaiepourtenterdem’échapper.

Elleagonisait.Jesavaisqu’ilfallaitquejelatuepourabrégersessouffrancesmaisjenesavaispascommentfairesansluiencauserdavantage.Couteauàdécouper?

Ciseaux.Coupdecrayonàl’arrièredesatête?Toutcequej’envisageaisétaitdepuresatrocités.

Finalementj’airécupéréunvieuxpotdeglaceencartonquej’airemplid’eau.J’aitrempélasourisdedansetl’aimaintenuesousl’eauavecunecuillerdebois.Avantdenepluspouvoirrespirer,ellem’aregardée,étonnée.Troisminusculespetitesbullessesontéchappées,l’uneaprèsl’autre.

J’envoieuntextoaubébédeZoey:Cache-toi.

«Aquit’envoiesunmessage?

—

Apersonne.

—

Montre!»dit-elleensepenchantsurlatable.

J’effaceetluimontrel’écranvierge.

«C’étaitàAdam?

—

Non.»

Ellemejetteunregardnoir.

«Tuaspratiquementfaitl’amouravecluidanslejardinetmaintenant,torduecommetues,tufaiscommesicen’étaitpasarrivé.

—

Iln’enarienàfoutre.

—

Biensûrquesi!Samèreestsortieetvousasurpris,c’esttout.Sinon,ilt’auraitvolontiersbaisée.

—

C’étaitilyaquatrejours,Zoey.Siçal’intéressait,ilm’auraitappelée.

—

Ilestpeut-êtretropoccupé»,dit-elleenhaussantlesépaules.

Nousrestonsassisesensilenceautourdecemensonge.Mesospointentsousmapeau,j’aidesmarbruresrougessouslesyeuxetjecommenceàdégageruneodeurbizarre.Adamestprobablementencoreentraindeserincerlabouche,àl’heurequ’ilest...

«L’amouresttrèsmauvaispourtoi,detoutefaçon.J’ensuisunepreuvevivante.»

Elleclaquesonmagazinesurlatablebasseetregardesamontre,excédée.

«Jepaiepourquoi,exactement,tupeuxmedire?C’estpeut-êtreuneplaisanterie,enfait.Ilsprennenttonfricetsecontententdetelaissertranspirerenespérantquetutesentirassigênéequeturentrerascheztoi.»

Jechangedesiègepourm’asseoirprèsd’elle,luiprendslamainetlagardeentrelesmiennes.Elleal’airunpeusurprise,maisnelaretirepas.

Lesfenêtressontenverrefumé,onnevoitpaslarue.Quandnoussommesarrivées,ilcommençaitàneiger.Emmitouflésjusqu’auxoreilles,lesgensfaisaientleurscoursesdeNoëlengrelottant.Ici,lesradiateursnousinondentdechaleuretleshaut-parleursdemusiquesuave.Lemondeentierpourraits’écroulerquenousnenousenapercevrionspas.

«Quandtoutçaserafinietqu’onseradenouveautoietmoi,ditZoey,onreprendrataliste.Aunumérosix.Lagloire,c’estça?J’aivucettefemmeàlatélél’autrejour,cellequiestenphaseterminaled’uncanceretquiafaituntriathlon.Çat’irait,ça?

—

Elleauncancerdusein.

—

Etalors?

—

Alors,cen’estpaslamêmechose.

—

Pourquoi?Couriretpédalerl’ontmotivée.Elleavécubienpluslongtempsqueprévu,etelleestvraimentcélèbre.

—

Jedétestecourir!»

Zoeyhochelatête,l’airdepenserquejesuisvraimentcapricieuse.

«EtpourquoipasBigBrother?Ilsn’ontjamaiseuquelqu’uncommetoijusqu’àprésent?

—

Çanereprendpasavantl’étéprochain.

—

Etalors?

—

Alors,réfléchisdeuxminutes...»

C’estàcemomentprécisqu’uneinfirmièresortd’unbureauvoisinetsedirigeversnous.

«ZoeyWalker?Sivousvoulezbienmesuivre...

—

Monamiepeutveniravecmoi?demandeZoeyenmefaisantsignedemelever.

—

Jesuisdésolée,maisilvautmieuxqu’elleattendeici.Ilnes’agitqued'unentretien,aujourd’hui,etcen’estpaslegenredediscussionqu’ilestfaciled’avoirenprésenced’uneamie.»

Elleal’airtrèssûredecequ’elleaffirme,etZoeyguèreenmesuredeluirésister.

Ellemetendsonmanteauetsuitl’infirmière.Laportedubureausefermederrièreelle.

Jemesenssolide.Paspetite,grandeaucontraire,combative,vivante.C’esttellementpalpable,êtreounepasêtre.Bientôt,jeneseraiplus.LebébédeZoeyestlà.Sonpoulsbat.Bientôt,ilneseraplus.Et

quandZoeysortiradecettepièce,enayantapposésasignaturesurlaligneenpointillé,elleseradifférente.Elleauracompriscequejesaisdéjà,l’omniprésencedelamortdansnosvies.

Etcelavouslaisseungoûtdemétalentrelesdents.

Vingt-cinq

«Oùest-cequ’onva?»

Papaquittesonvolantd’unemainpourmecaresserlegenou.

«Chaquechoseensontemps.

—

Est-cequecelavaêtreintimidant?

—

J’espèrequenon.

—

Est-cequenousallonsrencontrerquelqu’undecélèbre?»

Ilal’airsoudaininquiet.

«C’estçaquetuvoulaisdire,danstaliste?

—

Pasvraiment,non.»

Noustraversonslavillesansqu’illâchelemorceau.NousdépassonslazonedeHLM,prenonslepériphérique,etjenedevinetoujourspas.Onjoueauxdevinettes,jeposen’importequellequestionauhasard,cequilefaitrire.J’aimebienlefairerire,c’estsirare.

«AtterrissagesurlaLune?

—

Non.

—

StarAcademy?

—

Avectavoixdediva?»

JetéléphoneàZoeypourluidemandersielleveutm’aideràdevinermaiselleestobnubiléeparsonproblème.

«Ilfautquejesoisaccompagnéed’unadulteresponsable.Àquijevaisbienpouvoirdemander?

—

Jeviendrai,moi.

—

Non,ilsveulentdireunvraiadulte.Commeunparent,quoi.

—

Ilsnepeuventpasteforceràenparleràtesparents.

—

Quellesaloperie,cetruc!Jepensaisqu’ilsmedonneraientunepiluleetqueçapartiraittoutseul.Pourquoij’aibesoindecettefoutueopération?C’estpasplusgrandqu’unpetitpois.»

Là,ellesetrompe.Hiersoir,jemesuisplongéedansLeLivredelaMédecinefamilialeduReader’sDigest.Jevoulaissavoir,justement,ladimensiondesfutursbébésàlaseizièmesemaine.Etj’aidécouvertqu’ilsavaientàpeuprèslatailled’unefleurdepissenlit.Ducoup,j’ailupleind’autreschoses.Surlecolostrumetleprurigostrophulus,parexemple.Ousurcescharmantesmaladiesqu’onserefileensociétéouenfamille,commel’eczéma,l’angineoulecroup.

«Tuestoujourslà?

—

Oui.

—

Bon,jetelaisse.J’aidessortesderemontéesacidesdanslagorgeetlabouche.»

C’estuneindigestion.Elledevraitsemasserlecôlonetboiredulait.Çapassera.

TouslessymptômesdeZoeydisparaîtront,quellequesoitsadécisionàproposdubébé.Maisjeneluidispas.J’éteinsmonportableetmeconcentresurlaroutedevantmoi.

«Elleestvraimentsotte,cettefille,ditPapa.Pluselleattend,plusceseradifficile.

Mettrefinàunegrossesse,cen’estpascommejeterdesorduresàlapoubelle.

—

Ellelesaittrèsbien,Papa.Detoutefaçon,tun’aspasàt’enmêler,cen’estpastafille.

—

Non,cen’estpasmafille»,admet-il.

J’écrisuntextoàAdam:kesketudevi1?Etpuisjel’efface.

Ilyasixjours,samèrepleurait,deboutsurleseuildeleurporte.Lefeud’artificelaterrorisait,disait-elle.Pourquoil’avait-ilabandonnéeencettenuitdefindumonde?

«Donne-moitonnumérodeportable,m’a-t-ilchuchoté.Jet’appellerai.»

Nousavonséchangénosnuméros.C’étaittrèsérotique.J’aipriscelapourunepromesse.

«Lacélébrité,ditPapa.Qu’est-cequec’estquelacélébrité,hein?»

Shakespeare,jedirais.Jemesouviens,àl’école,surtouslesexemplairesdesesœuvres,ilyavaitlemêmeportraitdelui,avecsabarbichetteetsaplumeàlamain.Ilainventédestonnesdemotsnouveauxet,descentainesd’annéesplustard,toutlemondesaitencorequiilest.Asonépoque,iln’yavaitnivoitures,niavions,nifusils,nibombes,nipollution.Nistylos.C’étaitlareineÉlisabethIrequiétaitsurletrôneàcemoment-là.Elleaussiétaitcélèbre,passeulementparcequec’étaitlafilled’HenriVIII,maisàcausedespommesdeterre,del’Armada,dutabac.Etparcequ’elleétaittrèsintelligente.

EtpuisilyaMarilyn,aussi.OuElvis.MêmedesicônesmodernescommeMadonnaresterontdanslesmémoires.MaintenantquelesTakeThatrefontdestournées,lesplacessonttoutesvenduesenquelquessecondes.IlsontdespochessouslesyeuxetRobbienechantemêmeplusmaislesgensenredemandenttoujours.

C’estça,lagloire,pourmoi.Quandjemourrai,jevoudraisquetoutlemondearrêtecequ’ilestentraindefaireetsedéplaceenpersonnepourvenirmedireaurevoir.

Qu’est-cequeçapeutêtred’autre?

«Etpourtoi,Papa,c’estquoi,lacélébrité?

—

Laisserquelquechosedesoiderrièresoi,jedirais»,répond-ilaprèsuntempsderéflexion.

JepenseàZoeyetàsonbébé.Quigrandit.Grandit.

«OK,nousvoilàarrivés»,annoncePapa.

Arrivésoù?Jemedemande.Çaressembleàunebibliothèque,undecesgrandsbâtimentsfonctionnels,cubiques,pleinsdefenêtres,avecunparkingetdesplacesréservéesàladirection.Nousnousgaronsdansunealléedésaffectée.

Lafemmequirépondàl’interphonedemandequinousvenonsvoir.Papamurmureunnommaisellen’entendpasetildoitrépéter:

«RichardGreen,redit-ilenmelançantuncoupd’œil.

—

RichardGreen?

—

Unchefcomptableaveclequeljetravaillaisleconnaît,m’explique-t-il,pasmécontentdesonpetiteffet.

—

Etquelrapportavecmoi...?

—

Ilveutt’interviewer.»

Jem’immobilisesurlamarche.

«Uneinterview?Àlaradio?Maistoutlemondevam’entendre!

—

C’estplusoumoinsl’idée,non?

—

Àproposdequoiveut-ilm’interviewer?»

Etlà,Papasemetàrougir.Peut-êtreparcequ’ilestentraindecomprendrequec’estlapireidéequ’ilaitjamaiseue,vuquelaseulecaractéristiquequimerendeextraordinaireestmaleucémie.Sijen’étaispasmalade,jeseraisenclasse,oujeferaisl’écolebuissonnière.Jeseraispeut-êtrechezZoey,entraindeluichercherdesRenniesdansl’armoireàpharmacie.Jeseraispeut-êtrecouchéedanslesbrasd’Adam.

L’hôtessefaitcommesitoutallaitbien.Ellenousdemandenosnoms,nousdonneunbadgequenousépinglonsdocilementsurnosmanteaux,etnousannoncequelaproductriceseraànousdansquelquesminutes.

«Asseyez-vous,nousdit-elleennousmontrantunerangéedechaisesdel’autrecôtéduhall.

—

Tun’espasobligéedeparler,mechuchotePapa.J’iraitoutseul,situpréfères,tun’aurasqu’àm’attendreici.

—

Ettoi,qu’est-cequetuleurraconteras?

—

Lepeudeservicesqu’ilyapourenfantscancéreux,lemanquedemoyensdesmédecinesparallèles,leprixdetonrégimealimentairequin’estpasprisenchargeparlaSécuritésociale...Oh,j’aidequoiparlerdesheuressurcefoutusujet.Jesuisunspécialiste.

—

Delacollectedefonds,enquelquesorte?Maismoijeneveuxpasdevenircélèbreenramassantunpeudefric,jeveuxêtrecélèbreenétantétonnante.Deveniruneicône.Uneidole.Tuvoiscequejeveuxdire?

—

Etcomments’yprendrait-on,concrètementparlant?»ditPapaensetournantversmoi,lesyeuxbrillantsdelarmes.

Derrièrenous,undistributeuràeaufaitdesbullesenglougloutant.Jemesensmal.

JepenseàZoey,àsonbébéquiadéjàdesonglesbienformés,detoutpetits,petitsongles.

«Tuveuxquejedemandeàl’hôtessed’annuler?proposePapa.Jeneveuxpasquetudisesquejet’aiforcée.»

J’aiuntoutpetitpeupitiédeluienlevoyantraclerseschaussuresparterrecommeunécolier.Ilyauntelfosséd’incompréhensionentrenous.

«Non,Papa.Tun’aspasàdécommander.

—

Tuvasentrerdanslestudio,alors?

—

Oui.

—

Formidable,Tess»,dit-ilenétreignantmamain.

Unefemmemontel’escalier,sedirigeversnousetserrechaleureusementlamaindePapa.

«Nousnoussommesparléautéléphone.

—

Oui.

—

EtvousdevezêtreTessa?

—

JesuisTessa.»

Ellemetendlamainmaisjenelaserrepas,faisantsemblantdenepaspouvoirbougerlesbras.Ellepenserapeut-êtrequec’estdûàmamaladie.D’unairchagrin,elledétaillemonmanteau,monécharpeetmonchapeau.Peut-êtresait-ellequ’ilnefaitpassifroidqueçadehors.

«Iln’yapasd’ascenseur,dit-elle.Çavaaller,l’escalier?

—

Trèsbien,ditPapa.

—

Richardvousattendavecunetelleimpatience»,minaude-t-elle,soulagée.

ElleflirteavecPapatandisquenousdescendonsaustudioetjenepeuxpasm’empêcherdepenserquel’attitudeprotectriceunpeulassedePapaàmonégarddoitattirerlesfemmes.Leurdonnerenviedeveniràsonsecours.Delesauverdemoi.Detoutecettesouffrance.

«L’interviewseraendirect»,dit-elleenbaissantlavoixcarnousarrivonsàlaportedustudio.Vousvoyezcettelumièrerouge?CelaveutdirequeRichardestàl’antenneetquenousnepouvonspasentrer.Dansuneminute,illanceraunemusiqued’enchaînementetlalumièrepasseraauvert.»

Asonton,onsentquenoussommessupposésêtreimpressionnés.Alorsjeluidemande:

«Quelestl’angledeRichard?Letotalmélopauvrepetitefillemourante,oubiena-t-ilprévuquelquechosed’original?

—

Pardon?»

Sonsouriresecrispe,ellelanceunregardinquietversPapa.Est-elleaumoinscapabledeflairerqu’ilyadel’hostilitédansl’air?Papaintervientrapidement.

«Lesservicespouradolescentsatteintsdecancersonttropraresdansleshôpitaux.

Sinouspouvionsaumoinsattirerl’attentionsurcepoint,ceseraitformidable.»

Lalumièrerougepasseauvert.

«C’estàvous,annonce-t-elleenouvrantlaporte.TessaScottetsonpère!»

Ondiraitunaboyeurintroduisantdesinvitésàunesoirée,unbal.MaisRichardGreenn’ariend’un

princecharmant.Ilempesteletabac,sesoulèvevaguementdesachaisepournoustendreunemaingrassouilletteetterriblementmoite,serassiedensoufflantcommeunphoque,agitesespapiers.

«Asseyez-vous,dit-il.Jecommenceraiparvousprésenteretonlancetoutdesuitelesujet.»

AutrefoisjeregardaisRichardGreenquandilprésentaitlejournalrégionalàl’heuredudéjeuner.Ilfaisaitfantasmerunedesinfirmièresdel’hôpital.Maintenant,jecomprendspourquoionl’areléguéàlaradio.

«OK,dit-il.Onyva.Soyezaussinaturelsquepossible.Quecesoitdétendu.»

Puisilsetourneverslemicro:

«Etmaintenant,jesuistrèshonoréd’accueillirdanscestudionotrenouvelleinvitée,unecourageusejeunefillenomméeTessaScott.»

Moncœuraccélèrequandilprononcemonnom.Est-cequ’Adamval’entendre?

OuZoey?Elleestpeut-êtreallongéesursonlit,aveclaradio.Nauséeuse.Amoitiéendormie.

«Tessaestatteintedeleucémie,etelleestvenueaujourd’hui,accompagnéedesonpère,nousparlerdel’expériencequ’ellevitdepuisquatreans.»

Papasepencheenavant,commes’ilétaitprêtàintervenir.C’estdoncàluiqueRichardposelapremièrequestion:

«Parlez-nousdumomentoùvousvousêtesaperçuqueTessaétaitmalade,monsieur.»

Papadémarresursonterrainfavori.Ildécritcettesortederhumeinterminable,quiadurédessemainessansquenotremédecingénéralisteencomprennelacausetantlaleucémieestunemaladierare.

«PuisnousavonsremarquéqueTessaavaitdescontusions,desbleusdansledos,dusàladiminutiondesonnombredeplaquettes.»

Monpère,cehéros.Ilracontequ’iladûabandonnersonmétierdeconseillerfinancier,commentnotrevieaalorssombrédanslesméandresdesserviceshospitaliersetdestraitements.

«Lecancern’estpasunemaladielocalisée,poursuit-il.Ilatteintlecorpstoutentier.QuandTessaadécidéd’arrêterlestraitementslesplusagressifs,nousavonsmisenplaceunmodedevieholistique,àlamaison.Ellesuitunrégimespécial.C’estextrêmementcoûteux,maisjesuisabsolumentpersuadéquecen’estpaslanourrituredansnotreviequinousapportelasanté,c’estlaviedansnotrenourriturequiestvraimentimportante.»

Jesuisétonnée.Qu’est-cequ’ilcherche,là?Quelesgensdécrochentleurtéléphoneetpromettentdel’argentpourleslégumesbio?

L’airgrave,Richardsetourneversmoi:

«Vousavezdécidéd’arrêtertouttraitement,Tessa.Cedoitêtreunedécisiontrèsdifficileàprendre

quandonaseizeans.

—

Pasvraiment»,dis-je,lagorgesèche.

Ilm’encourageàpoursuivred’unsignedetête.JeregardePapa,quimelanceunclind’œil.

«Lachimioprolongeladuréedevie,dis-je.Maisonsesentterriblementmal.Letraitementqu’onm’administraitétaittrèslourd,etjesavaisquesij’arrêtais,jepourraisfairebienplusdechoses.

—

Votrepèreditquevousvoulezdevenircélèbre.C’estpourcelaquevousêtesvenueàlaradioaujourd’hui?Pourdécrochervotrequartd’heuredegloire?»

Ilmefaitpasserpourunedecesmalheureusesgaminesquimettentuneannoncedanslejournallocalparcequ’ellesaimeraientêtredemoisellesd’honneuretneconnaissentpersonnequisemarie.Ilmefaitpasserpourunepauvreconne.Jerespireungrandcoup.

«J’aidresséunelistedechosesquejeveuxaccompliravantdemourir.Devenircélèbrefaitpartiedemaliste.»

L’œildeRichards’allume.Ilestjournalisteetsaitreconnaîtreunbonsujet.

«Votrepèrenem’apasparlédecetteliste.

—

Parcequelaplupartdemesobjectifssontillégaux.»

Alorsqu’ils’endormaitquasimentenécoutantPapa,ildressel’oreille,tendusurleborddesachaise:

«Ahbon?Commequoi,parexemple?

—

Parexemple,j’aipiquélavoituredePapaetjesuispartiemebaladertouteunejournéealorsquejen’aipasmonpermis.Jen’aimêmepaspassél’examen.

—

Ohoh!Attentionàvotreprimed’assurance,monsieurScott!»

IlpoussePapaducoudepourbienluimontrerqu’ilplaisantemaisPapaestcomplètementdéstabilisé.Jemesenssicoupablequejedétournelesyeux.

«Unjour,jemesuispromisdedireouiàtoutcequ’onmesuggérait.

—

Etqu’est-cequis’estpassé?

—

J’aifiniaufondd’unerivière.

—

Ilyaunepubcommeçaquipasseàlatélé,ditRichard.C’estçaquivousadonnél’idée?

—

Non.

—

Elleafailliseromprelecouenmontantàl’arrièred’unemoto»,racontePapapournousramenersurunterrainmoinsminé.

Maisc’estluiquiaeucetteidéed’interview,ilestpiégémaintenant.

«J’aifaillimefairearrêterpourfauchedansunmagasin.Jevoulaisenfreindrelaloiautantdefoisquepossibleenuneseulejournée.»

Richardcommenceàdonnerdessignesdenervosité,maintenant.

«Etpuisilyaeulesexe.

—

Ah.

—

Etladrogue.

—

Etlerock’n’roll!enchaîneRichardenreprenantl’antenned’untonenjoué.

Généralement,lesgensquiapprennentqu’ilssontatteintsd’unemaladiemortelleontplutôttendanceàmettredel’ordredansleursaffaires,àmeneràbiencequ’ilsontentrepris.Jepense,chersauditeurs,quevousserezd’accordavecmoi:voiciunejeunepersonnequiprendlavieparlescornes!»

Apartirdelà,onnouspousseprestementdehors.Jem’attendsàcequePapamepasseunsavon,maisnon.Nousremontonslentementl’escalier.Jesuisépuisée.

«Lesauditeursenverrontpeut-êtredel’argent.C’estdéjàarrivé.Desgensquivoudrontt’aider»,ditPapa.

LapiècedeShakespearequejepréfèreestMacbeth.Quandiltueleroi,d’étrangesphénomènesseproduisentàtraverstoutleroyaume.Leschouettesululent,lesgrillonspleurent.L’eaudesocéansnesuffitpasàlavertoutcesang.

«Sionrecevaitassezd’argent,onpourraitallerdanscecentrederechercheauxÉtats-Unis.

—

L’argentnesertàriendansmoncas,Papa.

—

Biensûrquesi!Nousn’avonspaslesmoyensdefairecevoyagesansaide,maisceschercheursaméricainsobtiennentuncertainsuccèsavecleurprogrammedereconstructiondesdéfensesimmunitaires.»Jem’accrocheàlarampe.C’estunerampeenplastique,brillanteetdouceautoucher.

«J’aimeraisquetuarrêtes,Papa.

—

Quej’arrêtequoi?

—

Defairecommesij’allaisguérir.»

Vingt-six

Papapassesonplumeausurlatablebasse,ledessusdelacheminée,lesquatreappuisdefenêtre.Ilouvreplusgrandlesrideauxetallumedeuxlampes.Commepourinterdireàl’obscuritéd’entrer.

Assiseàcôtédemoisurledivan,Mamanredécouvreavecétonnementcequiluiétaitfamilier:

«J’avaisoublié,dit-elle.

—

Quoi?

—

Cettefaçonquetuasdet’agiter.

—

C’estunreproche?»demande-t-il,l’airsoupçonneux.

Elleluiprendleplumeaudesmainsetluitendenéchangeleverredesherryqu’ellen’acesséderempliretdevideràpetiteslampéesdepuislepetitdéjeuner.

«Tiens!Tuasduretardàrattraper.»

Jecroisqu’elles’estréveilléeéméchée.Entoutcas,elles’estréveilléedanslelitdePapa.Calm’atraînéesurlepalierpourquejeleconstate.

«Numérosept!luiai-jedit.

—

Dequoituparles?

—

Demaliste.Monnumérosept,c’étaitd’abord:faireletourdumonde,etpuisfinalementj’aichangécontrerabibocherPapaetMamanpourqu’ilsreviventensemble.»

Ilm’adécochéunlargesourirepourmeféliciterdecetexploit,maisenréalitélesparentsn’onteuaucunbesoindemoi...

Nousavonsouvertnoscadeauxparterredansleurchambre,euxnousregardantparesseusementduhautdeleurlit.Onavaitl’impressionderemonterloin,trèsloindansletemps.

Papas’affaireàprésentautourdelatable,ajustelescouvertsetlessetsdetable.Iladécorélatabledediablotins,depetitsbonshommesdeneigeencotonhydrophile,etpliédesserviettesenpapierenlysorigami.

«Jeleuraiditdeveniràuneheure,dit-il.

—

Jemedemandebienpourquoitulesasinvités,ronchonneCalderrièresonrecueilannueldeBeano'.Ilssontbizarres,cesgens!

—

Chut!ditMaman.Etl’espritdeNoël?

—

Noëlmoncul,marmonne-t-il,etilseroulesurletapisenlaregardantmélancoliquement.J’auraisaiméqu’onsoitjustetouslesquatre.»

Mamanletaquineduboutdupiedmaisilnesouritpas.Alorsellelemenaceavecleplumeau.

«Jevaist’épousseter,moi!

—

Essaieunpeu,tiens!»

Ilselèved’unbondenriantetseprécipiteàl’autreboutdelapièceversPapa.

MamanlepoursuitmaisPapas’interposeetfeintdel’empêcherdepassercommedansuncombatdekaraté.

«Vousallezfinirparcasserquelquechose»,leurdis-je,maispersonnenem’écoute.

MamanpasseleplumeauentrelesjambesdePapaetlesecoue.Illeluiarrache,lepointesursonestomacetlapourchasseainsiautourdelatable.

C’estfoucequeçapeutm’énerver,bizarrement!Jesouhaitaisqu’ilsreviventensemblemaisjen’avaispasvraimentimaginéçacommeça.Jem’attendaisàquelquechosedeplusprofondentreeux.

Ilschahutenttellementquenousn’entendonspaslasonnette.Quelqu’unfrappeàlafenêtre.

«Oups!Nosinvitéssontlà!»ditMamanenallantleurouvrird’unpasléger.

Papa,toujourssouriant,remontesonpantalon.Caletluilasuiventdansl’entrée.

Moi,jerestelàoùjesuis,surledivan.Jecroiselesjambes,lesdécroise.Feuillettedistraitementleprogrammedetélévision.

«Regardequiestlà»,ditMamanenintroduisantAdamdanslesalon.

Ilporteunechemiseàcolàboutonsetunchinoàlaplacedesonjeanhabituel.Etils’estcoiffé.

«JoyeuxNoël!

—

Atoiaussi.

—

Jet’aiapportéunecartedevœux.»

Mamanmelanceunclind’œil.

«Bon,ehbien,jevouslaissetouslesdeux»,dit-ellesansgrandesubtilité.

Adams’assiedsurunbrasdefauteuilenfacedemoietmeregardeliresacarte.

L’imageestunrennededessinaniméavecdesguirlandesdehouxautourdelaramure.Àl’intérieur,ilaécrit:«Passeunebonneannée!»

Sanslemoindrebaiser.

Jelaposesurlatablebasseentrenousetnouslaregardonstouslesdeux.Quelquechosemefaitmal.Unedouleurinsidieuseettenace,queriennesemblepouvoirstopper.Jemelance:

«Aproposdel’autresoir...

—

Quoi,l’autresoir?demande-t-ilenselaissantglisseraufonddufauteuil.

—

Tunecroispasqu’ondevraitenparler?»

Ilhésite,commesic’étaitunequestionpiège:

«Peut-être.

—

J’ail’impressiondet’avoirchoqué.J’airaison?»J’oseleregardermais,avantqu’ilaitletempsderépondre,laportes’ouvrebrusquementetCalsurgitcommeunebombe.

«Desquillesdejongleur!Maiscommentsavais-tuquej’enavaisenvie,dit-ilenseplantantdevantAdam,l’airémerveillé.C’esttropcool!Regarde,jesaisdéjàpresquem’enservir.»

Cen’estpasvraimentlecas.Lesquillesdeboiss’éparpillentdanstoutelapièce.

Adamrit,lesramasseetselancedansunedémonstration.Ilestétonnammentadroit,etlesrattrapedix-septfoisdesuiteavantqu’ellesluiéchappent.

«Tucroisquetupourraisfairelamêmechoseavecdescouteaux?demandeCal.

Unjour,j’aivuuntypequijonglaitavectroiscouteauxetunepomme.Ilépluchaitlapommeetlamangeaittoutenjonglant.Tucroisquetupourraism’apprendreavantquej’aiedouzeans?

—

Jepeuxt’aideràt’exercer.»

Ilsontl’airtellementàl’aiseenrassemblantlesquillesentreeux.Celaleursemblesinatureldefairedesprojets.

Lamèred’Adamentreetvients’asseoirprèsdemoisurledivan.Nousnousserronslamain,cequiestunpeubizarre.Elleadepetitesmainssèches,etparaîtfatiguéecommesiellerevenaitd’unlongvoyage.

«Jem’appelleSally,dit-elle.Nousavonsuncadeaupourvousaussi.»

Ellemetendunsacenplastiquedanslequelilyauneboîtedechocolatsquin’estmêmepasemballée.Jelaposesurmesgenoux.

Calluitendsesquillesdejongleur.

«Vousvoulezessayer?»

L’airperplexe,elleselèvequandmême.

«Jevaisvousmontrercommentfaire»,luiditCal.Adamvientprendrelaplacedesamère,sepenchetoutcontremoietmeditensouriant:

«Non,jenesuispaschoqué.»

Jeluirendssonsourire.J’aienviedeletouchermaisj’ensuisempêchéeparl’arrivéedePapa,unebouteilledesherrydansunemain,lecouteauàdécouperdansl’autre.Ledéjeunerestprêt,annonce-t-il.

Ilyadesmontagnesdenourriture.Papaapréparédeladinde,delapurée,despommesdeterresautées,cinqlégumesdifférents,delafarceetdelasauce.Enfondmusical,nousavonsdroitàsonCDdeBingCrosby,deschansonsvieillottesquiparlentdeneigeetdetraîneauxàclochettes.

Jepensaisquelesadultesdiscuteraientensembled’hypothèqueouautressujetsassommants.MaiscommePapaetMaman,légèrementpompettes,setaquinentgentiment,cen’estpasdutoutguindé.

MêmeSallynepeutpass’empêcherdesourirequandMamanracontequesesparentstrouvaientPapatropclasseouvrièreetluiinterdisaientdelevoir.Elleparled’écolesprivées,debaldesdébutantes,etduponeydesasœurqu’elleluipiquaitsouventpourtraverserlavillelanuitetallerrendrevisiteàPapadanssacitéHLM.

CesouvenirfaitrirePapa.

«Oh,cen’étaitqu’unepetitevillemaisc’estvraiquenoushabitionschacunàuneextrémité.Cepauvreponeyétaittellementcrevéqu’iln’aplusjamaisgagnédegymkhanadesavie.»

MamanremplitleverredevindeSally.Calnousgratified’untourdepasse-passeaveclecouteauàbeurreetsaserviette.SesmanipulationssontencoremaladroitesmaisSallyleregardequandmêmeavecuncertainrespect.Peut-êtreleseuphorisantsqu’elleprendluipermettent-ilsd’entrevoiruneautredimensiondelaréalité.

«Tuconnaisd’autresnuméros?demande-t-elle.

—

Plein!répondCalaucombledubonheur.Jevousmontreraiaprèsledéjeuner.

»

Adamestassisenfacedemoi.Monpiedtouchelesiensouslatable.Toutmonêtreressentintensémentcecontactentrenous.Jeleregardemanger.Quandilboitunegorgéedevin,j’imaginelegoûtqu’auraientsesbaisers.

«Montons,luidisentmesyeux.Montonstoutdesuite.Echappons-nous.»

Commentréagiraient-ils?Quepourraient-ilsfairedetoutefaçon?Nous,onsedéshabilleraitetpuisonseglisseraitdansmonlit.

«Oh,lesdiablotins!ditMaman.Onaoubliédetirerlesdiablotins!»

Nouscroisonslesbraspourformerlachaînetraditionnelletoutautourdelatable.

Etquandnoustirons,jaillituneexplosiondechapeaux,deblaguesetdejoujouxenplastique.

•Callitsonhistoiredrôleàvoixhaute:«BatmanetRobinsontpasséssousunrouleaucompresseur:commentlesappelle-t-onmaintenant?»Personnenedevine.

«PlatmanetRuban!»hurle-t-il.

Toutlemonderit,saufSally.Peut-êtrepense-t-elleàsonmarimortécrasé.Lablaguequej'aitirée,moi,n’estqu’unjeudemotsidiot,l’histoired’untypequivaboireuncoupaubaretenressortavecuncoupdebarre.Celled’Adamn’estmêmepasuneplaisanterie,unesimpleconstatation:sil’universétaitapparuaujourd’hui,toutel’histoiredumondeconnueserésumeraitauxdixdernièressecondes.

«C’estvrai,ditCal.Leshumainssontvraimentinsignifiantsparrapportausystèmesolaire.

—

Jedevraisessayerdetrouverunjobdansuneusinedediablotins,ditMaman.

Vousimaginezcequecedoitêtreamusantd’inventerdeshistoiresdrôlestoutel’année?

—

Danscecas-là,moi,jepourraischargerlespétards»,ditPapaenluifaisantunclind’œil.

Ilsontvraimentbeaucouptropbu,touslesdeux.

«Est-cequejelislamienne?»demandeSallyensetapotantlescheveux.

Toutlemondesetaitpourl’écouterraconter,leregardmélancolique:

«Uncitronetunevachefontunhold-up.Lecitrondit:Pasunzeste,jesuispressé!

Lavache:

Quepersonnenebouse!»

Calexplosederire,selaissetomberdesachaiseetgigotelesjambesenl’air.

Enchantéedesonsuccès,Sallyrelitsablague.C'estdrôle.Leriredémarreenvaguedansmonventreetremontejusqu’àmagorge.Sallypouffeàsontour,émetungloussementbruyantquilasurprendelle-même.Lavoirrireestcontagieux:Maman,PapaetAdams’esclaffentàleurtour.Quelsoulagement!Quelsacrésoulagement.Jenemesouviensmêmepasdeladernièrefoisquej'aieuunfourire.J’enpleure.

Adammetendsaservietteàtraverslatableenvoyantleslarmesroulersurmesjoues.

«Tiens»,dit-il,etsesdoigtseffleurentlesmiens.

Jem’essuielesyeux.Montons,montonsdansmachambre.Jevoudraisquemesmainsparcourenttoncorps.Jelepensesiintensémentquejem’apprêteàdireàvoixhaute:«J’aiuncadeaupourtoi,Adam,maisilestdansmachambre,ilfautquetumontespourlevoir»,lorsquequelqu’untapeaucarreau.

C’estZoey,levisageappuyécontrelafenêtre,commeMariedansl’histoiredeNoël.Ellen’étaitpascenséearriveravantl’heureduthé,etsesparentsdevaientl’accompagner.

Uneboufféedefroidentreavecelle.Entapantdespiedssurlamoquette,ellelance:

«JoyeuxNoël,toutlemonde!

—

BonNoëlàtoi»,répondPapaenlevantsonverreverselle.

Mamanselèvepourallerl’embrasser.

«Merci»,ditZoey,etellefondenlarmes.

Mamanvachercherunechaiseetdesmouchoirs.Deuxmincepies5etunelargeportiondebrandybutter6apparaissentcommeparmagie.Danssonétat,Zoeyferaitmieuxdenepasprendred’alcoolmaispeut-êtrequelecognacnecomptepass’ilestmélangéàdubeurre.Ellerenifleetdit:

«Quandj’airegardéparlafenêtre,j’aieul’impressiondevoirunepublicité.J’aifaillirepartir.

—

Qu’est-cequisepasse,Zoey?»demandePapa.

Elleenfourneunebouchéedepiearroséedebrandybutter,mâcherapidementetavale.

«Quevoulez-voussavoir?

—

Cequetuasenviedenousdire.

—

Ehbien,j’ailenezbouchéetjemesenslapiredesnulles,voilà.C’estçaquevousvoulezsavoir?

—

C’estparcequetontauxd’HCGaaugmenté,luidis-je.L’hormonedelagrossesse.»

Silence.Unangepasse.Toutlemondemeregarde.

«Jel’ailudansleReader'sDigest.»

Jemedemandesijen’auraispasmieuxfaitdemetaire.J’aioubliéqueCal,AdametSallyignorentqueZoeyestenceinte.Maisaucund’entreeuxnerelève,etZoeyelle-mêmeal’airdes’enficherpasmal.Ellesecontented’ingurgiterunesecondebouchéedemincepie.

«Ils’estpasséquelquechosecheztoi?luidemandePapa.

—

Jel’aiannoncéàmesparents»,dit-elleenremplissantméticuleusementsacuiller.

Papan’enrevientpas.

«Tuleurasannoncé?Aujourd’hui?

—

Oui.Cen’étaitpeut-êtrepaslebonmoment,admet-elleens’essuyantlabouche5

PâtisseriedeNoëlàbasedepommes,d’airellesetderaisinsdeCorinthe.

6

SauceàbasedecognacetdebeurrequiaccompagnegénéralementlesChristmaspuddings.

avecsamanche.

—

Qu’est-cequ’ilsontdit?

—

Oh!Unmilliondechoses.Plushorribleslesunesquelesautres.Ilsmedétestent.Toutlemondemedéteste,enfait.Apartlebébé.

—

Tuvasavoirunbébé?demandeCalavecunlargesourire.

—

Ouais.

—

Jepariequec’estungarçon.

—

Non,dit-elleensecouantlatête.Jeneveuxpasavoirdegarçon.

—

Maistuveuxbienavoirunbébé?»demandePapaavecunegrandedouceur.

Zoeyhésite,commesic’étaitlapremièrefoisqu’elleréfléchissaitàlaquestion.

Puiselleluisourit,lesyeuxhumides,émerveillés.Jen’aijamaisvuunetelleexpressionsursonvisage.

«Oui,jecroisquejeleveuxvraiment.Jel’appelleraiLauren.»

Elleestenceintededix-neufsemaines,sonbébéestformé,ilpèseplusoumoinscentquarantegrammes.S’ilnaissaitmaintenant,iltiendraitdanslapaumedemamain.Lapeaudesonventreseraittransparente,veinéederose.Ilm’entendraitsijeluiparlais.

«J’aimistonbébésurmaliste.»

Çanonplus,jen’auraisprobablementpasdûledireàvoixhaute.C’estsortitoutseul.Unefoisdeplus,toutlemondemeregarde.

Papatendsamainàtraverslatablepourtoucherlamienne.

«Tessa.»

Jedétestesongesteetlerepousse.

«Jeveuxêtrelàpoursanaissance.

—

Ilfautencoreattendrecinqmois,Tess,ditZoey.

—

Etalors?Çanefaitquecentsoixantejours.Maissitupréfères,j’attendraidehorsetj’entreraiquandceserafini.Jeveuxêtreunedespremièrespersonnesaumondeàl’embrasser.»

Elleselève,faitletourdelatable,passesesbrasautourdemesépaules.Sonodeurachangé.Sonventreadurci,elledégageunegrandechaleur.

«Jetiensabsolumentàcequetusoisprèsdemoi,Tessa»,dit-elle.

Vingt-sept

C’estdéjàl’après-midi.Onadébarrassélatable,allumélatélévision.Nousécoutonstousensemblelediscoursdelareine,puisCalfaitquelquestoursdeprestidigitation.

Zoey,assiseavecSallyetMamansurlecanapé,leurracontechaquedétaildesonhistoired’amourfoireuseavecScott.Elleleurdemandemêmedesconseilssurl’accouchement.

«Est-cequeçafaitvraimentaussimalqu’onledit?»

Papaestplongédanssonnouveaulivre,MangerBio,etassènedesstatistiquessurlesproduitschimiquesetlespesticidesàquiveutbienl’entendre.

AdamparleessentiellementàCal.Illuimontrecommentfairetournoyerlesquillesdeboisetluiapprendunnouveautouravecunepiècedemonnaie.Jepassemontempsàchangerd’avissurlui.Nonpasquejemedemandes’ilmeplaîtounon,maisplutôtsiluim’aimeoupas.Detempsàautre,nosregardssecroisentàtraverslapiècemaisc’esttoujoursluiquisedétournelepremier.

«Ilaenviedetoi»,mesouffleZoeyàunmomentdonné,mais,enadmettantquecesoitvrai,commentpasseràl’acte?

Depuisledébutdel’après-midi,jefeuillettelelivrequeCalm’aoffert:CentfaçonssurprenantesderencontrervotreCréateur.C’esttrèsamusantetpourtantcelan’arrivepasàstoppercettesensationqu’unespaceàl’intérieurdemoiestentrainderétrécir.Jemesuisassisesurcettechaisedansuncoindepuisdeuxheuresetcelam’aisolée.Jesaisquec’estmafaute,jesaisquej’aitort,maisjenesaispascommentmecomporterautrement.

Aquatreheures,ilfaitnuit.Papaallumeetapporteunassortimentdepetits-foursetd’amuse-gueule.Mamansuggèrequ’onjoueauxcartes.Jem’esquivedansl’entréependantqu’ilsinstallentleschaises.J’enaimarred’êtreenferméeentrequatremurs,marreduchauffagecentral,marredesjeuxdesociété.Jedécrochemonmanteauetsorsdanslejardin.

Lefroidmesurprend.Ilmetmespoumonsenfeu,transformemonhaleineenfumée.Jerelèvemacapuche,serrelenœudsouslementonetattends.

Peuàpeu,commeémergeantd’unbrouillard,chaquedétaildujardinseprécise:monregardzoomesurlebuissondehouxquigriffel’appentisàoutils,surunoiseauposésurlahaie,lesplumeshérisséesparlevent.

Al’intérieur,lesautresdoiventêtreentraindedistribuerlescartesenfaisantcirculerleboldecacahuètesmaisdehorschaquebrind’herbescintille,raidiparlegivre.Dehors,lecielaamoncelétellementd’étoilesqu’onsecroiraitdansuncontedefées.Mêmelalunen’enrevientpas.

Jemedirigeverslepommier.Mesbottesécrasentdesbrindillestombéesdansl’herbe,mesdoigtseffleurentlesnœudsdutronc,essaientdesentirsacouleurd’ardoisepilée.Quelquesfeuillesdétrempéespendentencoredesbranches,lesderniersfruitsflétrisachèventdepourrir.

Calditqueleshumainssontfaitsdelacendrenucléaired’étoileséteintes.Ilditqu’aprèsmamort,jeredeviendraipoussière,brillance,pluie.Sic’estvrai,jeveuxqu’onm’enterreici,souscetarbre.Sesracinespénétrerontdansmesentrailleshumidesetassécherontmoncorps.Jeréapparaîtraienfleurdepommier.Auprintemps,jem’éparpilleraienvrillantdansl’airtelunconfettietcolleraiauxchaussuresdesmembresdemafamille.Ilsmemettrontdansleurpocheetrépandrontlasoiesubtilequejeseraidevenuesurleursoreillerspourlesaideràdormir.Àquoirêveront-ils,alors?

Enété,ilsmemangeront.Adamsauterapar-dessuslahaiepourmevoler,entêtéparmonodeur,marondeur,mapeaubrillanteetsaine.Ildemanderaàsamèredemecuisinerencrumbleouenstrudel,etilm’engloutira.

Jem’étendsparterreetessaiedel’imaginer.Vraiment,vraiment.Jesuismorte.Jemetransformeenpommier.Cen’estpasévident.Jepenseàl’oiseauquej’aivuensortant.Ils’estenvolé.Jepenseàcequisepassedanslamaison.Est-cequejecommenceàleurmanquer?

Jemeretournesurleventre,appuiemonvisagedansl’herbedontlafroidehumiditémerepousse.Jelaratisseduboutdesdoigts,reniflel’odeurdelaterresurmapeau,uneodeurdemoisissuredefeuilles,desouffledeversdeterre.

«Qu’est-cequetufais?»

Jemeretournelentementsurledos.Levisaged’Adamestpenchésurmoi.

«Jesuisvenutechercher.Tuvasbien?

—

Çavatrèsbien.J’avaisjusteunpeuchaud»,dis-jeenm’asseyantetenbrossantlaterredemonpantalon.

Ilapprouved’unhochementdetête,commesicelasuffisaitàexpliquerquemonblousonsoitpleindefeuillesmouillées.J’ail’aird’unegourde,j’enaiconscience.Etcettecapucheserréesouslementon,commesij’étaisunepetitevieille...c’estnul.Jeladénoueenvitesse.

Savestecraquequandils’assiedprèsdemoi.

«Tuveuxuneclope?»

Jeprendslacigarettequ’ilmeroule.Ilmel’allume,allumelasienneetnosdeuxfuméesvolentsansbruitdanslejardin.Jesensqu’ilm’observe.Mespenséessontsiprécisesquejeneseraispassurprisequ’ellesclignotentau-dessusdematête,commeunepubdenéonau-dessusd’unfishandchips.Jetedésire.J’aienviedetoi.Envie.

Envie.Envie.Avecuncœurdenéonrougescintillantentrelesmots.

Jem’allongesurl’herbepouréchapperàl’acuitédesonregard.Lefroidhumidepénètreàtraversmonpantalon.

Ils’étendprèsdemoi,contremoi.Celafaitmal,tellementmaldelesentirsiproche.J’ensuismalade.

«C’estlebaudrierd’Orion,dit-il.

—

Oùça?

—

Tuvoiscestroisétoilesalignées?explique-t-ilentendantlebrasversleciel.

CesontMintaka,AlnilhametAlnitak.»

Ellesscintillentauboutdesondoigtaufuretàmesurequ’illesénumère.

«Tuensais,deschoses.

—

Quandj’étaispetit,monpèremeracontaitsouventdeshistoiressurlesconstellations.SituregardesOrionavecdesjumelles,endessoustuverrasunénormenuagegazeux.C’estlàquesontnéestouteslesnouvellesétoiles.

—

Desnouvellesétoiles?Jepensaisquel’universétaitentraindemourir.

—

Çadépendsousquelangletuleregardes.Ilestaussienexpansion.»

Ilseroulesurlecôtéetseredressesuruncoude.

«J’aientendutonfrèreparlerdetesrêvesdecélébrité.

—

Etilt’aracontélebidetotalquejemesuistapé?

—

Lui,non,rit-il.Maistoi,tunevaspasycouper!»

J’aimelefairerire.Ilaunebouchemagnifiqueetcelamedonneunprétextepourleregarderenface.Alorsjeluiraconteleridiculeépisodedelaradioenlerendantpluscocassequ’iln’aétéenréalité.Jememetsenscèneensuper-héroïne,uneanarchistedesondes.Etcommeçamarche,j’enchaîneenluiracontantquej’aipiquélavoituredePapapouremmenerZoeyauborddelamer.Noussommesallongésdansl’herbehumide,avecl’immensitéducielau-dessusdenous,laluneestbasseetbrillante,etjeluiparledelapenderiedel’hôtel,jeluiexpliquequemonnomadisparuàjamaisdel’univers.Jeluiparlemêmedemamanied’écriresurlesmurs.C’estsifaciledeparlerdanslenoir,jenem’enétaisjamaisrenducomptejusqu’àprésent.

Alafindemonrécit,ildit:

«Net’inquiètepas,Tess,onnerisquepasdet’oublier.»

Puis:«Tucroisqu’onvabeaucoupleurmanquersionvachezmoiunquartd’heure?»

Nousnoussourions.

Envie.Envie,clignotelesignalau-dessusdematête.

Sonbrasm’effleuretandisquenouspassonsparletroudelaclôture.Àpeineunfrôlementmaistoutmoncorpsestélectrisé.

Jelesuisdanslacuisine.

«Attends-moilàuneminute,dit-il.J’aiuncadeaupourtoi.»

Ildisparaîtdansl’entrée,etjel’entendsgrimperl’escalieràtoutevitesse.

Ilmemanqueàpeineparti.Quandiln’estpasprèsdemoi,j’ail’impressiondel’avoirinventé.

«Adam?»

C’estlapremièrefoisquejel’appelleparsonnom.Ilrésonneétrangementdansmabouche,commeunmotdouéd’untelpouvoirqu’ilsuffiraitquejelerépèteassezsouventpourchangerl’ordredeschoses.Jel’appelledubasdel’escalier:

«Adam?

—

Jesuisenhaut.Montesituveux.»

Jemonte.

Sachambreestcommelamienne,maisàl’envers.Ilestassissursonlit,l’airembarrassé,unpetitpaquetargentédanslamain.

«Jenesaismêmepassiçavateplaire.»

Jem’assiedsprèsdelui.Chaquenuit,unsimplemurnousséparetandisquenousdormons.Jevaisperceruntroudanscettecloison,derrièremapenderie,pourmecréerunaccèssecretàsonunivers.

Al’intérieurdupapiercadeau,ilyaunsac.Danslesac,uneboîte.Etdanslaboîte,unbracelet:septpierresdecouleursdifférentesreliéesparunechaîned’argent.

«Jesaisquetuessaiesdenerienacquérirdenouveaumaisj’aipenséqu’ilteplairait.»

Jesuistellementémuequejen’arrivepasàarticulerunseulmot.

«Tuveuxquejet’aideàlemettre?»

Jetendsmamainetilpasselebraceletautourdemonpoignet,accrochelefermoir.

Puisilcroisesesdoigtsentrelesmiens.Ensemble,nousregardonsnosmainsenlacées,poséessurlelitentrenous.Lamienneparaîttransformée,enchaînéeàlasienne,lebraceletluidonneuneautredimension.Etsesmainsàluimesontencoretoutàfaitinconnues.

«Tessa?»

Noussommesdanssachambre.Iln’yaqu’unecloisonentresonlitetlemien.

Nousnoustenonsparlamain.Ilm’aoffertunbracelet.

«Tessa?»répète-t-il.

Quandjeleregarde,celaressembleàdelapeur.Sesyeuxvertssontpleinsd’ombres.Saboucheestbelle.Ilsepencheversmoietjesais.Jesuissûre.

Cen’étaitpasencorearrivé,maismaintenantoui.

Numérohuit:l’amour.

Vingt-huit

Moncœuradesratés.

«Jepeuxlefaire.

—

Non,ditAdam.Laisse-moit’aider.»

Chaqueagrafeestl’objetdetoutesonattention,puisilm’enlèvemesbottesetlesrangesoigneusement.

Jelerejoinsparterre.Défaisseslacets,soulèvesespiedsl’unaprèsl’autrepourluiretirersesbaskets.Jecaresseseschevilles,mamainsefaufilesoussonpantalon,remontelelongdesesmollets.Jeletouche,jepassemesdoigtsdansleduvetdesesjambes.Jenemeseraisjamaiscruesiaudacieuse.

Celadevientunjeu,commelestrip-pokermaissanscartesnidés.Jedézippesonblousonetlelaissetomberparterre.Ildéboutonnemonmanteauetlefaitglissersurmesépaules.Iltrouveunefeuilledupommierdansmescheveux.Jepassemamaindanssesbouclesdruesetsombres,entortilleunemècheautourdemondoigt.

Toutparaîtimportantaveclui,alorsjeprendsmontempspourchaqueboutondesachemise.Quidevientunepetiteplanèteblancnacréetparfaitementrondesousnosregardsattentifs.

Noussavonsexactementquoifairel’unetl’autre,c’estétonnant.Jen’aipasàréfléchir.Jenesuispasnonplusentraînée.Cen’estnidel’adressenidusavoir-faire.

Nousdécouvronsensemblelechemin.

Jelèvelesbrasenl’aircommeunenfantpendantqu’ilm’ôtemonsweat-shirt.

L’électricitéstatiquefaitcrépitermescheveuxdansl’obscurité,mespetitscheveuxtoutneufs,etçamefaitrire.J’ail’impressiond’avoiruncorpssainetappétissant.

Ledosdesesdoigtseffleuremesseinsàtraversmonsoutien-gorgeetildevinedansmonregardqu’ilpeutcontinuer.Tellementdegensm’onttouchée,palpée,examinée,manipulée,opérée.Jepensaisque

moncorpss’étaitengourdi,qu’ilétaitdevenuinsensibleàtoutcontact.

Pendantquelquesminutes,nouséchangeonsdespetitsbaiserslégers,ilmordilledoucementmalèvresupérieure,malangueexplorel’oréedesabouche.Desfantômes,desarbres,lecielenvahissentlapièce.

Nosbaiserssefontplusprofonds.Nousnouscoulonsl’undansl’autre.Commelapremièrefoisquenousnoussommesembrassés,c’estimpératif,violent.

«J’aienviedetoi»,dit-il.

Moiaussi,j’aienviedelui.

Jeveuxqu’ilvoiemesseins.Jeveuxretirermonsoutien-gorgepourlesluimontrer.

Jel’attireverslelit.Nouscontinuonsànousembrasser:gorges,cous,bouches...Lachambresembles’embraser,unetelleflammebrûleentrenous.

Couchéesurlelit,jesoulèvemeshanchespourretirermonjean.Jeveuxm’exposeràsonregard,jeveuxqu’ilmevoietoutentière.

«Tuessûre?demande-t-il.

—

Certaine.»

C’estsimple.

Ildéboutonnemonjean.Jedéfaissaceintured’uneseulemain,commedansuntourdemagie.Soulignesonnombrild’undoigttoutenfaisantglissersoncaleçon.

Etpuisjesenssapeautoucherlamienne,sonpoidspesersurmoi,sachaleurs’imposer...Jamaisjen’avaisimaginécequel’onressent.Jen’avaispascomprisquefairel’amour,c’estréellementfairel’amour.

Modifierleschoses.S’émouvoirl’unl’autre.Uncrid’extasem’échappe,sefondaurâledesondésir.

Samaindescendsousmahanche.Lamiennevientlarejoindre,nosdoigtssesoudent.Jenesaisplusquelleestmamain,quelleestlasienne.

JesuisTessa.

JesuisAdam.

C’estmagnifiquedenepluspouvoirsituersespropreslimites.

Nosdoigtsexplorentnospeaux,noslanguesexplorentnotregoût.

Etjamaisnosregardsnesequittent,nouscoordonnonsnosmouvements,commedesmusiciens,des

danseurs.Synchronisés.Lesyeuxdanslesyeux.

Ellemonte,cettedouleurentrenous,ellechangeets’amplifie.Jeleveux.Jeleveuxplusprès.Jenepeuxpasm’approcherassez.Jenouemesjambesautourdessiennes,appuiemesdeuxmainssursondospourl’attirerplusprofondenmoi.

Moncœurs’éveille,s’unitàmonâme,moncorpsimplose.L’amoursepropagedanstoutmonêtreencerclesconcentriques,commeunepierrefaitdesrondsdansl’eau.

Adamcriedebonheur.

Jelerejoinsetleserretrèsfort.Émerveillée.Parlui.Parnous.Parcecadeau.

Ilmecaresselatête,lesjoues,embrassemeslarmes.Àcemomentprécis,jesuisvivante,heureused’êtresurterre.Aveclui.

Vingt-neuf

Lesangjaillitdemonnez.Deboutdevantlemiroirdel’entrée,jelevoiscoulersurmonmentonetentremesdoigtsjusqu’àcequemesmainssoienttoutesvisqueuses.

Çatombegoutteàgouttesurlesol,sefaufiledanslatramedutapis.

«S’ilvousplaît,non.Pasmaintenant,pascesoir.»

Maismaprièresilencieusenesuffitpasàl’arrêter.

J’entendsMaman,là-haut,quisouhaitebonnenuitàCal.Ellefermelaportedesachambreetvaàlasalledebains.J’attends,jel’écoutefairepipi,tirerlachassed’eau.

Jel’imagineselavantlesmains,selesessuyant.Peut-êtreenseregardantdanslaglace,commemoijelefaisici.Jemedemandesiellesesentaussiloindesapropreimagequemoi,aussistupéfaite.

Ellefermelasalledebainsetsedirigeversl’escalier.Jevaisàsarencontre.

«Oh,monDieu!

—

Jesaignedunez.

—

Maistuvasperdretouttonsang!Viensparlà,vite!»

Elleagitelesbras,mepoussedanslesalon.Degrossesgouttessombreséclaboussentlamoquettesurmonpassage.Descoquelicotsfleurissentàmespieds.

«Assieds-toi,ditMaman.Penche-toienarrièreetpince-toilenez.»

Commec’estexactementlecontrairedecequel’onm’aditdefaire,j’ignoresonconseil.Adamvapassermeprendredansdixminutesetnousironsdanser.Mamanm’observeunmoment,puissortdelapièceencourant.Elledoitavoirenviedevomir,j’imagine.Maisnon,ellerevientavecuneserviettedetable:

«Penche-toienarrièreetappuieçasurtonnez.»

Cettefoisj’obéis,puisquemaméthodeaéchoué.Lesangdescenddansmagorge.

J’enavalelepluspossiblemaisj’enaiquandmêmepleinlaboucheetn’arriveplusàrespirer.Jemepencheenavantetcrachedanslaserviette.Ungroscaillotsombre,étrangementsombre,brilleaumilieudusang.Cen’estmanifestementpasquelquechosequidevraitsortirdemoncorps.

«Donne-moiça»,ditMaman.

Jeluitendslaservietteetelleregardeattentivementavantdelaplier.Sesmainssontaussimaculéesdesangquelesmiennes,maintenant.

«Qu’est-cequejevaisfaire,Maman?Ilvaarriverd’uneminuteàl’autre.

—

Çavas’arrêter.

—

Maisregardemesvêtements!

—

Ilvaudraitmieuxquetut’allonges»,dit-elle,l’airdésespérée.

Çanonplus,cen’estpaslachoseàfaire,maisl’hémorragienes’arrêtepas,donctoutestfichumaintenant.Mamans’assoitsurlebordducanapé.Jem’étendslatêteenarrièreetvoisdesformess’allumeretdisparaître.Jem’imaginesurunbateauquisombre.Uneombrebatdesailesau-dessusdemoi.

«Tutesensmieux?demandeMaman.

—

Beaucoupmieux.»

Maisjenesuispassûrequ’ellemecroiecarellecourtàlacuisineetrevientavecunbacàglaçons.Elles’accroupitprèsdemoietlevidesursesgenoux.Lesglaçonsroulentsursonjeanetsurlamoquette.Elleenramasseun,l’essuieunpeuetmeletend.

«Metsçasurtonnez.

—

Despetitspoissurgelés,ceseraitpluscommode,Maman.»

Elleyréfléchituninstant,repartencourantetrevientavecunpaquetdemaïssurgelé.

«Çaira,ça?Iln’yaplusdepetitspois.»

Jenepeuxpasm’empêcherderire,c’estbonsigne,j’imagine.

«Quoi?Qu’est-cequ’ilyadedrôle?»

Ellealemascaraquicouleetlescheveuxenbataille.Jecherchesonbrasetellem’aideàmeredresser.Commeunepetitevieille.Jebasculemesjambesverslesoletmepincelehautdunezentredeuxdoigtscommeonm’aapprisàl’hôpital.Jesensmonpoulsbattreviolemmentdansmestempes.

«Çanes’arrêtepas,n’est-cepas?JevaisappelertonPapa.

—

Ilvapenserquetun’espascapabled’assumer.

—

Qu’ilpensecequ’ilveut!»

Ellecomposelenuméroàtouteallure.Setrompe.Recommence.

«Réponds,allez,réponds,quoi...»

Lalumièreestblafarde,touslesbibelotsdelacheminéesontdécoloréscommedesosblanchis.

«Ilnerépondpas.Pourquoinerépond-ilpas?C’estsibruyantqueça,unealléedebowling?

—

C’estlapremièrefoisqu’ilsortdepuisdessemaines,Maman.Laisse-letranquille,onvasedébrouiller.»

Sonvisagesedécompose.Ellenem’ajamaisaccompagnéeàaucunetransfusion,àaucuneponctionlombaire.Ellen’étaitpasautoriséeàêtreprèsdemoipourlatransplantationdemoelleosseusemaiselleauraitpuassisteràbeaucoupd’examensetnel’ajamaisfait.MêmesespromessesdevenirplussouventnousvoirsesontévanouiesavecNoël.C’estsontourd’affronterunpeularéalité.

«Ilfautquetum’emmènesàl’hôpital,Maman.

—

MaisPapaaprislavoiture,répond-elle,horrifiée.

—

Appelleuntaxi.

—

EtCal?

—

Ildort,non?»

Ellehochelatête,désespérée.Cen’estpassontruc,l’organisation.

«Ecris-luiunpetitmot.

—

Onnepeutpaslelaissertoutseul!

—

Ilaonzeans,Maman.Ilestgrand,maintenant.»

Ellehésiteuninstant,puisfeuillettesoncarnetd’adressespourtrouverunnumérodetaxi.Jescrutesonvisageetcequej’ylis-lapeur,ledésarroi-n’estguèreencourageant.Jefermelesyeux,etmeremémorelepersonnaged’unemèrequej’avaisvue,unjourdansunfilm.Ellevivaitenpleinemontagne,unfusilàlamain,avecuneribambelled’enfants.Sûre.Infaillible.

Jecollecetteimagedemèresurlamienne,commedusparadrapsuruneblessure.

Quandjerouvrelesyeux,elleestcramponnéeàunepiledeserviettesetremorquemonmanteauderrièreelle.

«Ilnefautprobablementpasquetut’endormes.Allez,viens!Jevaist’aideràtelever.Onasonnéàlaporte.»

Jemesenshébétéeetfiévreuse,peut-êtretoutcelan’est-ilqu’unmauvaisrêve.Ellemerelèveetnousnoustraînonsjusqu’àl’entrée.J’entendsquelqu’unchuchoterdel’autrecôtédelaporte.

Cen’estpasletaxi,c’estAdam,sursontrenteetunpoursortiravecmoi.Jeveuxmecacherettitubeverslesalon,maisilmevoit.

«Tess!Oh,monDieu!Qu’est-cequis’estpassé?

—

Unsaignementdenez,luiditMaman.Nouspensionsquec’étaitletaxiquiarrivait.

—

Vousallezàl’hôpital?Jevousemmènedanslavoituredemonpère.»

Ilentredanslamaisonetessaiedepassersonbrasautourdemoipourmeconduireàlavoiture.Commesij’étaisd’accordpourqu’ilprennelevolantetquemoijeflanquedusangpartoutsurlecuirdelabanquette,commesitoutçan’avaitaucuneimportance.J’ail’aird’unevictimedelaroute.Ilneserendpascomptequejen’aiaucuneenviequ’ilmevoiecommeça?

Jelerepousse.

«Rentrecheztoi,Adam.

—

Jet’emmèneàl’hôpital»,répète-t-il,aucasoùjen’auraispeut-êtrepasentendulapremièrefois,aucasoùtoutcesangm’auraitrendueidiote.

Mamanleprendparlebrasetl’entraînedoucementverslaporte.

«Onvasedébrouiller,Adam.Toutvabien.D’ailleurs,regarde,voilàletaxiquiarrive.

—

Jeveuxêtreavecelle.

—

Jesais,dit-elle.Jesuisdésolée.»

Jemedirigeversletaxi.Iltouchemamainaupassage.

«Tess!»

Jenerépondspas.Jeneleregardemêmepas.Savoixestsifermequesijecroisesonregard,jerisquedechangerd’avis.Trouverl’amourjusteaumomentdepartiretdevoiryrenoncer...c’estuneplaisanteriedesimauvaisgoût.Maisc’estcequ’ilfautquejefasse.Pourluietpourmoi.Avantqueçacommenceàfaireencoreplusmalquemaintenant.

Mamanétaledesserviettessurlabanquettearrièredutaxi,serrenosceinturesetordonneautaxidefaireundemi-tourspectaculairedèsquenousfranchissonslaporte.

«C’estça,dit-elle.Allez-y,foncez.»

Oncroiraitqu’ellejouedansunfilm.

Adosséauportail,Adamnousregardepartir,agitelebrasensigned’adieu.Ilrapetissedeplusenplusaufuretàmesurequenousnouséloignons.

«C’étaitgentildesapart»,ditMaman.

Jefermelesyeux.Mêmeassise,j’ail’impressionquejevaism’effondrer.

Mamanmesecoued’uncoupdecoude:

«Net’endorspas.»

Lalumièredelalunerebonditsurlepare-brise.Lebrouillard,danslesphares.

Nousdevionsallerdanser.Jevoulaisréessayerdeboiredel’alcool.Jevoulaismontersurlestablesetchanteràtue-tête.Jevoulaisescaladerlaclôtureduparc,piquerunbateauetfaireletourdulac.JevoulaisrentrerchezAdam,meglisserdanssonlitetfairel’amour.

Jemurmureàvoixbasse:«Adam».

Maissonnom,commetoutlereste,estsubmergédesang.

Àl’hôpital,ilsdénichentunechaiseroulante.Jesuisuneurgence,m’expliquent-ilsenmepoussantàtouteallureloinduhalld’entrée.Nouslaissonsderrièrenousleshabituellesvictimesdequerellesd’ivrognes,dedroguesduresetautresfemmesbattues,etcavalonsdanslescouloirsversunendroitplusimportant.

Bizarrement,l’atmosphèredel’hôpitalmerassure.C’estunmondeàpart,l’hôpital,avecsespropresloisetchacunyjoueunrôledéterminé.

C’estauservicedesurgencesqu’ontrouveleshommesjeunesquiontdesvoiturestroprapidesetdesfreinsmalréglés.Oulesmotardsquiontmalprisleurvirage.

Auxblocsopératoires,lesmaladroitsquionttripotéunecarabineàaircompriméoulesgensagressésparunpsychopathealorsqu’ilsrentraientchezeux.Etpuistouslesaccidentésdumanquedebol,lesgossesdontlescheveuxsesontcoincésdansunescalatoroulesfemmesdontlesoutien-gorgeàarmatureaattirélafoudre.

Danslesservicesdesprofondeursdel’hôpitalsontrassembléstouslesmauxdetêterécalcitrants,lesreinsquinejouentplusleurrôle,leséruptionsbizarres,lesgrainsdebeautésuspects,lestumeursausein,lesrhumesquiontmaltourné.Auquatrièmeétage,ilyalasalleMarie-Curieréservéeauxenfantscancéreux.C’estlà-hautqueseconsumentleurscorps,lentement,silencieusement.

Etpuisilyalamorgue,oùdormentlesmortsdansleurstiroirsréfrigérés,avecuneétiquetteaudoigtdepiedindiquantleuridentité.

Lapièceoùj’aboutiseststérileettrèséclairée.Ilyaunlit,unlavabo,unmédecinetuneinfirmière.

«Jecroisqu’elleasoif,ditMaman.Elleaperdutellementdesang.Nepourrait-onpasluidonneràboire?»

Lemédecinécartesapropositiond’ungeste.

«Cequ’ilfaut,c’estluibourrerlenez.

—

Lebourrer?»

L’infirmièreproposeunechaiseàMamanets’assiedprèsd’elle.

«Ledocteurvaluiintroduiredescompressesstérilesdanslenezpourarrêterlesang.Vouspouvezrester,sivousvoulez.»

Jegrelotte.L’infirmièreselèvepourmecouvrird’unecouverturequ’ellemeremontejusqu’aumenton.Jefrissonnedenouveau.

«Quelqu’unestentraindepenseràtoi,ditMaman.C’estçaqueçaveutdire.»

Pourmoi,celaatoujourssignifiéque,dansuneautrevie,quelqu’unsetenaitprèsdematombe.

Lemédecinmepincelenez,examinemabouche,tâtemagorgeetmanuque.

«Madame?

—

Moi?ditMaman,interloquée,enseredressantsursachaise.

—

A-t-elledéjàeudessignesdethrombocytopénie?

—

Pardon?

—

S’est-elleplaintedemauxdetête?Avez-vousremarquédesbleusdelatailled’unetêted’épingle?

—

Jen’aipasregardé.»

Ledocteursoupire,comprendvitequec’estcommes’illuiparlaitchinoisetpourtant,bizarrement,ilinsiste:

«Quandaeulieuladernièretransfusiondeplaquettes?

—

Jenesaispasexactement,répondMaman,deplusenplusperplexe.

—

A-t-elleprisdel’aspirineouautresmédicamentsdumêmegenrerécemment?

—

Jesuisdésolée,jenesaisriendetoutcela.»

Jedécidedevoleràsonsecours.Ellen’estpasassezfortepourfaireface,etrisquedes’enallerpurementetsimplementsiçadevienttropdifficile.

«Ladernièretransfusion,c’étaitle21décembre.»

J’ailavoixrauque.Lesangglougloutedansmagorge.

Lemédecinfroncelesourcil.

«Neparlezpas,surtout.Madame,approchez,etprenezlamaindevotrefilledanslavôtre.»

Mamanvientdocilements’asseoirauborddulit.

«Serrezlamaindevotremèreunefoispourrépondreoui,deuxfoispourdirenon,d’accord?

—

D’accord.

—

Chut!Neparlezpas,serrez-luilamain.»

Suitl’habituelinterrogatoire,contusions,mauxdetête,aspirine,maiscettefoisMamanconnaîtlesréponses.

«BonjelaouTeejel?»demandelemédecin.

Deuxpressionsdemain.

«Non,ditMaman,ellen’enapasutilisé.

—

Anti-inflammatoires?

—

Non»,ditMaman.

Ellemeregardedanslesyeux.Enfin,elleparlemonlangage.

«Bien.Jevaisboucherl’entréedevotrenezavecdelagaze.Sicelanesuffitpas,nousbloqueronsl’arrière.Etsil’hémorragiepersiste,nousdevronscautériser.Onvousadéjàcautérisélenez?»

JeserrelamaindeMamansifortqu’ellegrimace.

«Oui,dit-elle.Elleconnaît.»

C’esthorriblementdouloureux.J’aisentimachairgrillerpendantdesjours.

«Ilvafalloirvérifiervotretauxdeplaquettes.Celanem’étonneraitpasqu’ilsoittombéendessousdevingt.Jesuisdésolé,poursuit-ilenposantlamainsurmongenou,c’estunemauvaisesoiréepourvous.

—

Endessousdevingt?répèteMaman.

—

Oui,elleasansdoutebesoindedeuxunités.Nevousinquiétezpas,celaneprendrapasplusd’uneheure.»

Etilbourremonnezdecotonstérile.J’essaiedemeconcentrersurdesidéessimples:unechaise,lesdeuxbouleauxargentésdanslejardind’Adam,leursfeuillesquifrissonnentausoleil.

Maisjen’arrivepasàm’ycramponner.

J’ail’impressiond’avoiravaléuneserviettehygiénique,j’ailabouchesècheetdumalàrespirer.JeregardeMamanmaistoutcequejevoisestque,dégoûtée,elleadétournéleregard.Commentest-cepossiblequejemesenteplusvieillequemapropremère?Jefermelesyeuxpournepasavoiràconstatersalâcheté.

«Cen’estpasagréable,hein?ditlemédecin.Vousnepouvezpasessayerdeladistraireunpeu,Madame?»J’auraispréféréqu’ilneluidiserien.Qu’est-cequ’ellevafaire?Danser?Chanter?Oupeut-êtredisparaître?C’estsagrandespécialité.

Unlongsilences’installe.Puis:

«Tuterappelleslejouroùnousavonstousgoûtédeshuîtrespourlapremièrefoisetquetonpapaavomidanslapoubelleauboutdelajetée?»

J’ouvrelesyeux.Sesmotsdissipentcommeparenchantementlebrouillardquiembrumaitlapièce.Mêmel’infirmièresourit.

«Ellesavaientexactementlemêmegoûtquelamer,tuterappelles?»

Oui,jemerappelle.Onenavaitachetéquatre,unepourchacun.Mamanavaitpenchélatêteenarrièreetavalétoutrond.J’enavaisfaitautant.MaisPapa,lui,avaitmâchélasienneetelleétaitrestéecoincéeentresesdents.Ilavaitcourulelongdelajetéeensetenantl’estomacet,quandilétaitrevenu,ilavaitavaléunecanettedesodad’unseultrait.Calnonplusn’avaitpasaimé.«C’estpeut-êtreunenourritureféminine»,avaitconcluMaman,etelleenavaitrachetédeuxautrespourelleetmoi.

Ellecontinueàévoquerunepetitevilledeborddemer,l’hôtel,lapromenadesurlaplage,lesjournéesensoleillées,chaudesetlumineuses.

«Tuadoraiscetendroit,raconte-t-elle.Tupassaisdesheuresàramasserdescoquillagesetdesgalets.Unjour,tuasattachéuneficelleàunmorceaudeboisflottéettoutelajournéetul’aspromenésurlaplage,enfaisantsemblantd’avoirunchien.

»

L’infirmièresemetàrire.Mamansourit.

«Tuétaisuneadorablepetitefillepleined’imagination.Ettellementfacile.»

Sijepouvaisparler,jeluidemanderais:pourquoim’avoirabandonnée,alors?Etpeut-êtrequ’ellemeparleraitenfindel’hommepourlequelelleaquittéPapa.Peut-

êtremeparlerait-elled’unamoursiintensequejecommenceraisenfinàl’admettre.

Maisjenepeuxpasparler.J’ailagorgeserrée,brûlante.DoncjecontinueàécouterMamanretracerlessoleilsd’antan,lesjoursévanouis,labeautédisparue.C’estundélice.Elleesttrèsinventive.Mêmeledocteural’airdes’amuser.D’aprèssonrécit,lesoleilbrillaitet,chaquejour,nousassistionsauballetdesdauphinsjouantdanslesvagues.

«Oxygène!commandelemédecinenm’adressantunclind’œilcommes’ilmeproposaitdelacame.Bravo!Onn’apasbesoindecautériser.»

Ildonnequelquesprécisionsàl’infirmièrepuiss’arrêtesurlepasdelaportepourunpetitsigned’adieu.

«Jusqu’ici,c’estvousquiêtesmameilleurepatientedelasoirée»,medit-il.

Puisils’adresseàMaman:

«Etvousn’étiezpassimal,vousnonplus.»

«Ehbien,quellesoirée!ditMamanalorsquenousmontonsdansletaxiduretour.

—

J’aibienaiméquetusoisprèsdemoi.»

Elleal’airsurprise.Contente,même.

«Jenesuispassûred’avoirétéd’ungrandsecours.»

Lalumièredupetitmatinéclairelaroute.Ilfaitglacialdanscetaxi,l’airsembleraréfié,commedansuneéglise.

«Tiens»,ditMaman.

Elledéboutonnesonmanteaupourmelemettresurlesépaules.

«Allez-y,mettezlagomme!»lance-t-elleauchauffeur,etnousrionsensemble.

Nousprenonslemêmecheminqu’àl’aller.Elleesttrèsbavarde,pleinedeprojetspourleprintempsetPâques.Elleveutpasserplusdetempsàlamaison,dit-elle.

InviteràdînerdevieuxamisdePapaetelle.Organiserunefêtepourmonanniversaireenmai.

Peut-êtrequ’elleestsincère,cettefois.

«Tusais,dit-elle.Touslessoirs,quandlesforainsdumarchéfermentleursétals,jesorspourramasserdesfruitsetdeslégumesabandonnésparterre.Quelquefois,ilsbalancentdescageotsentiersdemangues.Lasemainedernière,j’aitrouvécinqloupsdemerlaisséscommeça,dansunsacenplastique.Sijecommencemaintenantàmettredesprovisionsdanslecongélateurdetonpapa,lesdînersetlesfêtesneluicoûterontpasunpenny.»

Lavoilàpartiedanslafête,avecjeuxetcocktails,orchestresetanimateurs.Onloueralasallecommunale,onladécoreradebanderolesetdeballons.Jemeserrecontreelleetposematêtesursonépaule.Jesuissafille,aprèstout.J’essaiederesterimmobile,jevoudraisqueriennechange,c’estsibondem’endormirdoucementdanslachaleurdesonmanteau,bercéeparsavoix.

«Regarde!Commec’estétrange!»

J’aibeaucoupdemalàouvrirlesyeux.

«Quoidonc?

—

Là-bas,surlepont.Çan’yétaitpasavant.»

Letaxis’estarrêtéàunfeurouge,àlahauteurdelagare.Mêmeàcetteheurematinale,c’estencombré,unefouledetaxisdéposentdéjàlesbanlieusardsquiveulentéviterl’heuredepointe.Surlepont,bienau-dessusdelaroute,deslettresontéclosdanslanuit.Plusieurspersonness’arrêtentpourregarder.IlyaunT

chancelant,unEendentsdescie,deuxcourbesenchaînéespourledoubleS.Et,àlafin,unénormeA,plusgrosquelesautreslettres.

«Quellecoïncidence!»ditMaman.

Maiscen’enestpasune.

J’aimontéléphonedansmapoche.Mesdoigtshésitentsurleclavier.

Iladûfaireçadanslasoirée.Iladûescaladerleparapet,s’asseoirdessusàcalifourchon,sepencherdanslevidepourécrire.

Moncœurcogne.Jesorsmontéléphoneetécris:tencorevivan?

C’estvert,letaxidémarre,passesouslepont,s’engagedansHighStreet.Ilestsixheuresetdemie.Peut-êtredort-ilencore?Ets’ilavaitperdul’équilibreets’étaitécrasésurlarouteencontrebas?

«Oh,monDieu!s’écrieMaman.Maistuespartout!»

HighStreetn’estpasencoreréveillée:danslarueassoupie,lesrideauxmétalliquesdesmagasinsmontenttoujourslagarde.Ettousaffichentmonnom:lanouvellemaisondelapresse,lesluxueuxvoletsdumagasinbio,enplusénormeencorelemagasindemeublesHandie’s,leKing’sChickenJointetleBarbecueCafé.Monnoms’inscritsurlesoldevantlabanqueettoutlelongdutrottoirjusqu’àMothercare.J’aienvahitoutelarueetscintilletoutautourdurond-point.

«C’estunmiracle!murmureMaman.

—

C’estAdam.

—

Adam,Adamvotrevoisin?»

Elleal’airstupéfaite.

Montéléphoneannonceunmessage:oui,toioci?

Jeristouthaut.Enrentrant,jevaistoqueràsaporteetm’excuser.Ilvamesourire,commehierquandilm’avueleregarderpousseruntasdemauvaisesherbeslelongdesonalléeetqu’ilm’adit:«Tunepeuxpast’empêcherd’approcher,hein?»Celam’afaitrireparcequeenfaitc’étaitvraimaislediretouthautrendaitçamoinsdouloureux.

«C’estAdamquiafaitçapourtoi?»

Mamanfrissonned’excitation.Elleatoujoursadoréleshistoiresd’amour.

Jerépondsautextod’Adam:vivanteoci,jarive.

Unjour,Zoeym’ademandéquelavaitétélemeilleurmomentdemavie,jusqu’àprésent.Etjeluiairacontél’époqueoù,macopineLorraineetmoi,ons’exerçaitàmarchersurlesmains.J’avaishuitans.Lelendemainavaitlieulaventedecharitédel’école,Mamanavaitpromisdem’acheteruncoffretàbijoux.Étenduedansl’herbe,jetenaislamaindeLorraine,lebonheurm’étourdissait,lemondemesemblaitsibeau.

Zoeym’atraitéedenulle.Maishonnêtement,c’estlapremièrefoisdemaviequej’aiétéconsciented’êtreheureuse.

EmbrasserAdamaremplacécetinstant-làdansmonhit-parade.Puisfairel’amouravecluiestmontéentêtedeclassement.Etmaintenant,voilàqu’ilafaitçapourmoi.

Merendrecélèbre.Affichermonnomfaceaumondeentier.J’aipassélanuitàl’hôpital,latêterempliedecotonhydrophile.Jeserredansmamainunsacenpapierpleind’antibiotiquesetd’analgésiques,monbrasmefaitmalparcequ’onainjectédeuxunitésdeplaquettesdansmoncathéter.Etpourtant,c’estincroyablecequejepeuxmesentirheureuse.

Trente

«Jevoudraisqu’Adams’installeàlamaison.»

Stupéfait,Papasedétournedel’évier,sesbrasruissellentd’eausavonneusequigouttesurlesol.

«Nedispasn’importequoi!

—

Non.Jeparlesérieusement.

—

Etoùserait-ilcensédormir?

—

Dansmachambre.

—

Iln’estpasquestionquej’accepteunechosepareille,dit-ilenseretournantversl’évieroùilchahutebolsetassiettes.C’estsurtaliste?Avoirunpetitamiàdemeure?

—

Ils’appelleAdam.

—

Pasquestion!

—

Bon,alorsc’estmoiquiiraivivrechezlui.

—

Ettucroisquesamèret’acceptera?

—

Bon,danscecas,onficheralecampenÉcosseetonvivradansuneferme.Tupréfères?»

Unegrimacedecolèrecrispesabouchelorsqu’ilseretourneànouveauversmoi.

«Laréponseestnon,Tess.»

Jedétestecettefaçonautoritairedetrancher,commesic’étaitàluidetoutdécider.

Jemontebruyammentdansmachambreetclaquelaporte.Ils’imaginequec’estunehistoiredesexe.Iln’estpascapabledevoirplusloinqueça?Decomprendreàquelpointc’estdifficilededemanderça?

Ilyatroissemaines,àlafindumoisdejanvier,Adamm’aemmenéeenmoto,plusvitequed’habitude,etplusloin,àlalimiteduKent,suruneterreplateetmarécageusequidescendverslamer.Ilyavaitlàtroiséoliennesdontlespalesfantomatiquestournoyaientdanslevent.

Adamfaisaitdesricochetsdansl’eau.Jemesuisassisesurlesgaletsetluiairacontéquemalistem’échappait,partaitdanstouslessens.

«Ilyatellementdechosesquejevoudraisfaire.Dix,çanesuffitplus.

—

Commequoi,parexemple?»

Audébut,c’étaitfacile.Unvraiinventaire.Leprintemps.Lesjacinthesetlestulipes.Nagersouslecielbleuetcalmedusoir.Unlongvoyageentrain,unpaon,uncerf-volant.Unautreété?Maisjen’aipasoséluidirecequejedésiraisleplus.

Lesoir,ilestrentréchezlui.Commetouslessoirs,pourveillersursamère.Ildortàquelquesmètresdemoi,del’autrecôtédumur,aufonddemapenderie.

Lelendemain,ilestarrivéavecdesticketsd’entréeauzoo.Nousavonsprisletrain.

Vudesloupsetdesantilopes.Sousmesyeux,unpaonadéployésaqueue,émeraudeetaigue-marine.NousavonsdéjeunéaurestaurantetAdamacommandépourmoiuneassiettedefruitsavecdesraisinsnoirsetdestranchesdemanguefraîche.

Quelquesjoursplustard,ilm’aemmenéenagerdansunepiscinedepleinairchauffée.Aprèslebain,nousnoussommesassis,drapésdansnosserviettes,lesjambespendantesdansl’eau.Nousavonsbuunchocolatchaudenriantdesenfantsquipoussaientdescrisperçantsdansl’airfrisquet.

Unmatin,ilm’amontéunepotéedecrocusdansmachambre.

«Leprintemps»,a-t-ilannoncé.

Ilm’aemmenéeenmotosurnotrecolline.Ilavaitachetéuncerf-volantdepocheetnousl’avonsfaitvolerensemble.

Jouraprèsjour,c’étaitcommesiquelqu’unavaitdémonté,puisremontémavie,aprèsenavoirsoigneusementastiquéchaquepièce.

Maisnousn’avonsjamaispasséuneseulenuitensemble.

Etpuis,lejourdelaSaint-Valentin,ons’estaperçuquej’étaisdenouveauanémiéedouzejoursseulementaprèsunetransfusiondesang.

«Qu’est-cequecelaveutdire?ai-jedemandéauchefdeservice.

—

Celaveutdirequevousavezfranchiuneétapedeplus.»

Respirerdevientdeplusenplusdifficile.J’aidescernesdeplusenplussombressouslesyeux.Meslèvresontl’aird’unplastiquecolléentraversd’uneporte.

Lanuitdernière,jemesuisréveilléeàdeuxheuresdumatin.Mesjambesmefaisaientmal,desélancementssourds,commeuneragededents.J’avaisprisduparacétamolavantdemecouchermaisj’avaisbesoindecodéine.Enallantàlasalledebains,j’aivu-parlaporterestéeentrouverte-queMamanétaitdanslachambredePapa.Sescheveuxs’étalaientsurl’oreilleretPapal’enlaçaitd’unbrasprotecteur.

Celafaittroisfoisenquinzejoursqu’ellepasselanuitici.

Jesuisrestéeunmomentsurlepalieràlesregarderdormir,aveclacertitudequejenepouvaisplus,désormais,resterseuledanslenoir.

Mamanmonteets’assiedsurmonlit.Deboutprèsdelafenêtre,jecontemplelecrépuscule.Lecielsemblemenaçant.D’impatientesnuéess’approchentenvolantbas.

«Ilparaîtquetuvoudraisqu’Adamemménageici?»

J’écrismonnomsurlabuéedelavitre.Lestracesdemesdoigtsquisalissentlescarreauxmerappellentmonenfance.

«Tonpèreaccepteraitunenuitdetempsentemps,poursuitMaman,maisiln’estpasquestionqu’Adamviveici,Tess.

—

Papaavaitditqu’ilm’aideraitàréalisermaliste.

—

Maisilt’aide,Tessa!Ilvientjusted’acheterdesbilletspourqu’onailletousensembleenSicile!

—

Parcequ’ilaenviedepasserunesemaineentièreavectoi!»

Jemeretourneverselle,ellefroncelessourcilsenmedévisageantcommesiellenem’avaitjamaisvuedesavie.

«Ilavraimentditça?

—

Ilestamoureuxdetoi,c’estévident.Voyagern’estmêmeplussurmaliste.

—

Ahbon?Jepensaisquec’étaitlenumérosept?

—

Non,jel’airemplacéparvousvoirdenouveauvivreensemble,Papaettoi.

—

Oh,Tessa!»

C’estbizarreparcequ’elleestlapersonnequejeconnaislaplusàmêmedecomprendreunehistoired’amour.

«Parle-moidelui,dis-jeenlaregardantenface,brascroisés.

—

Dequi?

—

Del’hommepourlequeltunousasquittés.

—

Pourquoireparlerdecelamaintenant?dit-elleensecouantlatête.

—

Parcequetum’asditquetun’avaispaseulechoix.C’estbiençaquetum’asdit,n’est-cepas?

—

J’aiditquej’étaismalheureuse.

—

Ilyadestasdegensmalheureux,maisilsnes’enfuientpas.

—

S’ilteplaît,Tess,jen’aivraimentpasenviedeparlerdeça.

—

Noust’aimions.»

Aupluriel.Aupassé.Etpourtantlaphrasesembleencoretropimmensepourcettepetitepièce.

Ellelèveversmoisonvisagepâleetanguleux.

«Pardon.

—

Tudoisl’avoiraiméplusquetun’asjamaisaimépersonne.Cedevaitêtrequelqu’undemerveilleux,d’envoûtant.»

Pasderéponse.

Evident.Unamouraussifort.Jeretourneverslafenêtre.

«DonctudoiscomprendrecequejeressenspourAdam.»

Elleselèvepourmerejoindre,setienttoutprèsdemoimaissansmetoucher.

«Est-cequeluiéprouvelamêmechosepourtoi,Tess?

—

Jenesaispas.»

J’aienviedemepenchersursonépaulecommesitoutallaitbien.Maisjemecontented’effacermonnomdelavitreetdecontemplerlanuit.Ilfaitétrangementsombre,dehors.

«Jevaisenparleràtonpère.IlestentraindedirebonsoiràCal;quandilaurafini,jel’emmèneraiboireunebièrequelquepart.Vouspouvezrestertoutseuls?

—

JevaisdemanderàAdamdevenir.Jeluiprépareraiàdîner.

—

D’accord.»

Elles’enva,maisseretournesurlepasdelaporte:

«Tuasdetendresetjolissouhaits,Tess.Mais,tusais,lesautresnepeuventpastoujourstedonnercequetuveux.»

Jecoupedeuxgrandestranchesdepainsurlaplancheetlesmetssouslegril.Jecherchedestomatesdansletiroiràlégumeset,commeAdam,adosséàl’évier,meregardefaire,jeprendsunetomatedanschaquemain,lesmonteàlahauteurdemesseinsetimproviseunesortededanseduventre.

Ilrit.Jecoupelestomatesenrondellesetlesdisposeàcôtédupainsurlegril.Enattendantquelestoastssoientgrillés,jesorslarâpeàfromageduplacard,lefromageduFrigidaireetjegratteunpetittasde

fromagerâpésurlaplanche.J’aiunT-shirttrèscourtquinedescendpastoutàfaitjusqu’àmonpantalon.Jesaisque,lorsquejemepenchesurunehanche,Adamaperçoitunecertainecourbe(ladernièrequimereste)entrelebasdemacolonneetlehautdemesfesses.

Quandj’aifinilerâpé,jemelèchelesdoigtsunàun,délibérément,etcelaproduitl’effetescompté.Adamvientm’embrasserlanuque.

«Tusaisàquoijepense?»murmure-t-il.

Evidemmentquejesais.

«J’aienviedetoi.»

Ilmeforceàmeretourneretm’embrassesurlabouche.

«Trèsenvie.»

J’adorelafaçondontilditcela,commesiuneforceinconnues’emparaitdelui.

«Ettusaiscedontj’aienvie,moi?»

Ilsourit.Sûrdecequejevaisdire.Jeneveuxpasinterromprecesourire.

«Detoi.»

Cequiestvrai.Etpastoutàfaitvrai.

J’éteinslegazavantdemonter.Lepainacramé.Etl’odeurdebrûlémerendtriste.

Danssesbras,j’oublietout.Maisaprès,alorsquenoussommescouchéstranquillementl’unprèsdel’autre,jemesouviens.

«Jefaisdemauvaisrêves»,luidis-je.

Ilmecaresselahanche,lehautdelacuisse.Samainestchaudeetferme.

«Raconte-moi.

—

Jerêvequejevaisquelquepart.»

Jemarchepiedsnusàtraverschampsjusqu’auborddel’univers.J’escaladedesclôtures,cheminepéniblementdansl’herbehaute.Chaquefois,jevaisplusloin.Lanuitdernière,j’aiaboutidansunpetitboissombre.Del’autrecôtécoulaitunerivière.Unbrouillardplanaitàlasurfacedel’eau.Iln’yavaitpasdepoissonsetcommejepataugeaispourensortir,labouesuintaitentremesorteils.

Adampasseundoigtsurmajoue.Puisilm’attireversluietm’embrasse.Surlajoue.Lementon.L’autrejoue.Puissurlabouche.Toutdoucement.

«Sijepouvais,jeviendraisavectoi.

—

Çafaittrèspeur.

—

Jesuistrèscourageux.»

Ça,jesais.Combiendegensseraientici,prèsdemoi,pourcommencer...

«Adam,jevoudraistedemanderquelquechose.»

Ilattend.Calmement,satêtetoutcontrelamienne.C’estdifficile.Jenetrouvepaslesmots.J’ail’impressionqueleslivresrangéssurl’étagèreau-dessusdenouscommencentàremuerensoupirant.

Ils’assiedetmetendunfeutre.

«Écris-lesurlemur.»

Jeregardecequej’aiécritdepuisdesmois.Tousmesdésirsgribouillés.Auxquelsjepourraisenajoutertantd’autres.Ouvriruncomptejointaveclui,prendreunbainenchantantaveclui,l’écouterronflerpendantdesannéesetdesannées.

«Vas-y,m’encourage-t-il.Ilvafalloirquejerentrebientôt.»

Etc’estgrâceàcesmots-là,avectoutcequ’ilssupposentdemondeextérieur,dechosesàfaire,delieuxoùêtre,quejemedécideàécrire:Jevoudraisquetuviennesvivreiciavecmoi.Jevoudraislesnuits.J’écrisvite,maladroitement,commeçailnepourrapeut-êtrepasmedéchiffrer.Etpuisjemecachesouslacouette.

Petitsilence.Puis:

«Jenepeuxpas,Tess.»

Jeressorsdemacachette.Jenedistinguepassonvisage,simplementunelueurdanssesyeux.Lerefletdesétoiles,peut-être.Oudelalune.

«Parcequetuneveuxpas?

—

Parcequejeneveuxpaslaissermamèreseule.»

Jedétestesamère,lesridesdesonfront,lesplisautourdesesyeux,jedétestesonairblessé.Elleaperdusonmarimaisc’esttoutcequ’elleaperdu.

«Tunepeuxpasvenirunefoisqu’elles’estendormie?

—

Non.

—

Luias-tudéjàdemandé,aumoins?»

Ilsortdulitsansmetoucheretserhabille.Siseulementc’étaitpossibledeluicollerdescellulescancéreusesaucul.Jepourraisl’atteindred’icietilseraitàmoipourtoujours.Jesoulèveraisletapisetletireraissousleplancherjusqu’auxfondationsdelamaison.Nousferionsl’amourfaceauxversdeterre.Mesdoigtspénétreraientjusquesoussapeau.

«Jevaistehanter,luidis-je.Maisdel’intérieur.Chaquefoisquetutousseras,tupenserasàmoi.

—

Arrête!Tumeprendslatête»,dit-il.

Etils’enva.

J’attrapemesvêtementsetlesuis.Ilprendsonblousonsurlarampedel’escalier.

Jel’entendstraverserlacuisineetouvrirlaportedederrière.

Ilestencoresurleseuillorsquejelerejoins.Derrièrelui,degrosfloconsdeneigetournoientdanslejardin.Celaadûcommenceraumomentoùnoussommesmontésdanslachambre.L’alléeesttouteblanche,lapelouseaussi.Etilyenaencorepleinleciel.Lemondeparaîttoutsilencieuxetrétréci.

«Toiquivoulaisdelaneige...»ditAdam.

Iltendlamaindehorspourattraperunfloconetmelemontrer.C’estunvraidevrai.Commeceuxqu’onnousfaisaitdécouperdansdesnapperons,aujardind’enfants,pourlescollersurlesfenêtres.Nousleregardonsfondresursapaume.

Jeprendsmonmanteau.Adamm’apportemesbottes,monécharpe,monbonnet,etm’aideàdescendrelesmarchesduperron.Lefroidmecoupelesouffle.Ilneigetellementquel’empreintedenospass’effaceaufuretàmesurequenousavançons.

Encoreplusprofondesurlapelouse,laneigecrissesousnospas.Noustraversonsensemblecetteétenduevierge.Essayonsd’yinscrirenosnomsentassantlaneigeavecnospieds,d’atteindrel’herbeenfouiesouscetteépaisseur,maisdelaneigefraîcherecouvreaussitôtnosempreintes.

«Regarde»,ditAdam.

Ils’étendsurledos,batdespiedsetdesmains,hurlequ’ilatropfroidaucou,àlatête.Serelèved’unbond,époussettelaneigedesonpantalon.

«C’estpourtoi,dit-il.Unangedeneige.»

C’estlapremièrefoisqu’ilmeregardedepuisquej’aiécritsurlemur.Sesyeuxsontembuésdetristesse.

«Tuasdéjàmangéuneglaceàlaneige?»

Amademande,ilvachercheràlacuisineunbol,dusucreglace,delavanilleetunecuiller.Et,suivantmesinstructions,ilmetdeuxpoignéesdeneigedansleboletfouettetouslesingrédientsensemble.Lerésultat,marronnasse,aungoûtbizarreetneressembleenrienàmessouvenirsd’enfant.

«Peut-êtrequ’ilfautplutôtduyaourtetdujusd’orange.»

Ilpartencourant,revient,onfaitunautreessai.C’estpire.Mais,cettefois,celalefaitrire.

«Tuasunebouchemagnifique,luidis-je.

—

Tugrelottes.Ilvaudraitmieuxqueturentres.

—

Passanstoi.»

Ilregardesamontre.Jeluidemande:

«Tusaiscommentonappelleunbonhommedeneigedansledésert?

—

Ilfautquej’yaille,Tess.

—

Uneflaque.

—

Sérieusement.

—

Tunepeuxpaspartirmaintenant.Jeneretrouveraisjamaismonchemindanscettetempête.»

Jedéboutonnemonmanteau,lelaissetomberpourdénudermesépaules.Ilyaseptminutes,Adamm’embrassaitàcetendroitprécis,mesépaules.Ilmefaitunclind’œil.Iladelaneigesurlescils.

«Qu’est-cequetuattendsdemoi,Tessa?

—

Toi,lanuit.

—

Maisquoi,exactement?»

Jesavaisbienqu’ilcomprendrait.

«Jevoudraisquetusoisprèsdemoidanslenoir.Quetaprésencemesoutienne.

Quetum’aimes.Quetum’aidesquandj’aipeur.Quetut’approchestoutprèsdubordpourcomprendre.»

Sonregardestd’unegrandeintensité.

«Etsijemetrompe?

—

C’estimpossibledesetromper.

—

Jevaispeut-êtretedécevoir.

—

Non,tunemedécevraspas.

—

Jerisquedepaniquer.

—

Çan’apasd’importance.L’essentielestquetusoislà.»

Ilmefixedroitdanslesyeuxàtraverslaneige.Sesyeuxsonttrèsverts.

Jelisdanssonregardqu’ilanticipetoutcequil’attend.Jenesaispascequ’illitdansmesyeuxàmoi.Maisilestcourageux.J’aitoujourssuqu’ilétaitcourageux.Ilmeprendparlamainetmeguideverslamaison.

Dansmachambre,jemesenstoutalourdie,commesimonlitm’engloutissait,m’attiraitverslefond.Adammetuntempsfouàsedéshabiller,puisrestedeboutàgrelotterencaleçon.

«Jeviensprèsdetoi,alors?

—

Seulementsitulesouhaitesaussi.»

Illèvelesyeuxauciel:décidément,lapartien’estjamaisgagnéeavecmoi.C’esttellementdifficile

d’obtenircequejeveux.J’aitoujourspeurquelesautresmel’accordentuniquementparcequ’ilssesententcoupables.Jeveuxqu’Adamaitenvied’êtrelà.Commentpourrai-jejamaisl’expliquer?

Ilgrimpedanslelit.

«Tunepensespasqu’ilfaudraitprévenirtamère?

—

Jeluidiraidemain.Ellesurvivra.

—

Tunefaispasçaparcequetuaspitiédemoi?

—

Arrête,Tessa!»dit-ilensecouantlatête.

Nousnousblottissonsl’uncontrel’autremaislefroiddelaneigenousfaitencorefrissonner,nousavonslespiedsetlesmainsglacés.Nouspédalonspournousréchaufferlesjambes.Adammefrictionne,mecaresse,meprenddanssesbras.Jesenssonsexegrossir.Celamefaitrire.Luiaussirit,maisnerveusement,commesijememoquaisdelui.

«Tuasenviedemoi?

—J’aitoujoursenviedetoi,répond-ilensouriant.Maisilesttard.Ilfautquetudormes.»

Dehors,lemondeparaîtplusbrillantsouslaneige.Jem’endorsenregardantlalumière,filtréeparlafenêtre,sereflétersurlapeaud’Adametlafairescintiller.

Quandjemeréveille,c’esttoujourslanuitetildort.Lacouleursombredesescheveuxtranchesurl’oreilleretilajetésonbrasentraversdemoi,commepourmeretenir.Ilsoupire,s’arrêtederespirer,remue,seremetàrespirernormalement.Ilestdanslaphaseprofondedusommeil,àmi-cheminentrenotreuniversetuntoutautremonde.C’estétonnammentréconfortantpourmoi.

Maissaprésencenem’empêchepasd’avoirmalauxjambes.Jeluilaisselacouette,medrapedanslacouvertureetboitillejusqu’àlasalledebainspourprendredelacodéine.

Quandj’enressors,Papaestsurlepalier,enrobedechambre.J’avaisoubliéjusqu’àsonexistence.Iln’apasmisdepantoufles,sesorteilsparaissentpâlesetinterminables.

«Cedoitêtrel’âge,luidis-je.Cesontlesvieuxquiselèventlanuit.

—

Jesaisqu’Adamestlà,avectoi,répond-ilenresserrantsarobedechambre.

—

EtMaman,elleestlà,avectoi?»

Ilignoremaquestion,quin’estpourtantpasanodine,mesemble-t-il.

«Jetel’avaisdéfendu.»

Jeregardeparterre,enespérantqu’ilnevapass’éterniserlà-dessus.Majambegauchesembleprêteàéclater,commesimesosenflaient.Jeremuemonpied.

«Jenesuispassortipourtegâcherleplaisir,Tess,maisc’estmonrôledeveillersurtoi.Jeneveuxpasquetuaiesmal.

—

Ça,çameparaîtunpeucompromis.»

JeledisenplaisantantmaisPapanesouritmêmepas.

«Adamestencoreunenfant,Tessa.Tunepeuxpastereposersurluipourtout,ilrisquedetedécevoir.

—

Ilnemelaisserapastomber.

—

Ets’illefaisait?

—

Jet’auraitoujourstoi,detoutefaçon.»

C’estétrangedeleserrerdansmesbras,là,surlepalier,enpleinenuit.Nousnousétreignonsplusétroitementquejamais.Finalement,ildesserrelesbrasetmeregarde,l’airgrave.

«Jeseraitoujourslàpourtoi,Tess.Quoiquetufasses,quoiquetuaiesencoreàfaire,quoiqu’ilrestesurtastupideliste.Ilfautquetulesaches.

—

Ilnerestequasimentrien,surmaliste.»

Lenuméroneufestl’emménagementd’Adamici.Plusessentielquefairel’amour.

Ils’agitd’affronterlamort,maispastouteseule.Ils’agitquemonlitcessed’êtreunendroitterrifiantpourêtreceluioùreposeAdam,pleindechaleuretd’amourpourmoi.

Papam’embrasselesommetducrâne.

«File,maintenant.»

Ilsedirigeverslasalledebains.

Moi,jeretourneprèsd’Adam.

Trenteetun

Lamagieduprintempsestensorcelante.

Lebleu.Lesnuagescotonneuxethautperchés.L’airpluschaudqu’iln’aétédepuisdessemaines.

«Lalumièreétaitdifférente,cematin,dis-jeàZoey.Çam’aréveillée.»

Elledéplacesonpoidsdanslachaiselongue.

«Tuenasdelachance.Moi,cesontdescrampesdanslesjambesquim’ontréveillée.»

Noussommesassisessouslepommier.Zoeyaprisunecouverturesurlecanapéets’estdrapéededansmaismoijen’aipasfroiddutout.C’estunedecestièdesjournéesdemarsoùlaterreseréveille.Lapelouseestparseméedepâquerettes.

Despetitsgroupesdetulipespointentlenezlelongdelaclôture.Mêmel’odeurdujardinestdifférente,humideetmystérieuse.

«Çava?demandeZoey.Tuasl’airunpeubizarre.

—

Jemeconcentre.

—

Surquoi?

—

Dessignes.»

Elleémetunpetitgrognement,prendlabrochuredel’agencedevoyagesquej’aisurlesgenouxetcommenceàlafeuilleter.

«Bon,alorsmoi,jevaismetortureravecça,pendantcetemps-là.Tumepréviensquandtuasfini.»

Jen’auraijamaisfini.

Cettedéchirureentrelesnuagesparlaquellefiltrelalumière.Cetoiseaueffrontéquitraverselecielendroiteligne.Ilyadessignespartout.Dessignesrassurants.

Calycroit,luiaussi,maintenant,quoiquedefaçonplusconcrète.Ilappellecelades

«sortilèges-trompe-la-mort».

Ilamisdel’ailsurtouteslesportesetauxquatrecoinsdemonlit.IlafabriquédespanneauxDEFENSED’ENTRERqu’ilaaccrochésauxportails,devantetderrièrelamaison.

Hiersoir,pendantquenousregardionslatélévision,ilaligotéunedesesjambesàunedesmiennesavecunecordeàsauter.Commesinousallionsparticiperàunecourseàtroisjambes.

«Personnenepourrat’enleversituesliéeàmoi,a-t-ildécrété.

—Onpeutt’emmenertoiaussi!»

Ilahaussélesépaules:aucuneimportance...

«EnSicilenonplus,onnet’attraperapas.Personnenesaitoùtuseras.»

Demainnousprenonsl’avion.Pourallerpasserunesemaineausoleil.JetaquineZoeyaveclesimagesducatalogue,lesplagesvolcaniquesausablenoir,lesmontagnesquitombentdanslamer,lestrattoriasetpizzerias.Surcertainesphotos,onaperçoitenarrière-planlasilhouetteisoléedel’Etna,énorme,explosif.

«Levolcanesttoujoursenactivité,dis-jeàZoey.Lanuit,onlevoitcracherdesétincellesetquandilpleut,toutestpleindecendres.

—

Ilnevapaspleuvoir,detoutefaçon.Ildoitfairechaud,aumoins30°.»

Ellerefermelabrochured’uncoupsec.

«Jen’enrevienspasquetamèreaitcédésaplaceàAdam!

—

Papanonplusn’enrevientpas.

—

Est-cequelesremettreensemblenefiguraitpassurtaliste?demande-t-elleaprèsuntempsderéflexion.

—

Oui,numérosept.»

Ellejettelabrochuresurl’herbe.

«C’estterrible.Jemesenstriste,maintenant.

—

C’esthormonal.

—

Tellementtriste,tunepeuxpasimaginer.

—

Jetedisquec’esthormonal.»

Ellejetteunregarddésespéréverslecielpuis,presqueaussitôt,m’adresseungrandsourire.

«Est-cequejet’airacontéquej’allaischercherlesclefsdanstroissemaines?»

Parlerdesonfuturappartementluiremontetoujourslemoral.Leconseilmunicipaladécidédeluiaccorderuneallocation.Aveclaquelleellepourraacheterdelapeintureetdespapierspeints.Elleesttoutexcitéeenmeparlantdelacouleurqu’elleenvisagepoursachambre,descarrelagesqu’elleveutpourlasalledebains,avecunmotifdepoissontropical.

Jel’écoutemais,c’estbizarre,ondiraitquelescontoursdesoncorpsdeviennentflous.J’essaiedemeconcentrersurleplandesacuisinemaisZoeym’apparaîtcommecernéeparunebrumedechaleur.

«T’essûrequetuvasbien?Tuasdenouveauunedrôledetête.»

Jemepencheenavantetmemasselecrâne.Ilfautabsolumentquejedissipecettedouleur,là,derrièrelesyeux.

«Tuveuxquej’appelletonpère?

—

Non.

—

Tuveuxunverred’eau?

—

Non.Attends-moi,jereviensdansuneminute.

—

Oùvas-tu?»

JenevoispasAdammaisjel’entends.Ilestentraindebêcheruneplate-bandepourquesamèrepuisseplanterdesfleursennotreabsence.J’entendssabotteappuyersurlapelle,larésistancedelaterrehumide.

Jepasseparletroudanslaclôture.Lanaturemurmuresonrenouveau,lesbourgeonss’ouvrent,dejeunespoussesauvertdélicatsefrayentuncheminpourfairesurface.

Ilaretirésonpull-over,neportequ’unT-shirtetunjean.Ils’estfaitcouperlescheveuxhieretlacourbedesoncouversl’épauleeststupéfiantedebeauté.Ilsouritenmevoyantleregarder,posesabêche,s’approche.

«Salut,toi!»

Jemepencheversluietattendsunpeudemesentirmieux.Ilachaud.Sapeauestsaléeetsentlesoleil.

«Jet’aime.»

Silence.Stupeur.Avais-jel’intentiondeluidireça?

Ilsourit,cesourireencoinqu’ila.

«Moiaussi,jet’aime,Tess.»

Jeposemamainsursabouche.

«Neledispassitunelepensespas.

—

Jelepense.»

Sonhaleineembuemesdoigts,ilembrasselapaumedemamain.

J’enfouiscestrésorsdansmoncœur,sonodeursurmesdoigts,songoûtsurmeslèvres.J’enauraibesoin,commeautantdetalismans,poursurvivreàcetimpossiblevoyage.

Ilmecaresselevisaged’undoigt,lefront,lesjoues,lementon,leslèvres.

«Çava?»

J’acquiesced’ungeste.

Ilmedévisage,vaguementperplexe.

«Tuasl’airsicalme.Quandj’aifini,jevienstevoir,d’accord?Situasenvie,onpeutallersebaladerenmoto,direaurevoiràlacolline.»

J’approuved’unhochementdetête.D’accord.

Ilm’embrasseavantdemequitter.Ilsentlebeurre.

Jemecramponneàlaclôtureenrepassantparlabrèche.Onentendunchantd’oiseautrèssophistiquéetPapaestsurlepasdelaportedelacuisine,unananasàlamain.Cesontdesbonssignes.Aucuneraisondes’affoler.

Jeretourneversmontransat.Zoeyfaitsemblantdedormirmaisouvreunœilàmonarrivée.

«Jemedemandes’ilt’auraittapédansl’œilsitun’étaispasmalade.

—

Laréponseestoui.

—

IlestbeaucoupmoinsbeauqueJake.

—

Maisbeaucoupplusgentil.

—

Jepariequ’ilt’énerve,parmoments.Jepariequ’ilteracontedesconneriessansaucunintérêt,ouqu’ilveuttebaiserquandtun’aspasenvie.

—

Non,jamais.

—

C’estunmeccommeunautre,non?»proteste-t-elleavecunregardnoir.

Commentluiexpliquer?Ladouceurdesonbrasautourdemesépauleslesoir.Lerythmedesarespirationquiévolueaufildesheuresetm’annoncelespromessesdel’aube.Sonbaiserrituellematinquandilseréveille.Samainsurmapoitrinequimaintientmoncœurenvie.

Brandissanttoujourssonananas,Papaapparaîtdansl’allée.

«Ilfautqueturentres,chérie,Philippaestarrivée.»

Maisjen’aipasenvied’êtreàl’intérieur.J’aiunproblèmeaveclesmurs.Jepréfèrerestersouslepommier,respirerleprintemps.

«Tupeuxluidemanderdevenirici,Papa?»

Avecunhaussementd’épaules,Papas’exécute.

«Ilfautqu’onmefasseuneprisedesang,dis-jeàZoey.

—

D’accord,répond-elleenplissantlenez.Ongèleici,detoutefaçon.»

Philippaenfilesesgantsstériles.

«Alors,l’amourfaittoujoursdesmiracles?

—

Demain,c’estnotredixièmeanniversaire.

—

Dixsemaines?Ehbien,çafaitmerveillesurtoi!Jevaisrecommanderàtousmespatientsdetomberamoureux.»

Ellemesoulèvelebrasetnettoieavecuntampondegazelespourtoursducathéter.

«Tuasfaittesbagages?

—

Oui.Deuxrobes,unbikinietdessandales.

—

C’esttout?

—

Dequoiaurais-jebesoind’autre?

—

Unecrèmesolaire,unchapeaudepailleetunchandailmeparaîtraientraisonnables,pourcommencer.Jen’aipasenviedesoignertescoupsdesoleilauretour.»

J’aimesafaçond’êtreauxpetitssoinspourmoi.C’estellemoninfirmièrepermanentedepuisdessemaines,maintenant.Jecroisquejesuissapatientepréférée.

«CommentvaAndy?

—

Ilaétéenrhumétoutelasemaine,soupire-t-elle.Luiappelleçaunegrippe,évidemment.Tusaiscommentsontleshommes...»

Pasvraiment,non,maisjefaiscommesi.Jemedemandesisonmariestamoureuxd’elle,s’illuidonnel’impressiond’êtresublime,s’ils’étendenivrédanssesbrasdodus.

«Pourquoivousn’avezpasd’enfants,Philippa?»

Ellemeregardedroitdanslesyeuxtoutenaspirantlesangdanslaseringue.

«Jen’auraispassurvécuàcegenredepeur.»

Elleaspireunesecondeseringuedesang,latransfèredansunebouteille,nettoiemoncathéter,rangetoutsonmatérieldanssatrousseetselève.L’espaced’uninstant,j’ail’impressionqu’ellevasepencherpourmeserrerdanssesbrasmaisellenelefaitpas.

«Passedejoliesvacances.Etn’oubliepasdem’envoyerunecartepostale.»

Jelaregardesedandinerjusqu’auportail.Avantdelefranchir,elles’arrêtepourmefaireunsigned’adieu.

Zoeyvientmerejoindre.

«Qu’est-cequ’ellecherchedanstonsang,exactement?

—Lamaladie.»

Elleapprouved’unhochementdetêteimperceptibleets’assiedprèsdemoi.

«Tonpèreestentraindepréparerledéjeuner,àpropos.Ill’apportedansuneminute.»

Unefeuilledanse.Uneombrevoyageentraversdelapelouse.

Ilyadessignespartout.Ceuxqu’onfabrique.Ceuxquiviennentàvous.

Zoeymeprendlamainetlapressesursonventre.

«Ellebouge!Metstamainlà,non,unpeuplusloin.Là,c’estça.Tusens?»

Jesensunlentbalancement,commesilebébéeffectuaitunparesseuxsautpérilleux.Jenepeuxplusretirermamain.J’aitellementenviequ’ilrecommence.

«Tueslapremièrepersonneàlasentirbouger.Tul’assentie,hein?

—

Etcomment!

—

Imagine-la.Imaginecommentelleestvraiment.»

Jelefaissouvent.Jel’aidessinéesurlemurau-dessusdemonlit.Cen’estpasuntrèsbondessinmaistouteslesdimensionssontexactes:cellesdufémur,del’abdomen,lacirconférencedelatête.

Numérodixdemaliste.LauraTessaWalker.

«Sacolonnevertébraleestdéjàstructurée,dis-jeàZoey.Trente-troisanneaux,centcinquantearticulations,unmillierdeligaments.Ellealesyeuxouverts,tusavaisça?

Etsarétineestdéjàformée.»

Zoeyclignedel’œil,commentpourrait-ellecroirequequiconquepuissedétenirunetelleinformation?Jedécidedenepasluirévélerquesoncœuràelletravailledeuxfoisplusvitequ’entempsnormal,etpompesixlitresdesangàlaminute.Çarisquedelapaniquer.

Papaapparaîtdansl’allée.

«Çava,lesfilles?»

Ildéposeleplateausurl’herbeentrenous.Saladedecressonetd’avocat.Ananasetkiwiscoupésentranches.Unboldegroseilles.

«Aucunespoird’hamburger,sijecomprendsbien»,ditZoey.

Papalaregardeavecdésapprobation,serendcomptequ’elleplaisanteetluisourit.

«Jevaissortirlatondeuseàgazon»,annonce-t-ilensedirigeantverslaremise.

Adametsamèresurgissentparlabrèchedelaclôture.

«Quellebellejournée,n’est-cepas?ditSally.

—

C’estleprintemps,répondZoey,labouchepleinedecresson.

—

Non,onn’apasencorechangéd’heure.

—

Alors,c’estleréchauffementclimatique.

—

J’aientendudireàlaradioquesinousrenoncionsàl’automobile,celaprolongeraitd’unmillierd’annéesl’existencedugenrehumainsurnotreplanète»,ditSally,l’airpréoccupée.

Adamsemetàrire,etsecouesesclefsdevoituredevantelle.

«Alorsonvaàlajardinerieàpied,Maman?

—

Non,jeveuxacheterdesfleurspourmesplates-bandes,onnepourrajamaislesporter.

—

Nousseronsderetourdansuneheure»,promet-il.

Nouslesregardonspartir.Arrivéauportail,ilmelanceunclind’œil.

«Voilà:ça,çam’agaceraiténormément,moi»,ditZoey.

Jenerépondspas.Avaleunetranchedekiwi.Quiaungoûtbizarre.Desnuagescavalentdansleciel,commedesagneauxdansunsurprenantchampbleu.Lesoleilvaetvient.Toutparaîtinstable.

Papasortlatondeusedelaremise.Recouvertedevieuxchiffons,ellesemblesortird’unelonguehibernation.Autrefoisils’occupaitminutieusementdujardin,plantait,taillait,tuteuraitlesnouveauxpiedsavecduraphia,l’ensembledonnaitl’impressiond’êtremaîtrisé.Maintenant,c’estdevenun’importequoi.L’herbeestdébraillée,lesrosiersviventleurviedanslacabaneàoutils.

Nousnousmoquonsdeluiquandlatondeuserefusededémarrer,maisilrépondd’unhaussementd’épaules,detoutefaçoniln’avaitpasl’intentiondetondre,semble-t-ildire.Ilvachercherdescisaillesetsemetàcouperlesroncesquienvahissentlahaie.

«Jet’airacontéquej’allaisàdesréunionsdejeunesfillesenceintes?Onprendlethéetonapprendàchangerunbébé,cegenredetrucs.Jepensaisqueceseraitchiant,maispasdutout,onritbeaucoup.»

Unaviontraverselecieletyinscritunetraînéeblanche.Unautrelecroise,lesdeuxtracessefrôlent.Aucundesdeuxnetombe.

«Tum’écoutes?ditZoey.Çan’apasl’airdet’intéresser.»

Jemefrottelesyeux,essaiedemeconcentrer.Ellemeparled’unefilleaveclaquelleelleestdevenuecopine...Ellesdoiventaccoucherplusoumoinsàlamêmedate...puisquelquechoseàproposd’unesage-femme.Savoixsemblesortird’unprofondtunnel.

Jeremarquequeleboutondesachemise,celuidumilieu,esttrèstendu.

Unpapillonatterritsurl’allée,déploiesesailes.Baindesoleil.Lespapillonsn’apparaissentpassitôtensaison,d’habitude.

«Tum’écoutesoupas?»

Calouvreleportail.Laissetombersabicycletteetfaitdeuxfoisletourdujardinencourant.

«Çayest,lesvacancescommencent!»hurle-t-il.

Pourfêterça,ilgrimpedanslepommier,coincesesgenouxentredeuxbranchesets’accroupitlà-hautcommeunpetitlutin.

Ilreçoituntexto,l’écrandesonmobileclignoteenbleudanslevertfraisdesnouvellesfeuilles.Celamerappelleunrêvequej’aifaitilyaquelquesnuits:chaquefoisquej’ouvraislabouche,unelumièrebleues’allumait.

Ilrépond,reçoittrèsviteunnouveaumessage.Quilefaitrire.UnautreSMSarrive,puisencoreunautre,commeunevoléed’oiseauxs’abattantsurl’arbre.

«Lasixièmeagagné,annonce-t-iljoyeusement.Ilyavaitunebataillenavaleauparcetc’estnousquiavonsgagné.»

Calquisefrayesoncheminàl’écolesecondaire.Calquiadescopainsetunportabletoutneuf.Calqui

selaissepousserlescheveuxpourressembleràunchampiondeskateboard.

«Pourquoitumeregardescommeça?»dit-ilenmetirantlalangue.

Ilsautedesonarbreetcourtverslamaison.

Lejardins’enfoncedansl’ombremaintenant.Etl’humidité.Unpapierdebonbons’envoledansl’allée.

Zoeyfrissonne.

«Jecroisquejevaisyaller,dit-elleenmeserranttrèsfortcommesil’unedenousdeuxrisquaitdetomber.Tuesbrûlante.C’estnormal,ça?»

Papalaraccompagne.

Adamtraverselaclôtureparletrou.

«Voilà,c’estfait,dit-ilenrapprochantuntransatdumien.Elleaachetélamoitiédumagasin.Ilyenapourunefortunemaiselleestvraimentcontente.Elleveutdémarrerunjardinaromatique.»

Sortilègetrompe-la-mort:serrertrèsfortlamaindesoncopain.

«Tuvasbien?»

Jeposematêtesursonépaule.J'ail’impressiond’attendrequelquechose.

Jerepèrelesbruits,letintementdesassiettesàlacuisine,lebruissementdesfeuilles,levrombissementd’unetronçonneuseauloin.

Lesoleilseliquéfie,sefonddansl’horizon,lefroidtombe.

«Tuesbrûlante,ditAdamenmepassantlamainsurlefront,lajoue,lanuque.

Attends,nebougepas.»

Ilselèveetserueverslamaison.

Laplanètetourne,lesarbresfiltrentlevent.

Jen’aipaspeur.

Continueràrespirer,justerespirer.C’estfacile:inspirer,expirer.

Bizarre:lesolal’airdemonteràmarencontre,maisjesuisplutôtmieuxparterre.

Etendue,là,jepenseàmonnom.TessaScott.Unbeaunomdetroissyllabes.Lecorpshumainserenouvelletouslesseptans.Chaquecellule.Touslesseptans,nousdisparaissons.

«MonDieu!Maiselleestbrûlante!Appelleuneambulance!»

LevisagedePapavacilleau-dessusdemoi.Savoixsemblevenirdetrèsloin.

J’essaiedesourire.Jeveuxleremercierd’êtrelàmais,pourjenesaisquelleraison,jen’arrivepasàrassemblerlesmots.

«Nefermepaslesyeux,Tess.Tum’entends?Resteavecnous!»

Quandjehochelatête,lecieltournoieàtouteallure,commesijetombaisduhautd’unimmeuble.

Trente-deux

Lamortmeclouesurunlitd’hôpital,plantesesgriffesdansmapoitrineets’yinstalle.Jenesavaispasquecelaferaitsimal.Jenesavaispasquecelaanéantiraittoutcequej’aipuvivredebondansmavie.

Çayest,lemomentestvenu,pourdevrai,etpeuimportesi,ouiounon,lesgenssesouviennentdemoicommeonmel’atellementpromis,celan’aaucuneespèced’importance,detoutefaçonjenelesauraijamais,jeseraipartie.

Untrounoiretnébuleuxs’élargitdansuncoindelapièce,palpitecommeuntissuondulantentredesarbres.

Jem’entendsgémirmoi-mêmedanslelointain.Jeneveuxpasécouter.Jesurprendsleslourdsregardséchangés.Entrel’infirmièreetlemédecin,entremonpèreetlemédecin.Lebruitétouffédeleursvoix.LapaniquedanscelledePapa.

Pasencore.Pastoutdesuite.

J’aitoujoursentêteuneimaged’arbresenfleurs.Desfleursblanchessedétachantsuruncielbleuquitournoie.Lesêtressontsipeudechose,sivulnérables,comparésauxétoiles,auxrochers.

Calarrive.Jelereconnais.Jevoudraisluidiredenepasavoirpeur.Jevoudraisqu’ilmeparleavecsavoixdetouslesjours,qu’ilmedisequelquechosededrôle.

MaisilrestedeboutprèsdePapa,calme,enfantin,etchuchote:

«Qu’est-cequ’ellea?

—

Uneinfection.

—

Ellevamourir?

—

Onluiadonnédesantibiotiques.

—

Alorsellevaallermieux?»

Silence.

Çan’estpascensésepassercommeça.Çanedevraitpasêtresibrutal,commesij’avaisétérenverséeparunevoiture.Jenedevraispasavoirtantdefièvre,nicetteterriblesensationdemeurtrissureinterne.Laleucémieestunemaladieàprogressionlente.Normalementjedevraismesentirdeplusenplusfaiblejusqu’aupointoùcelamedeviendraitbienégal.

Maisçanem’estpasencoreégal.Jusqu’àquand?

J’essaiedepenseràdeschosessimples,despommesdeterreàl’eau,dulait.Maiscesontaucontrairedesimageseffrayantesquisurgissent:desarbresmorts,descouchesdecendre.Desosdemâchoireblanchis.

JevoudraisexpliqueràPapaàquelpointj’aipeurmaisparlerestaussidifficilequegrimperpourremonteràlasurfaced’unecuvedemazout.Mesmotsproviennentd’unlieulointain,sombreetglissant.

«Nemelâchepas.

—

Jetetiens.

—

Jesuisentraindetomber.

—

Jesuislà.Jetetiens.»

Maissonregardestpleindeterreuretsonvisageravagé,ondiraitqu’ilacentans.

Trente-trois

Jemeréveilleetdécouvrelesfleurs.Desbottesdetulipes,desœilletscommepourunmariage,unnuagedegypsophilesurlatabledenuit.

JemeréveilleetretrouvePapa,quimetienttoujourslamain.

Toutcequiestdanslachambremeparaîtmerveilleux,lacarafed’eau,cettechaise.

Dehors,lecielesttrèsbleu.

«Tuassoif?demandePapa.Tuveuxquelquechoseàboire?»

J’aienviedejusdemangue.Pleindejusdemangue.Ilmecaleunoreillersouslatêteetapprochele

verrepourquejeboive.Sonregardrivéaumien.J’aspire,j’avale.

Ilmelaisseletempsdereprendremonsouffle,inclineleverredenouveau.Quandj’aiassezbu,ilm’essuielabouche.

«Commeunbébé»,dis-je.

Ilhochelatêteensilence,lesyeuxpleinsdelarmes.

Jedors.Meréveilleànouveau.Etcettefois,jemeursdefaim.

«Uneglace,ceseraitpossible,tucrois?»

Papaposesonlivreensouriant.

«Attends-moilà.»

IlrevienttrèsviteavecunMivviFraise.Ilenveloppelebâtond’unmouchoirenpapierpourqueçanecoulepas,meletendetjemedébrouilletouteseule.C’estfantastiquementbon.Moncorpsretrouvedesforces.Jenel’encroyaispluscapable.

JenemourraipasunMivviFraiseàlamain.

«Jecroisbienquej’enprendraimêmeunsecond.

—

Cinquante,situveux»,répondPapa.

Ildoitavoiroubliéquejen’aidroitniausucreniauxproduitslaitiers.

«J’aiquelquechosed’autrepourtoi.»

Ilfouilledanssapocheetentireunaimantdeportedefrigoenformedecœur,peintenrougeetmaladroitementverni.

«C’estCalquil’afait.Ilm’achargédetedirequ’ilt’aime.

—

EtMaman?

—

Elleestvenuetevoirdeuxfois.Tuétaisdansunétattrèscritique,tusais,Tessa.Visitesréduitesaustrictminimum.

—

Adamn’estpasvenu,alors?

—

Pasencore.»

Jelèchelebâtondelaglacepourentirerlemaximumdesaveur.Leboismerâpelalangue.

«Tuenveuxunautre?

—

Non,jevoudraisquetupartes,maintenant.

—

Pouralleroù?demandePapa,surpris.

—

PourallerchercherCalàl’école,l’emmenerauparcetjoueraufootaveclui.

Achète-luideschips.Tuviendrasmevoirplustardpourmeraconter.»

Unpeuétonné,Papasemetàrire.

«Tut’esréveilléeavecunsacréentrain,dis-moi.

—

JevoudraisaussiquetuappellesAdampourluidemanderdevenirmevoircetaprès-midi.

—

Autrechose?

—

Oui,disàMamanquejeveuxdescadeaux.Dujusdefruitstrèscher,despilesdemagazinesetdesproduitsdemaquillage.Sielleal’intentiondesedéfiler,ellepeutaumoinsm’acheterdestrucs.»

Radieux,Papachercheunboutdepapierpournoterlamarquedefonddeteintetderougeàlèvresquejeveux.Est-cequej’aienvied’autreschoses?suggère-t-il.Alors,jecommandedesmuffinsauxmyrtilles,duchocolataulaitetunpaquetdeCremeEggs.C’estbientôtPâques,aprèstout.

Ilm’embrassetroisfoislefrontetprometderevenirplustard.

Aprèssondépart,unoiseauvientseposersurlereborddelafenêtre.Pasunoiseaubienimpressionnant,niunvautourniunphénix,unsimpleétourneau.Uneinfirmièrearrive,retapemonlit,remplitmacarafed’eau.Jeluifaisremarquerlaprésencedel’oiseau,luidisenplaisantantquec’estlaMortquimeguette.Avecunsourirequidévoiletoutessesdents,ellemeconseilledenepastenterlesort.

Maisl’oiseau,lui,dresselatêteenregardantdroitversmoi.

«Pasencore»,luidis-je.

Lemédecinpassemevoir.

«Alors,nousavonstrouvélebonantibiotique,finalement.

—

Finalement,oui.

—

Ilyaquandmêmeeuunmomentoùonn’enmenaitpaslarge.

—

Ahbon?

—

Oui,dansvotrecas,uneinfectiondecetteampleurrisquedefairetoutbasculer.»

Pendantqu’ilm’ausculte,jerepèresonnomsursonbadge.Dr.JamesWilson.Ilaenvironlemêmeâgequemonpère,descheveuxnoirs,lesommetdesoncrânecommenceàsedégarnir.PlusmincequePapa,ilal’airfatigué.Ilregardemesbras,mesjambes,mondospourvérifiersij’aideshémorragiescutanées,puisils’assiedprèsdemonlitetnotesesobservationssur.mondossier.

Lesmédecinsespèrenttoujoursqu’onsoitpolietreconnaissantàleurégard.Celaleurfacilitelatâche.Maisaujourd’hui,jen’aipasenviedefairepreuvedetact.

«Ilmerestecombiendetemps?»

Surpris,ilrelèvelatête.

«Sionattendaitquevotrepèrereviennepourentamercettediscussion?

—

Pourquoi?

—

Pourenvisagerensemblelesdifférentesoptionsmédicales.

—

C’estmoiquisuismalade,pasmonpère.»

Lamâchoireserrée,ilremetsonstylodanssapoche.

«Nemeforcezpasàdesprévisionsdecegenre,Tessa.Celanesertstrictementàrien.

—

Amoi,si.Çameserviraitdesavoir.»

Cen’estpasquej’aiedécidéd’êtrecourageuse.Cen’estpasunebonnerésolutioncommeonenprendendébutd’année.C’estjustequej’aiuneperfusiondanslebrasetquej’aigaspillédesjournéesdemaviesurunlitd’hôpital.Toutàcoup,l’essentielmeparaîtvraimentévident.

«Mameilleureamieattendunbébéquidoitnaîtredanshuitsemaines.J’aibesoindesavoirsijeseraiencorelà.»

Ilcroiselesjambes,lesdécroiseaussitôt.J’aiunpeupitiédelui.Lesmédecinsnesontpastrèspréparésàlamort.

«Sijesuistropoptimiste,vousserezdéçue.Maisuneprédictionpessimistenevousseraitd’aucunsecoursnonplus.

—

Çam’estégal.Vousensavezquandmêmepluslongquemoisurlaquestion.

S’ilvousplaît,James.»

Lesinfirmièresn’ontpasl’autorisationd’appelerlesmédecinsparleurprénom,etnormalementjen’oseraisjamaismoinonplus.Maisquelquechoseachangé.Ils’agitdemamortetj’aibesoindesavoircertaineschoses.

«Jenevousintenteraipasdeprocèssivousvoustrompez.»

Ilmelanceunpetitsouriretriste.

«Nousavonsréussiàveniràboutdevotreinfectionetvousvoussentezmanifestementbeaucoupmieux,maiscommevotrehémogrammen’estpasredevenuaussibonquenousl’espérions,nousavonsprocédéàdiversexamens.Quandvotrepèreseraderetour,nouspourronsdiscuterensembledeleursrésultats.

—

Est-cequelesvaisseauxpériphériquessontatteints?

—

Onneseconnaîtpastrèsbien,vousetmoi,Tessa.Vousnepréférezpasqu’onattendevotrepère?

—

Non,dites-moi.»

Ilrespireàfond,commes’ilnepouvaitserésoudreàcapituler.

«Ehbien,oui,nousavonstrouvédescellulesmalignesdanslesangpériphérique.

Jesuisvraimentdésolé.»

Donc,nousyvoilà.Lecancermecribledetoutesparts,monsystèmeimmunitaireestfoutuetonnepeutplusrienpourmoi.Sil’onmefaisaitunexamendesangparsemaine,c’étaitenprévisiondecemoment.Etcettefois,ilestbienlà.

J’aitoujourspenséquel’annonced’unemortcertainemeferaitl’effetd’uncoupdepoingdansl’estomac:unchoc,suivid’unedouleursourde.

Maisellen’estpassourde,cettedouleur.Aiguë,aucontraire.Lesbattementsdemoncœuraccélèrent,montauxd’adrénalinemonte.Jemesenstrèsconcentrée.

«Monpèrelesaitdéjà?

—

Oui,nouspensionsvousenparlerensemble.

—

Onalechoixentrequoietquoi?

—

Votresystèmeimmunitaires’estsubitementeffondré,Tessa.Lechoixestlimité.Onpeutcontinuerlestransfusionsdesangetdeplaquettessivousledésirez,maisleureffetseraprobablementdecourtedurée.Sinousconstatonsunebaissedeglobulesrougesjusteaprèsunetransfusion,nousseronsobligésd’arrêter.

—

Etalors?

—

Alorsnousferonstoutcequ’ilestpossiblepourquevousvoussentiezbienetonvouslaisseratranquille.

—

Destransfusionsquotidiennes,cen’estpasfaisable?

—

Non.

—

Doncjenevaispaspouvoirtenirhuitsemaines,c’estça?»

LeDr.Wilsonmeregardedroitdanslesyeux.

«Sivousyarrivez,vousaurezbeaucoupdechance.»

Jesaisquej’ail’aird’untasd’osrecouvertd’unfilmtransparent.Adamaunchoc,jelevoisdanssesyeux.

«Cen’estpastoutàfaitl’imagequetuavaisgardéedemoi,n’est-cepas?»

Ilsepenchepourm’embrassersurlajoue.

«Tuessuperbe.»

Maisjepensequec’estcequ’ilredoutaitdepuistoujours:feindrel’attirancealorsquejesuisdevenuemocheetinutilisable.

Ilm’aapportédestulipesdujardin.Jelesplantedanslacarafed’eaupendantqu’ilregardelescartesdevœuxdeguérisonquej’aireçues.Nousbavardonsdetoutetderienpendantquelquesinstants:ilmeracontequelesplantesachetéesàlajardineriereprennenttrèsbien,quesamèreprofitedubeautempsmaintenantqu’ellesortplussouvent.Ilregardeparlafenêtre,s’émerveilleenriantdelavueimprenablesurleparking.

«Adam,jevoudraisqueturestesnaturel.»

Ilfroncelessourcils,l’airdenepascomprendre.

«Nefaispassemblantdetesoucierdemoi.Jen’aipasbesoindetoicommeanesthésique.

—

Tuveuxdirequoi,aujuste?

—

Jevoudraisquepersonnenefassesemblant.

—

Jenefaispassemblant.

—

Jenetereprocherien.Tunesavaispasquejeseraissimalade.Etcelanepeutqu’empirer.»

Aprèsuninstantderéflexion,ilretireseschaussures.

«Qu’est-cequetufais?

—

Jerestenaturel.»

Iltirelacouvertureets’étendprèsdemoidanslelit.Ilmesoulève,meserredanssesbrasetmechuchoteàl’oreilled’untonsévère:

«Jet’aime.J’ensouffrecommejen’aijamaissouffertdemavie,maisjet’aime.

Commentoses-tuprétendrelecontraire?Nemedisplusjamaisça,d’accord?»

Jeposelapaumedemamainsursonvisage,etill’appuietrèsfortcontresajoue.

Toutàcoup,j’imaginesasolitudeàlui.

«Excuse-moi.»

Ilévitemonregard.Jecroisqu’ilessaiedenepaspleurer.

Nouspassonsl’après-midiensemble.NousregardonsMTV,illitlejournallaisséparPapapendantquejerefaisunpetitsomme.Jerêvedelui,alorsmêmequ’ilesttoutprèsdemoi.Nousmarchonsensembledanslaneigemaisilfaittrèschaudetnoussommesenmaillotdebain.Ilyadesalléesvides,desarbrescouvertsdegivreetunerouteenlacetquin’enfinitpas.

Enmeréveillant,j’aidenouveaufaimetdemandeàAdamd’allermechercherunautreMivviFraise.Ilestàpeinepartiqu’ilmemanque.Commesitoutl’hôpitalétaitsoudaindéserté.Commentest-cepossible?Jecroiselesmainssouslacouverturejusqu’àcequ’ilremonteprèsdemoidanslelit.

Ilenlèvelepapierdelaglaceetmelatend.Jelaposesurlatabledenuit.

«Touche-moi.»

Mademandel’embarrasse.

«Taglacevafondre.

—

S’ilteplaît.

—

Maisjesuistoutcontretoi,jetetouchedéjà.

—

Commeça,dis-jeenguidantsamainversmapoitrine.

—

Non,Tess,jerisquedetefairemal.

—

Non,tunemeferaspasmal.

—

Etl’infirmière?

—

Sielleentre,onluibalanceralebassin.»

Ilmecaressetoutdoucementlesseinsàtraversmonpyjama.

«Commeça?»

Ilm’effleurecommesij’étaisunobjetprécieux,commes’ilenétaitabasourdi,commesimoncorpscontinuaitàl’émerveiller,mêmedéfaillant.Sapeautoucheenfinlamienne,etnousfrissonnonsensemble,peaucontrepeau.

«Jevoudraisfairel’amour.»

Samains’immobilise.

«Quand?

—

Quandjerentreraiàlamaison.Justeunefoisavantdemourir.Promets-moi.»

L’intensitédesonregardm’effraie.Jenel’aijamaisvuainsi.Unregardprofondetlucide,commes’ilpercevaitcertainsaspectsdumondequed’autresimaginentàpeine.

«Jetelepromets.»

Trente-quatre

Ilsprennentleurtour,commedessentinelles.Papavienttouslesmatins.Adamtouslesaprès-midi.PaparevientlesoiravecCal.Mamandébarquequandçaluichante,mais,dèssasecondevisite,elleparvientàresterprèsdemoitoutletempsd’unetransfusionsanguine.

«L’hémoglobineetlesplaquettesarriventtoutdesuite»,annonce-t-ellependantqu’onm’installe.

Qu’elleconnaisselestermesjustesmetouche.

Dixjoursdéjà.J’airatéPâques.C’esttropdetempsperdu.

Jepassetoutesmesnuitsseule,dansunlitd’hôpital,alorsquejerêved’Adam,desesjambesmêléesauxmiennes,desachaleur.

«Jeveuxrentreràlamaison,dis-jeàl’infirmière.

—

Pasencore.

—

Jevaismieux.

—

Pasassezbien.

—

Qu’est-cequevousespérez?Quejeguérisse?»

Chaquematin,lesoleilselèveetlavilleéteintseslumières.Lesnuagesparcourentlecielàtouteallure,lesvoituresentrentetsortentduparkingàunrythmefrénétique,puislesoleilreplongeversl’horizonetunenouvellejournéesetermine.Letempss’écoule.Lesangcoule.

Jefaismesbagagesetm’habille.Assisesurlelit,l’airleplusjoyeuxpossible,j’attendsJames.

«Jerentreàlamaison»,luidis-jetandisqu’ilexaminemondossier.

Iln’apasl’airvraimentsurpris.

«Vousêtessûredevotredécision?

—

Sûre.Ilfaittropbeaudehors,dis-jeenluimontrantlafenêtreaucasoùiln’auraitpasremarquélajolielumièreetlecielbleuponctuédenuages.

—

Maintenircettenumérationglobulaireexigeunecertainerigueur,Tessa.

—

Pourquoineserais-jepasrigoureuseàlamaison?»

Ilmerépondd’unairgrave.

«Ilyaunemargesubtileentrelaqualitédeviequevousavezquittéeetlessoinsmédicauxnécessairespourlamaintenir.Vousêteslaseuleàpouvoirjuger.Êtes-vousentraindemedirequevousenavezassez

?»

Jepenseauxdifférentespiècesdelamaison,auxcouleursdesrideauxetdestapis,àl’exactedispositiondesmeubles.Ilyaunpériplequej’adore:sortirdemachambre,descendrel’escalier,traverserlacuisinepourallerdanslejardin.Jeveuxrefairecevoyage.Jeveuxm’asseoirdansmachaiselonguesurlapelouse.

«Ladernièretransfusionn’atenuquetroisjours.

—

Jesais.Jesuisdésolé,dit-ilgentiment.

—

Onm’enafaituneautrecematin.Àvotreavis,combiendetempssoneffetva-t-ildurer?

—

Jenesaispas»,soupire-t-il.

Jelisseledrapduplatdelamain.

«Jeveuxjusterentreràlamaison.

—

Pourquoijen’appelleraispasl’Association?Sileuréquiped’infirmiersnousgarantitdesvisitesquotidiennes,alorsnouspourronspeut-êtreréexaminerlaquestion,d’accord?»

Ilraccrochemondossierauboutdemonlit.

«Jeleurtéléphoneetjereviensvousvoirlorsquevotrepèreseralà.»

Aprèssondépart,jecomptejusqu’àcent.Unemouchebroutematabledenuit.Jetendsledoigtpourcaressersesailesfragiles.Maisellemesentarriver,bourdonneens’envolantverslavie,zigzagueversl’appliqueduplafondautourdelaquelleelletournicote,horsdedanger.

J’enfilemonmanteau,drapemonécharpeautourdemesépaulesetprendsmonsac.

L’infirmièrenelèvemêmepaslatêtelorsquejepassedevantsonbureaupourallerprendrel’ascenseur.

Arrivéeaurez-de-chaussée,j’envoieuntextoàAdam:tutrapeltapromesse?

Jeveuxmouriràmafaçon.C’estmamaladie,mamort,monchoix.

C’estàcelaqu’iladitoui.

Quelplaisirdemarcher,demettreunpieddevantl’autre,desuivrelalignejaunepeintesurlesolducorridorjusqu’àlaréception.Quelplaisird’emprunterlesportestambouretdelesfairetournerdeuxfois

enl’honneurdugéniequilesainventées.

Quelbonheurderespirerdehors.

L’airdoux,frais,surprenant,dumondeextérieur.

Ilyaunkiosqueàlasortie.J’achèteuneplaquedechocolatDairyMilketunpaquetdebonbonsChewits.Lacaissièremedévisagebizarrementpendantquejepaie:aprèstouslestraitementsquej’aisubis,mapeaudoitrayonnerunpeuetcertainespersonnesdiscernentcettelueur,commecelled’unnéonquiclignoteraitquandjebouge.

Jemarchelentementverslastationdetaxis,savourantchaquedétail:lacaméradesurveillanceenhautdulampadairequisebalancesursonaxe,lepépiementdestéléphonesportablestoutautourdemoi.Jemurmureaurevoiràl’hôpitalquis’éloigne,tandisquel’ombredesplatanesassombritpeuàpeusafaçade.

Jecroiseunefillequionduledeshanchesenseléchantlesdoigtsetdégagedeseffluvesdepouletrôti.Unhomme,tenantdanssesbrasunbébébraillard,hurledanssontéléphone:«Non,jenepeuxpasporteraussitesfoutuespatates!»

Nousformonsunemosaïque,nouspartageonsdesinstants.Parfois,jemedemandesijenesuispaslaseuleàm’enrendrecompte.

Jeproposeduchocolatauchauffeurdetaxitandisquenousnousenfonçonsdanslesembouteillagesdel’heuredudéjeuner.Aujourd’hui,ilfaitdesheuressupplémentaires,meraconte-t-il,etilyatropdecirculationàsongoût.Ilmemontred’ungestedésespéréleflotdevoituresquisetraînentauralentiverslecentre-ville.

«Oùest-cequeçavanousmener,toutça?»gémit-il.

Jeluioffreunbonbonpourluiremonterlemoral.Puisj’envoieunnouveautextoàAdam:noublipatapromesse.

Letempsachangé,desnuagesmasquentlesoleil.J’ouvrelafenêtre.L’airfrisquetd’avrilsurprendmespoumons.

Lechauffeurpianoteimpatiemmentsursonvolant.

«C’estcomplètementbloqué»,grogne-t-il.

Moi,j’aime.J’aimeletraficquicaleouaccélèreparà-coups,levrombissementgraved’unmoteurd’autobus,unesirèneimpatientedanslelointain.J’aimerampersilentementdansHighStreetquej’ailetempsdetoutremarquer,lesœufsdePâquesinvendusdanslavitrinedumarchanddejournaux,lesmégotsdecigarettessoigneusementbalayésenpilebiennetteàl’entréeduChickenJoint.Jerepèredesenfantsportantdeschosestrèsétranges,unourspolaire,unepieuvre.Etsouslesrouesd’unepoussette,àlaportedeMother-care,j’aperçoismonnom:ilcommenceàs’estompermaintenantmaisserpentetoujourstoutaulongdutrottoir,jusqu’àlabanque.

J’appelleAdamsursonportableet,commeilnedécrochepas,jelaisseunnouveaumessage:envie2

toi.

C’estclair.

Aucarrefour,uneambulance,toutesportièresouvertes,estarrêtéeentraversdelaroutequ’illumineleclignotementdesesgyrophares.Ilslancentmêmedesflashesdelumièrebleueversleplafondbasdesnuages.Unefemmegîtsurlachaussée,recouverted’unecouverture.

«Regardez-moiça...»ditlechauffeurdetaxi.

Toutlemonderegarde,lesoccupantsdesautresvoitures,lesemployésdebureausortispourdéjeunerd’unsandwich.Latêtedelavictimeestcachéemaisonvoitsesjambesquidépassent.Elleporteuncollant,seschaussuresformentunanglebizarre.

Sombrecommedel’eaudepluie,sonsangformeuneflaquelelongdesoncorps.

Lechauffeurdetaximelanceuncoupd’œildanslerétroviseur:

«Toutd’uncoup,onréalise,n’est-cepas?»

Oui.Ladifférenceestsitangible.Entreêtreetneplusêtre.

EnsonnantchezAdam,j’ail’impressionquedelasèvemontedemespieds,s’accumuledansmeschevillesetmestibias.

Sallyentrebâillelaporteetmejetteuncoupd’œilfurtif.J’aiuneboufféed’affectionpourelle.

«Adamestlà?

—

Maisjetecroyaisàl’hôpital!

—

Non,c’estfini.

—

Ilnem’apasditqu’ontelaissaitsortir,répond-elle,perturbée.

—

C’estunesurprise.

—

Unedeplus?»

Ellesoupire,ouvreunpeupluslaporte,regardesamontre.

«Ilneserapaslàavantcinqheures.

—

Cinqheures?

—

Est-cequetutesensbien?»demande-t-elleenfronçantlessourcils.

Non.C’estbeaucouptroptard,cinqheures.Àcetteheure-là,jerisqued’êtredenouveaucomplètementexsangue.

«Oùest-il?

—

IlaprisletrainpourNottingham.Passerunentretienpréalable.

—

Pourentreroù?

—

Al’université.Ilveutcommencerenseptembre.»

Lejardintournoie

«Tuasl’airaussisurprisequejel’aiété.»

Jemesuisendormiedanssesbrassurmonlitd’hôpital.«Touche-moi»,luiai-jedemandéetill’afait.«Jet’aime,m’a-t-ilassuré.Commentoses-tudirelecontraire?

»Ilm’afaitunepromesse.

Ilsemetàpleuvoirquandjeremontel’alléeversleportail.Unepetitepluiegriseetserrée,commeunetoiled’araignéequis’abattraitsurterre.

Trente-cinq

J'ouvremonplacard,arrachemarobedesoiedesoncintreetydécoupeunebouchegrandeouverte,justesouslataille.J’aidesciseauxbienaiguisés,c’estfacile,commesileurslamesfendaientdel’eau.Puisjetaillademarobeportefeuillebleueendiagonaleàlahauteurdesseins.Jelesétendsl’uneprèsdel’autresurmonlit,commedeuxamiesmalades,etlescaresse.

Çanemesoulagepas.

Lejeanquej’aibêtementachetéavecCalmevatrèsmaldetoutefaçon,jel’amputedesjambesàlahauteurdesgenoux.Jedéchirelespochesdetousmespantalonsdejogging,percedesentaillesdanstous

meschandailsetenvoieletoutrejoindrelesrobessurlelit.

Lacérermesbottesmeprenduntempsfou.Mesbrasmefontmal,marespirationestsifflante.Maisonm’afaitunetransfusioncematinetlesangd’inconnuscouletoutfraisdansmesveines,doncjetiensbon.Chaquebotteestinciséedanstoutelalongueur.Deuxinquiétantesblessures

Jeveuxfairelevide.Vivredansuncadredépouillé.

J’ouvrelafenêtreetbalancelesbottesdehors.Ellesatterrissentsurlegazon.

Lecieln’estplusqu’unnuage,sombreetbas.Iltombeunepetitepluiefine.Lapelouseesttoutemouillée,l’herbedétrempée.Lebarbecuerouillesursesroues.

Jesorstousmesautresvêtementsduplacard.Mespoumonssifflentmaisjenelâchepas.Lesboutonsrebondissentdanstoutelapiècetandisquejetaillademesvestes.Jedéchiremeschandailsenlambeaux.Cisailletousmespantalons.J’alignemeschaussuressurl’appuidefenêtreetcoupetoutesleslanguettes.

Çafaitdubien.Jemesensvivre.

J’empoignelesrobessurlelitetlesbalancedanslejardin.Ellestombentensembledanslepatioetgisentl’uneprèsdel’autresouslapluie.

Jevérifiemontéléphone.Nimessage,niappelmanqué.

Jedétestemachambre.Toutdanscettepiècemerappellequelquechose.LepetitbolenporcelainedeSt.Ives.LepotenterrecuiteoùMamanrangeaitlesbiscuits.Lechienendormi,unepantoufledanslagueule,quironflaitsilencieusementsurlacheminéedemagrand-mère.Ilstombenttoussurl’herbe,sauflechienquisefracassesurlaclôture.

Leslivres,eux,restentouverts.Leurspagespalpitentcommedesailesd’oiseauxexotiques,sedéchirentets’envolent.CDetDVDvolentenrase-mottescommedesFrisbeespar-dessuslaclôture.Adampourralesécouteretlesregarderavecsesnouveauxcopainsdefac,quandjeseraimorte.

Lacouette,lesdraps,lescouvertures,toutypasse.Lesbouteillesetboîtesdemédicamentsdematabledenuit,lesseringues,lacrèmeDiprobase,lacrèmehydratante.Maboîteàbijoux.

JecrèvemonSacco,décorelesoldemachambredeboulesdepolystyrèneetjettel’enveloppevidedehorssouslapluie.Lejardinal’airtrèsanimé.Ilvapousserdeschoses.Desarbresenpantalons.Desvignesdelivres.Jemejetteraimoi-mêmeplustardetprendrairacinedanscetespacesombreàcôtédelapelouse.

Toujoursaucunmessaged’Adam.Jebalancemontéléphonepar-dessussahaie.

Latélévisionpèseaussilourdqu’unevoiture.Celamebriseledos.Mebrûlelesjambes.Jelatireetlapoussepéniblementsurlamoquette.Lesoufflecoupé,jedoism’arrêter.Lachambrebascule.Respirer.Respirer.Ilfautquej’yarrive.Toutdoitdisparaître.

Surlereborddelafenêtreaveclatélé.

Ouste!

Ellevrombit,etsedésintègreenunespectaculaireexplosiondeverreetdeplastique.

Çayest.Toutestparti.Fini.

Lechocestviolent:Papas’arrêtepile,immobile,bouchebée.

«Petitmonstre»,murmure-t-il.

Jeplaquemesmainssurmesoreilles.

Ilmonteetm’attrapeparlesdeuxbras.Sonhaleinesentletabacfroid.

«Tonidée,c’estdenerienmelaisserdetoi,c’estça?

—

Iln’yavaitpersonneici!

—

Celat’autorisaitàtoutdémolir?

—

Oùétais-tu?

—

J’étaisausupermarché.Puisjesuisalléterendrevisiteàl’hôpital.Tuavaisdisparu.Toutlemondeétaitaffolé.

—

J’enairienàfoutre,Papa!

—

Ehbien,moi,si!J’enaiàfoutre.Tuvasêtrecomplètementépuiséeaprèsça.

—

C’estmoncorps.J’enfaiscequejeveux.

—

Parcequetuneprendsplussoindetoncorps,maintenant?

—

Non,j’enaimarre!Marredesmédecins,despiqûres,desanalysesdesang,destransfusions.Marred’êtreclouéejouraprèsjoursurunlitalorsquevousmenezvospetitesvies.Raslebol!Jevoushaistous!Adamestpartis’inscrireàl’université,tusavaisça?Ilvayresterdesannéesànefairequecequ’ilveutetmoi,dansmoinsdequinzejours,jeseraisousterre!»

Papafondenlarmes.Ils’écroulesurlelit,metsatêtedanssesmainsetpleure.Jenesaisquedire.Pourquoiest-ilplusfaiblequemoi?Jem’assiedsprèsdeluietposemamainsursongenou.

«Jeneretourneraipasàl’hôpital,Papa.»

Ils’essuielenezavecsamancheetmeregarde.OncroiraitvoirCal.

«Tuessûrequetuenasassez?

—

J’enaiplusqu’assez.»

Jepassemonbrasautourdeluietilposesatêtesurmonépaule.Jeluicaresselescheveux.Nousdérivonssurlemêmebateau.Unpeudeventsouffledelafenêtreouverte.Nousrestonsassis,commeça,indéfiniment.

«Onnesaitjamais,peut-êtrequesijesuisàlamaison,jenemourraipas.

—

Ceseraitformidablequetunemeurespas.

—

Jepasseraimonbac,àlaplace.Etpuisj’iraiàl’université.»

Ilsoupire,s’étire,fermelesyeux.

«C’estunebonneidée.

—

Jetrouveraidutravailetpeut-êtrequ’unjourj’auraidesenfants:Chester,MerlinetDaisy.

—

QueDieuleurvienneenaide!ditPapaenouvrantunœil.

—

Tuserasgrand-père.Onviendratoutletempstevoir.Pendantdesannéesetdesannées,onviendraterendrevisite.Jusqu’àcequetuaiesquatre-vingt-dixans.

—

Etaprès?Plusdevisites?

—

Non,àcemoment-làtumourras.Avantmoi.Normalement,quoi.»

Ilneditrien.L’obscuritécommenceàenvahirlapièce,l’ombreatteintsonbras,ilsembledisparaître.

«Tunevivraisplusdanscettemaisondepuislongtemps,maisdansquelquechosedepluspetit,prèsdelamer.J’ailesclefscarjevienstevoirtrèstrèssouventet,unjour,j’entre,commed’habitude,maislesrideauxnesontpasouvertsetlecourrierattendsurlepaillasson.Jemonteàl’étagepourtechercher.Jesuissisoulagéedetevoirtereposertranquillementsurtonlitquej’enristouthaut.Maisquandjetirelesrideaux,jeremarquequetuasleslèvresbleuies.Jetouchetajoue,elleestfroide.Tesmainsaussisontglacées.Jeprononcetonnom,encoreetencore,maistunem’entendsplusettesyeuxrestentclos.»

Papas’assoit.Ilpleuredenouveau.Jeleserrecontremoietluicaresseledos.

«Pardon.Jetefaisflipper,avecmeshistoires?

—

Non,non.»

Ilsedégage,s’essuielesyeuxd’unreversdemain.

«Ilvautmieuxquej’aillerangerdehorsavantqu’ilfassenoir.Jepeuxtelaisserseule,çaira?

—

Biensûr.»

Jeleregardefaireparlafenêtre.Ilpleutfortmaintenant,ilamissesbottesetsonanorak.Ilvachercherunbalaietunebrouettedanslacabaneàoutils.Enfiledesgantsdejardin.Ramasselatélévision.Balaieleverrecassé.Ilrangetousleslivresdansuncarton,ramassemêmelesfeuillesdéchiréesquitremblentcontrelaclôture.

Calapparaît,enuniforme,avecsoncartableetsabicyclette.Ilal’airraisonnableetpleindesanté.Papavaàsarencontrepourl’embrasser.

Callaissetombersabécaneetaideaunettoyage.Ondiraitunchasseurdetrésor,brandissantchaquetrouvailleversleciel.Ilrécupèrelecollierd'argentquej’aireçupourmondernieranniversaireetmonbraceletderésinecouleurd’ambre.Après,çadevientunpeun’importequoi.Ildénicheunescargot,uneplume,uncaillouspécial.

Iltrouveuneflaquedeboueettapedupieddedans.ÇafaitrirePapaquis’appuiesursonbalaipourrireàgorgedéployée.Calsetordderireaussi.

L’aversebatdoucementcontremavitre,leurssilhouettess’effacentdanslapluie.

Trente-six

«Alors,tuauraisfiniparm’enparleroupas?»

Tendusurleborddesachaise,Adammeregardesanssourire.

«C’étaitdifficile.

—

Donc,tun’auraisriendit.

—

J’aiessayédeuxfois,dit-ilenhaussantlesépaules.Maisjetrouvaisçasiinjuste,lesimplefaitdevivremeparaîtinjuste.»

Jem’assiedsplusenavantdulit.

«Tunevaspast’apitoyersurtoi-mêmeparcequetuvasdevoirmesurvivrequandmême!

—

Jenem’apitoiepas.

—

Parcequesituveuxmouriraussi,çapeuts’arranger.Onpartenmoto.Tuprendsunvirageenépingleàcheveuxàtouteallurejusteaumomentoùilyaunpoidslourdquiarriveenfaceetonmeurtensemble,flotsdesang,funéraillesàdeuxplaces,squelettesenlacéspourl’éternité.»

Ilal’airsihorrifiéqueçamefaitrire.Ilmesourit,soulagé.Lebrouillardsedissipe,lesoleilillumineànouveaulapièce.

«N’enparlonsplus,Adam.Disonsquec’estmaltombé,c’esttout.

—

Tuastoutbalancéparlafenêtre,quandmême!

—

Passeulementàcausedetoi.

—

Non»,dit-il,lesyeuxfermés,latêteappuyéeenarrièresursondossier.

Papaluiaditquej’enavaisfiniavecl’hôpital.Toutlemondelesait.Philippadoitpasserdanslamatinéepourdiscuterdesdifférentesoptions,encorequejevoiemallesquelles...L’effetdelatransfusion

d’aujourd’huiestdéjàfini.

«Àquoiressemble-t-elle,cetteuniversité?

—

C’esttrèsgrand,ilyauntasdebâtiments.J’étaisunpeupaumé.»

Maisilpenseaufutur.Sesyeuxbrillentd’avenir.IlaprisletrainpourNottingham.

Ilyatellementd’endroitsoùilvaallersansmoi.

«Tuasrencontrédesfilles?

—

Non!

—

C’estbienpourçaqu’onvaàl’université,pourtant?»

Ilselève,vients’asseoirsurleborddemonlitetdéclared’unairtrèssérieux:

«Jevaisàl’universitéparcequeavantdeteconnaîtrejemenaisuneviemerdique.

Jevaisàl’universitéparcequejeneveuxpasrestericisitun’yespas,etcontinueràvivreavecmamèresansquerienaitchangé.Sanstoi,jenel’auraismêmepasenvisagé.

—

Jepariequetum’aurasoubliéeavantlafindupremiertrimestre.

—

Jepariequenon.

—

C’estpratiquementinévitable.

—

Arrête!Faut-ilvraimentquejefassequelquechosed’extravagantpourquetumecroies?

—

Oui!

—

Qu’est-cequetusuggères?sourit-il.

—

Quetutiennestapromesse.»

Ils’avancepoursouleverlacouettemaisjel’arrête:

«Éteinslalumière,d’abord.

—

Pourquoi?Jeveuxtevoir.

—

Non,s’ilteplaît.Jenesuisqu’unsacd’os.»

Ensoupirant,ilvaéteindreleplafonnieretserassoitsurlelit.J’aidûluifairepeurparcequ’ilnemerejointpasetsecontentedemecaresseràtraversl’édredon,samaindescendtoutlelongdemajambe,delacuisseàlacheville,parcourtl’autrejambe.Sesgestessontsûrs.J’ail’impressiond’êtreuninstrumentdemusiquequ’onraccorde.

«Jepourraispasserdesheuressurchaquecentimètredetoi.»

Puis,enriant,commesicen’étaitpastrèscooldedireça,ilajoute:

«Tuesvraimentsuperbe.»

Danssesmains,oui.Parcequesesdoigtsmeredonnentuncorps.

«Tuaimesquejetecaressecommeça?»

J’acquiesced’ungeste,alorsils’agenouillesurlamoquette,meprendlespiedsentresesdeuxmainsetlesréchauffeàtraversmeschaussettes.

Ilmemassesilonguementquecelam’endortpresque,maisjemeréveillelorsqu’ilretiremeschaussettes,soulèvemespiedsetlesembrasse.Salangueparcourtchacundemesorteils,ilgrattemesplantesdepiedavecsesdentsetlèchel’arrondidemestalons.

Jepensaisquemoncorpsnepourraitplusjamaissentircettepassion,cettesortedefièvreurgentequej’aidéjàconnueaveclui.Jesuisémerveilléedelaressentirànouveau.Etjesaisqu’ill’éprouve,luiaussi.IlenlèvesonT-shirt,envoiebaladerseschaussures.Nosregardsseriventl’unàl’autre.

Toutestétonnammentbeauchezlui:sescheveuxtrèscourts,maintenant,encoreplusquelesmiens,l’arcdesondoslorsqu’ilretiresonjean,lafermetédesesmusclesdejardinier.

«Viens!»

Ilfaitchauddanslachambre,lesradiateurssontbrûlants,pourtantjefrissonnelorsqu’ilsoulèvelacouetteetgrimpeprèsdemoi.Ilprendgrandsoindenepaspesersurmoi,etm’embrassedélicatementsurlabouche.

«N’aiepaspeurdemoi,Adam.

—

Jen’aipaspeur.»

Maisc’estmalanguequitrouvelasienne.C’estmoiquiprendssamainetl’encourageàdéboutonnermonpyjama.

Unbruitmontedufonddesagorge,ungémissementsourdquandpeuàpeusesbaisersdescendent.Jebercesatêteetluicaresselégèrementlescheveuxtandisqu’iltètedoucementmesseinscommeleferaitunenfant.

«Tum’astellementmanqué!»

Samainglisseversmataille,monventre,lehautdemacuisse.Seslèvressuiventsamain,égrènentdesbaiserssurmapeaujusqu’àcequesatêtesoitentremesjambes,alorsilmeregarde,commepourmedemanderlapermission.

Çamerenverse,l’idéedeluim’embrassantlà.

Satêtes’enfoncedansl’ombre,sesmainsétreignentmesjambes,sonsouffleestbrûlantsurmacuisse.Ilcommencelentement.

Sijepouvaisruer,jeleferais.Sijepouvaishurleràlalune,jeleferais.Justepourressentircebonheur-là,alorsquejepensaismoncorpsferméàjamaisauplaisir.

Jesuiscomblée.

«Viens!Viensprèsdemoi.»

Unflashd’inquiétudepassedanssesyeux.

«Çava?

—

Commentas-tuapprisàfaireça?

—

Tuasaimé?

—

C’étaitgénial!»

Ilsourit,ridiculementfierdelui.

«Jel’aivudansunfilm,unefois.

—

Ettoi?Tudoistesentirexclu.

—

Aucuneimportance,répond-ilavecunhaussementd’épaules.Tuesfatiguéemaintenant,onn’apasbesoindefaireautrechose.

—

Tupourraistecaressertoi-même.

—

Devanttoi?

—

Oui,jeregarderais.

—

Vraiment?dit-ilenrougissant.

—

Pourquoipas.J’aibesoindepleindesouvenirs.»

Ilsourittimidement.

«Tuveuxvraiment?

—

Vraiment.»

Ilseredressesurlesgenoux.Mêmesijen’aiplusaucuneénergieenréserve,jeleregardeintensément.

Ilfixemesseinstoutensecaressant.Jamaisjen’aipartagéquoiquecesoitdesiintime,jamaisjen’aivuunetelleexpressiond’amourquecelledesonvisageperplexe,laboucheouverte,lesyeuxélargis.

«Jet’aime,Tess!Jet’aimevraimentcommeunfou!»

Trente-sept

«Dites-moicommentçavaêtre.»

Philippahochelatête,commesielles’attendaitàcettequestion.Sonvisagesefige,professionnel,distant.J’ail’impressionqu’elleacommencéàsedétacherdemoi.

Commentpourrait-ilenêtreautrement?Sonmétierestd’administrerdessoinsauxmourants.Sielles’approchetropprès,ellerisquedetomberdansl’abîme.

«Àpartirdemaintenant,tunevasplusvouloirmangerbeaucoup.Tuvasprobablementdormirtrèssouvent.Nepassouhaiterparler,maisilpeutteresterassezd’énergiepourdepetitesconversationsd’unedizainedeminutesentrelessommes.

Tupeuxmêmeavoirenviededescendreaurez-de-chaussée,oud’allerdanslejardins’ilfaitassezchaudetsitonpèreestassezfortpourteporter.Maislaplupartdutempstudormiras.Dansquelquesjours,tutraverserasdespériodesalternéesdeconscienceetd’inconscience.Acestade-là,tunepourrasplusrépondreauxgens,pourtanttusentirasleurprésenceautourdetoiettuentendrascequ’ilstedisent.Etfinalement,tut’endormiraspourtoujours,Tess.

—

Jevaissouffrir?

—

Jecroisqu’onpourratoujourscontrôlertadouleur.

—

Cen’étaitpaslecasàl’hôpital.Pasaudébut.

—

Non,admet-elle.Audébut,c’estdifficiledetrouverlesbonscalmants.Maisjet’aiapportédusulfatedemorphinequiestunantalgiqueàlibérationprolongée.J’aiprisaussidel’Oramorphqu’onpourraajoutersinécessaire.

—

Vouspensezquej’auraipeur?

—

Jepensequ’iln’yanibonnenimauvaisefaçonderéagir.»

Amonexpression,elledevinecequejenedispas:pasdebaratin,jevousenprie...

«Tessa,jepensequetun’asvraiment,vraimentpaseudechancedanslavie,etquemoi,àtaplace,

j’auraispeur.Maisquellequesoittafaçond’affrontercesderniersjours,jesuispersuadéequeceseratrèsexactementlabonnefaçon.

—

Jedétestequ’onparlede“jours”.

—

Tuasraison,dit-elleenfronçantlessourcils.Excuse-moi.»

Ellemeparlealorsd’analgésiques,memontredesboîtesetdesbouteilles.Savoixestdouce,sesmotssedissolventau-dessusdemoi,sesconseilss’égarent.J’ail’impressionquetoutseréduitànéant.Uneétrangehallucinationmehantesoudain:mavietoutentièreatenduverscemoment-là.Jenesuisnée,jen’aigrandiquepourapprendrecesinformationsetrecevoircesmédicamentsdesmainsdecettefemme.

«Tuasd’autresquestionsàmeposer,Tessa?»

J’essaiedepenseràtoutcequ’ilfaudraitquejeluidemande.Maisjerestemuette,malàl’aise,commesielleétaitvenuem’accompagneràlagareetquenousavionstoutesdeuxhâtequeletraindémarrepouréviterleridiculedesultimesparolesoiseuses.

L’heureestvenue.

Dehorsbrilleunlumineuxmatind’avril.Lemondevacontinueràtournersansmoi.

Jen’aipaslechoix.Lecancerm’aenvahie,jesuiscribléedepartenpart.Etonnepeutrienyfaire.

«Jedescendsvoirtonpère,maintenant,reprendPhilippa.J’essaieraiderepassertevoirbientôt.

—

Vousn’êtespasobligée.

—

Jesais,maisjeleferai.»

GrosseetadorablePhilippa,courantdeLondresàlacôtesudpouraiderlesgensàmourir.Ellesepenchepourm’embrasser.Sapeauesttiède,elletranspireunpeuetsentlalavande.

Aprèssondépart,jem’endorsetrêvequejesuisausalonoùtoutlemondeestassis.Papaémetunbruitquejen’aijamaisentenduavant.Jeluidemande:

«Pourquoipleures-tu?Qu’est-cequis’estpassé?»

MamanetCalsontcôteàcôtesurlecanapé.Calporteuncostumeetunecravatecommeunpetitjoueurdebillard.

Ettoutàcoup,jecomprends:jesuismorte.

«Jesuislà,jesuislà,àcôtédevous!»

Jecriemaisilsnem’entendentpas.

Unjour,j’aivuunfilmàproposdelamort,oùl’ondisaitquelesdéfuntsnes’envontpasvraiment,qu’ilsviventsilencieusementparminous.Jevoudraisexpliquerçaàmafamille.J’essaiedeprendreuncrayonsurlatable.Maismamainpasseàtravers.Etàtraverslecanapé.Jevaisetviensd’unepièceàl’autrecommeunpasse-muraille.J’effleurelecrânedePapaquiremuesursachaise,sedemandantsansdouted’oùvientcefroidquilefaitfrissonner.

Etpuisjemeréveille.

Papaestassisprèsdemonlit.Ilmeprendlamain:

«Commenttesens-tu?»

Jeréfléchisàlaquestion,passemoncorpsauscannerpourenrepérerlessignaux:

«Jenesouffrepas.

—

Tantmieux.

—

Jesuisunpeufatiguée.

—

Tuasfaim?»

J’aimeraistantpouvoirluirépondreoui.Luidemanderunrisottoauxcrevettesetunpuddingàlamélasse,maisceseraitmentir.

«Ya-t-ilquelquechosedonttuasenvie?»

Oui.Connaîtrelebébé.Finirmesétudes.Deveniradulte.Voyagerdanslemondeentier.

«Unetassedethé,peut-être?»

Papaal’aircontent.

«Riend’autre?Unbiscuit?

—

Dupapieretdequoiécrire.»

Ilm’aideàm’asseoir.Tapotemesoreillers,orientelalampedechevet,prendunblocetunfeutresurl’étagère.Puisildescendbrancherlabouilloire.

Numéroonze.Unetassedethé.

Numérodouze...

InstructionspourPapa

Jeneveuxpasqu’onmemettedansunfrigochezlespompesfunèbres.J’aimeraisquetumegardesàlamaisonjusqu’àl’enterrement.Et,s’ilvousplaît,quequelqu’unresteassisprèsdemoipourquejenemesentepasseule.Jevousprometsdenepasvousfairepeur.

Jevoudraisqu’onm’enterredansmarobeàpapillons,monsoutien-gorgeetmaculottelilas,mesbottesnoiresàfermetureEclair(toutçaestencoredanslavalisequej’avaispréparéepourlaSicile).Etjeveuxporterlebraceletqu’Adamm’adonné.

Nememaquillepas.C’estridicule,lemaquillagesurlesmorts.

JENEVEUXPASqu’onmebrûle.Lescrémationspolluentl’atmosphèreavecdesdioxines,del’acidechlorhydrique,del’acidefluorhydrique,dudioxydedesoufreetdudioxydedecarbone.Etpuisdanslescrématoriumsilyacesrideauxbizarresquidonnentlachairdepoule.

Jevoudraisuncercueilensaulebiodégradableetqu’onm’enterredansunbois.

LesgensduCentredelaMortnaturellem’ontguidéepourchoisirunendroitpastrèsloindelamaisonetilst’aiderontpourtouteslesdémarches.

Jevoudraisqu’onplanteunarbredelarégionsurmatombe,ouàcôté.J’aimeraisbienunchêne,maisçapeutaussiêtreunchâtaignierouunsaule.Jevoudraisquemonnomsoitécritsuruneplaquedeboisetqu’onlaissepousserdesfleursetdesplantessauvagesautourdematombe.

J’aimeraisquelacérémoniesoittrèssimple.DisàZoeyd’amenerLauren(sielleestnéeàcemoment-là),invitePhilippaetsonmariAndy(s’ilaenviedevenir)etJames(s’iln’estpastropoccupéàl’hôpital).

Jeneveuxpasquequiquecesoitquinemeconnaîtpasdisequoiquecesoitsurmoi.LesgensduCentredelaMortnaturelleserontlàpourt’aider,maisqu'ilsnesemêlentpasdetoutnonplus.Jevoudraisquelesgensquej’aimeselèventpourparlerdemoi,mêmesicelatefaitpleurer.J’aimeraisquetoituneprononcesquedesparolesvraies.Tupeuxdirequej’étaisunmonstre,situveux,etàquelpointjet’aifaittournerenbourrique.Maissitupensesquelquechosedegentil,dis-leaussi!

Ecris-leavant,parcequeapparemmentlesgensoublientsouventcequ’ilsvoulaientdire,auxenterrements.

Surtout,surtoutnelisenaucuncaslefameuxpoèmed’Auden.Onl’atropentenduetc’esttroptriste.Demandeàquelqu’undelireleSonnet12deShakespeare.

Musique:«Blackbird»parlesBeatles.«Plainsong»parTheCure.«Livelikeyouweredying»par

TimMcGrawet«Allthetreesofthefieldwillclaptheir

hands»parSufjanStevens.Iln’yaurapeut-êtrepasassezdetempspourtoutmaissurtoutnesautepasledernier.Zoeym’aaidéeàchoisir,elleatoutsursoniPod(etelleadesbaffles,situasbesoindelesluiemprunter).

Après,alleztousdéjeuneraupub.J’ai260livressurmoncompteetjesouhaitevraimentquevouslesutilisiezpourcela.Jet’assure,c’estmoiquiinvite.Etsurtoutprendsundessert:ducaramelbiencollant,ungâteauauchocolatouunecoupedeglace,quelquechosedevraimentmauvaispourtoi.Enivre-toiaussisituenasenvie(maisnefaispaspeuràCal).Dépensetoutl’argent.

Etaprès,plustard,quandletempsaurapassé,continueàmeguetter.J’écriraipeut-êtresurlemiroirembuéquandtuprendrasunbain,oujejoueraiaveclesfeuillesdupommierquandtuserasdanslejardin.Oujemeglisseraidansundetesrêves.

Quandtupeux,vasurmatombe,maisnet’yforcepassitunepeuxpas,ousitudéménagesetquec’estdevenutroploin.C’estjolienété,là-bas(vavoirlesitesurInternet).Vouspourriezapporterledéjeuneretpique-niqueravecmoi.J’adorerais.

Voilà.C’esttout.

Jet’aime.

Tessaxxx.

Trente-huit

«Jevaisêtreleseulélèvedel’écolequiaunesœurmorte.

—

Cool!Tuvasêtredispensédedevoirsdusoirpendantuntempsfou,ettouteslesfillesvontêtredinguesdetoi.»

Calréfléchitàcetaspectdeschoses.Puisdemande:

«Est-cequejeseraitoujoursunfrère?

—

Évidemment.

—

Maistoitunelesauraspas.

—

Biensûrquesi,jelesaurai!

—

Est-cequetuviendrasmehanter?

—

Tuasenviequejelefasse?»

Petitsourirenerveux.

«J’auraispeut-êtrepeur.

—

Alors,jeneleferaipas.»

Iln’arrêtepasdebouger.Arpentelamoquetteentremonlitetleplacard.Quelquechoseachangéentrenousdepuisl’hôpital.Plaisanterensembleestmoinsfacile.

«Balancelatélévisionparlafenêtresituenasenvie,Cal.Moi,çam’abeaucoupsoulagée.

—

Jen’aipasenvie.

—

Montre-moiuntourdemagie,alors.»

Ilseprécipitepourallercherchersonmatérieletrevientavecsavestedeprestidigitateur,lanoireauxpochesinvisibles.

«Regardetrèsattentivement.»

Ilnouedeuxfoulardsdesoieensembleparuncoinetlespousseàl’intérieurdesonpoing.Puisilouvresamaindoigtpardoigt.Elleestvide.

«Commentarrives-tuàfaireça?»

Ilhochelatête,setapotelenezavecsabaguette:

«Lesmagiciensnelivrentjamaisleurssecrets.

—

Recommence!»

Mais,àlaplace,ilbatunjeudecartesetl’étale:

«Choisis-enune,regarde-la,nemedispascequec’est.»

Jechoisisladamedepiqueetlaremetsdanslepaquet.Calétaledenouveaulescartes,àl’endroit,cettefois.Plusdedamedepique.

«Tuesvraimenttrèsfort,Cal!»

Ils’effondresurlelit.

«Pasautantquejevoudrais.Jevoudraisréussirunnuméroplusimportant,quelquechosed’impressionnant.

—

Tupeuxmescierendeux,situveux.»

Il

sourit,

puis

presqueimmédiatement

fond

en

larmes,

pleure

d’abord

silencieusement,puisàgrossanglotscontenus.Àmaconnaissance,cen’estquelasecondefoisqu’ilpleure,sansdouteena-t-ilbesoin.Nousfaisonsminetousdeuxdecroirequ’ils’agitjusted’unphénomènephysiqueincontrôlable,commeunsaignementdenez,rienàvoiraveccequ’ilpeutéventuellementressentir.Jel’attireversmoietleserredansmesbras.Ilsanglotesurmonépaule,seslarmesmouillentmonpyjama.J’aimeraisleslécher.Seslarmes,sivraies,sisincères.

«Jet’aime,Cal.»

C’estfacile.Mêmesicelalefaitpleurerdixfoisplusfort,jesuisheureused’avoirosé.

Numérotreize:serrermonfrèredansmesbrastandisquelecrépuscules’installesurl’appuidefenêtre.

Adammontedanslelitettirel’édredonsoussonmentoncommes’ilavaitfroidoucraignaitqueleplafondneluitombesurlatête.

«Demain,tonpèrevaacheterunlitdecampqu’oninstalleraparterre,prèsdetonlit.

—

Tunevasplusdormiravecmoi?

—

Peut-êtrequetun’enaurasplusenvie,Tessa.Tun’aimerasplusqu’onteserre.

—

Peut-êtrequesi.

—

Alors,jeleferai.»

Maisilestterrifié,celaselitdanssesyeux.

«Bon,d’accord,jetelibère.

—

Chut.

—

Si,jet’assure,jeterendstaliberté.

—

Maisjen’enveuxpas,demaliberté,dit-ilensepenchantpourm’embrasser.

Réveille-moisituasbesoindemoi.»

Ils’endorttrèsvite.Moi,jerestelesyeuxouvertsetécouteleslumièresdelavilles’éteindre.Lemurmuredes«bonnenuit».Legrincementsomnolentdesressortsdesommier.

Jecherchelamaind’Adametlaserretrèsfort.Jesuiscontentequ’ilexistedesgardiensdenuit,desinfirmières,deschauffeursdepoidslourds.Celameréconforted’imaginerquedansd’autrespays,sousd’autreslatitudes,desfemmeslaventleurlingeàlarivièretandisquelesenfantsentrentenrangàl’école.Acetinstantprécis,quelquepartdanslemonde,ungarçongrimpedanslamontagneenécoutantletintementjoyeuxd’uneclochettedechèvre.Celamerendtrèsheureuse.

Trente-neuf

Zoeyestentraindecoudre.J’ignoraisqu’ellesavait.Unerobedebébéjaunecitronestposéesursesgenoux.Unœilfermé,elleenfilesonaiguille,tirelefil,s’humectelesdoigtspourfaireunnœud.Quiabienpuluiapprendreça?Jel’observequelquesminutes,ellecoudcommesiellen’avaitfaitqueçatoutesavie.Sescheveuxsontnouéssurlesommetdesatête,découvrantlatendrecourbedesoncou.Elleestsiconcentréequ’elles’enmordillelalèvre.

«Vis!Restevivante,jet’enprie.»

Ellesursaute.

«Merde!Jenesavaispasquetuétaisréveillée»,dit-elleenaspirantlagouttedesangquiperleàsondoigt.

Celamefaitrire.

«Tuesresplendissante.

—

Jesuisénorme,oui!répond-elleensesoulevantdesachaise,pourmieuxmemontrersonventreprotubérant.Monstrueuse.Ondiraituneourse.»

J’adoreraisêtrecebébéàl’intérieurd’elle,minusculeetpleindesanté.

InstructionspourZoey

Nedispasàtafillequelemondeestpourri.Montre-luidejolieschoses.Mêmesitesparentsn’ontpaspul’êtrepourtoi,soisgéantepourelle.Etnetelaissejamaisséduireparungarçonquin’estpasamoureuxdetoi.

«Tucroisqueturegretterastavied’avant,quandlebébéserané?»

Zoeymedévisaged’unairsérieux:

«Tudevraist’habiller.Cen’estpasbonpourtoidetramerenpyjamatoutelajournée.»

Jemerappuiesurmesoreillersetregardelescoinsdelapièce.Quandj’étaispetite,jerêvaisdevivreauplafond:celaavaitl’airsipropreetclairlà-haut,commeledessusd’ungâteau.Maintenantcelamefaitjustepenseràdesdrapsdelit.

«J’ail’impressiondetelaissertomber.Jeneseraimêmepasfoutuedefairedubaby-sittingoujenesaisquoipourt’aider.

—

Ilfaitvraimentbeaudehors,insisteZoey.SijedemandaisàAdamouàtonpèredeteporterdanslejardin?»

Desoiseauxjoutentsurlegazon.Deslambeauxdenuagess’effilochentdanslebleuduciel.Cettechaiselongueestbrûlantecommesielleavaitemmagasinédusoleildepuisdesheures.

Zoeyestplongéedansunmagazine.Adammemasselespiedsàtraversmeschaussettes.

«Écoutez-moiça,ditZoey.C’estl’histoirequiagagnéleconcoursannueld’histoiresdrôles.»

Numéroquatorze,unehistoiredrôle.

«Unhommevachezlemédecinetluidit:J’aiunefraisequimepoussesurlafesse.Oh,répondlemédecin,j’aidelacrème,pourça.»

J’éclatederire.Jesuisunsquelettequirit.Nousentendrerire,Adam,Zoeyetmoi,sembleuneéchappatoireinespérée...Après,toutpeutarriver.

Zoeymecollesonbébédanslesbras.«Elles’appelleLauren.»

Elleestdodue,humide,baveunpeudelait.Ellesentbon.Elleagitelesbrasversmoi,essaied’attraperl’air,mepincelenezentresespetitsdoigtsauxonglesendemi-lune.

«Bonjour,Lauren.»

Jeluidisquejelatrouvebelleetintelligente.Jeluidistouteslesbêtisesquelesbébésaimententendre,j’imagine.Ellemeregardedesesgrandsyeuxinsondablesetbâillelonguement.Jevoistoutl’intérieurdesapetiteboucherose.

«Ellet’aime,ditZoey.Ellesaitquitues.»

J’installeLaurenTessaWalkersurmonépauleetluimassedoucementledosenpetitscercles.J’écoutesoncœur.Ellesembleprudente,décidée.Férocementvivante.

Souslepommierdansentdesombres.Lesbranchesfiltrentdesraisdelumière.Unetondeuseronronneauloin.Zoeylittoujourssonmagazinemaislerefermebrusquementens’apercevantquejesuisréveillée.

«Tuasdormidesheures.

—

J’airêvéqueLaurenétaitnée.

—

Elleétaitsublime?

—

Évidemment.»

Adamlèvelesyeuxetmesourit.

«Salut!»

Papadescendl’alléeennousfilmant.

«Arrête,Papa!C’estmorbide.»

Ilrentrerangersonappareilàlamaison,ressortaveclapoubelledurecyclable,laposeprèsduportailet

coupedesfleursmortes.

«Vienst’asseoiravecnous,Papa.»

Maisilnetientpasenplace.Ilretournedanslamaison,ressortavecunbolderaisins,unassortimentdechocolatsetdesjusdefruits.

«Quelqu’unveutunsandwich?

—

Merci,moi,lesMaltesers,çamevatrèsbien»,ditZoey.

J’aimebienlafaçondontsaboucheseplissequandellesucedesbonbons.

Sortilègestrompe-la-mort.

Demanderàvotremeilleureamiedevouslirelespassageslespluscroustillantsdesonmagazine:lesragots,lestrucsdemode.L’inviteràs’asseoirsiprèsdevousquevouspouveztouchersonventre,sonétonnanteénormité.Etquandilfautqu’ellerentrechezelle,respirerprofondémentetluidirequevousl’aimez.Parcequec’estvrai.Etquandellesepenchepourvousdirequ’elleaussi,latenirbienserréecontrevous,parcequecesontdesparolesquevousn’échangeriezpasnormalement.

Invitervotrefrèreàs’asseoirprèsdevousquandilrentredeclasseetpasserenrevuechaquedétaildesajournée,chaqueleçon,chaqueconversation,etmêmecequ’ilamangéàlacantine,jusqu’àcequ’ilenaittellementassezqu’ildemandelapermissiondepartirencourantpourallerjoueraufootdansleparcavecsescopains.

Regardervotremèreenvoyerbaladerseschaussuresetsemasserlespiedsparcequesonnouveaujobàlalibrairieexigequ’ellerestedebouttoutelajournéeetsoitpolieaveclesclients.Rirequandelleoffreunlivreàvotrepèreparcequeaveclaremisequ’ellea,ellepeutsepermettred’êtregénéreuse.

Voirvotrepèreluiembrasserlajoue.Remarquerleursourire.Savoirqu’ilssontvosparents,quoiqu’ilarrive.

Écoutervotrevoisinetaillersesrosestandisquelesombress’allongentsurlapelouse.Ellefredonneunevieillechanson.Etvous,vousêtesallongéeavecvotrepetitamisousunecouverture.Luidirequevousêtesfièredelui,fièrequ’ilaitplantécejardinetencouragésamèreàs’enoccuper.

ObserverlaLune.Touteprocheetcernéed’unhalorose.Votrepetitamivousexpliquequec’estuneillusiond’optique,qu’elleparaîtplusoumoinsgrosseselonsapositionparrapportàlaTerre.

Réfléchiràvotredimensionparrapportàl’univers.

Et,lesoir,quandquelqu’unvousaportéejusqu’àvotrechambreetqu’unenouvellejournéesetermine,refuserquevotrepetitamisecouchedanssonlitdecamp.Luidirequevousvoulezqu’ilvousprennedanssesbras,nepasavoirpeurqu’ilrisquederefuser,parceque,s’ilaccepte,c’estqu’ilvousaimeetc’estlaseulechosequicompte.Mêlervosjambesauxsiennes.

Écoutersonsoufflelégerdanslanuit.

Etquandvousentendezunbruit,commelevold’unmilanquis’approche,commelesailesd’unmoulinquitournentlentement,dire:«Pasencore,pastoutdesuite.»

Continueràrespirer,continuerjusteàrespirer.C’estfacile.Inspirer,expirer.

Quarante

Lalumièrecommenceàréapparaître.Lesfrontièresdesténèbresnesontplusaussinettes.J’ailabouchesècheet,danslagorge,l’âpretépersistantedumédicamentd’hiersoir.

«Bonjour»,ditAdam.

Ilauneérection,s’enexcuseavecunpetitsouriretimide,vaouvrirlesrideauxetresteprèsdelafenêtreàregarderdehors.Derrièrelui,lesternesnuéesrosesdel’aube.

«Tuvasvivreicidesannéessansmoi.

—

Jevaispréparerlepetitdéjeuner?»répond-il.

Avecl’artd’unmaîtred’hôtelstylé,ilm’apportepleindechoses.Uneglaceaucitron.Unthermosd’eauchaude.Destranchesd’orangesurunesoucoupe.Unecouverturesupplémentaire.Etenbas,ilfaitbouillirdesbâtonsdecannelleparcequejerêvedel’odeurdeNoël.

Commentest-cearrivésivite?Commentest-cedevenuvraimentvrai?

Jet’enpriemontedanslelit,montesurmoi,transmets-moitachaleur,prends-moidanstesbras,faisqueças’arrête.

«Mamanestentraindemonteruntreillage,dit-il.D’abordonaparléd’herbesaromatiques,puisderoses,maintenantelleveutunchèvrefeuille.Jevaispeut-êtreallerluidonneruncoupdemainpendantquetonpèrevienttetenircompagnie.

D’accord?

—

Biensûr.

—

Tun’aspasenviedet’installerdehors,aujourd’hui?

—

Non.»

Jen’aipaslecouragedebouger.Lesoleilmebroielesidéesettoutmefaitmal.

Cefoufurieuxordonneàtoutlemonded’allerdansunchampetditjevaischoisirl’undevousunseuld’entrevousvamouriretchacunregardetoutautourensedisantilyapeudechancesquecesoitmoipuisquenoussommesdesmilliersdoncstatistiquementc’estparfaitementimprobableetlefouvaetvient

enregardanttoutlemondeetquandils’approchedemoiilhésiteetilsouritetpuisilmemontredudoigtetditc’estvousc’estunchocmaisenfaitc’étaitévidentqueceseraitmoicommentneleserait-cepasjelesaisdepuistoujours

Calfaitirruption:

«Jepeuxsortir?

—

Pouralleroù?soupirePapa.

—

Justepoursortir.

—

Soisunpeuplusprécis,s’ilteplaît.

—

Jetelediraiquandj’yserai.

—

Çanemesuffitpas.

—

N’importequid’autrealedroitd’allervadrouillerunpeu!

—

Jemeficheden’importequid’autre.»SomptueusecolèredeCalquifonceverslaporte.

Cheveuxpleinsdebrindilles,onglessales.Violenceaveclaquelleilouvrelaported’uncoupsecetlaclaquederrièrelui.

«Vousn’êtesqu’unebandedesalescons,tous!»hurle-t-ilendégringolantl’escalier.

InstructionspourCal

Nemeurspasjeune.N’attrapepasdeméningite,nileSida,niquoiquecesoitd’autre.Soisenbonnesanté.Net’engagedansaucuneguerre,nerejoinsaucunesecte,aucunereligion,netedémolispaslecœurpourquelqu’unquineleméritepas.N’imaginepasquetudoisêtreparfaitparcequetuesleseulquireste.Soiscommetuasenvied’êtremêmeméchant.

JesaisislamaindePapa.Sesdoigtssontàvif,commesionlesavaitgrattésavecunerâpe.

«Qu’est-cequetut’esfait?»

Ilhausselesépaules:

«Jenesaispas.Jen’avaismêmepasremarqué.»

AutresinstructionspourPapa

PermetsàCaldetesuffire.

Jet’aime,jet’aime.Quecemessagepassedemesdoigtsauxsiens,remontelelongdesonbras,jusqu’àsoncœur.Écoute-moi.Jet’aime.Pardondetequitter.

Jemeréveilleplusieursheuresplustard.Commenttoutcelaest-ilarrivé?

Calestrevenu,ilestassisprèsdemoisurlelit,appuyécontredesoreillers.

«Excuse-moid’avoircrié.

—

C’estPapaquit’aenvoyémedireça?»

Ilfaitouidelatête.Lesrideauxsontouverts,pourtantilfaitdenouveausombre.

«Tuaspeur?demandeCaltoutdoucement,commes’ilyréfléchissaitmaissansavoirvraimentl’intentiond’enparler.

—

J’aipeurdem’endormir.

—

Tuaspeurdenepasteréveiller?

—

Oui.»

Sesyeuxbrillent.

«Maistusaisqueceneserapascettenuit?Jeveuxdire,tulesentirais,n’est-cepas?

—

Non,ceneserapascettenuit.»

Ilposesatêtesurmonépaule.

«Jedéteste,vraimentjedétestetoutça»,dit-il.

Quaranteetun

Ellefaitundecestapagesdanslanuit,cetteclochequ’onm’adonnée,maisjem’enfiche.Adamapparaît,l’œilvague,encaleçonetT-shirt.

«Tum’asabandonnée?

—

Jeviensdedescendreàl’instantpourmefaireunetassedethé.»

Jenelecroispas.Etjemefousdesatassedethé.S’ilavraimentsoif,iln’aqu’àboirel’eautièdedemacarafe.

«Tiens-moilamain.Nelâchepas.»

Chaquefoisquejefermelesyeux,jetombe.Unechutesansfin.

Quarantedeux

Touslesélémentssontlesmêmes,lalumièreàtraverslesrideaux,lesrumeurslointainesdelacirculation,l’eauquiboutdanslabouilloire.

CepourraitêtreGroundhogDay7,saufquemoncorpsestplusépuiséetmapeauplustransparente.J’existemoinsqu’hier.

Et

Adamestdanslelitdecamp.

J’essaiedem’asseoirmaisn’arrivepasàrassemblertoutàfaitassezd’énergie.

«Pourquoias-tudormilà,parterre?

—

Parcequecettenuit,tuaseumal»,répond-ilenmetouchantlamain.

Ilouvrelesrideauxexactementcommehiermatin.Resteàlafenêtrepourregarderdehors.Derrièrelui,lecielestpâleethumide.

Nousavonsfaitl’amourvingt-septfois,partagélemêmelitsoixante-deuxnuits,etçac’estbeaucoupd’amour

«Petitdéjeuner?»propose-t-il.

Jeneveuxpasêtremorte.

Jen’aipasétéaiméeainsiassezlongtemps.

7Lejouroùlesmarmottessortentdeleurhibernation.

Quarantetrois

Mamanamisquatorzeheurespouraccoucherdemoi.C’étaitaucoursd’unmoisdemaiquiabattutouslesrecordsdechaleur.Unechaleursitorridequejen’aiportéaucunvêtementpendantlesdeuxpremièressemainesdemonexistence.

«Jetecouchaissurmonventreetnousdormionsdesheures,raconte-t-elle.Ilfaisaittropchaudpourquoiquecesoitd’autre.»

Cesouvenirenentraîned’autres.

«NousprenionslebuspourallervoirPapapendantsapausedéjeuner,tuétaisassisesurmesgenouxetturegardaislesgens.Tuavaisunregardd’unetelleintensité.Toutlemondeleremarquait.»

Lalumièreestétincelante.Delargesraisdesoleiltombentendiagonalesurmonlit.

Jen’aimêmepasbesoindebougerpourtendremamainàlachaleurdusoleil.

«TuterappellesquandnoussommesallésàCromeretquetuasperdutonbraceletàbreloquessurlaplage?»

Elleaapportédesphotosqu’ellememontreuneàune.

Unaprès-midivertetblancàenfilerdescolliersdepâquerettes.

Lalumièreblafardedel’hiveràlafermemunicipale.

Desfeuillesdorées,desbottesboueuses,etunseaunoirfièrementporté.

«Qu’est-cequetuavaisattrapé,tuterappelles?»

Philippam’abienditquemonaptitudeàécouterseraitladernièrechosequidisparaîtraitmaisellenem’apasprévenuequejeverraisdescouleursquandlesgensmeparlent.

Desphrasesentièresformentdesarcs-en-cielàtraverslapièce.

Touts’embrouilledansmatête.C’estmoiquisuisprèsdulitetMamanquimeurtàmaplace.Jesoulèvelesdrapspourlaregarder,elleestnue,unevieillefemmeridéeauxpoilspubiensgris.

Jepleurelamortd’unchienrenverséparunevoitureetenterré.Nousn’avonsjamaiseudechien.Cen’estpasunsouveniràmoi.

JesuisMamantrottantsurunponeyàtraverslavillepourallervoirPapa.Ilhabitedansunecité,leponeyetmoiprenonsl’ascenseurpourmonterauhuitièmeétage.Lesonmétalliquedessabotsduponeymefaitrire.

J’aidouzeans.Jereviensdel’écoleetMamanm’attendsurleseuildelamaison.

Enmanteau,unevaliseàsespieds.Ellemetenduneenveloppe:«Tudonnerasçaàtonpapaquandilrentrera.»

Ellem’embrassepourmedireaurevoir.Jelaregardes’éloignerjusqu’àlaligned’horizon.Puis,ausommetdelacolline,ellesedissipe,commeuneboufféedefumée.

Quarantequatre

Lalumièreestàfendrelecœur.

Papasirotesonthéprèsdemonlit.Jevoudraisluidirequ’ilvaraterGMTV1maisjenesuispastrèssûrequecesoitlecas.Passûredel’heurequ’ilest.

Ilgrignoteunpetitquelquechose.Desbiscuitssecsavecdespiccalillietduvieuxcheddar.J’aimeraisenavoirenvie.Êtreintéresséeparlessaveurs,lessensationsdemououdecraquantsousladent.

Ilposesonassietteenvoyantquejemeréveilleetmeprendlamain:

«Quetuesjolie»,dit-il.

Jeleremercie.

Maismeslèvresrestentimmobilesetilnesemblepasm’entendre.

Alorsjeluidis:j’étaisjustemententraindepenseràcepanierdebasketquetum’avaisinstalléquandjesuisentréedansl’équipedel’école.Tuterappelles,tut’étaistrompédanslesmesuresettul’avaisaccrochébeaucouptrophaut?Jem’étaistellemententraînéeavecqu’après,àl’école,jevisaistoujoursmaletonm’aviréedel’équipe.

Maisilnesemblepasentendrecelanonplus.

Alors,jemelance.

Papa,tuasjouéaubase-ballavecmoi,alorsquetudétestaisçaetquetuauraispréféréquejememetteaucricket.Tuasapprisàfaireunecollectiondetimbresparcequej’avaisenviedesavoir.Tuesrestéassisdesheuresdansdeshôpitauxsansjamaisteplaindre,pasunefois.Tum’asbrossélescheveuxcommel’auraitfaitunemère.Tuasabandonnétontravail,tesamis,quatreannéesdetavie,pourmoi.Sansjamaisrâler.Presquejamais.Tum’aslaisséeavoirAdam.Tum’aslaisséeavoirmaliste.J’aiétémonstrueuse.Enenvoulanttoujours,toujoursplus.Ettun’asjamaisdit:«Çasuffit.Arrête,maintenant!»

ilyaunmomentquejevoulaisdireça

Calmeregardeattentivement.

«Salut!Commenttuvas?»

Jeluirépondsd’unclind’œil.

Ils’assiedsurlachaisepourmescruterdeplusprès.«Tunepeuxvraimentplusparler?»

J’essaiedeluirépondrequesi,biensûr,jepeuxparler.Ilestbête,ouquoi?

Ilsoupire,selève,varegarderparlafenêtre.

«Est-cequetumetrouvestropjeunepouravoirunepetiteamie?»

Jerépondsqueoui.

«Parcequej’aidestasdecopainsquienontune.Enfait,ilsnesortentpasensemble.Pasvraiment.Ilss’envoientjustedesmessages.Jenecomprendraijamaisrienàl’amour»,conclut-ilavecunhochementdetêtedubitatif.

Maisàmonavisilcomprenddéjàtrèsbien.Mieuxquelaplupartdesgens.

«Bonjour,Cal,ditZoey.

—

Salut!répond-il.

—

Jesuisvenuedireaurevoir.Enfin,jel’avaisdéjàfait,jesais,maisj’aieuenviederecommencer.

—

Pourquoi?demande-t-il.Oùest-cequetupars?»

J’aimelepoidsdelamaindeMamandanslamienne.

Elledit:«Sijepouvaisprendretaplace,jeleferais.C’estvrai,tusais.»

Puiselledit:«Jevoudraisjustepouvoirt’épargnercela.»

Peut-êtrepense-t-ellequejenel’entendspas.

Elledit:«Jepourraisécriretoutunarticlepourundecesmagazines-réalité,etracontercommecelaaétédifficiledevousabandonner.Jeneveuxpasquetuimaginesquec’étaitfacile.»

quandj’avaisdouzeans,j’airegardéunecarted’Ecosseetj’aivuqu’au-delàduFirthilyavaitlesîlesOrcades,etjesavaisque,delà,onpouvaitprendredesbateauxpours’enallerencorebienplusloin

InstructionspourMaman

N’abandonnepasCal.Net’éloignepasdelui,neretournepasenEcosse,nepensejamaisqu'unhommeestplusimportant.Situfaisça,jeviendraitetourmenter.Jedéplaceraitesmeubles,jetejetteraideschosesàlafigure,jeteferaisipeurquetudeviendrasfolle.SoisgentilleavecPapa.Jeneplaisantepas.Jetesurveille.

Ellemedonneunegorgéed’eauglacée.Etmerafraîchitdoucementlefrontavecunganthumide.

Etpuiselledit:«Jet’aime.»

Commetroisgouttesdesangtombantsurlaneige.

Quarantecinq

Adamsecouchedanssonlitdecamp.Quigrince.Puisquis’arrêtedegrincer.

Jemesouviensdeluiembrassantmesseins.Iln’yapastrèslongtemps.Nousétionsdanscettepièce,ensembledansmonlit,etjel’aitenudanslecreuxdemonbras,ils’estblotticontremoi,j’avaisl’impressiond’êtresamère.

Ilm’apromisdem’accompagnerjusqu’aubout.Jeluiaifaitpromettre.Maisjenesavaispasqu’ilpasseraitlanuitcouchéprèsdemoi,commeunbonboy-scout.Jenesavaispasquecelameferaitsimalqu’onmetouche,aupointqu’ilaitpeurdemeprendrelamain.

Ildevraitêtredehorsdanslanuitavecunefillebienroulée,auxseinscommedesoranges.

InstructionspourAdam

Net’occupedepersonned’autrequetoi.Vaàl’université,fais-toipleind’amisetenivre-toi.Oublielesclefsdetachambre.Ris.Fais-toidespot-noodlespourlepetitdéjeuner.Sèchelescours.Soisinsouciant.

Adamdit:«Bonnenuit,Tessa.»Bonnenuit,Adam.

«J’aiappelél’infirmière.Elleditqu'ilfautquenousrenforcionslamorphineavecdel’Oramorph.

—

Iln’yapasquelqu’unquivavenir?

—

Non,onpeutsedébrouillernous-mêmes.

—

Elleappelaitdenouveausamère,pendantquevousétiezautéléphone.»

jesuisobsédéeparlesnuagesdefumées’échappantdutintamarredissonantdesclochesetparlesvisagesabasourdisdetouscesgenscommesionleurarrachaitquelquechose

«Jevaism’asseoirprèsd’elle,Adam.Descends,regardelatélévisionouessaiededormirunpeu.

—

J’aipromisdenepaslaquitter.»

C’estcommeéteindretoutesleslumièresuneparune.

unpetitcrachinmouillelesableetnosjambesnuestandisquePapametladernièremainànotrechâteau

etmêmesouslapluieCaletmoicontinuonsàallerchercherdel’eaudansnosseauxpourconsoliderlesdouvespuisplustardquandlesoleilréapparaîtnousplantonsdesdrapeauxsurtouteslestourspourqu’ilsflottentauventpuisnousachetonsdesglacessurladigueetencoreplustardnousrestonsassisprèsdePapaàregarderlamaréemonterettousensemblenousessayonsderepoussertoutecetteeaupourqueleshabitantsduchâteaunesenoientpas

«Vas-y,Adam.Aucundenousnepeutluifairedubienenétantépuisé.

—

Non,non,jenelaquittepas.»

quandj’avaisquatreansj’aifaillitomberdanslepuitsd’unemined’étainetquandj’avaiscinqanslavoitures’estretournéesurl’autorouteetquandj’avaisseptansonestpartisenvacancesetleréchaudàgazdelacaravanes’estenflamméetpersonnen’arienremarqué

j’aipassémavieàmourir.

«Elleal’airpluscalme,maintenant.

—Hmm.»

Jen’entendsqu’unepetitepartiedeschoses.Lesmotstombentdansdescrevasses,m’échappentpendantdesheures,puisremontentensurfaceetleurpoidsécrasemapoitrine.

«Jetesuistrèsreconnaissant.

—

Dequoi?

—

Detenirbon.Tellementdegarçonsseseraientdéjàenfuisàtaplace.

—

Jel’aime.»

Quarante-six

«Bonjour,ditAdam.Tuesréveillée.»

Ilsepenchesurmoi,m’humectelaboucheavecuneéponge.Iltapoteungantdetoilettesurmeslèvresdesséchéesetlesenduitdevaseline.

«Tuaslesmainstoutesfroides.Jevaislesprendredanslesmiennespourlesréchaufferunpeu,d’accord?»

Jepue.Jesensl’horribleodeurdemesproprespets.J’entendslehideuxtic-tacdemoncorpsquiseconsume.Jecoule,jefaisnaufragedansmonlit.

Numéroquinze,sortirdecelit,descendre,toutçan’étaitqu’uneplaisanterie.

Deuxcentneuf,épouserAdam.

Trente,alleràlaréuniondeparents,notreenfantestungénie.Nostroisenfants,d’ailleurs,sontdesgénies:Chester,MerlinetDaisy.

Cinquanteetun,deux,trois.Ouvrirlesyeux.Ouvrircesfoutusyeux!

Jenepeuxpas.Jetombe.

Quarante-quatre,nepastomber.Jeneveuxpastomber.J’aipeur.

Quarante-cinq,nepastomber.

Penseràquelquechose.Sijepenseausoufflechaudd’Adamentremesjambes,jenemourraipas.

Maisjenepeuxm’accrocheràrien.

Commeunarbrequiperdsesfeuilles.

J’oubliemêmeceàquoij’étaisentraindepenser.

«Pourquoiest-cequ’ellefaitcebruit?

—

Cesontsespoumons.Commeellenebougeplus,lesfluidesnesontplusévacués.

—

C’estterrible.

—

C’estmoinsterriblequelebruitlelaissesupposer.»

CedoitêtreCal.J’entendsl’anneaud’unecanettequ’onouvre,lepétillementd’unCoca.

«Qu’est-cequefaittonPapa?demandeAdam.

—

Iltéléphone.IlditàMamandevenir.

—

Trèsbien.»

Qu’est-cequiarriveauxcorpsmorts,Cal?

Poussière,brillance,pluie.

«Tucroisqu’ellenousentend?

—

Biensûr.

—

Parcequejeluiaiditdestrucs.

—

Quelgenredetrucs?

—

Jenetelediraipas.»

àl’originedusystèmesolaireilyaeulebigbangetseulementalorslaTerres’estforméeetseulementalorslavieestapparueetquandlapluieetlefeusesontarrêtésalorssontnéslesinsecteslesbatracienslesdinosaureslesmammifèreslesoiseauxlesprimatesleshominidésetfinalementleshommes

«Tuessûrquec’estnormalqu’ellefassecebruit?

—

Jecrois,oui.

—

Cen’estpluslemêmequetoutàl’heure.

—

Chut,tum’empêchesd’entendre.

—

C’estpire.Ondiraitqu’ellen’arrivemêmeplusàrespirer.

—

Merde!

—

Elleestentraindemourir?

—

VacherchertonPapa,Cal,vite,cours!»

unpetitoiseautransporteunemontagnedesablegrainpargrainilpiqueungrainchaquemilliond’annéesetquandtoutelamontagneadéménagél’oiseaulareprendgrainpargrainpourlaremettreàsaplacec’estcelal’éternitéuntempsquin’enfinitpasquandonestmort

Peut-êtrequejereviendraisouslaformedequelqu’und’autre.

Jeserailafilleauxcheveuxfousqu’Adamrencontredèssapremièresemaineàl’université.«Salut!Toiaussi,tuaschoisil’horticulture?»

«Jesuislà,Tess.Toutprèsdetoi.Jetetienslamain.Adamestlàaussi,assisdel’autrecôtédulit.Calaussi.Mamanestenroute,elleseralàdansuneminute.Noust’aimonstous,Tessa.Noussommestouslà,avectoi.»

«Jedétestecebruit.Ondiraitqu’elleamal.

—

Ellen’apasmal,Cal.Elleestinconsciente.Ellenesouffrepas.

—

Adamditqu’ellenousentend.Commentpeut-ellenousentendresielleestinconsciente?

—

C’estcommequandondort,exceptéqu’ellesaitquenoussommeslà.Assieds-toiprèsdemoi,Cal,toutvabien.Vienst’asseoirsurmesgenoux.Elleestenpaix,net’inquiètepas.

—

Ellen’apasl’airenpaix.Ellefaitunbruitdebouilloirecassée.»

Jemeretireenmoi.Leursvoixnesontplusqu’unmurmured’eauquicoule.

Lesmomentss’enchaînent.

Desavionspercutentlesbuildings.Descadavresvolentdanslesairs.Métrosetbusexplosent.Desradiationsémanentdestrottoirs.Lesoleiln’estplusqu’uneétroitetachenoire.Laracehumaineestexterminée.Cesontlescafardsquimènentlemonde.

N’importequoipourraitarrivermaintenant.

AngelDelightsuruneplage.

Tintementd’unefourchettecontreunbol.Mouettes.Vagues.

«Toutvabien,Tessa,tupeuxpartir.Noust’aimons.Tupeuxpartirmaintenant.

—

Pourquoitudisça?

—

Parcequ’elleapeut-êtrebesoind’unepermissionpourmourir,Cal.

—

Jeneveuxpasqu’ellemeure.Jeneluidonnepaslapermission,moi.»

Disonsouialors

Ouiàn’importequoipourjusteunjourdeplus.

«Tudevraispeut-êtreluidireaurevoir,Cal.

—

Non.

—

C’estpeut-êtreimportant.

—

Çarisquedelafairemourir.

—

Riendecequetudirasnepeutlafairemourir.Elleveutsavoirquetul’aimes.

»

Encoreunmoment.Justeun.Jepeuxtenirunmomentdeplus.

Dansl’allée,unpapierdebonbons’envoledanslevent.

«Vas-y,Cal.

—

Jemesensidiot.

—

Aucund’entrenousn’écoute.Approche-toietchuchote-luiàl’oreille.»

Monnomtoutautourd’unrond-point.

Dessèchesdélavéessuruneplage.

Unoiseaumortsurlegazon.

Desmillionsd’asticotsaffolésparlalumièredusoleil.

«Aurevoir,Tess.Viensmehantersituasenvie.Çanefaitrien.»

Uncitronetunevachefontunhold-up.

Unecuillermaintientunesourissousl’eau.

Troispetitesbullesd’airs’échappent,l’uneaprèsl’autre.

Sixbonshommesdeneigeencotonhydrophile.

Sixserviettespliéesenformedelys.

Septpierres,toutesdecouleursdifférentes,reliéesparunechaîned’argent.

Ilyadusoleildansmatassedethé.

Zoeyregardeobstinémentparlafenêtre,c’estmoiquiconduis,noussortonsdelaville.Leciels’assombritdeplusenplus.

Leslaisserpartir.

Adamsoufflesafuméeverslaville,aufonddelavallée.Dit:«N’importequoipourraitarriverlà,enbas,icionnelesauraitmêmepas.»

Adammecaresselatête,levisage,ilembrassemeslarmes.

Noussommescomblés.

Leslaissertouspartir