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FACULTÉ DE THÉOLOGIE UNIVERSITÉ DE FRIBOURG / CH JEAN-CONRAD DE REINACH HIRTZBACH PRINCE-ÉVÊQUE DE BÂLE (1705-1737) CONTRIBUTION À L’ÉTUDE DE SON ACTIVITÉ TEMPORELLE ET SPIRITUELLE Philippe Chèvre de Mettembert Extraits du mémoire de licence Fribourg, janvier 1976

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach · DE SON ACTIVITÉ TEMPORELLE ET SPIRITUELLE Philippe Chèvre de Mettembert Extraits du mémoire de licence Fribourg, janvier 1976 . 2 « L’esprit

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FACULTÉ DE THÉOLOGIE ∙ UNIVERSITÉ DE FRIBOURG / CH

JEAN-CONRAD DE REINACH HIRTZBACH

PRINCE-ÉVÊQUE DE BÂLE (1705-1737)

CONTRIBUTION À L’ÉTUDE

DE SON ACTIVITÉ TEMPORELLE ET SPIRITUELLE

Philippe Chèvre

de Mettembert

Extraits du mémoire de licence

Fribourg, janvier 1976

2

« L’esprit de modération et

une certaine sagesse

dans la conduite

laissent les hommes

dans l’obscurité :

il leur vaut de grandes vertus

pour être connus et admirés,

ou peut-être de grands vices. »

La Bruyère, Les Caractères, Des jugements

3

INTRODUCTION

Les documents des archives de l’ancien évêché de Bâle à Porrentruy nous donnent

d’intéressants renseignements sur les activités spirituelles et temporelles du prince-évêque Jean-

Conrad de Reinach-Hirtzbach (1705-1737).

Notre curiosité nous a obligé à considérer l’analyse menée par certains historiens et politiciens

de notre siècle et du siècle passé. Nous avons été surpris de la sévérité de leur jugement. Le

contraste entre leur opinion et la réalité des documents était tel que nous nous sommes demandé

s’il s’agissait du même personnage. La coïncidence des dates et des faits nous obligea à la

croire.

Etait-il possible qu’un homme qui gouverna avec génie, dotant ses Etats d’une administration à

la pointe du progrès et les sauvegardant d’une mainmise étrangère, fut traité avec tant de

mépris? Etait-il possible qu’un évêque, qui eut le souci de donner à ses sujets un clergé digne de

ses fonctions par l’institution d’un séminaire et qui s’attacha à la restauration religieuse dans

tout le pays, fut qualifié de « Néron mitré », utilisant son autorité spirituelle pour mieux

gouverner ses Etats?

Voici le tableau que nous donne Virgile Rossel dans son « Histoire du Jura Bernois »(1)

:

« Fanatique de ses droits, jaloux de son autorité, ambitieux et remuant, il ne sut pas être

l’homme de son temps, ni le père de son peuple. Où la longanimité aurait été seule de mise, il se

laissa entraîner par la colère et, lorsque la sagesse eût été de raison, il usa de ruse et de violence.

Or ses sujets n’étaient plus d’humeur à tout accepter de leur maître. Il sema la révolte et il la

récolta. »

Un peu plus loin, il écrit au sujet de la réorganisation administrative du prince-évêque (2)

:

« Jean-Conrad procède à la façon d’un Louis XIV de province. Il affirme son pouvoir absolu, il

passe outre à la collaboration de ses sujets. Dans un Etat aussi divisé que le sien par la langue, la

religion, les institutions civiles, les conditions politiques et les alliances, il se flatte d’accomplir

seul une besogne d’intense centralisation... »

A la lecture de l’ « Histoire des évêques de Bâle » (3)

de Mgr Vautrey, il semble que l’on soit

allé plus loin dans la calomnie:

« Aucun prince n’a été plus maltraité par les historiens que Jean-Conrad: on l’a représenté sous

les couleurs les plus noires; on lui a supposé les intentions les plus odieuses, les calculs les plus

opposés à ses devoirs de pasteur et de père de son peuple. On l’a appelé tyran, barbare, Néron

mitré, oppresseur des pauvres et des petits... Jean-Conrad de Reinach nous est arrivé couvert

d’opprobre et traîné dans la boue par les voix de la Révolution et du radicalisme. »

Une lettre du P. Pierre Joseph Dunod, jésuite, au père abbé de Bellelay donne un tout autre

portrait. (4)

Il reconnaît à Jean-Conrad de Reinach l’âme grande et les sentiments élevés, « une

supériorité de génie qui le met toujours au-dessus de tout événement. » (5)

« Il est d’une piété

exemplaire... Il a un attachement inviolable pour le Saint-Siège et une attention singulière à faire

(1)

V. Rossel, Histoire du Jura Bernois, pp. 133 ss. (2)

Id., p. 138. (3)

L. Vautrey, histoire des évêques de Bâle, II, p. 280. (4)

Id., pp. 280-282. (5)

Id., p. 280.

4

observer le concile de Trente... » (6)

Quant à son train de vie, « son palais est réglé comme une

maison religieuse. » (7)

Devant des opinions aussi paradoxales sur la personne de Jean-Conrad de Reinach, nous

sommes appelés à nous poser quelques questions, questions graves car elles engagent la

réputation d’un homme d’Eglise et d’un prince d’empire.

Ceux qui accusèrent le prince-évêque de tyrannie ont-ils lu avec attention les documents

importants ayant trait à son règne? Ont-ils cherché à comprendre sa politique étrangère et les

motifs de ses recherches d’alliances? Ont-ils cherché à pénétrer l’intention de la réforme

administrative de la principauté? Au sujet de l’administration du diocèse, ont-ils essayé de

comprendre les motifs réels de la fondation du séminaire et de la restauration religieuse?

Ce sont les points que nous nous proposons d’aborder. Dans une première partie, nous

présenterons brièvement l’origine du pouvoir temporel des princes-évêques de Bâle et sa

légitimité. Jean-Conrad de Reinach n’est pas un usurpateur qui s’accroche au pouvoir, mais un

vassal légitimement mandaté par l’empereur pour le service de ses sujets.

Dans une deuxième partie, nous considérerons l’œuvre des prédécesseurs immédiats de Jean-

Conrad de Reinach. Ceci nous permettra de mieux situer la période étudiée dans le mouvement

de l’histoire.

Enfin, nous entrerons dans le vif du sujet: le gouvernement de Jean-Conrad, prince et évêque.

Maintes fois, au cours de notre essai, nous serons appelés à faire référence à des notions

juridiques et politiques particulièrement délicates et complexes. Vu le caractère réduit de notre

travail, nous nous permettrons d’en faire mention sans entrer dans leur complexité. Notre essai

se veut d’être une contribution à la vérité: celle du portrait de Jean-Conrad de Reinach. La

période trouble durant laquelle il eut le malheur de régner ne pouvait le laisser dans l’obscurité.

La lecture des documents d’archives nous permet-elle de porter au prince-évêque considération

et admiration?

(6)

Id., p. 282. (7)

Ibid.

5

CHAPITRE 1

Le pouvoir temporel des princes-évêques de Bâle :

un pouvoir usurpé

ou la gérance d’un bien légitime ?

6

1.1 Le pouvoir temporel des évêques de Bâle:

son origine

Au IV siècle, l’évêque de Bâle était appelé évêque des Rauraques. Son autorité s’étendait sur

toute la Rauracie, avec pour siège épiscopal Augusta Rauricorum. (1)

Il était en lien avec

l’archevêque de Lyon, puis dès le VI siècle, avec celui de Besançon, cette ville venant d’être

érigée en Archevêché. (2)

Le diocèse était entouré par l’évêché de Strasbourg au nord, celui de Lausanne au sud. Le

diocèse de Constance touchait la frontière est, et l’archevêché de Besançon la frontière ouest.

L’Ajoie, terre du prince-évêque, relevait à part entière de l’autorité spirituelle de Besançon.

Le diocèse était divisé en doyennés, avec comme tâche d’organiser le ministère et de faire

respecter la discipline ecclésiastique. Le doyenné était un intermédiaire entre l’évêque et les

curés. Au XIII siècle, on en dénombre onze pour le diocèse de Bâle: Doyennés Ultra Colles

Ottonis, Citra Colles, Citra Rhenum, Sundgaudiae, Inter Colles, Elsgaudiae, Leimenthal,

Salisgaudiae, Sisgaudiae, Frickgaudiae, Buchsgaudiae.

(1)

J. Trouillat, Monuments de l’histoire de l’ancien Evêché de Bâle, I, pp. 11. 22. (2)

H.-J. Leu, Allgemeines, Helvetisches, Eidgenössisches oder Schweizerisches Lexikon, II, p. 105.

7

LE DIOCÈSE DE BÂLE AU DÉBUT DU XVIIIème SIÈCLE

Sisgau et Frickgau ne formèrent qu’un seul doyenné après la Réforme

8

La Réforme allait désorganiser un peu la répartition des doyennés. La région de Bâle n’en

comptera qu’un seul, étant donné le progrès des idées protestantes. Quant à l’administration du

Sundgau, on la divisera car son étendue était trop importante. (3)

Le développement des doyennés au XIII siècle dans le diocèse de Bâle correspond à l’essor

territorial des paroisses que l’on constate un peu partout. (4)

En effet, la réforme grégorienne

ayant soustrait la paroisse à l’emprise séculière, l’Eglise pense à son organisation et à son

développement. Elle en précise le statut.

L’évêque édictait les lois ecclésiastiques. En ce qui concerne l’administration des affaires du

diocèse, il avait recours au chapitre. D’autre part, il était assisté de vicaires généraux, de

l’officialité et du conseil ecclésiastique.

Le chapitre était formé de dix-huit chanoines: treize d’entre eux devaient faire valoir leurs

quartiers de noblesse allemande. Pour les autres, le titre de docteur en théologie suffisait. Le rôle

principal du chapitre était d’élire un évêque lors de la vacance du siège épiscopal, élection à

faire confirmer par les instances romaines.

En outre, pour l’aider dans la gérance du diocèse, le prince-évêque de Bâle avait coutume de

nommer un suffragant. Ce dernier pouvait être appelé à lui succéder.

Pour rendre la justice ecclésiastique, l’évêque avait recours au chapitre ou à l’officialité. A

l’origine, l’officialité ne jugeait que les affaires du clergé ou les crimes de laïques contre la

religion. (5)

A ce gouvernement spirituel s’ajouta au cours des âges le gouvernement des choses temporelles.

Nous nous trouvons dans le mouvement amorcé par la Réforme grégorienne: faire « une élite de

clercs et de moines

qui s’appuient sur la papauté et la mettent au premier plan. » (6)

En effet, en 999, le dernier roi des deux Bourgognes, Rodolphe III, meurt sans descendant.

Aussi fait-il don à l’évêque de Bâle de l’abbaye de Moutier-Grandval et de ses dépendances,

tandis que l’archidiocèse de Besançon entrait pour longtemps dans l’orbite de l’Empire. (7)

Au sujet de l’abbaye de Moutier-Grandval, qu’entendre par dépendance? Il s’agit d’une

importante fortune foncière. Les dépendances comprennent St. Ursanne, Neuveville (villa

Nugerolis), Orvin (Ulfina), Tavannes (Tschisvenna), Sombeval (Summis vallis), St. Imier, Péry

(villa Bederica), Reconvilier, Bellelay: vastes domaines auxquels s’ajoutent des terres dans la

vallée de Delémont et en Ajoie (Elsgau). (8)

Ainsi, l’évêque de Bâle recevant l’abbaye de

Moutier-Grandval se voit reconnaître un droit de souveraineté. Dans le cours du temps, les

princes-évêques « ne cesse(nt) de le (le droit de souveraineté) maintenir, de le proclamer, de le

faire reconnaître, et confirmer surtout, par les plus hautes autorités de l’époque, les papes et les

empereurs. »(9)

Jusqu’au XII siècle, l’abbaye de Moutier-Grandval administre ses biens sans que l’évêque

n’intervienne. Il faut dire qu’au XI siècle, par les privilèges, les coutumes et les résistances, les

(3)

J. Trouillat, op. cit., I, pp. 66 ss. (4)

F. Lot & R. Fawtier, Histoire des Institutions françaises, III, p. 197. (5)

L. Stouff, Le pouvoir temporel des évêques de Bâle, p. 54. (6)

F. Lot & R. Fawtier, op. cit. , III, p. 78. (7)

L. febvre, Histoire de Franche-Comté, p. 54. (8)

V. Rossel, op. cit. , p. 36. (9)

A. Chèvre, A propos des origines du pouvoir temporel, p. 166.

9

soustractions à l’autorité épiscopale se multiplient. L’exemption se généralise. (10)

Non

seulement l’évêque peut être privé de ses prérogatives, mais le territoire épiscopal peut être

soustrait à sa juridiction. Pour éviter une telle situation avec l’abbaye de Moutier-Grandval,

nous comprenons que l’évêque de Bâle ne cesse de faire confirmer son droit de souveraineté et

évite de s’ingérer dans les affaires du monastère. Cependant, progressivement l’évêque de Bâle

installe son pouvoir:

1000 Rodolphe III, dernier roi de Bourgogne, confirme la donation faite en

999 à Adalbéro, évêque de Bâle, donation du monastère de Moutier-

Grandval. (11)

25 avril 1040 Henri III, roi d’Allemagne, confirme à Udalric, évêque de Bâle, la

donation faite des monastères de Moutier-Grandval et de St. Ursanne.(12)

21 novembre 1053 Le pape Léon IX renouvelle la même confirmation à Thierry, évêque de

Bâle. (13)

14 avril 1139 Bulle confirmative des possessions de l’église collégiale de St. Ursanne,

donnée par le pape Innocent II. (14)

15 mai 1146 Le pape Eugène III confirme à l’évêque de Bâle quelques-uns de ses

droits et privilèges, tels que battre monnaie, la possession de la ville de

Brisach, de l’abbaye de Moutier-Grandval, de Masevaux, de St.

Ursanne. (15)

14 février 1160 L’empereur Frédéric I confirme à l’église de Bâle la possession des

églises de Moutier et de St. Ursanne, et confère à l’évêque le droit de

disposer des prébendes de ces églises et d’y nommer des chanoines. (16)

13 avril 1160 Frédéric, comte de Ferrette, donne à l’église de Moutier-Grandval tous

les hommes appartenant au dit comte qui habitent le Sornegau,

prescrivant qu’ils n’aient d’autres maîtres que les chanoines de cette

église. (17)

27 février 1179 Alexandre III confirme les possessions de l’église collégiale de

Moutier-Grandval. (18)

1 février 1195 Le pape Célestin III confirme les possessions du chapitre de Bâle. (19)

(10)

F. Lot & R. Fawtier, op. cit. , III., p. 238. (11)

J. Trouillat, op. cit. , I, p. 140. (12)

Id., I, p. 168. (13)

Id., I, p. 181. (14)

Id., I, p. 276. (15)

J. Trouillat, op. cit. , I, p. 295. (16)

Id., I, p. 335. (17)

Id., I, p. 338. (18)

Id., I, p. 370. (19)

Id., I, p. 434.

10

A partir du XII siècle, les évêques de Bâle organisent leur territoire, désireux de former une

souveraineté territoriale bien limitée. Dûment investis de leur souveraineté et ayant de plus en

plus les coudées franches du fait de la réforme grégorienne, les princes-évêques de Bâle peuvent

mener un développement de leur juridiction temporelle. A la fin du XIII siècle, le prévôt de

Moutier-Grandval devient vassal du prince-évêque, et ceci avec juridiction sur les résidants de

la Prévôté. (20)

Au XIV siècle, par la Bulle d’or de 1356, l’empereur Charles IV non seulement confirma les

droits des évêques, mais il leur donna une investiture féodale. Désormais, les évêques de Bâle

pouvaient penser en hommes d’état. Le pouvoir formel que leur donnait la donation de 999

devenait pouvoir effectif. La donation de 999 fut un point de départ. Le génie politique et le

souci de service des princes-évêques pouvaient s’exercer dans le temporel.

1.2 Un souci de service:

le gouvernement des princes-évêques

Les princes-évêques s’entourèrent d’une cour formée d’hommes d’église et de représentants du

peuple. Cependant, ces deux groupements n’étaient pas distincts. Le prince formait son conseil

en choisissant des membres de l’un et l’autre groupe. (21)

La cour féodale comprenait six officiers supérieurs. Venaient ensuite les ministériaux:

gouverneurs de baillages, administrateurs, avoués, membres des conseils. (22)

Le régime de la principauté était monarchique. Cependant, le gouvernement temporel du prince

ne pouvait être exercé sans l’assentiment de la cour ecclésiastique: le collège des chanoines. A

ceci s’ajoutaient différents conseils: le Conseil d’Etat, le Conseil aulique et la Chambre des

Comptes. Pour répartir les charges publiques, des députés de la noblesse, du clergé et du peuple

se réunissaient en assemblée: les Etats généraux.

Vassal de l’empereur, mandaté par lui, le prince-évêque exerçait la haute justice, qui impliquait

le droit de vie et de mort. (23)

Le prince pouvait déléguer ce droit à ses officiers, se réservant le

« jus aggratiandi ».

Pour rendre justice, le prince-évêque de Bâle disposait de la Haute Cour: elle s’occupait des

affaires civiles et criminelles. Il était encore entouré du Conseil aulique, tribunal d’appel des

baillages, ainsi que des Assises, tribunal composé des délégués de l’évêque et des juges des

différents baillages. La Cour Impériale était la dernière instance et fonctionnait comme cour

d’appel. Cependant ne pouvaient avoir recours au tribunal impérial que ceux qui habitaient les

territoires relevant de l’empire. En effet, la Réforme avait introduit des modifications

importantes dans les institutions appliquées jusqu’ici et réglées sur le droit canon. Pour l’Eglise,

le droit ecclésiastique n’est pas attribué au prince séculier comme tel, mais au ministre

ecclésiastique selon la distinction: le pouvoir temporel au prince temporel, le pouvoir spirituel et

(20)

J. Trouillat, op. cit. , I, p. 12. IV, p. 863. (21)

L. Stouff, op. cit. , p. 53. (22)

Id., pp. 55-57. (23)

L. Stouff, op. cit. , p 32.

11

ecclésiastique à l’évêque. Pour les réformés, il n’en va pas de même: le droit de juridiction

appartient au prince temporel. Aussi, pour les Etats protestants de l’Erguel et de la Neuveville

qui revendiquaient la juridiction ecclésiastique, le prince-évêque appliqua-t-il les théories

protestantes, disant qu’on ne pouvait lui enlever le juridiction ecclésiastique sans supprimer

simultanément le pouvoir temporel. Or, pour l’instant, le pouvoir temporel dans les régions

protestantes était détenu par lui, le prince-évêque de Bâle. Ses droits demeuraient inchangés.

Quant aux régions catholiques, sa juridiction demeurait celle prévue par les lois de l’Eglise pour

les terres du Saint-Empire romain germanique et développée par la suite au concile de Trente.

En cas de conflit entre le pouvoir religieux et civil s’offrait la possibilité du recours à

l’empereur.

Du point de vue géographique, à qui s’appliquaient ces mesures?

Au début du XVIII siècle, la partie relevant de l’empire était ainsi formée: la châtellenie d’Ajoie

et la ville de Porrentruy (dont la juridiction spirituelle relevait de l’archevêque de Besançon), la

prévôté de St. Ursanne, la Franche-Montagne des Bois, les seigneureries de Franquemont et de

Chauvelier, la châtellenie de Delémont, les baillages allemands de Zwingen, Pfeffingen, Birseck

et Schliengen, les seigneureries de La Bourg et de Loewenbourg, la prévôté de Moutier-

Grandval et la courtine de Bellelay.

A ceci s’ajoutaient les territoires du Sud, indépendants de l’empire et jouissant de l’exemption

de l’imposition impériale, exemption acquise après la guerre de Trente Ans. C’était la « partie

helvétique », vu les traités de combourgeoisie passés avec les cantons. Cependant, ces territoires

étaient gouvernés souverainement sur les lois du prince. (24)

Ils comprenaient l’Erguel, Diesse,

Neuvevile, Orvin et Bienne.

(24)

A. Quiquerez, Histoire des institutions, pp. 13-14.

12

LA JURIDICTION TEMPORELLE DU PRINCE-ÉVÊQUE AU XVIIIème SIÈCLE

Territoires relevant de l’Empire : Territoires alliés aux cantons suisses :

1 Ajoie 8 Schliengen 1 Erguel

2 St. Ursanne 9 Prévôté 2 Diesse

3 Delémont 10 Bellelay 3 Neuveville

4 Zwingen 11 La Franche-Montagne 4 Orvin

5 La Bourg 12 Chauvelier 5 Bienne

6 Birseck 13 Franquemont

7 Pfeffingen

13

Nous le voyons, la juridiction temporelle exercée par les princes-évêques était d’importance.

Mais, tout en invoquant le fait qu’ils étaient dûment mandatés pour exercer ce pouvoir,

pouvons-nous parler de souci de service? Ne s’agit-il pas plutôt d’une ingérence dans les

institutions coutumières existantes? Pour répondre à cette délicate question, il nous faut

remonter à l’origine de l’organisation judiciaire, telle qu’elle se fit dans nos régions.

Sous les romains, l’organisation judiciaire et l’organisation politique et administrative ne

pouvaient être conçues séparément. (25)

Et qui plus est, la justice formait un attribut de la

souveraineté et était considérée comme un service public.

Lors des invasions barbares et de la dislocation de l’empire romain, un nouveau sens allait être

donné à la justice. Elle se caractérisa par le droit de lever des amendes. Or, pour les Germains,

tout conflit d’intérêts se réglait dans une querelle, impliquant la lutte à main armée: lutte entre

seigneureries ou lutte entre deux individus. Parfois l’on recourait à l’arbitrage. Qui pouvait être

mieux placé pour cette délicate mission, si ce n’est l’évêque. (26)

N’ayant pas les mains liées par

les grands seigneurs, son jugement se devait d’être plus humain. Son impartialité et ses

compétences devaient avoir la faveur des justiciables. Cette situation était-elle une réalité dans

les territoires de l’évêché de Bâle?

Nous savons que l’on y pratiquait le combat judiciaire, qui, il est vrai, était réservé aux délits

d’importance: meurtre, incendie, viol. (27)

Ce n’est qu’entre le XV et le XVI siècle que cette

pratique disparut.

Au sujet des combats entre seigneureries, nous avons l’exemple de litige entre l’évêque de Bâle

Jean de Vienne et les comtes de Thierstein et de Kybourg concernant la possession de la

seigneurerie de Nidau. On s’en remit au jugement de Dieu, un combat entre cinquante-six

guerriers placés dans les deux camps étant chargé de « faire justice ».

La pratique du combat judiciaire laissait place à bien des abus. Il était bon que l’Eglise, tout en

aspirant à s’élever au-dessus du monde, n’ignorât pas sa mission de charité et qu’elle exerçât un

juste arbitrage lorsque cela lui était demandé. Ayant à s’occuper juridiquement de choses en lien

direct avec la vie de la cité, comme par exemple la législation du mariage, le prince-évêque ne

se trouva pas totalement en terre étrangère lorsqu’il eût à s’occuper du droit civil. La

reconnaissance de l’évêque de Bâle comme prince du Saint-Empire ne devait qu’accélérer la

cohabitation des droits ecclésiastiques et civils, le tribunal ordinaire des clercs devenant

progressivement celui des laïcs.

Ainsi, ce n’est pas exagérer la mission des princes-évêques de Bâle que de parler de service. Le

gouvernement était conçu dans un lien de vassalité qui n’est pas esclavage, mais rapport de

fidélité. Le vassal s’engageait par serment de fidélité vis-à vis du prince pour lui rendre les

services d’un homme libre. En retour, le prince garantissait le respect des droits de ses sujets.

Notre but n’est pas de « canoniser » les princes-évêques pour la qualité de leur gouvernement.

Nous n’avons pas la naïveté de croire que leur règne fut uniquement service gratuit du peuple

qui leur était confié. Mais nous nous devons de leur rendre justice. Si la centralisation du

pouvoir, centralisation judiciaire et administrative surtout, méprisa les institutions coutumières,

ce ne fut pas pour asservir, mais pour renforcer un pouvoir qui avait la faiblesse d’être divisé.

Issus de familles nobles et aristocratiques d’Allemagne, les princes-évêques n’eurent pas

toujours le génie de comprendre l’âme populaire, d’où de nombreux troubles faute de connaître

(25)

S. Brahier, L’organisation judiciaire et administrative du Jura bernois, pp. 3-4. (26)

C. Seignobos, Le régime féodal en Bourgogne jusqu’en 1360, p. 333. (27)

cf AEBP, Rôle de St. Ursanne de 1210, 1365, 1410; rôle de Delémont de 1400; rôle de

Moutier- Grandval de 1461, 1543.

14

l’intention droite des princes. (28)

Ceci est d’autant plus regrettable que les objets de controverses

étaient souvent de peu d’importance comparés à la visée universaliste des princes-évêques.

Il faut lire ces événements dans le contexte du XIII siècle, où apparaît un goût marqué pour

l’unité. « ...à l’Italie la papauté, l’empire à l’Allemagne, la théologie à Paris, montrent que les

contemporains ont bien conscience que l’organisation ecclésiastique, intellectuelle, voire en un

sens politique, n’est pas à l’étage des cités ou des pays; elle est à l’échelle de l’Europe, c’est-à-

dire de l’Eglise. » (29)

Les princes-évêques ne pouvaient plus penser leur gouvernement comme

isolé de l’ensemble: de l’Eglise et de l’empire. Convaincus que l’union fait la force, ils

oeuvrèrent dans le sens le plus favorable pour la principauté: l’unité de leur gouvernement et la

fidélité aux vues pontificales et impériales.

La diversité dans l’administration du territoire ne facilitait pas la tâche d’unification: d’une part

la division de la principauté en deux blocs: le bloc relevant de l’empire et celui qui était uni à

certains cantons suisses; d’autre part la partition du pouvoir spirituel: l’évêque de Lausanne

ayant juridiction spirituelle sur le territoire au sud de Pierre-Pertuis, celui de Besançon sur

l’Ajoie, et l’évêque de Constance sur le baillage de Schliengen.

Il fut difficile pour les princes-évêques de XVII et XVIII siècles de maintenir l’unité de leur

pouvoir. Ils ne pouvaient éviter de se trouver en contact avec les conflits européens. Face à ces

dangers, ils n’avaient qu’une seule arme: la diplomatie. Aussi, les prédécesseurs immédiats de

Jean-Conrad de Reinach œuvrèrent dans ce sens.

(28)

AEBP, cf liasse Gravamina. (29)

M.-H. Vicaire, Apogée de la civilisation médiévale, ds Histoire illustrée de l’Eglise, I, p. 415.

15

CHAPITRE 2

Esquisse de l’œuvre des prédécesseurs immédiats

de Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach

16

Jean-Conrad de Roggenbach (1656-1693)

Guillaume-Jacques Rinck de Baldenstein (1693-1705)

Avant de tracer le portrait de Jean-Conrad de Reinach, il nous importe de le situer dans son

contexte immédiat.

Aussi, nous parcourrons brièvement le règne de ses deux prédécesseurs: Jean-Conrad de

Roggenbach et Guillaume-Jacques Rinck de Baldenstein.

Jean-Conrad de Roggenbach, homme instruit et charitable, fit de son règne un règne de douceur

et de prospérité. (1)

Malgré les charges que suscitèrent l’établissement des chanoines à

Arlesheim, la popularité du prince était telle qu’il n’eut aucune difficulté à acquérir de ses Etats,

c’est-à-dire les baillages de l’empire, les crédits nécessaires. N’avait-il pas mérité le titre de

« bon »? Religieux plus que Seigneur, il laissa la réputation d’un homme de bien. Au long de

son règne de trente-sept ans, il eut la lourde tâche de panser les blessures laissées par la guerre

de Trente Ans qui sévit dans l’évêché. (2)

Afin de garantir la paix à ses Etats, le prince-évêque désira s’assurer de solides alliances avec

ses voisins: la France et les cantons catholiques. Il faut dire qu’après la guerre de Trente Ans,

les princes-évêques jouirent de plus d’indépendance. Il leur était possible de conclure des

alliances avec l’étranger, dans la mesure où leur politique ne contrariait pas celle de l’empereur.

Lorsqu’en 1657, la partie alsacienne du diocèse de Bâle passa sous l’autorité du roi de France et

nécessita plusieurs tractations entre les cours de Porrentruy et de Versailles (3)

, Louis XIV

garantit à Jean-Conrad de Roggenbach la possession des revenus du territoire cédé. En plus de

cette assurance qui dépassait le simple aspect financier, Monsieur de Roggenbach s’assura la

protection des cantons catholiques. C’était pour lui une manière fort habile de parer aux dangers

éventuels qui pouvaient venir de l’extérieur. Prince du Saint-Empire, assuré de l’estime du roi

de France et allié des cantons catholiques, n’était-ce pas la solution d’équilibre qui lui

permettrait de régner?

Oui, si en 1674 le roi de France n’avait pris Besançon et si Turenne n’avait combattu les

Impériaux en Alsace. Passage entre l’Alsace et la Franche-Comté, l’évêché de Bâle était

menacé. (4)

La victoire de Turenne en Alsace ne pouvait qu’inquiéter le prince-évêque. Des

troupes françaises étaient cantonnées en Ajoie. (5)

(1)

A. Vautrey, Histoire des Evêques de Bâle, II, pp. 253 ss. (2)

A. Vautrey, op. cit. , II, p. 255. (3)

cf J. Burklé, les chapitres ruraux des anciens Evêchés de Strasbourg et de Bâle.

Les tractations y sont présentées dans toute leur complexité. (4)

L. Vautrey, op. cit. , II, p. 262. (5)

AEBP, Mémoire de Decker (mars 1771), B 274, liasse 17.

17

En 1678, la paix de Nimègue lia la Franche-Comté à la France. (6)

La paix s’installa dans

l’évêché de Bâle. Alerté par le danger qui venait de le menacer, Monsieur de Roggenbach désira

la neutralité. Dans ce but, il voulut entrer dans la confédération helvétique (7)

tout en gardant son

droit de souveraineté. Les cantons catholiques s’y opposèrent, préférant maintenir les privilèges

réels d’une alliance séparée avec le prince-évêque.

La guerre de succession d’Espagne (1701-1714) vit l’Autriche, l’empire d’Allemagne,

l’Angleterre et la Hollande se lier contre Louis XIV, qui désigna Philippe d’Anjou à la

succession de Charles II. Devant le danger, le successeur de Monsieur de Roggenbach,

Guillaume-Jacques Rinck de Baldenstein, se rapprocha des cantons catholiques. Il voulut ainsi

garantir la neutralité de ses Etats. La France lui donna des garanties de sécurité. Mais tout ceci

était vague. Aussi le 30 octobre 1702, la diète fit savoir aux Français et à l’empereur qu’elle

interviendrait par la force si les territoires épiscopaux étaient violés. (8)

En 1701, des espions autrichiens travaillaient dans le baillage de Schliengen. (9)

De plus,

Allschwil, en Bâle Campagne, était envahie par des troupes françaises. Le prince était sur le

pied de guerre. Il ordonna un recrutement général. (10)

Une multitude de menaces du même

genre se succédèrent. La neutralité de la principauté devenait difficile à garantir.

Etait-il si neutre l’évêché de Bâle? Détenant sa légitimité de l’empereur du Saint-Empire, le

prince-évêque n’était-il pas lié? Aussi, pour quel motif revendiquait-il la neutralité?

C’est que Guillaume-Jacques Rinck de Baldenstein, tout comme son prédécesseur, soucieux de

sauvegarder l’unité de la principauté et d’y assurer son autorité tant spirituelle que temporelle,

ne pouvait pas prendre parti. Se ranger du côté de l’empereur, ce qui aurait pu paraître légitime,

c’était provoquer le roi de France à considérer l’évêché de Bâle comme ennemi et de l’utiliser

bon gré mal gré pour réaliser ses fins politiques: d’une part comme lieu de passage dans la

conquête de la Franche-Comté; d’autre part lors de la guerre de succession d’Espagne, par la

principauté il aurait été possible de prendre l’Alsace à revers. La principauté n’aurait eu qu’à

s’incliner, les forces militaires lui manquant. En période de guerre entre la France et l’empire, se

déclarer allié de la France était l’équivalent d’un suicide pour les états du prince-évêque: c’était

se couper de toute légitimité, l’empereur n’étant plus garant du pouvoir temporel du prince. Une

telle situation aurait pu donner des arguments valables aux états du sud pour se détacher

définitivement de l’autorité épiscopale.

Que d’influences néfastes une telle situation n’aurait-elle pas provoquées sur la vie spirituelle de

la principauté, puisque le pontife bâlois reconnaissait l’archevêque de Besançon, prélat français,

comme métropolitain et l’évêque de Constance, évêque d’empire, comme ordinaire du baillage

de Schliengen.

La situation était complexe: sauvegarder la légitimité du pouvoir temporel et exercer la

juridiction spirituelle - deux valeurs inséparables pour un prince-évêque. Jean-Conrad de

Roggenbach, tout comme Guillaume-Jacques Rinck de Baldenstein jouèrent la bonne carte: la

neutralité. Une manière habile d’éviter et un conflit politique, et une mésentente ecclésiale. Une

manière grande, tout à leur honneur, de concevoir leur service princier et épiscopal.

(6)

La Franche-Comté avait été cédée par Charles VIII à Maximilien d’Autriche (1493). (7)

P. Bessire, Histoire du Jura bernois, pp. 140-144. (8)

J.-E. Wohlfender, Die Schweiz und die Unternehmungen, p. 11. (9)

AEBP, document daté d’avril 1701, B 192, liasse 16. (10)

AEBP, document daté de juillet 1702, B 192, liasse 16.

18

Une telle analyse de la situation n’exagère-t-elle pas le souci qu’avaient les princes-évêques de

faire paître leur troupeau? N’est-ce pas une vision trop optimiste de leur souci de gouverner

l’Eglise?

A considérer leurs différentes réalisations, nous ne le pensons pas. Sous l’épiscopat de Jean-

Conrad de Roggenbach, on édifia le couvent des Capucins et des Annonciades à Porrentruy,

construction encouragée par de nombreux dons du prince-évêque.

Mgr Vautrey affirme que « le prince Jean-Conrad de Roggenbach,..., avec l’évêque de

Constance et l’abbé de Saint-Gall, passait pour un des plus insignes protecteurs de l’ordre... »(11)

Il travailla aussi à la prospérité du collège des Jésuites, car il avait le souci de former une élite:

clercs et juristes, tous utiles au gouvernement spirituel et temporel de la principauté.

Que dire de cette attitude « oecuménique » avant la lettre: les réformés français, fuyant à cause

de la révocation de l’Edit de Nantes, s’exilèrent en grand nombre (plus de 10.000) à la

Neuveville. Ils y reçurent l’hospitalité du Conseil de Ville. Certains y acquirent même des droits

de bourgeoisie. Malgré les protestations de l’ambassadeur de France, le prince-évêque

n’intervint pas, préférant que la générosité recommandée par son ministère pastoral s’exerçât,

plutôt que la satisfaction du roi de France.

Quant à Guillaume-Jacques Rinck de Baldenstein, un court épiscopat de sept ans lui permit

cependant de faire publier le RITUALE BASILEENSE (12)

, suivant la réforme du rituel romain

de Paul V et d’Urbain VIII, ainsi que le PROPRIUM BASILEENSE. (13)

De plus, il encouragea la fondation d’un couvent d’Ursulines à Delémont. Elles étaient vouées à

l’éducation des jeunes filles.

Un tel déploiement d’activité au service de l’Eglise et de leurs Etats nous permet d’affirmer une

fois de plus que les princes-évêques de Bâle, à la fin du XVII siècle, furent soucieux de servir et

l’Eglise et le peuple qui leur était confié. Le temporel et le spirituel devaient rester

profondément unis, l’un au service de l’autre. Nous pourrions ainsi résumer le programme des

princes-évêques à la fin du grand siècle: génie politique et zèle apostolique.

(11)

L. Vautrey, op. cit., II, p. 259. (12)

1 vol. petit in - 4°, daté de 1700, (bibliot. des Jésuites, Porrentruy). (13)

1 vol. in - 12, daté de 1697, (au même endroit).

19

CHAPITRE 3

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach :

le gouvernement d’un prince chrétien

20

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach

Prince-Évêque de Bâle

1705-1737

21

3.1 Politique extérieure:

les difficultés avec Berne

les incidents avec la France et l’empire

En 1705 meurt Guillaume-Jacques Rinck de Baldenstein. Dans les trois mois à venir, le chapitre

cathédral devait élire un successeur. La France fut particulièrement intéressée à cette

nomination, à tel point que le ministre des affaires étrangères reçut des informations à

Versailles: une analyse des groupements que l’on pourrait former parmi les chanoines. (1)

S’il est

difficile de saisir exactement qu’elle fut l’influence de la France, une chose est cependant

certaine: le royaume s’y intéressa. D’ailleurs, ce fut un Français qui eut accès aux charges

princières et épiscopales. Une partie de la famille des Reinach avait émigré en Alsace. C’est en

1635 qu’elle fut admise dans la noblesse impériale et entretint des relations avec l’évêché de

Bâle. (2)

Le 7 juillet 1705, Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach fut élu prince-évêque de Bâle. Sans perdre

de temps, le 16 juillet de la même année, le nouveau prince-évêque annonça sa nomination à

Louis XIV, précisant qu’il éviterait de déplaire à Sa Majesté et qu’il souhaitait compter sur la

bienveillance royale. (3)

Le roi de France manifesta sa satisfaction devant le choix du chapitre

cathédral et assura Monsieur de Reinach de son estime et de son soutien. (4)

Qui était Jean-

Conrad de Reinach pour mériter une telle considération?

Il naquit en 1657 de Hans-Théobald de Reinach-Hirtzbach et de Anne-Marie de Reinach. Il

mena ses études au collège des Jésuites de Porrentruy, puis gagna le collège germanique de

Rome, où il entra en 1673. (5)

Il s’initia à la philosophie et à la théologie durant cinq années. En

1678, après une solide formation, il retourna dans sa famille et fut installé en 1681 comme

chanoine de la cathédrale. Il n’avait que vingt-quatre ans. Grand Scolastique, puis Grand Doyen

du chapitre, c’est dans l’exercice de cette charge qu’il fut nommé prince-évêque de Bâle.

Néron mitré, oppresseur des pauvres et des petits: l’était-il vraiment? Jean-Conrad de Reinach

eut à exercer son pouvoir spirituel et temporel en une période très difficile. La guerre de Trente

Ans, avec ses pillages et ses épidémies, laissait encore le pays dans la misère. Les guerres de

Louis XIV avaient affaibli le pouvoir des princes-évêques, obligés de revendiquer la neutralité,

seul moyen de sauvegarder la légitimité de leur pouvoir et d’éviter le passage de troupes sur leur

territoire. La neutralité à quel prix? Au prix de l’isolement, qui, lui aussi, engendre la misère,

plaçant le pays hors des grands circuits commerciaux, surtout lorsque l’on sait que l’évêque de

(1)

Arch. féd. Berne, Affaires étrangères, fonds Evêché de Bâle (1703-1733) vol. II, p. 33. (2)

P. Rebetez, Les relations de l’Evêché de Bâle avec la France au XVIII siècle, p. 49. (3)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, p. 30. (4)

Id., vol. II, p. 32 (document daté du 2 août 1705). (5)

L. Vautrey, op. cit. , II, pp. 279-280.

22

Bâle retirait une bonne partie de ses revenus en grains de la province d’Alsace et se fournissait

en sel dans le pays comtois. A ceci s’ajoutèrent de nombreuses difficultés qui se manifestèrent

dès l’avènement de Jean-Conrad de Reinach aux charges princières et épiscopales.

3.1.1 Les difficultés avec Berne

Après son élection, le prince reçut le serment de fidélité de ses sujets d’Ajoie et de la vallée de

Delémont, ceci sans difficulté. Quant à la ville de Porrentruy, Jean-Conrad confirma les

franchises de la cité. Il n’en alla pas de même à Moutier. La Prévôté désirait maintenir sa

combourgeoisie avec Berne. Or le prince voyait dans cette alliance avec un Etat puissant,

protestant par surcroît, comme une opposition à l’administration de cette contrée. Dans ces

conditions, le prince refusa le serment du bandelier Visard et il le révoqua de sa charge.

Aussitôt ce fait provoqua Berne à mettre sur pieds des milices qui se dressèrent aux frontières.

Ainsi ils purent soutenir la reconnaissance des droits de combourgeoisie de Moutier.

Devant la menace, le prince en appela aux cantons catholiques. Malgré des représentations

auprès des Bernois, ceux-ci continuèrent d’apporter leur soutien aux habitants de la Prévôté.

L’évêque ne voulut pas aggraver la situation. Il céda et se mit à la table des négociations. Il

accepta l’accord de 1706, accord établi par une conférence tenue à Nidau: les Prévôtois

conservaient leurs liens de combourgeoisie avec Berne; le prince engageait ses successeurs à

renouveler le dit droit à chaque prestation d’hommage.

Tout n’était pas réglé. Si Moutier avait reçu gain de cause, la position des catholiques dans le

pays du sud de la principauté était devenue difficile. Ils ne pouvaient exercer le culte romain

dans la partie protestante de la Prévôté.

A ce sujet, les contestations entre le prince-évêque et Berne allaient bon train. Si en tant que

prince, Jean-Conrad pouvait admettre un compromis afin de faire taire les Bernois menaçants, il

n’en était ainsi lorsque la foi de ses sujets était en cause.

La guerre menaçait. En 1708, Jean-Conrad obtint l’autorisation d’importer du royaume de

France cinq à six cents canons de fusil. (6)

Ce n’était que menace inutile. Le prince-évêque ne

pouvait prétendre dresser une armée pour combattre la puissance bernoise. De plus, il ne pouvait

compter sur l’appui effectif du roi de France, tant il était embarrassé par ses propres guerres.

Quant à l’empire, n’ayant plus de frontières communes avec lui, il ne pouvait prétendre apporter

un secours militaire efficace. Aussi, Berne profita de la situation et imposa des traités exigeants:

le traité d’Aarberg (9 juillet 1711). (7)

On « irlandisa » la Prévôté: aucun réformé ne pouvait s’établir dans la partie de la Prévôté

appelée Sous-les-Roches, partie réservée aux catholiques, alors que la partie dite Sous-les-

Roches devait rester aux mains des réformés. (8)

De plus, les chanoines ne pouvaient plus

célébrer dans leur chapelle domestique. On craignait que par ce biais, discret il est vrai, ils

décident quelques réformés à rejoindre le sein de l’Eglise.

Le pape ne pouvait admettre qu’un traité mit en péril le libre exercice du catholicisme. Clément

XI condamna et annula le traité d’Aarberg: sévère prise de position contre la largesse forcée du

prince-évêque. Les Bernois firent la sourde oreille à l’intervention du Pontife Romain. Il y a

(6)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, pp. 40 & 41

(documents datés du 22 février et 11 avril 1708). (7)

AEBP, Mémoire de Decker (1739), B 119, liasse 13. (8)

L. Vautrey, op. cit. , II, p. 284.

23

belle lurette qu’ils avaient cessé de l’écouter. Le prince-évêque dut accepter un état de fait.

Berne tint à gouverner la Prévôté au temporel et au spirituel.

On comprendra mieux les difficultés que rencontra le prince-évêque Jean-Conrad de Reinach. A

peine en charge, il voit son pouvoir temporel et spirituel battu en brèche par les très respectés

bourgeois de Berne. La porte était ouverte à l’esprit de révolte et à l’insubordination sous toutes

ses formes. Contre cette plaie engendrant misère, désordre et injustice, le prince aura à lutter sur

deux plans: sauvegarder la légitimité et l’indépendance de son pouvoir; éviter que la révolte ne

s’étende en centralisant le pouvoir et en appliquant des réformes pour le bien de ses sujets.

Sauvegarder l’indépendance du pouvoir? Chose peu facile lorsque des voisins sont en guerre!

3.1.2 Les incidents avec la France et l’empire

En 1708, la France et l’empire étaient encore en guerre. Le chargé d’affaire du roi en Suisse

informa le prince-évêque que les Impériaux avaient l’intention de s’emparer de l’Alsace,

utilisant à dessein le territoire de la principauté. (9)

L’intervention du chargé d’affaire voulait

provoquer le prince-évêque à prendre garde et, le cas échéant, à s’opposer à toute expédition

militaire utilisant son territoire comme lieu de passage. Jean-Conrad n’avait pas à s’inquiéter

d’une telle éventualité. En effet, la France et l’empire s’étaient engagés à respecter la neutralité

de la principauté. D’autre part, si violation du territoire il y avait, le prince pouvait compter sur

l’appui des cantons catholiques. De plus, comment pénétrer en Alsace sans franchir le territoire

du canton de Bâle. La confédération dans son ensemble était concernée par une éventuelle

attaque de l’Alsace par les Impériaux. Ceci ne pouvait que tranquilliser le prince-évêque. Une

telle entreprise devenait hasardeuse.

Pourtant, le prince Eugène de Savoie avait projeté de rendre la Franche-Comté et l’Alsace à

l’Autriche. En 1708, on découvrit un complot menaçant la Franche-Comté. (10)

En 1709, second

projet: prendre l’Alsace par le nord de la Suisse, et ainsi donc utiliser le territoire de la

principauté de Porrentruy. Par deux fois, le commandant en chef autrichien, le comte de Mercy,

fit passer deux mille quatre cents cavaliers par le territoire bâlois. Après avoir été battu par les

troupes françaises, il s’en retourna dans la région de Rheinfelden, violant une seconde fois la

neutralité de la principauté et de la confédération. (11)

L’inquiétude de Monsieur de Reinach était vive, au point qu’il envoya des délégués en Alsace:

une manière diplomatique d’éviter des représailles françaises. (12)

Ces démarches n’empêchèrent

pas deux expéditions dans les terres de la rive droite du Rhin: le baillage de Schliengen. (13)

En 1710, le commandant français de Vieux-Brisach force les portes de la prison de Schliengen

et en libère Jean-Georges Kempf, emprisonné pour banditisme. Lorsque des protestations

s’élevèrent, on répondit du côté français que le comte de Mercy, commandant en chef des

troupes autrichiennes, n’avait guère mieux fait lors de son passage vers l’Alsace. N’avait-il pas

franchi le territoire de l’évêché à Allschwil et ainsi violé la neutralité territoriale ? Aussi, la

libération du sieur Kempf est de l’ordre des représailles. Le ton de l’affaire en témoigne.

Une deuxième fois, une petite troupe s’en vint chercher le mobilier du sieur Kempf, confisqué

par ordre du prince pour payement de dettes.

(9)

J. -E. Wohlfender, Die Schweiz und die Unternehmungen der Verbündeten, p. 90. (10)

P. Rebetez, les relations de l’Evêché de Bâle avec la France au XVIII siècle, p. 51. (11)

Id., p. 52. (12)

AEBP, B 192, liasse 17 (documents datés d’août 1709 à octobre 1709). (13)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, p. 50.

24

Toute cette affaire, banale en soi, déplut à l’ambassadeur de l’empereur. Il exigea réparation

pour offense causée à l’empire. Plus grave encore, le commandant impérial à Rheinfelden

cherchait une contrepartie: le territoire de Schliengen pourrait en faire les frais.

Jean-Conrad de Reinach avait à craindre que son territoire devint le jeu de deux belligérants,

pouvant utiliser l’argument du précédent pour passer à leur gré à travers la principauté. Prudent

et avisé, le prince-évêque chercha à nouveau l’appui des cantons catholiques, les priant de lui

assurer une assistance efficace.

Mais les relations avec la France allaient s’aggraver. En 1711, le comte Du Luc, ambassadeur de

France près le Corps helvétique, envoya une note diplomatique à Jean-Conrad de Reinach. C’est

un inventaire de griefs contre le prince, parmi lesquels celui d’avoir attribué au comte de

Trauttmannsdorff, ambassadeur de l’empereur en Suisse, le titre d’ambassadeur d’Espagne. La

principauté reconnaîtrait-elle des droits à l’Autriche sur la succession d’Espagne, alors que

Louis XIV avait proclamé le duc d’Anjou, héritier de Charles II? A nouveau la neutralité de la

principauté était mise en question à partir d’un simple incident diplomatique. A ces griefs, le

prince-évêque reconnaîtra n’avoir pas pris garde aux formalités d’usage, laissant cette tâche à sa

chancellerie. Il pria l’ambassadeur de l’excuser auprès du roi. (14)

L’ambassadeur, le comte Du Luc, n’arrêta pas ici ses démarches. La même année 1711, il

exposa les griefs du roi contre Monsieur de Reinach par devant la diète. « Le prince-évêque de

Bâle et son chapitre ne voulant pas profiter du bonheur que les louables cantons leur ont procuré

jusqu’à ce jour, aiment mieux s’exposer à l’indignation du roi et à celle des cantons en se

gouvernant en prince de l’empire. » (15)

Les griefs sont nombreux. L’ambassadeur accuse le

prince-évêque d’avoir toléré que l’on fit dans ses états des réserves d’armes pour combattre la

Bourgogne. (16)

Il accuse les chanoines de la cathédrale de s’être unis à la conspiration contre

l’Alsace et la Bourgogne. Il reproche au prince d’avoir eu recours au ministre d’Angleterre pour

intervenir contre Berne lors des difficultés avec celle-ci, surtout que l’Angleterre favorisait

l’empereur dans la guerre de succession d’Espagne. Sur un autre point, il est reproché aux

députés du prince-évêque d’avoir refusé de rendre visite au marquis de Beretti, ambassadeur du

roi d’Espagne en Suisse, motivant que le prince ne saurait être suisse et allemand à la fois.

Lorsque l’on sait que Beretti fut nommé ambassadeur d’Espagne par faveur de Louis XIV, nous

pouvons mesurer la vexation reçue à la cour de Versailles par ce simple refus. D’autre part, on

rappelle à la diète que Jean-Conrad de Reinach donne au comte de Trauttmannsdorff le titre

d’ambassadeur d’Espagne.

Le roi fit savoir par son ambassadeur que le prince-évêque était compté au rang de ses ennemis.

Dans une telle situation, les cantons catholiques tentèrent une médiation. Le prince-évêque

convoqua le chapitre et lui demanda son avis sur la question. On craignait encore dans la

principauté une possible invasion bernoise, aussi fallait-il ménager les susceptibilités françaises.

Les chanoines précisèrent que dans les guerres entre la France et l’empire, la principauté a

observé la neutralité. Aucune somme d’argent, aucun contingent d’hommes n’a été tenu à la

disposition de l’empire. Au sujet des titres, désormais la principauté suivra l’usage des cantons

alliés. Quant à la délicate question d’une conspiration tolérée par le prince-évêque, les

chanoines affirmèrent que les faits étaient inconnus de l’évêque et de la cour.

(14)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, p. 64 (document daté du 29 juin 1711);

AEBP, B 192, liasse 17. (15)

Id., vol. II, p. 89. (16)

Ceci reste à prouver, les recherches menées jusqu’ici n’ayant donné aucune preuve suffisante.

Cf. AEBP, B 192, liasse 17 (document daté d’août 1708).

25

Les chanoines, par l’intermédiaire des cantons catholiques, demandèrent la bienveillance du roi.

Ils l’assurèrent de respecter la neutralité. (17)

Le roi prêta attention à cette requête. Il exigea le

respect de la neutralité sans partialité aucune. Il demanda que Jean-Conrad s’entourât de députés

des cantons catholiques, chargés de lui faire connaître les pièges éventuels qui pourraient

desservir et le roi, et les cantons. (18)

Louis XIV, soucieux de faire respecter son pouvoir tout-

puissant, exigea encore d’autres réparations. Il insista pour que le prince-évêque envoya une

délégation à l’ambassadeur Beretti à Lucerne. Jean-Conrad s’y opposa, craignant reproches et

représailles de l’empire. Ceci voulait dire: risquer de perdre la légitimité de son pouvoir, et

mettre en péril la neutralité de ses Etats. (19)

L’appui reçu des cantons catholiques et la peur de la France de perdre son influence à force

d’insister fit que l’affaire (20)

se tut d’elle-même. Tout rentrait dans l’ordre dans la première

moitié de 1712. (21)

Une menace pèsera encore sur la principauté: la deuxième guerre de Villmergen, opposant en

Suisse catholiques et protestants. Jean-Conrad ne put porter secours aux cantons catholiques.

Berne l’en empêcha. Quant à la France et à l’empire, ils ne pouvaient intervenir soucieux qu’ils

étaient de respecter la neutralité. Mais ceci n’empêcha pas les troupes françaises en marche vers

Fribourg en Brisgau d’occuper Schliengen et de piller les villages du baillage. La victoire de

Villars força l’empereur à signer la paix de Rastadt (1714). L’archiduc d’Autriche devenu

l’empereur Charles VI déposa les armes. L’empire bénéficiait de la paix avec la France.

L’évêque de Bâle et la confédération étaient incorporés à cette paix.

Détaché de l’empire géographiquement, rejeté par les cantons catholiques qui ne voulurent pas

de la principauté dans la confédération, limité dans ses actions par la mainmise bernoise sur les

états du sud, enserré par la France au nord et à l’ouest: le prince-évêque avait tout avantage à

chercher un appui auprès du roi très-chrétien. La tâche était complexe: d’une part sauvegarder la

légitimité de son pouvoir, c’est-à dire ne pas rompre avec le Saint-Empire; d’autre part ne pas

devenir le jouet d’un monarque tout-puissant - Louis XIV. Aussi, l’évêque de Bâle voulut-il

assurer la neutralité de ses Etats en intéressant la France et l’empire à la conservation de son

pouvoir.

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach montra un génie politique très affiné, ne tombant pas dans

les travers des compromis douteux. Soucieux de sauvegarder la paix pour ses sujets et la

prospérité pour ses Etats, il œuvra au mieux dans un contexte particulièrement pénible, n’ayant

ni force militaire, ni force économique pour lui garantir une indépendance profitable. Il n’avait

qu’une seule arme: la diplomatie. Il n’y manqua pas de génie. Malgré les menaces, il demeura

maître de son pays. Il lui restait à le demeurer, d’autant plus que la situation intérieure n’était

pas brillante: misère et épidémies - c’était le sort de bon nombre de ses sujets.

(17)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, p 67 (document du 24 août 1711). (18)

Id., vol. II, p. 89. (19)

Id., vol. II, p. 74 (document daté de novembre 1711). (20)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, p. 104. (21)

AEBP, B 192, liasses 17 & 18.

26

3.2 Difficultés intérieures, une période d’épreuves :

la peste de 1709, l’Ordonnance de 1726, les Troubles (1726-1741)

3.2.1 La peste de 1709

L’hiver 1708-1709 fut dévastateur pour la principauté. La misère progressait. De plus à la même

époque, le mouvement armé du général de Mercy vers l’Alsace provoqua une émigration

massive d’Alsaciens dans la principauté. Celle-ci apporta la contagion en ville de Porrrentruy et

ajouta d’autres malheurs à la liste déjà bien grande. Non seulement les vivres se faisaient rares,

mais la peste maligne infectait le pays. (1)

En 1712, un orage de grêle vint encore assombrir les sujets du prince-évêque. La moisson fut

anéantie. Le blé se vendit à prix d’or, à tel point que Monsieur de Reinach dut en importer de

Lorraine et veiller à ce qu’il se vendit à des prix raisonnables.

En plus des conflits qui l’opposaient à la France et indirectement à l’empire, la situation

intérieure n’était pas réjouissante pour le prince. Le début de son épiscopat fut particulièrement

difficile. La misère était patente. Demandant des prières publiques, Jean-Conrad écrivait:

« Quis spectando praesentem Communium Calamitatem ac Miseriarum ubique locorum

gliscentium Catervam, desolatamque totius Reipublicae Christianae faciem, non crederet? » (2)

Les provinces étaient dévastées par les armes et le feu, les princes chrétiens se faisant la guerre.

Les populations étaient atteintes par les armes, la peste et la faim. Cependant, le prince-évêque

se disait encore privilégié:

« Si haec minus in Nostris terris facta sentimus, an non in proximo ventura fomidamus? » (3)

Jean-Conrad de Reinach invita ses sujets à la prière durant le temps de Pâques, devant le Saint-

Sacrement exposé. Il demanda aux prêtres de dire à la messe les prières « pro Pace » et « pro

quaecumque necessitate » (4)

Lorsqu’en 1720, la peste régnant à Marseille menacera à nouveau la principauté, l’évêque

demandera à nouveau des prières publiques. Mais il ne s’en tiendra pas uniquement à cela. Il

(1)

L. Vautrey, op. cit. , II, pp. 287-288. (2)

AEBP, Synodalia 1511-1765 (document du 25 mars 1709). (3)

Ibid. (4)

Id., (document du 5 novembre 1720).

27

sait que la prière n’est pas abandon passif devant les circonstances, mais recherche de forces

pour mener le bon combat. Dans ce but, il prit des mesures énergiques, d’une part pour

sauvegarder son pouvoir par une réforme administrative le rendant maître de son territoire;

d’autre part pour régler le désordre intérieur qui engendrait la misère, le brigandage et bien

d’autres maux. En bref, il fallait prendre des mesures politiques et policières. Les moyens

envisagés furent codifiés dans l’Ordonnance de 1726. Ce furent des mesures novatrices qui

devaient mettre de l’ordre dans le pays et des mesures centralisatrices visant à l’unification, à

l’instar de ce qui se passait dans les grands états d’Europe.

3.2.2 L’Ordonnance de 1726

L’ « Ordonnance pour la régie des affaires » parut en février 1726. (5)

Le prince-évêque,

conscient de l’importance et de la diversité des affaires, dit:

« Nous avons depuis longtemps délibéré en Nous-même sur la manière de Nous rendre ce

fardeau plus léger, en séparant toutes les affaires qui se présentent, et d’en charger chacun de

nos Ministres, Conseillers et Officiers que pour autant qu’il y pourra vaquer commodément et

suivant l’ordre requis. » (6)

Jean-Conrad chercha à améliorer le cours de la justice et à veiller efficacement à ses droits, à ses

finances et à ses revenus.

La démarche du prince ne fut pas arbitraire. L’analyse de la situation et les remèdes qu’il

envisagea furent le fruit d’une longue et profonde réflexion. Elu en 1705, ce ne fut qu’en 1726

qu’il fit paraître l’Ordonnance en question. Le dossier fut d’importance. La situation était grave,

aussi tout était à soupeser:

« Nous avons fait examiner la chose à fond, et toutes les difficultés étant levées, Nous avons

d’autorité de Prince Territorial, fait dresser l’Ordonnance et le Règlement qui suit. » (7)

Jean-Conrad mena une vaste enquête. Par l’Ordonnance de 1726, il en donna le résultat et

décréta. Que décida-t-il?

Dans un premier point, le prince-évêque annonce l’érection du Conseil de la Chambre des

Comptes, alors inexistant. Ce Conseil s’ajoute au Conseil d’Etat et au Conseil aulique. Le prince

précise qu’il a déjà choisi le président et les conseillers de la Chambre des Comptes. A ces trois

Conseils appartiendront désormais l’administration des affaires d’Etat, de Justice, de Police et

Finances, desquels tous les « autres officiers quel qu’ils soient, serviteurs et sujets, dépendront,

chacun selon sa sphère, se soumettant à tous les Mandements, ordres et défenses qui leur

parviendront de cette part. » (8)

Le Conseil de la Chambre des Comptes est un genre de ministère

de l’intérieur et des finances. Par ce biais, le prince gouvernera mieux ses sujets, les soumettant

tous à un même règlement. D’autre part, ayant lui-même nommé les membres de ce nouveau

Conseil, selon son bon droit, il manifestait très ouvertement son intention de mettre en place un

gouvernement absolutiste, préférant la notion de « raison d’Etat » aux intérêts particuliers, sans

pour autant les supprimer.

(5)

AEBP, Ordonnance pour la régie des affaires, B 225 (document de février 1726). (6)

Id., p. 3. (7)

AEBP, Ordonnance pour la régie des affaires, B 225 (document de février 1726), p. 3. (8)

Id., p. 4.

28

Autre innovation: Monsieur de Reinach institue la Cour des Fiefs. C’et un point important de la

politique du prince-évêque. La Prévôté échappe progressivement à l’autorité bâloise, car elle se

tourne vers Berne. Pour éviter que des fiefs ne lui échappent à nouveau, Monsieur de Reinach

désire les contrôler de plus près. Or, il constate que bon nombre de fiefs importants, remis avec

charge de n’en rien aliéner, ou ont été appropriés par les fivatiers ou leurs successeurs, ou ont

été hypothéqués et vendus, ou sont passés en d’autres mains sans la permission du Seigneur

direct. (9)

Le prince de préciser que sa décision ne se veut pas révolutionnaire: « l’instruction

dont il est parlé ci-dessus quant aux Fiefs de la première classe et les Nobles, porte que le droit

féodal et les statuts écrits de notre Cour, de même que les Us et Coutumes serviront toujours de

base et de fondement. » (10)

Par l’érection de la Cour des Fiefs, le prince veut que son administration parcourt les lettres de

fiefs, et oblige les possesseurs de fiefs à montrer des preuves suffisantes, surtout lors de

successions, d’achats ou d’autres démarches. De plus, la nouvelle administration épiscopale est

chargée de confronter les protocoles d’achat de fiefs avec les comptes des receveurs, et ainsi de

contrôler si la reprise a été soldée. (11)

Le contrôle de la Cour des Fiefs permettra aussi d’éviter

des abus, tels que la vente d’une portion de fief, car le morcellement d’une terre signifie

l’appauvrissement. Aussi, lors de décès, le Conseil évitera que le fief, vu son étendue, ne

devienne la propriété de plusieurs enfants. « Il n’y a rien de si pernicieux que de laisser

augmenter le nombre des Fiéteurs qui ne produit que la pauvreté et l’insuffisance. » (12)

De plus,

la Cour des Fiefs veillera aux abus, sachant que le mot d’héritier, en matière de fief, ne regarde

que les descendants, non les collatéraux (13)

.

Le bon sens domine dans cette mesure. Rétablir l’ordre dans le pays implique que les fiefs

soient légitimement organisés. Il faut en finir avec les successions douteuses et les gestions

malsaines. Il est dangereux qu’un fief se divise, non seulement au niveau économique, mais

politique aussi. Mieux diviser pour mieux régner: appât alléchant pour d’éventuels ennemis de

la principauté. Jean-Conrad a besoin de fiefs sainement administrés, soumis à l’autorité du

prince. Le bonheur du pays passe par là.

Par une troisième mesure, le prince-évêque institue une Commission du Commerce, des

Magasins, Hâles et Péages. Il sait que le « commerce contribue beaucoup au bonheur d’un

Etat. » (14)

Ayant encore à souffrir des séquelles de la guerre de Trente Ans, affaiblie par de

multiples calamités, la principauté doit relever son économie, sinon toute réforme se voit

condamnée faute de moyens.

Ensuite le prince-évêque instaure une « Commission pour observer les limites de souveraineté. »

Chaque année, à la St Jean-Baptiste, « deux officiers de chaque ville et village, avec les

chasseurs et forestiers de l’endroit, passent la visite de tous les confins de leur ban, et ( ) mettent

sur le papier toutes les bornes de séparation, en faisant mention de la qualité de chaque borne,

savoir si elle délimite la souveraineté, la juridiction ou simplement les bans. » (15)

Monsieur de

Reinach sait que, si des frontières sûres se gagnent souvent par la diplomatie, un bon gouvernant

n’y perd rien de faire contrôler la délimitation de ses frontières. Le cas échéant, cette mesure

peut éviter de graves litiges, surtout si une armée voisine était tentée de violer un coin de

principauté, ou un seigneur voisin de revendiquer quelque territoire mal délimité. Il vaut mieux

régner en homme éclairé sur ses droits.

(9)

AEBP, Ordonnance, B 225, p. 6. (10)

Ibid. (11)

Id., p. 8. (12)

Id., p. 9. (13)

Id., p. 10. (14)

Id., p. 11. (15)

Id., p. 12.

29

Les notaires, souvent mal formés, provoquent aussi le désordre dans le pays. Pour lutter contre

ce fait, le prince établit une Commission pour le Tabellionat et les notaires publics. Très réaliste,

il sait que l’érection des Tabellionats et des Greffes dans les différents baillages ne sera pas une

mesure populaire. Cette mesure obligera « la réforme de cette multitude de notaires inutiles. » (16)

Cependant, Jean-Conrad de Reinach réaffirme qu’il faut préférer la nécessité publique aux

vues particulières, d’autant plus que la mesure ici impliquée favorise les intérêts des sujets. En

effet:

« ...combien de personnes n’y a-t-il pas dans le pays qui ont perdu leur argent, bien souvent

gagné à la sueur de leur front et qui à présent manquent de pain, pour avoir exposé leur somme

sur un fond déjà engagé et qu’ils croyaient être franc? Combien y a-t-il d’étrangers qui sont

tombés dans le même cas.... » (17)

D’autre part, que d’erreurs dans l’établissement des contrats reconnus irréguliers, faux ou à

double sens, sans parler des intentions des défunts qui n’ont pas été reconnues! Aussi, pour que

l’ordre et la justice règnent, il importe d’établir « ad bonum commune » des Greffes et

Tabellionats officiels dans toutes les villes et châtellenies de la principauté.

Le prince établit encore une Commission des Eaux et Forêts. Elle se doit de lutter contre les

dégradations. Mais ici, l’évêque ne donne pas d’autres précisions. Il demande à chaque châtelain

et lieutenant d’établir un dossier sur la question et de le lui faire parvenir. En plus de cette

mesure, il établit une Commission des Fers, Forges et Martinets, éléments importants pour

l’économie de la principauté.

Afin de « veiller aux intérêts du Public, des Eglises, des Hôpitaux, des pupilles et moindres

d’âge, les faire valoir, soutenir et défendre », (18)

le prince instaure une Commission Fiscale. La

dite Commission aura soin de donner ses conclusions sur des affaires civiles, criminelles, de

police et des finances. Elle veillera à ce que les Ordonnances soient mises en exécution. En

effet, Monsieur de Reinach se plaint de la négligence des officiers. Ils sont plus empressés à

manger et à boire au compte de la communauté que d’agir au profit de la principauté entière.

Le prince a souci des pauvres. Si cette action fait partie du ministère pastoral de l’évêque, le

prince ne peut tolérer que toute sorte de gueux naviguent à travers la principauté. Pour

combattre la pauvreté, il nomme une Direction Générale des Aumônes. Elle a pour but de veiller

à ce que chaque ville et communauté entretienne ses pauvres. Cependant, le prince-évêque se

garde d’encourager la fainéantise et la débauche. Et de constater que ces deux vices sont

particulièrement tenaces dans la principauté:

« Cela (la fainéantise et la débauche) ne peut Nous être que très sensible, d’autant plus que, de

grâce spéciale, nos sujets ont été exempts de contribution depuis le jour de Notre avènement à la

Principauté, ce qui aurait dû les faire profiter de cet avantage en mettant leurs affaires

domestiques en un meilleur état... » (19)

Afin de ne pas encourager le vice et « purger nos Etats de toute la geusaille étrangère, des

coureurs, vagabonds, et des gens qui ne vivent que de vols et de rapine », (20)

Jean-Conrad

demande que soit établie une liste des pauvres. Ceci lui permettra de soutenir les vrais pauvres,

surtout les infirmes, et par ce biais d’éliminer progressivement les parasites de la société.

(16)

Id., p. 13. (17)

Ibid. (18)

Id., p. 17. (19)

Id., p. 20. (20)

Ibid.

30

Le prince-évêque se fait aussi protecteur de la veuve et de l’orphelin, établissant une

Commission pour observer l’intérêt des veuves et orphelins. (21)

Elle veillera à ce que les

mineurs soient pourvus de tuteurs ou curateurs, si besoin est. Elle cassera les jugements

prononcés à leur désavantage. Elle veillera aux faibles d’esprit, leur assurant protection.

Autre mesure de l’Ordonnance: Monsieur de Reinach nomme une Commission Supérieure des

Affaires de Police. (22)

Elle aura pour mission de purger les chemins des « canailles et rodeurs ».

Elle veillera à la tranquillité publique. Elle empêchera les jeux et la débauche. De plus, elle

assurera la police de la route, à savoir que rien sur le pavé ne puisse gêner le libre trafic. La

même Commission veillera aussi à l’équipement contre l’incendie, ce fléau des cités.

Ici ne s’arrête pas le rôle assigné à la Commission des Affaires de Police. Elle évitera aussi que

les gens de « second » rang ne tombent dans le luxe ruineux, vivant au-dessus de leurs moyens.

Au sujet de la finance, la dite Commission évitera que l’argent ne sorte inutilement du pays par

l’intermédiaire de charlatans, arracheurs de dents, médecins empiriques, danseurs de corde,

joueurs de marionnettes et autre personnages du même genre.

La même Commission surveillera la taxation du vin, du pain et de la viande, s’assurant qu’elle a

été déterminée par des magistrats et des officiers mandatés. De plus, elle luttera contre la fraude

dans les poids et mesures.

Elle veillera aussi au commerce dans la ville. Le cabaretier n’aura pas à cuire le pain et à le

vendre. Les choses se vendent chez les maîtres de métier concernés. Le prince veut éviter toute

concurrence déloyale.

Au sujet des médecins, apothicaires, chirurgiens, sages-femmes, cabaretiers et portiers, la

Commission contrôlera s’ils ont la capacité requise, de même que les titres prouvant qu’ils sont

assermentés. La principauté n’a que faire d’incapables, surtout en une matière aussi grave que la

médecine.

En sus, la Commission de Police établira une liste des étrangers, des habitants et des résidants.

Elle notera leur profession, ainsi que le montant de l’impôt qu’ils paient à la ville et à la

communauté. Il s’agit d’établir un véritable fichier, sorte de contrôle des habitants qui rendra

plus facile toute intervention aussi bien de la police que du pouvoir central.

Les mesures prises sont complexes et lourdes de signification. Il ne faut pas oublier le rôle

d’une police lorsque le désordre règne. C’est un peu la dernière carte à jouer pour rétablir par

des mesures impopulaires certes, l’ordre intérieur et la prospérité des cités. Jean-Conrad en est

conscient. Cependant pour l’évêque la police est: « ... mère de la sûreté, ... base et fondement

contre le vice, ... en un mot un grand bijou dans l’Etat. » (23)

En période de désordre, toute

reprise en main implique malheureusement la force. Telle qu’elle est conçue par Jean-Conrad de

Reinach, nous ne pouvons pas dire qu’elle soit tyrannique. Bien au contraire, elle vise à plus de

justice pour les sujets, pourchassant les abus de toute sorte. Tout n’est pas négatif dans

l’Ordonnance de 1726.

S’il préconise des mesures policières, à titre de dissuasion, simultanément le prince-évêque

propose des mesures humanitaires: l’aide au pauvre, à la veuve et à l’orphelin, ou encore, dans

le même sens, la fondation de la Commission de la Santé.

(21)

Id., p. 22. (22)

Id., pp. 23 ss. (23)

Ibid.

31

Qui ne se souvient dans la principauté de la peste de 1709, et des terribles menaces de la peste

dite de Marseille en 1720. Des mesures préventives sont à prendre. Aussi faut-il qu’une

Commission délibère sur toutes les mesures à mettre en oeuvre en cas d’épidémie. De même,

elle veillera sur les frontières à l’annonce d’éventuelles épidémies. (24)

Qui ne se souvient aussi de la famine de 1712. Pour éviter une telle catastrophe, Jean-Conrad de

Reinach nomme une Commission des Graines. (25)

Elle veillera aux provisions. Il vaut mieux

prévenir que guérir. Les provisions doivent être suffisantes pour parer à toute éventualité. La

Commission s’en prendra à un autre mal: aux « officiers qui comptaient le déchet des graines » (26)

et ainsi tiraient profit de leur rouerie, et aux « dîmeurs (qui) en ont fait un monopole » (27)

et

vendent leurs graines au plus haut prix.

S’il sait prendre des mesures humanitaires et économiques, le prince-évêque est aussi un homme

de goût. Il instaure dans ce but une Commission des Bâtiments. Elle évitera que les habitants

des châteaux et maisons du prince ne se logent à leur guise, surtout si les transformations

envisagées, en plus d’être de mauvais goût, se réalisent avec les fonds du prince sans avoir reçu

son agrément. (28)

Enfin, notre long périple à travers l’Ordonnance de 1726 se termine par l’instauration de la

Commission pour les Grands Chemins. (29)

L’entretien des routes n’est pas chose vaine. « Si les

chemins sont bons, l’on attire les étrangers et la transmarche des marchandises. » (30)

Jean-

Conrad de Reinach est soucieux du développement des échanges commerciaux. Si la

principauté veut sortir de la misère, elle doit non seulement assainir la gestion des biens à

l’intérieur de ses frontières, mais développer son commerce au-delà de son territoire.

L’Ordonnance pour la régie des affaires de février 1726 constitue un document de première

importance pour le gouvernement de la principauté. Jusqu’alors, les droits particuliers des

communautés étaient consignés dans des coutumiers qui contenaient souvent dans le désordre

les privilèges particuliers, les franchises locales, les règles de procédure et les listes des peines.

Mais il arrivait parfois que les us et coutumes n’étaient pas rédigés. La seule règle de référence

était la tradition orale. Tout ceci favorisait l’injustice et l’arbitraire.

Au cours du XVII et du XVIII siècles, la plupart des Etats tendaient à la centralisation. Tout roi

et tout prince rêvait à une cour réunissant les pouvoirs, dictant des lois uniformes. Jacques-

Christophe Blarer de Wartensee (31)

avait déjà réussi à mettre en chantier une telle entreprise. La

guerre de Trente Ans et les guerres de Louis XIV détournèrent ses successeurs de l’ambitieux

projet. Le traité de Rastadt en 1714 ramenait la paix en Europe. La mort de Louis XIV le 1er

septembre 1715 libérait Jean-Conrad de Reinach des soucis imposés par la politique extérieure.

Il avait tout loisir de poursuivre l’organisation commencée par Jacques-Christophe Blarer de

Wartensee, d’autant plus que la situation intérieure était inquiétante et réclamait des mesures

énergiques.

Le prince-évêque donna son approbation à la notion de « raison d’Etat », principe cher à

Richelieu. Dans ses Etats, il voulut appliquer l’absolutisme, mettant le bien général de la

(24)

Id., p. 26. (25)

Id., p. 28. (26)

Ibid. (27)

Ibid. (28)

Id., p. 29. (29)

Id., p. 30. (30)

Ibid. (31)

A. Chèvre, Jacques-Christophe Blarer de Wartensee, Delémont 1963.

32

principauté au-dessus des intérêts particuliers. Jean-Conrad de Reinach innovait, dans une

région où les gens étaient fiers des droits et privilèges acquis par leurs pères.

Face à la nouveauté et à la déroute qu’elle provoqua, l’opposition fut parfois violente. Les sujets

de l’évêché de Bâle n’étaient pas prêts à comprendre l’utilité des innovations. De plus, les Etats

de l’évêché, parlement de la principauté, ne furent pas consultés. Tout ceci, ajouté à des charges

financières supplémentaires pour les sujets, donna naissance aux troubles, véritable guerre civile

où le prince-évêque risqua fort d’être renversé. Jean-Conrad de Reinach, novateur, tourné vers

l’avenir, s’opposa de 1726 jusqu’à sa mort à des sujets réactionnaires, hostiles à toute réforme.

Par la suite, ces derniers s’arrogeant des droits mettant en péril la sécurité de la principauté, le

prince dut avoir recours aux méthodes fortes. Une telle obstination des sujets du prince était-elle

justifiée?

A considérer de très près l’Ordonnance de 1726, nous pensons que non. Nous ne voyons pas

d’opposition entre droits du peuple et prétentions du prince, entre fédéralisme et centralisation. (32)

L’Ordonnance de 1726 ne combat aucunement les droits du peuple. Au contraire, elle les

promeut. Ainsi, elle assainit les finances publiques, instaurant la Chambre des Comptes et la

Commission Fiscale. Elle assure des frontières stables, contrôlant la fidélité des fiefs, créant une

Commission chargée d’observer les limites du territoire. Elle prend des mesures pour le

développement du commerce: amélioration et développement des forges, Commission des Sels,

surveillance du commerce des grains, développement des routes. Elle protège les sujets contre

d’éventuelles escroqueries par la fondation du Tabellionat et la réforme du notariat. Elle protège

le pauvre, la veuve et l’orphelin, leur donnant un minimum de sécurité. Elle veille à la santé

publique, par le contrôle des épidémies et la mise en place de médecins, chirurgiens et sages-

femmes qualifiés. Dans un tel contexte, comment peut-on soutenir que l’Ordonnance de 1726

soutient les prétentions du prince face aux droits du peuple? De quelles prétentions s’agit-il?

Peut-être de la prétention d’avoir eu le génie de voir grand! La perte de certains droits de pêche

ou de chasse, de privilèges locaux mal définis et ambigus, est-ce suffisant pour combattre

farouchement, comme nous allons le voir, le pouvoir légitime déjà hypothéqué par la mainmise

bernoise sur la Prévôté?

D’autre part, peut-on réellement opposer, dans le cadre de l’Ordonnance, fédéralisme à

centralisation? La notion de fédéralisme implique une organisation très structurée. Or, au XVIII

siècle, il n’en est rien dans la principauté.

Sur un autre plan, peut-on reprocher au prince-évêque de n’avoir pas consulté ses sujets avant

de promulguer l’Ordonnance? Il ne faut pas oublier que la nature de son pouvoir lui donnait le

droit de prendre des décisions sans recours à ses sujets. Dans la réalité, Jean-Conrad de Reinach

a-t-il agi ainsi? Présentant l’Ordonnance, ne dit-il pas: « Nous avons fait examiner la chose

(l’Ordonnance) à fond. » (33)

Puis, dans le texte de l’Ordonnance, à maintes reprises, n’invite-t-il

pas ses châtelains et ses lieutenants à lui communiquer leurs avis. (34)

Le document n’est pas un

ensemble de mesures totalitaires, comme on veut le penser trop souvent.

Pouvons-nous reprocher à un prince d’empire, à une époque de désordres et de menaces graves

pour ses Etats, d’avoir choisi des mesures vastes, à la taille de son ambition pour lui et ses

(32)

Nous prenons ici position contre l’avis de Monsieur P. Bessire, Le rôle des Suisses dans les Troubles

de l’Evêché de Bâle, ds Actes de la soc. jurass. d’émulation (1917), pp. 82-122. A la page 85 surtout, il

fait l’analyse que seul un libéral pouvait faire en 1917 contre un prince d’Eglise, sans se soucier à vrai

dire des documents: ceux de l’histoire. (33)

AEBP, Ordonnance, B 225, p. 3. (34)

Id., pp. 15-16.

33

sujets? Jean-Conrad de Reinach a vu juste et grand. Il a orienté sa politique vers l’avenir. Il aura

à affronter une dure opposition. Il le sait. A la fin de l’Ordonnance, il écrivait:

« Que comme Nous ne prétendons rien ôter à nos dits sujets de leurs privilèges et droits bien

établis, tous ceux qui verront ces points, articles et arrangements seront entièrement convaincus

de notre soin paternel et de notre vigilance pour avancer leur bonheur ... Nous espérons que

chacun se mettra en devoir de suivre sans contrainte ce qui pourra le regarder, comme une chose

qu’il doit au Prince que Dieu a établi sur lui ... » (35)

En cas de refus venant des officiers, le prince-évêque prévoit des peines : lors d’un premier

refus, il faudra s’attendre à une réprimande écrite. Si l’officier persiste dans son opposition,

l’office lui sera retiré provisoirement. Lors d’un troisième refus, le congé sera définitif et il aura

à répondre de ses actes devant la Commission Fiscale. (36)

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach fait preuve de réalisme. L’Ordonnance sera appliquée avec

difficulté. Les peines prévues à la conclusion du document en témoignent. Connaissait-il les

proportions considérables de l’opposition ?

3.2.3 Les Troubles (1726-1741) (37)

Au début des Troubles en 1726, nous voyons des sujets opposés à toute idée de réforme, mais

ne sachant pas donner forme à leurs revendications. Il s’agissait davantage d’un vague

mécontentement, mais non d’une véritable insurrection avec une opposition organisée et

motivée. D’ailleurs la situation ne s’y prêtait pas. Chaque ville et chaque baillage défendait ses

droits particuliers. Ils n’étaient pas tous identiques. Aussi, le prince essaya d’arrêter le

mouvement, accordant quelques avantages et accueillant les bons offices de Berne pour la

Prévôté, l'Erguel et la ville de Bienne.

Alors que les habitants des Franches-Montagnes s’agitaient, demandant la suppression de

l’accise, c’est à dire de l’impôt sur certaines denrées, le prince prit des mesures draconiennes.

En 1727, les mandataires francs-montagnards furent envoyés aux « galères ». Jean-Conrad fit

taire l’insurrection qui prenait forme et pouvait menacer son autorité.

En ce qui concernait Bienne et l’Erguel, l’Ordonnance de 1726 y avait provoqué de

l’inquiétude. Jean-Conrad de Reinach décida de s’entendre avec les Messieurs de Berne. Par les

conférences de Reiben et de Büren, on régla par une convention les rapports entre Berne et la

principauté au sujet de Bienne, de l’Erguel et de la Montagne de Diesse. Le traité de Büren, daté

du 1er août 1731, spécifia que la ville de Bienne avait droit de bannière dans la ville, en Erguel

et dans la seigneurerie d’Orvin. Elle pouvait y enrôler des hommes, moyennant l’avis du maire,

du bourgmestre et du conseil de la ville. Jean-Conrad abrogeait l’Ordonnance de 1726 pour

l’Erguel. Les anciennes franchises lui étaient confirmées comme par le passé. Le prince

s’engageait aussi à favoriser le commerce dans le dit baillage. De plus, il adopta un code de

discipline ecclésiastique, véritable œcuménisme avant la lettre, et qui en dit long sur ses bonnes

dispositions. Désormais, les pasteurs de l’Erguel formaient une Classe qui avait droit d’établir

des ordres ecclésiastiques, de veiller à la morale publique, de nommer un doyen et de tenir

chaque année un synode. (38)

(35)

Id., p. 32. (36)

Id., p. 33. (37)

Nous considérerons les Troubles de 1726, date de la parution de l’Ordonnance, à 1737, date de la

mort du prince. (38)

P. Bessire, Le rôle des Suisses dans les Troubles de l’Evêché de Bâle, p. 91.

34

Quant à la prévôté de Moutier-Grandval, Berne, qui était liée à elle par un traité de

combourgeoisie, l’invita « à ne pas se mêler des troubles insensés, à un danger visible et à des

intrigues inutiles. » (39)

Malgré cela, la principauté était sens dessus dessous. D’opposition vague et mal orientée, on en

vint à un semblant d’insurrection. Dans le baillage de Zwingen, dans la prévôté de St. Ursanne,

en ville de Porrentruy et dans les quatre mairies d’Ajoie (Alle, Coeuve, Chevenez et Bure), la

tourmente prenait forme. Porrentruy était le centre de l’agitation, où bourgeois et magistrats

cherchaient des arguments juridiques et historiques pour faire valoir les droits des sujets.

Le prince-évêque lui aussi agissait. En 1730, il s’adressa à l’empereur. Ce dernier lui envoya

Paul-Nicolas de Reichenstein, ambassadeur de l’empire près la confédération helvétique. A la

fin de l’année 1730, il se trouvait dans la principauté, cherchant à atténuer les différends. Il

demanda, au nom de l’empereur, obéissance et respect à l’égard du prince-évêque :

« ...qu’on lui rende sans refus ce qu’on lui doit de droit d’ancienneté et de coutume, que surtout

on ait à s’abstenir de voies de fait, assemblées suspectes, dangereux soulèvements et séditions à

peine d’encourir la disgrâce de sa Majesté impériale et catholique, ainsi que celle du Saint-

Empire. » (40)

Le comte de Reichenstein se proposait comme intermédiaire auprès de Jean-Conrad de Reinach,

s’il devait y avoir matière à plainte.

La visite d’un émissaire impérial n’apaisa pas les sujets. L’insurrection s’organisait. Aussi, le

prince-évêque envoya son coadjuteur et frère, Jean-Baptiste de Reinach, ainsi que le baron de

Ramschwag, son conseiller, à la cour de Vienne. (août 1731)

Une sentence fut prononcée contre les habitants de l’Ajoie et des Franches-Montagnes, leur

demandant de se soumettre au prince.

Dans le cas contraire, l’empereur s’engageait à envoyer des troupes pour rétablir l’ordre. (41)

Ceci inquiéta la France. En effet, si la principauté n’était pas importante du point de vue

économique, elle l’était par sa situation face à l’Alsace et à la Bourgogne. Elle était un lieu de

passage facile. Aussi, la France était-elle aux aguets, demandant des renseignements au

commandant d’Hunningue ainsi qu’au commandant de Blamont. Or, selon les renseignements

de Monsieur de la Tour de Manse, commandant à Blamont, il semblait que le comte de

Reichenstein travaillait sur deux plans : assurer la paix pour la principauté ; mettre en place la

succession de Jean-Conrad de Reinach, fort âgé, en évinçant son frère coadjuteur et en

prévoyant un homme, valet de l’Autriche, pour le remplacer. (42)

Nous ne nous étonnons pas si le comte de Reichenstein ne fut pas favorable à Jean-Conrad de

Reinach. Il avait intérêt à profiter de la division pour mener à bien ses projets. Il soutint donc les

sujets contre le prince. Cependant, l’empereur rappela son émissaire et établit un exhortatoire

pénal conte les sujets plaignants. Il menaça de la disgrâce quiconque voudrait désobéir au prince

territorial. Il laissait cependant un moyen de recours : les tribunaux d’empire, prêts à examiner

toute plainte.

La peine était-elle exagérée ? Nous ne le pensons pas, car la menace était grande. A considérer

par exemple la lettre des quatre maires d’Ajoie à la ville de Zürich (43)

, nous voyons que le

danger n’était pas des moindres :

(39)

Ibid. (40)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, p. 358 (document daté de janv. 1731). (41)

Id., vol. II, p. 360 (document daté de février 1731). (42)

Id., vol. II, p. 361 (document daté du 12 septembre 1731). (43)

P. Bessire, le rôle des Suisses dans les Troubles de l’Evêché de Bâle, p. 95.

35

« ... comme nous avons à faire à un maître inquiet et violent, qui ne veut point de sujets dont il

soit le père, qui ne veut que des esclaves et de lâches adorateurs, lequel ne connaît d’autres lois

ni de maximes de gouvernement que son propre intérêt - ut verbo dicam : ejus avaritiae nihil est

nefas. Il distrait notre caisse, il vide nos magasins pour enrichir ses parents. Il use d’artifice et de

violence pour nous dépouiller de nos archives et de nos anciens droits, entre autres du port des

armes ... d’où il appert que son but est non seulement de nous mettre hors d’état de défendre et

tenir la barrière fermée, mais de nous exposer à devenir la proie de nos ennemis, et en même

temps la victime de sa tyrannie ... nous ne saurions entrer en composition avec lui, à moins qu’il

nous donne un bon garant de sa bonne foi à venir ... Nous implorons de la manière la plus

respectueuse la haute protection des Louables Cantons Evangéliques, désirant avec ardeur leur

inestimable alliance, et amitié, laquelle nous tâcherons de cultiver et de la cimenter aux prix

même de nos biens et de notre sang... »

Quel contraste entre ce réquisitoire et l’Ordonnance de 1726 ! Il faut dire que les mutins étaient

passionnés. Ils exagérèrent et faussèrent la réalité. C’était un peu la lutte de désespérés qui en

avaient assez de la misère, mais refusaient de regarder l’avenir : la création d’une principauté

plus unie. D’ailleurs n’étaient-ils pas aigris, ceux qui avaient cru à la libération de la tutelle

princière, libération promettant des lendemains qui chantent ? En effet, les habitants de l’Ajoie

croyaient à l’existence d’un rôle du pays qui daterait du XV siècle et selon lequel une noble

dame du pays aurait donné des franchises à ses sujets, franchises consignées dans une charte. (44)

Aussi recherchait-on ces documents. Vaste espoir, plus rêve que réalité ! A défaut de

documents, on accusera Jean-Conrad de Reinach d’avoir « dépouillé » les archives. Ce n’est pas

sérieux. Le ton est celui de la polémique, non de la vérité. D’ailleurs, n’avait-on pas aussi

accusé le prince-évêque d’avoir livré le pays à l’ennemi, lui qui jusqu’ici s’était fait le champion

de la neutralité. Plus grave encore : prétextant des motifs mensongers, ne va-t-on pas demander

l’alliance avec les cantons évangéliques, se réclamant de la qualité de « Suisses alliés ». Un

prince d’empire ne pouvait tolérer de telles orientations. (45)

D’ailleurs Zürich et Berne, mises au

courant de la lettre, sont embarrassées devant l’inconvenance de telles propositions. Les deux

villes protestantes tinrent le document secret.

Jean-Conrad de Reinach savait qu’un procès au tribunal d’empire serait long et coûteux. Plutôt

que de laisser traîner l’affaire, il convoqua les Etats de la principauté pour le 11 décembre 1731.

Les Etats refusèrent la convocation, préférant un procès en bonne et due forme à la cour de

l’empereur. Au mois de mai 1732, des députés gagnèrent Vienne, avec un carnet de doléances

(44)

P. Bessire, op. cit. , p. 94. La dame noble serait la comtesse Henriette, de la maison de Montbéliard. (45)

Nous donnons ici de larges extraits d’une lettre écrite par le sieur Guenat de Beurnevésin, envoyée de

Neuchâtel en 1735 à Pierre Péquignat, commis du peuple. Le sieur Guenat écrit qu’il faut d’abord

« travailler très sérieusement en cherchant les moyens convenables de mettre leurs Excellences (de Berne)

dans nos intérêts ... C’est à Neuchâtel qu’il faudrait travailler à ce grand dessein par la consulte de Mr. Le

Bauderet, martinet, le plus habile Jurisconsulte du pays, et par l’aide de Mr. Le Conseiller Meuron qui est

le garde des Archives, où il faudrait puiser nos anciens documents. […]

Mais il faut absolument et sans plus de délai travailler à dresser un factum de manifeste, où tous nos droits

soient bien représentés et tâcher de mettre leurs Excellences dans nos intérêts.

Si j’avais un conseil à vous donner, je vous conseillerais ... (de) choisir quelques jeunes hommes que vous

jugeriez les plus d’esprit et disposés à se former aux affaires, pour ensuite en faire des hommes capables

de soutenir les intérêts de la patrie par leur savoir et suppléer au défaut et à la disette ; qu’il y a en Ajoie

des gens d’esprit et de science, auxquels on pourrait confier les affaires qui se traitent aux Etats ; et pour

dresser cette élite de jeunes hommes, il n’y a que Neuchâtel où nous puissions les faire instruire des

choses d’Etat, vu que nous sommes Neuchâtelois originaires et que notre pays se doit gouverner de la

même manière que les châtelois.

Dieu s’est toujours servi des instruments les plus faibles pour faire éclater sa toute puissance ... car Dieu

se communique aux humbles d’esprit et dépose les puissants de leurs trônes. »

H. Simonin, Correspondance des Princes-Evêques de Bâle, ds Actes de la soc. jurass. d’émulation(1924),

pp. 179-180.

36

bien chargé. (46)

Le procès serait long. Monsieur de Reinach avait besoin au plus vite de l’appui

impérial pour ramener le calme dans ses Etats. Dans ce but, l’empereur établit un décret

provisoire, daté du 27 mai 1732. (47)

Il y reconnaît que les chefs de partis, loin d’obéir aux

patentes impériales, « avaient du depuis encore exciter de plus grands désordres ...avaient

perverti et mutiné les sujets, tenu des assemblées défendues sans y interpeller leurs officiers, fait

différentes conventions secrètes entre eux, contre l’autorité du prince territorial et commis

d’autres mauvaises actions ... » (48)

De plus, les sujets du prince se refusaient à payer toute

contribution.

L’atteinte à la sécurité de la principauté était manifeste. Avant que le procès ne se termine, il

urgeait de briser l’insurrection. Dans ce but, l’empereur cassa « une fois pour toutes de (sa)

pleine Puissance, toutes les confédérations faites jusqu’ici entre eux, tant de bouche que par

écrit, leurs unions, conjurations, confraternités défendues, cartes blanches, procurations et

subscriptions. » (49)

L’empereur, on le voit, prit des mesures énergiques qui devaient aider le

prince-évêque à rétablir l’ordre dans ses Etats. Il décida encore de la démission des « ainsi

nommés commis du pays et des communautés, érigés et établis par les bourgeois et les paysans,

sans le sçu ou consentement de leurs supérieurs, de même que les officiers militaires constitués

par usurpation. » (50)

L’empereur exigea l’obéissance à celui qui leur a été donné par Dieu, par

lui-même et par le Saint-Empire.

Cette résolution impériale fut présentée à toutes les villes, villages et seigneureries du pays. Bon

nombre de sujets y imposèrent leur signature. (51)

Cette attitude devait donner l’espoir de voir

approcher un temps de paix. Il n’en fut rien. Les ordres de Vienne, loin de calmer les esprits, les

agitèrent davantage.

A ce moment, la France envoya une députation au château de Porrentruy. Monsieur de la Tour

de Manse, commandant à Blamont, offrit ses bons offices. Or, il n’y avait que l’empereur qui

pouvait mater les mutins. En effet, l’évêque ne pouvait s’assurer facilement l’appui de la

France, quand bien même l’empereur était peu empressé à lui venir en aide. Se tourner vers la

France voulait dire compromettre la légitimité de son pouvoir, et mettre en péril la neutralité de

la principauté. En conséquence, ce serait donner gain de cause à certaines accusations. Or, le

prince de Reinach comptait encore sur l’appui de son suzerain et sur celui des cantons

catholiques. Pourtant le Garde des Sceaux s’était engagé à lui donner « tous les secours qu’il

peut attendre d’une puissance voisine (la France) qui s’intéresse à sa (celle du prince-évêque)

tranquilité. » (52)

Avant de prendre le risque de mettre en cause son pouvoir, Jean-Conrad de

Reinach préféra exploiter toutes les solutions possibles, quoique problématiques. L’alliance

unissant la principauté aux cantons catholiques lui laissait l’espoir d’une intervention suisse.

En juillet 1732, Jean-Conrad de Reinach sollicita les cantons catholiques de lui envoyer des

troupes. La réponse fut très « suisse » : aucun des partis de la principauté, ni le prince-évêque ni

les mutins, ne devait tirer profit de la médiation helvétique, (53)

ce qui voulait dire qu’il ne fallait

compter sur aucun appui effectif. Jean-Conrad insista. En septembre 1734, on se décida à lui

envoyer une députation de quatre membres. Son intervention fut limitée : elle demanda aux

sujets de se soumettre au prince.

(46)

AEBP, B 230, liasse 50 (document daté du 15 décembre 1739, dans lequel les griefs de 1732 sont

cités). (47)

AEBP, Résolution impériale, B 230, liasse 39. (48)

Ibid. (49)

Ibid. (50)

Ibid. (51)

Cf. les attestations accompagnant la Résolution impériale, B 230, liasse 50. (52)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. fonds Ev. Bâle, vol. II, pp. 383-384 (document daté d’août 1732). (53)

P. Bessire, Le rôle des Suisses dans les Troubles de l’Evêché de Bâle, p. 98.

37

La situation s’aggrava dans le pays. La pluie de parchemins impériaux, l’intervention malhabile

de la Suisse, encouragèrent les bourgeois et les paysans à la résistance. Les noyaux d’agitateurs

se formèrent autour des quatre mairies d’Ajoie, qui avaient désigné des mandataires ou commis.

A ceci s’ajouta l’aide de la bourgeoisie et du clergé, surtout celui de l’abbé prémontré de

Bellelay, président des Etats du pays et farouche défenseur du peuple.

Pourtant, lors d’une enquête en septembre 1734, enquête menée par une députation des cantons

catholiques, on essaya de s’entendre. Par trois fois, les députés des Etats du pays furent

convoqués devant l’évêque et les médiateurs. Une première convocation avait été fixée pour le 3

ou le 4 septembre. Les députés s’y dérobèrent, argumentant que le délai était trop court. Une

nouvelle convocation fut établie pour le 7 ou le 9 septembre à la résidence du prince-évêque.

Jean-Conrad de Reinach donna des garanties : les députés n’y seront pas retenus prisonniers.

Les députés refusèrent la proposition. L’affaire était en litige. Ils préféraient attendre le

jugement des tribunaux impériaux. Le prince-évêque envoya une troisième invitation pour le 15

ou le 17 septembre. Nouveau refus. Un dernier délai fut fixé au 22 septembre 1734.

Les Etats du pays se présentèrent enfin devant l’évêque et les commissaires des cantons

catholiques. L’abbé de Bellelay était à leur tête. Ils affirmèrent que leurs griefs contre les

mesures (l’Ordonnance du 1726) de l’évêque étaient fondés. En plus, ils avaient à dénoncer les

multiples vexations qu’ils eurent à subir, surtout la plainte en sédition adressée par Monsieur de

Reinach à la cour impériale, plainte qui fut reçue favorablement par l’empereur. Ils accusèrent

encore le prince d’avoir retiré aux Etats tout moyen de défense.(54)

En était-il vraiment ainsi ? Alors qu’une insurrection armée s’organisait, que certains sujets se

tournaient vers les cantons évangéliques, sollicitant une alliance sans l’agrément du prince

territorial, n’était-il pas légitime que Monsieur de Reinach en appela à l’empereur, son suzerain.

D’autre part, toutes les voies légales de défense étaient-elles retirées ? Un procès n’était-il pas

en cours auprès des tribunaux de Vienne ?

Les doléances des Etats du pays n’étaient pas très fondées. Aussi comprenons-nous que le

représentant de Lucerne exhortât les sujets rebelles à l’obéissance. Ils devaient destituer les

commis et attendre la sentence impériale. On rappela à l’abbé de Bellelay qu’il n’était qu’un

sujet du prince, et non le seigneur du pays. Il n’avait pas à prononcer d’arrêt, même s’il jouissait

de l’appui des députés. (55)

Les députés des Etats s’opposèrent à la suppression des commis, craignant une guerre des

paysans. D’ailleurs, élus du peuple, n’étaient-ils pas les vrais représentants du pays, alors que

les maires et les huissiers étaient liés au prince par serment ? (56)

On décida que soient établies par écrit les remontrances du commissaire de Lucerne. Ceux qui

désireront s’y conformer auront à signer le document, établi au nom de « Messieurs les

honorables représentants des VII cantons catholiques... » (57)

Le texte fut envoyé à l’abbé de Bellelay, avec charge de le faire signer par les intéressés. Il en

ira de même pour les mairies rebelles d’Ajoie. Dans l’ensemble, la démarche fut un échec, tant

l’opposition était grande. Dans les mairies d’Ajoie, le refus fut formel, sauf dans celle de Bure.

L’abbé de Bellelay donna sa signature. Mais bien des communes ne signèrent pas le document,

ou le signèrent avec réserve. Pour le baillage de Porrentruy, une seule commune se soumit. (58)

(54)

P. Bessire, le rôle des Suisses dans les Troubles de l’Evêché de Bâle, pp. 103-105. (55)

Ibid. (56)

Ibid. (57)

Ibid. (58)

P. Bessire, op. cit. , p. 106.

38

Devant une opposition systématique, que faire ? La situation s’aggravait. Pierre Péquignat,

commis du peuple, ordonnait aux paysans de s’armer et de se tenir prêts. Aussi, Jean-Conrad de

Reinach demanda aux cantons catholiques sept compagnies de deux cents hommes. Les députés

trouvèrent l’effectif insuffisant. A la fin de l’année 1734, les partisans de Pierre Péquignat

s’élevaient à dix mille hommes. Il avait une armée organisée, soumise à l’exercice. Le prince-

évêque n’avait qu’une garde de quarante soldats. (59)

Pour lutter contre les mutins, les cantons

catholiques proposèrent quatorze compagnies de deux cents hommes. (60)

Pour favoriser les

opérations, Berne accorda un droit de passage sur son territoire. Alors que tout était en place

pour une intervention qui se voulait efficace, Lucerne refusa d’envoyer son contingent. Le

canton pensait que tout n’avait pas encore été tenté pour régler l’affaire. (61)

Tous les espoirs de Jean-Conrad de Reinach étaient réduits à néant. Ses alliés, qui s’étaient

engagés en 1715 encore à lui porter secours « si les sujets ... devaient se révolter et se montrer

désobéissant contre leur Seigneur », (62)

se désistèrent après avoir établi des plans ambitieux,

remède ultime à une situation devenue embarrassante.

Le régime du prince était en jeu. L’empereur tardait à faire exécuter ses menaces. De plus, la

France avait prévenu l’évêque : si les impériaux venaient dans la principauté, elle ferait de

même. (63)

Vu le danger menaçant, un recours secret auprès du roi très-chrétien n’était-il pas

possible ?

Un tel recours n’était pas aisé. La France et l’empire étaient en guerre au sujet de la succession

de Pologne. La mort d’auguste II, roi de Pologne, en 1733, fit que Stanislas Leczinski, le beau-

père de Louis XV, fut choisi à cette charge élective de préférence à Auguste III, neveu de

l’empereur et fils du roi décédé. L’Autriche avait envahi la Pologne. La France déclara la guerre

à l’empire.

Abandonnée de tous, la principauté n’avait pas le choix. En janvier 1735, Jean-Conrad de

Reinach demanda l’appui du roi de France. (64)

Ce dernier ne pouvait s’en désintéresser : d’une

part, la guerre de succession de Pologne l’y engageait ; d’autre part, la mort du coadjuteur Jean-

Baptiste de Reinach et la nomination prochaine d’un successeur ne le laissait pas indifférent.

D’ailleurs, Versailles fit établir secrètement une liste des chanoines du chapitre cathédral, avec

mention de leur sympathie ou de leur antipathie pour le roi de France. Par d’autres démarches

secrètes de la France, le prince obtint du St. Siège de procéder à la nomination d’un coadjuteur.

Lors d’une entrevue en Haute-Alsace, le prince-évêque discuta d’un projet d’alliance avec la

France. (65)

Le projet stipulait que le traité n’avait pour but que le rétablissement de la

tranquillité intérieure des Etats de la principauté. Jean-Conrad s’engageait à demeurer prince de

l’empire « avec toutes les obligations, droits, prééminences et prérogatives qui y sont attachés. » (66)

Le roi s’engageait à rétablir la paix dans la principauté. En échange, l’évêque aiderait les

provinces voisines si la sédition menaçait sur les frontières du royaume. De plus, en cas de

guerre le prince s’engageait à garder une exacte neutralité.

A la fin de l’année 1735, on parlait de paix entre la France et l’Autriche. Dès lors, l’intérêt de la

France pour la principauté diminua.

(59)

Id., p. 99. (60)

Id., p. 104. (61)

cf Actes de la soc. jurass. d’émulation (1924) p. 175 ; (1917) p. 111. (62)

AEBP, Relation des négociations au sujet de l’alliance, B 119, liasse 8. (63)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. II, p. 403 (document daté du 12 déc. 1733). (64)

Id., vol. III, p. 10. (65)

Id., vol. III, pp. 18, 20, 36, 38. (66)

Arch. féd. Berne, Aff. étr. , fonds Ev. Bâle, vol. III, p. 39 (document daté du 19 septembre 1735).

39

Le 10 janvier 1736, l’arrêt définitif des tribunaux d’empire était rendu. On ne parla plus de

l’alliance avec la France, ni de la nomination d’un coadjuteur. D’autres espoirs, ceux donnés par

le jugement impérial, permettaient pour l’instant d’éviter des solutions aussi périlleuses.

La sentence impériale fut défavorable aux sujets, et avec raison. Le conseil aulique impérial

examina les griefs formulés par les Etats du pays. (67)

Au sujet du premier grief touchant

l’administration de la justice, (68)

et plus particulièrement la demande qui tendait à faire

congédier les conseillers et les officiers choisis par le prince, le tribunal impérial affirme qu’il

ne convient ni aux Etats ni aux sujets de prescrire des règles et des lois au prince territorial. En

ce qui concerne la demande de suppression du tabellionat, le tribunal décide que « les sujets

seront tenus à peine de nullité de déclarer et faire inscrire rière la Commission établie pour le

Tabellionage et Notariat, leurs contracts d’acquisitions, de ventes, constitutions de rentes et

cens, et autre dont est question, et spécialement les actes hypothécaires. » (69)

Quant aux

appellations prohibées, le tribunal précise que rien ne prouve que le Seigneur évêque ait

empêché l’appel aux tribunaux suprêmes de l’empire.

Au sujet des assemblées des Etats, (70)

le tribunal rappelle qu’il n’est point autorisé de se réunir

ni de faire des propositions en assemblée sans la permission du prince. De telles assemblées sont

frappées de nullité. Cependant, « les Etats ne laisseront pas d’avoir la liberté de délibérer sur la

proposition, de déclarer franchement leurs opinions et leurs avis, et de faire les remontrances

qu’ils jugeront nécessaires. » (71)

De plus, il est laissé aux Etats, selon l’antique usage, le soin de

donner leur consentement à la répartition des deniers. Mais ce consentement est toujours à faire

ratifier par le prince.

Quant aux alliances, les Etats ne peuvent reprocher au prince d’en contracter de nouvelles. « Le

dit Seigneur Evêque en qualité de prince d’empire a le pouvoir avec son Haut-Chapître de

contracter seul et renouveler sans concurrence ni consentement des Etats des alliances, qui ne

préjudicieront en rien à sa Majesté Impériale, au St-Empire Romain, au traité de paix de

Westphalie, ni aux autres Constitutions de l’Empire, non plus qu’au serment prêté par le

Seigneur Evêque. » (72)

Au sujet de la Chambre des Comptes, le tribunal trouve appréciable l’initiative de Jean-Conrad

de Reinach. « Le Seigneur Evêque n’a en d’autre vue que de séparer, si ce n’est dans les causes

mixtes, les affaires du ressort de la Justice, d’avec celle du ressort de la Chambre, lesquelles

étaient confondues auparavant, et de mettre le tout dans un meilleur ordre. » (73)

Le délicat problème des collectes est aussi évoqué. Le tribunal reconnaît à Monsieur de Reinach

le droit de collectes, sans le consentement des Etats. L’emploi des contributions est à déterminer

par l’assemblée des Etats. Et le tribunal impérial de reprocher la témérité des sujets qui osent

« si audacieusement menacer leur prince territorial de lui retenir et arrêter le quantum d’iceux

(ceux de la vallée de Moutier-Grandval, Bienne et autres baillages du sud du pays) sur la somme

capitale des contributions de l’accise. » (74)

Les sujets rebelles se disant suisses, voulurent

accaparer les contributions des territoires relevant du Corps helvétique, contributions revenant

au prince-évêque. Or, le tribunal d’empire reconnaît au prince seul l’administration des revenus.

(67)

AEBP, Traduction du jugement souverain rendu au Conseil aulique impérial, B 230, liasse 30. (68)

Id., pp. 1-4. (69)

Ibid. (70)

Id., pp. 5-6. (71)

Ibid. (72)

Ibid. (73)

Id., p. 7. (74)

Id., p. 9.

40

Au sujet de l’accise, le tribunal reproche aux Etats de l’avoir supprimée sans l’approbation du

prince-évêque. Il reconnaît le bien fondé de la mesure princière : l’accise est « le meilleur

moyen de soulager de plusieurs collectes et impositions. » (75)

Aussi l’accise, sorte de TVA

avant la lettre, doit-elle être rétablie.

Suivent d’autres griefs, pour lesquels le tribunal impérial soutient Monsieur de Reinach. Il s’agit

de mesures touchant le péage, les diverses associations qui tendent au grand dommage des

sujets, la fabrication de la monnaie, le débit du sel, le commerce du vin, l’arpentage, les grands

chemins, les corvées, le droit de pâturage, la dégradation de la forêt, les nouveaux bâtiments, le

péage excessif des grains, le désordre dans les fiefs.

Bref, toutes les mesures de l’Ordonnance de 1726 ont été passées au crible. Il en ressort que les

impétrants n’ont aucun motif légitime « pour répandre universellement contre le Seigneur

Evêque, surtout d’une manière si odieuse, cette prodigieuse quantité de griefs. » (76)

L’empereur

ordonne aux sujets de la principauté de se soumettre. Dans le cas contraire, les peines seront

lourdes et inévitables.

Sachant le prince-évêque sans secours, les sujets de la principauté refusèrent la sentence

impériale. Or, l’empereur s’était engagé à accorder à Jean-Conrad de Reinach l’appui de

troupes, si la sentence n’était pas respectée. (77)

Craignant la ruine totale des Etats du prince-

évêque, (78)

Charles VI demanda au canton de Bâle le libre passage sur son territoire afin de

porter secours à la principauté. Bâle prétexta qu’il fallait informer les cantons de la

confédération. Ceux-ci s’opposèrent à la demande de l’empereur. En effet, la paix qui devait

éteindre la guerre de succession de Pologne n’était pas encore signée. Permettre un tel passage

était chose délicate. Si en temps de paix, un état neutre pouvait accorder un droit de passage

sans porter atteinte à sa neutralité, en temps de guerre la chose devenait impensable. Restait la

possibilité de faire passer les troupes impériales par l’Alsace, ou de s’assurer l’envoi de troupes

françaises avec l’accord de l’empereur. Monsieur de Reinach mena des démarches dans ce sens.

Elles furent bien inutiles. La proposition du prince était trop hasardeuse. Alors que la paix

définitive n’était pas signée entre la France et l’empire, un tel risque ne pouvait être pris.

Le 19 mars 1737, Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach meurt. Jusqu'à la fin de sa vie, il lutta avec

courage, comptant sur l’appui de l’étranger pour faire respecter l’ordre intérieur. Ce fut un

échec. Il meurt sans avoir reçu l’appui effectif des cantons catholiques, de l’empire ou de la

France. Il laissa l’image d’un homme cruel, ennemi du peuple, avide de pouvoir, alors que tout

au long de son règne il lutta pour relever ses Etats et les porter au rang qu’ils méritaient.

L’obstination devant la nouveauté eut gain de cause et empêcha le seigneur évêque de réaliser

ses plans.

Non seulement les bourgeois et les paysans s’étaient rebellés, mais aussi le clergé. Alors que

messieurs les ecclésiastiques auraient pu jouer le rôle de modérateurs dans la crise qui secouait

le pays, bien au contraire : ils furent souvent des inspirateurs de la sédition. Il ne nous importe

pas d’entrer dans le détail de leurs actions, mais uniquement de considérer quelques faits. Pour

cela, il n’est qu’à parcourir les extraits des registres de la cour archiépiscopale de l’Archevêché

de Besançon (79)

, lieu d’incardination des curés d’Ajoie.

(75)

Id., p. 10. (76)

Ibid. (77)

Id., p. 19. (78)

AEBP, B 119, liasse 13 (document daté du 11 août 1739). (79)

AEBP, Extraits des registres de la Cour archiépiscopale de l’Archevêché de Besançon, B 230,

liasse 65 (document daté de nov. 1740).

41

Ainsi, à titre d’exemple, il fut reproché à Pierre-Louis Plumey, curé de Courgenay, d’avoir écrit

une requête lors des Troubles, requête qui présentait aux chanoines de la cathédrale le siège

épiscopal comme vacant. A ceci s’ajoutait des calomnies contre des ecclésiastiques qui s’étaient

rendus à la justice. (80)

On lui reprochait aussi d’avoir écrit et signé en 1732, 1733, 1734, sept

certificats tendant à sédition et à rendre odieux le prince dans son gouvernement. (81)

Il était en

plus accusé d’avoir empêché en l’année 1733 « plusieurs de ses Paroissiens, de déposer devant

les officiers de chancellerie de la Cour de Porrentruy, et de leur avoir donné par écrit, le faux

prétexte de les en dispenser, de même qu’à Pierre Péquignat, prétendu commis, cité dans le

courant du mois de janvier de la même année, par devant les commissaires d’inquisition établis

par ordre et sous l’autorité de sa Majesté Impériale. » (82)

Pour compléter le portrait d’un parfait

résistant, cette autre accusation : « D’avoir souffert dans sa maison au dit Courgenay, pendant

les Troubles, à différentes fois, et à différents temps, des assemblées, où il y a foule, lesquelles

étaient composées des commis du Pays d’Ajoie, établis par les paysans, sans le sçû et

consentement de leurs supérieurs, et qui ont continué en cette qualité à fomenter les Troubles. » (83)

A une époque où le spirituel et le temporel étaient intimement liés, qu’un clerc soutienne et

encourage un mouvement de sédition, n’était-ce pas rendre légitime la lutte menée contre le

prince-évêque ? Au niveau de la mentalité villageoise, il en était ainsi.

Les accusations portées contre le sieur Pierre-Louis Plumey n’étaient pas chose isolée. De

semblables motifs furent avancés contre d’autres ecclésiastiques : Pierre-Louis Plumey, curé de

Buix ; Jean-Thiebaud Mouhay, curé de Cornol ; Jean-Pierre Juillerat, curé de Fontenais ; Jean-

François Cartier, curé de Courchavon ; Alexis Gelin, administrateur à Chevenez ; Jean-Jacques

Bruat, vicaire à Damphreux ; Frédéric-Hubert Simon, Pierre-Antoine Simon, Melchior-Joseph-

Alexis Dupaulcy, Jean-Claude Rossel, Jean-Jacques Faivre, Fraiçois-Sébastien Briot, Jean-

François-Ignace Maistre, Joseph-Ignace Berthold, Henri-Joseph Werner, Mathieu Sidler,

Dominique-Ignace-Pacifique Beauseigneur, tous prêtres de Porrentruy. La liste est

impressionnante pour une région à vrai dire peu étendue et peu habitée : l’Ajoie.

Triste sort que celui d’un évêque vieillissant, voyant jusqu’au clergé se rebeller conte lui : un

clergé qu’il aimait et qu’il voulut réformer selon les dispositions tridentines.

(80)

Id., pp. 5-6. (81)

Id., p. 6. (82)

Ibid. (83)

Ibid.

CHAPITRE 4

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach :

l’œuvre d’un évêque soucieux

du bien spirituel de ses sujets

4.1 Le concile de Trente et la réforme du clergé :

répercutions dans le diocèse de Bâle

Comment gouverner, si les clercs, intimement liés à la vie publique, ne prêchaient par

l’exemple, mais tout au contraire étaient occasion de scandales et encourageaient

l’insubordination à leur maître et seigneur, le prince-évêque. L’âme de pasteur de Jean-Conrad

de Reinach savait que le bien spirituel de ses sujets nécessitait la réforme du clergé. Son devoir

politique l’y obligeait aussi. Les clercs par leur instruction ne devaient-ils pas élever les

hommes à Dieu, les aider à lutter pour de bonnes causes et à vivre en paix dans leur pays ? Par

la prédication de la Bonne Nouvelle, ne devaient-ils pas inviter le peuple à plus de charité et de

justice ?

Aussi, pour le prince et l’évêque de Bâle, la réforme du clergé était de grande importance. En

cette matière, Jean-Conrad de Reinach disposait d’un point de référence : le concile de Trente.

Toutes les mesures du concile tridentin n’étaient pas encore en vigueur dans le diocèse.

Toutefois, un grand mouvement de réforme catholique avait été déjà mené par Jacques-

Christophe Blarer de Wartensee. (1)

Notre propos n’est pas de décrire en détail ce que fut la

restauration religieuse amorcée par Monsieur de Blarer à la fin du XVI siècle. Nous nous

bornerons à indiquer les grandes lignes de la réforme du grand prince-évêque, ce qui nous aidera

à mieux comprendre comment Jean-Conrad de Reinach continua l’œuvre de Blarer de

Wartensee, tout en lui donnant un nouveau souffle.

Jacques-Christophe Blarer, vu l’état de désordre de l’Eglise, envisagea la convocation d’un

synode diocésain. Ceci lui permettait de mettre en vigueur les décisions du récent concile de

Trente. La préparation d’un rapport en vue de la visite ad limina obligea Monsieur de Blarer à

voir l’état peu édifiant de son clergé. Aussi, il agit sur deux plans : il fit connaître à ses clercs les

dispositions disciplinaires du diocèse, éditant et distribuant une « Instruction bâloise » (2)

; il

obligea le tribunal ecclésiastique à veiller avec vigueur sur les affaires en litige. (3)

Blarer s’attaqua à la racine du mal : il voulut contrôler désormais les aptitudes des nouveaux

candidats au sacerdoce. Pour ce faire il constitua un dossier sur chacun d’eux. (4)

Soucieux

d’élever le niveau intellectuel de son futur clergé, il ouvrit un collège à Porrentruy (1591),

collège dirigé par les Pères de la Compagnie de Jésus. Quant au clergé en ministère, il organisa

des récollections à son intention. Il en avait fort besoin : ignorance, concubinat et ivrognerie

(1)

A. Chèvre, Jacques-Christophe Blarer de Wartensee, Delémont 1963. (2)

AEBP, Instruction bâloise, A 104, liasse 2. (3)

A. Chèvre, Après le concile de Trente l’Evêque de Bâle réforme son clergé, ds Rev. d’hist. eccl.

suisse (1950), fasc. 1, p. 21. (4)

Id., p. 22.

44

étaient choses courantes. (5)

Au sujet du concubinat, l’obéissance du clergé aux directives

épiscopales fut très lente. Ce ne fut qu’à la fin du siècle que l’on aperçut une amélioration, la

réprobation des fidèles devenant plus manifeste. (6)

Blarer de Wartensee ne se contenta pas de blâmer. Il proposa une réforme de grande envergure

pour le diocèse : la fondation d’un séminaire. Entre 1597 et 1604, le collège des Jésuites avait

été construit. La principauté possédait désormais un puissant appareil pour la formation de la

jeunesse. La fondation d’un séminaire devait se voir ainsi facilitée.

En 1601, le suffragant de l’évêque, François Ber, fut chargé de mener à bien la fondation du

séminaire. Avant d’en venir à la réalisation, il importait de savoir ce que l’on entendait par

séminaire. Aussi, Ber établit un mémoire.(7)

Il y dit que le but d’un séminaire est de réunir des

enfants envisageant l’état ecclésiastique, leur assurer l’entretien et la formation gratuite.

Or à Ensisheim en Alsace, le curé du dit lieu, avec l’appui de la Régence autrichienne, avait

tenté une telle expérience. Ce fut un échec. Le diocèse n’avait rien à en attendre. Cependant, le

suffragant Ber avait le souvenir de ce qui se faisait ailleurs. Jean de Strasbourg avait remis aux

Jésuites le collège de Saverne. L’évêque de Würsbourg vit son école devenir séminaire par le

zèle des Père de la Compagnie. Le cardinal Otto, à Dillingen, vit refleurir le collège St- Jérôme

et l’académie grâce à la science des mêmes Jésuites.(8)

La Compagnie jouissait alors d’une

éclatante réputation. En Allemagne, il devint de mode de confier les collèges aux Jésuites.

Ainsi, tout en bénéficiant d’une formation humaniste, les séminaristes pouvaient bénéficier

d’une formation théologique.

Porrentruy eut la chance d’avoir depuis peu un collège dirigé par les Jésuites. Le suffragant

François Ber pensa à eux pour diriger le futur séminaire. N’ont-ils pas la formation adéquate, et

en plus l’expérience dans de multiples réalisations en Europe ? D’autre part, Porrentruy était le

lieu idéal : c’était la ville où habitait l’évêque.

En 1606 seulement, le chapitre cathédral ratifia le projet. Il souhaita qu’un institut fût érigé à la

résidence de l’évêque et limita le nombre des élèves à dix ou douze. (9)

Les étudiants auront

seize ans au moins. Des connaissances élémentaires seront requises. L’on ne regardera pas la

condition sociale des candidats. Mais on prendra garde à ce qu’ils soient suffisamment doués.

Ils vivront en convict, sous la direction des Jésuites. Reste la question financière. Où trouver

l’argent nécessaire à un si vaste projet ? Le prince-évêque avait déjà la charge du collège, tout

en assurant l’entretien et la pension de nombreux étudiants pauvres. Il lui était difficile de

prévoir pour l’instant une aide financière pour le futur séminaire. C’est alors que le chapitre

cathédral, les doyennés ruraux, les chapitres collégiaux de St. Ursanne et Moutier-Grandval,

l’abbaye de Bellelay s’engagèrent à soutenir financièrement la future institution. (10)

En 1608, le séminaire ouvrait ses portes. Il y avait six candidats, mais aucun Jésuite pour les

former. En effet, ils avaient refusé une telle tâche, car il leur était difficile de recruter des

professeurs de philosophie et de théologie qui soient bilingues.

En attendant une solution, les séminaristes fréquentèrent les cours du collège. Tout en achevant

leurs humanités, on leur assura un rapide complément théologique. Quant au logis, ils le prirent

chez l’habitant. Ceci ne fut pas favorable aux étudiants séminaristes. Le désordre leur fut plus

agréable que la discipline ecclésiastique.

(5)

Id., pp. 25 ss. (6)

Id., fasc. 2, p. 117. (7)

AEBP, Mémoire de François Ber, A 100, liasse 1 (document daté du 10 juillet 1601). (8)

A. Chèvre, Le séminaire du diocèse de Bâle, ds Rev. d’hist. eccl. suisse (1953), fasc. 1, p. 30. (9)

Id., p. 31. (10)

AEBP, A 100, liasse 1 (document daté du 14 sept. 1606).

45

Aussi, le successeur de Jacques-Christophe Blarer de Wartensee, Guillaume Rinck de

Baldenstein, insista auprès des Pères Jésuites pour qu’ils veuillent bien accepter la direction du

séminaire. La réponse fut négative. La Compagnie manquait de Pères. De plus, les Jésuites

préférèrent œuvrer dans les collèges, plusieurs essais de directions de séminaires ayant échoué.

En 1610, le prince-évêque souhaita la création d’une académie rattachée au collège. Les Jésuites

verraient peut-être la chose d’un meilleur œil que la direction d’un séminaire indépendant du

collège. La réponse fut à nouveau négative. Les motifs allégués furent les mêmes que par le

passé. (11)

A ceci s’ajoutèrent les questions matérielles. Qui se chargera de l’entretien des

nouveaux professeurs et du personnel ? Qui se chargera des frais occasionnés par la

transformation des bâtiments afin de les adapter à leur nouvelle fonction ? (12)

Face à de telles

difficultés, l’on en vint à une solution intermédiaire. Quelques professeurs de philosophie et de

théologie enseigneront au collège, sans pour autant diriger les séminaristes. Ils seront

professeurs, et non directeurs de séminaire.

Pour les étudiants, la solution était agréable. Une commission du séminaire choisissait les

candidats. Le collège donnait la formation théologique nécessaire et fournissait les certificats

relatifs aux études des séminaristes.

A partir de la fondation du collège de Porrentruy, les évêques de Bâle exigèrent le passage dans

de telles institutions. (13)

En principe, n’étaient admis au séminaire que des ordinands ayant déjà

acquis un certain bagage intellectuel. Cependant, les connaissances requises n’étaient pas

précisées avec netteté. D’autre part, il n’y avait pas un nombre d’années déterminé à passer au

séminaire. (14)

La présentation de certificats du collège et un examen devant une commission

épiscopale suffisaient pour avoir accès aux ordres. En général, il semblerait que les séminaristes

faisaient deux années de rhétorique, années pendant lesquelles ils suivaient aussi des cours de

Cas de Conscience. (15)

Les activités du collège et les efforts successifs des princes-évêques de Bâle portèrent leur fruit.

Dès le XVII siècle, le niveau intellectuel du jeune clergé s’améliora. Cependant, le séminaire

bâlois du XVII siècle ne fut qu’une ébauche. Tous les points voulus par le concile de Trente n’y

étaient pas mis en place. Il ne s’agit pas encore du véritable séminaire tridentin. Les

séminaristes ne vivaient pas en communauté. Ils continuaient de loger chez l’habitant. Un seul

point de rencontre pour les étudiants : l’Eglise paroissiale, où ils s’initiaient à la liturgie et le

collège.

A partir de 1630, la guerre de Trente Ans sévit dans le diocèse. Le séminaire de Porrentruy

semble ne plus exister. Tout est ralenti et désorganisé. Il faudra attendre 1716 pour voir naître à

nouveau le séminaire. D’ailleurs avait-il réellement existé tel que le prévoyait le concile de

Trente, c’est-à-dire comme une institution destinée à entretenir, à former à la piété et aux

disciplines ecclésiastiques des gens du diocèse. Il semble que non. Il s’agit d’un jalon posé, en

vue de réaliser progressivement les directives conciliaires. La nouveauté de l’institution fit qu’il

n’y avait pas de modèle existant. Tout était à découvrir.

(11)

A. Chèvre, le séminaire du diocèse de Bâle, fasc. 1, p. 35. (12)

Id., p. 36. (13)

Id., p. 39. (14)

Id., p. 38. (15)

Id., p. 39.

46

De plus, il semble que le diocèse de Bâle s’inspira des séminaires germaniques, sorte de

convicts rattachés à une école. Lorsqu’en 1716, Jean-Conrad de Reinach envisagea la fondation

d’un séminaire, il s’agissait cette fois-ci d’une institution de type tridentin. (16)

Si l’œuvre des prédécesseurs de Jean-Conrad de Reinach releva la qualité intellectuelle et

spirituelle du clergé, il faut reconnaître qu’après la guerre de Trente Ans, un besoin de réforme

se faisait à nouveau urgent. La disparition du « séminaire » à cause de la guerre et le

ralentissement des activités du collège y contribuèrent.

A la fin du XVII siècle, Jean-Conrad de Roggenbach s’inquiétait du développement de

propositions téméraires, scandaleuses, proches de l’hérésie, parfois hérétiques et défendues.

Pour combattre l’erreur ès théologie, il publia une série de trente-et-une propositions

condamnées et défendit de les enseigner ou de les discuter soit publiquement, soit en privé. (17)

Parmi les propositions condamnées, voici quelques échantillons :

- Necesse est infidelem in omni opere peccare. (18)

- Timor gehennae non est supernaturalis. (19)

- Laus quae defertur Mariae, ut Mariae, vana est. (20)

- Valet Baptismus collatus a Ministro, qui omnem ritum externum, formamque baptizandi

observat, intus vero in corde suo apud se resolvit, non intendo quod facit Ecclesia. (21)

- Futilis et toties convulsa est assertio de Pontificis Romani supra concilium oecumenicum

auctoritate, atque in fidei quaestionibus decernendis infallibilitate.(22)

A ceci s’ajoutait une liste de livres interdits.

Sur des matières très diverses, l’enseignement des clercs était flou et parfois erroné. Comment

pouvait-il en être autrement, alors que la restauration religieuse avait été interrompue par la

guerre et les misères qu’elle traîna derrière elle.

Sur le plan de la discipline ecclésiastique, les choses n’étaient pas plus reluisantes. A considérer

rapidement les « Acta Criminalia » contre les membres du clergé, on voit que le nombre des

enquêtes est impressionnant, principalement des enquêtes relatives au concubinat. A ce chef

d’accusation s’ajoute souvent l’ignorance. Ne voit-on pas maintes situations où le prêtre ne

connaît les rubriques, tel ce curé de Fontaine disant les prières pour les relevailles à

l’enterrement d’une paroissienne ! (23)

Souvent les fidèles se plaignent de n’entendre aucun sermon de leur curé, de ne jamais les voir

réciter leur bréviaire, et de dire la messe sans préparation ni action de grâce.

Certes, il ne faut pas accorder trop d’importance aux informations que nous donnent les « Acta

Criminalia ». Ils ne nous livrent la réalité que dans ce qu’elle a de négatif et d’excessif.

Cependant, à considérer le nombre des procédures contre le clergé au début du XVIII siècle, il

(16)

Conc. Trid. Sess. XXXIII, c. 18 : But des séminaires - « ... ut singulae cathedrales metropolitanae

atque majores ecclesiae, pro modo facultatum et dioecesis amplitudine, certum puerorum ipsius civitatis

et dioecesis, vel ejus provinciae, si ibi non reperiantur numerum in collegio ad hoc prope ipsas ecclesias

vel in alio loco convenienti, ab episcopo eligendo, alere ac religiose educare et ecclesiasticis disciplinis

instituere teneantur. » (17)

AEBP, Synodalia 1511-1765 (document daté du 10 fév. 1691). (18)

Id., proposition n° 8. (19)

Id., proposition n° 14. (20)

Id., proposition n° 26. (21)

Id., proposition n° 28. (22)

Id., proposition n° 29. (23)

AEBP, Acta Criminalia - Information contre le Sieur Demangeon, A 85, fasc. 87, tome VII

(document daté du 30 juin 1730).

47

nous faut reconnaître que la situation était très irrégulière. Une nouvelle restauration religieuse

s’imposait.

De tels désordres ravageaient aussi les couvents. L’abbaye bénédictine de la Pierre (Mariastein)

se trouvait dans un état déplorable. (24)

Une petite « insurrection » y était organisée en vue de

renverser le père abbé. (25)

Jean-Conrad de Reinach écrivait au nonce apostolique à Lucerne (26)

« qu’il y a fort grand dérèglement parmi ces moines. Ils ne font que de courir, jouer et s’enivrer,

se donner même des infâmes libertés avec le sexe avec grand scandale de mes sujets et des

Calvinistes voisins. » Cependant, si l’abbaye de la Pierre était cause de souci pour l’évêque de

Bâle, l’abbaye prémontrée de Bellelay semblait en pleine prospérité. Une lettre du prince-

évêque à l’abbé de Beaulieu, lettre au sujet d’une éventuelle visite extraordinaire, témoigne de

cette prospérité : « Pour ce qui est d’une visite extraordinaire (à faire en la dite abbaye), je ne

vois non plus, quel motif on pourrait avoir pour l’entreprendre, le monastère est sur un bon pied,

et la régularité observée aussi exactement qu’en aucune maison de votre ordre. » (27)

Lors de la visite ad limina au pape Clément XI, on fit remarquer au prince-évêque un des points

du concile de Trente : le manque de prêtres séculiers a obligé des religieux de différents ordres à

cumuler les bénéfices et certains supérieurs religieux se sont attribués des bénéfices sans

l’approbation de l’évêque ordinaire. (28)

Aussi, le prince-évêque rappela que ces religieux

s’opposent à la loi du droit canon qui dit : « Saecularia saecularibus, regularia regularibus ». Ils

s’opposent aussi aux directives du concile de Trente. (29)

Pour lutter contre cet abus, Jean-

Conrad de Reinach exigea, selon les décisions conciliaires, que les religieux aient l’approbation

de l’ordinaire pour exercer un ministère. De même, un examen préalable sera requis : la « cura

animarum ». Le prince-évêque rappela aux religieux que la « cura animarum » n’annulait en

aucune façon les engagements passés contractés avec un supérieur religieux. (30)

Une première

ébauche de restauration religieuse était tracée. (31)

L’évêque de Bâle savait qu’elle ne pouvait

suffire. Il fallait aller plus loin, soigner le mal à sa racine. Autrement dit, il fallait développer le

nombre des clercs séculiers et leur donner une formation solide, appropriée à la tâche du

ministère. Ce n’était pas en prenant des mesures policières contre les abus existants, ni en

édictant des lois pour éviter des conflits de juridiction que le clergé allait se réformer. Une

institution devenait urgente : le séminaire tridentin.

(24)

AEBP, lettres françaises de Jean-Conrad de Reinach (1717-1727), fasc. n° 389, p. 128 (document

daté du 20 octobre 1718). (25)

Id., pp. 133-134. (26)

Ibid.

(27)

Id., pp. 20-22. (28)

AEBP, Synodalia 1511-1765 (document daté du 15 avril 1715). (29)

Concil. Trident. de reform. sess, 23. c. 15. cap. 11. (30)

AEBP, Synodalia 1511-1765 (document daté du 15 avril 1715). (31)

Le prince-évêque entend mener la restauration religieuse dans l’ordre et avec des gens compétents.

En effet, en 1720 des capucins demandèrent à la congrégation propaganda fide la possibilité d’avoir droit

aux mêmes facultés que celles qu’ils avaient in partibus infidelium. Ceci voulait dire que les capucins

s’arrogeraient quelques parties de l’autorité épiscopale. Le prince-évêque s’y opposa, voyant là une cause

de désordre pour son diocèse, car ceci diminuerait la subordination des clercs. D’autre part, Jean-Conrad

affirma que, si la situation du diocèse rendait nécessaire une telle mesure, il confierait cette charge à

d’autres ordres, « qui par leur science se trouvent constamment de beaucoup supérieurs à celui des

capucins. »

48

4.2 Jean-Conrad de Reinach et la fondation du séminaire :

une profonde entreprise de renouveau religieux

Dans une lettre pastorale datée d’octobre 1716, Jean-Conrad de Reinach expose l’intention de

fonder un séminaire. (32)

Le document témoigne de la piété de l’évêque et du réalisme de son

projet de restauration religieuse.

Dans la première partie de la lettre pastorale, l’évêque de Bâle expose ce qu’est le sacerdoce

selon les Ecritures, les conciles et les Pères. (33)

Il y rappelle que le sacerdoce est la dignité des

dignités, comparée à celle des anges. En effet, un Dieu incarné a élevé le sacerdoce au-dessus

des anges. De plus, le prêtre reproduit un Dieu sur les autels. (34)

Il offre avec Jésus-Christ le

sacrifice éternel. Lorsqu’il consacre la divine Eucharistie, il parle comme Jésus-Christ, en son

nom. Il reproduit un Dieu et lui donne une nouvelle existence : « nouvelle présence réelle, à la

façon des corps, et à la façon des esprits en même temps ... présence réelle plus admirable que

celle des corps et des esprits, en même temps. » (35)

Jean-Conrad de Reinach explique le sacerdoce comme dignité des dignités en se référant à

l’ancien testament. L’habit mystérieux des grands-prêtres, leurs entrées dans le sanctuaire avec

tant de cérémonies, la multitude et la variété des sacrifices, l’autorité des prêtres parmi les

Israélites sont autant de signes faisant du sacerdoce la dignité des dignités. (36)

Quant au nouveau

testament, St. Pierre ne qualifie-t-il pas le sacerdoce comme la dignité royale : Regale

Sacerdotium. (37)

Cependant, les rois règnent sur les corps et sont limités par le temps. Le prêtre

règne sur les âmes et touche ainsi à l’éternité. (38)

Le prince et l’évêque de Bâle s’attribue ainsi

indirectement le pouvoir des deux glaives, dans le sens théologico-politique formulé depuis le

XVII siècle. (39)

Evêque de l’Eglise catholique et prince dûment mandaté, il en a le droit.

Puis le prince-évêque de Bâle en vient à présenter les deux dispositions que le concile de Trente

exige du prêtre, à savoir la vertu et la science. (40)

Jean-Conrad précise : « une vertu qui ne soit

pas commune » et « une science qui ne soit pas médiocre ». (41)

Et de décliner l’embarras que lui

cause un prêtre sans vertu et sans science. (42)

(32)

AEBP, Synodalia 1511-1765 - lettre pastorale de son Altesse Monseigneur l’Evêque de Bâle,

(document daté du 8 octobre 1716). (33)

Id., pp. 16-21. (34)

Ibid. (35)

Ibid. (36)

Id., pp. 21-22. (37)

Id., pp. 22-23. (38)

Ibid. (39)

Dict. Catholicisme, art. glaives (deux), t. V, col. 39-42. (40)

AEBP, Synodalia 1511-1765 - lettre pastorale de son Altesse Monseigneur l’Evêque de Bâle,

(document daté du 8 oct. 1716), p. 23.

49

Sans vertu, le prêtre ne peut subsister dans le sacerdoce. Il y sera à charge, sans considération. Il

y trouvera du chagrin, de l’inquiétude, du mépris, voire du rebus. De plus, sans vertu le prêtre ne

pourra souffrir la préférence des autres. Aussi, il languira dans l’état ecclésiastique, toujours

exposé à de grandes tentations. Il aura à encourir les reproches de sa conscience et à soutenir des

combats et des tourments intérieurs. La conséquence de ceci : le prêtre n’aura pas de zèle pour

le salut des âmes. Il ne pourra gagner le cœur des fidèles. De plus, il ne servira pas d’exemple

aux autres et ne les portera pas vers Dieu. Quant à la conversion des hérétiques et des impies,

elle lui sera difficile, si ce n’est impossible. (43)

Après avoir tracé le portrait du prêtre sans vertu, et ceci avec beaucoup de psychologie, le

prince-évêque détaille les embarras que cause le manque de science.

Sans science, le prêtre n’ose paraître dans l’état ecclésiastique. Il y est inutile et n’y a point de

rang. De plus, il lui est difficile de trouver de l’occupation, puisqu’il en est incapable. En

période de combat contre l’erreur, surtout contre le protestantisme et le jansénisme, sans science

le prêtre est toujours hors d’action. Ne pouvant se cacher, il est exposé à de grandes confusions.

Autant dire que l’amertume et le chagrin secret le poursuivront toute sa vie. Et qui plus est, il ne

pourra guider et élever les âmes, ni pénétrer les données de la révélation. Il aura grande peine à

parler en public pour détromper les fidèles du monde et les en retirer. Autrement dit, il lui sera

impossible de désarmer les hérétiques et d’en réduire ainsi le nombre. (44)

Jean-Conrad de Reinach parle avec pertinence de ceux qu’il rencontre dans son diocèse, prêtres

livrés à eux-mêmes, peu zélés à vivre les vérités de la foi chrétienne et à les faire partager par un

enseignement approprié. A consulter les nombreux dossiers relatifs à la situation du clergé au

début du XVIII siècle, il semble que le prince-évêque nous en donne un aperçu réaliste et

nullement exagéré. La situation était alarmante. Le concubinat, les vices de toute sorte,

l’incompétence à enseigner les vérités catholiques étaient choses habituelles. Aussi nous

comprenons l’insistance de Jean-Conrad de Reinach à encourager son clergé à vivre

vertueusement et à approfondir avec intelligence les vérités révélées.

La vertu et la science. La vertu est première, car c’est elle qui fait les saints. (45)

Mais pour le

prêtre, il faut la vertu et la science. La science est nécessaire pour « enseigner, prêcher,

confesser, diriger, instruire, converser. » (46)

« La vertu qui n’est pas savante dans l’état ecclésiastique, est non seulement une vertu fort

imparfaite, puisqu’elle n’arrive pas à sa fin, et qu’elle ne prend pas les moyens d’y arriver, qui

est la science. C’est une vertu étrangère, puisqu’elle n’est pas de son caractère, et qu’elle

manque à son état. C’est une vertu de la dernière faiblesse, qui ne mérite presque pas le nom de

vertu, puisqu’elle n’est propre à rien, on ne peut s’en aider ; on ne peut s’en servir dans tout un

diocèse ; elle ne profite à personne. » (47)

Pour l’Eglise, la science est nécessairement liée à la

vertu. Le prêtre sans science manquerait au caractère essentiel de sa mission, celui de

l’enseignement des vérités révélées : « Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle

à toute la création. » (Mc. 16,15.) Cependant, l’Eglise demande au prêtre d’avoir une science

qui soit vertueuse, et non cette science qui est enflure du cœur et provoque beaucoup

d’applaudissement, mais peu de conversion, beaucoup de brillant, mais peu de solidité,

beaucoup de lumière et de connaissance, mais pas d’amour de Dieu ni du prochain, beaucoup

(41)

Ibid. (42)

Id., pp. 24-26. (43)

Pour l’ensemble de ce portrait du prêtre sans vertu : Id., pp. 24-26. (44)

Pour l’ensemble de ce portrait du prêtre sans science : Id., pp. 24-26. (45)

Id., p. 26. (46)

Id., p. 29. (47)

Id., p. 31.

50

d’apparence, mais peu de fond et d’intérieur. (48)

Le prince-évêque veut des « saints » qui

enseignent.

Et de justifier encore la nécessité de l’étude :

« Quitterons-nous l’étude, qui nous est nécessaire pour défendre l’Eglise, lorsque les ennemis de

l’Eglise étudient sans cesse pour l’attaquer ? » (49)

De plus, face au nombre considérable des

bénéfices et des cures importantes et difficiles qui sont vacantes, ce n’est pas en y plaçant des

ignorants que la vie religieuse y progressera. (50)

Pour ses lecteurs qui auraient des doutes sur la nécessité de la science, Jean-Conrad de Reinach

insiste, étayant son propos de références bibliques nombreuses.

« Eruditis intersum cogitationibus » (Prov. 8, 12.) :La Sagesse conduit le prêtre, car la science

est un don d’en-haut. (51)

Mais, si la science élève le prêtre, sa mission l’oblige à élever les

autres vers Dieu : « Praeceptum sempiternum est in generationes vestras, ut habeatis

scientiam… doceatisque filios Israël omnia legitima mea. » (Lev. 10, 11.) S’élever et élever vers

Dieu. Sauver les autres, en se sauvant soi-même (52)

: « Attende tibi et doctrinae. Hoc enim

faciens, et teipsum salvum facies, et eos qui te audiunt. » (1 Tm 4, 16.)

Le diocèse eut à souffrir de nombreux malheurs. Pendant ce temps, le vice et l’ignorance y ont

prospéré. Le prince-évêque poursuit sa lettre pastorale en faisant un inventaire rapide des

conséquences. (53)

Les sectes se sont multipliées et les sanctuaires sont déserts. L’évêque a été chassé de sa

cathédrale et le haut-chapitre éloigné. Le sacerdoce fut banni, l’eucharistie ignorée, les

prédicateurs catholiques ont été réduits au silence. Les tribunaux de la pénitence ont été

renversés et les religieux exilés.

Le prince-évêque décrit la situation de la partie protestante de ses anciens états. Afin d’éviter

que de telles hérésies progressent, Jean-Conrad de Reinach avertit solennellement son clergé de

la fondation du séminaire, une maison où de jeunes gens se prépareront à devenir des ouvriers

apostoliques et des missionnaires au contact de la vertu et de la science. Cette institution aura

pour conséquence de soutenir la discipline de l’Eglise, d’élever la piété, de servir d’exemple à

tous, d’avoir soin des pauvres, de les instruire et de faire croître le respect à l’égard des choses

saintes. (54)

L’œuvre est ambitieuse. Quels moyens Monseigneur l’évêque de Bâle envisageait-il

de prendre ?

Il mit en place un programme d’étude très complet. Il nomma un régent de théologie morale, un

autre de théologie scolastique. A ceux-ci s’ajoutèrent deux régents de philosophie. Un poste de

professeur en droit canon fut mis à l’étude. (55)

Le séminaire fut confié aux Pères de la Compagnie de Jésus. Le succès du collège de Porrentruy

où ils enseignent et le fait que l’éducation était partie intégrante de leur vocation religieuse

encouragea l’évêque à leur confier le séminaire. Ainsi, il sera aisé d’assurer la continuité de

l’institution, « le corps de la société étant immortel, et rempli d’hommes distingués. »(56)

(48)

Id., p. 26. (49)

Id., p. 33. (50)

Id., p. 35. (51)

Id., p. 41. (52)

Id., p. 42. (53)

Id., pp. 45 ss. (54)

Id., pp. 2-4. (55)

Id., pp. 47-48. (56)

Id., pp. 9-14.

51

Par le séminaire, non seulement la science sera à l’honneur, mais aussi la piété. Le séminaire

favorisera l’exactitude du chœur, l’assiduité aux offices, la beauté du chant, la majesté des

cérémonies et la discipline ecclésiastique. (57)

Monsieur de Reinach terminait sa lettre pastorale en invitant le clergé à une vie exemplaire. Si

l’on avait à se plaindre du mépris du monde pour le sacerdoce, n’était-ce pas que les

ecclésiastiques ne prêchaient pas par l’exemple :

« Car enfin que peut-on penser dans le monde, de tant de prêtres qui ne savent ce que c’est

qu’oraison mentale, et qu’union avec Dieu ? Qui disent la messe avec si peu de dévotion et de

modestie ? Qui récitent le bréviaire avec tant d’égarement et de distractions ? Qui ne pensent

qu’à amasser du bien ? Qui n’ont ni livres spirituels, ni livres d’études ? Qui passent la journée à

jouer et à se divertir ?

Que peut-on penser de tant d’ecclésiastiques, qui ont honte de le paraître, de porter l’habit long,

même pour dire la messe, les cheveux courts, la couronne et le petit collet, qui sont vêtus en

mondains, qu’on ne peut reconnaître, à l’épée près, s’ils sont cavaliers, ou gens d’Eglise, où l’on

ne voit ni vie ni conduite selon leur état ? » (58)

Le prince-évêque précisa enfin que, pendant les vacances, le séminaire recevra les curés pour

des retraites. (59)

Le séminaire touchera de la sorte le futur clergé et le clergé en ministère. Tout

prêtre peu enclin à la vertu et à la science pourrait aussi être invité à faire un séjour au séminaire

pour complément de formation et d’information. A partir de la fondation du séminaire, la

plupart des procès contre des membres du clergé prévoiront comme peine un petit séjour dans

cette institution. Ce sera pour le prince-évêque un motif d’échange de lettres avec la cour de

Versailles.

En effet, la Haute-Alsace, politiquement liée au royaume de France depuis 1648, dépendait de la

juridiction spirituelle du prince-évêque de Bâle. Or, lorsque le tribunal ecclésiastique de Jean-

Conrad de Reinach prononçait une condamnation contre un prêtre alsacien, condamnation

impliquant très souvent un séjour au séminaire de Porrentruy, le condamné avait recours au

tribunal supérieur d’Alsace, qui s’opposait la plupart du temps au jugement du prince-évêque.

Le souci pastoral de l’évêque de Bâle ne pouvait lui faire oublier sa mission en Haute-Alsace.

Dans ce sens, il écrivit au régent de France, le duc d’Orléans :

« D’ailleurs vous ne voudrez pas Monseigneur que j’eus la mortification de voir mon clergé

d’Alsace vivre dans le libertinage et dans le dérèglement, pendant que celui des terres suisses et

des miennes vivrait dans l’ordre prescrit par l’Eglise et selon les sentiments qui leur sont

inspirés dans les séminaires. »(60)

Monsieur de Reinach n’avait aucun intérêt à s’attirer des ennuis à la cour de Versailles. Son

devoir pastoral passa avant toute chose. Il ne craignit pas à maintes reprises de faire valoir son

droit de regard et de juridiction sur le clergé d’Alsace, non pas qu’il y eût quelque intérêt

politique, mais par « obligation envers Dieu et l’Eglise. » (61)

On le voit, s’il a fondé un séminaire à Porrentruy, ce n’était pas, comme certains de nos

contemporains veulent bien le dire et l’écrire, par souci d’influencer le peuple par

l’intermédiaire d’un clergé habile, soumis et uni. « La première raison, qui m’y a porté a été la

disposition de l’Eglise qui oblige tous les Evêques à dresser de pareils séminaires dans leurs

diocèses, et la seconde était le dérèglement, l’ignorance et le libertinage qui commençait à se

(57)

Id., p. 7. (58)

Id., pp. 51-52. (59)

Id., p. 54. (60)

AEBP, lettres françaises de Jean-Conrad de Reinach (1717-1727), fasc. n° 389, pp. 112-115

(document daté du 28 avril 1718). (61)

Ibid.

52

glisser dans mon clergé, le tout faute d’occasion à instruire les ecclésiastiques dans leurs

ministères, et à donner de vives corrections à ceux qui s’écartaient de leur devoir. » (62)

Le prince-évêque ne fit pas de son séminaire l’unique moyen de formation au sacerdoce. Il

n’empêcha pas les candidats à fréquenter d’autres établissements. Ainsi, les sujets de Porrentruy

et de l’Ajoie, sous la juridiction de l’archevêque de Besançon, n’ont jamais été empêchés d’aller

suivre leur formation dans le séminaire bisontin, « quoiqu’il soit bien éloigné et sous la

domination de sa majesté. »(63)

Mais le prince-évêque de Bâle, en vertu des lois prescrites par

l’Eglise, était en droit d’exiger un séjour minimum de neuf mois au séminaire de Porrentruy

pour avoir accès aux ordres ou recevoir des dimissoires. Une exception était faite pour ceux qui

étudiaient à Rome et à Strasbourg.(64)

Pourquoi, au nombre des exceptions, l’évêque ne

mentionne-t-il pas Besançon ? Il ne faut pas oublier qu’avant de choisir les Jésuites pour la

direction du séminaire, Jean-Conrad de Reinach avait eu l’intention de choisir des membres du

clergé bisontin. Malheureusement, le jansénisme s’était répandu là-bas par l’intermédiaire de

deux directeurs de séminaire. (65)

Jean-Conrad de Reinach éprouva une certaine méfiance à

l’égard du séminaire de Besançon.

Le jansénisme : y avait-il un véritable danger pour le diocèse de Bâle ? Du fait qu’une partie du

clergé de la principauté échappait à la juridiction de l’évêque de Bâle et se formait à Besançon,

il semble qu’un danger de « contamination » était plausible. D’autre part, à travers les frontières

l’erreur circule facilement, surtout que la principauté entretenait des liens commerciaux avec le

royaume de France.

Quelle force le jansénisme représentait-il au début du XVIII siècle ? (66)

Dans la seconde moitié

du XVII siècle, l’esprit conciliant du pape Clément IX et les soucis politiques de Louis XIV,

prêt à entrer en guerre avec la Hollande, permirent d’établir une trêve dans la querelle

janséniste. C’était la Paix de l’Eglise, rendue officielle en 1668. De part et d’autre, on évita les

publications polémiques. Les activités de Port-Royal se tournèrent davantage contre les

calvinistes.

Cependant divers incidents montrèrent la précarité de la Paix de l’Eglise. Le traité de Nimègue

qui libérait le roi du souci de la guerre, lui permit de s’adonner à nouveau à la lutte contre Port-

Royal, foyer de résistance à son pouvoir absolu. Diverses publications vinrent ranimer le débat,

dont la réédition, en 1696, de l’ « Exposition de la foi catholique touchant la grâce et la

prédestination » de Martin Barcos. En 1701, un cas de conscience sur la possibilité d’absoudre

un pénitent ne pouvant aller plus loin que le « Silence respectueux » encouragea les

controverses. Fénelon intervint, combattant le jansénisme avec vigueur. En 1703, on arrêta

Pasquier Quesnel, oratorien et érudit, auteur des « Réflexions morales ». On découvrit des

papiers qui mirent à jour l’organisation clandestine des jansénistes. Ceci souleva une fois de

plus l’inquiétude de Louis XIV qui demanda au pape une bulle contre le jansénisme. En 1705

fut donnée la Bulle Vineam Domini Sabaoth. Le « silence respectueux » y était condamné. La

bulle pontificale eut comme effet de ranimer la querelle. Devant le refus obstiné du document

romain par les religieuses de Port-Royal, Louis XIV dut se résoudre à faire détruire les

bâtiments et disperser la communauté. Dans le même temps, une querelle entre Quesnel et

Fénelon risqua de diviser l’épiscopat. En effet, certains évêques s’étaient regroupés derrière

(62)

Ibid. (63)

Ibid. (64)

AEBP, Synodalia 1511-1765 – lettre pastorale de son Altesse Monseigneur l’Evêque de Bâle

(document daté du 8 octobre 1716), cf. le règlement d’admission à la suite de la lettre pastorale. (65)

L. Vautrey, Histoire des évêques de Bâle, II, pp. 285-286. (66)

Notre but n’est pas de faire une histoire développée du jansénisme au début du XVIIIe siècle, mais

de donner quelques indications qui nous permettent de mieux comprendre l’attitude de Jean-Conrad

de Reinach. Pour ce faire, nous nous inspirons de : L. Cognet, art. Jansénisme, ds dict. Catholicisme,

t. VI, col. 313 ss.

53

Louis Antoine de Noailles, archevêque de Paris et défenseur des jansénistes, d’autres derrière le

Père le Tellier, confesseur du roi et organisateur d’une campagne contre les « Réflexions

morales » de Pasquier Quesnel. Dans ce conflit grandissant, le roi fit à nouveau appel au pape,

qui publia la bulle Unigenitus Dei Filius (8 septembre 1713), condamnation de cent-et-une

propositions extraites des « Réflexions morales ».

La bulle Unigenitus ne suffit pas à calmer les esprits. Le Parlement refusa de donner son

approbation au document. Il attendait que les évêques se soient prononcés. On fut obligé de

convoquer une Assemblée du clergé, sous la présidence de Monseigneur de Noailles. Ce dernier

et huit autres évêques s’opposèrent à la déclaration pontificale. Finalement, Louis XIV obligea

le Parlement à reconnaître la bulle Unigenitus. En août 1714, cent-douze évêques acceptèrent la

bulle, alors qu’une quinzaine s’y opposait.

La mort de Louis XIV changea la situation. Philippe d’Orléans prit le parti des jansénistes.

Lorsqu’en 1717, quatre évêques exigèrent la convocation d’un concile général sur la bulle

Unigenitus, le régent changea de tactique et soutint le document romain. Mais

l’excommunication des appelants ne vint pas à bout du conflit.

C’est dans ce contexte de lutte extrêmement périlleuse pour l’Eglise que Jean-Conrad de

Reinach reçut en 1718 de Monseigneur Firrao, nonce en Suisse, les lettres apostoliques

Pastoralis Officii « contre ceux qui refusèrent d’accepter la célèbre constitution Unigenitus. » (67)

Dans sa réponse à Monseigneur le nonce apostolique, l’évêque de Bâle se dit « pénétré de

douleur à voir une division si funeste dans un si vaste Royaume. » (68)

Et de rendre grâce au St.

Père « d’avoir enfin usé de l’autorité que Dieu lui a mise en main, d’avoir affermi ceux qui

paraissaient chanceler, et d’avoir mis une digue à l’erreur pour qu’ (elle) ne se répandit point

dans le reste de la chrétienté. » (69)

Puisque les efforts antérieurs du St. Siège ont été inutiles,

Jean-Conrad applaudit à la fermeté devenue nécessaire.

A en croire la lettre au nonce apostolique, les idées jansénistes n’avaient pas pénétré dans la

principauté de Porrentruy : « Je redoublerai mes soins, et ma vigilance pour contenir mon clergé

et mon diocèse dans l’obéissance qui lui est due, et pour en éloigner les nouveautés, qui n’y sont

connues pour le présent que comme condamnées par une bulle dogmatique émanée de la Chaire

de St. Pierre. » (70)

Dès février 1715, la bulle Unigenitus avait été promulguée dans tout le diocèse. (71)

En 1719, le

document fut imprimé à Porrentruy. Dans l’introduction au document pontifical, l’évêque glose

sur le texte de Tim. 3, 1. : « Scito quod in novissimis diebus instabunt tempora periculosa » ; et

sur le texte de Tit. 1, 10 : « Sunt enim multi etiam inobedientes, vaniloqui et seductores… »

Jean-Conrad de Reinach dit avoir entendu que dans les terres proches du royaume de France de

faux prophètes « in vestimentis ovium quidem venientes » (72)

et des évêques « qui primas

Cathedras occupant » (73)

soutiendraient les thèses jansénistes. « Quanta vero scandala publica,

quae turbatio, qualis confusio praesertim in toto hoc inclyto Galliae Regno … nemo non scit ? » (74)

Aussi, pour prévenir de tels dangers dans la principauté, Jean-Conrad de Reinach incita tous

(67)

AEBP, lettres françaises de Jean-Conrad de Reinach (1717-1727), fasc. n° 389, p. 130 (document

daté du 1er octobre 1718). (68)

Ibid. (69)

Ibid. (70)

Ibid., (cf la conclusion de la lettre). (71)

AEBP, Synodalia 1511-1765 – Epistola Pastoralis Reverendissimi in Christo Patris, D. Joannis

Conradi, Episcopi Basileensis (document daté du 13 janvier 1719), cf introduction à la bulle Unigenitus. (72)

Id., p. 4. (73)

Ibid. (74)

Id., p. 6.

54

les fidèles à l’obéissance au souverain pontife, successeur légitime de l’apôtre Pierre, vicaire du

Christ sur terre et juge infaillible en matière de foi. (75)

Après avoir donné connaissance du texte intégral de la bulle Unigenitus, Monsieur de Reinach

affirmait à nouveau qu’à sa connaissance le jansénisme (perversa doctrina) n’avait pas pénétré

dans son diocèse. Mais il crut bon de rappeler les peines encourues par ceux qui adhéreraient à

de telles nouveautés. (76)

Et de terminer en exhortant les fidèles à garder l’unité : « Ut unanimes

nobiscum sentiatis. » (1Co 1, 10.) Le document se termine par une brève catéchèse sur l’autorité

en laquelle tout catholique croit. « Ecce Aucthoritatem cui credimus, ecce Doctrinam quam

sequimur. » (77)

L’évêque de Bâle reprend le texte de la confirmation de la primauté de Pierre

(Mt 16, 18.) et poursuit en affirmant que le ministère y prend sa source :

- Pasce oves meas. (Jn 21, 17.)

- Confirma Fratres tuos. (Lc 22, 32.)

- Quodcumque solveris et ligaveris super terram… (Mt 16, 19.)

- Qui vos audit, me audit. (Lc 10, 16.)

- Qui autem Ecclesiam non audierit sit sicut Etnnicus et Publicanus. (Mt 18, 17.)

- Non estis vos qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri qui loquitur in vobis. (Mt 10, 20.)

Cette autorité, celle du souverain pontife, était-elle respectée dans tout le diocèse, c’est-à-dire

l’Alsace française comprise ? A notre connaissance, nous devons répondre par l’affirmative. Si

en 1723 le nonce apostolique demanda à l’évêque de Bâle des renseignements sur la doctrine de

Dom Mathieu petit Didier et les religieux de son ordre en Lorraine, (78)

doctrine quant à la

constitution Unigenitus, il n’y avait aucune trace de jansénisme dans le dit monastère. Le père

abbé Dom Mathieu « passe dans l’esprit de tous les gens de bien pour un religieux d’une vertu

singulière, tant par rapport à sa profonde doctrine que par le soin qu’il se donne de faire

observer la discipline régulière dans la congrégation de St. Vannes et Hydulphe en Lorraine… » (79)

La constitution Unigenitus a été acceptée par les religieux et ceux « qui témoignaient

quelque répugnance à s’y soumettre, il les a dépouillés de tous les emplois qu’ils avaient dans

leur maison. » (80)

L’abbaye de Münster, qui relevait directement du diocèse de Bâle et qui

recevait des religieux de la dite congrégation, s’était aussi soumise au document romain « sans

la moindre répugnance ». (81)

A notre connaissance, ce fut la seule circonstance où Jean-Conrad

de Reinach eut à mener une enquête pour éventuellement dénoncer des idées jansénistes. Il n’en

était rien. Au contraire, il put donner connaissance de l’obéissance exemplaire des religieux.

Le prince-évêque veillait à la fidélité des clercs et des religieux. Il s’intéressa aussi à celle des

fidèles. En 1718, alors que le jansénisme touchait la Franche-Comté et devenait sujet de

conversation pour de nombreux esprits, Jean-Conrad de Reinach organisa des missions à travers

tout le diocèse. N’était-ce pas le bon moyen d’empêcher l’erreur de pénétrer dans le diocèse :

protéger de la fausse doctrine en instruisant.

Les exercices commencèrent en janvier 1718 et furent prêchés par le père Charles Maillardoz de

la compagnie de Jésus, prédicateur connu en pays fribourgeois. (82)

Il fut accompagné de trois

autres pères. Leur prédication atteignit l’ensemble du diocèse : Laufon, Therwyl (83)

, Glovelier,

(75)

Id., p. 5. (76)

Id., pp. 28-29. (77)

Id., p. 31. (78)

Le nonce demanda un renseignement sur une abbaye de Lorraine dépendant de l’évêque de Verdun.

Par ce biais, l’évêque de Bâle informa le nonce de la situation de l’abbaye de Münster, sous juridiction

bâloise. (79)

AEBP, lettres françaises de Jean-Conrad de Reinach (1717-1727), fasc. n° 389, pp. 232-235

(document daté du 11 novembre 1723). (80)

Ibid. (81)

Ibid. (82)

L. Vautrey, Histoire des évêques de Bâle, II, p. 294. (83)

De nombreux habitants de Bâle, malgré un interdit, y accoururent.

55

St. Ursanne, Delémont, Saignelégier, Porrentruy, le Fricktal (84)

, Charmoille, Roggenbourg,

Corban, Bellelay. (85)

Quel fut le fruit de ces missions ? « C’est dans ces grandes missions que

s’établirent dans le Jura la récitation des prières du matin et du soir, le chapelet, le chant de

cantiques à la place de chants profanes, l’examen de conscience, la fréquentation des

sacrements, l’assistance à la messe de chaque jour… » (86)

Le péril janséniste semblait très éloigné du diocèse de Bâle. Jean-Conrad de Reinach avait pris

des mesures pour y contribuer : le séminaire de Porrentruy, qui éveilla le nouveau clergé à

motiver sa fidélité à l’Eglise ; la restauration religieuse dans la masse populaire par

l’organisation de missions. Aussi, nous comprenons les remerciements que le pape adressa au

prince-évêque par l’intermédiaire du nonce apostolique. L’attitude de l’évêque de Bâle fut

guidée par le souci de servir l’Eglise : « La conduite que j’ai tenue et que je tiendrai toujours à

l’égard des constitutions Unigenitus et Pastoralis n’a d’autre fondement que le devoir de mon

caractère … je ne pourrai jamais m’écarter de la vérité. » (87)

Dans toutes les activités qui marquèrent son épiscopat, Jean-Conrad de Reinach sut manifester

son attachement au souverain pontife et son désir profond de servir l’Eglise locale qui lui avait

été confiée. Loin de lui l’idée de former une élite qui lui permettrait de mieux gouverner

politiquement. S’il ne pouvait dissocier ses responsabilités politiques de sa mission d’homme

d’Eglise, c’est que catholique, il ne pouvait distinguer la prédication de la Bonne Nouvelle de sa

réalisation dans les œuvres. Le prince et l’évêque ne pouvaient dissocier spirituel et temporel.

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach eut le mérite de donner à ces deux missions un seul critère :

la vérité. Il ne s’agissait pas pour lui de donner dans la combine, utilisant une situation pour en

soutenir une autre, mais plutôt de mener de front deux idéaux qui n’avaient qu’un seul but :

servir Dieu et les hommes – servir les hommes dans l’idéal chrétien, servir Dieu en aimant le

prochain, c’est-à-dire ses sujets.

(84)

Une partie de l’actuel canton d’Argovie. (85)

De nombreux protestants du sud prirent part à la mission et se déclarèrent prêts à se convertir au

catholicisme si Berne ne s’y opposait pas : cf Vautrey, op. cit. , II, p. 297. (86)

L. Vautrey, op. cit. , II, p. 297. (87)

AEBP, lettres françaises de Jean-Conrad de Reinach (1717-1727), fasc. n° 389, p. 137

(document daté du 9 mars 1719).

56

CONCLUSION

« Il faut de grandes vertus pour être connus et admirés, ou peut-être de grands vices. »

La Bruyère, Les Caractères

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach : fanatique de ses droits, jaloux de son autorité, ambitieux et

remuant, rusé et violent, tyran, barbare, Néron mitré, oppresseur des pauvres et des petits.

Ce sont des qualificatifs qui ne tiennent pas devant le portrait que nous découvrons à travers les

faits, ceux de l’histoire et non ceux de l’imagination à dessein politique.

Dûment mandaté pour le service de ses sujets, il sut envisager des mesures énergiques et

réalistes pour sauver son pays de la misère et lui donner le rang qu’il méritait. La politique

étrangère du prince et ses recherches d’alliance avaient comme visée de sauvegarder la

neutralité de ses Etats et de leur assurer ainsi paix et prospérité. Les réformes de la politique

intérieure, telles que les prévoyait l’Ordonnance, nécessitaient de semblables mesures

diplomatiques, car la principauté n’avait ni force militaire, ni force économique. Le seul garant

de la sécurité du pays : une saine diplomatie. Si le prince-évêque demanda le soutien de la

France, ce ne fut pas par ingratitude envers l’empire : l’indifférence des cantons catholiques et

l’impossibilité de voir des troupes impériales lui porter secours l’obligèrent à recourir à cette

solution ultime. Les lois le lui permettaient dans la mesure où l’empereur n’était pas lésé.

Malheureusement, la principauté devint un terrain de jeu intéressant lors de conflits entre la

France et l’empire. La guerre terminée, elle n’était plus qu’un territoire ignoré, livré à lui-même.

Le prince n’avait plus qu’à se démêler seul, avec comme arme les bons conseils et de l’empire,

et des cantons catholiques, et de la France. Une flatterie intéressée. Une ingratitude malhonnête.

Deux prouesses que Jean-Conrad connaissait bien pour les avoir subies !

Dans une situation périlleuse, le prince-évêque eut la grandeur de tenir ferme le gouvernail de

ses Etats. Son critère ne fut pas le compromis, mais la vérité. Ici était sa véritable ambition.

Toute son activité d’évêque à l’égard de ses sujets en porte témoignage. Alors qu’il aurait pu

avoir le dessein de contrôler le clergé afin de mieux régner, il n’en fut rien. Lors de la fondation

du séminaire, le bien spirituel des fidèles était son unique préoccupation. Il voulut des prêtres

vertueux et savants par respect des vérités à annoncer et par respect de ses sujets. Le renouveau

religieux par la fondation du séminaire ne s’arrêtait pas à l’idée de former une élite de prêtres.

Elle avait comme but un renouveau global : celui des prêtres et des fidèles, dans l’obéissance au

Magistère de l’Eglise.

Notre portrait de Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach est loin d’être complet. Vu le caractère

limité de notre essai, il manque certainement à notre dossier des documents éclairants.

Cependant, nous sommes obligés de reconnaître, en réponse à des propos relevant de la

calomnie et du manque de sérieux intellectuel, que Jean-Conrad de Reinach fut un grand

politique et un saint évêque.

57

Issu de l’aristocratie, il ne comprit pas toujours l’âme populaire. Cependant, face aux

perspectives restreintes de certains de ses sujets, il manifesta une attitude courageuse et

héroïque, celle des personnes qui savent où elles vont.

58

BIBLIOGRAPHIE

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60

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62

ARTICLES

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geschichtliche Verwirklichung, ds Theologische Quartalschrift 144

(1964), pp. 12-30.

64

TABLE DES MATIÈRES

pages

INTRODUCTION ...................................................................................... 3

CHAPITRE 1 Le pouvoir temporel des princes-évêques de Bâle :

un pouvoir usurpé ou la gérance d’un bien légitime ? .......................... 5

1.1 Le pouvoir temporel des évêques de Bâle : son origine ....................... 6

1.2 Un souci de service : le gouvernement des princes-évêques ................ 10

CHAPITRE 2 Esquisse de l’œuvre des prédécesseurs immédiats de

Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach ...................................................... 15

CHAPITRE 3 Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach :

le gouvernement d’un prince chrétien .................................................. 19

3.1 Politique extérieure : ............................................................................. 21

3.1.1 les difficultés avec Berne ...................................................................... 22

3.1.2 les incidents avec la France et l’empire ................................................ 23

3.2 Difficultés intérieures, une période d’épreuves : ..................................

3.2.1 la peste de 1709 .................................................................................... 26

3.2.2 l’Ordonnance de 1726 .......................................................................... 27

3.2.3 les Troubles (1726-1741) ..................................................................... 33

CHAPITRE 4 Jean-Conrad de Reinach-Hirtzbach :

l’œuvre d’un évêque soucieux du bien spirituel de ses sujets .............. 42

4.1 Le concile de Trente et la réforme du clergé :

répercutions dans le diocèse de Bâle .................................................... 43

4.2 Jean-Conrad de Reinach et la fondation du séminaire :

une profonde entreprise de renouveau religieux ................................... 48

CONCLUSION ................................................................................................................ 56

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................ 58