45
JEAN DE BOURGOGNE DUC DE BRABANT, COMTE DE NEVERS ET LE PROCÈS DE SA SUCCESSION (1415-1525). Limité au nord par le Gâtinais, le duché d'Orléans et le comté d'Auxerre, au sud par le Bourbonnais, confinant au Berry par sa frontière occidentale, et rattaché à l'est au duché de Bour- gogne, le comté de Nevers formait à la fin du moyen âge un fief important dont le territoire couvrait 250 lieues carrées ou envi- ron. La situation qu'il occupait au coeur de la France, entre les domaines héréditaires des maisons de Bourgogne, d'Orléans et de Bourbon, ne pouvait laisser le gouvernement royal indifférent à ses destinées, d'autant que cette province était du ressort du parlement de Paris; aussi ne faut-il pas être étonné de voir l'autorité souveraine intervenir dans les contestations qui, du vivant même du dernier comte de Nevers de la maison de Valois et après sa mort, survenue en 1491, mirentsles armes aux mains de ses héritiers naturels, troublèrent la paix du Nivernais et ne s'apaisèrent, après un quart de siècle de procédures, que par un coup d'arbitraire du roi Louis XII. Cet épisode de l'histoire de France méritait quelque chose de plus que les courtes pages qui lui ont été consacrées par l'annaliste nivernais Goy Coquille'; mais les documents semblaient manquer pour le compléter, car les archives de la maison de Bourgogne-Nevers ont en grande partie disparu 2 . Par une heureuse fortune, de ces témoignages du t. Coquille, avocat au parlement de Paris et procureur général de Nivernais pour Ludovic de Gonzague, due de Nevers, né en 1523, mort en 1603, est l'au- teur d'une estimable Histoire du pays et duché de Nivernais. Paris, 1642, in-4'. 2. Les archives de la Chambre des comptes de Nevers ont été brûlées en Document Dliii li Ii iii DHl lllIiI lii ,- 0000080 J

JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE

DUC DE BRABANT, COMTE DE NEVERS

ET LE PROCÈS DE SA SUCCESSION

(1415-1525).

Limité au nord par le Gâtinais, le duché d'Orléans et le comtéd'Auxerre, au sud par le Bourbonnais, confinant au Berrypar sa frontière occidentale, et rattaché à l'est au duché de Bour-gogne, le comté de Nevers formait à la fin du moyen âge un fiefimportant dont le territoire couvrait 250 lieues carrées ou envi-ron. La situation qu'il occupait au coeur de la France, entre lesdomaines héréditaires des maisons de Bourgogne, d'Orléans etde Bourbon, ne pouvait laisser le gouvernement royal indifférentà ses destinées, d'autant que cette province était du ressort duparlement de Paris; aussi ne faut-il pas être étonné de voirl'autorité souveraine intervenir dans les contestations qui, duvivant même du dernier comte de Nevers de la maison de Valoiset après sa mort, survenue en 1491, mirentsles armes aux mainsde ses héritiers naturels, troublèrent la paix du Nivernais et nes'apaisèrent, après un quart de siècle de procédures, que par uncoup d'arbitraire du roi Louis XII. Cet épisode de l'histoire deFrance méritait quelque chose de plus que les courtes pages quilui ont été consacrées par l'annaliste nivernais Goy Coquille';mais les documents semblaient manquer pour le compléter, carles archives de la maison de Bourgogne-Nevers ont en grandepartie disparu2 . Par une heureuse fortune, de ces témoignages du

t. Coquille, avocat au parlement de Paris et procureur général de Nivernaispour Ludovic de Gonzague, due de Nevers, né en 1523, mort en 1603, est l'au-teur d'une estimable Histoire du pays et duché de Nivernais. Paris, 1642, in-4'.

2. Les archives de la Chambre des comptes de Nevers ont été brûlées en

Document

Dliii li Ii iii DHl lllIiI lii,-0000080J

Page 2: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

B. DE MÂNDItOT,

passé, le célèbre cabinet formé au XVIr siècle par Philippe etHippolyte, comtes de Béthune, recueillit quelques épaves, et c'estainsi que, dès 1662, la Bibliothèque du roi s'est enrichie d'uncertain nombre de pièces de procédure et de mémoires du xv 6 etdu xve siècle relatifs à la querelle de la succession de Nevers'.Encore ne serait-il pas fort aisé d'en faire emploi sans un filconducteur et sans les renseignements plus circonstanciés quefournissent les archives civiles et criminelles du parlement deParis. Malgré des lacunes insuffisamment compensées par lesinutiles redites des avocats et la fastidieuse accumulation d'in-nombrables incidents de procédure, c'est là qu'on peut suivreles péripéties du grand débat qui mit aux prises les héritiers deJean de Bourgogne, Engelbert de Clèves, d'une part, et, del'autre, Jean d'Albret, seigneur d'Orval, et Charlotte de Bour-gogne, sa femme. On en saisira mieux l'intérêt lorsque nousaurons rappelé brièvement les origines de la question et retracéla carrière du prince qui, par les dispositions qu'il prit pour l'at-tribution de ses biens, fut l'auteur de cette querelle 2.

L

A n'envisager que le point de vue politique, on peut dire quedans le Nivernais, an xvt siècle, on devait se sentir eu terrepresque bourguignonne. En 1272, Yolande de Bourgogne, fille

1793. Seul, le trésor des chartes du comté de Rethel paraît avoir échappé à ladestruction. IL avait été transporté à Paris et il se trouve actuellement à Monaco.Cf. Saige et Lacaille, te Trésor des chartes de Rethel, t. I et il. Monaco, 1902-1904, in-4. Introd., t. I, xxxvii p.

1. Ces documents, qui paraissent avoir été distraits du dépôt de la Chambredes comptes de Nevers, remplissent presque entièrement les volumes de la col-lection Béthune cotés, à la Bibliothèque nationale, mss. fr . u" 2894, 2901, 2903et 2910. Les n" 2883, 2020, 2929 et 2933 renferment quelques pièces concer-nant le même litige.

2. Une autre source de renseignements sommaires est l'inventaire des titresde Nevers, dressé entre 1638 et 1641 par l'abbé de Marolles. L'original est à laBibliothèque nationale, mas, (r. 11576 et 11$77. Ce travail a été partiellementimprimé par le comte de Soultrait, sous ce titre Inventaire des titres deRevers de l'abbé de Marottes, suivi d'extraits 4es archives de Nevers et deL'inventaire de L'église de Bordes. Nevers, 1873, in-4'. Cf. Extrait de L'inven-taire général des titres du trésor de la Chambre des comptes de Revers, (aitpar le commandement de 3f"" Marie-Louise et Àstne de Gonzague, princessesde Mantoue, duchesses de Revers, de Ret/selois et de Moyenne, en 1638 (BibI.nat,, ms. fr. 20177, fol. 212 et suiv.).

Page 3: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION.

de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers, et d'Eudes de Bour-gogne, et veuve de Tristan, fils du roi saint Louis, avait pris uneseconde alliance avec Robert III, comte de Flandre, auquel elleapporta ses domaines de Nivernais. Louis 10r, leur fils, épousa lacomtesse de Rethel Jeanne (1290), et, de cette union, naquitLouis II, lequel s'unit à Marguerite de Franco, fille du roi Phi-lippe le Long, et mourut à Crécy en 1346, en laissant pour suc-cesseur son fils Louis III, dit de Male 1 . Celui-là, comte de Flandre,de Nevers et de Rethel, baron de Donzy et palatin de Bour-gogne, prit pour femme Marguerite, fille de Jean III, duc deBrabant (1437), et n'eut qu'une fille, Marguerite, qui, après lui,fut comtesse de Flandre, de Bourgogne, d'Artois, de Nevers et deRethel 2, etc, et mourut le 16 mars 1405, ayant successivementépousé (1457) Philippe de Rouvre, dernier duc et comte deBourgogne de la première race, puis (19 juin 1369) le quatrièmefils du roi Jean le Bon, Philippe le Hardi, premier duc de Bour-gogne de la maison de Valois. De cette seconde alliance sortit(1384) Antoine, auquel son père donna, comme à son second fils(l'aîné étant le duc de Bourgogne Jean sans Peur), les duchés deBrabant, de Lothier, de Luxembourg et de Limbourg. Il périt àAzincourt, en 1415, laissant un fils, Jean IV, duc de Brabant,qui mourut en 1427, sans laisser de postérité de sa cousine Jac-queline de Bavière (la femme aux quatre maris), comtesse deHainaut et de Hollande 3 . A Philippe, troisième fils du duc Plu-lippe le Hardi, échurent alors les comtés de Nevers et de Rethelet la baronnie de Donzy; il épousa la fille aînée de Philippe,comte d'Eu, et de Marie de Berry, Bonne d'Artois, et fut le pèrede Charles et de Jean de Bourgogne, qui furent, le second ayantsuccédé au premier, mort sans postérité en 1464, les dernierscomtes de Nevers et de Rethel de la maison de Valois.

De par la situation géographique de leur fief principal, lescomtes de Nevers durent se sentir assez mal à l'aise lorsque sedéclara la rivalité des branches française et bourguignonne desValois. Charles, bien que cousin germain de Philippe le Bon, selaissa, comme le dit Chastellain, « dessevrer de son nourrisseur »

t. C'est en faveur de Marguerite de France, veuve de Louis II, et de Louis 111,son fils, comte de Flandre, de Nevers et de Rethel, que Philippe W de Valoisérigea les comtés de Nevers et de Rethel en pairie, par lettres du 27 aoÛt 1347.

2. Cf. Bull. de ta Soc. nivernaise des sciences, lettres et arts, 1863, p. 279.3. Elle céda ses seigneuries à Philippe le Bon, duc de Bourgogne, en 1433,

et mourut en 1436 sans laisser de descendants.

Page 4: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

IL DE MANDROP.

le duc de Bourgogne et s'attacha au roi de France Charles VII,qu'il suivit contre les Anglais en Normandie et en Guyenne' etqui lui faisait payer une grosse pension. Plus tard, il semble êtreredevenu Bourguignon 2 sous l'influence de sa femme Marie, uned'Albret, fille de Charles II et d'Anne d'Armagnac, qu'il épousaen 1456 3. Au mois de juillet 1459, Charles VII n'en confirmapas moins l'érection jadis faite par Philippe de Valois du Niver-nais en comté-pairie 4 . Mais il est certain qu'à l'exemple de laplupart des princes français, le comte de Nevers, après la mortde Charles VII, ne put s'entendre avec son successeur. Aux fêtesdu sacre de Louis XI, en 1461, on voit le comte Charles figurer,à Reims et à Paris, dans le cortège vraiment royal de son cou-sin le duc de Bourgogne 5 . Deux ans avant le soulèvement duBien Public, dès 1463, Charles a décidément pris parti contre le•roi de France et a noué une alliance étroite avec son pireennemi, Charles, comte de Charolais, auquel il paraît avoir fait,pour l'avenir, transport du comté de Rethel. C'est à Hesdin sansdoute, à l'automne de 1463, que Louis XI fut instruit de cettedéfection. De Neufchâtel-en-Bray, où il se rendit, après avoircontraint Philippe le Bon à accepter le rachat des villes de laSomme, le roi expédie à Donzy l'évêque de Chartres, Miles d'Il-liers, avec mission de tancer vertement ce vassal insoumis. Il luirappelle que vainement à plusieurs reprises il a été sommé de serendre auprès de son suzerain et que vainement aussi ce dernier,depuis 1461, lui a fait remettre chaque année 13,000 francs de« bienfaits ». Poussé par sa femme, par le cadet d'Albret, sonbeau-frère°, et par des conseillers notoirement hostiles au roi de

1. De Beaucourt, met, de Chartes VII, III, 121, 228, et 1V, passim.2. Chastellain, 111, 440.3. c Ledit de Nevers, [qui] estoit venu jà à hault eage sans femme, s'estoit

condescendu, et par l'aggreement de son oncle, en l'alliance de geste maisond'Alebreth... La nouvelle mariée estoit moult belle dame et très humaine, syqueroit fort le duc à lui complaire... Les noces se seraient faites 4 Nevers,à une date voisine du mois d'août 1458, d'après Chastellain, III, 452, et duCtercq, 11, 289; mais l'extrait d'un inventaire des litres de Nevers de 1638, citéplus haut, date le traité de mariage de Bourges (sic pour Bruges?), 25 juin 1455(ma, fr. 20177, fol. 213); enfin le P. Anselme donne le H juin 1456, et cette datede 1456 est confirmée par un document du ms. fr. 2920, fol. 77 (xv' s.) mais ilest certain que la consommation du mariage fut postérieure au 6juillet de cetteannée (ibid.).

4. Anselme, III, 395.5. Chastellain, IV, 57, 86.6. Charles, seigneur de Sainte-Bazeille, etc., fils de Charles H d'Albret;

Page 5: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE E] LE PROCèS DE SA SUCCESSION.5

Franco, M. de Nevers rut nettement accusé d'avoir noué avecle comte de Charolais une intrigue coupable. Après avoir inti-midé le mari, l'évêque de Chartres répéta à la comtesse de Noyersses avertissements et ses menaces, et il ne se retira que lorsquele comte Charles, suffisamment effrayé, eut pris l'engagement,« en toute humilité », de porter incontinent ses excuses au roi'.Réussit-il à se disculper? Nous l'ignorons; mais, comme il mou-rut l'année suivante, la mission de l'évêque de Chartres ne putavoir de notables conséquences politiques.

Entre les motifs allégués par le comte de Nevers pour justifiersa désobéissance aux invitations de Louis XI, il en est un qui estfait pour surprendre. S'il avait tant « delayé » de se rendre auprèsdu roi, c'est, avait-il dit, qu'il redoutait les entreprises que sonfrère Jean, comte d'Étampes, y pourrait diriger contre sa per-sonne. Ces deux princes étaient donc des frères ennemis! Com-ment et depuis quand l'étaient-ils devenus? Tout coque l'on sait,c'est que cotte brouille n'était point ancienne 2, car, jusqu'à uneépoque peu éloignée de l'année 1463, leurs deux noms sont cons-tamment accouplés dans la chronique de Jean Chastellain. Il yavait bien eu quelques difficultés entre eux vers 1437 à l'occasiondu règlement de la succession paternelle

s; et, plus récemment,

lorsque Charles, l'aîné, s'était si fort rapproché du roi Charles VII,le cadet, Jean, était demeuré invariablement bourguignon; mais,en somme, jusqu'à l'avènement de Louis XI, aucune querellesérieuse n'avait éclaté entre les deux frères. A cette époque,on les trouve ensemble à Nevers, festoyant aux frais de la com-mune et comblés d'hommages par les échevins, tout heureux

Louis XI le lit décapiLer en 1472 pour l'avoir trahi à Lectoure. 0f. Mandrot,Louis X!, Jean V d.4rmagnac et le drame de Lectoure, dans Revue historique,1888, p. 26 et suiv. du tirage à part.

1. Rapport de l'évêque de Chartres, daté de Donzy, vendredi 4 novembre1464 (Bibi. ont., ms. k. 2903, fol. 17, copie du xr s. collat. à l'ong.; impr. parLenglet, MSz. de Ph. de Commynes, Preuves, lI, 407 et suiv.);

2. c Le comte de Nevers... avait le conte d'Estampes, son frere, empila delui en haut regne D (Chastellain, III, 440, à la date de 1458).

3. De lleancourt, Rist. de Charles VII, 111, 105. L'acte de partage est du7janvier 1438 (n. si.). Charles eut Nevers, Rethel et leurs appartenances; JeanÉtampes, la seigneurie de Dourdan, 3,000 I. de rente et 45,000 fr. en argent,qui étaient encore dus aux deux frères du mariage de leur mère Bonne d'An-lois, et encore 20,000 1. 4. que Philippe le Bon leur devait de par son traité demariage avec la même Bonne, pins 400!. monnaie de Flandre à prendre annuel-lement sur le tonlien de Bruges (Bibi. nat., ms. fr. 2910, fol. 43 et suiv., Mdns.pour le seigneur et la dame d'Orval, fin du xv s.).

Page 6: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

E. DE MÂNDROT.

d'accueillir le comte d'Étampes, qui, depuis vingt-cinq années,n'avait point paru dans leur cité'. C'est que déjà Jean de Bour-gogne n'était plus un jeune homme, et sa carrière avait étéjusque-là très honorablement remplie. Né à Clamecy le 25 octobre1415, le jour même où son père tombait sur le champ de batailled'Azincourt, le « damoiseau de Nevers » fut amené à la cour deBruxelles par Bonne d'Artois, sa mère. Le 30 novembre 1424,elle-même épousa eu secondes noces le duc Philippe, et, l'annéesuivante, elle disparaissait; mais sa mort ne paraît avoir aucu-nement diminué la bienveillante affection que le duc portait àson jeune cousin, devenu son beau-fils et son pupille 2 . Lespreuves abondent de cette intimité c'est aux côtés du duc deBourgogne que Jean figure à Chambéry, en février 1434, auxnoces de Louis de Savoie et d'Anne de Chypre. C'est lui encorequi, en 1439, sera chargé d'accueillir à Cambrai la fiancéedu comte de Charolais, Catherine de Franco 3 . Aux faveurs, auxbienfaits (le 7 août 1437, le duc Philippe lui a transporté lecomté d'Auxerre), Jean répond par des services. Dès 1438, ilmène des troupes bourguignonnes devant Calais. En 1442, lecomte d'Étampes, qui est lieutenant et capitaine général de son« oncle » de Bourgogne en Picardie', se jette, un peu inconsidé-rément, sur une bande d'Écorcheurs que le roi de France a expé-diée au siège de Dieppe contre les Anglais, et cet exploit attire àPhilippe le Bon les protestations de Charles VII'. L'année sui-vante, c'est à la prise de Luxembourg que Jean figure avec hon-neur6 . En 1444,11 monte la garde sur la frontière de Picardie,à Lihons-en-Sangterre', et réussit à protéger les terres bourgui-gnonnes contre les déprédations des Écorcheurs de Robert de

I. Abbé Bouthillier, Areit. de ta ville de Nevers, série CO, p. '16, col. 2.2. Chastellain et les chroniqueurs bourguignons qualifient constamment Jean

de Bourgogne de neveu du duc Philippe. En réalité, les deux princes étaientcousins germains.

3. De Beaucourt, lISSt. de Charles VII, ii, 506.4. CItron, de Mal h. d'Escouchy, éd. de Beaucourt, 11, 13. Escouchy, échevin

et prévôt de la ville de Péronne, où M. d'Étampes faisait sa résidence ordi-naire, loue fort sa bienveillance et sa libéralité (1, 399). Après 1401, le comteayant déserté la cause bourguignonne, le chroniqueur picard lui sera beaucoupmoins favorable.

5. De Beaucourt, ouvr. cil., III, 25, n. CI. IV, 383.6. Baranle, Rist. des ducs de Bourgogne, 1820, VIl, 141, 149 et suiv.7. i La plus grant partie du pays de Senteurs et les pays environ estaient

appartenant à Jeban de Bourgoingne... (Escouchy, 1, 12).

Page 7: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PBOCiS DE SA SUCCESSION.

Floques'. En 1448 enfin, c'est SOUS son haut patronage que sepublie le programme de la fameuse et chevaleresque « emprinse »de la Belle Pèlerine 2. Aussi Chastellain ne peut-il nommer lecomte d'Étampes sans s'abandonner aussitôt à de lyriques effu-sions. « Celui-là, s'écrie-t-il, en opposant Jean de Bourgogne àson frère Charles, devenu trop Français, celui-là ne se desmeutoncques de sa nourrichon, là où il fut constitué prince de la che-valerie de son oncle, meneur de ses osts, chef et dispositeur de saguerre partout... Cestuy en sa vocation, aux armes estoit commeune perle, excellent entre les autres de son temps. » Ces louangesun peu hyperboliques sont tempérées,, il est vrai, par cette signi-ficative réserve, qu'il convient de noter « En autres conditionset dons de nature (c'estoit) un homme commun, plus vertueuxtoutefoys que autrement »; et il faut convenir que l'âme de ceprince si valeureux ne paraît point avoir été forgée d'un métalsupérieur. Le cas n'es pas rare, et, pour regrettable qu'il soit, cefut celui de ce « puissant chevalier, prince de tel los et de sigrands faits..., vaillant guerroier eu maintes hautes et duresbesongnes! »

Si Von ne prend que la substance de ces éloges, on peut conclureau moins que Jean de Bourgogne s'était fait à la cour du duc Phi-lippe une belle réputation d'homme d'armes. Il en augmentaencore l'éclat à l'époque de la guerre contre les Gantois. Dansl'armée ducale, le comte d'Étampes commandait les Picards; satroupe fut la première à marcher et se porta rapidement enFlandre au secours de la ville d'Oudenarde, menacée par lesrebelles 4 . A la tête de 3,000 hommes seulement, Étampes bous-cule un gros corps de Gantois au pont d'Espierres (21 avril);puis, sans attendre son « oncle », il attaque l'ennemi, campésous Oudenarde. Le choc menaçant d'être meurtrier, le comtedemanda tout d'abord au vieux seigneur de Saveuse de l'armerchevalier. L'opportune arrivée de ses archers picards dégageal'avant-garde du sire de Lalaing, serrée de près par les Gantois,et assura la victoire; 3,000 rebelles demeurèrent sur place etÉtampes pénétra dans Oudenarde 5 . Un mois après (25 mai), il

1. Eseoucby, I, 12.2. Eseouchy, 1, 263.3. Chastellain, 111, 95; IV, 35.4, Escouchy, 1, 385 et suiv.5. Escouchy, 1, 391 et suis'. Cf. du lJlercq, 11, 23 et suiv.; Chastellain, 11,

235, 245.

Page 8: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

B. DE IIÂNOItOT.

s'empare de Nivelles; enfin, à la bataille de Rupelmonde, il com-bat vaillamment aux côtés du duc de Clèves'. L'année suivante,on le voit négocier 3 et combattre tour à tour avec son cousin deCharolais. Enfin, à la bataille décisive de Gavre (22 juillet1453), ce sont encore ses Picards qui décident la défaite et lafinale soumission des gens de Gand'. Étampes est partout où l'onse bat, et jusqu'en Guyenne, où on le trouve en 1453 avecCharles. VIII.

Le 24 novembre 1435, Jean de Bourgogne s'était allié à unedes plus riches héritières de Picardie, Jacqueline d'Ailly, damed'Englemonstier, fille de Raoul, vidame d'Amiens, et de Jacque-line de Béthunee. De cette union naquit une fille, Elizabeth ouElizabel', et un fils, Philippe, pauvre petit garçon « fort lan-goureux », qui mourut de la pierre, à Bruxelles, au printempsde 1452, tandis que sou père tenait garnison à Oudenarde.Escouchy raconte s

qu'on ne savait comment annoncer la perte decet enfant à la comtesse d'Étampes, alors au château de Péronne.C'est son confesseur, D. Jacques Besson, abbé du Mont-Saint-Quentin, qui, prévenu par le comte, se chargea de cette péniblemission, et la pauvre mère, ajoute le chroniqueur picard, « leprint à sy grant dœul et desplaisance que mettre ne le scaroie

1. Escouchy, 1, 416 et suiv.; du Clercq, Il, 35; Chastellain, 11, 269-276.2. Du Otercq, 11, 40; Chastellain, lI, 305 et suiv.3. Du Clereq, fi, 90.4. Du Clercq, 11, 133.5. Du Clercq, 11, 162.6. Anselme, 1, 251. Cette maison d'Ailly était, dira l'avocat Miebon en 1499,de toute ancienneté et des plus grandes de Picardie . Elle avait tenu « jus-

qu'à 20,000 I. de rente et plus ,, niais les prodigalités de Jean d'Ailly la dimi-nuèrent au point qu'il dut vendre pour plus de 100 1000 (r. d'héritages et pour2,000 L de rente (Arch. ont., Xh4839, fol. 118). La dot de Jacqueline fut de4,400 I. t. de rente assises sur les seigneuries de Cayeux, Bouléncourt et Bugle.monstier (Extrait d'un inventaire des titres de Nevers dressé en 1638, BibI.nat., ms. Cr. 20177, fol. 212 r). De plus, une tante de M" d'Àiliy, Isabeau deGhistelles, vicomtesse de Meaux, lui fit, à l'occasion de son mariage, un donde 40,000 saluts d'or, dont Jean de Bourgogne donna quittance pour le tout;'nais on verra qu'il n'en toucha effectivement que la moitié, le duc Philippes'étant fait remettre le reste e pour ses besoins . À cette époque, Jean deBourgogne passait pour posséder plus de 3,000 marcs de vaisselle et « degrandes bagues ,, et il « doua s sa femme de 3,000 I. de rente (Areb. net .,Xi- 4834, fol. 358).

7. Cette dernière forme est celte que l'on rencontre le plus fréquemmentdans les registres du parlement de Paris. Escouchy écrit Ysabel (11, 279).

8. 1, 402.

Page 9: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

IÂN DE nOuaGOGNE ET LE PROC?S DE SA SUCCESSION

par escript s. Celte mort faisait d'Élizabeth, désormais filleunique, une très riche héritière. Sous les auspices du duc Phi-lippe le Bon, son père accorda sa main à Jean, duc de Clèves',et un document de la fin du xv6 siècle atteste, qu'en se mariantainsi « ès pays des Allemaignes s, M"° d'Etampes apporta sept« belles seigneuriçs » d'un revenu annuel de 5,400 1. p., quiprovenaient tant de la dot de dame Jacqueline d'Ailly quede conquêts faits depuis qu'elle était la femme du comted'Étampes2.

Particulièrement brillante fut la fête donnée par Jean deBourgogne à Lille, en l'hôtel qu'il possédait dans cette cité, àl'occasion du célèbre voeu du Faisan 3 . Aux joutes qui furentcélébrées en cette circonstance, Mgr d'Etampes servit de lancesle comte de Charolais 4 . C'est dire qu'à cette époque les deux cou-sins vivaient encore en bonne intelligence. Mais le temps n'estpas éloigné où ces relations vont se refroidir sensiblement, et toutsemble indiquer que c'est l'influence dû dauphin Louis, le futurLouis XI, qu'il faut accuser de cette brouille de famille. Lorsque,fuyant le Dauphiné, par crainte des rigueurs paternelles, le dau-phin courut se réfugier en Hainaut, c'est au comte d'Étampesque Philippe le Bon confia la mission de recevoir l'exilé volon-taire s, et, dès lors, Jean de Bourgogne est conquis par son cousinde France, qui fait de lui son homme. En même temps, l'extra-ordinaire faveur que Philippe le Bon témoigne à son « neveu »d'Étampes excite la jalousie du farouche Charolais

e à tel point

1. « Le jœudy in' jour d'avril de cest an 1454 ( y. st.), jour de jœndy absolut,en la ville de Bruges, flancha Jehan, duc de Oleves, Ysabel, fille de Jehan deBourgoingne, comte d'Estampes, en la presence du duc de Bourgoinne, lecomte de Charolais, son. fil; Md. comte d'Estampes et pluseurs autres gransseigneurs; dont le peuple fut moult esinerveillié, pour ce que icellui duc decleves avait tenu sur fous lad. Ysabel, par quoy estait son parrain; mais nesavaient pas que icelle alliance se faisait par la licence de nostre Saint Porc(Escouchy, Il, 279). Mariée le 22 avril suivant, Élizabcth devint veuve en 1481et mourut le 21 juin 1483 (Anselme, 1, 251).

2. Bibi. rat., ois. fr . 2910, fol. 43 et suiv. Cf. ms. fr. 20177, fol. 305 y'. Letraité de mariage porte la date de Bourges (lisez Bruges), 27 mars 1455. Lesconjoints étant cousins nu troisième degré et le duc de Clèves ayant tenu Éli-zabeth sur les fonts, on obtint une dispense à Borne (Bibi. nat., ms. fr. 2910,fol. 4 et suiv.).

3. Escouehy, 11, 114; du Clercq, 11, 199; 01. de la Marche, lI, 343. Le textedu 'rom prononcé par le comte d'Étampes est dans Escouchy, 11, 167.

4. Escoucby, Ii, 128; 01. de la Marche, 11, 347.5. Chastellain, 111, 197.6. En 1404, le comte de Porcien fera soutenir que, par l'influence d'Antoine

Page 10: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

10 E. DE MÀNDLIOT.

qu'à Vépoque de sa brouille avec son père les inutiles efforts deJean de Bourgogne pour amener une réconciliation furent assezmal interprétés pour que le comte de Charolais accusât son cou-sin de vouloir le supplanter auprès du vieux duc'. Il paraîtsuperflu d'ajouterque le dauphin ne fit pas tout ce qu'il eûtfallu faire pour calmer l'ombrageuse susceptibilité de l'héritier deBourgogne; le bruit courut même dans l'entourage du duc qu'ils'était engagé à donner, dès qt'il serait roi, la charge de conné-table au comte d'Etampes 2 . C'en fut assez pour achever debrouiller le prince bourguignon avec Louis de Luxembourg,comte de Saint-Pol, qui ambitionnait cette charge, et aveclequel, durant la guerre contre les Gantois, il avait été en discus-sion pour la conduite de l'avant-garde de l'armée ducales.Néanmoins, jusqu'au début du règne de Louis XI, on ne voit -pasque Philippe le Bon ait retiré sa confiance à son « neveu »d'Étampes. En 1459 même, lieutenant du duc en Picardie, il estchargé d'une mission plutôt délicate, qui est de mettre en étatd'arrestation son propre beau-frère, Jean d'Ailly, fils du vidamed'Amiens, soupçonné par les Bourguignons de vouloir livrer cetteville aux Français 4 . A l'époque de la Vauderie d'Arras (1460),c'est lui encore qui dut prêter main-forte aux commissaires nom-més pour instruire cet inique procès. II paraît même que ses con-seillers intimes, Philibert Boutillat et Jean Forme, se distin-guèrent en cette occasion par une singulière âpreté

s. En 1461,le comte d'Etampes suivit son « oncle » de Bourgogne aux fêtesdu couronnement de Louis XI. Est-ce que le nouveau roi le com-promit alors par d'indiscrètes attentions au point de rallumer lajalousie du comte de Charolais, ou bien, comme l'insinue lechroniqueur Adrien de But, Jean de Bourgogne se laissa-t-ilencourager par Louis XI à faire valoir auprès du duc Philippeses prétentions au duché de Brabant'? Toujours est-il que l'heure

de croy, Jean de Bourgogne, comte d'Étampes, s'était fait donner Jusqu'à 20,000 Lde biens par le duc Philippe (Ai-eh. mat., Xia 4835, fol. 267 r).-

1. Chastellain, iii, 288.2. Chastellain, 1V, 35.3. Escouehy, XI, 2. 4 N'aimaient pas l'un l'autre, et sy n'y ut point de voyc

de fait parce que chascun deuix craignoit de courrouchier le duc (lI, 240).4. Du Olercq, qui rapporte ce fait (lI, 351), commet une erreur en donnant

A Jean d'Ailly te titre de vidame d'Amiens. Son père, Raoul dAilly, vivaitencore à cette date.

5. Escouchy, 11, 417, 421.6. Chroniqueurs belges, publication de l'Académie de Belgique, P. 435.

Page 11: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE l'ROC'ES DE SA SUCCESSION. ilde sa disgrâce est sur le point de sonner, et la mystérieuseaffaire de Jean Coustain va le précipiter aux abîmes. Cette fois,Charolais perd toute mesure; il accuse son cousin d'Étampes des'être fait, de concert avec Jean de Croy, le complice de ce valetfavori du duc Philippe, qui fut, à tort ou à raison, soudainementenlevé et décapité, pour avoir, disait-on, tenté d'empoisonner lefils de son maître. II est certain, du moins, que, par ordre ducomte de Charolais, un gentilhomme du comte d'Etampes, Charlesde Noyers, et son médecin, Jean de Bruyères, furent arrêtés sousl'inculpation d'avoir procédé à des pratiques d'envoûtement kl'encontre de l'héritier de Bourgogne. Chastellain, qui ne doutepas de la sincérité des accusateurs, prétend que le médecin, mis àla question, n'hésita point à charger son maître', mais, en réa-lité, on ne put rien prouver contre M. d'Étampes, et du Clercq,rapportant les rumeurs défavorables k Jean de Bourgogne quicirculaient dans l'entourage du comte de Charolais, s'abstientd'en certifier la sincérité 2 . Dans tous les cas, le duc Philippe,affaibli par l'âge et par la maladie, n'était plus de force à tenirtête à son terrible fils, et il se laissa convaincre de l'indignité deson « neveu ». Dès le mois de juin 1463, le comte d'Étampesavait abandonné Bruxelles 3 , car, nous dit-on, le « duc ne lecomte de Charollois ne le voulloit avoir en sa compagnie ». Le2 Septembre suivant, comme ses affaires ne prenaient pas meil-leure tournure, il partit de Roye-en-Vermandois « à grand estat,bien accompagnié de chevalliers et escuyers », et se rendit àPontoise, où le roi « le receupt très grandement et lui fist grandechière ». Mais, quelques jours après, sous prétexte de le réconci-lier avec son « oncle » de Bourgogne, Louis XI le ramena àHesdin, où ils allèrent de concert signifier au duc le rachat desvilles de la Somme'.

Si le roi de France comptait que la présence à Hesdin ducomte d'Étampes et du sire de Croy 5 aurait pour effet d'en

t. Chastellain, IV, 314.2. IV, 6.3. En partant, il y laissa, c SOUS la garde de Olaes, le brodeur, » de riches

« houssines , des manteaux et des robes de velours, des pourpoints de satinbrodé ou garnis d'orfèvrerie (Reconnaissance de dépôt signée CUies, en ong.à la Bibi. nat., ms. fr. 2001, fol. 31).

4. Du Clercq, IV, G et suiv.5. En 1496, les héritiers de ces deux seigneurs plaideront sur le point sui-

vant A l'époque de la suprême faveur d'Antoine de croy, le comte d'Étampeslui avait promis la seigneurie de Rozoy s'il lui obtenait le duché de Brabant.

Page 12: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

E. DE MÀ?ÇDROT.

tenir éloigné le comte de Charolais, il avait fait un calcul trèsjuste, car c'est ce motif que Charles de Bourgogne mit en avantpour refuser de se rendre auprès de son père'. La disparition deCharles, comte de Nevers, qui mourut en 1464, sans laisser depostérité légitime, fut pour son frère l'occasion d'un conflit nou-veau avec la cour de Bourgogne. Devenu comte de Nevers 2 parle décès de son aîné, Jean « saisit la seigneurie, au déplaisir dela douairière », sa belle-soeur Marie d'Albret, qui courut seplaindre au duc Philippe le Bon d'être lésée dans ses droits.Appelé à Hesdin, le comte de Nevers s'y rendit bien envis, carse sentoit mesfait et offenseur en la maison ». L'accueil que luifit son « oncle » fut courtois, quoique réservé, mais l'entouragedu duc se montra décidément hostile. Quelques vers d'une chan-son contre les Croy, que Leroux de Lincy a publié dans sonrecueil de chansons du xr siècle, témoignent assez de l'antipa-thie qu'inspirait aux loyaux sujets du duc Philippe le nouveaucomte de Nevers et de Rethel:

Dieu scet qu'il rend bien à reversLe bien, le proufii, et l'honneurQue no très redoublé seigneurLy a fait depuis sa naissance.C'est damage que ung tel triqueur (tricheur)N'est tresperchié d'un fer de lance s

1.

Après quelques jours de négociations, Jean s'en alla, promet-tant de traiter doucement sa belle-soeur. Mais il en avait suffi-samment entendu pour être assuré qu'il n'avait plus rien à espé-rer et que « son futur chef seigneur, » le comte de Charolais, lui

cray accepta le marché, mais, paralt.il, &abslint d'agir auprès de Philippe leBon a 1mo tînt la main secrètement au contraire o. Étampes, l'ayant appris,refusa de livrer Bozoy d'où procès. Plus tard, après la mort de Charles le Hardi,Jean de Bourgogne réussit à se faire maintenir, par arrêt, en possession de cetteseigneurie, à l'encontre des prétentions du fils du seigneur de Croy (Arnb. mat.,Xi- 4835, fol. 267 r, à la date du 20 février 1494 (n. st.). Cf. Xia 4837, foi. 366et suiv., à la date du 11 août 1496).

1. Du clercq, IV, 11.2, Le 30 juillet 1464, Louis XI confirma en sa faveur l'érection, précédem-

ment faite par Philippe de Valois, des comtés de Nevers et de Rethel en comté-pairie.

3. Le Roux de Lincy, Chants histortgites et populaires du temps de Charles VIet de Louis XI. Paris, 1857, la-8'. Reproduit par Kervyn de Lettenhove, Citron.de Chastellain, IV, 479, n.

Page 13: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROCèS DE SA SUCCESSION.13garderait à tout jamais une de ces rancunes qu'il se vantait par-fois de tenir du sang portugais de sa mère I Quant au bon duc,comme Nevers se plaignait de sa pension supprimée, il se bornaà répondre « Beau neveu..., maintenant vous avez pensionde Monseigneur le roy et estes à luy...; je ne puis pas tout four-nir! » Et Nevers, piqué, de rétorquer : « Monseigneur, à vostreplaisir..., il convient bien doncques que je fasse du mieux que jepourrai! » Et, comme il s'en allait, il se tourna vers ses servi-teurs « Or çà, beffe, leur dit-il, le fils m'a voulu déshonorer, etle père me boute hors de sa maison, qu'est-il de faire? » Etil « prit son chemin vers le roy t ».

Louis XI l'attendait, et, bien résolu à le rattacher définitive.-ment à sa cause, il s'appliqua à le lier par la promesse d'extraor-dinaires faveurs. Au lendemain de l'arrestation en Hollande dubâtard de Rubempré, que Charolais voulut faire passer pour unémissaire français chargé de l'enlever, le chancelier de Morvil-liers signifia aux députés des villes picardes que le roi avaitnommé Mgr de Nevers lieutenant et capitaine général de tous lespays compris entre la Somme et l'Oise Quelques jours après, àLille, en présence du même chancelier, Charolais se plaignitpubliquement au duc son père que le roi se fût vanté de le« débouter par le moyen des Liégeois du duché de Brabant, » afind'y « bouter » M. de Nevers, auquel il avait promis le secoursde 400 lances 2 . Cet engagement, si le roi l'avait pris, comme lerépétaient, paraît-il, Jean de Bourgogne et .Antoine de Croy,n'eût certainement pas été tenu, mais l'irritante question duBrabant, que Philippe le Bon avait naguère, de haute autorité,tranchée à son profit, était devenue comme une pomme de dis-corde entre les deux branches de sa maison, et elle fut pour beau-coup dans la haine féroce que Charles le Téméraire avait vouéeà son cousin de Nevers. De son côté, jamais Jean de Bourgogne,appuyé par Louis XI', ne se résolut à abdiquer ses prétentions

1. Chastellain, qui rapporte cet épisode (V, 72), accompagne sou récit d'unelongue digression sur c le meschief advenu à ce noble prince s, qui, en sesvieux jours, avait abandonné t la maison son esloveresse s, et, refusant de« venir à l'humilité ne à la voie d'amende.., sans avoir reçu offense ni tort, avoitpris parti ailleurs. u

2. cou. de doc. inéd., Mil. hisior., 1' série, 11, 202 et suiv., doc. publ.par J. Quicherat. cf. Adrien de But, Chronique, dans Chroniqueurs beiges,toc. cil., P. 435.

3. Le roi lui accorda c de se nommer due de Brabant et lui promit de 'l'en faire

Page 14: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

14 B. DE MÂNDROT.

sur le duché, dont, jusqu'à sa mort, il s'obstinera à porter letitre: En bon Nivernais, le jurisconsulte Guy Coquille a soutenule droit de son seigneur, et, comme au cours du procès de la suc-cession de Nevers, dont nous allons retracer les péripéties, il futmaintes fois question du Brabant, nous indiquerons tout au moinsl'origine de ce litige. C'est en 1369 que Marguerite de Flandre,fille de Louis de Male et de Marguerite de Brabant, apporta ceduché à son mari Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, qui l'at-tribua à son troisième fils, Antoine. Mais, ni ce prince ni ses filsJean et Philippe ne laissèrent de descendance légitime, et, dèslors, la question se posa de savoir auquel des frères d'Antoine leBrabant devait appartenir. Les partisans du cadet, Philippe,comte de Nevers, n'hésitaient pas à en contester l'attribution àl'aîné, c'est-à-dire au duc de Bourgogne, car Marguerite, deve-nue, après la mort de Louis de Male, son père, en 1385, comtessede Flandre, d'Artois, de Nevers et de Rethel, avait formellementdéclaré, et en ]a présence même de Charles VI, roi de France,qu'elle entendait que ses seigneuries demeurassent à jamais sépa-rées de celles de la maison de Bourgogne, et, ajoute Coquille,c'est dire qu'en l'espèce on ne pouvait prétendre que cette condi-tion résultât d'une disposition de dernière volonté « subjecte auxgrabellaiges et alembics de cerveaux dont les docteurs ontaccoustumé d'emmieller les substitutions testamentaires ». Lacomtesse de Flandre n'eût-elle, du reste, fait aucune réserve,pourquoi Charles, comte de Nevers, et son frère Jean, cousinsgermains des fils d'Antoine, duc de Brabant, n'eussent-ils pointeu à sa succession un droit égal à celui que s'arrogeait le duc deBourgogne, parent au même degré qu'eut? En matière de suc-cession collatérale, on ne devait pas faire prévaloir le droit dudescendant du frère aîné. Que si, d'autre part, on voulait soute-nir que duchés et autres fiefs de dignité sont indivisibles, il étaitfacile de démontrer que la succession d'Antoine de Bourgogne, secomposant de quatre « belles pièces » séparées, à savoir troisduchés: Brabant, Lothier, Limbourg, et un marquisat du Saint-Empire, qui comprenait la seigneurie d'Anvers, l'attribution de

jouir comme de son propre héritage o (Bib!. ont., ms. fi'. 2910, fol. 43 et suiv.,xv' s.). Dans les actes officiels, Seau de Bourgogne se qualifiera duc de Bra-bant, de Lothier et de Limbourg, comte de Nevers, d'Eu et d'Étampes, baronde Donzy, de Saint-Valery et de Dourdan, seigneur d'Anvers, des terres d'outre-Mense et de Saint-Valery-sur-la-Mer (1400. BibI. net ., ms. fr. 20376, n' 13).

Page 15: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROCÈS DE SA SUCCESSION.

ces fiefs distincts à des personnes différentes, n'entraînait en réa-lité aucun morcellement. Les partisans de la branche aînée nel'entendaient point ainsi, naturellement, et, comme ils avaientpour eux la force, ils se riaient des stériles réclamations de leursadversaires, auxquels ils opposaient un jugement de la chancel-lerie même de Brabant. En 1467, après la mort de Philippe leBon, Jean, comte de Nevers, tenta une fois de plus de faire triom-pher ses prétentions, mais, ainsi que l'écrit Chastellain 2 , non sansquelque impertinence, « à lui estoit la lune aussy près pour yruer aux mains comme de parvenir à ceste duché par vertu desa fortune! »

II est malaisé de dire exactement en quelle disposition d'espritle comte de Nevers aborda la crise du Bien Public. Tirailléen sens contraires par les partisans du roi et par ceux du duc deBourgogne, il fut manifestement impuissant à défendre la pro-vince dont Louis XI lui avait confié la garde. Au début de laguerre, sa correspondance témoigne tout d'abord d'une confianceabsolue; il se proclame en état de repousser toutes les attaques,et; de son côté, le comte de Charolais semble redouter quelqueentreprise soudaine de son cousin de Nevers contre les placesbourguignonnes de la frontière picarde et il s'efforce de les engarder'. « C'est à moy, écrit Nevers à Louis XI, que on endemande, et que je garde ma personne... M. de Charolois a ditqu'il me tient pour son ennemy mortel..., mais j'ay trouvémoyen de moy fortifier tant de mes amys que d'autres estrangierset de leurs places pour moy aidier et vous servir si besoing est »;et il énumère toute une série de précautions qu'il a prises pourmaintenir dans le devoir Nivernais, Béthelois et Picards et mêmepourprêter au besoin la main auxLiégeois 4 . Malheureusement, lesforteresses dePicardie sont mal pourvues d'artillerie 5 et d'hommes,et la clef de la barrière de Somme, la forte place de Picquigny,est aux mains du vidame d'Amiens Jean d'Ailly, avec lequelle comte de Nevers n'est pas en bons termes. Le chancelier deFrance, Morvilliers, que le roi a envoyé en Picardie afin d'orga-niser la défense et peut-être pour surveiller les comtes de Nevers

1. Guy coquille, Rist. des pays et duché de Nivernais, p. 235.2. V, 289.3. 25 mars 1465 (CoI!. de doc. inêd., MÏi. htstor, U, 200, doc, pub!, par

J. Quicherat). -4. Mézières-sur-Meuse, 29 mars 1465 (n. st.) (Ibid., 1!, 205).5. Ibid., 11, 220.

Page 16: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

16 B. DE MÀNIIBOT.

et d'Eu 1 , est chargé d'aplanir le différend, « afin qu'aucun incon-vénient n'en adviengne 2 ». Mais déjà, après un court séjour àAbbeville, Nevers s'est transporté à Amiens (10 mai), et voiciqu'autour de lui les défections commencent à s'accentuer, et sonmeilleur lieutenant, le seigneur d'Esquerdes, Philippe de Crève-coeur, rejoint l'armée du comte de Charolais, pli se porte rapide-ment vers le sud. C'est qu'au fond Jean de Bourgogne n'est paspopulaire; il excite parmi la noblesse picarde une invincibleméfiance « On craint à soy mettre souk Mous. de Nevers 3 . »En vain, pour l'appuyer, Louis XI expédie sur les marches dupays de Caux et en Picardie le maréchal Rouault; en vain, pourstimuler son zèle et soutenir sa loyauté, il lui rappelle la protec-tion qu'il lui a prêtée contre le comte de Charolais lorsque ceprince n'a pas craint de l'accuser de crimes « dont on ne deustcharger ung tel homme», et que c'est à la pression de l'autoritéroyale qu'il a dû de n'être pas déshérité par son frère Charles enfaveur du même Charolais! Nevers ne sait opposer au flot del'invasion bourguignonne qu'une très courte résistance, et, satis-fait d'avoir éloigné de Péronne l'avant-garde de Saint- p01 4 , ilabandonne bientôt cette place, en même temps que le maréchalRouault, et se retire sur l'Oise. Le 23juin, il est à Compiègne',et c'est seulement lorsque les bandes ennemies ont dépassé detteplace qu'il remonte à Péronne et qu'il s'y enferme pour attendrela conclusion de l'aventure

s, indécis, semble-t-il, sur le partiqu'il doit prendre et fort anxieux de détourner le coup que luiréserve, à n'en pas douter, la mortelle rancune de son cousin deCharolais. Dans ce but, il se décide à tenter auprès du ducde Bourgogne une démarche suprême, et il en charge sa fille,la duchesse de Clèves. Vers le mois d'août 1465, Elizabeth deBourgogne se rend à Bruxelles, mais, dès l'abord, elle peutmesurer la difficulté de la tâche qu'elle à acceptée, car c'est seu-lement après quatre jours d'instances qu'elle est admise à voirson oncle. Toute larmoyante, elle se jette à ses genoux, implorela grâce de son père, et le bon duc tout d'abord « se rateuàrit »;

1. Ma. kstor., Il, 219, 224.2. Louis Xi au chancelier, 8 avril 1465 (AMI. histor., il, 210, et. Vaosen,

Lettres de Louis XI, Il, 262).3. Jean de la Loere au chancelier, 11 mai 1465 (Md. histor., Ii, 257).4. Ibid., 11, 263.5. lbld.,ii, 314.6. ibid., Il, 379.

Page 17: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PK0C5 DE SA SUCCESSION.47

mais bientôt, se reprenant et incapable de contenir son ressenti-ment, il se met à reprocher durement à la pauvre suppliante ladésobéissance du comte de No yers, auquel, dès le début de laguerre, il avait enjoint de quitter Péronne sans délai et d'allerattendre à Nevers ou à Rethel qu'on eût « tant fait que le comtede Charolois fust content de lui ». Mais lui, au lieu de garder laneutralité, s'était mis à la tête des ennemis de sa maison! Qui pisest, ajouta le vieillard, « il a tenu mon héritage de Péronne etde Roye' » en protestant que ces places étaient à lui, alorsqu'elles ne lui avaient été remises que pour sûreté d'une certainesomme de deniers qu'ensuite il a refusé de prendre lorsqu'on aoffert de la lui payer. Et, après cette sortie, le duc « laissa ladame' ».

Ainsi, du côté bourguignon, Nevers n'avait plus rien à espé-rer; pouvait-il, du moins, compter sur l'efficace protectiondu roi de France? Les conditions de la paix qui mit fin à laguerre du Bien Public lui firent voir le contraire; car, auxtermes de la déclaration du 5 octobre 1465, Louis XI s'engageaà faire transférer au comte de Charolais tout le droit que lecomte de Nevers prétendait sur Péronne, Montdidier et Roye,sauf à fournir lui-môme au dépossédé une suffisante récompense.Fragile assurance, que ne dut guère renforcer l'engagementpris par Charolais envers Louis XI de ne faire aucun mal àson cousin de Nevers si, sur l'heure, il consentait à lui remettrePéronne et sa citadelle et se rendait « prisonnier oudit chastel'Ce n'est pas tout, on exigeait encore du malheurétix prince qu'ilabandonnât à Charles de Bourgogne tous les droits qu'il préten-dait sur le duché de Brabant, sur les terres de Hollande quetenait le comte d'Ostrevant' et sur le comté d'Auxerre; moyen-

t. c'est le 1.r juillet 1448 que Philippe le Bon en avait transféré la jouissanceà son neveu, afin de s'acquitter d'une somme de 20,000 saluts d'or qu'il avaitprélevée a pour ses affaires sur la dot de Jacqueline dAilly, et d'une autresomme de 20,000 I. qui représentait la valeur des biens meubles ayant appar-tenu à Bonne d'Artois. En compensation de la première de ces deux sommes,le duc avait primitivement constitué à Jean de Bourgogne une rente annuellede 2,000 saluts d'or. Mais les arrérages en (tirent irrégulièrement payés et lecomte trouva plus sûr de se faire remettre un gage. Cf. les plaidoiries du 3avril1407 et du 8 juin 1508, Areb. nat., XI-4838, Lot.' 230, 4847, fol. 437 y', 4849,LoI, 228 y', 4850, 7août 1509, et O. Coquille, Histoire de Nivernais, p. 235 et suiv.

2. CItron. de J. du Clercq, IV, 196.3. Lenglet, Mént. de Ph. de Commynes , Pi'euves, lI, 592.4. Franqois de Borselle.

Page 18: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

48 B. DE ItÂNDROT.

nant ces sacrifices, son ennemi voulait bien promettre de ne pasle tenir « comme prisonnier de guerre » et de ne le mettre ni « àfinance » ni « à rançon t ». On va voir comment cette promessefut tenue, et si, en ce qui concerne Jean de Bourgogne, l'histoiren'est pas très claire, elle témoigne du moins de rinsigne déloyautédu comte de Charolais. C'est le Bourguignon Jean du Clercq quila raconte 2 , et on doit croire par conséquent qu'il ne l'a pointchargée. Donc Nevers est enfermé au château de Péronne, où ils'efforce de négocier avec le vainqueur. A diverses reprises, il areçu la visite d'un serviteur fort employé de la maison de Bour-gogne, que le chroniqueur d'Arras a nommé Arcquembault, maisqui n'est autre que le futur bailli de Ferrette, Pierre de ilagen-bach 3 . Hagenbach a couru jusque devant Paris, muni d'un sauf-conduit du roi de Frajice, afin de prendre les instructions ducomte de Charolais; delà, il est retourné à Bruxelles, « et disoit-onque c'estoit pour trouver le traité du comte de Nevers ». Enfin, le3 octobre, vers quatre heures du matin, il reparaît sous les mursde Péronne, mais, cette fois, accompagné des seigneurs de Rou-baix et de Formelles et d'une troupe de 500 compagnons deguerre. On met pied à terre, et, suivi d'une douzaine d'hommes,Hagenbach pousse jusqu'au houlévard du château « montededans par esehelles », s'en empare, pénètre dans la tour et ysurprend, encore dans leurs lits, Nevers, le seigneur de Sailly etquelques autres. Réveillés en sursaut, Jean de Bourgogne et sesgens s'écrient si fort que les bourgeois de Péronne accourent enarmes au château, mais trop tard, car les Bourguignons l'oc-cupent en force, et ce sont eux qui somment les habitants derendre la ville, ce qui fut fait quelques heures plus tard. Lecoup de main, hardiment mené, avait merveilleusement réussi;seulement, il se trouva des malveillants pour insinuer , queNevers s'était volontairement fait ou laissé prendre « adfin que leroy de Franche, auquel il avoit fait serment, ne le volsit char-gier de sa foy' ». Nous ne savons aucun document qui permette

1. BibI. nat., ms. fr. 2901, foi. 12, copie du xr s. collat. à l'ong. per niePoupaincourt . Autre copie de l'époque au fol. 29 du même 'manuscrit.Cf. Lengtet, Il.

2. 1V, 213 et suiv.3. Adrien de But le désigne sous son nom véritable (Chroniqueurs belges,

toc. «U., p. 475).4. Du Clercq n'affirme rien et Adrien de But est muet; mais les modernes,

D. Plancher (liai. de Bourgogne, 1V, 337 et suiv.) et, après lui, Quicherat

Page 19: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROCS DE SA SUCCESSION.49

d'affirmer cette connivence du comte de Nevers, et, à premièrevue, les procédés brutaux et même barbares dont son cousinCharles usa à son égard en feraient plutôt douter; mais peut-être, en dépit des apparences, est-il prudent de réserver sonjugement.

La surprise de Péronne date du 3 octobre. Dès le 5, c'est l'an-naliste parisien Jean Maupoint qui l'atteste, Louis XI en Malt ins-truit à Paris. On ne dit pas si cette nouvelle l'affecta autant quel'avait affecté, quelques jours avant, la chute plus inattendue deRouen; mais on s'expliquerait mal, si le roi n'avait pas été con-.sentant, qu'il eût le même jour ratifié les plus extrêmes consé-quences de la capture du comte de Nevers. Or, nous l'avons dit,c'est ce qu'il s'empressa de faire, et rien non plus n'indiquequ'il se soit ému du traitement déloyal pie le comte de Charolaisinfligea à son ennemi devenu son captif. Le 9 octobre, Jean deBourgogne était enfermé au château de Béthune sous la garde deJean de Bosimbos, seigneur de Formelles 1 , et les échevins de laville lui faisaient un présent de Vi n 2. C'était du moins le traiteren prisonnier de marque, et nous savons d'autre part que nombrede ses serviteurs l'avaient suivi à Béthune 3 . Mais, ce qui surprendun peu, c'est de voir la femme du prisonnier, Jacqueline, com-tesse de Nevers, se laisser « régaler » par le comte de Charolaisà Régniowez, au milieu du mois de novembre, et lui rendre cettepolitesse quelques jours plus tard à Mézières 4. Le comte, lui,demeura près de deux mois à Béthune; à la fin de novembre, leseigneur de Crèvecœur le transporta à Maubeuge et, quelquesjours après, à Mons, où il demeura toujours prisonnier, « atten-dant le vouloir et plaisir de Monseigneur de Charolloys », jus-qu'au milieu de février. Son vainqueur lui adressait message surmessage pour l'amener à consentir à ses exigences; mais lecomte de Nevers, « congnoissant qu'en ce faisant luy et ses héri-tiers seroient innumerablement interessez et endommaigez, dif-

(filé!. F,istor., Inc. cit., iI, 379, n.) et Michelet n'ont pas hésité à chargerNovera. Le dernier'historien, toujours extrême cri ses jugements, accuse lecomte de n'avoir pas osé se livrer à Charolais Il n'eut pas mémo le couragede sa lâcheté » (Louis XI et Charles le Téméraire, p. 99 et suiv.).

I. Du Clercq, IV, 214.2. Lafons de Mélicoq, Doc. tirés des arch. de Béthune et de Péronne, dans

Bu!!. de la Soc, de l'hist. de France, 1845-1846, XIII, 347.3. Ibid.4. Lenglet, Mém. de Ph. de Commynes, II, 185 Comptes de l'hôtel du

comte de Charolais,

Page 20: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

B. DE IIANDItOT.

fera par long temps ». Il ne céda que devant la directe menaced'être détruit « de corps et de chevauche.., quelque part qu'il

/ allast' ». Alors seulement on feignit de lui rendre quelqueliberté, car il fallut, eu vue de l'avenir, sauver les apparences,et c'est dans sa propre piaison d'Englemontier, près Courtrai, quemaître Guillaume Hugonet lui fit souscrire et sceller de son sceau,le 22 mars 1466, les cinq lettres de renonciation et de transportprévues par la déclaration royale du 5 octobre précédent, qu'onlui présenta « grossoyées en parchemyn et toutes prestes poursceller et signer2 ». Les conditions en étaient rigoureuses: remiseàtharolais de la garde des places fortes des comtés de Nevers etde Rethel et des baronnies de Donzy, de Rozoy, etc.; renoncia-tion à toutes prétentions sur les duchés de Brabant, de Lothier etde Limbourg, sur le marquisat d'Anvers et terres d'outre-Meuse;abandon d'une rente annuelle de 6,000 1. par an assignéesau comte Jean lors de son mariage avec Jacqueline d'Ailly etpour l'assiette de laquelle le duc de Bourgogne lui avait trans-féré le comté d'Auxerre, les terres et seigneuries de Woorne,Oost-Woorne, la Brielle, en Hollande, etc.; renonciation à

- Péronne, Montdidier et Roye; approbation du traité de paixrécemment conclu sous Paris 2 , abandon enfin des deux sommesde 20,000 saluts d'or et de 20,000 francs dont le duc de Bour-gogne s'était jadis reconnu débiteur et qui ont été déjà mention-nées. Jamais dépouillement ne fut plus brutal ni plus complet'.

i. cf. I' c acte D du 22 mars 1465, avant Pâques, dressé par Jean Bertault,

garde du scel à Péronne, dont une copie de la fin du xvr ou du commencementdu xvn siècle est à la Bibliothèque nationale, ms. fr. 2832, fol. 308 à 318.

2. Mons. de Nevers, fort troublé et amerernent despiaisant, congnoissantque, polir quelque humilité et debvoir qu'il se fust ynis envers moud- Sgr decharroloys, ne remonstrance qui, de sa part, luy cuit esté latrie, il ne se vouSloyt de luy contanter, ne que par autre voye il ne pouvait honnorablementestre detivré de ses dangers, dist... que... il convenoit bien qu'il fist tout levouloir et plaisir de mond. Sgr de cliarroloys' (Attestation de J. Bertisult, citée).

3. « Acte i de Jean Bertautt, cité. cf. Lenglet, Mént. de Ph. de Comnaynes,Preuves, 11, 579.590.

4. Boulogne, 31 mars 1466(Ibid., 11, 591). cf. G. coquilie,ottvr. cit., p.235 et soir.5. Il semble pourtant que Jean conserva les revenus du Nivernais. Un compte

de sa maison daté de 1485-1486 fournit en recettes 20,572 I. 8 s. 10 d. t., soitpour le comté de Nevers 2,072 I. 8 s. 10 d. t.; Donziois et Rethelois, 1,000 I. t.;greniers à sel, 4,000 I. t.; composition de Ilethelois, 5,000 I. t.; pension du roi,8,000 1. t.; le tout en regard d'une dépense de 20,504 t. 9 s. 9 ô. t., où les gagesd'officiers figurent pour 3,056 I. 10 s. t. (Bibi. est., 2894, fol. 5 et suiv., ong.).Cf. un autre compte de 1483, celui de Jean Lamoignon, secrétaire du comte(Bibi. nul., ms. fr. 23258, ong. paroI..).

Page 21: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE P]tOC'ES DE SA succsssrort21Ces lettres, dûment signées et jurées par le comte, contresignéespar son secrétaire et par les notaires qui les avaient dressées,scellées enfin en cire rouge des armes de Bourgogne-Nevers, leshommes de loi bourguignons durent se croire à l'abri de touterevendication ultérieure. Mais c'était compter sans la ruse deleur victime; car, fait presque incroyable, M. de Nevers, déjouanttoute surveillance, réussit à faire introduire par son secrétaire.Berthault, entre les deux faces du sceau, un petit bout de parche-min sur lequel était inscrite en minuscules caractères la formelleprotestation du comte contre les engagements qui lui avaient étéarrachés par la violence'. Le 29 mars 1466, à Boulogne, lescomtes de Charolais et de Nevers n'en donnèrent pas moins lespectacle édifiant d'une feinte réconciliation. Jean « vint prier etrequérir de pardon » son rancuneux parent, et celui-ci « luypardoniaa tout et luy fit très bon accueil s ». Mais Chastellain con-dut « Si se trouva celuy de Nevers tout nu et tout despouillépar deçà'. » Ajoutons que la liberté même ne lui fut pas renduesur l'heure; car M. de Formelles ramena son prisonnier à Saint-Orner, et, le 24 avril, de Saint-Omer à Béthune, où, derechef,les échevins crurent devoir lui offrir du vin, et ce au grandmécontentement du commun peuple, très dévoué au comte deCharolais, et dont la désapprobation faillit tourner en émeutel.

Enfin délivré 5 , Jean de Bourgogne alla résider à Nevers.Comment le roi de France tint ses engagements, il n'est pas aiséde l'établir, et ce n'est pas sans surprise qu'on le voit, par deslettres datées de Bourgès, le 16 janvier 1467, prononcer la misesous séquestre de certaines terres et seigneuries sur lesquelles,par défaut de foi et hommage non faits, le comte de Neversaurait pu mettre la main t. Pourtant, il est certain qu'au moinsdès 1468 Jean de Bourgogne recevait du trésor royal une pensionde 8,000 1. t.' et qu'à cette époque sa maison était montée sur unpied fort considérable. Encore nous dit-on qu'il l'avait réduite,« vu les grans pertes et dommaiges » qu'il avait éprouvés,

I. Attestation de J. Bertanit, citée.2. Lengtet, Mên. de Ph. de Commynes, Preuves, II, 186.3. V, 281 et suiv.4. Full, de la Soc, de l'hist. de France, XIII, 347, op. cit.5. Le 10 mai 1466, c'était chose faite sans doute, car le comte de Nevers est

à Mézières (ma. (r, 2903, fût. 36, copie du xv' s.).6. Bibi. nat., ma. (r. 2894, fol. 12, copie du xv' s.7. Bibl.nat., ms. fr. 20375, foi. 39, copie du xv" s.; reçu signé .Tehan.

Page 22: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

22 B. PK MÂNDROT.

« comme chascun scet », et les « charges et importables affaires »auxquelles il avait eu à faire face, t tant pour les divisions deguerre » qu'à cause desarrérages du douaire de sa belle-soeurMarie d'Albret, qu'il avait dû payer, au grand dommage de sesfinances obérées'. Or, malgré les retranchements qu'il s'estimposés, le comte n'entretient pas moins, « pour son corps etescuirie », seize chevaux, dont huit pour chevaucher, six de ser-vice et deux pour ses chapelains; il a quatre pages pour le ser-vir et une douzaine de valets et de palefreniers. Ses chimbel1anssont au nombre de six 2 , et son conseil se compose de trois per-sonnes Philibert Boutillat, bailli de Nivernais, Jean d'Armes,président de ses Comptes, qui passera bientôt au parlement dePa'ris, et Regnaut le Breton. Il a encore cinq maîtres d'hôtel,dont deux, Pierre de la Chaulme et Jean Boutillat, se remplacenttous les six mois, tandis que Guillaume de Troyes, Claude du Préet Guy de Maumigny ne servent que quatre mois chacun. Lespannetiers, qui se nomment Pierre de Veelu et Cilles de Gleines,demeurent en fonction chacun une moitié de l'année, tandis queJean de Villiers, Jean de Prunay, Philibert de Beaumont etHenry de Thory ne fournissent chacun que trois mois de travail.Il en va de même pour les six échansons Jacques de Villaines etCharles de Choisy se succèdent par semestre, tandis que Colartde la Ghizieulle, Jean Breschart, Claude de la Rivière et ilugue-nia de Demo ne fonctionnent que trois mois chacun. Il y a encoresept écuyers tranchants, six d'écurie et trois de cuisine, avecquatre valets servants. Le médecin du comte se nomme maîtreJean le Masuyer . ; les secrétaires, Pierre Garnier, Hugues Fou-chier et Jean Bertbault. Le maître de sa chambre aux deniers asous ses ordres deux contrôleurs et trois clercs d'offices. Le con-fesseur Antoine de Vezat est pensionné à 30 1. t. par an et aavec lui trois chapelains et aumôniers. Les officiers d'armes sontNevers, le héraut, et Donzy le poursuivant; enfin, quatre che-vaucheurs d'écurie, deux valets de chambre, deux barbiers,des fourriers, sommeliers d'échansonnerie, huissiers, queux et

t. Bibi. nat., me. (r. 2903, fol. 21-25. État sur parch.; copie datée du 8 février1468 (y . st.).

2. L'un d'eux, Guillaume, bâtard de Nevers, ne quitte pas te comte; deuxautres, MM. de Villiers et de la Rivière, passent avec- lui tour à tour la moitiéde lancée; le reste, MM. de Vaulx, Ferry de Grancy, Érard de Digoine et deOhacy ne servent que trois mois chacun.

3. 01. Vaesea, Lettres de Louis XI, IX, 170 et suiv.

Page 23: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROC 'ES DE SA SUCCESSION.23aides de cuisine complètent cette princière maisonnée. Tout cemonde doit manger « en salle », sauf le cas de maladie; mais oncomprendra qu'en dépit de toutes les précautions qu'on pouvaitaccumuler pour éviter le désordre, une aussi nombreuse familledevait coûter fort cher à entretenir!

Ce n'est pas le titre vide de duc de Brabant qui eût aidé lecomte de Nevers à soutenir les charges de son rang. Heureuse-ment pour lui, le 25 juillet 1472, il reèueillit la succession de sononcle maternel, le vieux Charles d'Artois, comte d'Eu, qui nelaissa d'enfants ni de Jeanne de Saveuse ni d'Hélène de Melun.L'oncle et le neveu avaient entretenu d'affectueux rapports, etdès longtemps Jean de Bourgogne comptait sur cet héritage.Il faillit pourtant lui échapper, car son ennemi particulier, lecomte de Saint-Pol, « désira fort » posséder le comté d'Eu, et ilintrigua si bien, lorsque par son mariage avec Marie de Savoieil devint le beau-frère du roi de France, que Louis XI le luipromit pour le cas où Charles d'Artois viendrait à disparaîtresans laisser de postérité mâle. Cet engagement fut confirmé aprèsle Bien Public par lettres données à Montargis le 14 août 1466'.Ces manoeuvres du connétable ne demeurèrent point ignorées ducomte de Nevers, qui se hâta d'en avertir son oncle s. Mais lesmesures que, de concert, les deux princes purent prendre n'em-pêchèrent pas les gens des Comptes de vérifier les lettres royalesprésentées à leur approbation par le comte de Saint-Pol, et celasans même que le comte d'Eu ni son héritier présomptif eussentété entendus; aussi, lorsqu'après le décès de Charles d'Artois,Jean de Bourgogne voulut prendre possession du comté d'Eu, ilse trouva que le connétable s'était « fourré dedans » sous prétexted'une commission royale 3 . Sa disgrâce finale ne lui permit pasde donner suite à ses prétentions, et le parlement finit par décla-rer que le comte de Nevers obtiendrait mainlevée du comté d'Eu,dont, dès lors, il ne cessa de jouir sans obstacle jusqu'à La mortde Louis XI'; et si, en juillet 1475, lors de la descente des Anglaisen France, le roi fit brûler et abattrela ville d'Eu 5 dans la crainte

1. Anselme, III, 329.2. BibI. nat., ms. fr. 2901, fol. 7, ong.3. kick. nul., XIs 4828, fol. 554 v',à la date du 31 juillet 1487.4, En 1487, Charles VIII appuiera auprès du parlement de Paris l'instance de

Louis de Luxembourg, fils du connétable, qui s'efforce de faire valoir ses droitssur le comté (Ibid. Cf. Pélicier, Lettres de Chartes VIII, III, 209).

5. Le roi au claancelierGaillardbois,15 juillet(Vaeseu, Lettres de LoulsXT,V,370).

Page 24: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

24 B. DE MANDROT.

de les voir s'y « bouter », le comte fut dédommagé de la pertequ'il éprouva en cette occasion par un accroissement de 2,000 1.sur sa pension et par le don des place et château de Villeneuve-lès-Avignon, de la tour du bout du pont d'Avignon et du bourgSaint-André'

A son avènement, Charles, devenu duc de Bourgogne, donnaune preuve nouvelle de la haine qu'il avait vouée à son cousin deNevers, car il le fit rayer du nombre des chevaliers de la Toison'.Nevers, si l'on en croit Chastellain, avait pris les devants enrenvoyant le collier de l'ordre par un officier d'armes et nuclerc irreverammant fondés ». Était-ce « pour eschiever le pro-cès et l'ordre deprivation à faire contre luy? » Cela est possible,car nous savonsqu'ajourné par lettres patentes scellées du sceaude l'ordre à comparaitre devant le chapitre assemblé à Bruges le7mai 1468, afin de se justifier « du cas de sortilège, en abusantdes sains sacremens de sainte église » (c'est la vieille histoire del'envoûtement), sous peine d'être « vaincu par contumace »,Jean de Bourgogne se déroba, et c'eût été, du reste, pure folieque de se risquer encore aux mains de son déloyal adversaire.Donc, il fit défaut, et, pour cela, par ses collègues, il fut déclaréexclu de l'ordre et non appelé à l'offrande. Le héraut arrachal'écu de Nevers qui surmontait sa chaiiZe vide, le jeta à terre etcloua en son lieu un autre tableau, où le duc, « son hayneux »,avait fait inscrire en lettres d'or « la récitation de son cas, com-ment il avoit esté semons authentiquement, comment il n'avoitvolu comparoir pour respondre, comment et en quoy il avoitabusé encontre son honneur et encontre la dignité dela foi chres-tienne, et lisoit icestuy Toyson d'or ceste escriture tout en haut,oyant tout le monde! » Et, pour racheter cette honte, ajoute le

I. Vaesen, ouvr. cit., VI, 12, et Bibi. est., ma. fr. 2901, fo]. I et 6, ong. Le11 octobre 1476, Louis XI fit encore don au « duc de Brabant, comte de Neverset d'En n, du revenu du grenier à sel du Tréport, et cette concession paraitavoir été répétée d'année en année (Bibi. Dit., ma. fr. 20373, fol. 14). lin piaéetadressé an roi Charles VIII à ta date du 25 mars 1484 sollicite le renouvelle-nient de plusieurs dons et faveurs accordés au comte de Nevers par Louis XI.Notons qu'à cette date le comte demanda au gouvernement royal un mande-ment à t'adresse des baillis de Caux pour contraindre les gens demeurant àquatre lieues autour du Tréport à contribuer au nettoyage de ce port, t qui estfort ruyneux, et s'est remply deppuis un an en ça par fortune de la mer j, cequi est grand dommage, vu que ce havre est l'un « des meilleurs fiables et leplus setier de la coste(Bibi. nul., ras, fi'. 2901, fol. 26, copie du xv t s.).

2. Il en était depuis 1456.

Page 25: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE Et LE PROC 'HS DE SA SUCCESSION.25'même chroniqueur, en échange de cette ruine, quelle « récom-

pense » le comte de Nevers avait-il obtenue en France? Le roine tenait « guères compte de luy pour ce qu'en sens et vertule voyoit amoindri » (le comte pourtant n'avait que cinquante-trois ans). « Comme nul réputé », n'ayant hardement de con-forter le roy de peu de pieursieute, ne affection de soy traire versson prochain par souvenance de sa honte..., cestuy povre cheva-lier, povre comte..., pertes bien devoit avoir le coeur estraintd'angoisse et dur annuy en cestuy temps qui aux plus sages etaux plus vertueux estoit estrange et sauvage • 1 »

Peut-être rhistorien bourguignon a-t-il un peu exagéré lapénible situation où se trouvait l'ennemi de ses maîtres; mais, àtout considérer, il est certain qu'au point de vue matériel elle étaitpeu enviable. En outre, la mort prématurée de Jacqueline d'Aillyavait laissé veuf le comte de Nevers, et il ne possédait qu'unefille; aussi à soixante ans résolut-il de se refaire un foyer, et aumois d'août 1475, il épousa Paule de Brosse, fille de Jean, sei-gneur de Saint-Sever et de Boussac, et de Nicole de Blois, com-tesse de Penthièvre'. Cette seconde union fut de courte durée, carM Paule mourut le 9 août 14793, laissant après elle une filleencore, Charlotte, mais sans avoir donné au comte de Neversl'héritier mâle qui aurait perpétué son nom. En compensation,il possédait, il est vrai, un petit-fils, Engelbert de Clèves, né desa fille du premier lit, Elisabeth, et c'est à cet enfant, qu'il avait,dès l'âge de sept ans, fait élever à ses côtés, qu'il sembla d'aborddécidé à laisser son comté de Nevers. Il n'en faisait pas mystèreparaît-il, et, un jour que ses serviteurs cherchaient à le détournerde reprendre le harnois de guerre, il leur avait dit en proprestermes, en montrant du doigt son petit-fils « Mes amys, je nevous laisse point despourveuz, vecy vostre conte, vous l'avezreceu comme tel, je tous declare 4 . » Et il semble bien en effetque lorsque vers 1469 Mons. Anglebert », alors âgé de sept ans5,

1. Chastellain, V, 377, 408.2. Le traité de mariage est daté de Boussac, 30 aoifl 1475. La dot fut de

50,000 I. t., dont 20,000 en meubles et le reste en terres (Extrait de L'inven-taire de Nevers, ras. h. 20177, fol. 212 r).

3. son testament porte la date de Nevers, 14 mai 1479 (Dib[. nat., ms.fr. 20177, fol. 218).

4. AscIi. mit, X i a 4832, fol. 381, plaidoirie de chambellan du 30 juin 1491pour Engelbert de Clèves.

5. Il était né le 26 septembre 1462 (AtIgem. deutsche Biographie, iv, 330).

Page 26: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

26 B. DE MÂNDROT.

fit son entrée à Nevers, Jean de Bourgogne lui avait fait pré-parer une réception particulièrement honorable et digne de l'hé-ritier - du comté. A son arrivée à la porte des Ardilliers, l'enfant,coiffé d'un chapeau de violettes, s'était vu présenter les clefs de laville, puis on l'avait promené par les rues richement tendues, oùsur des « échafauds » étaient représentés des tableaux vivants,dont les personnages avaient été « devisés, pourtraits et con-.duits » par maître Antoine de Vezat, jacobin, docteur en théolo-gie, confesseur du comte de Nevers'. L'aïeul, depuis lors, avait,du consentement de sa fille, la duchesse Élisabeth, gardé avec luice cadet de Clèves et il lui avait monté une maisone; bref, tant quevécut la seconde comtesse de Nevers, tout parut indiquer chezJean de Bourgogne l'intention arrêtée de faire d'Engelbert sonprincipal, sinon son unique héritier. Il fut question même unmoment de lui faireépouser sa jeune tante Charlotte de Bourgogne,et, comme il l'avait tenue sur les fonts, on se mit en mesure desolliciter à Home une double dispense; mais il semble que le roiLouis XI se prononça contre ce projet d'union,- de crainte qu'uneentrée dans le royaume ne «U ainsi donnée à ceux d'Allemagne;« de quo, ainsi qu'il disoit, on se devoit garder, pour ce que... ily a toujours ung garde dei'riere pour les Allemands 3 ». On allamême jusqu'à prétendre que ce roi soupçonneux avait vu d'unassez mauvais oeil le séjour prolongé du jeune étranger à Nevers,et qu'à un moment, il exigea son renvoi, ne voulant pas « qu'ilsceust les secretz du royaume' ». Bien ne prouve l'authenticitéde ces propos, qui furent reproduits bien des années plus tard parl'avocat des adversaires d'Engelbert de Clèves; car s'il est certainque, dès le milieu de l'année 1479, les dispositions du comte deNevers à l'égard de son petit-fils furent entièrement changées,

I. Abbé Boutillier, Inventaire des Ârch, de la ville de Nevers, série cc,impôts et comptabilité, p. 29.

2. Des ordonnances rendues par le duc de Brabant, comte de Nevers, en1478 et 1480, pour régler les dépenses de son hôtel, nous apprennent qu'à lapersonne du jeune seigneur étaicnt attachés deux pages, un maitre d'hôte!, tnvalet de chambre, un aide de chambre, un rnaitre d'école et un chapelain(BibI. net., nis. h. 2903, fol, 26-33 r).

3. Mém. du procureur rueleu; Bibi, nat., tus. fr . 2910, fol. 44, copiedu xv' S.

4. Ârch. net ., Xia 4632, fol. 341 y' et suiv. Engelbert'n'était plus à Neversen 1483; il fut à cette époque nommé capitaine d'Utrecht par les États, yfut assiégé par Maximilien et fait prisonnier (Àllgem. deutsche Biographie,IV, 330).

Page 27: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE UROCS DE SA SUCCESSION.27on peut, avec beaucoup plus de vraisemblance, en faire remonterla cause à la naissance de Charlotte de Bourgogne.

Le troisième mariage que le comte Jean, malgré ses soixante-cinq ans, jugea bon de contracter, au pi'intemps de 1480, avecune fille de vingt-trois ans, Françoise d'Albret,. fille d'ArnaudAmanieu, seigneur d'Orval, et d'Isabeau de la Tour', acheva dele détacher de son petit-fils Engelbert de Clèves. Dès lors, ce futla commune histoire du barbon despotiquement gouverné parsa jeune épouse. Intrigante, ambitieuse, la nouvelle comtesse,n'ayant pas d'enfants à espérer, s'appliqua à faire sa fortune etcelle des siens, « et ne lui en challoit si son profit particulier estoitraisonnable ou desraisonnablee ». Le 18 juillet 1485, Françoisese fit assigner en douaire 2,000 1. t. de sur Donzy, Cosne,Châteauneuf-Val-de--Bargis, Entrains, et d'autres terres et sei-gneuries, en si grand nombre que l'on soutiendra plus tard quel'assiette était excessive 3 . L'année suivante (et ce sera la causede la grande querelle qui, pendant un quart de siècle, troublerala maison de Nevers), au mois d'avril 4486, elle marie la fille deson mari, Charlotte de Bourgogne, à son propre frère, Jean d'Al-bret, seigneur d'Orval, alors âgé de vingt-deux ans. Elle l'avaitattiré à Nevers avec le seigneur de Lesparre, son frère lui aussi,et on peut bien croire que la brillante union qu'elle lui procuraitavec l'héritière de Nevers fut le fruit de combinaisons et d'in-trigues savamment poursuivies.

C'est qu'en effet dans le présent, et davantage encore pourl'avenir, Charlotte de Bourgogne était un très désirable parti;aussi son père avait-il eu pour elle de très hautes visées. Ç'avait étéd'abord le comte d'Angoulême Charles, et les négociations matri-moniales avaient été poussées si avant, qu'à la date du 31 décembre

t. Le traité de mariage fut passé au château de Ohébus-Chevrol, en Limou-sin, le 3 mars 1479 (y. st.). La dot fui de 20,000 I. (comte de Soultrait, Extraitde l'inventaire de l'abbé de Marolles, op. cit., coi. 5. 0f. Bibi. nat. ma.(r. 20177, fol. 212 y')

2. Àrch. toit, Xia 4832, fol. 381 et suiv.3. Arch. ont., Xia 4834, fol. 176 et suiv., plaidoirie de Chambellan du 21 février

1493, et Xia 126, fol. 138 v' 0f. Bibi. nat., ma. (r. 2010, fol. 4 et suiv.Engelbef t de Clèves produisit toute une série de pièces â l'appui de ce dire.Pour se rendre apte â contracter, Françoise se serait fait émanciper par sonmari en présence de Jean de la Rivière, sa créature. Puis, asous ombre dé deuxpolis viltaiges qu'elle feignait donner » au comte son époux, elle se fit attribuerde grosses et nombreuses seigneuries (14 novembre 1481). Pareille entreprisen'avait jamais été tentée par ses devancières[

Page 28: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

I

28 B. DE MANDUOT.

1481, les danses du contrat de mariage étaient arrêtées; mais audernier moment, Angoulême, attiré par un mariage encore plusbrillant, s'était dérobé. Plus tard, des propositions au moins aussibelles, en apparence du moins, arrivèrent d'un autre quartieril s'agissait cette fois de Philippe le Beau, comte de Flandre. Lesconditions de cette alliance, sollicitée par les Flamands, furentdiscutées à Hesdin le 24 décembre 1484 entre les envoyés duduc de Brabant, comte de Nevers, Philippe de Crèvecœur, Jeand'Auffay et autres, et les délégués des communes de Flandre. Le2janvier 1485 (n. st.), leurs ambassadeurs arrivaient à Neverspour soumettre leurs propositions à l'approbation du comteJean et, le 41 février suivant, Mgr de Nevers passait procu-ration au président Jean d'Armes et autres qu'il envoyait enFlandre afin d'achever le traité'. La conclusion d'un accord entreles Flamands et Maximilien, duc d'Autriche, qui reprit pos-session de la tutelle de son fils Philippe, amena la rupture deces négociations matrimoniales, que Maximilien se soucia peude poursuivre. Charlotte de Bourgogne n'en était pas moinsune grosse héritière, étant donné les dispositions que son pèreavait prises pour assurer son avenir. En effet, peu après sa nais-sance et du vivant encore de Dame Paule, sa mère, par testa-ment en date de Nevers, le 23 mai 1479, Jean de Bourgogneavait procédé à un partage des ses biens entre ses héritiers natu-rels. A l'aînée de ses filles, Elizabeth, duchesse de Clèves, il lais-sait « ses duchés » de Brabant, de Lothier et de Limbourg avecles terres situées hors du royaume, à l'exception des seigneuriede Chasteau-Regnaut, d'Arches et de Raucourt « joignant lecomté de Rethelois ». Charlotte était de beaucoup mieux traitée,puisqu'elle devait succéder au titre universel à tous les biensque son père possédait en France. Enfin le « duc » léguait à sonpetit-fils Engelbert tout le droit qu'il prétendait à l'encontre desa cousine Marie de Bourgogne, duchesse d'Autriche, k cause dela « récompense » qu'elle lui devait pour raison de ses comtésd'Étampes et de Gien et de la seigneurie de Dourdan. Quant à lacomtesse de Nevers, Paule de Brosse, sans parler de la mutuelledonation que son mari et, elle s'étaient faite, elle devait prendretous les meubles et conquêts immobiliers du testateur, ou, à son

t. Bib!, ont,, ms. fr. 20177, fol. 212 r. cf. comte de Soultrait, ouvr. cil.,col. 6.

2. Bibi. ont., tus. fr . 2901, fol. 35, min. du xv' S.

Page 29: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE i'itods DE SA SUCCESSION.29choix, l'usufruit des comtés de Nevers et de Rethel, des seigneu-ries de Donzy et de Rozoy'.

La mort de la seconde comtesse de Nevers ne diminua pas lapréférence que le comte, son mari, avait si nettement marquée àsa fille du second lit, et le partage qu'il fit de sa succession, lejer avril 1486, entre la postérité d'Élizabeth de Clèves et celle quiallait devenir la femme de Jean d'Albret, seigneur d'Orval, repro-duisit les clauses du testament de 14792. Le traité de mariage deCharlotte de Bourgogne fut passé le 15 avril 1486 devant troisnotaires royaux et sous le scel de la prévôté de Saint-Pierre-le-Moustier. Les bièns apportés par la future mariée lui venaientpour la plupart de sa mère Paule de Brosse et constituaient uncapital considérable. Mais ce n'était point assez, et Françoised'Albret, troisième comtesse de Nevers, avait pris un empire sigrand sur la volonté de son vieux mari que celui-ci n'opposaitplus de résistance à ses suggestions intéressées. De fait, si l'onen croit les affirmations d'Engclbert de Clèves et de ses avocats,à l'époque où nous sommes parvenus, en 1490, le bon seigneurétait presque en enfance, ne tenant « arrest ne propos à son lan-gaige » et plus affaibli encore que ne le sont en général les vieil-lards de soixante-quinze ans. C'était au point que, « quant iloyoit la messe, aucuns faisoient avecques faulx visaige des sottyesautour de l'autel et luy faisoit-on accroyre que c'estoit le dyableet autres petites fantaisies et illusions, par lesquelles apparoissoitévidemment qu'il estoit débilité de son sens et entendement s ».Toujours est-il que, le 22 juin 1490, par un acte formel de dona-tion entre vifs passé par-devant notaires à Saint-Pierre-le-Mous-tier, Jean, duc de Brabant, comte de Nevers, transporta à sa filleCharlotte, « en contemplation »de son mariage avec Jean d'Al-bret, seigneur d'Orval, les comtés de Nevers et de Rethel, lesbaronnies de Donzy, Bozoy 4 , etc., dont il déclara se dessaisirimmédiatement, et il n'est pas téméraire de croire, bien que ledonateur se fût réservé la jouissance sa vie durant de ces bellesseigneuries, que cet acte fut, comme on le dit, attribuable « dcli-

1. Bibi. rat., mn. fr. 20177, fol. 213 r et suiv.2. Comte de soutirait, ouvr. cit., col. 13.3. Bibi. nat., ms. fr. 2910, fol. 26 et suiv., min. Cette (débilité » ne l'empê-

cha pas de faire procéder cette année môme à une nouvelle rédaction de lacoutume de Nivernais (armentier, Àrch. de Nevers, ou inventaire htst, destitres de la ville, Paris, 1842, 11, 3{3).

4. Bibi. nat., ms. fr. 2894, fol. 120, copie du xv' s.

Page 30: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

30 B. 0E !1TÂNDROT.

ramentis novercalibus » et accompli ad utilitatem d'icellenoverque' ». Dès le 28 août suivant, M° Hugues Foucher, procu-reur de M. et de Mme d'Orval, appréhenda la « réelle et corpo-relle possession et saisine » des comtés de Nevers et de Rethel,en se transportant d'abord à l'hôtel seigneurial de la ville deNoyers, puis en la Chambre des comptes et à 1' « Hôtel neuf»,qui appartenait également au duc. Il institua des officiers pourgouverner au nom de ses commettants, et c'est en leur nom éga-lement que, dès la fin de cette année 1490 et jusqu'à la mort duvieux comte, on tint le scel et l'on rendit la justice à Nevers 2

II.

Le comte Jean et les d'Orval espéraient-ils désarmer la résis-tance d'Engelbert de Clèves? ils paraissent avoir tenté avecquelque persistance d'obtenir son assentiment, car, un moisdurant, on discuta à Paris sur les conditions auxquelles il seraitpossible dé l'amener à conclure un arrangement; mais ce fut dutemps perdu. Engelbert n'ignorait pas d'où partait le coup qui lefrappait, car, depuis longtemps, Françoise d'Albret avait réussi àle brouiller avec son grand-père, qui avait fini par le chasser deNoyers. Encouragé hypocritement par son oncle d'Orval, il réso-lut de tenter auprès de son aïeul une suprême démarche et il repritla route du Nivernais. Au dernier moment, il se vit interdire l'ac-cès de Nevers, persista néanmoins, finit par se faire admettre, et,se voyant refuser l'hôtel du comte, finit par descendre dans unehôtellerie. Après mille difficultés, Jean de Bourgogne se décide àle recevoir, et, en voyant son petit-fils, intimidé parla présence desa femme et du seigneur d'Orval, il ne sait que « se taire, pleureret larmoyer ». On presse Engêlbert de ratifier l'acte de donationqui le dépouille; il refuse, s'indigne, d'Orval et lui s'échauffent,et peu s'en faut que l'oncle et le neveu ne se jettent l'un surl'autre. Engelbert quitta Nevers et retourna vers le roi sans avoirrien consenti ni rien obtenu; mais du moins il avait mis à profitson séjour pour animer ses partisans assez nombreux dans le« menu peuple de la ville ». Aussi la colère de son grand-père neconnut-elle pas de bornes lorsqu'il apprit que ce rejeton de sa

1. Bibi- nat., m g. Ii. 2910, fol. t et suiv., op. cit.'2. Ibid., foi. 43 et suiv.

Page 31: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROIiS DE SA SUCCESSION.31race avait été vu buvant et mangeant avec des artisans, cordon-niers et « autres gens mecanicques » et que, dans le but d'accroîtresa popularité, il avait promis aux habitants de Nevers de lesfaire vivre en franchise lorsqu'il serait devenu leur comte.. Lesd'Orval ne tardèrent point à mettre à profit l'irritation du comtede Nevers pour assurer la situation privilégiée que leur avait crééela donation du 22 juin 1490; à leur instigation, Jean de Bour-gogne renonça à l'usufruit qu'il s'était d'abord réservé, et, de cefait, sa fille Charlotte se trouva nantie de la propriété intégraledes domaines, paternels; il fut convenu seulement qu'après enavoir directemeniperçu les fruits et revenus, elle les remettrait àson père'. Enfin, quelque temps après, M. d'Orval obtenait d'êtrereçu par le roi à foi et à hommage pour les seigneuries comprisesdans la dontion consentie au profit de sa femme et au sien2.Mais, de l'autre part, Engelbert de Clèves était décidé h nepas aban-donner ses droits : il en appela du roi-au parlement de Paris et,passant de la parole h l'action, fomenta à Nevers une véritableémeute, qui, durant trois mois, malgré la présence du vieuxcomte dans la ville, mit à feu et à sang cette paisible cité. Noussommes au mois de janvier de l'année 1491. L'agent principald'Engelbert, un homme de guerre nommé Jean Tabou, « .povregalant qui se veult enrichir en temps trouble s », et avec lui uncertain maître Jean Chaumier, lieutenant du bailli de Saint-Pierre-le-Moutiers, ramassent quelques centaines d'hommes « dupopulaire » et s'efforçent de prendre possession, au nom de Mgr deClèves, du comté et de ses dépendances, sans se soucier des objur-gations du comte Jean lui-même, auquel son petit-fils a signifiéd'avoir à interdire aux d'Orval de se porter comte et comtesse deNevers. Tabou, revêtu « d'une robe de velours », se proclameinvesti du pouvoir de bailler les offices du.cointé aux partisansde son patron, Mgr de Clèves. Les choses en arrivent au point, quele prévôt du bourg n'ose plus sortir le soir, et, sous peine d'êtreoutragé, menacé ou « pis encore », il faut qu'aux « insidiateurs »les passants interpellés répondent « Eugelbertl ». Les échevins

1. Arcli. net ., Xi a 4833, fol. 59r et suiv.2. Areb. nat., Xli 4812, foi. 341 r et suiv.3. Plaidoirie de Michon, avocat des d'Orval, du 27 juin 1491, au criminel

(Àrcb. naL, X2&60). Son adversaire, chambellan, soutiendra au contraire queTabou est gentilhomme (Ibid.., 1" juillet 1491). Les « excès» furent séparés dela cause, plaidés à part et enregistrés en greffe criminel.

4. Plaidoirie de Michon, citée (Xo60, juillet 1401). Chambellan rejette sur

Page 32: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

82 B. DE MÂNDEOT.

sont empêchés de vaquer aux affaires municipales et l'homme deconfiance du comte de Nevers, le seigneur de La Rivière' (queses ennemis qualifient « d'un des facteurs et gens attitrés » desd'Oi'val), présidant à la réparation des ponts de Nevers 2 , en vued'un voyage annoncé du roi, La Rivière, disons-nous, est sifurieusement assailli par une bande de forgerons et de charbon-niers dirigée par Chaumier qu'il est contraint de prendre la fuite.Le héraut même du comte et son trompette sont battus sans misé-ricorde; enfin une troupe d'Allemands à la solde d'Engelbert, quia pénétré dans Nevers, s'en va criant par les rues « ViveClèves t Vive Clèves! » Engelbert est là en personne, usant de« rigoreuses parolles »; le populaire « porte harnois » et la mai-sonde Chaumier est transformée en place forte. Unjour du moik demars, la bande se porte au faubourg Saint-Étienne, annonce auxhabitants consternés qu'une troupe de 2,000 hommes de guerres'apprête à se jeter sur eux, crie « aux bastons » et fait sonner letocsin au clocher de Saint-Victor, alors que c'est simplementl'abbé de Cluny qui approche avec une suite de quelque quatre-vingts chevaux 3 . Chaumier veut à tout prix empêcher les élec-tions municipales, et il y réussit en provoquant « un tumulte ».Voilà, du moins, ce que feront plaider les d'Orval; niais, bienentendu, l'avocat de Messire Engelbert s'attachera à démontrerque les fauteurs des troubles de Nevers ont été en toute occasionles archers mêmes du comte. Suivant lui, ce sont eux notammentqui, le jour des élections, alors que défense avait été faite à tousde se rendre en armes à la maison de ville, l'ont envahie, sousla conduite d'Henri le Breton, serviteur des d'Orval, qui s'en

les archers du comte Jean la responsabilité de certaines violences subies par leprévôt Levesque. -

1, Jean de la Rivière, chevalier, seigneur du lieu et de « tjhaniemy, Bon-zay, Vassy, Ars-en-Sony ., etc. (Bibi. net ,, ma. fr. 20177, fol. 228). Sur lesponts de Nevers, cf. Pârmentier; Inventaire hst. des titres de Nevers, E 944.

2. Plaidoirie de Michon, citée.3. À la fin du xi' siècle, Guillaume li, comte de Nevers. avait fait don à

l'abbaye de Cluny de l'église du monastère Saint-Étienne à Nevers, ainsi que dubourg et des hommes qui y demeuraient (Goy coquille, ouvr. cil., p. 129).

4, plaidoirie de Michon, citée. Contra plaidoirie de Chambellan, citée. L'élec-tion des quatre bourgeois, dits échevins, par la communauté -se faisait àNevers le second dimanche de carême. Les nouveaux échevins convoquaientl'assemblée pour le dimanche suivant afin de nommer les autres officiers.Comme tout le monde était admis aux délibérations, il en résultait de fré-quents désordres (Parmentier, Arch. de Nevers, op. cil., 1, 38).

Page 33: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROCÈS DE SA SUCCESSION.33allait criant : « De par Dieu ou de par le dyable, tuez, tuez toutecette canaille! » Fable le tocsin sonné à l'approche de l'abbé deCluny, et fable aussi l'histoire de La Rivière insulté Sur les ponts,car c'est lui au contraire qui a menacé de jeter < sur les car-reaux » Tabou, cet innocent qui ne voulait autre chose, sinonqu'on le laissât « despendre sort joyeusement en la ville , »!

La seule chose certaine, c'est que Nevers était bouleversé. Legouvernement royal s'en émut et se mit en mesure de ramener lapaix; seulement, il s'y prit de singulière façon en confiant la mis-sion de rétablir l'ordre à Guillaume de Corguilleray, prévôt desmaréchaux de Franco, mais « domestique » des d'Orval, car ilétait capitaine de Châlons-sur-Marne, en celte province deChampagne dont Jean d'Albret était gouverneur, tandis que safille et deux de ses neveux étaient attachés à sa maison ou à cellede sa femm 2 . Aussi, dès son arrivée à Nevers le fougueux pré-vôt commence-t-il par déclarer qu'il n'y a point dans la villeassez de cordes pour accrocher tous ceux qui méritent d'être pen-dus et il annonce à tous qu'il va faire tel exploit qu'on en. par-lera pendant cinq cents ans. En gens pratiques, ses archers sepromettent très haut de faire chacun 1,000 francs de butin àNevers. Sur quoi, les citoyens terrifiés courent se mettre en fran-chise ou s'enferment dans leurs maisons. On avertit aussitôtMessire Engelbert de ce qui se passe et il obtient l'envoi à Neversde maître Émery Louet avec ordre à Corguilleray de ne rienfaire sans son approbation. Le prévôt refuse d'obéir; alors.Engelbert adresse au parlement « requête narrative » des appel-lations qu'il a déjà. introduites devant la cour, car le procès civilest commenc&', et une formelle défense est expédiée à Corguillerayde continuer à se mêler de la matière. Bref, après d'autres inci-dents, les Nivernais virent arriver un conseiller au parlement,maître Philippe Simon, commis à informer de ce qui s'était passéà la requête de chacune des parties. Corguilleray se résignealors à mettre un ternie à ses exploits et quitte Nevers; mais cen'est qu'un faux départ, car il ne tarde point à revenir, et, dansle but de fermer la bouche aux témoins défavorables à une causequi est la sienne, il fait arrêter quelques-uns des plus déterminés

1. Plaidoirie de Chambellan, citée (X2. 60, 1" juillet 1491).2. Ibid. cf. reg. X' . 4832, fol. 403 et suiv., 14 juillet 1491.3. 17 novembre 1490 (Comte de Soultrait, ouvr. cil., ccl. 13).

Page 34: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

E. DE MLNDEOT.

partisans d'Engelbert, met leurs demeures à sac, fait rouer decoups leurs serviteurs et ajourne une quinzaine d'autres citoyensà comparaître en personne devant le parlement à Paris, afin deles éloigner de la ville tout en leur causant, par un coûteuxvoyage, un sérieux préjudice pécuniaire'.

Lorsque l'avocat général Courthardi eut à donner son avisdevant la cour de parlement assemblée au criminel sur l'originede la « commotion » de Nevers, il dut éprouver quelque embar-ras en présence des si contradictoires assertions des avocats res-pectifs dEngelbert de Clèves et des seigneur et dame d'Orval. IIconstata qu'il y avait à Nevers deux partis opposés, dont lesentreprises avaient provoqué des « excès, monopoles, assembléesillicites, commotions de peuple et séditions », et que plus de troiscents dépositions avaient été recueillies sur place par maître Ph-lippe Simon, qui avait ajourné les principaux coupables des deuxpartis hostiles à comparaître en personne devant la cour de par-lement à Paris'. Mais, en attendant, il était urgent, pour écar-ter un péril qui menaçait l'existence même de la ville de Nevers,de faire tomber les armes des mains des factieux, et, bien qu'unprocès en matière civile fut commencé entre les intéressés et qu'enpareil cas les parties non debeant cogi adpacern sed exortari,le préjudice causé à la chose publique était si grand que la couravait le pouvoir de contraindre les adversaires ad coVrtponen-dum, de prohiber à Nevers le port de « batons », le logementde gens de guerre chez l'habitant, etc. Contre les meneurs, Tabou,Chaumier et consorts, déjà ajournés à comparaître en personne,l'avocat général opina pour la peine capitale, comme ayant « for-tifié et artillé » des maisons à Nevers propria auctoritate,inscio principe, ce qui était crime de lèse-majesté. Le bannis-sement à perpétuité, avec confiscation des biens, constituait entout cas le minimum de la peine qu'avaient méritée ces véritablesfauteurs de sédition. Dans l'autre parti, les nommés Brasdefer etHenri le Breton n'étaient point passibles d'une moindre peine.Quant à Richarmez, le capitaine des archers du comte de Nevers,et au prévôt Corguilleray, ils méritaient d'être ajournés devantla cour. Enfin, absolue défense devait être faite au comte deNevers et à MM. d'Orval et de Clèves d'introduire des gens de

I. Plaidoirie de itiichon, reg. entE., X' 60, 1" juillet 1491.2. Areb. ont., reg. criin., Xia 60, 5 juillet 1491.

Page 35: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE Et LE rnocùs DE SA SUCCESSION.35

guerre dans Nevers, où le bailli de Saint-Pierre-le-Moutier seraitinvité à exercer une active surveillance'.

Cependant, le procès civil engagé par Engelbert de Clèvescontre le duc de Brabant, comte de Nevers, et les seigneur etdame d'Albret suivait lentement son cours devant le même parle-ment de Paris. La thèse développée par l'avocat de M. de Clèvesétait la suivante à l'époque du mariage de sa mère, MrnG Eliza-beth de Bourgogne, avec le duc de Clèves, il avait été formelle-ment stipulé, et Messire Jean de Bourgogne avait promis « enparolle de prince et par serment sollempnel, tout dol et fraude ces-sant », que seule la survenance d'un fils excluerait , a duchessede sa succession et que, si elle venait à décéder avant sou père,ses enfants, au cas où elle en aurait, lui seraient substitués parreprésentation. Or, si MmO de Clèves avait disparu 2 , son filsEngelbert était là pour la remplacer a , ce qui était conforme auxdispositions des coutumes de Nivernais et de Rethelois; et, d'autrepart, un accore passé entre Engelbert et ses frère et soeur legarantissait contre toute réclamation éventuelle de leur part.Quant aux droits que pourrait prétendre à la même successionMmG d'Orval, demi-soeur de la défunte duchesse de Clèves, ilsétaientnuls par le fait que M'"° Elizabeth était née bien longtemps avantelle et que, dans l'espèce, le droit de l'aînée était incontestable4.Comment, dès lors, qpifler la donation faite par le comte deNevers à cette fille cadette et à son mari, sinon comme un dol dontl'inspiratrice était M tm0 Françoise d'Albret, car c'était bien ellequi avait « exquis tous moyens frauduleux pour ayder, fruster lesgr 4e Clèves de tout héritaige.et le mettre en la maisop 'Orvalet entre les nains du sgr d'Orval, son frère, et ... fait faire cer-taines telle quelles donacions par dol et fraude par un vieillardlors aagé de quatre-vingts ans et indisposé de son entende-

1. Ai-eh. rat., reg. crim., X2a 60, 5 juillet 1491.2. Elle testa à liouzy le 4 janvier 1485.3. Les arguments présentés en faveur du représentant môle, qui doit exclure

la descendance féminine de la succession du fief, sont assez piquants t lafemme ne peut porter les armes; 2' elle ne doit pas se mêler aux assemblées;3 elle stinaptè à décider de choses ardues; 4" souvent femme varie Termutatur in bora, unde Virgilias variera et mutabile semper femina D; .5' elleest incapable de garder un secret.

4. « Quando nepos est natos ante patronne yel amictam, tom jus primogeni-ture peitinet ad ipsum nepotem, quia ni-11m est dicere quod nepos est nainsgenitus ante palmure. »

5. Jean de Bourgogne n'en avait que soixante-quinze en 1490.

Page 36: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

Il. DE MÀNDftOT.

ment ». Tout cela était contraire non seulement à toute justiceet, qui plus est, absolument irrégulier, car non seulement MessireEngelbert devait succéder à son grand-père' et lui succéder sanspartage, vu que « comitatus est feudum indivisibile in quo suc-cedit primogenitus integraliter », mais encore le comte de Nevers,sans parler des engagements qu'il avait pris jadis, avait trans-gressé la règle de droit « non permittitur disponere de regno valcomitatu ». Pour conclure, l'avocat de M. de Clèves, après avoirexalté sa maison aux dépens de celle d'Albret, qui n'ètaitc conténe baronie », demanda à la cour de débouter les d'Oi4val deleurs prétentions en les condamnant à une amende de 10,000 1.

Aux articulations d'Engelbert de Clèves et de son porte-paroles, l'avocat Chambellan, que va répondre Michon pour sesclients le comte de Nevers et les d'Orval? En premier lieu, qu'ilest loisible à chacun de disposer de son bien, et que depuis long-temps Mgr de Nevers avait, « par amour et inclination natu-relle n, témoigné son intention d'avantager sa fille cadette, « pro-créée et generée en son ancien aage », d'autant que sa fille aînée,mariée jadis « es pays d'Allemagne » par la volonté du duc Phi-lippe le Bon, était depuis longtemps décédée. Si le comte avaitchoisi pour son gendre le seigneur d'Orval, c'est quil était dehaute naissance, de bonnes moeurs et, avant tout, bon Français.De quel droit d'ailleurs M. de Clèves venait-il contester à sonaïeul la faculté de disposer librement de ce qui était à lui, par unacte de donation en bonne forme? Soutiendrait-on sérieusementqu'une promesse faite dans une • simple lettre privée en 1456,c'est-à-dire à une époque où Jean de Bourgogne n'était encoreque comte d'Étampes, pouvait actuellement l'empêcher de don-ner le comté de Nevers à qui il l'entendait? Au reste, « heredi-tas non potest dari in dotent », car s'il en était ainsi, que devien-drait la liberté de tester? Si elle avait survécu à son père, laduchesse de Clèves eût-elle été admise à réclamer du fait qu'elleétait l'aînée? Certainement non, car lorsqu'il n'existe pas d'en-fant mâle, toutes les filles succèdent à part égale. De plus, M. deNevers n'avait pas exhérédé cette fille aînée, puisque non seule-ment il l'avait richement dotée à l'époque de son mariage, maisqu'encore la donation de 1490 avait laissé à son fils le comtéd'Eu, la seigneurie de Saint-Valéry et des droits sur le duché de

t. Le taxer d'étranger était absurdeJus agnationis est immutabite, »

Page 37: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PItOCiS DE SA SUCCESSION,31Brabant. Enfin, suprême argument, toute discussion était pré-maturée, car la succession du comte de Nevers n'était pasouverte, et, pour engager un pareil débat, les convenances eussentexigé que le vieillard ne fût plus de ce monde «. Fault laisservivre le bon seigneur duc, dont viennent les biens, sans vouloiravoir sa succession avant qu'il soit mort! » Or, c'est à quoi pré-tendait Messire Engelbert de Clèves, cet étranger, cet Allemand,auquel pouvait s'appliquer le vers d'Ovide « Filius ante diespatris inquirit in annos'! » Pour finir, le disert avocat adjurala cour de maintenir M. et M' d'Orval en possession des sei-gneuries que le comte de Nevers Ieur avait données et d'enexclure à jamais leur adversaire.

HI.

Tout était dit de part et d'autre et l'affaire semblait en état dejuger, lorsqu'un incidènt survint, qui remit tout en questionJean de Bourgogne, duc de Brabant, comte de Nevers, expira le25 septembre 1491. Clèves aussitôt de prétendre que le litige étantterminé en ce qui le concernait, le procès devait être repris à nou-veau, et les d'Orval de contester cette prétention, en soutenantque la mort du vieux comte n'innovait rien et n'avait fait queconsolider le « viage » à leur propriété. ils produisirent aussi unsecond testament, daté de Nevers, le 5juillet 1490, qui confirmaitpurement et simplement la donation du 29 juin précédent s . Entretemps, Engelbert s'était introduit à Nevers « en habit dissimulé »,avait mis la main sur tout ce que renfermait l'hôtel du défuntcomte et s'était emparé de la clef de ses archives; de son côté,d'Orval occupait les châteaux de Cuffy et de Montenoisqn, Châ-teauneuf-Val-de-Bargis, Saint-'Verain-des-Bois, Champalle-ment et d'autres places en Nivernais, pillait les bonnes gens dupays et serrait de près la ville de Nevers'. Les deux parties cher-

1. Arch. nat., Xi- 4832, fol. 446, 4 août 149!. cf. fol, 403 etsuiv., 14 juillet(ni. a.). Aux reproches formulés contre la comtesse de Nevers, son défenseurrépond que ce n'est point un délit que de procurer le bien de son frère et que

etiam licet uxaribus aliquando provocare rnaritos blende serinone ». On n'estpas plus fin

2. Arcli. net ., Xl" 4833, fol. 59 y' et suiv., 15 décembre 1491. Cf. Bibi. rat.,mn. &. 2910, fol. 43 et suiv. « M. de Clèv'es... ne quiert que à reculer.

3. Un résumé de ces dispositions testamentaires se trouve au ras. fr. 20177,foi. 519 r, copie.

4. BibI. nul., ms. fr. 2910, fol. 69 et suiv. cf. Arch. net ., reg. Xia 4833,

Page 38: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

38 B. DE IdÂNDROT.

chaient à se créer une possession d'état. A Paris, les d'Orvalréclamaient vivement contre le coup de main d'Engelbert deClèves et insistaient pour que leurs officiers à Nevers fussentrétablis dans les fonctions qu'ils exerçaient à l'époque du décèsde Jean de Bourgogne. Pendant ce temps, l'avocat de leur adver-saire manoeuvrait pour les pousser dans une impasse s'ils seportaient héritiers du défunt comte de Nevers, il demandait qu'ilsfussent mis dans l'obligation d'accomplir les engagements qu'ilavait contractés à l'époque du mariage de sa fille aînée Élizabeth,duchesse de Clèves; au cas contraire, c'est Messire Engelbert quidevait être tenu héritier pour le tout et obtenir gain de cause 1 , et,naturellement, il soutenait imperturbablement la parfaite vali-dité de l'engagement pris par le comte défunt à l'égard de sa filleaînée.

Le duc d'Orléans, le futur roi Louis XII, avait, dès le début decette querelle, « porté merveilleuses faveurs » à son cousin ger-main Engelbert de Clèves; « il sollicitoit ledit procès et alloit demaison en maison » avec Engelbert visiter les présidents et con-seillers du parlement de Paris 2 . Charles VIII, de son côté,aimait ce cadet de Clèves 'pour sa brillante valeur et ses talentsmilitaires. Il lui conféra des lettres de naturalité et lui abandonnale comté d'Auxerre 3 . Mais M. d'Orval n'était pas moins bien encour : il était gouverneur de Champagne, et on a vu que, dès le19 novembre 1490, le roi l'avait reçu à foi et à hommage pour lecomté de Nevers. La balance de la faveur royale semblait plutôtpencher en sa faveur qu'en faveur de son adversaire; car, aprèsavoir, le 8 mai 1492, délégué le sire d'Aubigny auprès de Mes-sieurs du parlement afin de les presser de « vacquer et entendre àtoute diligence » à la poursuite du procès et leur recommander lebon droit du sgr d'Orval, Charles VIII y insista de nouveau le14 juillet, en les priant de lui donner leur opinion sur ce qu'il yavait à faire « pour le bien des parties et en toute justice' ».

fol. 59 r et suiv. Après le décès de son grand-père, Engelbert s'intitula comtede Noyers, d'Eu, de Rethel et d'Auxerre.

1. Areb. na., Xla 4833, foi. 59 r et suiv., 15 décembre 1491. 0f. Xla 4834,fol. 358 r et suiv., 13 juin 1493.

2. Bibi. nal., rns. fr. 2910, fol. 80 et suiv.3. 21 février 1489 (Bibi. est., tus. fr. 20177, fol. 218 y'. cf. ms. fi'. 2901,

fol. 38). A la date du 16 avril 1490, le roi envoie Aubert le Viste à Paris avecmission de faire entériner ce don, que le parlement faisait difficulté de reeon-naitre (Pélicier, Lettres de Charles V!!!, y, 232). -

4. Ibid., III, 265, 287.

Page 39: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROCÈS DE SA SUCCESSION.39

Combattue par diverses influences, la cour de parlement neparaît point avoir voulu décider . encoie sur le fond du débat; parun arrêt rendu le 15 mai 1493, elle déclara que, contrairement àla requête formulée par leur adversaire, M. et Mi ne d'Orval neseraient point tenus d'affirmer dores et déjà s'ils étaient ou nonhéritiers du feu duc de Brabant; et, afin d'assurer l'ordre enNivernais, ce même arrêt mit le comté en la main du roi, jus-qu'à intervention d'une décision finale; revenus et fruits devaientêtre également partagés entre les deux parties par les commis-saires désignés pour les recueillir'. Engelbert de Clèves se sou-mit, non sans protestation 2, et abandonna Nevers, Decise, Cercyet les autres places qu'il avait si vivement occupées; mais au par-lement le procès continua à se traîner d'année en année et d'in-nombrables incidents à se greffer sur le débat principal e . On dis-cuta à fond, car c'était un point capital, la question de la validitéde la promesse faite par le défunt comte de Nevers, alors comted'Étampes, à sa fille Elizabeth, et Engelbert de Clèves produisitune copie du traité de mariage de la duchesse de Clèves avec desattestations en due forme émanant du duc de Juliers (28 octobre1493), des échevins de ClèvS (14 novembre 1493), des magis-trats de Bruges (6 décembre 1493), d'où il résultait qu'en Flandreet en Allemagne toutes lettres émanant de princes et de seigneurs,fussent-elles de mariage ou de succession, devaient être réputéesdignes de créance et parfaitement authentiques lorsqu'elles por-taient les sceaux des contractants, et cela même en l'absence detoute signature'. Il s'attacha à prouver encore par des comptes

I. Bibi. nat., ms. fr. 2910, fol. 4 et suiv. A la date du 19 juillet 1493, com-mission fut donnée à maîtres Robert Thiboust, président, et Guillaume Aile-grin, conseiller au parlement de Paris, pour placer à ta tête du gouvernementdu Nivernais Érard de Digoyne, chevalier, et Jean Bardin, seigneur d'Avry, entous offices, sauf la justice (Bibi. nat., ms. (r. 2903, fol. 42, copie du xv' s.).

2. Cf. ms. fr. 2910, fol. 69 et suis. ice sont les faiz et articles sur lesquelzEngelbert Mous' de Clèves, etc.. ... requiert information.., contre Mess, maîtresRobert Thiboust et Guill. Allegrin, , etc.

3. C'est ainsi qu'on plaida spécialement sur la question de l'attribution desdouaires et conquéts s douaire de Jacqueline d'Amy, douaire de Paule de

Brosse, etc. cf. Arch. nul., Xi- 4838, fol. 146 V' et suiv., 2 mars 1496 ( y . si.);fol. 230, 11 mai 1497. L'arrêt lui-même donna lieu à de nombreuses difficultésd'interprétation. Engelbert reprocha, par exemple, au président Robert Thiboustet au conseiller Guillaume Allegria de n'avoir commis aux offices du comté deNevers que des gens favorables à la cause de ses adversaires. cf. Areb. nat.,ms. fr. 4839, fol. 189, 15 mars 1497 ( y . st.), et Bibi. net ., ms. fr. 2910, fol. 4et suis., et 69 et suiv.

4. M$. fr. 2910, fol. 4 et suis.

Page 40: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

40 B. 0E M.&NDROT.

et pièces d'archives dérobés à la chambre des comptes de Nevers'qu'à des dates postérieures à la donation de 1490 les revenus ducomté de Nevers avaient été perçus par les officiers de MessireJean de Bourgogne et non par ceux de M. d'Orval, et que, jus-qu'à sa mort, le vieux seigneur n'avait cessé d'être tenu là-baspour comte de Nevers et de Rethel, tandis que M' d'Orval safille.ne vivait que de ses libéralités. Il en concluait nécessaire-ment que les d'Orval n'avaient, du vivant du défunt, ni joui nipossédé, contrairement à ce qu'ils prétendaient, et que par con-séquent c'était lui, Engelbert, et lui seul, qui, héritier légitime desbiens de son aïeul, s'était, au jour du décès, trouvé saisi et « vêtu »des fiefs dépendant de la succession.

L'expédition d'Italie interrompit cette procédure. Engelbert yprit une part brillante et se distingua fort durant la retraite3.C'est probablement pour s'être tiré sain et sauf de cette périlleuseaventure que, deux années après, le 20 mai 1497, on le voit pré-senter une requête au parlement de Paris, afin d'être autorisé àse rendre à Nevers avec sa femme Charlotte de Bourbon-Yen-dôme, pour s'acquitter d'un voeu qu'il avait fait en. Italie à Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle s . Le moment approchait du reste oùsoit allait éclipser entièrement celle de son oncle d'Albret;car la mort de Charles VIII, en plaçant l'autorité souveraine auxmains de Louis XII, mettait à son service la prépondéranteinfluence du roi. Celui-ci, pour employer les termes d'un mémoirerédigé en faveur des Albret, fit « son propre fait » de lacause de son cousin de Clèves et, après la mort de dame Char-

t. e Lesquels... Clèves a fait prendre par violence et par-dessus la main du,roi.,. » (Dit]. net., ans. fr. 2910, fol. 43 et suiv.).

2. Un compte ong, des dépenses extraordinaires baillées par Hugues Pon-tiart, secrétaire à ce commis par le duc de Brabant, comte de Nevers, quiporte la date de juin-juillet 1491, contient en effet nombre d'articles concer-nant M' la duchesse a (de Brabant, Françoise d'Àlbret) et t M' la comtesse j(de Nevers, Charlotte d'Orval).

3. ftfdm. de Ph. de Commynes, M. Mandrot, 11, 273. Par une lettre datée deTurin, 2 août tés, Charles VIII manda au parlement de suspendre l'examendu procès de Nevers jusqu'au retour de M. de Clèves. Cf. As-eh. nat., Xia 9323,n' 157.

4. La permission fut accordée à la condition que messire Engelbert ferait levoyage e es' simple estat et compagnie ordinaire » (Arch. net ,, X'a1503,fol. 136). Le contrat de mariage d'Engelbert de Clèves et de charlotte deBourbon, qui comportait une dot de 30,000 I., assignées sur le comte d'Auxerre,porte la date du 23 février 1489 ( y- . si .), à Saint-Poureain. cii'. Godefroy, Hist.de Charles VIII, p. 600 et cuir.

Page 41: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE EOOR000NE ET LE PROCÈS DE SA SUCCESSION.41

lotte, en l'année 1500, contraignit M. d'Orval à renoncer à lajuridiction régulière et à souffrir que la décision du procès fûttransférée à une commission composée de huit conseillers choi-sis dans le sein du parlement. Un peu après, et bien qu'il sût desource certaine que le droit de M. de Clèves était « foible et fortdoubteux », Jean d'Albret fut contraint par la même toute-puis-sante ihsistancd à concéder que, pour préparer le jugement, « iln'y auroit que quatre personnes du parlement » désignées par leroi, qui se réservait de prononcer lui-même en dernier ressort,après avoir pris connaissance du rapport qui lui serait soumis.Ces quatre personnages furent les présidents Baillet, Paris etGuymier et le conseiller Bezanson'. Ils examinèrent l'affaire, et,vers le milieu de l'année 1502, le président l3aiflet remit àLouis XII leur « sentence, avis et opinion ». M. d'Orval fut aus-sitôt convoqué; mais assuré d'avance que le roi lui imposeraitune solution peu conforme à l'intérêt de ses enfants, il se hâta defaire rédiger « certaine protestation subreptice ». On ne lui com-muniqua même pas la sentence des commissaires; mais il réus-sit à découvrir qu'elle lui était fàvorâble. Du moins, c'est ce qu'ilaffirma, et cette affirmation devait être exacte, puisque, à son tour,son adversaire qualifia ce dictum d' « abus » et protesta que lesquatre conseillers qui l'avaient rédigé n'étaient «juges ni arbitresen la matiere, mais seulement commis à en faire rapport au roi»,C'est ainsi que l'entendait Louis XII; qui, déterminé à faire triom-pher son cousin de Clèves, fit tout pour briser la résistance du sei-gneur d'Orval; au bout d'une année, on finit par le faire consentirà laisser examiner l'affaire par une nouvelle commission, qui futcomposée d'Étienne Foucher, évêque de Paris, de l'évêque d'An-goulême Hugues de Bause, et de Jean de Nicolaj k , maître desrequêtes. Soustrait à ses juges naturels, craignant tout de lacolère du roi, « lequel uoit de vengeance et oultraige enversceulx qui luy estoient désobéissans 7 » ( l'eût-on cru de Louis XII?),menacé encore d'être exilé de la cour et privé non seulement del'administration de ses biens, mais du gouvernement même de sesfilles, Jean d'Albret céda; mais non sans avoir encore secrètementprotesté qu'il entendait « impugner » tout ce que les commissairesdésignés pourraient décider à son préjudice et qu'il ne se dépar-

1. Bibi. nat., ms. fr. 2910, IbI. 80 et suiv., copie du xv" S.2. Ibid.

Page 42: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

42 B. DE IIIÂNDIIOT.

tait pas des termes de la première sentence telle qù'elle avait étélibellée par le président Baillot (23 août 1504). Un mois plustard, le 23 ou le 24 septembre, Louis XII appela les deux adver-saires à Blois, et, le 4 octobre, il faisait décréter sa sentencedéfinitive. Si nous n'en connaissons pas le texte exact, du moinspossède-t-on un extrait de l'arrêt d'homologation qui fut renduen parlement le 17 janvier 1505' (n. st.). Par cette sentence, ladonation faite en 1490 par le défunt comte de Neers à sa filleCharlotte et au seigneur d'Orval était reconnue bonne et valableet la propriété des biens qui y étaient compris demeurait auxtrois filles issues de ces deux personnages. Mais le roi, s'érigeanten souverain arbitre, décrétait que, pour éteindre toute contesta-tion, le fils aîné de Messire Engelbert, Charles de Clèves, seraituni à l'aînée des filles d'Orval, Marie d'Albret', qui, pour sa part,recevrait le comté de Nevers. De même, sa soeur Hélène 3 épouse-rait M. Loûis de Clèves, frère cadet du précédent, et deviendraittitulaire du comté de Rethel. Si aucun enfant ne naissait de cesdeux unions, la quarte partie de chacune des parts d'héritageattribuées auxdites demoiselles retournerait à Messire Engelbertet à ses ifis en toute « propriété, seigneurie et prééminence' ».M. de Clèves conservait le comté d'Eu et les terres de Picardie,qui avaient appartenu à son aïeul. Quant à sa troisième fille,Charlotte, elle reçut pour sa part la baronnie de Donzy et lesterres de Champagnes.

M. d'Orvai n'osa point en appeler ouvertement de cette sen-tence, qui, de son aveu, renfermait t certaines choses à son util-lité et de ses filles » et beaucoup d'autres à leur préjudice; mais,le 27 septembre 1504, fidèle à la ligne de conduite qu'il avaitprécédemment suivie, il fit dresser par-devant notaire un actesecret, aux termes duquel il déclarait en appeler. On n'en voitpas moins les parties, au mois d'avril 45056, négocier à Donzy

I. Ibid. cf. Bibi. ni., us. fr. 20177, fol. 223, ouvr. ait.2. Née à Cusy.sur.Loire le 25 mars 1492, morte à Paris le 27 octobre 1549.3. Née à Montrond-lès-Orval le 16 juillet 1495.-4. La dernière fille de M. d'Orval, charlotte d'Albret, qui devint la femme

d'Odet de Foi; seigneur de Lautrec, fut exclue de l'acquisition éventuelle decette quarte partie; il en résulta ultérieurement mi procès.

5. BibI. net ., ms. fr. 2910, fol. 80 et suis'., copie du xvi' s. Ces domaines deChampagne sont dénommés Ide, Saucourt, JuilIy, ta Grève, Chaource, Marais etVilmaur, par Gillois, Chronique dit Nivernais, p. 161.

6. Le Dictionnaire de Moréri (1759), t. VII, p. 986, fournit pour le mariage

Page 43: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN 0E BOURGOGNE ET LE PROC*5 0E SA SUCCESSION.43les clauses et conditions du mariage de Marie d'Albret, parvenueà l'âgé nubile, avec Charles de Clèves. Elles tombèrent d'accordpour biffer la clause qui déférait à Engelbert et à ses fils le quartdes apports des deux demoiselles d'Orval pour le cas où ellesviendraient à mourir sans postérité et il demeura convenu que,dans cette éventualité, « la totalité des parts et portions à ellescontingentes des donations faites à feu leur mère » reviendrait àleur soeur cadette, Charlotte. Mais on doit croire qu'Engelbert seravisa, car, au mois de janvier 4507 (n. st.), « à son pourchas »,Louis XII fit enjoindre à M. d'Orval de procéder incontinent aumariage d'Hélène d'Albret avec Louis de Clèves, et, qu'en letraitant, on « rabillât » ce à quoi on avait dérogé à l'époque dumariage de sa soeur aînée. Par ordre du roi, le chancelier deFrance Gui de Rochefort intertint en personne et contraignitJean d'Albret à signer une déclaration par laquelle il s'engageaità rétablir en leur intégrité les termes de la sentence du 4 octobre1504 et stipulait la nullité de toute dérogation précédemmentconvenue'; C'est vainement que d'Orval réclama une rédactionqui mettrait au moins sa responsabilité à couvert vis-à-vis de sesfilles; le roi refusa de rien entendre et prit cette requête « mer-veilleusement mal en gré s », si bien que, tout en protestant secrè-tement, Jean d'Albret dut s'exécuter cette fois encore 3 . Mais,comme la seconde de ses filles n'était point encore d'âge de semarier, c'est en 1510 ou 1511 seulement que Louis XII putretenir à la charge. D'Orval s'efforçait toujours de reculer lafatale échéance; il remontrait qu' « ait estoit besoing ybien penser avant que passer oultre »; il arguait de la pauvretéde Louis de Clèves, incapable d'assigner un douaire à sa futureépouse, puisque tout ce que les Clèves possédaient était au comtéd'Eu, « où les maisnez n'ont que un cinquiesme! » Louis XII,sans doute, ne se fut pas rendu à ces raisons, si l'intérêt qu'il

de Charles de Clèves et de Marie d'Albret la date du 25 janvier 1504 (sic);mais elle est contredite par les documents. Le contrat de mariage porte la datede Donzy, 13 avril 1505. Engelbert s'y réserve la jouissance des comté et terrede Nivernais et assigne en dot à sa fille Marie 3,000 1. 3e rente sur les sei-gneuries picardes de Saint-Valéry, Béthencourt et Bonnecourt (Bibi. net ., ma.fr. 20177, f0!. 214).

I. Le ma. fr. 2910, foi. 80 et suiv., reproduit cette déclaration in extenso.2. t Et... dit bien rudement (au chancelier) t Dictes Iny que je vueil qu'ille face, et d'autres rigoureuses parolles assez » (ma. fi. 2910, mem. cit.).3. Mois, janvier 1507 (n. st.).

Page 44: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

44 B. DE MANDROT.

portait à ses cousines de Clèves n'avait été diminué par la mortd'Engelbert, survenue le 2 novembre 1506 1 . Sa veuve, Charlottede Bourbon, se fit religieuse 2 et mourut le 14 décembre 1520.Leur fils aîné, Charles, que son mariage avec Marie d'Albretavait fait comte de Nevers, succéda par droit de primogéniture àtous lesbiens paternels. Heureusement pour son frère cadet, ilétait tombé « en la totale disgrâce du roi... pour certainesassemblées et monopoles » qu'il avait provoqués en Nivernais.Arrêté et emprisonné, il n'échappa à la confiscation qu'à la con-dition d'abandonner à son frère une partie de ses • biens. C'estLouis XII encore qui, sollicité par la veuve d'Engelbert de Clèveset par son frère Louis de Bourbon, prince de la Roche-sur-Ton,intervint pour imposer au comte de Nevers cette concession, quipourvut Louis de Clèves de 3,000 1. de rente s et fit de lui un partisortable. Mais c'était du même coup appauvrir d'autant Maried'Albret, sa belle-soeur; M. d'Orval, son père, ne manqua pointd'en faire l'observation et, cette fois, « délaya » avec succès,car, peu de temps après, Louis XII alla de vie à trépas, et aprèslui, malgré sa jeunesse, Hélène d'Albret elle-même, ce qui mitfin à toutes les difficultés'.

Une autre disparition fut celle de Charles, comte de Nevers.Il mourut en prison le 27 août 1521, en laissant de son mariageavec Marie d'Albret un fils nommé François, né le 25 octobre1516. C'est pour lui autant que pour elle-même que la comtessede Nevers, sa mère, conclut à Roanne, le fer juillet 1525, avecOdet de Foix, seigneur de Lautrec, et sa femme Charlotte d'Al-bret un accord qui fixa définitivement les droits respectifs des

I. II fut enterré à Nevers. Son épitaphe le qualifiait comte de Nevers, d'Euet d'Auxerre, pair de France, lieutenant générai et gouverneur pour le roi enses pays et duché de Bourgogne, comté de Maconais et pays adjacents (Bibi.nat., ms. fr. 20177, fol. 296). -

2. A Notre-Dame du Bois-aux-Dames lés Malnoue, en Brie. Le ms. (r. 20177contient (fol. 216 r et soir.) un extrait du testament qu'elle fit dresser en cclieu ]e 28 mai '1514. Elle y ordonne que son fils, le comte de Nevers, fasseabandon à son frère cadet de ce .à quoi il peut prétendre ès terres et sei-gneuries de Cayeux, Boulancourt et Bourmorne, en Picardie, et en celled'Englemonslier, Pontrevard et Vive.Saint-lLtoy, en Flandre. Ce testament futcomplété, le 27 mai 1515, à Foatevrault, où la comtesse de Nevers terminasa vie.

3. Lappointement fut passé entre eux à Malnoue (ms. fr. 2910, ouvr. cit.).4. Ibid.

Page 45: JEAN DE BOURGOGNEbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/bd12abd... · 2013. 12. 18. · JEAN DE lIOUBGOC&E ET LE Plt005 0E Si SUCCESSION. de Mahaut de Bourbon, comtesse de Nevers,

JEAN DE BOURGOGNE ET LE PROCèS DE SA SUCCESSION.45

deux branches de leur maison s . La comtesse de Nevers et sonfils conservèrent le comté avec la seigneurie de Champallementet le péage de Mesnes, le comté de Dreux, les seigneuries de laChapelle, de Nogent, de Bois-Belle et des Aix-d'Anguillon enFerry et 1,500 1. t. de rente à prendre sur les terres de Cham-pagne « au choix de Madame», ainsi que la rente de 1,750 1. t.,plusieurs fois mentionnée, sur la vicomté de Rouen. M' de Lau-trec prit pour sa part le comté de Rethel, la baronnie de Rozoy etles terres sises hors du royaume, la baronnie de Donzyen Niver-nais, avec Saint .Verain et Châteauneuf.Val .de-Bargis; eu Ferry,les terres d'Orval, Châteaumeillant, Montrond et Bruyères; Les-parre en Guyenne, les terres de Champagne autres que celleschoisies par de Nevers, un hôtel à Paris et des domaines auxenvirons de cette -ville.

Telle fut la conclusion de cette longue querelle. François deClèves, marié en 1538 à Marguerite de Bourbon-Vendôme, crééduc de Ne-vers, mourut en 1566, et c'est sa fille aînée, Henriette,née le 31 octobre 1542, qui, par le décès de ses frères, hérita duduché. Au mois de mars 1565, elle épousa Louis de Gonzague,et c'est ainsi que le duché de Nevers passa dans la maison deMantoue, où il demeura jusqu'en 1659, c'est-à-dire jusqu'au jouroù le cardinal Mazarin en fit l'acquisition.

I. Bibi. na!,, ma. [r. 2894, fol. 63, copie du xvi' s. 0f. G. Coquille, ouvr, cit.,p. 235 et suiv. Jean d'Albret, seigneur d'Orval, était mort le 10 mai 1524(Anselme, VI, 218).

Nogent . le-Botrou, imprimerie DAUPELEY-GOUVEIU4EUR.