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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

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Page 1: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Jean de La Réole : romannouveau / Charles Monselet

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Monselet, Charles (1825-1888). Auteur du texte. Jean de La Réole: roman nouveau / Charles Monselet. 1888.

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Début d'une sëfie r)e doc~fnf'ntsen couleur

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\J~A~De~ROMAN NOUVEAU

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A LA LIBRAIRIE jkLUSTKth'v

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~PA LA.LIBRAIRtE ILLUSTRÉE ~~mA LA .'LIB~4:IRl~I~L~.STRÊE

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L'Œuvredelâchât)-< ~~NAME~EHQUSSAYE. t."sC<'m<<U<.j)SS!tna.]e8~otr. ~a'ARstNF. HQUSSAYE J,ftS Comédiens sans le savoir. 9tNAUTH. CaneMs de Mase. j~N6ASt-Ot<t.EBt<È. C~sMgrassesetCMS~MatgMa t MBCHARLESLEHOY. Le: S-.r.ngn~.gn~a <!a Mtç-,CHARLES LERQY, · ·I · ·

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JEAN DE LA RÉOLE

1

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ÉM!LE COLIN – tMPRIMEME DE LAONY

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JEAN DE LA REOLE

(i ~~MAN NOUVEAU–< tt'<

A LA LIERA! RI H ILLUSTREEy, RUE DU CROISSANT, 7

CHARLESMONSELET

.1 PARIS

Toutdre!t<r<scrv<t

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JEAN DE LA REGLE

1

PRENEZ VOS BILLETS AU BUREAU

Le 8 avril 1780, .vers cinq heures del'aprés-dinée, la belle et imposante ville deBordeaux présentait un spectacle d'une ani-mation extraordinaire..

Toute la population s'était portée sur unpoint unique la place de la Comédie. Oninaugurait cette majestueuse oeuvre d'art quis'appelait le Grand-Théâtre.

Le Grand-Théâtre de Bordeaux avait durésept années à construire et coûté prés de troismillions, ce qui passait alors pour une sommeimportante. Il ~avait coûté plus que cela en-

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ril avait coûté tous les efforts, toutes-les larmes, toutes les souffrances, toutes les

humiliations, et même, – ô honte '.– toutesles épargnes d'un pauvre architectede génie.

Au milieu d'un quartier magnifique, surun vaste plateau distrait des anciens glacisdu château Trompette, s'élevait un immensemonument qui n'avait rien à envier aux tem-ples de l'Italie et de la Grèce pour la noblesseet la pureté des lignes.

Il se dressait fièrement entre la chausséedu Chapeau-Rouge, célèbre dans le mondeentier, et la jolie perspective des allées deTourny. Rien de plus élégant que sa façadeornée de douze colonnes d'ordre corinthienet surmontée de douze statues allégoriques.Des maisons superbes et hautes lui faisaientvis-à-vis.

Ce jour-là, le maréchal de Richelieu, gou-verneur de la Guienne, devait assister à l'ou-verture du Grand-Théâtrede Bordeaux, ainsi

que MM. les jurats. Il y avait spectacle degala on jouait l'Athalie de Racine.

Voilà pourquoi toute la ville s'était ruéesur la place, au milieu de laquelle une large

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voie avait été ménagée pour les carrosses etles chaises à porteurs..C'était un fourmillement considérable de

bourgeois en lévite ou fOMpe, selon le motlocal, d'artisans en veste, d'ouvriers du port,de tonneliers, de moines même. On y voyaitaussi nombreux Juifs, facilement recon-naissables à leurs yeux perçants, à leur nezaquilinperdu dans une épaisse barbe noire;Juifs d'Espagne et de Portugal, les Chi-mène, les Léon, les Silva, les Mendès, lesAlvarès, les Lopez, les Diaz, les Benzacar,les Rodrigues. Parmi l'élément féminin, ondistinguait au premier rang ce produit spé-cial du pays désigné sous le nom de grisettes,gentilles ouvrières, à la tête enveloppéed'unfoulard de couleur, et dont le crayon de Ga-lard devait fixer quelques années plus tardles traits mutins. Il y avait aussi de cesfemmes à coiffes gigantesques et carrées,dont la race s'est perdue, marchandes dumarché des Récollets, matrones du quartierSaint-Michel, qu'on appelait des Ca<chonnes.

De toute cette foule bigarrée, à grand'peine

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contenue par les valets de ville et la milicebourgeoise, s'échappaitune rumeur, un pêle-mêle d'exclamations en patois, car presquetout le monde à Bordeaux parlait alors le pa-tois gascon, si amusant, si mordant, si leste,si spirituel.

On saluait au passage les gens connus,soit qu'ils fussent traînés en voiture et pré-cédés de gardes, comme le président de Gasc,soit qu'ils arrivassent modestement à pied, y

comme l'hommede lettresBerquin. Les apos-trophes étaient plus souvent ironiques qjcrespectueuses, car la Gascogne a été de .touttemps un foyer de turbulence.

Sept heures venaient de sonner A Saint-Dominique, l'église voisine. On n'attendaitplus que le maréchal de Richelieu, toujoursen retard, selon son impertinente habitude.

En l'attendant, faisons pénétrer le lecteurdans l'intérieur du monument dont nous ve-nons de lui montrer la façade.

C'était d'abord un large vestibule condui-sant à un escalier qui est resté le plus élé-gant modèle de tous les escaliers de théâtre

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et qui a particulièrement inspiré celui del'Opêra~ctuelde Paris.

Au premier étage de cet escalier, qui separtageait en deux rampes, une porte monu-mentale, surmontée des armes de la ville, ou-vrait sur la salle.

Cette salle, une merveille Trois étages deloges découvertes et suspendues, séparéespar des colonnes cannelées 1 Et chacune deces loges semblable à une corbeille dorée.Au milieu, un lustre affectant la forme d'unecolossale grappe de raisin.

Levait-on lés yeux plus haut que ce lustre?ils étaient retenus par un plafond d'une gran-deur inusitée et d'une incomparable magie',Ce qu'il représentait? Ce qu'ont toujours re-présenté et ce que représenteront .toujourstous les. plafonds le Ciel, l'Olympe, le Par-nasse, Apollon, les Muses, des Génies, desNymphes, des Amours, les Jeux et les Ris.Un Pégase gigantesque s'élançait dans la lu-mière, emportant Momus sur son dos, Mo-

mus, harnaché et culotté à la moderne.Pourquoi cette place d'honneur à Momus,dieu secondaire ? –.A côté de cette indis-

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pensable concession à là tradition mytholo-gique et classique, une large place avait étéréservée à la décoration locale. C'est ainsi

que tous les attributs d'un port florissantavaient été rassembléslà navires, pavillons,

ancres, balles de marchandises on y voyait

même un capitaine commandant à des nègresenchaînés. Les chaînes n'étaient-elles pasde trop ? – Notre commerce avec les colo-

nies avait pour emblême un perroquet huche

sur une cage à poules. De superbes fillesportaient entre leurs bras des corbeilles dé-bordant de fruits, indices de la fertilité de laprovince,' et Bacchus triomphant personni-

fiait la principale source de la fortune duBourdelois, comme on écrivait encore. Il yavait aussi un effet de marée galopante par-ticulière a la contrée, le Mascaret, remon-tant la Garonne jusqu'à une dizaine de lieueset caractérisé par des tritons en goguette.Tout cela dans les raccourcis les plus auda-cieux, nageant,'frétiUant, volant, cabriolant,inondé de uamme

Ajoutons, comme nuance imprévue, quecette apothéose gardait dans ses groupes les

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plus tapageurs une chasteté relative. L~t

préoccupation du nu ne s'y faisait sentirqu'à demi, et les chairs vivaient en bonne m-telUgence avec les'draperies. Discrétion aumoins singulière à cette époque de licence

Ce plafond,qui aurait pu soutenir la com-paraison avec les plus splendides peinturesde Versailles, était signé Robin.

Le public était digne du théâtre.Toutes les familles historiques de la pro"

vince étaient représentées de Gourgues, deVerthamont, de Plis, de Gères, de Blanque-fort, la Faurie de Monbadon, de Barbezières,de Darche, de Marbotin, de Casteinau,' deMontchenil, de Brivazac, de Virelade, deCarrière, de Rauzan, de Laliman, de Mau-vezin, de Bourran, de Rolly, de Lamolère, deTournon, de Peyronnet, de Montferrand, deDupérier de Larsan, de Puységur, de Mon-tesquieu, de Bourdillon,etc., etc.

Le barreau, qui a été de tout temps unedes gloires de Bordeaux, le barreau était augrand complet c'étaient des avocats auxquelsl'avenir reservait des r<Mes importants ,lesSaigne, les Ferrëre, les de Séze, les Rayez

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les Brochon, les Martignac, les Ëmerigon, lesDupaty.

Les familles Balguerie, Stuttenberg, Fen-wick, Ez eleta, Brown, Chabarrus personni-ûaient le haut commerce.

Ça et là, des célébritésdiverses: Azevedo,le musicien amateur, professeur du jeuneGarat; RIchàud Martelly, l'auteur des DeuxFt~aro; Journiac de. Saint-Méard, qui aécrit plus tard le récit de sonAgonie de vingtquatre heures à la prison de l'Abbaye. Ici,le remuant marquis de Saint-Marcqui, quel-ques années auparavant, s'était immortalisea bon compte, avec un quatrain prononcé aucouronnement de Voltaire, lors de la repré-sentation d'fré~e. Ancienofficier aux gardés,le marquis de Saint-Marc s'était fixé à Bor-deaux,oùLouisavaitcons truitpourlui unpetithôtel sur le cours d'Albret (qu'onvoit encore)et, ce soir-là, comme à une autre représenta-tion d'Jr~e, il cherchait partout un auditeurpour lui réciter une epître qu'il venait d'adres-ser le matin à son architecte, et dont'voici ledébut

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lCe jour enfin, Louis, au temple de mémoire,Voit inscrire ton nom et tes noblestravaux Í

Nos neveux, ainsi que l'histoire,Ne pourrontparler de BordeauxSans parler aussi de ta gloire.

Da-ns une loge, on remarquait le duc deFronsac, le fils du maréchal, de passage àBordeaux.

On ne comptait pas les jolies femmes.Ruisselantes de bijoux, elles portaient surleurs'blanches épaules des fortunes considé-rables.Tout ce monde attendait le bon plaisir dugouverneur. Enfin, une'rumeur plus grande

que les autres annonça sa présence. Le ma-réchal de Richelieu faisait son entrée dansla loge du gouvernement, escorté d'une suitenombreuse. Il était vêtu magnifiquement,selon son habitude. 11 avait au cou le collierdu Saint-Esprit et le grand cordon en sau-toir il était coiffé d'un vaste chapeau àplûmes blanches.

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II

D'APRES UN PASTEL

Louis-François-Armand du Vignerot duPlessis, duc de Richelieu, pair et premiermaréchal de France, chevalier des ordres duroi, premier gentilhomme de la chambrede Sa Majesté, son lieutenant général,

gouverneur de la haute et basse Guienne,noble Génois, membre' de l'Académie fran-çaise et de l'Académie des sciences, etc.,etc., etc., avait, à l'époque de notre récit,quatre-vingt-quatre ans sonnés; -mais sansaller aussi loin que ses flatteurs, on peut affir-

mer qu'il réussissait parfaitement à en dissi-muler. une douzaine.

La taille commençait à se voûter, mais la

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tête avait gardé toute son expression de no-blesse et d'esprit,– d'esprit surtout. Il yavait du Voltaire' dans ce nez pointu, dans

ces yeux perçants, dans cette bouche sarcas-tique.

Né à sept mois, il avait été élève littérale-ment dans une « boite à coton ».

On peut dire qu'ila vécu toute sa vie danscette boite-là. Sa jeunesseet son éducationfurent celles d'un prince Charmant à qua-torze ans, il était beau comme Adonis. Pré-senté à la cour, il commença déjà à y exercercette puissance.deséduction qu'il devait con-server si longtemps. Madame de Maintenon,qui s'en était endiablée, écrivait à son père

« Votre fils plaît au roi et à toute la cour ilfait très bien toutce qu'il fait il danse trèsbien, il joue honnêtement, il est à cheval àmerveille, il n'est point timide, il n'est pointhardi, etc., etc. »

Heureux père dira-t-on en lisant ce por-trait tracé d'un pinceau si caressant par lavieille prude et l'onse trompera du tout autout, car au bout de quelque temps, le pèreinquiet de cette trop grande et si précoce fa-

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veur, sollicitait lui-même et obtenait deLouis XIV une lettre de cachet pour sonRiset U enfermaitbel et bienà la Bastille le nou-vel Adonis. On trouva le père bien sévère etle vieux roi bien bourru; mais qu'attendrede

ces barbons? Le jeune Richelieu pronta de

son séjour à la Bastille pour apprendre à lireVirgile couramment en revanche, son pré-cepteur qu'on avait enfermé avec lui, ne putjamais lui apprendre l'orthographe.

Il ne quitta la Bastille que pour le champde'bataille l'apprenti courtisan se fitapprentisoldat, et il ne perdit point à cette transfor-mation. Il assista à la prise de Fribourg et ileut le bonheur d'êtreMesse, ce qui lui valutd'être envoyé par Villarsau roi LouisXIV enpersonne pour lui annoncer la reddition desforts. Le roi voulut bien féliciter son prison-nier de la Bastille, qui s'en montra vivementtouché et demeura depuisconstamment fidèleà sa mémoire. Il ne retrouva pas les mêmessentiments pour le Régent, en qui il ne voulutvoir qu'un rival en amour et qu'un adver-saire en politique,, et contre lequel il cons-pira à la fois étourdiment et ridiculement.

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Rienn'aurait été plus facile à Philippe que dese venger, et terriblement;maispar sa géné-rosité, il se montra supérieur à Richelieu.

On se ferait difficilement une idée del'existence dissipée de celui-ci pendant cettepériode

C'était la Régencealors,Et, sans hyperbote,

Grâce aux plus drôles de corps,La France était folle.

Le plus drôle de ces corps, c'était incon-testablement Richelieu. Le nombre de sesmaitresses était incalculable le chœur enétait mené par mesdemoiselles de Valois etde Charolais, les deux propres' filles durégent; et par la princesse de Conti,la maréchale de Villars, la duchesse d'AI-bret, madame d'Averne, la propre maîtressede Philippe d'Orléans.

Qui citait-on encore ? Madame de Clagny,madame d'Alincourt, madame d'Anceny, ma-dame de Parabère, madame de Duras. C'étaitla fureur des paris, et Richelieu était heureuxà tous les jeux. Il parie d'avoir madame deGuèbnant, sage alors, et il gagne la gageure

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dès la première semaine. En même tempsqu'a madame de Guébriant, il cherche àplaire à madame de Villeroy, qui était cequ'il y avait do plus joli à la cour, et cela luicoûte peu d'efforts, car M. de Villeroy délais'sait sa femme et lui laissait recevoir unejeunesse brillante, tandis que lui s'en allait« manger un gigot avec des filles de comé-die ». Peu de temps après, Richelieu cèdemadame de Guébriant à Charlu et lui enlèvemadame de Duras. Mais ce qui mit le combleà sa réputation, ce fut le duel qui eut lieupour lui, en plein jour, dans le bois de Bou-logne, entre madame de Polignac et madamede Nesle..

Entre temps, il lui prit la fantaisie d'entrerà l'Académie française il pensa que cela luiferait honneur auprès de ses maîtresses. Lesacadémiciens, de leur côté, se regardèrentcomme trop honorés de le recevoir. Il avaittalors vingt-quatre ans.

On a prétendu que trois académiciens,Fontenelle, Destouches et Campistron,s'étaient ouerts pour lui composer son dis-cours de réception. Richelieu trouva qu3

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c'était beaucoup d'académiciens pour peu dechose. En ces temps-là, les discours acadé-miques n'avaient ni la même importance, niles mêmes dimensionsqu'aujourd'hui.On secontentait d'un compliment de quelquespages Richelieu jugea qu'il était sumsam-ment apte à cette besogne – orthographe àpart et, dès les premières lignes, il tirason épingle du jeu avec une parfaite bonnegrâce « Messieurs, dit-il, après tant d'élogesdonnés dans vos assemblées au cardinal doRichelieu, qui s'assura par votre établisse-ment l'immortalité qu'il cherchait par sestravaux, le plus grand honneur que vouspui&siez faire à sa mémoire était de montrerqu'il suffit de porter son nom pour être reçuparmi vous. ),

Fût-ce l'amour qui le conduisit à la poli-tique ? Dans tous les cas, il n'y fut pas étran-ger. Richelieu s'attacha de bonne heure àLouisXV qui, poursesdébuts et toujoursgr&ccà scn nom, l'envoya à Vienne comme ambas-sadeur extraordinaire.Là, dans ce poste assezdifficile, il déploya un tact, une habileté,qu'onn'aurait pas attendus de lui, et, par-dcs-

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sus tout, un faste inusité jusqu'alors. Lavait, décidé à l'accompagner un granc.nombre de gentilshommes, et il avait eni,mené avec lui une maison considérable, tanten hommes qu'en équipages.Son entréeom.cielle fut splendide' et eut mérité le pinceaud'un autre Mackart. Il y avait un déniô dosoixante-quinzecarosses doublés en veloursde diverses couleurs bleu, vert, rose, cra-moisi, nacarat, gris-de-lin, jonquille, – ettraînés par des cTievaux bais, bruns, alezansbrûlés, isabelle, gris pommelés. Les harnaisétaient brodés d'or, surmontés de plumes e:.d'aigrettes. La suite était également éblouis-sante douze heiduques portant des massesd'argent douze pages à cheval, cinquantevalets de pied vêtus de draps d'écarlate,

grande livrée de soie pourpre et argentenfin, vingt-quatre palefreniers tenant deschevaux de main.

L'histoire célèbre des chevaux ferrés d'ar-gent, avec une maladresse préméditée et dofaçon à ce qu'ils perdissent leurs fers à

chaque pas, cette histoire n'a rien d'unefable. Le peuple viennois, à qui l'on permet-

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tait de se précipiter pour ramasser ces fersmerveilleux, en a longtemps gardé le souve-nir. Ce fut une des moindres prodigalités deRichelieu il donna dans son palais desdiners de plus de cinq cents couverts, et

comme plus tard, dans une autre ambassadeà Dresde, il ouvrait ses portes à la foule et lalaissait s'emparer des objets de service.C'était sa manière lui de comprendre la di-plomatie.

A ce jeu-là, il se ruina de fond en comble.Il ne reçut pas de France l'argent sur lequelil avait compté, etles Allemandslui fermèrentimpitoyablementleurcaisse. Il dut engagerse-crètementsesbijoux et écrireà sesbelles-amiesde Versailles pour les inviter à lui venir enaide, car il ne dédaignaitpas de s'adresserauxfemmes. Une d'elles, une duchesse, devenueveuve et maîtresse de sa fortune, lui fit tenirquatre lettres de change de vingt-cinq millelivres chacune, Il empruntait de tous côtés

il emprunta même un jour à Voltaire qua-rante-cinq mille livres. – A Voltaire le faittest invraisemblable,quoique vrai.

Jusqu'àprésent,j'ai montré dans Richelieu

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le roué et le courtisan. L'homme d'épée de-vait le faire voir dans son jour le plus favo-rable et le plus honorable, celui où ses qua-lités les plus françaisesdevaientt se produiredans toute leur intensité. Tour à tour enFlandre et sur le Rhin, il joue un rôle qui,quoique secondaire, n'en est pas.moinsutile.EnSn, la bataille de Fontenoy resplendit surtoute l'Europe éblouie c'est dans cette jour-née qu'émule heureux de Maurice de Saxe,il s'affirme comme la plus brillante personni-fication du grand seigneur armé.

Et son poète ordinaire, Voltaire, de saisirsa plume et de chanter ainsi

Maison du roi, marchez, assurez la victoire1

Soubise et Pecquigny vous mènent à la gloire.Phalanges de Louis, écrasez Mus vos coupsCes combattants si fiers et si dignes de vous 1

Richelieu, qu'en tous lieux emporte son courage,Ardent, mais éctaire, vif à la fois et sage,Favori de l'Amour, de Minerve et de Mars,Richelieu vous appelle, il n'est plus de hasards;Il vous appelle, il voit d'un œii prudent et fermeDes succès ennemis et la cause et le terme;Il vole, et sa vertu secondant vos grands cœurs,Il vous marque la place où vous serez vainqueurs 1

Très décoratif, Richelieu devait être pourcela très aimé des peuples méridionaux il

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fut appelé par les Génois pour les protégercontre les'Anglais. Il y réussit à merveille.Ensuite, l'activité étant son lot, il demanda,àêtre nommé gouverneur de la Guienne,comme il avait été déjà gouverneur du Lan-guedoc. Mais l'expédition de Minorque, quisurvint sur ces entrefaites, l'empêcha d'alleroccuper son nouveau gouvernement aurègne paisibleque lui promettaientles riantescampagnes du Médoc il préféra les turbu.lences glorieuses de la guerre. C'est àcette occasion que son valet de chambre pro-

nonça ce mot célèbre:A quelle odeur monseigneur fera-t-il

cette campagne?7A quoi le duc de Richelieu répondit

Au musc les jours ordinaires. et lesjours de bataille à l'essence d'iris.

Ce n'est pas tout il ordonna l'assaut doPort-Mahon au son des violons, une idéebien française, celle-là 1

Enfin, trois ans après, ayant mis toutesses affaires en ordre, le duc de Richelieu,devenule maréchalde Richelieu,alla prendrepossession du gouvernement de la Guienne,

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sans préjudice de ses fonctions de premiergentilhomme de la chambre du roi.

C'est cette période, l'unedes plus curieuseset l'une des moins connues de sa longue car-rière, que nous avons choisie pour cadre anotre récit. En même tèmps que les côtésinédits de cette .biographie, on y trouvera lapeinture fidèle des mœurs d'une grande capi-tale de la province avant la Révolution fran-çaise. Qu'on nous permette donc d'entrerdans quelques détails sur l'arrivée et surl'installationde Richelieu à Bordeaux, ainsi

que sur les années qui précédèrent l'édifica-tion du Grand-Théâtre, date monumen-tale que nous avons placée au début de celivre.

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Dans les premiers jours du mois de juin1758, le maréchal s'était mis en route danssa dormeuse. Il appelait ainsi une voiture devoyage qu'il avait fait construire à grandsfrais et d'une dimension exceptionnelle.

Il y pouvait dormir, en effet, et aussi com-modémentqu'en son hôtel de la place Royale,à Soucieux de toutes ses aises et.de-vançant les sleeping-carsde plus d'un siècle,il l'avait voulu moelleusement capitonnée etsuspenduepar des ressorts qui rendaienttoutmouvement insensible. Nous ne dirons pasles riches peintures dont elle était décorée àl'intérieur, non plus que l'ameublement féé-

ni

LE DOGE DE BORDEAUX

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rique imaginé pour le bien-être du volup-tueux voyageur. Dans un second comparti-ment, il y' avait place pour deux ou trois do-mestiques,veillant toujours et toujours atten-tifs au moindre signal de Richelieu.

Louis XV, qui le reconnaissait volontierscomme son maître en sybaritisme, avait ma-nifesté le désir de voir ce merveilleux car"rosse le vainqueur de Mahon lui en donnale spectacle, ainsi qu'à la marquise de Pom-padour, en faisant amener la dormeuse dans

une des cours du château de Choisy, le soirde son départ pour Bordeaux. Richelieu ydescendit en robe de chambre.

Au bout de trois jours quasiment escamo-tés à franc-étrier, la dormeuse déposa douil-lettement le maréchal dans la petite ville deBlaye-sur-Garonne, où six grandes galèrespompeusement ornées vinrent le chercherpour le conduire à Bordeaux.

En passant devant le château Trompette,il fut salué de plusieurs coups de canon parM. de la Groslay, commandant de la garni-son ce fut le signal pour tous les bâtimentsen rade, tant français qu'étrangers, de tirer

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de leur bord. Au milieu de ce concert d'ar-tillerie, Richelieu mit pied à terre, sur unvaste tapis, à la place Royale, où avait étédresse un arc de.triomphe, sous lequel leParlement vint le recevoir et le haranguer.

Après quoi, il monta à cheval, escorté de

sa maison, et d'une garde d'honneur qui luiavait été attribuée par la ville, garde d'hon-

neur recrutée parmi la meilleure noblessedela province. Les rues étaient trop étroites pourcontenir la population et les balcons débor-daient des plus brillantes toilettes. Le cor-tège, accompagné d'acclamations unanimes,se dirigea vers la cathédrale, suivant lente-ment la rue du Château-Rouge, les fossésde l'Intendance, la place Dauphine et la ruedes Remparts. Les fleurs pleuvaient desfenêtres les cloches de toutes les églisesmêlaient leurs envolées au bruit du canonqui continuait toujours.

Sous le porche de la cathédrale Saint-André, l'archevêque, qui était un Rohan,attendait avec son clergé. Là, un Te PeM~fut chanté comme pour un roi. Ensuite, lemaréchal se vit conduit, avec le même céré-

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monial, à l'hôtel du Gouvernement, avoisi-nant la rue Porte-Dijeaux.

Pendant plusieursjours, les fêtes se succè-dent sans interruption. Que dis-je, plusieursjours ? C'est plusieurs mois qu'il faut lire.L'affolement de Bordeaux pour Richelieuétait inexprimable Richelieu était l'hommequ'il lui fallait; il succédait au comte d'Eu,

un prince de sang royal sans prestige, gou-verneur endormi et obscur. Richelieu ûattait

son orgueil; c'était un héros'; Fontenoy etPort-Mahon témoignaientpour lui. Il arrivait

comme au bon moment d'une comédie. SiRichelieu avait soif de pouvoir, Bordeauxavait soif de plaisirs, Bordeaux allait avoir sacour et son monarque, comme Paris.

En arrivant dans son gouvernement, lemaréchaltrouva son neveu et sa nièce, le ducet la duchesse d'Aiguillon, qui étaient venushabiter pendant l'étu leur superbe chatca'entre Bordeaux et Agen. Ce fut une occasionde nouveaux divertissements. Nouvelle occa-sion encore la'présence de sa fille, la co-ït-tesse d'Egmont, qui vint le voir vers la 3nde cette même année 1758. – La comtesse

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d'Egmont a laissé le souvenir d'une des plusattrayantes personnes de, son temps; elleavait l'esprit de sonpère joint à une incroyablefantaisie et à un goût déterminé pour lesaventures. Elle tourna littéralement toutesles têtes à Bordeaux ce fut, parmi les no-tabilités, à qui la recevrait le plus fastueuse-ment. Voici, entre autres,.une brillante fêteorganisée pour elle.

La comtesse avait désiré connaître en dé-tail les différentesparties d'un vaisseau. Ungroupe de négociants fit choix d'un bâti-ment qui devait partir le lendemain pourporter aux Moscovites cinq cents tonneauxde vins et d'eau-de-vie. On attendait la com-tesse sur un brigantin dont la chambre étaitsuperbement décorée, et dont les rameurs,vêtus de rouge et d'argent, tenaient hautesles rames peintes et décorées des armes dumaréchal de Richelieu.

A six heures du soir, par le plus beau tempsdu monde, le maréchal,accompagnantlacom-tesse d'Egmont et la duchesse d'Aiguillon,arriva à la première cale, suivi d'une fouleinnombrable. Le canon tonnait. Toute cette

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brillante compagnie s emnarqua sur le Mn-gantin, précédé d'un autre bateau chargé deviolons, de tambourins et de cors de chasse.Les organisateurs de la fête conduisirent lecortège à bord du vaisseau russe, qui dispa-raissait sous les guirlandes et les pavillons de

toutes les nations.Tandis que le consul de Suède, à qui appar-

tenait le vaisseau, en lisait les honneurs à lacomtesse d'Egmont et lui expliquait tous lestermes de la navigation, le brigantin retour-nait au rivage et allait quérir tout ce que Bor-deaux renferme de jolies femmes dans leursplus galantes parures. Chacune d'elles avait

pour la conduire un volontaire de Guienne.Le brigantin fit quatre ou cinq tours à terre

et ramena chaque fois au vaisseau une opu-lente cargaison de beautés. Il y eut présenta-tion au souper. Une vaste tente aux retrous-sis d'or avait été dressée sur le pont. Au beaumilieu du repas, le hasard se mit de la partie

pour augmenter la fête: un vent do nord-ouest sembla soumer exprès, afin de donnerà la comtesse d'Egmont le spectacle do troisvaisseauxétrangers qui entrèrent dans le port

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à pleines voiles, et qui vinrent saluer le vais-

seau qu'elle commandait.Cette manœuvre mit le comble a l'admira-

tion générale, et, sur ces entrefaites, la nuitétant venue, on procéda aux apprôts d'un balsanspareil. Tout se prêtait à l'enchantement,et les têtes étaient bien excusables de se lais.

ser aller à la mythologie.

Au bruit des danses, des canons,Les néréides, les tritons,Troupes sur les mers adorées,Se laissant aller sur les Sots,A la faveur da la marée,Remontèrent jusqu'à Bordeaux.Ils approchèrent du navire,Et reconnurent ce. hérosQue, sur les bords de leur empire,Ils avaient vu, l'un à Mahon,L'un près de Stade, l'autre à Gênes.Mais, à voir régner sur son frontCette grâce qui nous enchaîneEt ce regard si séduisant,Qu'ils n'avaient vu qu'en ft'émissant,Ils le reconnaissaient à peine.

Ainsirimait surson genoulojeuneR.ulhière,gendarme de la garde du roi et l'un des gen-

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tilshommes du maréchal de Richelieu, Ru-Ihière, qui, de petits vers en petits vers,devait arriver à l'Académie française. En cemoment, il était tout entier à la muse courti-sanesque et à son adoration pour la comtessed'Egmont.Elle semblait danser au-dessus desflots comme une déesse, et la méprise ~taitfacile.

Pendant ce temps, la ville s'illuminaitcomme par enchantement.

On acheva la soirée aux Chartrons, où lacomtesse d'Egmont alla de bal en bal, demaison en maison,et partoutapplaudie.L'eni-vrement qu'elle excitait fut poussé à un telpoint qu'on dansa dans la rue.

Les premiers rayons de l'auroreRevirent tout te monde encore,Et l'on fut se coucher enfinVers tes six heures du matin.

Le maréchal ne devait pas demeurer enreste de courtoisie avec les Bordelais; lesportes de l'hôtel du Gouvernement s'ouvri-rent bientôt toutes grandes pour eux.. Ildonnait presque tous les jours des soupers de

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cent couverts où régnaient à la fois la pro-fusion et la recherche mais ce grand luxeétait gâte par la suprème impertinence del'amphitryon.C'était ainsi qu'à ces soupers ilse réservait une table particulière où il prési-dait seul une réunion de vingt-neuf joliesfemmes triées sur le volet. Les maris étaientrelégués à la grande table. Il fallait que cesmalheureuxfussent de bonne composition!'Malgré le ton de licence qu'on affichait àcette table particulière, les vingt-neufplaceson étaient horriblement recherchées. Toutautre que Richelieu aurait été ridicule dansce rôle de sultan; lui seul savait le rendreacceptable.

Non content do pervertir les femmes, ils'attacha aussi à pervertir les hommes. LesBordelais aimaient le jeu; il favorisa ce goûtau point de lui donner les proportions d'unepassion, d'une frénésie. On joua un jeu d'en-fer à son hôtel. Vainement, le Parlementcssaya-t-ilde mettre un frein à cette fureuril ne pouvait rien dans les salons du maré-chal, où des fortunes venaient s'engloutir.On jugera du degré d'intensité auquel attei-

2.

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gnit cette fpHe, en sachant qu'en un seul ca1 1 -'R-- _<gnit cette folie, en sachant qu'en un seul car-

naval les valets du maréchal se partagèrentpour plus de cent mille francs de cartes et dedés,

Marmontel raconte. dans ses Mémoires,que voyageantà Bordeaux vers cette époque,il ne put supporter la vue des infortunésfrappés de cette sorte d'épidémie: « Un fataljeu de dés qui les possédait, dit-il, noircis-sait leur esprit et absorbait leur âme. Ilssemblaient ne dîner et ne souper ensembleque pour s'entr'égorger au sortir de table. »

Richelieu se maintint pendant une tren~taine d'années au poste de gouverneur de laGuienne. Trente ans do folies, de.scandales,d'impudeurs, de faste, qui lui valurent le sur-nom de Doge de jRor~w

On voudrait retrancher ces trente annéesde sa déplorable vieillesse, qui y gagneraiten dignité et en considération.

Deux choses sumrent, pourtant, à rachetercette période do son existence la première,c'est d'avoir mis en faveur le vin de Bor-deaux par tout le monde entier.

A peine, en effet, eut-il touché le sol giron'

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din, qu'il s'enthousiasma du Médoc et duSaint-Emilion(et sans doute aussi du Sau-terne). Son enthousiasme fut poussé si loin,qu'il ne voulut plus voir, désormais, d'autresvins sur sa table.

Ne croyez pas qu'ily eût la quelque adroiteflatterie pour ses administrés. Non; mais* lemaréchal do Richelieu était arrivé de Parisun peu fatigué, l'estomacdélabré au bout doquelques mois, il avait recouvré ses forces et

so prétendait même rajeuni. Il célébra hau.tement sa reconnaissance, et, comme saparole s'entendait de loin, il n'en fallut pasdavantage pour donner une vogue prodi'gieuse aux crus en ac.

A Paris, où la moquérie ne perd jamais sesdroits, on plaisanta sur l'enthousiasme dumaréchal quelqu'unproposad'appeler le vinde Bordeaux la tisane de~tch.eHcM.Les Bor-delais prirent le mot au bond et l'adoptèrent;ila ~s~e de Richelieu s'imposa et s'impose

encore à toutes les poitrines délicates.Il fa,ut reconnaître qu'en échangede cehaut

et efficace patronage on a baptisé une fortbelle place du nom de Richelieu. Mais est-ce

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assez, et n'y avait-il pas motif à statue ? Jesoupçonne que les habitants ont été arrêtésdans l'élande leurgratitude par des rancunesgrandes et petites dont le temps n'a pas en-tièrement effacé le souvenir. On cite de lui.quelques actes d'un arbitraire achevé, parmilesquels les Bordelaisont eu longtemps surle cœur l'arrachement des arbres de leurpromenade favorite, les allées de Tourny.

L'autre chose dont il faut savoirhautementgré au vieux Richelieu, c'est la protectionqu'il accorda au grand architecte VictorLouis, l'auteurdu théâtre de Bordeaux, cettemerveille! Il le protégea contre tout lemonde, contre les persécutions des conseillersmunicipaux, contre les tracasseries de sesconfrères,'contrel'ineptie universelle.Bref,onpeut dire que c'est en partie au maréchal doRichelieu qu'on doit ce superbe monument,qui, à son tour, protège et protégera sa mé-moire.

Nous avons'conduitnos lecteurs à la soiréed'inauguration, et nous les avons introduitsjusque dans la loge du gouvernement, où

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Richelieuavait fait ce qu'on appelle aujour-d'hui une entrée à sensation.

Lorsque la rumeur fut dissipée, le specta-.clé commença.

Le prologue, en un acte, composé pour lacirconstance, était intitulé le' Jn~em6Ktd'Apollon; et était mêlé de chant. L'auteurdes paroles se nommait Blincour celui de la,

musique était François Beck, qui a laissé unerépulation à Bordeaux comme chef d'or-chestre.

Aucune trace n'est restée de ce Jttgementd'Apollon.

Ensuite, vint la tragédie, cette indispen-sable élément des fêtes d'alors, la tragédie

pour laquelle il était de bon goût de se pas-sionner. – On sait que les deux derniers tra-gédiens, ou à peu près, Lafon et Ligier, sontd'origine bordelaise.

J'ignore comment fut jouée A~a!te cesoir-là, mais je m'en doute ce furent forcegrands bras, force grands gestes et grandséclats de voix; le grand prêtre fit rouler degrands yeux inspirés, Abner fit reluire lecuivre do son grand casque et de ses tirades.

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L'innocent Jpas était représenté par une trèsbelle personne, du nom de Clairville, re-nommée en province pour son talent autantque pour sa galanterie.

Le maréchal de Richelieu dirigeait souvent

sur elle sa lorgnette.

–. Savez-vous,disait-il au duc d'Aiguillon,

que cette Clairville est tout à fait attrayante

sons le lin, comme dit Racine.Le duc d'Aiguillonsourit discrètement.

Est-ce d'aujourd'huiseulement quevousvous en apercevez, monseigneur ?P

– Je veux qu'elle figure dans ce costume

à mes soupers de campagne.– Cela ne sera pas difficile à Votre Excel-

lence.

– Un soir même de représentationd'A~~e. afin do jouer un tour aux Bordelais.– Ce ne sera pas le premier, répartit d'Ai"guillon.

–Voyez-vous d'ici la colère de ces grosmarchandsen attendant leur actrice préférée,pendant qu'une de mes voitures la fera rouler

sur la route de Libourne ?2Et Richelieu d'éclater de rire,

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Vous leur en voulez donc bien, KiCRsëi-

gneur, à ces gros marchands ?– Je l'avoue. Voisenon avait bien raison

de me dire « Que l'on ne me parle plus desGascons il faut leur donner du foin »

– En attendant, dit le président de Oasc~

qui avait saisi quelques mots à la volée, vousleur faites un féerique cadeau avec ce théâ-tre.

N'est-ce pas ? fit le maréchal ce Louis

a vraiment du mérite; je l'ai pris au ducde Chartres, qui l'avait pris au roi de Po-logne.

Il ne peut qu'avoir gagné aux conseilsde voire goût et de votre expérience, ajoutale duc d'Aiguillon ce' théâtre est un chef-d'œuvre. L'empereur Joseph H a voulu levisiter avant qu'il fût terminé, et il .en a faitmille éloges.

Pauvre Louis dit le président de Gasc,qui était un homme de cœur autant que d'in-telligence; cette soirée est une compensa-tion atoutce que les jurats lui ont fait souffrir,

On prétend qu'il a une fort belle femme,dit d'Aiguillon, aSectant l'insouciance.

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– Et qui fait avec beaucoup de grâce leshonneursde chez lui.

Puis de temps à autre, l'attention destrois causeurs se reprenait à la tragédie et

aux tragédiens. Les décorations attiraientaussi leurs égards il y en avait qui avaientla valeur de belles toiles d'art. C'était alors lamode des palais, des colonnes, des arcades,

de tout ce qui composait la noble École

françaiseet particulièrementde l'architecture

juive.Et à ce propos, dit le président, regardez

donc là-bas Peixotto, lé riche banquier Israé-

lite.– Où ? demanda le duc d'Aiguillon.

– Aux premières galeries. à côté de ma-dame Foa. Comme il a l'air de prendre unvif intérêt à toute cette pompeuse mise enscène d'~l~a~e

Eh quoi Peixotto est ici ? fit le maré-chal de Richelieu dont le sourcil se fronçainvolontairement.

Le président de Gasc surprit ce mouve-ment et dit en souriant

– Oui, sans doute, mon cher maréchal, il

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est ici, et il n'est pas le seul il y a encoredans la salle les Gradis, les Pereira,les Raba,toute une séquelle contemporaine de Bar-rabas. Et si l'on doit aujourd'hui à quelqu'unleur présence en cet endroit public, c'estassurémentà votre Excellence.

A moi ? se récria Richelieu.Eh! oui, monseigneur, à votre bonté,

à votre indulgence en matière de religion.Déjà, dans votre gouvernement de Langue-doc, à Montpellier, cette bonté s'appliquait

aux protestants ici, dans votre gouverne-ment de Guienne, ici, elle s'étend aux Juifs.Ne vous en défendez pas, cela fait l'éloge devotre cœur.– Je me souviens, ajouta malignement le

duc d'Aiguillon, du temps où il n'aurait pasété permis aux fils d'Abrahamde franchir leslimites de la « Nation ».

On désignait ainsi le quartier particulière-ment circonscritpar les rues des Augustins etlame Houhaut.

A voir l'attitude embarrassée de Richelieu,le d~c et le président comprirent qu'ilsferaient bien de changer d~ conversation.

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Ce n'aurait pas été la première fois,que laprotection qu'il accordait aux Juifs 'auraitpassé pour intéressée.

Cette soirée fut royale en somme le souve-nir devait s'en perpétuer longtemps, et lescorrespondantsde tous les pays en publièrent

de magnifiquesrelations.

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1

IV

AU VOLEUR! AU VOLEUR!l

Le lendemain de cette représentation, à lapremière heure, une voiture, brûlant le

pavé, s'arrêtait devant l'hôtel du maréchal deRichelieu, situé sur l'emplacementqu'occupeaujourd'hui la rue Vital-Carie et qui étaitalors environnée de jardins épais et de mai-

sons mystérieuses.Depuis près d'un siècle, l'hôtel du Gouver-

nement de Guienne, témoin de tant de dé-sordres, était devenu un pensionnat dedemoiselles un vertueux badigeon avait re-couvert les pointures galantes et les sculp-tures mythologiques. C'est en 1863, qu'enperçant la rue Vital-Carle, –' partant du

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cours de l'Intendance pour aboutir à la Ca-thédrale,–le cardinal Donnet, archevêquede Bordeaux, découvrit cette résidence ou-bliée. Le cardinal, qui était un prélat mon-dain, mélange de Bernis et de Maury, sourità l'idée de s'installer à la place du ma-réchalde Richelieu il mit dans le vieil hôtel unelégion d'ouvriers qui eurent bientôt fait d'enopérer lé dégagement et la restauration.Excepté la salle de bal, dont la décoration àla fois guerrière et érotique rappelait lesdoubles triomphes à Fontenoy et à Cythère,tout a été conservé. Le rez-de-chausséecon-tient le grand salon de réception, le petitsalon et la salle' à manger qui sont d'unehauteur rare et d'une coupe admirable.Prèsde cent mille francsfurent appliquésà rendreleur éclat primitif aux boiseries heureuse-ment intactes sous le badigeon. Quelquetemps' après, les attributs, les lacs d'amour,les guirlandes, les m~, les houlettes, les mu-settes, les chapeaux de bergère, se repre-naient a courir tout le long des panneaux; lescolombes revenaient se becqueter au-dessusdes portes.

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Ce fut au seuil de cet hôtel qu'une jeunefemme descendait de voiture, les vêtementset les cheveux en désordre. C'était la Clair-ville, l'héroïne du spectaclede la veille.

Elle se précipitait, plutôt qu'elle ne sedirigeait, vers un pavillon habité par unsuisse herculéen, et demandait à être intro-duite immédiatementauprès du maréchal.

Montame, monseigneur n'être bas en-goro lefé, lui répondit le colosse bardé d'unimmense baudrier.

– J3 le suppose bien,. mon ami, dit la co-médienne en lui jetant une bourse à traversle visage mais il faut cependant que je levoie. que je le voie sans retard. Ce quej'ai à 1-ii dire est de la plus haute importance.

Imbossiple.Tu ne me reconnais donc pas, imbé-

cile ?

Oh si montame. Montame être venuesouvent dans la bedide foidure de montsir lemaréchal. guand il faisait nuit. mais çane fait rien, j'ai ma gonzigne.

– Quelle consigne ?– La gonzigne te monsir Gossimo.

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M. Cosimo était le premier valet de cham-bre du maréchal de Richelieu.

.– Eh bien 1 va prévenir M. Cosimo, fit laClairville.

Pur zela, che le feux pien, répondit lesuisse.

– Dis-lui que c'est moi, et qu'il faut queje parle tout de suite à M. le maréchal! amais va donc, va donc vite 1

Et elle poussait le gros homme par lesépaules.

– Tiable te femme grommelait celui-cien se dirigeant sans plus de hâte vers le per-ron de l'hôtel.

–Eh quoi! c'est vous, belle Clairville!1s'écria M. Cosimo; à cette heure D'où vous'vient cet air bouleversé ?P

– Ah mon cher Cosimo! quelle aven-ture Vous ne sauriez vous imaginer. Con-duisez-moi au maréchal, je vous en prie

La peste Vous en parlez bien à votreaise. Vous devez savoir que le maréchalnepermet à personne d'entrer dans sa chambreavant qu'il ait sonné.

– Pas même à vous, Cosimo ?

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–'PasmemeàmoLCosimo mentait en disaùt cela, mais il

n'était pas pour rien le valet de chambre etle confident du premier courtisan de l'Eu-

.Mpe.– Je prends tout. sur moi, mon cher Co-

simo, dit la Clairville d'un accent suppliant;

il faut que je le voie suMe-champ c'est uneaffaira des plus urgentes; croye~-oloi~

–~ Je n'en doute~ point, belle d~tne} mais

la chose ne se peut pas revenez dans deux

heures,Deux heures deux heures s~écriâ la

comédienne en faisant les gtands bras il n'ya pasune minute a perdre' Cosimo laissez-vous attendrir. Est-iÏ'seul ?2

Oui.Eh bien ? alors~N'importe, fit le valet, il est intraitable

sur la question de son réveiL

– Vraiment ? Mais quand vous lui aurezdit que c'est moi. moi. sa petite Clairville.

Raisonde plus pour qu'il ~h6 veuille passe laisser voir en néglige.

– Mais je le connais, son négligé! s'écria

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la Clairville il est charmant, son négligé.il aurait bien tort de se gêner pour moi.

C'est vrai. vous, sa préférée.,Comment sa préférée ? Il en a donc

d'autres ?PAh! madame, quelle ingénuité! Vous

si spirituelleExcusez-moi, Oosimo, je ne sais ou je

suis. Vous ave? raison, nous ne sommespas ici pour dire des riens. L'important estque le maréchal soit seul. Il l'est. Laissez-moi pénétrer auprès de lui, je vous en con-jure. Il vous en saura gré.

J'en doute, dit le valet en hochant la tête.Impertinent!tEcoutez donc. Vous connaissezmon-

seigneur, mais je le connais, moi aussi; je leconnais à toutes les heures, tandis quevous.

– Cosimo i

– Que voulez-vous que je vous dise?.En vous faisant entrer, je risque ma place.

– Oh non.– Mais si, je vous l'atteste.La Clairville le regarda fixement.

Cosimo, demandez-moi quelque chose.

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!J'A" 4··

3.

–Ah! sorcière! murmura-t-il.– Eh bien fit-elle en frappantimpatiem-

mentdupied.,– Eh bien! lui dit-il à demi-voix et

en regardant autour de lui, il y a un emploivacant au secrétariat de la Cour des Aydes.

'– Je vous comprends.– Je le désire pour un de mes parents.– Est-ce du ressortdu maréchal?demanda

la Clairville.– Tout est du ressort du maréchal.– Vous l'aurez.– Bien vrai??..Elle lùi tendit la main.

Entrez dit Cosimo en démasquantuneportière.

Un formidable juron sortit dulitbaldaquinéoù reposait le glorieux héros.

Cosimo l'avait prévu.Nous renonçons à donner la formule de ce

juron qui était un résumé de tous les blas-phémes connus.

La Clairville, si aguerrie qu'elle fût en de-meura terrifiée.

0

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~––––––––––––––––––––––– Quiva là ? s'écria Richelieu en se dres-

sant sur son séant, les yeux étincelantsde co-lère.

Et, s'adoucissantà demi

– Ah c'est toi, Clairville ? Qu'est-ceque tuviens faire ici ? Comment es-tu entrée?

Ah! monseigneur, pardonnez-moi! ditla comédienne; si vous saviez!

Si je savais quoiPprononça-t-iIensedémenant au milieu de toutes ses dentelles.

–. On m'a volé mes diamants, cette nuit.

.–. Tes diamants?– Oui, monseigneur.–Ah bah 1

– Des diamants pour plus de quatre centmille francs.

Diantre1 c'est un chiffre, cela, ma 511e.Il y en avait qui venaient de vous, mon-

seigneur.Crois-tu?. Tu m'étonnes. Les dia-

mants, ce n'est pas mon fort.Il disait vrai lui, le grand seigneur par

excellence, n'était pas généreux c'était sonvilain côté. Loin de donner aux femmes, ilen recevait volontiers des cadeaux, et même

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quelquefois de l'argént. Sa correpondanceenfournit despreuves.

-–' Et quand t'a-t-oh Volé ces. diamants,moncûÈûr?

~–' Hier soir, pendant que je jouais a.T<

théâtre. <. Je les avais laissés chez moi dansmon secrétaire.'

A propos, tu as' été charmante dans lerôle de Joas je te fais tous nies compli-ments.

–~ Il s'agit bien de Joas! Il s'agit de mesdi&mants, monsieur le maréchal.

C'est juste, et tu me vois très chagrinde cette aventure. ïl n'y avait donc per-sonne chez toi? La maison n'était donc pasgardée ?

– Mais si, monseigneur; il y avait monportier, ma femme de chambre, mes cuisi-'niers. Je n'avais emmené avecmoi au théâtreque mon cocher et ma coiffeuse.

– Et qui soupçonnes-tu ?

–' Mais je ne soupçonnepersonne, mon-seigneur.

–' Alors, il faut faire arrêter tout le monde?,dit Richelieu.

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.– Y songez-vous?. Je suis s~r de tousmesgens.

– On ne doit jamais être sûr de ses gens.Pareille chose m'arriverait que je jetteraistous les miens en prison, depuis le premierjusqu'au dernier, à commencer par mon fac-totum Cosimoet par mon valet de chambreQuiniont.

-–'Les voleurs peuvent être venus dudehors.Tu supposes donc qu'ils sont plu-

sieurs?. Ah! oui, la bande à Jean de laRéole.

J'y ai pensé, monseigneur.Tu y crois donc, toi aussi, à cette fa-

meuse bande ?2Ecoutez donc. après tout ce qu'on ra-

conte 1. Il y a trois jours, un négociant desChartrons n'a-t-il pas encore été dévalise?7

A ce qu'il prétend. Ces Gascons sontsi vains qu'ils ne seraient pas fâchés d'avoirLeur Cartouche. M. Jean de la Réole! celavous a un air de noblesse. Ah que je nole rencontre pas sur mon chemin, ce gentil-homme de galères, ce Jean-foutre de la Réole

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ou d'ailleurs, je lui.promets pour lui et poursa bande ungibetqui lui fera terriblementécarquillerles yeux! y

–Oh monseigneur, que vous parlez bien!Maisavant de le pendre, faites-lui rendremes diamants dit la Clairville.

–Tu as raison, j';.`,

Le maréchal sonna.Cosimo,couresavertir le directeur de la

police, M. Lafargùe, qu'il ait à se rendre icisur-le-champ. dans quelque état qu'il soit.

Oui, monseigneur..Autant aurait valu dire à M. Lafargue de

se rendre chez le diable que de lui dire de serendre chez le maréchal'de Richelieu.

Le directeur de la police, comme tous lesfonctionnaires de Bordeaux, avait une peurrbleue du gouverneur.

C'était un petit homme tout rond, au phy-sique comme au moral. Or, la rondeur n'estpas la principale qualité qu'on exige d'unchef de la police. Marié, père de famille, ca-sanier, M. Lafargue manquait absolument duprestige indispensableà son emploi. Loin de

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fâifô trembler les malfaiteurs,il tremblait avec

eux. Les délits l'enrayaient au lieu dé l'irr~ter. Et puis il ~'aua!îpas de Me2, pour parler

l'argot policier. Or, n'avoirpas de nez, dans

sa profession, est un brevet d'incapacité.Arraché de chez lui et amené, la perruque

dé travers, par Cosimo, M. Lafargue se sen-tait horriblement inquiet.

Il avait raison de l'être.Introduit dans la chambre à, coucher du

maréchal, la; première chose qu'il aperçût futLa Clairville, que Richelieu avait fait asseoir

sur .son lit, en prétextant de sa surdité,d'ailleurs réelle.

Ce spectacle égrillard rassura un peu M. deLafargue. Mais son assurance ne devait passêtre de longuedurée.

–Avancez, ~monsieur! lui dit le maréchalde la voix la plus propre à lui rendre toutes

ses craintes avancez et répondez.Je suis très humblement à vos ordres,

monseigneur.

– En votre qualité de directeur de la po-lice, vous savez sans doute tout ce qui s'estpassé cette nuit ?2

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A peu près, monseigneur. L'ordre n'apas cesse un instant de régner j'ose m'envanter, car la besogne n'était pas mince; 1..et à part quelques arrestations sans impor-tance.

–Desarrestations?pour quel motif?– Cinq ou six vauriens coupables d'avoir

proféré des cris séditieux.Quels cris, monsieur Lafargue ?

– Veuillez me dispenser, monseigneur,r

dit le directeur de la police assez embarrassé.– Mais non~ mais non, je veux savoir.– Ce sont des gens .de peu. de la plus

basse extraction.

– Qu'est-ce qu'ils criaient ?

– Cela ne vaut pas la peine d'être répétémonseigneur..Et sur un geste d'impatience de Riche-

lieuIls criaient A bas le gouverneur A

bas le maréchal! Tout fait supposer qu'ilsétaient pris de vin.

'-– Cela est probable, dit Richelieu en sou-riant le vin est si bon et à si bon marche àBordeaux! Mais ces manifestations me

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.laissent indifférent. Et puis, c'est un genreede popularité comme un autre. Ainsi, mon-.sieur le directeur, voilà, selon vous, tout cequi s'est passé cette nuit ?

– Oui, monseigneur.Vous ne savez rien de plusPRien de plus. Les rapports de mes

agents s'arrêtent là.

– Vos agents sont des imbéciles, monsieur!

M. Lafargue sentait venir l'onge.Richelieu continua

– Et vous,monsieur Lafargue,vous n'êtesqu'un aveugle.

Et comme le directeur restait ébahi, Riche-lieu tira de dessous son oreiller des tablettesqu'il lui fit passer devant les yeux.

– Voici mes rapports à moi, dit-il; écouteret apprenez.

Il parcourut rapidementquelques feuillets.Savez-vous que dans le premier entr'-

acte du prologue à la tragédie, le chevalier deLastic s'est pris de querelle avec M. de Ver.thamont, et qu'une rencontre a été convenuepour ce matin dansun enclosdeTerre-Nègre ?2

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)Non, monseigneur, balbutia La-forgue.

Savez-vous que' la petite mercière ducoin de la rue Carbina été enlevée du maga-sin de son père, Au Nceud d'épée, par desinconnus ?2

Est-il possible ?

Savez-vous que son Éminence, l'arche-vêque, n'est pas rentré cettenuit à son hôtel?–Non, monseigneur, dit le directeur de la

polic3, de plus en plus confus.

– Enfin, interrogez mademoiselle, dit Ri-chelieu en montrant la Clairville.

M. Lafargue s'inclina le plus galammentqu'il put.

– Elle vous apprendra que cettenuit même

on lui a volé tous ses diamants.Ah mon Dieu s'écria le pauvrehomme.

– Oui, monsieur, à la barbe de vos agents 1

–Hélas! je les avais tous massés sur laplace de la Comédie et aux alentours.

– Et vous laissiez les faubourgs dégarnis.Mais comment cela a-t-il pu se faire?

disait M. Lafargue en se désolant.-Comment? Aht commentl. Clairville,

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mets ML le directeurde la police au courant de

ce qui se passe quand il veille raconte-huton aventure.

M. Lafargue écouta, dans le plus profondrecueillement, le récit syncopé de la com~-dienne.

Quand elle eut terminé

– Eh bien i qu'en pensez-vous, ïnonsiew?dit Richelieu.

M. Lafargue avait réfléchi, et prenant unepose solennelle, comme s'il croyait se tirerd'aS'aire

– Je pense, monsieur le gouverneur, qu'ily a du Jean de la Réole là-dessous.

Rien ne pouvait être plus maladroit quecette parole dans la circonstanceactuelle.

Elle détermina une nouvelle explosion decolère chez le maréchal, excédé de ce nomdepuis quelque temps.

–Ah! ça! s'écria-t-il, ce n'est donc plusmoi qui gouverne ici? c'est M. Jean de laRéole! Ma ville de Bordeaux est au pouvoirde Jean de la Réole ïl y vit, il s'y promène,il y agit en toute sécurité. Il y viendra bien-tôt voler chez moi En vérité, û'est une

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Un drôle de la plus vulgaire espèce,honte. Un drôle de la plus vulgaire espèce,sans doute.

'– Hélas monseigneur, c'est ce qui voustrompe, répondit M. Lafargue. Si ce malfai-teur effronté a échappéjusqu'ici à ma police,c'est qu'il sait au besoin jouer l'homme dequalité.

– Quel est son signalement ?Nous ne le 'possédonspas encore d'une

manière bien exacte.Son âge?P

– Il est jeune, voil~ce qu'on en sait.leste~robuste, habile à tous les déguisements.

Le maréchal haussa les épaules.

– Ah comme La Reynie aurait eu vitefait de me débarrasser de ce coquin i

Et, de son ton le plus impératifEcoutez bien, monsieur Lafargue. Si

d'ici à huit jours vous n'avez pas mis la main

sur Jean de la Réole, et si vous n'avez pasretrouvé les diamantsde' Clairvillo, je deman-derai votre remplacement à Paris.

M. Lafargue se courba sans mot dire, et ilallait s'éloigner, lorsque le maréchal eut pi-tié de lui et le rappela.

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– Eh bien monsieur, lui dit-il, voyons,qu'allez-vous faire ?P

Ce que je vais faire, monseigneur?. jevais. je vais me recueillir.

– Superbe idée dit Richelieu en éclatantde rire; allons, monsieur Lafargue, je veuxbien vous épargner cette peine et faire pourun instant votre métier.

Oh monseigneur, que d'obligations-Vous allez envoyerimmédiatementdes

courriers dans toutesles directions, sur toutesles routes,'au cas où les diamants seraientdéjà sortis de la ville.

Oui, monseigneur.Pour le cas contraire, c'est-à-dire, pour

le cas où, comme je le suppose, les diamantsseraient encore à Bordeaux, employez une

partie de vos agents à fouiller les repaires des

brocanteurs, et surtout ces obsc'.res bouti-

ques de la rue du Mirai!, de la rue Tombe-l'Olly. Pendant ce temps-là, faites manderdans vos bureaux tous les propriétaires degrands et de petits hôtels. N'oubliez pas nonplus les sérails (il se servit d'un autre terme);c'est important allez-y vous-même, allez

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chez la Baronnè, chez l'Araignée, chez laHollandaise, chez la Jolie-Blonde. allez-ydemapart.

Oh monseigneur fit M. Lafargue.Oui,oui. elles me connaissent bien.

elles m'appellent leur père. Eh bien dites-leur que leur père fera fermer leurs maisonssi elles s'avisent de ne pas vouloir dénoncerles coupables. Allez, et que tout cela soittfait dans un jour. N'oubliez pas aussi de pas-ser chez Clairville; rendez-vous compte dela disposition de ses appartements et desmurs environnants. Monsieur Lafargue, àbientôt 1

La Clairville était émerveillée; elle voyaitdéjà ses diamants retrouves, et, dans son en-thousiasme

– Ah monsieur le maréchal, quel génievous avez

Richelieu daigna lui sourire et les congé-dia tous deux du geste.

Il allait pro'céderà son lever et à sa toilette,cérémonie de la plus haute gravité, àlaquellùétaient convoquées chaque matin la Chimieet la Peinture.

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v

FIGURES DE PQLICE

U serait difficile d'exprimerl'état de troubledans lequel M. Lafarguerentrachez lui. Il luiisembla que sa tête avait acquis les propor-tions de la grosse cloche de la tour Saint-Jamos. Pourtant ce qui lui arrivait n'auraiteurien que de fort ordinairepour tout autre quelui. On lui demandait de happer un voleur etde retrouver des bijoux. Deux choses biensimples assurément. Mais nous avons ditquele chef de la police de Bordeaux n'était pas àla hauteur de son emploi.

«Comme toutes les âmes faibles, il avait un

confident c'était son premier commis Du-tasta.

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Jf:AN DB LA RÉOLE 69

e bon conseil, Duta-sta. a.vait sou-Homme de bon conseil, Dutasta avait sou-vent tiré M. Lafargue d'un mauvais pas.

En le voyantrevenir plus* bouleversé qu'iln'était parti, Dutasta jugea que l'entretienavec le gouverneur avait dû être chaud.

Etlorsque M. Lafarguelui eut tout raconte,il resta d'abordsilencieuxet soucieux.

Eh bien Dutasta, que pensez-vous dela situation?

Difficile, monsieur, très dinicile répon-dit le premier commis.

–N'est-ce pas? Il faut mettre tous noshommes en campagne.

Quels hommes ?Les hommes denotrepersonnel,parbleu i

Des machines.des brutes! dit Dutastaen avançant la lèvre d'un air de dédain; cen'est point de ces hommes-là que vous avezbesoin il ne vous en faudrait qu'un, maisintelligent, avise, ruse.

–Eh! quoi, un pareil homme ne peut-ilse trouver dans toute ma police ?

Dutasta fit un geste de dénégation.

– Pas un seul sujet ? dit M. Lafargue avecun étonnement douloureux.

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–Il y avait bien quelqu'un, il y a–Il y avait bien quelqu'un, il y a deuxmoj(s. mais M. le directeur l'a renvoyé.

Qui donc ?Sernin. Il commandait la brigade des

mouches.Mouches ou observateurs, tel était le nom

qu'on donnait aux espions du dix-huitièmesiècle.

Sernin?. je m'en souviens, dit M. La-fargue;un assez mauvais sujet. J'ai dû lerenvoyer pour un motif des plus graves ilvendait ses renseignements aux particuliers.Et puis, perdu de moeurs.

–Eh! monsieur le directeur, on ne peutpas exiger chez ces gens-là plus d'austéritéque chez ceux qu'ils sont chargés de surveil-ler Sernin aura été desservi auprès de vous.

Par ma femme, c'est vrai. c'est ellequi m'a demandé son renvoi.

Sernin rachetait sa légèreté de conduitepar des qualités précieuses. Nous ne l'avonspas remplacé. Il nous serait très utile aujour-d'hui.

– Croyez-vous, Dutasta?– J'en suis sûr Sernin a une certaine

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éducation, de certaines manières. personnene sait mieux que lui s'introduire dans unefamille.

– Eh mais, ne pourrait-on le retrouver ?–Cela doit être possible. Il demeurait,

il y a deux mois, dans une maison de lapetite place Saint-Remy.

Courez-y, Dutasta. Ne négligeons demettre aucune carte dans notre jeu. Je veuxparler moi-même à ce Sernin.

Mais si madame Lafargue vient àapprendre. dit le premier commis avec cesourire de la domesticité gros de venin.

Le bien de l'Etat, avant tout, mon cher

nous verrons ensuite à apaiser ma femme.

La petiteplace Saint-Rémy prenait et prendencore sa modeste ouverture dans la rue duPont-de-la-Mousque,une 'rue parallèle àcelle du Chapeau-Rouge,aussi sombre etaussi étroite que la rue du Chapeau-Rougeest large et éclairée.

Dans l'une des maisons de ce petit carré,la plus petite et la plus ancienne, habitait, audeuxième étage, un jeune ménage ou sup-

4

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posé tel. L'homme avait vingt-cinq ou trenteans la femme dix-huit à peine. Commentvivaient-ils ? de quoi vivaient-ils ? Il eût étédifficile de le savoir, car jamais maison ne futmieux faite pour garder ses secrets. Le rez-de-chausséeétait occupé par la boutique d'uncharbonnier, noire comme comme une eauforte de Rembrandt ou comme l'âme d'unprêteur sur gages. Une porte d'allée presquetoujours fermée conduisait aux étages supé-rieurs, qui n'étaient qu'au nombre de deux.Le premier servait de logement à une vieilledame paralytique, qui n'en était pas sortiedepuis quatorze ans.

Nous avons dit que le second abritait unjeune homme et une jeune femme, que l'oncroyait mariés et qui n'étaient qu'unis.

Le jeune homme était ce Sernin, dont ilvient d'être questionentre M. Lafargue et Du-tasta. Ce dernier avait eu raison de le peindre

sous d'agréables couleurs. Sernin était un de

ces jolis batteurs de pavé comme se sont pluà les dessiner les Saint-Aubinet les Duples-sis-Bertaux, l'air hardi, le nez au vent: lechapeau tricorne sur l'oreille. Les grisettes

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~luquaient lorsqu'elles le voyaientpasser,le reluquaient lorsqu'elles le voyaientpasser,le jarret tendu, dans la rue Sainte-Catherine,et non seulement les grisettes, mais .encoreles bourgeoises. Il faut dire que Sernin nementait pas à sa mine, et M. Lafargue avaiteu raison en le qualifiant de mauvais sujet.Souventes fois, le chef de la police avait dûrecevoir les cônûdences et les plaintes desmaris trompés par Sernin et battus par Ser-nin. On comprend qu'à la fin il se fût résignéà se priver des services d'un observateursidisposé à passer au r'ole d'acteur.

Mais M. Lafargue aurait dû prévoir ceci

c'est que lorsque Sernin ne serait plus avecla police, Sernin pourrait bien être contre lapolice. Nous n'en dirons pas davantage pourle moment. Nous nous contenterons de re-marquer que la perte de son emploi n'avaitmodifié en rien les habitudes de Sernin; ilcontinuait de se montrer aux mômes endroitset de fréquenter les mêmes compagnies ilsemblait qu'il fût resté une mouchehonoraire.Comme autrefois,ses absencesduraient sou-vent deux outrois jours, sans qu'il fût possiblede leur trouver une explication quelconque.

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Et cependant une affectionl'attendaità sonlogis et aurait dû l'y retenir. Nous voulonsparler de cette jeune femme qui habitait aveclui la maison de la petite place Saint-Remy.On ne la connaissait que sous le nom deRoberte, et l'on ne savait d'elle autre chosesinon que c'eta. une petite bouquetière am-bulante que Sernin avait ramenée une nuitchez lui à moitié évanouie, après l'avoir dé-livrée d'une agression de trois hommes, quel'on prétendait être des émissaires de M. deFronsac, le fils du maréchal de Richelieu.Depuis cet événement, Roberte avait cesséd'aller vendre ses bouquets par les rues, et tareconnaissance aidant, elle était restée avecSernin, qui paraissait l'aimer véritablement.

Ce n'était pas que son existence avec luifût précisément heureuse; d'abord, elle nesortait que rarement c'était le contraire deSernin. Et puis la confiance manquait entreeux deux: Sernin ne lui avait appris de savie et de ses antécédents que ce qu'il avaitbien voulu lui apprendre, lui laissant à soup-çonner ou à deviner le reste. Elle souffrait de

ses absences, sur lesquelles elle n'osait l'in-

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terroger, car alors le front du jeune homme

se rembrunissait, et ses réponses toujoursévasives étaient proférées d'un accent brus-

que et même brutal.Un autre sujet d'étonnement pour Robërte,

c'étaient les visites bizarres que Sernin rece-vait. Toute la journée, des gensà visage sinis-

tre, ou tout au moins hétéroclite, venaient ledemander,mais elle n'assistait jamais à leursconversations chaque fois, Sernin trouvait

un prétextepour la renvoyerdans sa chambre

Leur très modeste appartement n'étaitcomposé que de trois pièces tristes et maléclairées, avec des murailles nues et desmeubles sans caractère. Cela n'était pas lapauvreté, mais cela y ressemblait beaucoup.

La veille du jour où nous introduisons le

lecteur dans cet humble intérieur, Serninétait rentré assez tard cependant, Roberten'était pas encore couchée elle cousait à lalueur d'une chandelle.

Encore debout murmura-t-il.

– Je vous attendais,mon ami.

– Vous savez bien que je vous ai défendude-m'attendre.

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Ellesoupira.Mais en levant les yeux sur lui, elle eut

un mouvement de surprise. Sernin étaitextrêmement pâle il avait l'air égaré; sesvêtements étaient souillés.– Ëh bon Dieu ne put-elle s'empêcherde s'écrier, d'où venez-vous,Sernin ? Commevous voilà fait Il y a de la terre et du plâtreà vos mains on dirait que vous avez esca-ladé un mur.

-Je suis tombé, en effet! Oui, j'ai étébousculé à la sortie du théâtre. Ce n'estrien.

Elle reprit:–Mais vous paraissez tremblant. N'au-

riez-vous point froid? Voulez-vous que jevous fasse du feu ?̀?

Laissez, Roberte, laissez. je vous dis

que ce n'est rien. Il y avait une telle foule à

ce spectacle d'ouverture qu'il est tout simpleque j'aie été un peu meurtri.

– Etait-ce bien beau, mon ami?

– Magninque' le maréchal de Riche-lieu avait un habit tout brodé d'or.

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– Et les femmes?. couvertes de bijoux etde diamants, n'est-ce pas?2

-Des diamants, oui.des diamants.Sernin avait un air étrange en prononçant

ces mots. Il semblait surtout ne pouvoir sup-porter le regard de Roberte.

Allez reposer, lui dit-il avec effort.Vous laisser dans l'état où je vous vois?

–Oui.j'ai besoin d'être seul. Allez.et quelque bruit que vousentendiezdans cettechambre, ne vous étonnez de rien.

Du bruit?P

– Allez bonsoir, Roberte.

– Bonsoir, Sernin, dit-elle en s'éloignantlentement, très intriguée et très inquiète parces dernières paroles.

Elle ne ferma pas l'œil de toute la nuit.Pendant longtemps, elle entendit Sernin

aller et venir dans sa chambre, parler à hautevoix, déplacer des chaises, ouvrir et fermerdes tiroirs, frapper aux murs comme pour ychercher des cavités, donner des coups demarteau aux poutres du plafond, au-dessusduquel il n'y avait que le toit. Pour plus desécurité, il s'était enferméà clef.

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Ce manège dura jusqu'au point du jour.Alors, elle n'entenditplus rien, mais elle n'enfut pas plus tranquille. Elle jugea que Serninavait cédé à la lassitude et qu'il s'était en-dormi. Se levant, elle alla sur la pointe.dupied regarder par le trou de la serrure ellel'aperçut, en effet, étendu tout habillé sur sonlit.Vers onze heures, on cogna tout à. coup à

la porte.Ce fut Roberte qui, la première, en fut ré-

veillée mais enfermée, elle ne put qu'avertrde la voix Sernin, encore plongé dans unlourd sommeil.

Effaré, il se jeta à bas du lit et demanda

– Qui est-ce qui frappe? et qu'est-ce qu'on

me veut?De la part de la police, répondit-on.

Cesmots n'étaientpasfaits pourdissiper l'es-.pë'cede trouble auquel ilétaitencoreen proie.

De l'autre côté, Roberte, pressentant undanger, disait à petits cris

–Ouvrez-moi, Sernin, ouvrez-moi!1La tête égarée, Sernin commençaparouvrir

à la jeune femme.

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Je suis perdu lui dit-il en se jetant au-devant d'elle.

Roberte n'eut besoin que d'un coup d'ceil

pour remarquer le désordre dans lequel étaitrestée la chambre puis, le premier objetqu'elle aperçut fut un riche collier gisant àterre.

Sernin avait suivi la direction de sonregard tous deux se précipitèrent pour leramasser, et leurs yeux se rencontrèrentalors,pleins d'épouvante chez celui-ci, pleins dedouleur chez celle-là.

On continuait à cogner à la porte en,appe-lant Sernin.

Ouvrez donc! dit Roberte, après avoirfait disparaître le collier.

Et comme il ne bougaitpas, elle alla ouvrirelle-méme. Son dernier regard avait ramenéSernin au sentiment de la prudence.

ïl reconnut le premier commis de M. La-fargue.

M. Dutasta? dit-il,– Moi-même, répondit celui-ci il paraît

que vous faites la matinée grasse, mes tour-tereaux 1

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Qui aurait pu se douter?. balbutiaSernin.

Allons, mon jeune ami, mettez votrehabit et suivez-moi sur-le-champ.

–Où cela?– Chez M. le directeur de la police.– M. le directeur. Que me veut-il?– Il vous le dira lui-même.Bien que M. Dutasta fût seul, son appari-

tion ne présageaitrien de bonà Sernin aussisongea-t-il sérieusement un instant à passerpar-dessus son corps et à prendre la fuite.Mais qui lui répondait que la porte d~ la ruen'était pas gardée?

Roberte suivait tous ses mouvementsavecune horrible anxiété et semblait lire dans sonesprit. Elle ne se sentit un peu rassurée quelorsqu'elle le vit suivre docilement M. Du-tasta.

Au ba~ de l'escalier, il craignait de trouverdes gardes, mais il en fut quitte pour la peur.Une fois dehors, M. Dutasta se contenta depasser son bras sous le sien, et encore était-ce plutôt une marque de familiarité qu'unemesure de sûreté.

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Sernin commençaità respirer plus à l'aise,mais il n'en était pas moins vivement intri-gue.

A présent que nous ;voilà seuls, M. Du-tasta, continuerez-vous à me cacher ce quevous voulez de moi?

Voyons, mon jeune ami, si je vous fai-sais faire votre paix avec le directeur?P

-J'en seraisaise, monsieurDutasta, mais.– Mais, quoi ?

Cela ne me paraît pas facile.

..– Pourquoi donc ?-Ah! pourquoi. pourquoi

Et un sourirepassa sur les lèvrès du jeuuehomme.

-Vous voulez parler des circonstancesquiont provoquévotre renvoi ?. dit M. Dutasta,qui ne le perdait pas de vue.

– Peut-étre, dit Sernin, rendu à l'état dedéfiance.

Etauxquelles on prétend que madameLafarguen'a pas été étrangère. hein ?2

Sernin, à son tour, eut un regard oblique

vers son compagnon.

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– Monsieur Dutasta, monsieur Dutasta1

dit-il, vous voulez me faire parler ?

Eh non mon garçon, je sais trop bienà qui je me frotte ;-maisenûn, je suiscurieux,je l'avoue avecbonhomie.

Ne le laissez pas voir, au moins.Cependant, si je vous fais rentrer en

grâce auprès du directeur, comment recon-naîtrez-vousce service ?

Je mettrai toutmon dévouement à votredisposition.

– Très bien; mais je ne vous en demande

pas tant.Je ne vois pas alors de quelle manière je

pourrai m'acquitter envers vous, monsieurDutasta.

C'est que vous ne voulez pas me com-prendre.

– Expliquez-vousmieux.– Eh bien promettez-moi,mon cher Ser-

nin, de me raconter cette petite aventure.– Quelle petite aventure ?P

– Oh! vous êtes insupportable. Votrepetite aventure avec la femme du direc-teur.

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dit Sernin en riant, je vous racon-linf~~Mimu'a

– Soit, dit Sernin en riant, je vous racon-terai cela un de cesjours.

On était arrivé chez M. Lafargue.Celui-ci ne s'amusa pas à'lui faire faire an-

tichambre, ce à quoi il n'eût pas manqué entoute autre occasion.

Passons l'éponge sur le passé, dit-il àSernin. Vous connaissez, n'est-ce pas, lesévénements de cette nuit ?

Mais non, mais non. je ne connaisrien! se hâta de répondre Sernin.

Vous ne l'avez donc pas mis au courant,Dutasta?

Non, monsieur.Faisons vite alors.

Et se plantant tout a. coup devant Sernin,il lui jeta ces mots à la figure;

On a volé les diamants -de la Clairville. Ilfaut que vous nous les rendiez.

Autantde mots, autant de coups de pistolet!Sernin devint pâle comme la mort.Il se crut découvert et fut près de tomber

aux genoux de M. Lafargue.Rendre les diamants ? balbutia-t-il d'un

air effaré.

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C'est-à-dire nous aider à les retrouver.Moi Vous avez compté sur moi ?2Sans doute, répondit M. Lafargue Du-

tasta m'a parlé de vous comme d'un hommehabile.

M. Dutasta est trop bienveillant, ditSernin, dont les regards allaient de l'un al'autre comme pour s'assurer qu'on ne luitendait pas un piège.

Mais pourquoi auraient-ils mis tant de fa-

çons avec lui ? Et s'ils se méfiaient, que nel'accusaient-ils directement du vol qui avait

ou lieu cette nuit ?7Non, ils étaient à mille lieues d'un sem-

blable soupçon il suffisait, pour s'en con-vaincre, d'examiner la placidité de leurs phy-sionomies.

Aussi Sernin reprit-il peu,à peu son assu-rance et se prépara-t-il à recevoir de sonmieuxles ouvertures du directeur do lapolic'3.

Eh bien Sernin, dit M. Lafargue, nousétc s-vous tout acquis ?P

Cela dépend, répliqua cavalièrementSernin qui se vit en un instant maître de lasituation.

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– Que voulez-vousdire ?P

Eh mais, continua-t-il, je croyais neplus appartenir à l'administration de la po-lice.

M. Lafargue se morditles lèvres et regardaM. Dutasta, qui évita sournoisement ce re-gard.

Il y erreur, malentendu. N'est-il pasvrai, Dutasta? murmura M. Lafargue.

Je crois que oui.J'ai reçu un congé si brutal, si peu jus-

tine.Ne parlons plus de cela. Dutasta, vous

veillerez à ce que Sernin soit rétabli dans sesfonctions.

Sernin hésitait toujours.--Mes fonctions. Mes fonctions se résu-

ment en bien peu de choses et ne me laissentqu'une liberté d'action bien restreinte, ïlexiste d'autres fonctions au-dessus desmiennes.

Celles de Forastié. je sais. Mais iln'y a aucun motif pour déposséder Forastie.

– Il n'y avait également aucun motif pourme déposséder, moi.

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– Eh bien! on verra. dans quelquesjours.

Dans quelques jours, il sera peut-êtretrop tard. J'M besoin, pour agir, des pleinspouvoirs de Forastié et des hommes dont ildispose.

Pour agir? répéta M. Lafargue, sur qui

ces mots semblaient produire un effet ma-gique.

Agir! c'était la chose à laquelle le bon di-recteur de la police s'entendaitle moins. Et

ce qu'il n'avait osé avouer à Sernin, et cequ'il n'osait s'avouer à lui-même,c'est que savisite d'il y a quelques instants chez la Clair-ville n'avait eu aucun résultat. Il avait eubeau écarquiller les yeux, doubler ses prisesde tabac d'Espagne, frapper de sa canne à

pomme d'or, il n'avaitvu, en dehors de l'a-gitation de la comédienne, qu'une maisonparfaitement tranquille, un portier à sonposte faisant sa partie de cartes avec un voi-sin, des femmes de chambreallant et venant,le saluant de leurs plus accortes révérences,un maître d'hôtel imposant, rêvant à sondîner du soir. M. Lafargue avait interrogé

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tout le mondesur les événements de la nuit,et tout le monde lui avait répondu qu'on nesavait ce qu'il voulait dire. Vainementavait-iltâché de s'emporter, il en avait été pour sesfrais de colère simulée. Consciencieux jus-qu'au bout, il avait voulu faire le tour du jar-din, qu'on lui avait particulièrement recom-mandé, et il n'y avait constatéque le bon étatdes arbres à fruits. Bref, il était sorti de cettemaison sans y avoir recueilli un seul indice,pas même le moindre soupçon, et il avait dûreconnaîtreune fois de plus son insuffisance

en matièrepoliciére. Voilà pourquoi il se li-vrait si absplumentà Sernin.

-Agir, murmura-t-il,vous avez raison, ilfaut agir, et sans perdre de temps. Je vaisdonner des ordres pour que vous ayez la placede Forastié. Etes-vouscontent ?

Encore une chose, monsieur le direc-teur.

– Oh vous êtes exigeant

– Exigeant, en effet, souligna.Dut.asta.-Que voulez-vous dit Sérum; chacun a

sa manièrede travailler. J'ai besoin d'un aide,d'un collaborateur, dont le dévouement et

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dont les aptitudes me sont depuis longtemps

connues. Moi, je ne peux rien faire sans Lou-piac.

Loupiac! dit M- Lafargue? Qu'est-ce

que c'est que cela ?2Loupiac est mon bras droit, mon indis-

pensable. un très aimablegarçon, d'ailleurs.– Vraiment? Eh bien! adjoignez-vous

Loupiac, je n'y vois pas d'inconvénients.

– C'est qu'il y a une petite dimculté, mon-sieur le directeur.

Laquelle ?C'est que Loupiac est en ce moment au

fort du HA.

Comme employé ? demanda candide-ment M. Lafargue.

– Pas tout à fait.

– J'entends. Dutasta, avez-vous entenduparler de ce Loupiac ?P

Oui, monsieur, comme d'un chenapanueHe.

Diable 1

– Permettez, dit Sernin, ce n'est pas po-sitivement d'un honnête homme que j'ai be-soin pour adjoint..

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– C'est juste, dit M. Lafargue; et puis,nous n'avons pas le droit d'être difficiles dansles circonstances actuelles. Dutasta, vousaccompagnerez Sernin au fort du Hâ et vousl'aboucherez avec son camarade. Voici unordre d'élargissement, au cas toutefois où ceLoupiac ne serait détenu que pour des pecca-dilles.

Oh de véritables peccadilless'écria ·Sernin.

Hum ce n'est pas ce qui ressort del'examen de son dossier, répliqua Dutasta.

Enfin, fermez les yeux pour le moment,dit le directeur nous avons la main forcée.Uns fois qu'ils seront ensemble, espéronsque ces deux gaillards feront de la bonnebesogne.

Comptez-y, dit Sernin.Surtout, agissez rapidement.Soyez tranquille, monsieur le directeur.AllezI

Mais Sernin demeurait toujours immobiledevant M. Lafargue.

Qa'y a-t-il encore ? demanda celui-ciétonné.

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– Monsieur le directeur ne devine pas ?–Pas du tout. J'ai l'entendement telle-

ment troublépar cette série d'événements.Eh mais, un bon sur votre caisse m'est

absolument nécessaire pour mes premiersfrais. Il faut que vous m'ouvriezun crédit.

C'est trop juste.Et M. Lafargue signa le bon demandé.

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Le fort du Hâ a été longtemps la Bastillede Bordeaux.

Il fut bâti sous Charles VII, à l'une desextrémités de la ville, en même temps que leChâteau-Trompette,auquel il était destiné àfaire pendant. Tandis que le Château-Trom-pette surveillait les riverains et une partiedes citadins, le fort du Hâ surveillait les ha-bitants de la campagne.Le château était plusétendu, le fort était plus compliqué. Ceint deremparts et de fossés, sa forme était celled'un parallélogrammeflanqué de tourelles enpoivrière, environné de plusieurs grossestours, les unes carrées, les autres rondes,s..

SORTIS DU FORT DE HA

VI

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(une de celles-ci existe encore). Quatre oucinq maisons encloses lui donnaient un as-pect de petite ville joignez-y portes ouvrant

sur les champs et sur les rues, avec pont-leviset tout l'attirail militaire obligé.

Le commandantdu fort du Hâ se trouvait

au greffe lorsque M. Dutasta et Sernin. s'yprésentèrent.

Un nouveau pensi'onnaire ? demanda-t-ilen désignant celui-ci du regard.

–Non, un visiteur, tout simplement, ré-pondit M. Dutasta.

Excusez-moi, monsieur, dit le comman-dant à Sernin; votre figure ne me semblaitpas inconn ue.

Vous ne vous trompez pas, commandant,fit Sernin vous m'avez vu, en effet, et plu-sieurs fois, mais je n'ai jamais été chez vousqu'un oiseau de passage.

– Ah je savais bien murmura le. com-mandant.

– M. Serniu, devenu un de nos em-ployés. dit M. Dutasta. en intervenantcomme dans une présentation.

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Messieurs, qui est-ce qui me vaut cettefois l'avantage de votre visite?'– Nous venons voir un de vos prison-

niers.Mes prisonniers sont peu nombreux,

hélas soupira le commandant; nous sommesdans la morte-saison, et cependant, si j'encrois la rumeur publique, ce ne sont pas lesméfaits qui manquent à Bordeaux. Par oùpassent donc les malfaiteurs ? Vous ne m'en-voyez plus personne, monsieur Dutasta celan'est pas bien. Une prison vide n'a plus deraison d'être. Ils ne sont plus, les beauxjours du fort du Hâ

Consolez-vous, commandant les temps ·

vont peut-être changer.– Dieu vous entende, monsieur Dutasta.

Mais quel est celui de mes prisonniers quevous voulez voir? Justement tout mon petitmonde est réuni au préau.

C'est le nommé Loupiac.–Ah! ah! Loupiac! Un fidèle, celui-là,

un habitué. Il ne passe jamais plus de six

mois sans venir nous voir. Loupiac! un bon

diable qui a le don do me réjouir SI Loupiac

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ne se restait pas, je crois que je deviendraishypocondre.

–Diable!Quoi ? dit le commandant.C'est que nous venons vous enlever

Loupiac.Comment ?Nous sommes vraiment désolés. Voici

l'ordre signé de M. Lafargue.– Loupiac, me quitter ?– ASaires majeures. Service parti-

culier.Je n'ai qu'à m'incliner. Messieurs, sui-

vez-moi.<

Le préau était situé dans une partie reculéedu fort. En cheval de retour qu'il était,Sernin distingua du premier coup d'œil l'in-dividu qu'il cherchait au milieu d'une ving-taine de détenus.

C'était un gros homme de quarante ansenviron, au teint très coloré.

Sernin alla immédiatement se planter de-vant lui.

Le gros homme s'écria–Té: Jean!

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Mais au regard terrible que lui lançaSernin, Loupiac comprit qu'il avait laissééchapper une imprudence, et il aurait vouluravaler sa langue.

Sernin éclata d'un rire nerveux.Allons, dit-il, il me prend pour un

autre, il ne reconnaît pas son ami Sernin, sonbcn ami Sernin. Ingrat, va!1

Moi, né pas té réconnaître! Y songés-tu ? répliqua Loupiac en se rèmettant aus-sitôt ainsi tu ne m'as pas ouviié. Ce cherSernin 1

– Oui, Sernin, qui vient te rendre à laliberté.

Est-ce possivle ?Les deux amis se précipitèrent dans les

bras l'un de l'autre.Quel attendrissant spectacle! dit Du-

tasta leur hâte doit être grande de se trouveren tête à tête. Venez, Loupiac: venez, mesenfants! ajouta-t-il en les entraînant vers laporte de la prison.

Et tout basIl me tarde de les voir tous deux à

l'ceuvre

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Les deux amis se dirigèrent vers la rivière,d'abord parce que l'eau a de tout temps attiréles philosophes, ensuite parce que les bordsde la Garonne sont peuples de riants caba-rets, propices aux confidences, et que Sernin-et Loupiac avaient beaucoup de confidencesà se faire. Ils s'y dirigèrent par cette suite de

cours plantés d'arbres- qui coiiservérentlongtemps le nom de fossés – fossés desTanneurs, fossés Saint-Ëloi, fossés Bour-

gogne, et qui représentaient déjà le vieux-.Bordeaux.

Après s'être assurés. qu'ils n'étaient pasfilés, ils entamèrent bientôt le chapitre deseffusions.

Loupiac ne se lassait pas de répétercomme dans les tragédies

Ah 1 combien ta présence a de charme

pour moi 1

Et il ajoutaitA vrai dire, je t'attendais d'un jour a 1

l'autre, mon cher Jean, car tu n'es pashomme à laisser les amis dans la peine.

Ce à quoi Sernin répondait

– Débarrasse-toi donc, animal, de cette

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habitude de m'appeler Jean à tout nropos. Tum'as fait frémir tout à l'heure.

– Que beux-tu? C'est plus fort que moi.Et.puis, i! y a plus d'un Jean à la foire.

– Je veux être appelé Sernin. ·– C'est convenu, mon cher Jean. Mais dé-

pêche-toi dô mé donner des nouvelles détous les camarades. Comment bont-ils? Y

a-t-il longtemps que tu les a bus?

– Ils mènent une existence de coqs enpâte ou de moines italiens je crain? mêmequ'ils ne s'amollissent à force de bien-être.

– Capédebious! enboie-moi en neubaineavec eux s'écria Ldupiac.

Non, je te reserve un rôle plus impor-tant auprès de moi.

Tant mieux! Depuis deux mois quej'étais en prison, jé mé rouillais, en bérité.

Comme ils passaient devant la grosse tourSaint-James, Loupiac tira sa montre pour lamettre a l'heure.

Parbleu 1 dit Sernin, si je ne venais pasde voir il y a quelques minutes la montre ducommandant du fort du Hâ, je croirais quec'~stelle.

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Loupiac se mit à rire.

– Tu né té trompes pas, dit-il; c'est bienelle, en enët. Je n'ai pas boulu quitter lô

fort sans emporter un Soubénir du dignécommandant.

– Kh mais, tu ne te rouilles pas autantque tu veux bien le dire.

-– Je m'entretiens la main, boilà tout.Bon pour une Ms de temps en temps,

mais ce n'est pas pour travailler si petitement

que je t'ai délivré.Pourquoi est-ce donc ?Apprends que l'État a de grands projets

sur moi.Sur moi? L'État?

– Il a distingué mes mérites, et dès au-jourd'hui il m'a confié une mission à laquelleje veux bien t'associer.

Merci, mon cher Jean. Quelle mission ?

– Une mission. de confiance.

– La confiance, c'est mon fort.

'– Nous devons rechercher, moi et toi,d'habilesmalfaiteursqui ontjusqu'ici échappéplus ou moins à la justice, et qui répandentl'effroi dans le public où ils sont connus

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sous le nom de la bande à Jean de la Réole.Tu dis?

Loupiac ouvrit une bouche démesurée etregarda Sernin comme s'il avaitmal entendu.Pais, ce fut une hilarité débordante, et quisemblait ne point avoir de terme.

La bande à Jean de la Réole exclama-t-il en imprimant à son ventre les oscillationsles plus désordonnées; nous sommes chargésd'arrêter la bande à Jean de la Réole?

Sernin ne put que faire un signé de têteaGIrmatif; puis, à son tour, il tomba dans lamême hilarité que Loupiac.

Les deu~ Gascons en eurent pour cinqminutes à s'esclaffer réciproquement.

Loupiac reprit le premier:

– Et, en attendant que nous mettions la

main sur Jean de la Réole, cé qui peut nousprendre beaucoup de temps.

– Un temps considérable1

– Incalculable– Enorme 1

– Immense– Qui est-ce qui suvbiendra à nos dé-

penses ? demanda Loupiac.

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Nous vivrons aux frais de l'État.Cela, oeut 16 mener loin. l'Étât.Nous vivrons aux frais de l'État.Cela peut lé méner loin, l'Étât.

–Trèsloin!1-Plus loin qu'il né s'en doute. Pauvre

État 1

Ne vas-tu pas t'apitoyer sur son compte ?2dit Sernin.

Laisse-moi rire encore.La porte des Salinières allait s'offrir à leurs

regards, ouvrant sur une vaste place en demi-cercle faisant'face au fleuve, dont la largeurétait majestueuse à cet endroit et où on de-vait construire plus tard l'immense pontqu'on admireaujourd'hui. De cette extrémité,le coup d'oeil du port et de. ta ville, se dé-ployant sur un arc de près d'une lieue d'é-tendue, était magnifique, éclairé surtout parun beau soleil de printemps. La Garonne,aux petits flots frisotants et limoneux, balan-çait une multitude de navires de toutes di-mensions et de toutes coupes, pavoisés auxcouleurs de toutes les nations bricks,trois-mâts, galiotes hollandaises rebondiescomme des ventres de commode, barques deplaisance peintes et ornées a la vénitienne,

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canots étroits filant comme dpsQèches. De-vant la porte des Saliméres étaient plus par-ticulièrement rangés et serrés les uns contreles autres les bateaux dits de cabotage, leslongues 'et lourdes gabarres, les chasse-marée bretons et normands, humbles ba-teaux aùx voiles grisesou rougeâtres,portant,malgré leur pauvreté, des noms sonores la.Belle-A mélie, l'Espérance de Sa~-Se~ua~,le Petit-Jules, la Mane-Jea~e, la Provi-de~ce, et décorées de bustes grossièrementsculptés et naïvementcoloriés. Sur les quais,c'était un mouvement inouï de marchandisesdébarquéeset embarquées, de sacs portés surles épaules, de barriques roulées, de char-rettes, de brouettes; de chevaux, d'ânes; c'é-tait un bruit de voix, de cris, de grelots, de

coups de fouets, d'aboiements. Bruit et mou-vement étaient coupés çà et là par de vieuxmarins assis sur un paquet de cordages, fu-mant gravement la pipe, ou par un groupe de

femmes faisant la cuisine dans un chaudron,

or- enc'ore par des douaniers posés de dis-

tance en distance comme des bornes.Et la diversité, la profondeurdes magasins,

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avec leurs enseignes en toutes les langues,les denrées exotiques, les morues séchées,les grands fromages, les barils d'anchois, les

nappes de cassonnade, tout cela dégageant

un arome acre, particulier, à pleine gorge!1Sernin et Loupiac n'étaient pas des âmes

assez artistes pour s'arrêter à ce spectacle. Ilstirèrent à droite, vers le quai do Paludate, etils entrèrent dans un petit débit de vin am-bitieusement appelé: Au Repos des Naviga-teurs, avec pour sous-indication Te?tn parla veuve à Pe~recaue.Cinq tables, et un pa-pier de tapisserie d'une coloration aveuglantereprésentant les péripéties d'une chasse autigre, suflisaient un peu arbitrairement àfigurer ledit ~epos.– Servitur à la velle madame Peyrecave

dit Loupiac en déployant toutes ses grâces.Té! moussu le baron! s'écria une vigou-

reuse et joyeuse commère.Baron! tu es devenu baron, toi ? fit Ser-

A

nin avec étonnement.

– Mon ami, je l'ai toujours été. baron deLoupiac, seigneurde Fondandege, comte deBacalan. Seulement je ne porté pas mes

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titrés pour ne pas humilier mes gens. Lavéritable' noblesse se distingue d'ailleurstoute seule.

Çà, c'est 'vrai. Mais, ajouta madame Pey-recave, il y a bien longtemps qu'on ne vousavait pas vu, monsieur le baron.

– Vous avez daigné vous en apercevoir,

ma divine ?–Ou étiez-vous donc ainsi?Dans mes terres, ma velle enfant.– Tu as des terres, toi, Loupiac ? ricana

Sernin.

– Certainement répondit Loupiac, légè-rement vexé; du côté de Cadillac.

Et tu ne m'en avais jamais parlé, mau-vais ami?. Tu n'en avais pas ~davantagesoufflé mot à la charmante madame Peyre-cave. D'honneur, tu es impardonnable,ba~OM.

Et sur le même ton moitié moqueur, moitiésérieux– Il faut que tu t'engages à nous recevoircet été, tous les deux, madame Peyrecave etmci, dans ton château de Cadillac.

– Cet été?. balbutia Loupiac.

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– Fixe le mois et le jour qu'il te plaira,.

– Que d'honneur pour moi dit la bellecabaretière en se rengorgeant, c

–~ C'est entendu, n'est-ce pas? ditSermnà Loupiac d'un airqui semblait ne pas admettred'objections. Et maintenant, belle dame,faites-nous le plaisir de nous donner une bou-teille de votre petit Saint-Emilion, que monami m'a beaucoupvanté.

–Monpetit Saint-Emilionprononça-t-elle;

vous voulez dire mon grand Saint-Emilion ?le plus grand de tous les Saint-Emilion M. lemaréchal de Richelieu n'en. a pas de pareilà sa table.

Assaut de Gascons.–Soit! le Saint-Emilionque vous voudrez,

dit Sernin; et plutôt deux bouteillesqu'une 1

– Bien parlé appuya Loupiac.Les deux bouteilles furent apportées, mais

comme si elles eussent été au pouvoirde deux

escamoteurs, elles se virent vidées presqueen un clin d'œil.

– Exquis dit Sernin.Parfait! dit Loupiac faisant claquer sa

langue.

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– Vous ne nous aviez pas menti, belle

madame Peyrecave c'est un véritable élixir.Un baume de longue vie d

Encore une autre et de la mêmeannée!

Les deux premières bouteilles avaient été

sifflées, comme on dit en argot bachique; la'

troisième fût nùtée, c'est-à-dire absorbée

avec plus de lenteur et de r~uexion. Elle futanalysée, d~nnie puis, on s'aperçut qu'elleappelait le déjeuner, la tranche coupée àmême le jambon, le confit d'oie, et autressalaisons de haut bord, éperons à boire. Il

en résulta au bout d'une heure ,une aimablegaieté entre les deux amis. La conversation

ne tarissait pas Loupiac avait la plaisan-terie insistante et un peu lourde; il se cram-ponnait à cette idée comique de la capturede la bande de Jean de la Réole, et il la res-sassait de tous les cotés. C'étaient commedes litanies

A l'arrestationde Jean!A l'arrestationde Fin!A l'arrestation de Caudéran!

– A l'arrestation des Deux-Cuisiniers

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Et pourexplosion finale:

– A mon arrestation par moi-même!Sernin aurait Voulu modérer les éclats de

cette joie imprudente, mais il se laissait en-traîner lui-même. Dirai-je qu'ils étaient gristous les deux a la chute du jour? Ce seraitrendre un hommage à la vérité. Quand ilsfurent las de boire, ou, pour parler plusexactementquand ils eurent cessé de boire,ils firent venir des cartes, – des cartes decontrebandiers espagnols, représentant, en-luminées de jaune et de rouge, des sabres, despoignards, des turbans, des têtes d'animaux.Seulement, comme ils avaient contracté,dès l'âge de raison, l'habitude de tricher, ilsne tardèrent pas à se jeter les cartes à laugure. Mais ils n'étaient pas hommes à segarder rancune pour si peu.

Ils ne quittèrent que sur le tard l'oasisde madame Peyrecave; ce ne fut pas, de lapart de Sernin, .sans avoir fait promettre de

nouveau à la belle veuve de fixer au plustôt le jour de la fête que le baron de Lou-piac brûlait de lui donnerdans sa châtellepiede Cadillac. Loupiac aurait bien voulu en-

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de qtie~ell~, casse

voyer Sernin à tous les diables, maison n'en- w

voyait pas facilement promener Sernin. Lesoi-disant baron, surexcitepar le vin, promitdonc tout ce qu'on voulut, et s'engagea adonner, à bref délai, une fête dans un châ-

teau qu'il ne connaissait pas.Une fois sur le pavé, les deux amis subis-

sant l'influence du plein air et de la nuit, sedépêchèrent de se'mettre en quête d'unautre cabaret. C'eût été trop simple de rèsterdans le même. Ils explorèrent consciencieu-sement les quartiers avoisinant la Douaneetla Bourse, la rue du Chai-des-Farines, la ruedes Capérans, la rue Tour-de-Gassies,la ruedu Fort-Lesparre, milieux continuellementhantés par une population de matelots. Ils

ne furent pas les derniers à faire leur partiedans ce chœur enivré. D'auberge en auberge,ils roulèrent dans ces bouges, qu'on appe-lait déjà des soMWctëres, dans les mauvaisgîtes dénoncés par le râclement du vio-lon. Bref, ils se compromirent horriblement,Loupiac surtout, insatiable de sensations, etpour qui la voie publique n'était pas assezlarge, chercheur de querellas, casseur de re-

h' 7~

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-verbères, chanteur à plein gosier de ro-mances

C'est dans la ville de BordeauxQu'est arrivé trois beaux vaisseaux jLes matetots qui sont dedans,Ce sont, ma foi, de bons enfants.

Il y a une dame dans BordeauxQu'est éprise d'un matetot

« Ma servante, attez-moi'quériLe matelot le plus joli. »

« Beau matelot, mon bal ami,Madame 'vous envoiequéri.Montez là-haut, c'est au premier;CoUationvousyfere~ »

La collation a duréTrois jours, trois nuits, sans décesser.Mais, au bout de trois jours passés,

Lé matelot s'est ennuyé.

Loupiac en fit tant et tant que, sortis lematin du fort du Hà, il s'~ vit ramené le soirdu même jour, la tête à demi fendue par unéclat de bouteille. Il y a des fatalités.

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VII

CHEZ ROBERTE

'<– Eh bien avez-vous un plan ? deman-

dait le lendemain le directeur de la police àSernin, dans son cabinet.

–J'enai même plusieurs, répondait celui-ci, mais je ne vous en soumettrai qu'unseul.

– Le meilleur ? dit M. Lafargue, qui auraitété digne d'inventer la police d'opérette.

– Naturellement. Il faut que vous m'intro-duisiez dans le coeur de la place.

– Quelle place ? Quel cœur?Dans l'hôtel de mademoiselle Clair-

ville.

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– Soit~. En quelle qualité ?P– En qualité de secrétaireou d'intendant.

J'ai besoin d'un poste d'observation d'oùje puisse, à mon a-ise, étudier tous les habi-tants de l'hôtel.

Pas mal imagine, dit M. Lafargue maisce système d'étude sera peut-êtrebien lent, etle temps nous dévore. –

– Qui sait ? Peut-être obtiendrai-je desrésultats dans un court délai.– Puissiez-vousdire vrai Le maréchal do

Richelieu ne badine pas. Je vais écrire a.

mademoiselle Clairville pour vous annonceret vous recommander.

Une lettre ? dit Sernin en hochant latête; hum! une lettre est ou bien banale oucompromettante;elle peut s'égarer aux mainsdes domestiques.

–' Eh bien 1 je vais moi-même.– Non. Deux visites de votre part à made-

moiselle Clairville donneraient l'éveil.Alors ?. prononçaM. Lafargue.Envoyez Dutasta, cela suffira.

Remarquezque Sernin disait déjà Dutastatout court, et que le directeur de la police, qui

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sordre Sernin6.

commençait à subir l'ascendant da Sernin, Wtrouvaitcelatoutnaturel.

– Ah! vous croyez que Dutasta?.Certainement, répondit Sernin; il ne

s'agit que de m'annoncer comme chargé de

vos pleins pouvoirs.De mes pleins pouvoirs ?PN'est-ce pas convenu2Si fait, mais.

-Je crois tenir une combinaison sur la-quelle je comptebeaucoup, dit Sernin.

–Vraiment? fit M.Lafargue en relevantle nez.

Dites à Dutasta de parler de moi à ma-demoiselle Clairville dans les termes les pluschaleureux.

Avant de se rendre chez la Clairville, Ser-nin jugea à propos de passer à son logementde la petite place Saint-Rémy, où Robertel'attendait depuis vingt-quatre heures dans

une angoisse que l'on comprendra facile-ment si on se reporte aux événements quiavaient signalé la nuit du 8 avril.

Qu'on se rappelle en quel désordre Sernin

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était rentré cette nuit-là, et de quelle .façonmystérieuse, égarée, il s'était enferme dans

sa chambre. Et, au réveil, lorsque M. Dutasta.était venu heurter à sa porte, quel égarements'était répandu sur tous ses traits 1 Ce collier,qu'il avait laissé tomber si malencontreuse-ment, ce collier, qui était demeuré en la pos-session de Roberte.

Qu'avait-elle dû penser? Que pensait-elleencore ? Comment allait-elle l'accueillir ?PL'un et l'autrepourraient-ils se regarder sanstrembler ?2

Telles étaient les pensées qui assiégeaientSernin en montant l'escalier de la placeSaint-Rémy.

Au moment de frapper, il s'aperçut que laclef était restée sur la porte, ce qui n'avaitjamais lieu habituellement.

Il entra. Roberte était couchée.– Vous soufrez ? lui dit-il.– J'ai bien souffert.Il lui prit la main. Elle était brûlante.–Pourquoi ne pas avoir fait venir le mé-

decin ?P

– Vous savez bien que vous m'avez

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défendu de laisser- pénétrer quelqu'un ici.–Oui. c'est vrai: Mais un cas aussi

particulier!1Je n'aurais pas voulu vousdéplaire,mon

ami. D'ailleurs, cela va mieux, et cela iramieux encore, puisque vous voilà de retour.

– Je ne suis pas revenu pour longtemps,fit Sernin avec effort. `

Que dites-vous ?2

Et la figure de la jeune femme, qui s'Étaitanimée de quelques couleurs, reprit sa pâ-leur ordinaire.

Vous me quittez 'encore ? murmura t-elle.

– Pour quelques jours seulement.– Au fait, je devais m'y attendre, continua

Roberte, avec une expressiond'abattement °

toujours des absences, toujours des mys-tères L'abandon, la solitude, voilà monlot.

Roberte–Excusez-moi, j'ai tort de me plaindre.

Mais c'est plus fort que moi.Quelques jours sont bien vite passés; nous

auronsdes temps meilleurs.

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Sernin 1 Sernin j'ai peur do me trouverseule ici.

Que vous êtes enfant De quoi pouvez-vous avoir peur ?

De tout ce qui m'environne. de ce col-lier, par exemple.

Nous y voilà pensa Sernin.Et il ajouta, d'un ton qu'il tâcha de rendre

le plus naturel possible– Ce collier?je venais justement le cher-

cher. Je vais le rapporter à la personne quil'a perdu.

– Quelle est ceUe personne P demandaRoberte en fixant les yeux sur lui.

Vous ne la connaissez pas.Ce doit être au moins une princesse,

car il est superbe, il jette des feux. Oh!reprenez-le reprenez-le tout de suite.

Se levant et ouvrant rapidement un tiroir,elle en sortit le collier, qu'elle lui jeta plutôtqu'elle ne lui tendit.

Sa physionomie offrait en ce momentune expression telle que Sernin en futfrappé.

H demeura immobile, le collier à la main.

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Roberte, lui dit-il, je vous expliqueraitout. dans quelques, jours. quand vousserez plus calme.

– Expliquer quoi ? Croyez-vous que jen'ai pas tout deviné ?P

Et ses yeux se fixaient sur Sernin, qui 119

put en supporterle feu sombre.

– Grâce, Roberte 1 balbutia-t-il.Oh 1 fit-elle en couvrant sa figure de ses

mains.Ces émotions, jointes à l'effort qu'elle

venait de faire en se levant, l'avaientépuisée.

Elle pâlit, chancela et s'évanouit.Sernin la reçut dans ses bras et la trans-

porta sur son lit, où il lui prodigua les se-cours qui étaient en son pouvoir.

La crise fut longue.Lorsqu'ellefut dissipée,Roberteparut s'as-

soupir.Machinalement, sa main était restée dans

la main de Sernin. Il n'osa pas la déranger parle moindre mouvement. ïl demeura long-temps tenant cette petite main blanche etfluette, tremblante de fièvre.

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Pauvre Roberte 1

Il la regardait attendri, malgré lui, autantqu'il était capable d'attendrissement.

Enfin,le sommeil l'ayant tout à fait gagnée,il parvint à dégager sa main, et il courut à

la chambrevoisine, celle où il avait passé unesi terrible nuit.

Il avait hâte de savoir si rien n'y avait étédéplacé.

Il ferma doucement la porte de communi-cation.

Demeuré seul, un rapide examen deslocalités le convainquit que tout était biencomme il l'avait laissé. Les bijoux étaienttaux mêmes cavités où il les avait intro-duits, c'est-à-dire entre les poutres du pla-fond.

Il respira.Roberte n'a rien découvert, se dit-il;

pourtant elle n'aura pas manqué de chercherpartout. Ils sont donc bien cachés. Je nosaurais faire mieux que de les laisser encorelà.

Et il ajoutaContentons-nous d'emporter ce collier;

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il pourra m'être utile' d'ici à quelquesjours.

Un soupir qu'il crut avoir entendu le ra-mena dans la chambre de Roberte.

Elle dormait toujours.Mieux vaut ne pas la réveiller mur-

mura-t-il.Sernin sortit sur la pointe du pied.

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OU. L'ON VOIT LA BANDE A JEAN DE LA RÉOLE

Le cours Saint-André, qui fait partie del'immense ceinture de boulevards tracée parM. de Tourny, s'étendait alors, comme au-jourd'hui, à partir dû Jardin-Public jusquederrière le faubourg des Chartrons. On y trou-vait un grand nombre d'hôtels semblablescelui de la demoiselle Clairville, où nousallons introduire le,lecteur, hôtel importantoù le terrain n'était pas ménagé, distrait qu'ilavait été sur de vastes et verdoyants marais.Toutes les aises de la grande vie étaient réu-nies dans cette habitation communs large-ment distribués, beaux chevaux à l'écurie,élégantes voitures sous la remise.

VIII

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Il semblaitque cette maisonfût déjà connuede Sernin, à la façon résolue dont il s'y diri-geait. Ce fut presque en maître qu'il soulevale lourd marteau de là por~e. Le portier, dé-rangé si brusquement, ne put réprimer ungrognement de mauvaise humeur en venantouvrir, mais il y fit succéder immédiatement

une exclamation de surprise.Enfin, te voilà!Silence! fit Sernin en jetant, à droite et

à gauche un regard prudent.Nous t'attendions avec impatience,dit le

portier.Sernin fronça les sourcils

Pourquoi avec impatience?. Je n'aimepas les reproches.– Ecoute donc reprit le portier, nous

sommes restéspendanttoutela journée d'hiersans nouvelles de toi. Et nous étions pleinsd'inquiétude.

–Sacré bavard! cesseras-tu déparier sihaut? Entrons au moins dans ta loge.

– Comme tu voudras.Une fois dans la loge

– A présent, parle, fit Sernin.

Page 119: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

–.Je disais donc que nous étions inquiets

sur ton compte. à propos des petits caillouxsur lesquels nous t'avons aidé à. mettre lamain.

–DelaméSance?– Oh non mais il aurait pu t'arrivermal-

heur.Braves cœurs merci de votre sollici-

tude. Il ne m'arriye jamais malheur, à moi.Et quant aux petits cailloux, comme tu dis.–Eh bien?

– Je venais précisément pour vous entre-tenir de cela. Où et quandpeux-tu rassemblernotre bande, Latapy?

– Ce soir, si tu veux, Jean; Madame joue

encore au Grand-Théâtre.Oui, je sais. le même spectacle. Et

qui emmène-t-elleavec elle?2– Le cocher et la femme de chambre,

comme d'habitude.LucileP

–Oui.– Elle est des nôtres, dit Sernin. Qu'elle

tâche de se faire remplacerpar Thérèse si elleveut assister à notre assemblée.

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Elle ne demanderapas mieux.

– À présent, quel est le lieu du rendez-vous? <

– Je propose mon pavillon, dit }e portierj"

nous sommes certains de n'y être pas dé-rangés c'est moi qui dispose des issues.

Fort bien. A présent, fais-moi annoncerà ta maîtresse.

A madame Clairville?Oui j'ai besoin de h voir.

–Toi?–Moi-même, dit Sernin avec sang-froid.Le portier restait ébahi.–Je ne suis pas curieux, murmura-t-il,

mais je ne serais pas fâché de savoir ce que tupeux avoir à'dire à celle que tu as dévaliséeavant-hier.

–. C'est mon secret.

– J'entendsbien, iit le portier en essayantun sourire malin; mais si elle savait1– Oui~ mais elle ne sait pas. Allons,,sonne.Le portierfrappa sur un timbre dont le son

communiquait avec l'antichambre.

Lorsque Sernin parut dans l'antichambre,

Page 121: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

il y eut la même comédie que dans la loge duportier, c'est-à-dire que le laquais de servicemanifesta la même surprise.

– Chut! lui dit Sernin, comme au portier.Cinq minutes après il était introduit chez la

Clair ville.C'était la première fois qu'il la voyait. Il la

trouva singulièrement jolie.La Clairville était une jolie fille, en effet

nous avons àpeine pris le tempsde l'indiquer.Elle lui apparaissaitdans le désordre éclatantdu matin, vêtue d'un de ces frais peignoirsqu'on appelait alors des /bM)*re&M~. Il en futébloui.

Née à Paris, dans la rue du Pon t-aux-Choux,la Clairville devait son élévation au maréchalde Richelieu, qui l'avait déniaisée, comme ondisait alors, et qui n'y avait pas eu grand'peine,tant elle avait de dispositions. Il lui avaitsigné un ordre de début au Théâtre-Italien,sur lequel il avait la haute main et après luiavoir fait donner quelques leçons de déclama-tion par la Dubois, de la Comédie-Française,il avait obtenu pour elle au Grand-ThéâtredeBordeaux un engagement de « jeune pre-

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mi ère de tragédie,des princesseset des amou-reuses de comédie)).

Elle avait apporté dans la capitale de laGuienne un talent fort insigninant, doubléd'une coquetterie ensorcelante qui allaits'exercer sur la jeunesse commerçante de laville, malgré la redoutable concurrence desBordelaises, qui onttoujourseuune granderé-putation de beauté. Mais la Clairville éclipsaitles Bordelaises par sonprestige de Parisienne.

Cela expliqueraitau besoin pourquoi Ser-nin avait été mordu par le désir d'approcherde la br.Hante courtisane; mais à ce désirse joignait aussi cette curiositédu voleur quitient à connaître la personne qu'il a volée.

L'impression ressentie par Sernin avait étéélectrique, comme nous l'avons vu.

Il n'eu avait pas été de même pour la Clair-ville. Avertie par M. Dutasta, elle attendaitSernin, et même elle l'attendait avec impa-tience mais elle croyait avoir affaire à unvieux policier, aux habits râpés, aux manièreshumbles. Au. lieu de cela, elle trouvait unjeune homme proprement vêtu, à la physio-nomie intelligente.

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Elle le toisa du haut en bas; comme saventtoiser cesniles,

Vous êtes bienjeune, lui dit-elle, pour.

– Pour le métier que je fais? C'est ce queVOUS voulez dire, madame? répondit Sernin

en souriant.– Oui.– C'est que Inexpériencem'est venue vite.– M. Dutastaparaît avoirbeaucoupde con-

fiance en vous, continua-t-elle..'–EtM.Lafargueaussi..

Elle pouvait lui direCommentvous appelle-t-on ?2

Elle lui dit:– Comment vous 'appellerai-je ?

Sernin sentit la nuance et répondit sur lemême ton

– Vous m'appellerez votre intendant, carc'est en cette qualité que j'ai demandé à en-trer chez vous.

Dès le début do cet entretien, la Clairvilles'était assise, le laissant debout.

Son examen qu'elle prolongea ne devaitaboutir qu'à une répulsion inexplicable. Ellelui trouvait trop d'assurance dans le verbe;

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trop d'effronterie dans le regard; elle le ju-geait en un mot trop semblable à elle. Cesdeux natures se sentaient sorties du peupletoutes,les deux, et chacune d'elles évitait de

se laisser dominer par l'autre.C'était à Clairville à céder, la première, un

peu de son terrain.Les réponses précises de Sernin ne lais-

saient pas que de l'embarrasser.Elle reprit sans se départir de son accent

ironiqueEh bien monsieurmonintendant, quand

allons-nous vous voir à l'oeuvre ?Je me laisserai voir le moins possible,

répondit Sernin..

– Vous vous engagez à retrouver mes bi-joux ?P

– Je ne m'engagepas. J'espère.Croyez-vous qu'il vous faudra beaucoup

de temps?Je vous le dirai dans quelques jours.

– Où voulez-vousêtre logé ?2J'aurai besoin d'une vue sur la cour et

d'une autre sur le jardin,

– Coté cour et côté jardin, dit la Clairville

Page 125: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

se rappelant sa profession; vous occuperezl'appartement au-dessus de celui-ci.

–Fort bien. Annoncez-moi à vos genscomme un parent de passage, sans impor-tance, faisant fonction de secrétaire, afin queje puisse aller et venir dans là maisonà touteheure de jour et de nuit.

– De jour. et de nuit? répéta Clairvilleétonnée..– Si cela est nécessaire.

Est-ce tout?Oui, pour le moment. Ah'Quoi encore ?P

– Vous me .donnerez les doubles clefs detoutes les chambres. `

La Clairville laissa échapper un secondmouvement de surprise; puis elle pensa

La police se fait drôlement à Bordeaux.

L'installation de Sernin eut lieu en peud'instants.

Le soir venu, il était si bien installé qu'ilpouvait descendrede son appartementdans laloge du concierge, pour venir assister à laréunionde domestiquesqu'il avait provoquée.

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Bizarre réunion!II ne faut pas oublier que ces domestiques

qui représentaient le personnel de la Clair-ville étaient tous des domestiques,pour rire,–excepté le cocher, absent pour le servicede madame,' et quelques galopins d'écuriequi avaient été éloignés sous divers pré-textes.

Ils étaient tous groupés autour d'une tableronde dont le centré était occupé par une bou-teille de tana et sept verres.

Autant de verres que d'assistants.C'étaient, outre Sernin, le. concierge La-

tapy, qui semblaitprésiderEnsuiteun maitre d'hôtel, imposant et im-portant comme tous }.es maîtres d'hôtel;

Le valet de chambre Félix, souple et ef-fronté, véritable valet de théâtre

La femme de chambre Lucile, portant surson teint couperosé l'enseigne de tous lesvices;

Deux frères jumeaux, parfaitement ressem-blants l'un à l'autre, et connus sous le nomdes Deux-Cuisiniers.

Tels étaient les individusqui représentaient7.

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une petite partie de la bande à Jean de la..Réple.

Le chef – ou Sernin, comme on voudral'appeler – avait fait annoncer par Latapyqu'il prendrait la parole.

Une certaine agitation régnait donc dansl'assemblée.

Sernin s'en aperçut dès le premier coupd'œil mais il ne parut pas s'eri émouvoir.

Ce n'était pas la première fois qu'il avaitmaille à partir avec ses associés.

II commençaen ces termes

..– Mes chers amis. je vous ai réunis pourvous donner.

A ce mot habilement suspendu, on sentitcourir comme une sorte de frisson d'aise.

Pour vous donner. des nouvelles denotre butin.

-Des nouvelles. seulement? murmu-rèrent quelques voix.

Il est en sûreté, parfaitement en sûreté.

– Nous aimons à le supposer! dit le valetde chambre Félix.

– Et, à quand le partage ? dit le portier.-– Le partage? répéta Sernin.

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–Oui..– Est-ce que vous y tenez beaucoup, au

partage?Ces mots avaient été prononcesavec une v

désinvolture qui manqua complètement soneffet.

Si Sernin avait voulu tenter une. épreuvesur ses compagnons, cette épreuve resta sanssuccès.

Te mOques-tu de nous,Jean? dit le va-let de chambre.

Il ne faudrait pas jouer ce jeu-là avecles camarades, Jean, dirent les Deux-Cuisi-niers.

Jean, je t'ai donné les clefs de lachambre de ma maîtresse, dit Lucile.

Jean, je t'ai ouvert la porto du jardin.Sernindemeurait muet. Il semblait étudier

ces visages devenus inquiets.A la fin, il partit d'un éclat de rire.

Eh mes amis, qu'est-ce qui cherche ànier les services que vous m'avez rendus?qui est-ce qui songe se montrer ingrat en-vers vous ?2

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-Alors, qu'as-tu voulu dire?

'– J'ai voulu dire que ce partage auquelvous avez des droits si légitimes, ce partageque vous réclamezsi justement.

–Eh bien?P –– Eh bien il y aurait du danger à le faire

en ce moment.– Quel danger? demanda Félix.– Quel danger? demandèrent,les Deux-

Cuisiniers.–' Ah ça vous ne savez donc rien de ce

qui se passe au dehors ?2– Riendu tout.

– L'aventure de la Clairville fait un bruitdu diable. On ne parle que de cela le maré-chal de Richelieu en a été averti le premier eta juré do faire pendre les coupables. La listedes bijoux. disparus a été communiquée atous les marchands. Et c'est ce moment-làque vous choisissez pour que je vous distri-bue ces bijoux qui brûlent les doigts.lorsque vous savez qu'il est impossible de

vous en défaire et que la moindre impru-dence d'un seul d'entre vous suffirait à vousperdre tous 1

1

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Les domestiques gardèrent le silence àleurtour.– Eh mais, se hasarda à dire Latapy,

est-ce que nous ne pourrions pas les tenircachés aussi bienque toi?

– Oui, ajouta Félix.Je ne crois pas;. ajouta froidement Ser-

nm.Et presque aussitôt– Allons, avouez donc tout de suite que

vous me soupçonnez,s'écria-t-il que je n'aiplus vôtre confiance 1

–Jean, nous ne voulons pas dire cela,mais.

– Et c'est toi, Latapy, toi que j'ai ramassémourant de faim, qui te tournes contre moiaujourd'hui

Non. non, Jean.Et toi, Félix, dont j'ai fait le premier

valet de chambre de Bordeaux

– Jean, tu m'accuses à tort.– Et vous, Lucile, et vous les Deux-Cui-

siniers, vous tous qui me devez vos posi-tions 1

Tu nous as mal compris.

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– Ecoutez, continua Sernin, je suis prêt &

faire le partage en question aujourd'hui j'ysuis prêt,

–Nous n'en avons jamais douté, mur-mura Latapy.

Mais celui qui aura reçu sa part cesserade faire partie de la bande à Jean de la Réole.

Ces mots produisirent l'effet d'une commo-tion électrique.

– Et qui de nous a jamais songé à te quit-ter ? dit Félix.

– Ce n'est pas moi, dit Lucile.– Ni moi, dit Latapy.–Ni nous, dirent les Deux-Cuisiniers.

– Garde-nous notre part de capture.– Consens à être notre banquier, Jean1

– Rends-nous ton amitié 1

Sernin exultait.Il tendit ses deux mains à ses compagnons,

qui se précipitèrent dessus en les pressantavec effusion.

-Tout est oublié! dit-il avec un de cesgestes majestueux qu'il devait avoir emprun-tes a Cartouche.

– Alors, buvons à ta santé 1 dit un des

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.iniers en remplissant tous lesDeux-Cuisiniers en remplissant tous .lesverr~ d'une ration de tana.

– Non pas à ma. santé, mes enfants, ditSernin, mais à la prospérité de la bande àJean de la Réole.

C'est juste 1

On choqua les verre et on but,Eh eh 1 elle va bien, la bande à Jean

de la Réole dit Sernin en savourant lente-ment sa liqueur et ses paroles elle se couvredo gloire. Savez-vous que, dès que nouspourrons réaliser, ce que je souhaite autantque vous, c'est par centaines de mille francsque nous aurons à compter.

Les regards brillèrent.– Vraiment? s'écria-t-on.– Et quand je pense que tout à l'heure

vous vouliez vous séparer de votre chef? ditSernin.

-Non non t

–' Jamais 1

Celui des Deux-Cuisiniers qui remplis-sait, chez la Clairville, l'ofuce de somme.lier, et qui criait le plus fort, s'exprima ences termes

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–.On ne peut pas se contenter d'uneseule santé. Attendez-moi un instantl

Ét il disparut du côté de la cave.De son côté, Lucile 'était sortie sans dire

où elle allait, mais avec un air de joyeuxmystère.

Tous les deux reparurentbientôt.L'un rapportait trois ou'quatre bouteilles,

cu'U posa précautionneusement sur la tableen disant:

C'est ce que madame a de mieux danssa cave.

Lucile tenait entre les mains une énormepâtissérie, qui fut saluée par cette exclama-tion

Une tarte hollandaise 1

C'était une tarte hollandaise, en effet, lerégal favori des Bordelais, à cette époque.

Le sommelierdéchiffrait les étiquettes desbouteilles

Ce sont tous des vins et des liqueurs àla mode, disait-il de l'Alicante, du Rota, duScubac, du Vespetro,du Ratafia de Neuilly,de l'Alkermés de Florence, du Rosolio demadame Aphoux. Choisissez.

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La gaieté était à son comble.Les verres se remplirent de nouveau la

tarte fut découpée et partagée.– A la santé de Jean de la Réole 1

–A votre santé, mes amis

– A la fortune dp sa bande

– De notre bande ,1– Plus bas plus bas essayait de direSernin; soyons prudents. si on nous enten-dait du dehors.

– C'est impossible, affirma le portier.Alors, chantons, dirent les Deux-Cuisi-niers..

– Chantons s'écrièrent-ils tous.– A Lucile de commencer Honneur aux

dames 1

Lucile entonna une chanson badine quelui avait apprise le jeune M. Garat, qui ve-nait donner des leçons de clavecin à ma-dame.

Le maître d'hôtel déclama de son plusgrand air le récit de Théramène.

On se sépara à une heure avancée, en proiea un délire tout fraternel.

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ÏX

LE DUC DE FRONSAC

Les émissairesdu duc de Fronsacn'avaientpoint perdu de vue Roberte.

Nous avons raconté ,en peu de mots com-ment il y avait eu de leur part une tentatived'enlèvement empêchée par Sernin. Depuis,ils avaient toujours été tenus en respect parle jeune homme devenu l'amant et le protec-teur de Roberte, et dont l'emploi à la policeleur était connu.

Mais ils n'avaient pas pour cela renoncé à

leurs projets, ou plutôt le duc de Fronsac n'yavait pas renoncé.

Lorsqu'ils eurent appris l'absence de Ser-nin, ils se hasardèrentà se présenter chez la

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jeune fille. Ils en furent très mal reçus elleaimait Sernin par-dessus tout. Cependant,son coeur avait failli se briser lorsqu'ils luiapprirent l'état honteux d'observateur qu'ilexerçait/Se sentir humiliée dans l'hommequelleaimaitétait une douleur qui dev&it luiêtreréservée..

Les immondes émissaires du duc de Fron-sac étaient guidés par un ennemi de Sernin,le nommé Forastié~ appartenant comme lui àla police. On a vu, dans un précédent cha-pitre, Sernin supplanter ce Forastié dans sonemploi. Forastié en était demeuré furieuxet' avait juré de se venger. En se vengeantsur Roberte, il savait atteindre Sernin.

Non content d'avoir avili Sernin aux yeuxde Roberte, il lui avait appris en outre sonséjour chez la Clairville. Le coup fut terrible

pour la jeune fille. Elle ne connaissait riendu monde extérieur, et ignorait l'existencede la comédienne. Elle crut à une calomnieFcrastiô lui offrit des preuves.

Elle avait résisté à l'avilissement de sonamant, elle ne résista pas à son inconstance.

Abandonnéepour une autre femme, elle se

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vit irrémédiablementperdue. Elle ne pouvaitni ne voulait se mesurer avec une rivalequelle qu'elle fût. Qu'allait-elle devenir?2

Seule, sans ressources, elle se sentait peurde tout, peur de la misère, dans laquelle elle

avait été élévée, peur de la faim comme unesœur de Manon. Lescaut qu'elle était, peurde la mort. Hélas! Hélas! Roberte n'avaitrien d'une âme romaine. C'était un pauvrepetit cœur français, un cœur du peuple, faitde pitié et de bonté.

Sur ces entrefaites, Forastié renouvela lespropositionsdu duc de Fronsac. Repousséesd'abord avec dégoût, elles Snirent par sefaire écouter de Roberte. Ni la figure, ni l'ordu séducteur ne la tentaientbeaucoup; mais

Forastié était là qui lui soufflait son esprit de

vengeance. Pouvait-elle demeurer dans unlogis que Sernin désertait si publiquement ?PSubirait-elle la charité humiliante d'unamant infidèle ?2

Roberte n'ayant d'autre défense que seslarmes, demandait délai sur délai. Mais cela

ne faisait pas le compte de Forastié qui crai-gnait un retour de Sernin et une réconcilia-

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tion possible. Aussi la pressait-il de toute soninfernalerouerie.

Enfin, à sa dernière visite, il convint avecelle d'un jour pour la conduire chez leduc de Fronsac.

L'heure est venue de consacrer quelques

pages au duc de Fronsac, le fils très mal

connu du maréchal de Richelieu.Après avoir essayé de faire le portrait du

père, nous ne pouvons nous dispenser d'es-,quisser le portrait du fils.

Cela ne nous sera pas précisément facile

car, par une exception étrange, toutes lesbiographies, depuis la vénérable biographieMichaud jusqu'au pesant dictionnaire La-

rousse, se sont toujours refusées à consacrerun article à Fronsac, et même à mentionner

son existence.Que signifie cette exclusion que l'on peut

quiliner d'unique?Les vertueux rédacteurs de ces recueils

documentaires se sont-ils effrayés au momentde retracer l'existence d'un tel libertin ? Maisils se sont mesurés avec bien d'autres mons-

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très, en admettant que le fils du maréchalaitmérité ce surnom.

Ne serait-ce pas plutôt la famille qui auraitsollicité cette exclusion, équivalente à unelettre de cachet rétrospective, et qui auraitdit à son parent indigne « – Tu n'auras pastes grandes entrées dans l'histoire, car tu asdémérité du nom illustre des Richelieu. »

On est tenté de s'arrêter à cette dernièresupposition, êt d'en faire honneur à la piétéfiliale du dernier Richelieu,.le vertueux mi-nistre de Louis XVIII, le fils rougissant deFronsac.

Mais si le grand jour des biographiesoffi-cielles reste interdit à Fronsac, il n'en estpas de même du petit jour des mémoiressecrets, des nouvelles à la main, des pam-phlets, et, en général, de tous les écrits clan<'destins et licencieux de l'époque, maréemontante qui se jette sur Parts et sur Ver-sailles par toutes les écluses débordées dela Hollande.

C'est là qu'il faut chercher Fronsac il les

emplit de sa triste et bruyante personnalité ï

il est leur ressource; il défraie chaque jour

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les cahiers de Bachaumont et de l'Espionanglais.

N'hésitons donc pas. Mais par où commen-cer ? Fronsac eut-il une enfance? Certes, etdes mieux douées. Il était fils de mademoi-selle de Guise, princesse de Lorraine, unedigne .et spirituelle femme, que Voltaire goû-tait beaucoup. A neuf ans, comme c'était lamode, le petit bonhommefut fait colonel d'unrégiment de dragons levé en l'honneur duroi par les Etats du Languedoc, et qui re-çut le nom de régiment de Septimanie. Sep-timanie était la soeur cadette de Fronsac,celle qui devait devenir plus tard la célèbrecomtesse d'Egmont. Le petit colonel futprésente à la cour à l'âge de quatorzeans; onfut un peu désenchanté sur son compte, et ilde sembla pas justifier le nom prestigieux deRichelieu. On le trouva frêle, pâlot, mais onlui reconnut de l'audace.

Et cependant, le maréchal de Richelieuavait commencé par beaucoup l'aimer; il sevoyait renaître dans ses espiègleries d'ado-lescent mais. peu à peu les espiègleriesavaient passé la mesure et pris un caractère

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odieux, et il sentit son affection se retirer delui.

Au moins se hâta-t-11 de lui donner le bap-tême de l'épée il avait tout juste vingt anslorsqu'il l'emmenaaveclui au siège de Mahon.On est heureux d'apprendre que Fronsac s yconduisit en parfait gentilhomme. Ce fut lui

que le maréchal de Richelieu envoya au roi

pour lui.annoncer la prise de Minorque. Vol-taire, qui est décidément l'historiographe dela famille, s'exprime ainsi sur le jeune hérosdans une lettre au vieux maréchal « On dit

que M. le duc de Fronsac était fait comme unhommequi vient d'un assaut, quand il a portéla nouvelle. Il était avec les grâces qu'il tientde vous, orné de toutes celles d'un brûleurdemaisons. Il tient cela de vous encore deman-dez à votre écuyer si vous n'aviez pas votrechapeau en clabaud à Fontenoy, et si vousn'étiez pas noir et poudreux comme undiable ? »

L'esprit de Voltaire savait aller chercher le

coeur humain où et quand il le fallait; le coeurdu maréchal de Richelieu dut se gonflerd'cr-gueil. Mais mal lui en prit d'avoirconfié cette

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mission à son fils, car Fronsac essuya unefurieuse tempête, et peu s'en fallut qu'il nefit naufrage devant Toulon; heureusementBellone veillait sur lui, style du temps. Ilarriva tant bien que mal à Paris et fut em-brasse au débotté par toutes ces dames de lacour et de l'Opéra. Il eut, lui aussi, son heureet sa part de popularité; le roi, pour le récom-penser personnellement, lui donna la croixde Saint-Louiset la survivance de la chargede son père, qui était, comme on sait, premiergentilhomme de la chambre. Je ne dirai paspositivement que cette dernière distinctionfût beaucoup du goût du père; ce qui estcertain, c'est qu'il s'appliqua à laisser le ducde -Fronsac remplir le moins possible lesdevoirs de cette charge; il ne se résignait àles lui abandonner que lorsqu'il était forcéd'aller occuper son gouvernement de Bor-deaux. t

A partir de ce moment, la carrière mili-taire de Fronsac fut terminée. Il ne paraît pasavoir sollicité d'autre service, et il n'y eutpas do second Port-Mahon pour lui. On a ob-j ectë pour son excuse qu'il avait été malade

8

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de bonne heure; cela est vrai, mais ses mala-dies étaient le fruit de ses vices, comme ~e

témoigne ce début d'une épigramme choisie

entre cent:

Un petit duc, trëschétif avorton,BouSi d'orgueil et du plus mauvais ton,Fait au mépris et se riant du blâme,Se préparait non pas à rendre )'&me,(On ne rend pas ce qu'on n'a jamais eu)Sans plus de phrase, it se croyait perdu.Privé d'espoir, épuise de débauche,Ce mannequin, cette fragi)ë ébauche,Allait partir, bien cousu dans na sac;Ce mot est mis pour rimera à Fronsac.

On voit que l'opinion publique lui était forthostile il est vrai qu'il faisait tout ce qu'ilfallait pour cela. On le huait, on se moquaitde lui, on le prenait pour héros des plus ridi-cules aventures j'en veux citer une seule.

Il sortait un soir de l'Opéra, avec un habitmagnifique. Il plut à deux filous de lui encouper les deux basques sans qu'il s'enaperçût.

Ainsi raccourci, M. le duc s'en va dans unemaison tierce, où il provoque un rire générât..

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'1Il en demandela raison, prêt à s'onenser on lalui expliqueen la lui faisanttoucher du doigt;ilseretire.

Le lendemain, de grand matin, un individu

se présenteà son hôtelet demande à lui parler.

– Monseigneur, lui dit-il, je viens de lapart -de M.' le lieutenant de police, qui est y

informé de votre aventure d'hier à l'Opéra.Déjà! En vérité, M. le lieutenant de

police est un habilehomme. Et pourquoivousenvoie-t-il à moi?

Il prie monsieur le duc de vouloir bienme faire remettre son habit. c'est-à-direcequi reste de son habit. pour aiderà ladécou-verte des voleurs et à la confrontation despièces.

Un procureur dirait au recollement desparties.

Justement, dit le quidam en souriant del'esprit de répartie de M. le duc.

L'habit est donné, et Fronsac se félici-tait de l'activité do la police, mais ce n'étaitqu'une nouvelle escroquerie de deux adroitscoquins pour se procurer l'habit complet.

Quand il n'était pas la risée du peuple, il

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en était l'effroi.- Il ne connaissait aucun freindans ses amours il courait sus aux jeunesfilles les plus vertueuses il les pourchassaitjusque chez leurs parents. La police se taisait.Une fois, cependant, il poussa les chosestrop loin, et l'on en murmura à Versailles.Fronsac avait brûlé une maison pour enlever

une jeune 811e. On crut cette fois que lemagistrat allait sévir; il, n'en fit rien. Il n'yeut pour protester d'autre voix que la voixd'un pauvre poète, de Gilbert, le seul hommequi ait eu du courage en France ce jour-là.

Voici en quels termes s'exprimait le jeunesatiriste

Cependantune vierge aussi sa~e que belle,Un jour, à ce sultan, se montra plus rebelle;Tout l'art des corrupteurs, auprès d'elle assidus,Avait, pour le servir; fait des crimes perdus.Pour son plaisir d'un soir que tout Paris périsse!V6i)â que dans la nuit, de ses'fureurs comptice,Tandis que la beauté, victime de son choix,Goûte un chaste sommeil, sous la garde des lois,H arme d'un flambeau ses mains incendiaires,U court, it livre au feu tes toits héréditairesQui la voyaient braver son amour oppresseur,Et l'emporte mourante en son char ravisseur.Obscur, on l'eût flétri d'une mort légitime;H est puissant, tes toisent ignoré son crime 1

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ichés dans u]8.

Ces deux derniers vers sont d'un beau jet,et s'il en avait fait beaucoup comme cela, le

nom de Gilbert aurait brillé d'un plus grand

renom.Nous n'en finirions pas si nous voulions

évoquer tous les scandales qui s'attachent à

la mémoire éparpillée du duc de Fronsac.Nous aurons à en relever encore quelques-uns~pendant le cours de ce récit.

Sa mauvaise santé ne l'empêcha pas de semarier deux fois la première fois avec made-moiselle d'Hautefort, la seconde fois avecmademoiselle de Gallifet.

Ce second mariage fût dû à l'interventionde Marie-Antoinette.

Le duc s'était épris de mademoiselle deGalÏinèt, qui, de son côté, le voyait d'un fortbon œil, ce qui tendrait à prouver que, sichargé qu'il fût d'iniquités, il était cepen-dant susceptible d'inspirer encore de l'a-mour.

Aux fêtes de la cour de 1776, ils se firent

remarquer par leur empressement mutuel a

se rechercher et la chronique veut mêmequ'ils se soient légèrement affichés dans un

8.

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des bals de Versailles. Mademoiselle de Ga-liffet aurait laissé tomber un billet que luiavait remis M. de Fronsac. Ce billet était

tracé en caractères rouges et contenait cesmots « Je signe de mon sang que je vousaimerai toute ma vie ))

L'aventure fit quelque bruit et parvintjusqu'aux oreilles, de Marie-Antoinette, qui,

un jour, eh présence du roi, apostrophaainsile fils du vieux maréchal

Duc de Fronsac,je veux vous marier.Le duc s'inclina et répondit respectueuse-

mentMadame, vos intentions feront toujours

ma loi.Et comme la reine le regardait avec mali-.

gnité, pendant que le roi, comme toujours,

ne savait pas ce dont il s'agissait, il ajoutaOserai-je demander à Votre Majesté quel

est l'objet, sans doute mille fois précieux,qu'elle me destine ?2

– Ne l'avez-vous pas deviné, monsieur leduc?

Non, Majesté.

– Voyons, monsieur le duc, cherchez

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bien. C'est. Mademoiselle de GalliË'et.Rien ne pouvait être plus agréable àFronsac.Mais le maréchalde Richelieu n'était pas

partisan de ce mariage, on ne sait pas pourquelmotif et l'on eut quelquepeine à vaincresa résistance. Trop courtisan d'ailleurs pourfaire de l'oppositionà la reine, il se contentade punir son fils à huis clos en ne lui servantqu'une maigre pension de deux mille écus.

La, nouvelle mariée dut faire une grimace.Quant à Fronsac, il était accoutume aux

caprices tyranniques et à la ladrerie pater-nell3.

Réduit à ses charges de cour, il attendait,en soupirant, que lé maréchal voulut bienrendre sa belle âme à Dieu. Mais le maréchalne paraissait pas disposé de sitôt à cette red-dition.

A partir de ce moment, ce fut entre euxdeux, le père et le fils, une guerre d'épi-grammes, où les convenances mutuellesn'étaient pas toujours sauvegardées.

L~ fils disait, en faisant allusion auxrouelles de viande crue que le maréchal s'ap-

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pliquait sur le corps pour s'entretenir en étatde fraicheur

Mon père est un vieux bouquin relié en-veau.

Le père disait du filsIl a tous mes défauts et pas une de mes

qualité.Maintenant, comment le père et le fils se

trouvaient-ils réunis dans la même ville ?

C'est que le duc de Fronsac était allé visi-ter les propriétés de sa femme en Languedoc,et qu'en revenant il n'avait cru pouvoir sedispenser de s'arrêter à Bordeaux, autantpour assister à l'inauguration du nouveauthéâtre que pour rendre ses respectueux de-voirs au maréchal, qui y était d'ailleursparfaitement indifférent.

Le duc de Fronsac habitait un hôtel quel-conque dans un faubourg de Bordeaux, surla route de Mérignac.

Nous avons vu comment il occupait ses loi-sirs, et comment un funeste hasard lui avaitfait rencontrerRoberte.

Si les émissaires de Fronsac n'avaientpoint perdu de vue Roberte, de leur côté, les

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limiers du maréchalde Richelieu, qui avait

une contre-police à lui, comme on l'a vu aulendemain de l'inauguration du ûrand-Thé"âtre,–n'avaient pointperdu de vue Fronsac,bien au contraire.

L'un d'eux nt prévenir le maréchal qu'ilavait une communication importante à luifaire.

U y a du nouveau, monseigneur, luidit-il lorsqu'il eut été introduit dans ses ap-partements particuliers.

– Ah ah

– M. le duc de Fronsac est amoureux.– C'est ce que tu appellesdu nouveau ?– Dame pour moi, monseigneur.– Il ne cesse pas d'être amoureux depuis

qu'il est au monde. et ce n'est pas ce qu'il'fait de mieux. N'a-t-il donc pas assez de sagoutte à soigner ?

On sait que le maréchal faisait à son filsl'honneur de le jalouser et de lui soufflerquelquefois ses maîtresses.

Le maréchal reprit–Et de qui M. le duc est-il amoureux?

D'un gibier de coulisses?

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–Non, monseigneur.De la femme d'un négociant?

-Non, monseigneur,

– Plus haut? demanda le maréchal avecun clin d'œil.

– Non, plus bas;–Une grisette alors?– Quelque chose comme cela.Et le maréchal continuant son interroga-

toireJolie ?P

– A miracle répondit l'estafier.-Es-tu bien sûr de t'y connaître?

Pour moi, je ne sais pas. Mais, pourmonseigneur, je suis certain de ne pas 'metromper.

Alors, c'est un morceau de roi ?P

– Mieux que cela un morceaude gouver-neur

– Drôle tu ne manques pas d'esprit

– Monseigneur, cela m'est venu à votreservice.

– Mais ce n'est pas tout, sans doute. Où leduc en est-il avec sa nouvelle conquête ?2

Il ne lui a pas encore parlé.

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–Ahbah!1Il Fa vue seulement. Le reste s'est traité

par ambassadeur.Est-ce une innocente ?

–Aïe: aïe!J'entends, dit le maréchal en roulant

une boîte d'or'entre ses doigts.Elle n'en est qu'à son premier amant.C'est trop, c'est beaucoup trop. La

peste t'étouffe avec ton premier amant 1

Monseigneur, ce n'est pas ma faute,

murmura l'estafier tout penaud.Le maréchal fit quelques pas dans la cham-

bre, et s'écria:Après tout, puisqu'elle est jolie. Al-

lons, il ne sera pas dit qu'elle tombera danstes /t!e<s de F?'o~sac

Cette expression veut une explication ici.Les filets do Fronsac existaient en réalité

c'était une de ses inventions les plus atroceset dont le dix-huitième siècle s'est beaucoupoccupé pour la honnir. Rien de Vulcain. Ima-ginez un fauteuil mécaniqued'une complica-tion scélérate, qu'il avait fait fabriquer surses indications, pour triompher des vertus

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farouches et des résistances opiniâtres. Cefauteuil se montait à volonté non monté, ilressemblait à un bon et simple fauteuil, unmeuble de famille ou d'Académie recouvertd'un honnête velours d'Utrecht, qui semblaitappeler la sieste ou la lecture. Monté, c'était

une bête d'acier prête à déchirer sa proie.Dès qu'unevictime lui était jetée, ses bras

mus par un ressort invisible se refermaient

sur elle comme deux bras humains et l'étrei-gnaient sanspitié, en maîtrisant ses moindresmouvements. Un semblable ressort s'atta-quait aux membres inférieurs et les écartait

avec une implacable précision, les retenantet les empêchantde glisser à terre.

Cet horrible et lâche fauteuil, comme on levoit, supprimait le madrigal. Il supprimaitbien d'autres choses et surtout l'honneurdes trop nombreuses victimes que Fron saclui livrait. Le sujet ne pouvait opposer pourunique défense qu~ des cris désespères, mais

encore finissait-on par en avoir raison en em-ployant un de ces baillons connus sous le nomde poires d'angoisse, et qui introduits dansla bouche, la dilataient outre mesure. Jeux

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de roue. Les filets de Fronsac équivalaientpour Jes femmes à une sorte de guillotine.

Tel était le guet-apens monstrueux auquel,par un reste de gentilhommerie, le maréchalvoulait soustraire la pauvreRoberte, pourla livrer, il est vrai, à d'autres combinaisonsdont le but était le même.

Après avoir fait quelquespas dans la cham-bre, le maréchal se tourna vers l'estafier etlui dit

Tu m'as entendu ? Je ne veux pas quecette jeune fille soit à .M. le duc.

– Monseigneurn'a qu'à ordonner.– Tu la conduiras à mon pavillon de

Fronsac. Arrange-toi pour qu'elle y soit ren-due dans trois jours.

Dans trois jours, oui, monseigneur.

– J'y serai moi-même à cette date.Richelieu alla à son secrétaire en bois de

rose et y traça quelques lignes.-Voici pour madame Rousse, dit-il tu

lui remettras ce billet.Il suffit, monseigneur.Je recommande qu'on ait des égards

pour cette demoiselle.

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Le pavillonde Fronsac, distant de quatrelieues environ, était surtout destiné à abriterles divertissements intimes du maréchal,l'hôtel du gouvernement, à Bordeaux, étantanëcté aux divertissementsofficiels.

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LE TERTRE DE FRONSAC..

Rien de plus joli que le tertre de Fronsac.Je ne sais qui est-ce qui lui a trouvé cet ai-mable nom de tertre, mais il est resté. Il faut

y monter, comme j'y suis monté, par une deces belles journées d'été, radieuses et chau-des, qui prolongent, l'horizon et semblent lenoyer dans un poudroiement lumineux etprofond. L'ascensionest tout à fait agréable.Fronsac commence par un village et finit parun plateau, où conduit un délicieux cheminplanté d'arbres auxquels un vent frais lezéphyr de nos aïeux permet de balancersans relâche leurs légères ramures, en ma-mcre de salutation. Du haut de ce sommetparfumé, le point de vue est magnifique et

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s'étend à l'infini. A vos pieds, vous découvrezLibourne et ses promenades régulières àdroite, la Dordogne, large et rapide, auxlongs replis verdoyants,.un des plus beauxfleuves de France à droite, l'œil se dirige

vers Coutras, à travers des prés et des cul-tures d'une opulence extrême. On distingueCondat, où l'on croit voir l'antique demeuredu poète Ausone. Enfin, quand le regardébloui est lassé par le spectacle de toutes cesmerveilles, l'esprit a son tour et peuple denombreux souvenirs ces lieux qui ont ététour à tour visités par Louis XI, François I"Charles IX, Louis XIII, pour ne citer queceux-là.

Fronsac a son histoire. On ne -le dirait pasà voir ce bourg aujourd'hui si tranquille, sireposé. Mais rien n'échappe à la vie ac-tive, cette loi générale. La moindre buttede terre a ses fastes; ceux de Fronsac envalent bien d'autres. D'abord l'œil formi-dablede Charlemagnes'estarrëtésurl'humbletertre, et l'on m'accorderaque l'empereur à labarbe fleurie était un stratégiste de quelquevaleur; Charlemagne, devenu possesseur de

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l'Aquitaine, avait élevé au sommet de Fron-

sac nn fort dont il est plusieurs fois questiondans les annales.

Plus tard, ce fut un tyranneau, reste destemps barbares, un seigneur, Hercule d'Ar-gilemont, qui remplaça le fort par un châ-teau où il exerçait les fonctions de comman-dant. Ce d'Argilemont, au nom de romance,exisfait sous Louis XIII; il était à la fois l'op-probre et la terreur du pays, qu'il désolait

par toutes les exactions possibles. Il avait sur-tout une façon bizarre de correspondre avecles jurats de Libourne il leur envoyait à

coups de boulet ses invitations a. comparaître.Les jurats savaientce que cela voulait dire etarrivaient en tremblant se faire rançonnerpar le commandantde Fronsac..

Mais Louis XIII, qui était alors à Bordeaux,entendit parler de ce brigand. A despote,despote et demi. Le procès d'Hercule d'Argi-lemont ne fut pas long à instruire il futarrêté, conduit à Bordeaux et condamné à

avoir la tête tranchée en face du palais del'Ombriére, Cette tête hideuse fut envoyée à

Libourneà la demande des jurats, et clouée

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à la tour du port sur laquelle il avait si sou-vent pointé sa couleuvrine,

L'o château fut rasé, avec interdiction de

jamais rien édinersur son emplacement.

Mais on sait ce que valent ces édits. Après unsiècle environ, et lorsque la mémoire du fa-

rouche d'Argilemontfut bien éteinte, le ma<

réchal de Richelieu, qui avait déjà fait ériger

Fronsac en duché-pairie, obtint facilementdeLouis XV la permission dé s'y bâtir unemaison à l'~Metwe. L'idée étaitd'unhomme

de goM, et les contemporains ont racontecent merveilles de cette habitation d'un épi-

curien passé maître en élégances.Ce notait partout qu'or et marbre, bois

précieux, panneaux sculptés, dessus de porteencadrant de riants camaïeux, cabinets encoupole, salonstapissés de glace, de trop de

glaces. Il y avait des terrasses, des galeries.

Quant aux jardins, on sait que la nature avait

fourni le principal l'étendue avait été mise

à profit comme dans un autre Trianon.De cette coquette résidence, il ne reste pas

une pierre aujourd'hui. La Révolution a toutdétruit, tout saccage.

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Ce fut à FronsaC) 'disons-nous,que Robertefut'conduite., Elle y fut reçue par madame

Rousse, une ancienne maîtressedu maréchal,

élevée à la dignité d'uneentendante..Madame Rousse accueillit la jeune R11&

avec une politessebanaleet cette indifférence

acquise au service du Nestor de'lagalan- `

terie.Entrer, mademoiselle,.entrez.J'ai reçu

les instructions de Monseigneur, lui dit-elle,

en ne jetant d'abord sur elle qu'un œil dis-

trait.Puis, comme elle ~'aperçut que Roberte

restait immobile et muette, elle la regarda

,avec plus d'attention, et recula tout à coupde deux pas en s'écriant

– Ah Dieu

Co fut au tour de Roberte à s'émouvoir.

–Qu'aves-vous, madame? lui demanda-t-elle.Madame Rousse ne répondit pas elle se

contenta de murmurer–C'est étranger–Suis-je 'connue de vous, madame? fit

Roberte.

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–Non, mademoiselle: Mais votre phy-sionomie.

–~Ehbien?2–Merappelledestraits.0h'c'estetrange,

en-vérité!1 ,'f

Et madame Rousse ne se lassait pas d'exa-miner Roberte.

– Êtes-vous de Bordeaux? lui demanda-t-elle.– Oui, madame.je le crois, du moins.

Comment, vous le croyez ?. que voulez-

vous dire ?P

– Excusez-moi, je vous prie. Je ne saisrien de précis sur ma naissance, ni sur monenfance. J'ai été élevée à Talence par des

paysans qui n'étaient ni mon père ni mamère.

–Commentse fait-il?.– J'ai cru comprendreplus tard que j'avais

été confiée à eux. Mais pourquoim'adressez-

vous ces questions, madame, et quel inté-rêt pouvez-vousprendre à ces détails ?

'– A votre tour, excusez-moi, dit madameRousse il s'agit d'une ressemblancesi extra-ordinaire 1

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Etellecontinua-?–Ainsi, votre père, vous ne l'avez jamais

vu?– Jamais, madame.–Etvotremère?– C'-est différent, mais j'en suis seulement

aux suppositions. Je me souviens, quandj'étais toute petite, d'une belle dame qui ve-nait me voir de temps en temps, et qui meprenait sur ses genoux en me mangeant de

caresses.-Une belle, dame. répéta madame

Rousse qui ne perdait pas une seule desparoles de Roberte, bien belle, n'est-cepas?.

-r- Oh! oui, la plus belle de tout. Bordeaux,à ce que j'entendais dire autour de moi.

'– Et parmi ce que vous entendiez dire,n'entendiez-vous pas vanter particulièrementsa chevelure. une chevelure d'une couleurexceptionnelle.

Oui, répondit Roberte avec vivacité.d'un blond ardent.– C'est cela dit madame Rousse.Roberte fit un mouvement,frappée de l'ac-

cent de l'intendante.

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–, Madame madame ~bus ayez connu mamère?2

– peut-être, dit madame Rousse, devenuesongéuse. Mais achevez de me renseigner.

– Ah 1 de grand cœur r

–Jusqu'à quelle époque, la protection decQtte dame s'est-elle étendue sur vous?

–- Jusqu'à l'âgede sept. ou huit ans.Jefus alors placée dans un couvent, à quelqueslieues d'ici. Mais ma pension ne fut payée

que pendant peu de temps. A l'air dont onme renvoya, je compris que ma mère. mabienfaitrice, veux-je dire. était morte, nelaissant aucune instruction me concernant.Voilà tout ce que je sais sur celle à qui voustrouvez que je ressemble si fort. Depuis, monexistence n'a été qu'un tissu de malheurs etde misères. A votre tour, madame, de m'ins-truire, si vous pouvez, et de m'apprendre quiétait ma m ère.

Mais madame Rousse hochala tôte, commesi elle se repentait d'en avoir trop dit.

Elle sentait qu'elle avait .déjà. beaucoupparlé.

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Ce fut en vain que la jeune fille redoublade sollicitations..– Mademoiselle,réponditmadameRousse,

j'en suis comme vous aux conjecturés. Il ya un mystère là-dessous, certainement; tuaisje ne. chercherai pas à l'approfondir..Je nevois qu'une seule personne* au mon~o qui'peut vous renseigner.

– Et cette personne?P

– Vous la connaissez aussi bien que moi,mademoiselle, dit madame Rousse, an repre-nant son ton de voix bref, c'est le maréchal..

Le maréchal de Richelieu? dit Roberte

avec etonnement.– Oui, mademoiselle.– Mais je ne le connais pas, répliqua-1-

elle.Ces mots furent prononcés par la jeune

fille avec une telle expressiondemandeur quemadame Rousse en demeura stupéfaite.

Elle pensa tout bas Elle ne connaît pas lemaréchal! Est-ce que cela est possible,' lors-

que c'est lui qui l'envoie? Qu'est-ce que c'est

que cette jeune fille, dont l'air et le langagesont si différents de ses autres protégées?

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Une intrigante? Je répugne à l'imaginer. Onn'est pas une intrigante avec un front aussi

pur et des yeux aussi limpides; Si c'était, en

effet, celle que je crois être ? Comment sonexistence serait-elle restée ignorée jusqu'a.

lors ?

Et tput haut, madame Rousse répéta-r Vous ne connaissez pas le maréchal de

Richelieu?'–Non, madame.– Oh ne put s'empêcher de s'écrier l'in-

tendante.Comment le connaîtrais-je?dit Roberte,

prête à s'offenser.Eh mais! mademoiselle, cela n'aurait

rien de surprenant, puisque.–Puisque? demandaRoberte.

Puisque vous êtes chez lui..Roberte e~t un tressaillement.

Chez le maréchal? dit-elle, je suis ici

chez le maréchal de Richelieu?2

– Assurément. dans son domaine de

Fronsac.Cela ne se peut pas! s'écria violemment

la jeune fille.

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– Attendezquelque temps vous en serezconvaincue bientôt. Monseigneur arrive cesoir.

–Qu'est-ce que cela prouve?J'ai reçu des ordres, mademoiselle,pour

veiller à votre installation.

– Vraiment ?PSon Excellente a recommandé que la

meilleure chambre du château fût mise àvotre disposition.

"Une pointe d'ironie perçait dans les parolesde madame Rousse, toujours sur ses gardes.

Roberte, aussi méfiante qu'elle, murmuraMon Dieu madame, il est probable que

Son Excellence ne me connaît pas plus queje ne connais Son Excellence.

– C'est ce que nous verrons ce soir, ditmadame Rousse il demandera sans doute a

vous voir.

– Croyez-vous?fit Roberte, effrayée.Cela est certain.

La jeune fille n'y comprenaitrien. Enlevéepar le fils, elle venait tomber chez le père.

Comment cela finirait-il?

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XI

OU L'ON REVOIT LES DIAMANTS

Il nous reste à dire comment Roberte avaitété enlevée et ce qui s'était passé chez elleaprès son départ.

Des émissaires du maréchal de Richelieuet de ceux du duc de Fronsac, chassant lemême gibier, c'étaient les émissaires du ma-réchal, plus alertes, mieux informés, quiavaient su gagner une avance de vingt-quatreheures.

En conséquence, un. carrosse fermé ava.tattendu Roberte sur la petite place Saint-Rémy, et, sous une escorte dé gens apparte-nant au maréchal, l'avait transportée à Fron"sac, au lieu de Mérignac o~ elle croyait aller.

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Avant de quitter son logeïnent, non sansun grand combat intérieur, elle avait écrit àSernin une lettre qu'elle avait laissée enévi-dence sur sa table.

Voici ce que cette lettre contenait r

« Mon ami, je vous ai attendu jusqu'àpré-sent, triste, muette, les yeuxnxes:sùrlapor(e,croyant à chaque' minute vous voir entrer.Aujourd'hui j'ai cessé de vous attendre. Et.c'est moi, à mon tour, qui vous dis adieu,Sernin.

)) Hier, j'aï voulu savoir la vérité, et je mesuis rendueaux environs du cours Saint-An-dré. Je vous ai guetté pour la première fois etpour la dernière fois de ma vie. Mal m'en apris, hélas! Je vous ai vu sortir en voituré

avec celle qui m'a succédé dans. votre cœur.Que. n'ai-je eu le courage do me précipitersous les roues 1

» Ne cherchez pas & me retrouver maisvous n'y pensezpas sans doute. Je m'en vaisje ne sais où. En vous quittant, je vous dé-barrasse d'un fardeau et d'un devoir. Celavaut mieux peut-êtreainsi je n'aurais jamais

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pu être pour vous une amie telle que vousl'aviez rêvée, c'est-à-dire doublée d'une con-fidente.

» Vous ne me reverrez plus, Sernin, ou si

vous me revoyez, ce sera par hasard; je seraià vos yeux ce que j'étais avant notre ren-contre, une étrangère. J'aurai passé sanslaisser de trace dans votre vie. Hélas! il faut

mcroira que je ne suis pas née pour le bon-heur. Mon enfance a été une énigme mamère ne s'est dévoilée à moi qu'à demi, et jen'ai jamais reçu ses baisers qu'en cachette.Pauvre mère 1 il est probable qu'elle n'estplus de ce monde si elle vivait, elle m'au-rait consolée de tout.

» Adieu, Sernin »t.

Les pleurs avaient interrompu plusieursfois ce triste' message, qui n'avait ni dateni signature.

Un quart d'heure après, Roberte désertaitle pauvre logement de la petite place Saint-Rémy.

La première personne qui entra dans lachambre abandonnée, ce ne fut pas Sernin,

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ce fut une de nos anciennes connaissances,cefut Loupiac.

Se souvient-onque nous avons laissé Lou-piac à demi assommé dans une des ruellesavoisinant le port? Après un séjour d'une se-maine à l'infirmerie du fort du Ha, commeon ne relevait pas de nouvelles charges con-tre lui, il fut remis, en liberté. Sa première vi-site, nous devons le dire à sa louange, fut unevisite à Sernin, Jean de la Réolepour lui.

Non seulement Loupiac aimait Jean, dontil reconnaissait la supériorité d'intelligenceet d'esprit, mais son amitié s'étendait égale-ment sur Roberte. Et qui ne se serait immé-diatement attaché à cette jeune fille, si char-mante d'aspect et si douce de maintien ?

Donc, ce jour-là, Loupiac était venu serrerla main à Sernin et à Roberte, et leur deman-der en passant un verre de petit Médoc.

On était au crépuscule lorsqu'il s'engageadans l'escalier de la place Saint-Rémy. Il s'an-nonçait en fredonnant sa romance favorite

C'est dans la ville de BordeauxQu'est arrivé trois beaux vaisseaux.

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Après avoir trébuché plusieurs fois, il frap-

pa à la porte. Personne ne réponditHolàMes moineaux ouvrez, c'est moi.

c'est votre bon ami Loupiac.Même silence..H'recommença son tapage des poings. et,

despieds.–QM'esscoPcontiuua-t-il; êtes-vous de-

venus sourds?PIl se décida à pousser la porte. Elle céda.

– Capdébious s'écria-t-il la maisonnéeest donc bide. Qu'est-ce qué cela signiûé?.Ils nepeuvent pas être éloignés,' puisque laclef est restée sur la porte. Attendons-les,

Pourtant, son regard furetait partout.Il alla au buffet et l'ouvrit.– Si encore, ils avaientlaissé quelque chosé

pour prendrôpatiencé.un restantdo graton,un choine. Mais rien, rien!

Alors, il s'arrangea commodémentpour lesattendre dans l'unique fauteuil de l'appartement.

J'ai dit que la nuitétait proche elle provo-quait & la songerie, mais Loupiac n'était pa~songeur. A' peine assis, le sommeil le gagna.

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Lorsqu'il se réveilla, au bout d'une heure,il fut témoin d'un singulier spectacle.L'obscuritéétait stellaire.

L'attitude renversée qu'il avait prise pen-dant le sommeil lui permettait de voir les so-lives du plafonds dans leur ensemble.

Tout à coup, à force de les Rxer longue-ment, attentivement, il finit par distinguer

un certain nombre dé petitspoints lumineux,pareils à des. étmceUes courant dans un pa-pier brûlé.

Il s'immobilisa dans cette contemplation,– Ouais murmurait-il qu'est-ce que cela

veut diré? est-cé qu'ils auraient fait illumi-

ner leur plafond en mon honneur ?.Puis, comme pour examiner de plus'près,

11 monta sur une chaise..La chaise n'était pas assez'-haute.Il approcha une table et monta sur cette

table, au risque de se casser le cou.Cette fois, ses doigts atteignirent aux so-

lives. Là, ils errèrent, .tâtonnèrent.A force d'errer, ils rencontrèrent quelquesaspérités..Enfin, ils firent choir involontairement

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deux ou trois petits objets pareilsà des cail-loux, qui étincelaient. Il les ramassa, et, lesrassemblant dans le creux de sa main, il les

porta vers la fenêtre où il les examina detrès près.

– Si c'étaient des diamants s'écria-t-il.Et sa main fut agitée d'un tremblement

nerveux.Sangodemi dit-il c'est donc là qué

Sernin cache ses boutons de chemise

Sans prendre le temps de réfléchir, Lon-piac descendit rapidement chez un marchandgraïssett~ de la place. On appelait ainsi lesépiciers de ce temps-la. Il acheta un briquetet des chandelles.

Remonté immédiatement au second étag'e,il fit la clarté et put continuer ses perquisi-tions.

Des diamants! c'étaientbien des diamants!Et non seulement des diamants, mais en-core des pierres précieuses de toutes sorteset de tout calibre: des rubis, des opales, desaméthystes, des saphirs, des topazes, deséméraudes, des chrysoHthes 1 Tout ce:acaché, niché, encastré, enfermé, dissimulé,

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dérobé dans des trous, dans des crevasses,

dans des fentes, dans des lézardes, dans desinterstices ;'bouchant les, mortaises, s'insi-nuantdans les poutres, dans les charpentes.Un poudroiement, un scintillement, un*éblouissement

Loupiacayait eu deux idées en faisant cettetrouvaillemiraculeuse.

La première, à laquelle il se hâta d'obéir,avait été de remplir ses poches. ·

La seconde idée, d'un ordre plus subal-terne, avait été de se demander à qui était

ce Potose.Si c'est à Jean, commd tout lé fait sup-

poser, se dit Loupiac, j'accomplis une chosetouté simplé en partageant avec lui. Si lépropriétairém'est inconnu, jé joué lé rôlé déla Probidence dans la société, jé mô subs-titue à la justice en mettant la main sur létrésor et en en opérant l'équitavié répartition.

On voit queLoupiac étaitun parfait logicien.Pour réaliser l'enlèvement et le transport

des précieuxprojectiles, il fut obligé de fairedeux voyages qui ne s'opérèrent pas sans luiavoir inspiré de vives inquiétudes.

t.

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Quant & la. lettre laissée par Rpberte sur la,.table, ce fut &'peine s'il en prit connaissance.

Bah des affairés dé sentiment desvétises dit-il.

Et majestueusement, il opéra, sa .sortiecomme il avait opéré sa rentrée, en fredon.nant

C'est dans la ville de BordeauxQu'est M'fiv& trois grands vaisseaux.

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XII

RETOUR CHEZ LA CLAIRVILLE

yAu bout de quelque temps, la Clairville

finit par s'apercevoir qùe son intendant nedécouvrait rien du tout- En revanche, il pas-sait de longues heures, à .la contemplér et a

pousser de gros soupirscapables de déracinerles superbes tilleuls.du Jardin-Public. Il étaitvisible que ce serviteur était indiscrètementépris de sa maîtresse..

Pendant les premiers jours, la comédiennefeignit de n'en rien voir. Que pouvait-ellefair3 de la tendresse de ce policier, elle sifiére, si méprisante?.Ce n'était pas une femmeà caprices et surtout à caprices au-dessousde

son état; elle avait oublié son origine, .ou

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plutôt elle ne,voulaitplus s'en souvenir. Elle 1

'n'était pas de celles qui introduisent la com-passion dans l'amour, comme la Gaussin illui fallait, comme Adrienne Lecouvreur, unMauricede Saxe.

Clairville avait devancé son époque, et surla, fin du dix-huitième siècle, elle réalisait cetype de la femme sans cœur qui plus tard de-vait faire les beaux jours du dix-neuvièmesiècle. Elle n'eut donc aucun mérite, vu lesminces qualités de Sernin, à couper court a

ses audacieusesespérances.Un matin qu'elle vint à le croiser dans un

corridor, où il semblait errer dans l'espoir dela rencontrerj elle l'apostrophaen ces termes t

– Monsieur Sernin ?2Madame ? dit-il.

Elle l'examina en silence, puis au bout dequelques minutes

Connaissez-vous les Fa~s~ C<w/{d~-ccs ? lui demanda-t-eHo.

Non, madame.

– C'est une comédie de Marivaux.Je ne l'ai jamais vue.Il faut que vous la voyez. J'y joue le

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personnaged'Araminthe,on prétend que c'estun de mes meilleurs rôles..

Sernin s'inclina.:Venez demain au Grand-Théâtre. On

représente les Fausses Confidences, dit laClairville.

– J'irai avec plaisir, madame..–' Un mot encore.– A vos ordres, madame.– Vous trouverez peut-être quelque rap-

port entre votre situation et celle de Dorante.Dorante ?FC'est un personnage de la pièce qui

s'introduit chez Araminthë sous l'habit d'unintendant.

Ah! murmura Sernin, en rougissantmalgré lui; sous l'habit d'un intendant?

Oui, dit la Clairville, cela est fort plai-sant. Allez voir ça, monsieur Sernin.

– Je n'y manquerai pas certainement,madame.

– Et quand vous l'aurez vu.– Eh bien madame ?P 1–- Eh bien monsieur Sernin, vous vien-

drez m'en dire votre avis.

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– Volontiers, madame.Le lendemain, vivement intrigué, Ser-

nin, tapi dans un coin du parterre, écoutait,

sans en perdre une syllabe, les Fausses Con-.~K~eM~e~

Il passa la nuit à réûéchir, et prit pour soncompte ce qu'il avait a prendre du chef-d'œuvre de 'Marivaux. Si bien que son siègeétait fait lorsque la Clairville le fit demander.

De son 'côte, celle-ci s'était arrêtée à unparti sérieux. Son' accent était vibrant, son

œil décidé..Je vous ai vu à la -représentation, dit-

elle a Sernin.Vraiment, madame, il .faut que vous

ayez de bien bons yeux, lui répondit-il d'un

ton enjoué.Je vous ai vu applaudir aux bons en-

.droits.– C'était alors ceux où jouait-madame.L'esprit de-Marivaux a déjà déteint sur

vous. Que pensez-vous de la pièce ?

– Je l'admire sans réserves, dit-il.Eh quoi ? vous ne trouvez pas l'intrigue

invraisemblable.

Page 180: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

–Pas du tout, madame.– Cependant, ce Dorantequi se fait passer

pour un intendant. N'approuvez-vouspas lafaçon dont je renvoie ce petit monsieur à sessoupirs: <(\ J'avais envie de vous chargerd'examinermonprocès, mais je croîs pouvoirvous dispenser de ce travail Je ne suis pas

~&r <~e uoits ~a~'der.i)

Sernin se sentit atteint,, mais il nefit'rienvoir.

– J'admire entièrement lejeu d'Araminthedit-il; mais je préfère ce passage oit elle rendplus dejustice à Dorante «Qu'est-cedoncque

vous voyez et que je ne voispoint? Je manquede pénétration, j'avoue que je m'y perds.. Je

ne vois pas le,sujet de me séparer d'.un hommequi m'est donné de bonne main, qui. est unhomme de quelque chose, qui. me sert'bienet que trop bien peMt-<~<3. Voilà qui n'é-chappe point à ma pénétration/par exem-ple. u t

Ce fut autour de la Clairville à se. mordreles livres.

– Vous avez de la mémoire monsieur tSernin..

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– Je suis à la réplique, seulement, répon-dit-U avec une fausse humilité.

– Convenez alors que vousvous tenez survos gardes. y

– Moi?fit-il, avec un gestede dénégation.– Et que vous craignezun peu la menace

d'Araminthe à Dorante.– Pourquoi la craindrais-je/madame, ne

l'ayant point méritée ?– Vous avez un rare aplomb, monsieur

Sernin, avouez-le.J'ai peine à m'expliquer la sévérité de

vos paroles.Comment s'écria la Clairville, perdant

peu à peu la patience; vous vous êtes engagéà m'aider de tout votre zèle pour me faire re-trouver mes bijoux. De mon côté, j'ai mis à

votre dispositiontoutes les facilités, que vousm'avez demandées, et.

Et vous trouvez que je n'ai pas fait assezde besogne ?̀i

Je trouve même que vous n'en avez pasfait du tout.

Sernin demeurait impassible sous les re-reproches.

Page 182: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

Il semblaitvouloir conduire la comédiennejusqu'au dernier périodede l'exaspération.

Madame, lui dit-il après un instant desilence, vous êtes injuste envers moi commeAramintheenvers Dorante..– Laissonsrià Dorante s'écria-~t-elle en

haussant les épaules c'est une comédie qu'ilfautcesser.

– Ainsi, madame, vous renoncez à messervices?7

Vos services ? rèpéta-t-elle ironique-ment.

– Oui, madame.Et comme s'il se parlait à lui-même, il dit

à demi-voixAllons, c'est décidé, il le faut

Puis, haussant le tonC'est cependant dommage, lorsque les

choses étaient en si bon train.Les yeux de la Clairville étincelérent.

Vous poussez trop loin la moquerie,monsieur Sernin. 16

Et sijemejustiSaisd'unseuImpt, ma-dame ?P

Que voulez-vous dire ?

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H ne répondit pa.s,-ma,is il tira de son §HetIt ne répondit pâs,,mais il tira de ~son gilet

un élégant petit; coffret qu'il présenta, à laClairville.

– Qu'est-ce que c'est que cela ?demanda.*t-elle.–* Ouvrez~ dit-il.

e– Mon collierSernin triomphait modestement.

– Mon collier! répétait-elle, vous avez re-trouvé mon collier 1

Et ses yeux comptaient et dévoraient lesperles une à une.

Puis, ils allaientdu collierau jeune hommereste souriant.

– Ah monsieur; combien je suis confu-sionnée dit-elle dès qu'elle put parler; etque d'excuses je vous dois!

– Non madame cela m'a coûté moins depeine que vous le supposez.

– Je n'ose penser, jusqu'à quel point je

vous ai méconnu. Quel homme habile vousfaites!Mais'commentvous y êtes-vouspris?2

C'est mon secret. J'aurai préféré atten-dre encore quelque temps et vous remettretous vos brillants à la fois.

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Monsieur Sernin, pardonnezà mon in-conscience, je suis tout à fait rassurée main-tenant. Prenez-en à votre aise, je vous enprie..

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XIII

ÉVANOUISSEMENT

Brûlant le pavé, soulevant la poussière, le

carrosse du maréchal de Richelieu, escorté

par 'devant, escorté par derrière, galopait

vers Fronsac, où il était attendu.Il s'y rendait à peu près régulièrement

tous les mois, soit pour travailler aux affairesdu gouvernement, soit pour donner certainesaudiences qui exigeaient le mystère le pluscomplet..

Ce jour-là, l'élégante villa devait être lethéâtre d'une aventure destinée à marquerdans l'existence orageuse du gouverneur dela Guienno. Ses familiers et ses serviteurs

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avaient remarqué plus de fatigue que d'habi-tude dans sa physionomie.

Aussi, après avoir « fait ses comptes » avecmadame'Rousse, il allait passer dans sachambre nour y goûter quelque repos, lors-qu'il se souvint d'avoir oublié quelque chose.

– A propos, dit-il, et cette jeune fille quidevait vous être adressée ?

Madame Rousse attendait cette demande,car elle réponditElle est ici, monseigneur.– Où l'avez-vous logée ?2– Dans le petit pavillon sud dont les fe-

nêtres donnent sur l'étang.

– Bien.Et il ajouta d'un air distrait

Vous l'avez vue ?Oui, monseigneur, répondit madame

Rousse avec une nuance de surprise.– Comment est-elle ?

–' Cbtte question de la part de monsei-gneur. Il est donc vrai que Votre Excellencene connaîtpoint cette demoiselle ?P

Très vrai. Cela vous étonne ?PJe l'avoue. Il n'entre pas dans les habi-

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tudesde monseigneurd'acheterchat en poche.Aussi n'est-ce pas d'un marche qu'il

s'agit en cette occasion. C'est presque une

bonne action que j'ai envie de faire.– Une bonne action. vous,monseigneur

Le. maréchal' de Richelieu eut un sourira.

– Savez-vous, ma chère Rousse,que vousfrisez l'impertinence?2

– Nous sommés seuls, monseigneur. Etcette bonne action?2

– Je' veux soustraire cette jeune fille aquelqu'unde votre connaissance.

Soustraire ou souffler?

– C'est ce quenous/verronstoûtal'heuro.quand vous m'aurez appris si elle est jolie.car vous ne m'avez pas encore répondu sur cechapitre.– C'est que ce chapitre' m'est antipathique,je ne m'expliquepas pourquoi. v

–Enûn, est-elle joli~, oui ou non? fit lemaréchal perdant patience. 'r

Je ne sais, dit madame Rousse, quiajouta en hésitant Je sais seulement qu'elleressemble extraordinairementà'

– A qui P

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– A 4me personne que Votre Excellenc-e &

beaucoup connue.'–Mais encore?.–Monseigneur, croyez-vous '~ux 'reve-

nants?–Cela dépend, répliqua Richelieu pur un

ton de badinàge.Alors, vous y'croyez?PQuand ils ont vingt ans, de beaux ye'ux

et de beaux cheveux. Est-ce l'âge de votrerevenant?

.–~ Oui, monseigneur.–Alors, .faites-moi annoncer..– Je me charge de ce soin, dit madame

Rousse avec empressement. ·

Quelques minutes après, le maréchal deRichelieu, procédé d'un grand laquais portant

un Ûambeau magninque, traversait une sériede salons aboutissant à la chambre de Ro-berte.

La jeune nlle était debout, toute pàle etcomme saisie d'un involontaire effroi.

Le maréchal entra de son pas plein d'ai- ·

sance et de noblesse, et, comme il était deceux .qui se laissent regarder plutôt que de rc-

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garder eux-mêmes, il ne se hâta point de leverles yeux sur Roberte. Cependant,, lorsqu'ileut fini par la regarder, il ne put, en dépit de

sa profonde rouerie, contenirune exclamationde surprise..

Daps cette jeune fille, blanche et immo-

bile, amenée là pour ses caprices princiers, ilvenait de reconnaître la vivante efligie de. sapropre fille, la tant regrettée comtesse d'Eg-mont, la plus belle et la plus grande dame detoutes les grandes et belles dames de France,descendante de la noble et puissante maisonde Guise, princesse de Clèves et de l'Empire,duchesse de Gueldres, de Juliers et d'Agri-gente, grande d'Espagne de la création del'empereur Charles-Quint.

– La Rousse a raison, murmura le maré-chal;. c'est une ressemblance prodigieuse.

Pendant qu'il laregardait,Roberte, de plus

en plus pâlissante, se laissa tomber à ses ge-noux en balbutiant d'une voix eploree

Grâce monseigneur, grâce 1

Le maréchal .nt un mouvement vers elle

pour la relever. w

–- La mémo voix que Septimanie 1 dit-il.

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Et la conduisânt vers un sofa– Rassurez-vous, mademoiselle; qui peut

causer votre frayeur? Serait-ce moi, par ha-sard ?. Je ne me croyais pas une physiono-mie si rébarbative.

Roberte se remettait peu à peu.Excusez-moi, monseigneir, mais on

m'avait dit. on m'avait raconté.Toujours mon ancienne réputation fit

le maréchal on m'aura dépeint à vos yeuxcomme un Choque-mitaine. Mais regardez-moi donc bien, mon enfant1

Je vous regarde,monseigneur,pt je voustrouve l'air bon. bon comme un père.

Le maréchal tressaillit involontairement.Un père? je l'ai été, je le suis encore.

et je pourrais même être grand-père.

– Vraiment, monseigneur?

– Je pourrais avoirune petite-fillede votreAge. Oui, plus je vous regarde, plus il mesemble revoir ma Septimanie, ma. chère Sep-timanie. celle que j'ai tant aimée, celle quej'aime tant encore, malgré la nuit du tombeauqui nous sépare.Ce sont ses traits si suaves,cette distinction si rare et jusqu'à cette chc-

u

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velure fauve qu'elle était seule a posséder.Chère 611e! ~lle avait pris toute mon âme!

Et il recommença l'interrogatoîre que ma-dame Rousse avait ébauché.

Mais là où madame Rousse émettait un'doute, il apportaitune certitude. Ce fut ainsiqu'en rassemblant des dates et des faits, ilacquit peu à peu la preuve que Roberté étaitle fruit anonyme d'unedes-erreurs de la com-tesse d'Egmont. Tout se réunissait là pour luifournir des indices irrécusables. Il se rappe-lait certaines lettres de sa fille trouvées après

sa mort dans ses papiers, et 'qui jusqu'à pré-sent étaient restées à l'état d'énigmes. Au-jourd'hui elles s'éclairaient d'une lumièresoudaine, de la lumière de l'authenticité.

Il n'y avait pas jusque ce nom de Robertéqui ne fût un document il se souvint qu'undes plus beaux gentilshommes du pays bor-delais s'appelaitRobert de Lormont'.

On comprend combien la comtesse d'Eg-mont,malgré son indépendance d'allures, duts'entourerde précautionspour cacher la nais-sance de cette enfant. Et plus tard, quand saressemblancela dénonça à tous les yeux; que

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(iedimcultéselle éprouva, à la faire élever!.Frappée subitement par la mort, la pauvre

mère n'eut pas le tempsde confier Roberte àun ami ou même de remettre le soin de sonavenir à un homme d'affaires. Cela expliqueson renvoi du couvent. et l'abandon qui s'enétait suivi. Aujourd'hui que la Providenceoule hasard s'était chargé de la, rendre à son as-cendant naturel, tout promettait d'aller lemieux du monde..

Contenant difncuement la joie inunie quile débordait, le maréchal de Richelieu, sanss'ouvrir davantage dans une première entre-vue, s'adressa en ces termes à Roberte

– Regardez-vous ici comme chez vous,mademoiselle. Jen'aipas de petite-fille, vous

m'en tiendrez lieu.–Tant de boaté, monseigneur. c'est à,

peine si j'ose y croire1A ce moment, les beaux yeux de Roberte

se fixaient avec une ineifablë expression dereconnaissance sur le maréchal, lorsqu'ellecrut s'apercevoir qu'une.révolution s'opéraitdans son visage.

Il pâlit et porta la main à son cceur.

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Roberte n'eut qu~ le temps d'appeler au se-cours.

MadameRousse, qui n'était pas lo~i, s'em-pressa d'accourir. Aidée de la jeune fille, elletransportalegouverneur dans un fauteuil. Là,elle dont promptement sa veste, et chercha

sous la dentelle un flacon qui y était toujours,et qu'elle lui fit respirer.

– 0 mon Dieu fit Roberte secouée parl'inquiétude. )

C'est une deces syncopes auxquellesSonExcellence est sujette, dit madame Rousse.

Le valet de chambre Quimont, qui se trou-vait du voyage, fut appelé. Il connaissait leshabitudes de son maître et était son confidentdans tous les secrets si compliquésde sa toi~

lette.Roberte sollicita la faveur de ne pas le quit-

ter cette permission lui fut octroyée par ma-dame Rousse,qui, d'une chambre à côté, avaitentendu sa conversation avec le maréchal, etqui ne doutaitplus maintenantqu'elle ne fût lafille de la comtesse d.'Egmont. L'habile surin-tendantede Fronsacvit tout son intérêt à faired'elle son alliée.

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D'ordinaire, les syncopes du maréchal deRichelieu étaient sa~sgravité ni durée; mais,cette fois, son indispositionparut prendre uncaractère plus sérieux. Vers le milieu de lasoirée, il n'étaitpas encore revenu à lui, ~ien

~ue sa respiration suivît un cours régulier etpaisible.

Madame Rousse et le valet de chambredélibérèrentpour mettre leur double respon-sabilité àcouvert. Si habitués qu'ils fussentl'un et l'autre aux fantaisies souvent décon-

certantes de l'illustre vieillard, ils ne pou-vaient perdre de vue ses quatre-vingt-quatreans bien sonnés. En conséquence, ils décidè-rent d'envoyer immédiatementdes courriersà ses parents et à ses amis.

Le premier auquel ils écrivirent fut, parordre naturel, le duc, son fils, à Mérignac.

Fronsac pensait en ce momentà cette jeunefille blonde dont il était épris depuis quelquetemps et que ses agents avaient promis de lui

amener.– Son Excellence le gouverneur est dan-

gereusementmalade 1

Telles furent les paroles qui retentirent

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tout à coup son oreille, prononcées par undomestiqueaccouru à franc-étrier.

'–Malade. lut, mon père? dit Fronsac,qut se contint pour arrêter,un geste d'incré-dulité'. y

-Oui, monseigneur. Partez vite. letemps presse..

-Partir! s'écria le duc.–Pour Fronsac. oui. monseigneur.

C'est là que Son Excellence, a été frappéed'une attaque très grave..– En êtes-vous bien sûr? dit l'irrévéren-

cieux personnage; mon père m'a quelquefoisjoué de ces tours-la. Est-ce que vous croyezqu'en remettant le voyage à demain?.

Oh monseigneur! le cas de Son Ex-cellence est tout à fait inquiétant.

– Alors, partonsQuatre heures après, le duc de Fronsac

était arrivé, et gravissait rapidement les de-grés qui conduisaientchez son père,en faisantrésonner la maison de ses démonstrationsaf-fectées.

Mon père! où est mon père" que j'em-brasse mon cher père {'

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On eut dit, à le voir et à l'entendre, un deces Léandres exagérés de la Comédie-tta~-lienne.

Quimont eut toutes peines du monde àl'empêcher de se précipitersur le maréchal etde le presser dans ses bras.

– Prenez garde, monseigneur, oh prenezgarde vous allez étouffer Son Excellence!

-r~Ah ça! faquin, lui dit Fronsac, crois-tudonc que je ne sais pas aussi bien que toicomment on soigne son père ?.Voyons, quelmédecin a-t-on envoyé chercher?

– Aucun, monseigneur.

Comment, aucun?C'est la volonté formelle de M. le maré-

chal en semblable circonstance il ne peutsupporter que M. Tronchin, et M. Tronchïnn'est pas à Bordeaux.

– L'a-t-on saigné au moins?P– Miséricorde! saigner M. le maréchal!

Vous n'y pensez pas. Ce serait vouloir letuer.

1Et moi, j'entends qu'il soit saigné dit

Fronsacd'une voix .impérieuse.

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Le valet de chambré se dressa en répli-quant:

– On me tuera plutôt que de le saigner.– Monsieur Quimont, vous le prenez sur

union.Monsieur le duc, voilà vingt ans que je

n'ai pas quitté Son Excellenced'un'seul jour,et.– Que m'importe! dit Fronsac, dont la co-

lère allait augmentant.Tout à coup cette colère, qui était celle

d'un homme de bas étage et non d'un grandseigneur, fut détournée par un incident inat-tendu.

Jusqu'à' présent, il n'avait pas regardé lesgens qui se trouvaient dans la chambre,éclairée seulement par la lueur discrèted'unelampe.

Enfin, il promena sur eux ses regards, etsoudain, il laissaéchapperune exclamation.Il venait de reconnaîtreau chevetde sonpèrela personne qu'il s'attendait certainement lemoins à y rencontrer, Roberte!1

Il crut rêver.Quoi! 1 Roberte, la petite inarchande de

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fleurs, dans la maison de plaisance du gou.verneur, de la Quienne 1 Roberte, cettepauvre fille qui fuyait ses pièges à lui, Fron-sac, et qui, du premier coup, venait tomberdans ceux de son père! Que faisait-elle là?2Et pourquoi aucune des personnes réuniesn'avait-elle l'air étonné de sa présence? Il futtenté de l'interroger brusquement là-dessus,mais, malgré son naturel grossier et hardi, iln'osa pas. Il verrait plus tard dans la soiréeil se fiait aux événements et au hasard, ilguetterait les occasions pour lui parler, Déjàson exclamation n'avait pas été sans être re-marquée il fallait laisser s'amortir l'impres,sion qu'elle avait produite.

Quant à elle, Roberte, elle était réellementépouvantée. L'apparition du duc de Fronsaclui avait fait peur. Elle le savait méchant etvindicatif, et il devait avoir un double motifde lui en vouloir: car non seulementelle avaitrepoussé ses propositions, mais encore elles'était jouée de son amour. Heureusementque si elle avait à redouter la vengeance dufils, elle se sentait forte de la protection dupère.

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ri – Mon enfant, vous êtes ici en sûreté, Ma.yaît-ildit.

Et ces paroles du maréchsï de RicheHeuétaient restées gravées dans la mémoire deRoherte.

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XIV

En sûreté f–Oui, comme, la victime sousle même toit que son persécuteur 1

Roberte avait demandé à veiller le maré-chal alternativement avec madame Rousse et

avec le valet de chambre Quimont.Ce que voyant, le duc de Fronsac n'avait

peint voulu avoir l'air de demeurer en reste

de. tendresse filiale et il avait manifesté le dé-

sir de coucher non loin de son pér~ ce qui,dans ses projets, avait l'avantage de le tenirrapproche de la jeune fille.

Quimont affirmait que le maréchal ne tar-derait pas à revenir bientôt de son évanouis"

sèment.. Aussi avait-il jugé inutile de ledéshabiller et de le transporter dans son lit.

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Il craignait ses colères au réveil, car ces in-dispositionsavaientceladeparticulierque rienne lui échappait de ce qui se passait autourde lui. Bienqu'il lui fut impossible de bougeret de parler, il entendait et voyait'àmerveille.Quimont prétendait, en outre, que la souf-france était nulle.

Toute la nuit ce fut un perpétuelva-et-viententre Bordeaux et Fronsac. On vit arriver suc-cessivement M. de Garches, le président deGasc, le duc de Grillon, le banquier juifPeixotto et beaucoup d'autres. A voir la phy-sionomie tranquille du maréchal étendu dansson fauteuil, on se rassurait, et, comme onne craignait pas de faire du bruit, on échan-geait quelques propos, on se serrait la main,on repartait.

Les heures s'écoulaient, pendant les-quelles le duc de Fronsac essaya plusieursfois d'adresser la parole à Roberte. Mais ellefaisait tout son possible pour l'éviter. Une foiscependant dans un corridor, U réussit à lajoindre.

Pourquoi feindre de ne pas me recon-naître ? lui dit-il.

Page 202: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

–, Oh pardon, monsieur le duc Mais jevousaisipeuvu.

A qui la faute, cruelle ? fit-il en em-ployant le jargon à la mode vous savez Monl'effet que vous avez produit sur moi. w

Et il cherchait à lui prendre les mains.Elle se débattait, palpitante et rouge.

Ah 1 laissez-moi, je vous en prie. unepauvre fille comme moi. monsieur le duc

Quoique ces mots s'échangeassent à voixétouffée, ils n'en attirèrentpas moins l'atten-tion de madame Rousse qui passait par là.L'étonnement du duc de Fronsac dans le sa-lon à l'aspect de Roberte ne lui avait pointéchappé. Depuis cet instant, elle ne les avaitpas quittés de vue.. Quels rapports pouvaientexister entre eux ? depuis quand dataient cesrapports ? Autant de problèmes qui inquié-taient madame Rousse,

Dans la demi-obscurité du corridor, elleles heurta l'un et l'autre.

C'est vous, monseigneur ? c'est vous,mademoiselle ?

Ils balbutièrent.ePuis, allant au-devant d'une, question em-

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barrassante' (quoique rien, à vrai'dire, nel'embarrassât)Fronsacmurmura

– je suis aise, ma chère madame Rousse,de retrouver ici la charmante icaf~moiseHeRoberte. Y

~-< Comment, monseigneur vous connais-

sez mademoiselleîFronsac ava~ reconquis. soa aplomb infer-

nal. Il'fit semblant de ne pas voir le regardsuppliant que la jeune BHe lui lança. Il avaità se venger d'elle il répondit Sttr une pi-'rouette– Eh qui ne connait pas la jolie mar.

ehande de fleurs du cours de l'Intendance ?Ce fut comme un coup de foudre.Roberte fondit en sanglots.'– Une marchande de fleurs dit madame

Rousse, stupéfaite.Est-ce que vous ignorez la popularité

de mademoiselle. de votre commensale?.reprit Fronsacd'un accent ironique, Il ne doit

pas en être ainsi, je le gage, de M. le maré-chal, mon père. Dans le cas contraire, jeme ferais un plaisir de l'en instruire ~son ré-veil.

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– Oh monseigneur! s'écria. Roberte, ca-chant sa figure entre ses mains.

MadameRousse était femme avant tout. Enentendant ces paroles.où la, cruauté le dispu-tait à la perndie, l'indignation domina en elletout autre sentiment, et elle riposta en cestermes:

M. le maréchal ne sait qu'une chose,monsieur le duc c'est que mademoiselleRo-berte est votre soeur

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XV

Au point du jour seulement, Son Excel-lence commença à donner des signes de ré-tablissement.

Il y avait sept heures environ qu'il dor-mait. Un léger soupir annonça le retour de

ses facultés.Rien n'était changé autour de lui..C'étaient les mêmes objets, meubles et

tentures, vaguement teintés de la pâle colo-ration de l'.aurore c'étaient les mêmes indi-vidus, excepté sept ou huit repartis pour Bor-deaux ann d'y aller répandre de rassurantesnouvelles.

Les premiers regards du maréchal s'étaientouvertset étaient tombés directementsur Ro-

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berte pleins d'une douceur infinie, ils sem-blaient vouloir lui dire:

-,Je me souviens de vous. Oui, vousêtes celle qui avez changé toute mon exis~tence. Soyez remerciée d'être restée auprèsde moi1 v

Et comme il faisait des efforts pourparler:

Ne vous fatiguez pas trop, monseigneur,disaient les deux femmes unies dansun mêmesentiment d'affection.

H paraissait, d'ailleurs, avoir gardé nette-ment la mémoire des événements accomplispendant sa léthargie, car il s'enquit du duc deFronsac, et, lorsque Quimont lui eut apprisson départ, sa physionomie en exprima unesorte de soulagement.

Parti murmura-t-il allons, tantmieux. Un ennemi de moins 1

– Oh monseigneur, dit Quimont, VotreExcellence va un peu loin.

– Non, non, reprit le maréchal; je sais ceque je dis. Fronsac attend ma successionil peut l'attendre encore longtemps. d'icilà, je me prépare A lui jouer un tour sur le-

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quel j6 veux avoir ton avis, Quimont.Madame Rousse et Roberte se sentaient `

gênées par la tournure que prenait l'entre-tien heureusement que le maréchal lui-même les délivra de cette gêne<

– Suis-moi, dit-il, s'adressant à Quimont t

allons préparerma recette.Et se levant de toute sa haute taille; il sor-

tit en s'appuyant sur le braa de son valet dechambre.

Sa recette 1

Nous touchons à l'une des nianies de cethomme 'universel qui avait pris à tâche de

gouverner son corps comme il gouvernait sonesprit.

Mieux aurions-nous fait de dire ses re-cettes, au lieu de dire.sa recette, car il enavait de toutes sortes et le cabinet de toi-lette était la pièce importante de chacune de

ses résidences. De bonne heure il avait en-trepris d'être son propre médecin et composelui-même plusieurs panacées dont il n'avaitlivré le secret a personne.Comme Don Qui-chotte, il se vantait d'être l'inventeur d'unautre baume de /ïe~â-bras qui'l'avait sou-

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vent tiré de plus d'un mauvais pas et dont ilétait fortménager. Ce remède, swlequel ilcomptait pou~ dépasser cent Mi~ avait pourbases JL'opium et le. safran. A l'ordinaire, etdans l'état de bonne santé,. il était au régimedu petit lait. Toutes les deux heures il trem-pait un biscuit dans un vieux vin de Rota, uncru presque disparu aujourd'hui, situe aquelque distance de Cadix.

La chimie l'avait conduit à l'alchimie.Après avoir fait de la santé, il eut l'ambitionde faire de l'or. La pierre philosophale l'é-bleuit de ses rayons. Curieux a. l'excès, il ap-partenait à ces natures avides, qui se sonttappelées tour à tour le maréchal de Rais, Ni-colas Flamel, le comte de Saint-germain,Cagliostro. Il donna dans l'astrologie, dansla cabale tous les moyens lui étaient bonspour ses expériences. Ne l'a-t-on pas accuse,bien à tort sans doute, du meurtre d'unhomme, qu'il aurait, à Vienne, en compagniede quelques seigneurs allemands, « sacrifie àla lune ~? Sans son grand nom, il eût été jetémaintes fois dans quelques prisons du SaintsOiEce, pour fait de sorcellerie.

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Il avaitété l'élève d'un certain Damis, quiavait gagné sa conBance en le guérissant décrachements de sang auxquels il était sujetdans sa jeunesse, et qui avait entrepris del'initier au « graud œuvre Richelieu pro-mettait de faire de sérieux progrés, mais Da-mis, comme presque tous les personnagesmystérieux, disparut un beau matin sans direoù il allait, abandonnant au fond 'd'un creu-set tant était grand son désintéressement –un lingot fait en présence du duc, et qui pe-sait 722 livres 10 sous.

Quimont avait succédéà Damis mais ceQuimont manquait de zèle et surtout de feusacré; ce n'était qu'un aide fort ordinaire.Brave homme, pas autre chose.

Après avoir employé deux heures environà fabriquer sa drogue, Richelieu poussa unOtt/ de satisfaction, et rassuré pour l'avenir,il dit à son valet de chambre

'– Vois-tu, Quimont, il ne faut, plus désor-mais, nous laisser prendre au dépourvu.Hier, nous avons failli manquer de notrebaume. Il ne nous en restait que quelquesgouttes.

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La moitié de ce flacon.– C'était bien peu. Qu'as-tu pensé en

me voyant perdre connaissance. N'as-tupoint eu crainte?2

Oh non, monseigneur, je savais ma-dame Rousse au courant. Et puis, votrecoeur qui battait toujours. joint à un certainclignement des paupières qui ne vous quittaitpas. Je m'apercevais bien que votre Excel-lence n'avait pas cessé de voir et d'entendre..

C'est égal, cette nouvelle attaque m'afait faire des réflexions. des réflexions mo-rales.

–En vérité, monseigneur?7

– Et légèrement attristantes.Est-il possible?Oui, Quimont. J'ai pensé à la stérilité

de ma vie, si occupée et si agitée qu'elle soità la surface. au néant de mes quatre-vingt-cinq ans.

– Quatre-vingt-quatre,monseigneur.Flatteur! Enfin, l'attitude de mon fils

m'a porté le dernier coup.Votre Excellence est sévère pour M. le

duc.

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– J'avoue que je ne peux pas' lui pardon-ner 'd'avoir voulu me faire saigner. Cesfaçons d'agir en maître -me sont absolumentdéplaisantes.Aussi, me suis-je permis' de îuijouer un tour, et je tiendraimapromesse. Tu

verras, Quimont, tu'verras 1

– Monseigneurme fait bien de l'honneur.–D'abord j'avais songé à le déshériter.–Oh'monseigneur'1–Etpuis, j'aireÛéchi que j'avais sous la

main un autre moyen de le punir, aussi effi-

cace et aussispirituel.Après cette conversation, le maréchal pro-

céda à une toilette d'apparat et annonça qu'ildonnerait audience.

A peine avait-il fait connaître ses volontés

que le grincementd'un lourd carrosseretentitsur la route de Fronsac. Bientôt, une berline

de mode gothique déboucha et a'arré~a dansla cour d'honneur.

On, frappa presque aussitôt à la porte ducabinet du maréchal, et une voix, celle demadame Rousse, –Et entendre ces paroles:

– Monseigneurmonseigneur!1,

Que me veut-on ?

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– C'est madamede Ro'the qui arrive– Madame de Rothe répéta le maréchal

en se dirigeant vers la fenêtre; est-il pos-sible ?.

Par l'écartement des rideaux, il vit des-cendre de la berline une femme jeune etfraîche, à la chair rose €t blanche, etblonde.

eAlors, se tournant vers son valet de cham-

bre

Quimont dit le maréchal.Monseigneur?

'– Vois-tu bien cette femme qui met pied àterre ?P

Oui, monseigneur.C'est le ciel qui l'envoie pour me ven-

ger de Fronsac.Je ne comprendspas, monseigneur.Tu vas comprendre, dit le maréchal

comment la trouves-tu ?2

– Mais. je ne sais. dit Quimont, embar-rassé.

– Réponds toujours.Je la trouve agréable.

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– N'est-ce pas ? L'air d'une déesse, le portd'une reine.– Oui, monseigneur.–EhbîenPQuimont?2

Eh bien? monseigneur?Si j'en faisais une maréchale ?

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XVI

COLONELLE ET CHANOINESSE

Disons ce que c'était que madame deRothe, qui est appelée à jouer un rôle impor-tant dans les dernières pages de ce récit.

Madame de Rothe était veuve d'un colonelirlandais qui avait appartenu à la compagniedes Indes, où il avait fait de mauvaisesaffaires. Il l'avait laissée veuve de très bonneheure, sans fortune', avec une jolie figure etune nichée d'enfants blonds commedesAmours.

D'origine strasbourgeoise, madame deRothe avait été chanoinesse et portait, encette qualité, un large cordon bleu par letravers du buste. Il ne fallait pas moins que

i2

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cela pour atténuer ses manières assez com-munes. Elle parlait un français épouvantable

avec un accent à faire pouffer de rire.La manière dont le maréchalde Richelieu

avait fait connaissance avec elle ne manquait

pas d'originalité. C'était sur la route de Fon-tainebleau il revenait de la cour, lorsque,tout à coup, au milieu du chemin, il aperçoit

une voiturerenversée et brisée. Le maréchals'arrête, et voit sortir de ce carrosse déman-telé madame de Rothe et sa mignonnefamille. Il onrè ses services, on le accepte

il emballe toute la petite troupe dans sa voi-ture à lui, et la ramène A Paris.

Dès le lendemain, il va faire sa visite, il secroit amoureux, il revienttous les jours, il .se

rend utile.Ce manège dura plusieurs années, en tout

bien, tout honneur. Richelieu se fit insensi-blement une habitude de la compagnie demadame de Rothe il avait passé sur son hor-rible accent pour ne voir que sa douceur Bt

son charme tant soit peu naïf. La sympathie

qui les liait l'un à l'autre, leur faisait .choisirles mêmes lieux de séjour, tantôt Paris,

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tantôt cordeaux. ÏL.e d~x-huitième siècle a denombreux exemples de ces amitiés candideset durables.

Le Jour où Richelieu tomba malade decette maladie dont nous venons de décrireles incidents, madame de Rothe, qui habitaitBordeaux, eut hâte de se faire conduire à lamaison de plaisance de son vieil ami.

–~ Ah! majèr maréjall s'écria-t-elle en sejetant dans ses bras tendus vers elle nia jèrmaréjal gomplen che suis liéresse de fisgafoir hors de tanger.

Mercimille fois, mon excellente chanoi-nesse 1 Toujoursaussibonne que charmante

– Ne m'abbelez pas janoinesse, abbelez-moi golonnelle

Comme vous voudrez, ma chère amie,dit le maréchal..

Foilà ze ~'ue fus rabbordent vos gondi-nuelles imbritensses 1

Mais non, ma chère colonelle, il n'y apas eu d'imprudences, je vous le jure 1

Ne m'abbelez pas golonelle, abbelez-moi janoiness&.

– Volontiers, ma chère chanoinesse.

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– Ënvin, fus.fus èdes dire te là?– Grâce à mon élixir.– Pah pah fus n'afezbas pezoin d'élizer;

fus fifrez audant gue MadhissalemCroyez-vous, ma chère chanoinesse ?Chen zuis zire, monzeignir.

–Peu m'importe de vivre longtemps!Je ne vis, vous le savez bien, que pour quel-

ques bon cœurs comme vous.–Fus ëdes le bl!s aimaple tes hommes,

monseignir.– Prenez garde d'exagérer,colonelle.– Non, mon illistre ami, che n'egssachire

bas. Croyez-moi, laizez-fus fifre.Ce n'est pas aussi facile que vous le

supposez.Fus blaissandez 1

– Non, d'honneur. Savez-vous ce qu'il

me faudrait pour m'encourager à la vie ?Coi tonc, z'il fus Mit?P

–. 11 me faudrait une affection toujoursprésente, une amie sans cesse à mes côtés,

en un mot ce que les faiseurs de romancesappellent un ange gardieri,

Madame de Rothe avait rougi dès les prc-

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miers mots, puis elle cacha son émotionsousTinéclatderire.

–EInanchecartienPTiaple!s'écriâ-t-elle;cela ne ze rengondre pas, en evet, du bremier

goup.Je sais quelqu'un, cependant, qui réalise

tout à fait cet idéal, murmura tendrementRichelieu.

–Frahnent?P–Vraiment. et qui n'est pas loin d'ici.Richelieu avait fait asseoir madame de

Rhote sur une large ottomane, qui gémis-sait sous le poids de sa riante et moelleuseanatomie.

Lui s'était placé devant elle, dans un fau-teuil où étaient ngurées en tapisserie deBeauvais les Métamorphosesd'Onde.

Insensiblement et malgréses quatre-vingt-quatre ans, il se.laissa glisser à ses genoux.

Il fallait être l'acteur Baron pour oser, àcet âge, une évolutiond'une aussi audacieuseet périlleuse pantomime.

H fallait être le maréchal de Richelieu

pour oser y ajouter cette phrase d'une im-prévue galanterie

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–"Ma chère- amie, voulez-vous me per-mettre de vous demander ifotT& main ?

Madame de Rothe demeura saisie d'éton-nement.Toutes les roses du Rhin s'épanouirent sur

ses joues.D~abord, elle ne trouva rien à répondre.

Ma main! balbutia-t-elle fus teman-tez ma main,monzeignir ?

&Puis, s'apercevant qu'il était toujours restédans Ïa même position, elle lui dit avec sonplus limpide sourire

– Ah z'est zans tude bour fus relefer f

De la part de tout autre, le maréchal auraitfort mal pris cette réplique,mais elle venaitd'une personne si douce, si dépourvue demalice; qu'il ne lui en garda pas rancune.

–-Ma main?. répéta lentement la colo-nelle.

Et, après une courte hésitationLa voilà ajouta la chanoinesse.

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XVII

1OISEAUX DÉMCHËS

Nous avons vu que pour se maintenu enbonnes grâces auprès de la Clairville, Ser-um avait imaginé de restituer un riche etmagnifique collier faisant partie de la splen-dide collection de la comédienne-.

C'était ingénieux assurément, très ingé.nieux, mais cela ne pouvait 'se renouveler

fréquemment. Par ce manège, le receleurgagnait du temps, mais l'amoureux ne ga-gnait rien du tout. J'ai déjà dit que la Clair-villen'éprouvait aucuntendre sentimentpourlui.

C6 stratagèmene pouvaitdonc le conduire

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bien loin. Il prévoyait le moment où il fau-drait se déterminer à un nouveau sacrifice,puis encore à un autre, s'il. ne voulait re-cevoir définitivementson congé. En consé-quence, il résolut d'entreprendre un voyageplace Saint-Rémy pour s'y ravitailler.

En montant l'escalier, il se sentait sou-cieux il craignait la présence de Roberte.Sur ce chapitre il s'abusait. Il trouva lamaison vide, et, sur la table, la lettre que lajeune fille y avait laissée. Il la lut. Le cha-grinqu'il en ressentit fut violent, car il aimaitréellement Roberte. Cet amour s'accrut de

sa fuite.Après cette lecture, il s'enferma dans sa

chambre et se mit à chercher les diamantsqu'il croyait toujours cachés. On sait queLoupiac avait passé par là. De stupeur, les

yeux de Sernin se dilatèrent, après que lesplus minutieuses perquisitionsfurent restées

sans résultat.–Dénichés les oiseaux! s'écria-t-il avec

abattement envolée la femme 1

Il demeura plongé dans une longue médi-tation.

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dt-ce la femme'qui 'avait emporte lesnts?

Etait-ce la femme'qui 'avait emporté les''brillants?

Celane faisait aucun doute pour lui.Et maintenant, Roberte avait-elle eu des

complices ?C'était probable, vu la timidité de son

caractère.Le reste allait tout seul. Savoir où était la

femme, c'était savoir où étaient les diamants.Il n'y avait pas besoin de la sagacité de

Zadig, avec laquelle devait être composéeplus tard la sagacité d'Edgar Poë, pourdécouvrir ce qu'u'n gazettier d'aujourd'huibaptiserait: le Drame de la place Saint-é my.

Ce qu'allait faire Sernin était tout indiqué.Se mettre en quête de Roberte. Pour cela,grâce à ses anciennes relationsavec la police,il apprit .que Roberte avait été enlevée à labrune, en voiture, par un groupe d'individusD'ailleurs, les gens du maréchal de Riche-lieu n'y avaient pas mis tant de façons ni demystères. On sut qu'ils avaient pris la routede Fronsac. C'était donc la route de Fronsacque Sernin devaitprendre.

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II avait juge inopportun, avant son départ,de se représenter à l'hôtel de la Clairvillo~N'ayant plus désormais d'à-compteà donner,èt par conséquent son amour n'ayant plus à

espérer, il n'avait aucun motif à y prolongerson séjour. Et puis; une voix secrète lui di-sait de se méfier; il y a une clairvoyancespéciale à l'usage des malfaiteurs.

On ne sera pas longtempsà voir se réaliserles pressentiments de Sernin. A l'heure oùil partait mélancoliquement pour Fronsac,Lucile, la femme de chambre de la Clairville,.

se glissait furtivement chez le portier.– Latapy, lui disait-elle.

– Mademoiselle ?7– Vous êtes seul ?– Oui, mademoiselleLucile.Qu'ya-t-il?– Du nouveau, Latapy.

A propos de quoi ?P

– A propos de Jean de la Réole.– Entrez donc, fit le portier en s'empres-

sant,–Non, Latapy, j'ai trop à faire. Ce soir,

à l'heure ordinaire du dînera.. Ayez soin deprévenir tout notre monde.

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–C'estentendu.Le même soir, la bande de Jean de la

Réole se trouvait réuniedans la loge du por-tier Latapy. C'étaient, comme le soir où nousles avons vus pour la première fois lemaître d'hôtel, les Deux-Cuisiniers, le co-cher, le valet de chambre et la femme dechambre.

Ainsi que Lucile l'avait annoncé à Latapy,elle s'était chargée de porter à la connais-

sance de l'assemblée un fait grave concer-nant Jean de la Réole. Il ne s'agissait-derienmoins que d'un cas de trahison.

– Parlez lui dit le chœur.– Voilà. J'arrive tout de suite au fait.

Vous savez qu'en ma qualité de femme dechambre de madame, tous les bijôux de satoilette me sont connus. Or, l'autre jour, jelui vis prendre dans un de ses écrins un col-lier.

-Un collier?2

– Oui; un collier de perles, que je croyais

au nombre de ses bijoux volés. A l'excla-mation que je ne pus retenir, elle sourit s

«Vous vous étonnez? me dit-elle c'est mon

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nouvel intendant, c'est M. Sernin qui aretrouvé ce collier que je croyais, commevous, perdu.o

– Que dites-vous, mademoiselle Lu-elle? s'écrièrent les assistants; Sernin alivré ce collier, ce collier qui ne lui apparte-nait pas. qui était notre propriété à noustous?.

–Oui, mes amis, Sernin s'est rendu cou-pable de cette vilaine actionI

LatapygrommelaN'avais-je pas raison de réclamer le

partage général, lors de notre dernière réu-nion ?

Oui, oui. c'est vrai!iLe maître d'hôtel

En toute occasion, le partage immédiatc'est le parti le plus sage.– Le plus honnête 1

Ainsi raisonnaient ces coquins, parlantd'honnêteté.

Félix se frappa tout à coup le front d'un airdésespéré.

– Et s'il allait n'être plus temps1 s'é-cria-t-il.

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Cette réflexion subite glaça. l'assemblée.Si Jean allait disparaître emportant le

reste continua Félix.– Oh 1 murmura-t-on avec une expression

indignée.Cette simple interjection renfermait tant

de choses qu'elle ne pouvait être suivie qued'un moment de silence.

– Il en serait bien capabledit le maîtred'hôtel.

Lui, Jean de la Réole 1

Se déshonorer à, ce point 1

–Tout Jean de la Réole qu'il est, je m'ensuis toujours méfié, dit le portier.

Quant à moi, dit la femme de chambre,sa physionomie ne m'est jamais bien re-venue.– Ce n'est pas ce, que vous avez toujoursdit, mademoiselle Lucile,' répliqua Félix, quiavait passé autrefois pour être le rival deJean de la Réole.

Mademoiselle Lucile rougit jusqu'auxoreilles et répondit

Allez-vous me blâmer de vous avoiraverti de son indélicatesse?

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gi8 j'ËAK PS LA R]ÊOLE

–) Non, ma chère Lucile. dit le–) Non, ma chère Lucile, dit le grosmaître d'hôtel; nous vous en remercions,bien au contraire.

Mais comment allons-nous faire? de-manda le cocher; attendrons-nous de luivoir restituer un à un tous nos bijoux à Ma-dame

Ils en étaient arrivés à dire nos bijoux.– Le cas est embarrassant,nrent les Deux-

Cuisiniers.Quelque chose me dit qu'il ne remettra

pas les pieds ici.·

Et alors, où le trouver?Savons-nous maintenant où il perche ?P

Je crois me rappeler, dit Latapy, quec'est du côté du Grand-Théâtre. mais jen'ai rien de certain.

Tous ces propos allaient s'entre-croisant.Le plus philosophe de la bande c'est-à-dire le maître d'hôtel essaya de conclure

en ces termes assez valuesPeut-êtren'est-cequ'une faussealerte ?<

Qui sait?PEt ainsi que la dernière fois, il proposa des

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et du pM~c~ récente importation'gâteaux et du pM~c~ – récente importation'britannique.

Mais, ladernière fois, on avaitbu à la santéde Jean de la Réole.Cette fois on but à l'exter-mination de Jean de la Réole.

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XVIII

PAPA MARÉCHAL

Le maréchal de Richelieu voyait avecdépit se prolonger sa maladie il n'attendaitque son entier rétablissement pour rendrepublic les bans de son troisième mariage,décidé dans son esprit.

Afin de se distraire, il entreprit de donner

une fête à la blonde et douco madame deRothe dans sa maison de Fronsac. De

sa propre main il traça le'programme desdivertissements où il était passé maîtreconcert, partie sur l'eau, partie sur l'herbs,feu d'artifice, escarpolettes, moulin à vent,bal champêtre, et surtout comédie, carpour Richelieu il n'y avait pas de plaisirs

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sans représentation théâtrale. En cela iltenait du maréchal de Saxe. Ces deux guer-riers se plaisaient autant dans les .coulissesque sur les champs de bataille. C'était d'ail"leurs la folie du temps; tout grand seigneurse doublait d'un imprésario; les gentils-hommes de la chambre se partageaient la.surintendance des théâtres le duc d'Au-mont avait la Comédie-Française, le maré-chal de Richelieu avaitla Comédie-Italienne.Quelque infime que fût ce dernier tripot, nulplus que Richelieun'en prenait au sérieux ladirection et les fonctions. ïl distribuait lesrôles, assistaitaux répétitions, et surtout tran-chait du sultan.

S'il avait osé, Richelieu se serait empresséde faire venir la Comédie-Italiennetout en-tière à Fronsac, pour rendre hommage àmadame de Rothe. Mais son pouvoir ne s'é-tendait pas jusque-là. Il se contenta de faireconstruire une mignonne et élégante salle despectacle, par les génies familiers qu'il traî-nait toujoursà sa suite. L'architecte était touttrouvé. C'était Victor Louis, qui fit pourFronsacune réduction de la salle qu'il venait

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d'édifier à Bordeaux. Une véritable bonbon-nière.

Les décors une fois brossés sur place, les

costumes chiffonnés par les plus adroites fai-

seuses, il ne resta plus à choisir que lespièces, ce qui était la plus accessoire deschoses. Le maréchal emprunta cinq ou six,

artistes de comédie au ûrand-Théâtro èt soncorps de ballet tout entier son corps deballet qui jouissait déjà par toute l'Europed'une brillante réputation. Puis, le jour où lafantaisie le prit do jouer à Fronsac, il donnal'ordre de faire relâche à Bordeaux. C'était

une de ses malices ordinaires.Jusqu'au dernier moment la partie fut

tenue secrète on savait seulement qu'elledevait avoir lieu devant un nombre restreintd'intimes, le dessus du panier de la noblessebordelaise. Ce fut surtout la présence du

corps du ballet qui trahit le génie inventif etles goûts du gouverneur. La représentationdevait être suivie d'un souper, et le souper,à son tour, devait être suivi d'un bal avecmasque facultatif. Ce ne fut même qu'à cetteseule condition du masque que Roberte,

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par son ~rand-père, consentit à ypressée par son grand-père, consentit à yassister. Elle était assise à la droite du maré-chal, qui avait à sa gauche, madame deRothe.

Le spectacle commença par les Fâttsse~7~/M~s, une petite pièce, du poète pro-vençal Barthe, dont le succès s'est maintenupendant plus d'un demi-siècle. La Clairvillejouait un rôle de grande coquette. Le maré-chal, qui no l'avait. pas revue depuis le8 avril, voulut passer sur la scène pour lacomplimenter.

– Ravissante dit-il en lui glissant lia

main sous le menton..Mais la Clairville fit une moue.

– Monseigneur ne m'a donc pas oubliéetout à fait ? murmura-t-elle.

– T'oublier, toi, mon enfant? Qui est-cequi te fait supposer cela?

– .C'estque monseigneur m'avaitpromis.4Qu'est-ce que je t'avais promis?

– Vous le savez bien, monseigneur. De

me faire retrouver mes diamants.Eh quoi s'écria-t-il, cette vieille bis-

toire n'est donc pas terminée?.

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– Son Excellence veut rire! dit la Clair-ville.

– Non, la peste m'étouffe Je croyais quedepuis longtemps Lafargue t'avait fait ren-trer en possessionde tes bijoux.

La Clairville haussa les épaules.–M. Lafargue,s'est d'abord reposé surun

de ses'agents qui, pour m'allécher, a com-mencepar retrouver un de mes colliers.

– Eh bien voilà un résultat.– Oui. mais il s'est arrêté là.– C'est au moins singulier, fit Richelieu

comments'appelle cet agent?–! M. Sernin, répondit la Clairville.

Sernin ? répéta le maréchal, qui inscrivit

ce nom sur un petit portefeuille brodé en ornn.

Et il ajouta

– Allons, ma fille, je vois qu'il faut que jem'occupe moi-même de cette affaire. La-fargue n'est qu'unniais, et je crains bien queton agent ne soit qu'un chevalierd'industrie.Je vais mettre .sur-le-champ ma contre-policeenjeu. 4

Ah 1 monseigneur, que vous êtes bon

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– Pour commencer, j'aî besoin qu'onm'envoieun rapport sur ce Sernin.

A ce moment on entendit un grand remue-ménage sur la scène.

C'était l'École de danse qui faisait irrup-tion. On allait exécuter un ballet de Dau-berval..

Figurez-vous une trentaine de fillettesplus fraîches et plus rosées les unes que lesautres.

EUes s'empressèrent joyeusement à l'as-pect de Richelieu et s'écrièrent en battant desmains

– Ah papa Maréchal papa MaréchalC'était son surnom de coulisses.EUes se suspendirent à ses bras, grimpè-

rent sur ses genoux, le sollicitant de tirer saboite à bonbons, qu'elles eurent bientôt faitde mettre au pillage.

Et les rires et les cris de recommencerdeplus belle

– Papa Maréchal Vive papa Maréchal!– Voyons, mesdemoiselles,vous allez in-

commoder Son Excellence! fit vainement lerégisseur.

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– Mais non! mais non répliqua Riche-lieu en riant .laissez jouer ces petites folles.

CependantBeck, le chef d'orchestre, fit en-tendre le signal de l'ouverture.

Richelieu eut beaucoup de peine. à rega-gner sa place, où l'attendait madame de

Rothe. Elle l'accueillit par ces paroles, eh

jouant de l'éventail– Fus foilà, maufais zichet! D'u fenez-fu

gomme za?PRichelieu lui baisa la main pour toute ré-

ponse.Nous nous abstiendrons de suivre cette

fête pas à pas, et de promener le lecteur à tra-vers les joyeux méandres du bal. Le maré-chal voulut danser la première contredanse

avec madame de Rothe; il fut étonnant et fit

montre d'un vigoureux jarret, digne d'unjeune homme.

A la dernière figure, comme il « tombait enposition, il se trouva soudainement vis-à-vis du duc de Fronsac, qui venait d'arriver.

L'ébahissement dé celui-ci fut complet.Après avoir joui en silence pendant quel-

que temps de sa stupéfaction,le maréchal lui

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a.dressa'cette question d'un ton sàrdonique:– Hh bien! monsieur, qu'en dites-vous~2 w

––M& foi; mon père,'je crois rêver.–En feriez-vous autant?– J'en doute, murmura Fronsac.

– Et cependant, vous n'avez guère quequarante-cinqans..

r– Quarante-quatre, repliqua.t'il vive-ment.

>0–Soit..Et le ma.récnàl s'arrêta à le regarder

avec une indicible expression de moquerie.Par la sambleu! reprit-il, le moment

est venu de vous apprendre'une nouvellequi vous touche particulièrement.

– Moi, monsieur le maréchal ?

– Vous-môme, monsieur le duc.– Parlez, je vous prie.– Apprenez donc, dit lentement Riche-

lieu, en calculantl'effet de ses paroles, appre-nez donc. que je me remarie.

Fronsac demeura bouche béante. Il crutavoir mal entendu.

–Vous vous remariez?. bàibutia-t-il;pour la troisième fois?. Est-ce possible?

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"– Très possible.Voilà madame de Rothequi peut vous l'affirmer, dit Richelieu en dé-signant la jolie chanoinesse,restée sourianteà côté de lui.

–Madame de Rothe ?.Les regards de Frcnsac allèrent comme

hébétés de celle-ci aumaréchal.– C'est une plaisanterie ? murmura-t-il.

– Une plaisanterie qui ne peut tournerqu'à mon bonheur, dit Richelieu. Et si,comme j'en ai le pressentiment, le ciel veutbien m'envoyer un nouveau rejeton.

Ici, madame de Rothe rougit sous l'éven-tail.Je le mettrai dans l'Eglise. vous savez,

Fronsac, que cela a toujours porté bonheur ànotre famille..

Richelieu reçut un matin le rapport quevoici:

<~ No~epour Son Excellence le maréchalducde Richelieu, gouverneurde la Guienne.

» Sernin (Jean-Jantet), né à Caudrot, âgede vingt-six ans, sans profession, né de pa-rents cultivateurset pauvres.

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M Taille ordinaire, figure agréable.

? Bouche moyenne, dents blanches.

Petits pieds, petites mains.

Da lintelligence active a reçu un commen-cement d'éducation chez un curé de village.

a A douze ans, a été embarqué mousseborddelaC'~5.

» De retour en France, a suivi une troupede saltimbanques.

» On le retrouve à la tête d'unebande depetits vauriens; est condamné plusieurs fois,

pour vol, à la prison..M »Il est embauché par la police de Bor<

deaux; il entre dans la brigade de M. Dutasta,où il se fait remarquer par quelques capturesimportantes.

» Au bout de quelque temps, la femme dudirecteur, madame Lafargue, demande sonrenvoi, pour un motif resté inconnu.

Il)) Sernin recueille chez lui une jeune bou-

quetière des rues connue sous le nom deRoberte.N»

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A ce nom, le maréchal de Richelieu inter-rompitsa-'ieciure.

– Roberte!s'écria-t41; ma. peUte-nlle!une telle liaison avec ce bandit, cet aventu~-

rier Il n'y a pas ~douter: Roberte~ labouquetière des rues. le rapport est pré-cis. quelle honte

Et il rougit comme il n'avait jamais rougide sa vie, lui, l'allier gentilhomme, le duc etpair, le second du royaume, comme il seplaisaità se nommer lui-même.

Il cacha sa tête entre ses mains.Heureusement que je ne l'ai présentée

que sous le masque. et à peu de personnes.,murmura-t-il quel parti prendre?.

Dans le commencement,le maréchal avaitpensé, non pas à la reconnaîtrepublique-ment, cela aurait compromis la mémoirede la comtesse d'Egmont,–mais l'adopter,ce qui tranchait tout.

Avec un semblable passé, cela n'était pluspossible.

Ayant jugé ainsi, il froissa le rapport et lejeta par terre. Puis, il s'abîma dans une lon-

gue méditation.

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JEAN DELARÉOMt 1 23i1

s! pensa.-t-il, s'il doit y avoir un1- ~a.._·–Hélas! pensa-t-il, s'il doit y avoir unchâtiment pourtout le monde, n'est-ce pas lemien qui commence? Suis-je donc encoreune fois frappé dans ma paternité ? Et moi qui

croyaisque mon bonheur allait recommencer,et que cette Roberte allaitme rendre ma Sep-timanie

Et il sonna pour qû'on fit prier mademoi-selle Roberte de passer chez lui.

Quimont crut devoir convenable de char-

ger madame R.ousse de cette commission.Après un temps assez long, ce fut madame

Rousse qui se présenta chez le maréchal.Son visage trahissait un trouble évident.

– Monseigneur. balbutia-t-elle.

– Qu'avez-vous, madame Rousse?– Votre Excellence ne va pas manquer

d'être étonnée de ce que je vais lui appren-dre.

Voyons, madame Rousse.Les domestiquesont cherché dans toute

la maison et dans tous les jardins.Eh bien!I

– On n'a pas trouvé mademoiselle Ro-berte.

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– Est-ce possible? s'écria Richelieu.– Vous pensez, monseigneur, si j'ai en"

voye tous vos gens à sa poursuite et si j'aivisité ses promenades favorites jusque dansleurs moindres recoins.

C'est incompréhensibleEt le maréchal voulut se mettre lui-même

en campagne, pendant qu'il envoyaitla policede Libourne dans toutes les directions.

Il nous reste à faire connaître au lecteurles événements qui avaient préparé et motivécette extraordinaireabsence.

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XIX

LA ÛROTTE DE MINORQUE

Un des jours qui suivirent la petite fête deFronsac-le-Tertre,Roberte trouva, en rentrantdans sa chambre,une lettre a' son adresse.

Quoique sans signature, elle n'eut pointde peine à reconnaître l'écriture de Sernin.

Voici ce qu'elle lut

<f Roberte, ne cherchez pas à savoir com-ment j'ai appris votre retraite ni par quelsmoyens je suis parvenu à gagner une desfemmes de chambrede madame Rousse, cellequi déposera cette lettre chez vous.

H Vous devez comprendreque jeyeux abso-lument vous voir et vous parler.

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» Trouvez-vousdemain,à minuit,à l'extré-

mité du jardin anglais, à l'entréede la Grotte~eAfwor~tte.)) »

Roberte ne songea pas un seul instant à serefuser à aller à ce rendez-vous; elle étaithabituée à céderaux volontés de Sernin. Ellecomprit qu'il ne pouvait guère se rencontreravec elle que dans l'ombre mais elle était

loin de prévoir la scène épouvantable qui

l'attendait.En se trouvant face à face avec elle, Ser-

nin entama la conversation avec un accentde colère mal dissimulée. On sait qu'il la

croyait coupable' ou tout au moins complicedu vol des diamants de la Clairville; et ce-pendant tout se révoltait en lui à cette idée.

A demi-voix, il l'apostropha ainsi

Roberte, vous vous souvenez de cettesoirée du 8 avril, où je revins si tard de la cé-rémonie d'ouverture du Grand-Théâtre?

Commentne m'en souviendrais-jepasQdit-elle; vous étiez pale. pale.vous aviez

les vêtements en désordre, tout déchirés.Je m'en souviens comme si c'était aujour-d'hui. Vous répondîtes à peine à mes ques-

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tiens, et vous vous enfermâtes dansvotrechambre.Pourquoi faire? Je ne l'ai jamais su.

Vraiment, Roberte, vous ne l'avez ja-mais su? fit Sernin d'un air soupçonneux.

Non, en vérité.Sernin crut devoir entrer dans les explica-

tions que voiciJ'avais quelques objets précieux que je

désirais dérober aux regards. Ces objets, jepassai une partie de la nuit à les cacher dans

ma chambre, particulièrement au plafond.De cela, vous devez aussi vous en souvenir?

Sernin, je ne me souviens que de ceque j'ai vu. Or, je n'ai pas vu ces objets pré-cieux. Et d'abord, quels étaient-ils ?P

– Rappelez-vous,Roberte. Le lendemainde cette nuit, au matin, lorsqueje fus réveillé

par Dutasta, ne vites-vous par luire à terreun bijou?

– En effet, un collier.– Précisément, dit Sernin. Mais ce bijou

n'était pas le seul que j'avais apporté. J'enavais encore sur moi pour une somme énor-me. considérable. pour trois ou quatrecent mille francs environ. °

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Miséricorde! s'écria Roberte.

– Votre etonnement est-il bien sincère ?i'

demanda-t-il en la regardant fixement.Que voulez-vousdire?

Ce' que je veux dire ? murmura-t-H ceque je veux dire. c'est que ces bijoux ont.disparu

– Eh bien!Cet eh bie~ ? fut prononcépar Roberte avec

une inexprimablecandeur.Sernin saisit violemment la jeune fille par

les deux mains.– Vous savez ce qu'ils sont devenus i

– Moi! s'écria-t-elle les yeux effroyable-ment dilatés.

Qui peut le savoir, sinon vous ou moiP– Vous êtes fou 1

Quelle scène que celle qui se jouait ainsidans cettenuit épaisse, sous ces grands om-brages frissonnants Elle, effarée et pâle,plpyée sous une accusation odieuse; lui, rudeet menaçant, c'était là un spectacle à la foisétrange et violent!

Et dans ce duo ténébreuxqui montait peu

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à peu au ton de l'invective, on devinait leslarmes brûlantes baignant les joues de Ro-berte.

Kilo murmurait par phrases saccadées:.– Oh Sernin, savez-vousque c'est indi-

gne ce que vous me dites là ? Il est impos-sibleque vous puissiezpenser ces choses.

Mais ~erninTou.t est contrevous, Roberte tout yous

accable. Avouez.– Encore une fois, je ne sais rien, Ser-

nin je n'ai rien 4 avouer. Cessez de tourmen-ter une malheureuse fille 1

– Oh! cria-t-il, aveuglépar la colère.Presque aussitôt, il prit peur et crut avoir

entendu un bruit de pas. Escalader la mu-raille, comme il avait fait à son arrivée, futpour lui l'affaire d'une minute.

Malheur à vous, Roberte, si vous m'a-vez menti! 1 dit-il en s'enfuyant; malheur!

Demeurée seule, Roberte prêta l'oreille uninstant et n'entendit rien. Chancelante, ellereprit le chemin de la: villa. A mesure qu'elles'en approchait, elle se sentait gagner parune vague inquiétude'. Sur le point de tou-

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cher au seuil, un froid glacial lui. serra lecoeur: la porte qu'elle avait laissée ouverteétait ferméeàprésent.

Le saisissement l'immobilisa. Que faire ?

que devenir? Avait-elle été espionnée parquelqu'un de la maison? Fallait-il appeler,mais appeler c'était ouvrir le champ au~interprétations les plus diverses et les plusfolles. Sans savoir a quel sentiment elleobéissait, elle revint sur ses pas, lentementcettefois,comme égarée,etellel'était, en effet;elle ne reconnaissait plus saroute; il est vraide dire qu'elle ne la cherchait pas non plus.

Devant, derrière, autour d'elle, sur sa tête,les ombres allaient, s'épaississant de plus enplus. Pas d'étoiles au ciel. Du noir rien quedu noir.

Il y eut un, moment où, brisée par tantd'émotions, Roberte se laissa tomber sur unbanc de pierre. Là, elle récapitula silencieu-cieusement les événements dont elle avaitété la victime depuis quelques jours, événe-ments incroyables, mystérieux, funestes.Flétrie par d'infâmes soupçons, son avenirétait brisé à jamais. Et c'était justement à

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l'heure où la fortune avait semblé s'adoucir à

son égard, où la Providence lui envoyait unaïeul à elle, l'orpheline, l'enfant abandon-née

Maintenant, elle n'avait plus rien des autresjeunes filles elle ne pouvait plus prétendrecomme elles au moindre lambeau de consi-dération, leur première ou leur dernière res-source t

Roberte en était là de ses réflexions déses-pérées lorsque, ses yeux s'accoutumant auxténèbres, elle finit par distinguer une morneflaque d'eau, non loin de la grotte de Mi-

norque. Elle la contempla longtemps avecune Sxité farouche puis, elle se leva et sedirigea lentement vers cette triste clarté.Une mauvaise idée lui était venue la vielui ayant été trop cruelle, elle se décida àquitter la vie. Elle n'eut pas besoin pour celad'un grand effort do courage; elle s'approcharésolument, comme du pas d'une somnam-bule, de l'étang immobile, qui semblait avoir

un dr de défi. Peu à peu ses souliers se sen-tirent atteints et mouillés par l'eau. Elle n'yprit pas garde et n'hésita pas une minute.

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Une vague prière errait sur ses lèvres. Elleavançait de plus en plus. Ennn, elle s'abaissa

sur elle-même et poussa un grand Ah mo~Dieu puis elle disparut, ne laissant quequelques ronds sur l'eau.

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XX

PRIEZ POUR ELLE'

L'enterrementde Roberte eut lieu avec laplus grande simplicité. Personne n'avait étéprévenu. Ce n'était pas la première foisqu'une jeune fille avait disparu de la villa deFronsac et qu'on n'en avait plus entenduparler.

Seul au bras du président de Gasc, le maré-chal de Richelieu suivait, consterné et muet.Madame Rousse venait à quelque distance,accompagnée de plusieurs femmes de ser-vice qui s'étaient trouvées en contact avecRoberte pendant son séjour au château. C'é-tait tout. En voyant passer ce convoi de vil-lage, qui aurait dit que c'étaient là les

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obsèques de la petite-fille d'un maréchobsèques de la petite-fille d'un maréchal de'France?P

Une simple messe fut célébrée dansl'humble église de Fronsac,qu'une main igno-rée était venue de grand matin parer defleurs. Pendant tout le temps du service, uninconnu était resté caché dans l'ombre d'unpilier, étouffant ses pleurs. Nul ne l'avait vudans le pays. Le maréchal,dont il avait attirél'attention, se proposait de prendre des ren-seignements sur son compte, mais, après lapieuse cérémonie, il avait disparu presquesubitement.

Une pierre placée dans un coin du cime-tière de Fronsac, avec un nom gravéedessus,fut le seul souvenir qui devait rester de la

pauvre Roberte.Une semaine, puis deux s'écoulèrent. Le

maréchal de Richelieu ne semblait plus vou-loir quitter sa villa malgré les tristes souve-nirs qu'elle lui rappelait. C'était la premièrefois que la douleur l'éprouvait si fortement.Deux puissantes affections avaient jusqu'àprésent dominé son existence c'était lacomtesse d'Egmont, et c'était .la. fille de la

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comtesse d'Egmont c'était Roberte, et c'étaitSep~imànie. Ces deux affections, les plusgrandes de sa vie, étaient devenues les deuxplus grandes douleurs. Elles avaient tué levieiRard et anéanti le libertin. Il paraissaitavoir gagné quelques rides de plus, lui quien avait tant On eût dit qu'il avait renoncéau monde et à tous les plaisirs qu'il entraîne.Son unique distraction, -– si cela peut s'ap-peler ainsi, se bornait à une promenadequotidienne dans son parc, du côté de lapiéce d'eau qui évoquait à ses yeux une sieffrayante catastrophe.

D3 son mariage avec madame de Rothe iln'était plus question; les préparatifs enavaient été interrompus depuis la fête cham-pétr3.

Un matin que'le maréchal était occupé àtravailler dans son cabinet, ses jardiniers luiamenèrent un homme qui avait été sur-pris au moment où il escaladait le mur dujardin vis-à-vis la Grotte de Mt~o~MC. De-puis plusieurs jours on le guettait il avait étévu rôdant cà et là. Interrogé par les domes-tiques, auxquels il avait commencé par oppo-

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ser une assez vive résistance, il avait ré-pliqué qu'il ne voulait répondre qu'à M. lemaréchal, devant lequel il demandait à êtreconduit..

Richelieu ne leva d'abord sur lui qu'un re-gard indiNérent il s'attendait à n'avoir affairequ'à un simple vagabond, à un vulgaire mal-faiteur.

Mais après un rapide examen, il crut s'a-percevoir que les traits de cet individu nelui étaient pas étrangers.

– Je vous connais, lui dit-il.Non, monseigneur, vous ne me con-

naissez pas.– Alors je vous ai vu quelque part?

Oui, monseigneur, vous m'avez vu, enenët.ilyaquelquesjours.

J'en étais sûr.– A l'enterrementde votre fille.Le maréchal fit un geste de surprise.

De ma filles'écria-t-il commentavez-vous pu savoir?.

– Par Roberte qui m'avait tout appris.Roberte

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Ef, Richelieu dit, après un silence:

– Attendez donc. vous êtes monsieurSernin!l

Oui, monseigneur.–Misérable!1A cette exclamation sortie spontanément

du cceur d'un père, Sernin n'avait pu s'em-pêcher de baisser la tête.

Se rappelant la finlamentable de la jeunefille, il se considérait justement comme sonbourreau.

Le maréchal le regardait avec des yeuxétincelants de colère qui semblaient lire soncrime écrit sur son front.

Ainsi, monsieur, vos deux destinéesétaient unies?2

Le malheur nous avait liés tous deux,oui.

Ma petite nlle tombée si bas

Et les yeux du maréchal s'humectaient.Sernin contemplait avec compassion ce

vieillard dont la douleur le disputait à l'or-gueil.

Après quelques instants de réflexions, Ri-chelieu se souvint que. l'homme qu'il avait

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sous les yeux venait d'être arrêté dans sonjardin.

Qu'y faisiez-vous à ce moment-là, luidemanda-t-il.

Hélas! monseigneur, répondit Sernin

avec un accent des plus sincères, je venaisrevoir l'endroit où mon dernier entretien avecelle avait eu lieu.

Ah! c'était là?.Et le maréchal, cherchant à lire dans sa

penséeElle vous aimait donc bien ?.

Sernin ne réponditpas.Ses remords se réveillaient plus aigus,

plus déchirants.Le maréchaly çomprit ce qu'il voulut.Il allait le congédier, lorsqu'une idée lui

revint en mémoire.Ilestez encore, lui dit-il.

La physionomie du maréchal avait changétout à coup.

Clairville m'a parlé de vous.A ce nom, Sernin resta cloué sur place.

Le maréchal reprit

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–Que lui avez-vousdonc promis.de lui

retrouver ses diamants?Monseigneur,je crois avoir trouvé une

piste.– Êtes-vous sûr de ne pas vous êtes trop

hasard6 ?.– Monseigneur,je vousassure.

Prenez garde on trompe difficilementun vieux renard comme moi.

Son œil retrouvait quelque chose de sonancienne malice.

Eh eh la Clairville est une belle fille,dit-il, en regardant Sernin d'une certainefaçon.

– Je vous assure, monseigneur.

– Et à laquelle je porte beaucoupd'intérêt.Ne la leurrez pas, employez-vous loyalementpour elle, vous n'aurez pas à vous en repen-tir.

Oh monsieur le gouverneur i

– Enfin, réussissez. et je vous place au-près do moi.

Sernin s'était un peu aventuré en promet-tant au maréchalde recouvrer les bijoux de la

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Clairville. Il n'avait que des soupçons sur sonvoleur, et ces soupçons se concentraienttous sur Loupiac. Lui seul connaissait sonlogement de la petite place Saint-Rémy, lui.et Dutasta, mais Dutastan'était pas à redou-ter, frappé qu'il était de la cécité particulièreaux gens de police. Il s'agissait donc demettre la main sur Loupiac, de quelquespré-cautions qu'il s'environnâtdepuis son récentcoup de main.

Un matin donc, Sernin se mit en campagneet prit la route du port qui conduisaitau caba-ret du Repos des Na~~a~eurs, où nousavons déjà conduit nos lecteurs au commen-cement de ce récit. La piquante cabaretièretrônait comme d'habitude à son comptoirautour d'elle, plusieurs habitués,assis à de pe-tites tables, buvaient et jouaient aux cartes.

Salut à la belle madame Peyrecave 1

s'écria Sernin en entrant.Celle-ci tressaillit et ne reconnut pas ]e

nouveau venu, ou du moins elle feignit dene pas le reconnaître.

Pardon, monsieur, murmura-t-elle;il ne me semble pas vous reconnaître..

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– Cherchezbien, dit Sernin en souriant,et je suis sûr que vous trouverez.

– Je vous assure.–Eh! quoi, vous ne remettez pas l'ami

d'un de vos amis. du baron de Loupiac.La cabaretière s'empressade répondre

Excusez-moi. M. Loupiacn'est pas icien ce moment. Je ne crois même pas qu'ilsoit à Bordeaux.

La précipitation avec laquelle ces motsfurent prononcésfirent comprendre à Serninqu'il y avait une consigne donnée.

–' Je vous remercie, madame, mais jevous ferai observer que je ne m'étais pas in-formé de mon ami Loupiac.

Madame Peyrecave rougit, et elle allaitbalbutier quelquesparoles lorsqu'un des bu-veurs, interrompant sa partie de piquet, diten se tournantvers Sernin

C'estLoupiac que vous cherchez, mon-sieur ?. Vous le trouverez sûrement rue dela Fusterio, au café du numéro 14.

– Merci, monsieur, répondit Sernin.La. cabaretière avait blêmi de fureur. Elle

dit au joueur en serrant les dents

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Je crois que voue vous trompez, mon-sieur Sieurac.

Je me trompe si peu que je m'engage àconduire monsieur auprès de lui, réponditl'interpellé.

Rien ne presse, dit Sernin, en jouis-sant de la colère intérieure de madame Pey-

recave.Cette colère fut poussée si loin, que la ca-

baretière se dirigea vers la porte d'entrée etl'ouvrit comme pour prendre le frais. Elle yfut rejointe par Sernin, qui crut devoir luifournir quelques explications.– Soyez tranquille, madame, je n'iraipoint à l'adresse indiquée. Il se peut queLoupiac ait quelques motifs de m'éviter ce-pendant, je ne le crois pas. Dans tous les cas,je vous prierai de lui dire de ma part.

Je ne lui dirai rien, car je ne le verraipas, répondit sèchement madame Peyre-cave.

-Vous le verrez, et vous lui direz queJean l'attend demain ici, à la même heure.

Quel Jean ? demanda-t-elle, confondued'une telle assurance.

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– Jean de la Réole.La cabaretière frissonna à ce nom, qui

était aussi répandu dans la Guienne quecelui de Robert le Diable dans la Nor-mandie.

Et si M. Loupiac, dit-elle, refuse de serendre à ce rendez-vous, ce qui n'a rienque de très possible ?P

– Il ne s'y refusera pas. Pour cela, vousn'aurez qu'à ajouter qu'il s'agit d'une su-perbe opération de diamants.

Madame Peyrecave pâlit visiblement.Sernin continua

Je ne suis que le représentant- d'unriche fabricant en joaillerie qui a été éblouinon seulement de vos beaux yeux. maisencore des feux que lancent ces bagues à vosjolis doigts.

Le premier mouvement de madame Pey-recavofut de dissimuler ses mains.

Sernin salua profondément l'hôtelière du« liepos des Navigateurs ?, et reprit le che-min par ou il était venu.

Lorsque Loupiac rentra le soir chez la

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brune cab~retiëre,où il avait élu domicile de-puis.quelque temps, il fut accueilli par uneaverse de reproches et de récriminations.

– Eh bien lui dit-elle en posantses poings

sur les hanches, il est venu

–Qui, lui?PLui, Jean, celui que je craignaistant.

votre sinistre professeur:

– Ah murmura Loupiac d'un air sombre;cela debait finir ainsi. Et qu'est-ce qu'il adit, Jean de la Réole ?

Il a demandé à vous voir, parbleu 1

Ne lui abez-bbus pas répondu ce dontnous étions conbenu, c'est-à-dire que j'étais

en boyage ?Si tait, mais il ne l'a pas cru.Eh vien ce qui n'était pas brai hier peut

l'être demain.Je partiraidemain, dit Loupiac.Demain il sera peut-être trop tard.Que boulez-bous dire, Gavrielle ?

–Jean m'a donné à entendre que jem'étais compromise.

– Comment cela ?– Mes bagues sont la première chose qui

lui a sauté aux yeux.

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– Enfer! Je bous abais pourtant bienrecommandé de les tenir cachées. P– Ah je suis perdues'écria madame

Peyrecave.

–< Par votre fauterépondit-il.

–. Vous avez été mon mauvais génie, dit~

elle en sanglotant.En parlant ainsi,elle avait le droitde l'acca-

bler et de le considérer comme l'auteur de saperte. Il n'était cependant ni beau ni spiri-tuel il l'avait séduite comme on séduit toutesses pareilles, par de l'or et par des bijoux.Gaie et aimable femme, devait-elle se douterqu'elle Bnirait un jour par devenir une rece-leuse ? Et maintenant quel allait être sonavenir? La prison, sans doute.

Loupiac la regardait d'un œil scrutateur.

– Tout n'est peut-être pas désespérée luidit-il.

Croyez-vous?La bie est diberse.

Et réSéchissantGavrielle 1 lui dit-il.

Loupiac ?

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p– Êtes-vous femme a, fuir, à quitter Vor-

deaux ?P

– Pourquoi pas ?. Mais Jean de laRèplë.

– Eh vien Jean de la .Réole ?P

Il est capable de courir après nous.

– Oui, s'il nous sait chargé de notrevutin.

L'avide cabaretière eut un mouvement..Vous voulez donc l'emporter, votre s

butin? dit-elle.–Et bous?2

.– Moi, je suis femme

A ce beau mot, Loupiac, qu'on aurait pucroire agité de tristes pensées, partit d'unbruyant éclat de rire.

Faisons donc nos préparatifs de départ,s'écria-t-il.

– Volontiers, répliqua-t-elle.– Je vous laisse le choix du voyage par

terre ou par eau.Non, non, choisissez vous-même.

– Alors, lisez ce journal, à la page quevoici

Gabrielle lut

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EN PARTANCE POUR AMSTERDAM

La goelette la Tulipe noire °

D'tctatisod~cemoi!

a S'adresser à M. Ansas, courtier maritime,rue du Couvent, 5, et chez M. le Consul deHollande, cours de Tourny, »

–' Allons, en route pour la. Ttt~pp ~on'e,s'écria Loupiac.

Prenons ~arde dit madame Peyrecave,rendue méfiante, car Loupiac lui avait toutconQe, autant par le besoin,de confidence quisaisit tout misérable que par la nécessited'un complice.

La belle cabaretière l'avait aidé à cacherles diamants, et pour cela elle lui avait prêtésa cave, ce qui explique les fréquentes vi-sites que Loupiac y faisait dans un doublemotif.

A présent, il fallait s'attendre à ce queSernin vînt redemander son « dépôt à Lou-

piac. Ce fut dans cette attente pleine d'an-goisse que celui-cipassa la nuit entière.

Au matin, Loupiac avait son plan combineet sonvisage compose.

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258 JEAN DE LA RÉOLE

A l'heure convenue, Jean de la ]

-:1 T- '1

A l'heure convenue, Jean de la Réole seprésentait de nouveau au Repos des Na~-ga~Mrs; il y rencontrait cette fois Loupiac,qui lui sautait au cou en l'apercevant.

Cadédis que jé suis aise dé té hoirMordious mon plaisir est égal au tien

– Mon cher Jean

– Mon cher Loupiac

Madame Peyrecave m'a annoncé tonarrivée. Asseyons-nous.

Volontiers.Et trinquons 1

Trinquons comme autrefoisComme toujours

La bouteille d'usage apportée, les deuxamis s'attablèrent, et causèrent tout en s'ob-servant.

Excuse-moi, Loupiac, de n'être pas venuplus tôt chercher de tes nouvelles. j'étaisen voyage.

Et moi aussi.Comme cela se trouveJ'étais dans le Bas-Medoc.Et moi dans lé Haut-Médoc. J'abais été

Page 266: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

déguster uné, partie dé bins pour le comptede madame Peyrécavé.

–Atasantè!–Alatienne!1Le moment était venu de commencerles

hostilités.Jean ouvrit le feu.– Ainsi, tu n'es pas venu me voir place

Saint-Rémy?P--Non.–Non?2– Non, répondit Loupiac; cela ne m'a

pas été possivie.– C'est singulier murmura Jean de .la

Réote; on m'avait dit. j'aurais cru.On t'a trompé. Je n'ai pas mis les pieds

chez toi dépuis quinze jours.–Bienvrai?P–' Vien brai 1

Ainsi, j'y rentrerais aujourd'hui que j'yretrouverais tout en place?

–~Je l'espère, dit jésuitiquementLoupiac,sans s'engager davantage.

Tout?. répéta Sernin.Et après quelquehésitation

Page 267: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

– Même mes diamants ?Tes diamants s'écria Loupiac avec une

candeur admirablementjouée, qu'est-ce quetu chantes-là ? Tu abais des diamants, toi ?

– Moi-même.

– De brais diamants ?P

– Assurément, Loupiac. Mais, en vérité,

tu le sais aussi bien que moi. Abrégeons.J'y suis rentré aujourd'hui, chez moi.

Eh bien?PEh bien mes diamants m'ont été

volés.Tu vadines? dit Loupiac, employant

une locutionbordelaiseentre toutes.Et volés par toi

Loupiac bondit à ce mot.Puis un regard terrible fut échangé entre

ces deux hommes.

– Tu parles sérieusement, Jean ?2Sérieusement, Loupiac.

Jean se leva et fit quelques pas en long et

en large dans le cabaret.

– Je comprends que ce coup t'ait tente.,dit Jean, un vrai coup d'amateur.

Cesse ce jeu.

Page 268: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

Après l'avoir regardé en, silence pendantquelques minutes:

Ainsi, tu nies toujo.urs? dit Jean.Toujours.

– Voyons, Loupiac. décidèrent ??-

Et il ajouta:'Loupiac, ta femme est du complot je

la ferai parler.– En es-tu sûr? dit Loupiac dont le front

se plissa.Je la ferai parler ou disparaître.

A un moment donné, on vit briller commeun éclair d'acier aux mains de Loupiac.

Oh ça ? dit Jean avec un sourire mé-prisant.

– Si c'est le seul moyen?– Je te croyais un garçon d'esprit.– J'aimes jours, répondit Loupiac devenu

sombre.– Eh bien puisque tu me dis ce que tu

serais homme à faire, je vais te dire à montour ce que je ferai, moi, car ne compte pasque je renonce à mon trésor et que je mecondamne à l'inaction. A partir d'aujourd'hui,je vais te dénoncer à la bande de Jean de la

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Réole, comme ayant volé l'argent commun,l'argentde tous, l'argentqui est sacré. RéSé-chis-y bien, Loupiac. Ce n'est pas peu dechose d'être mis à l'index de la bande à Jeande la Réole c'est une inquisition autremenIj

sérieuse que l'autre. Ne crois pas y échapper.Tu as eu tort d'entreprendreune lutte où tues seul et où tu succomberas fatalement. Leciel m'est témoin que je t'ai prié, adjuré, sup-plié. Prends garde, Loupiac. Une fois sou&la surveillancede la bande dont tu as fait par.tie, tu vas être ~M du matin au soir, depuisle moment de ton réveil jusqu'à l'heure deton coucher. La bande à Jean de la Réoleaura pour auxiliaire la police municipale etla police du gouvernement, avec moi pourchef. Au cas où ta résistancese prolongerait;on peut te séquestrer dès demain et te prendrepar la famine. Loupiac, ce verre de vin. estprobablementle dernier que nous échangionsensemble.Nous allons suivre deux voies op-posées. Ennemis désormaisl J'aurais pu com-mencer aujourd'hui le combat; j'ai ton man-dat d'amener eh poche, et, six hommes à laporte. Mais je veux te laisser jusqu'à demain

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le temps de la réflexion. Tu es averti, tafemme aussi,-qui nous écoute derrière cetteporte.

A présent, Loupiac, adieu.

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XXI

Stupeur bien justinée du couple Loupiac-Peyrecave

Que devaient-ils faire?Devaient-ilsrenoncer aux quatre cent mille

livres qui étincelaient au fond de leur cav[i ?7

Loupiac aurait été tenté de dire oui, de-

vant les menaces de Jean de la Réole, –mais madame Peyrecave disait non et préten-dait risquer le tout pour tout.

L'important était de transporter de lacave bord de la goëlette les tonnelets rem-plis de bijoux et jouant les fûts d'alcool,

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subterfuge renouvelédes Mille e~ une Nn~s.Ce transport ne pouvait s'effectuer que la

nuit, au moyen d'un canot discret, monté

par des hommes ûdèles.Il n'y avait pas de temps à perdre, car il

et&it probable que Jean de la J~eole, piqué aujeu, allait déployer toutes les ressources de

son esprit. Déjà même Loupiac se sentaitconsidérablement gêné par les agissementspublics ou secrets des agents mis à sestrousses. Comme Jean le lui avait promis,

ses émissaires ne le perdaient pas de vue unseul instant, et il ne pouvait faire un passaisies sentir à cote de lui.

On attendit donc et l'on choisit une nuitbien ténébreuse, imprégnée d'un de cesbrouillards épais à couper au couteau. Toutavait été habilement préparé; les passeportsavaient été pris pour Amsterdam, sous deuxfaux noms.

Donc, après minuit, l'évasion des deuxcomplices fut résolue, à l'heure uu, le longdes quais, les surveillants et les gens de

douane cèdent au sommeil, blottis dansleurscapotes d'uniformes.

Page 273: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

C'était un spectaclefantastiqueque de voircette embarcation filer comme une flèchesombre à travers cette forêt de vaisseaux im-mobiles. On n'entendait pas le bruit des ra-meurs. A l'arrière, Loupiac tenait la belle caba-

retière enveloppéedans un vaste manteau. Ilsn'échangeaient aucuneparole. On eût dit des

ombres ne trahissant leur existence que pardes mouvements confus et se dirigeant versun pays invisible.

On toucha à la goëlette où personne nesemblait veiller, et où cependant il se trouvadu monde pour recevoir la riche et mys-térieuse cargaison soiguctisement dissi-mulée.

On était au petit jour quand la TulipeNoire appareilla.

Les deux fugitifs avaient passé. le restede la nuit la tête de l'un sur l'épaule de l'au-tre, – en proie à une inquiétude qui allaits'évanouissant à mesuré qu'ils s'éloignaientde Bordeaux.

Le soleil qui se leva sur les larges eaux dela Garonne dissipa les dernières transes qu'ilspouvaient éprouver. Maintenant il leur pa-

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raissait impossible d'être poursuivis. Et ce-pendant ils tressaillaient et se cachaient

comme malgré eux. Involontairement, lors-qu'on passa près du phare de Cordouan,ils se réfugièrent, dans l'intérieur du. na-vire, comme s'ils craignaient d'être reconnusà distance.

Dès ce moment, le voyage se fit le plusheureusement du monde. Avec la sécurité,le repos était revenu; et, avec le repos ber-ceur les beaux projets d'avenir, les rêves iri-sés et flottants. Certains d'être inconnus, ilsallaient pouvoir se défaire impunément deleurs bijoux, la Hollande n'était-elle pasle pays par excellence des riches vendeursisraélites, des brocanteurs à bonnets fourrés,des alchimistes, des marchands à la mode dede Rembrandt, des orfèvres brodés d'or surtoutes les coutures ?P

Pendant qu'ils voguaient ainsi vers laVenise du Nord, que se passait-il à Bordeauxaprès le départ de la 7't~tpe Noire? Jean dela Réole avait étéf~ppé comme d'un coup dofoudre de la double disparition de Loupiac etde madame Peyrecave. L'humiliation qu'il

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-en ressentitfut cruelle et profonde; son pres-tige allait s'en trouver sensiblement amoin-dri. Et toute la bande à Jean de la Réole qu'ilavait inutilement dérangée, et qu'il fallait

renvoyer à présent1 Et ce Loupiacqu'il avaitcalomnié!Fanfaronnade'Mensonge!–Com- y

mentSernin allait-iloserserepresehter devant

le maréchal de Richelieu ? Pourrait-iljamaissortir d'un pareil imbroglio?

Jean ne renonça pas cependant à la dé-couverte de la vérité. Il erra sur plusieursvoies qui retinrent trop longtemps son atten-tion; il aurait mieux fait de consulter les re-gistres de la navigation, ce dont il s'avisatrop tard. Il y aurait appris la date du dé-part de la Tulipe Noire pour Amsterdam,emportant à son bord deux passagers ins-crits sous les noms de « M. et madameGiraud ?..

Enfin, un des premiers jours de mai 1789,la goëlette la Tulipe Noire fit son entréedans le port d'Amsterdam. La matinée s'an-nonçait comme une des plus belles du prin-temps. Au moment où M. et madame Giraud,gais et souriants, mettaient le pied sur la terre

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nolla,ndaise,ils virent se dresser devant euxun jeune homme qui semblait les attendredepuisquelque temps avec impatience..C'était Jean de la Réole.

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ÉPILOGUE

La Tulipe NoM'e dut restituerson précieuxbutin.

Muni de tous les pouvoirsde la comédiennedépossédée, et assurée de la protection de

toutes les autorités étrangères, le sieur Ser-nin conduisit à bien cette opération difficile,

pour laquelle il eut besoin d'environ troissemaines.

Si habile négociateur qu'il se montrât, il nelui en fallut pas moins pactiser avec Loupiac,qui menaçait de dévoiler aux magistrats lapersonnalité équivoquede l'agent dela Clair-ville et du gouverneur de la Guienne, agentdont les antécédents judiciaires lui étaient

connus, Sernin dut donc abandonner unepart du trésor de la Clairville. A quoi,

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de son côté, eût servi à Loupiac de dé-noncer son ancien complice? Largement dé-sintéresse, le couple Loupiac-Peyrecaveeutdonc dé quoi s'en retourner sur le soi bor-delais où il avait laissé le meilleur de sessouvenirs amoureux et de ses crus médoc-quins. Tous les deux vécurent heureux et trèsvieux, ce qui leur permit d'assister à la pros-périté ,de plus en plus croissante du Reposdes Nauî~a~euïs.

Le maréchal de Richelieu tint parole àSernin en le prenant comme secrétaire par-ticulier, – et surtout très particulier, –pendant tout le temps qu'il resta gouverneurde la province de Guienne. Pauvre gouver-neur Bordeaux ne nt pas trop d'efforts pourle retenir; Bordeaux était las de son vice-roi.Et lui sentit qu'il avait fait son temps et qu'ildevait retournerà Paris, – pour y reprendreses fonctions de premier gentilhomme de lachambre du roi et de surintendant,de la Co-médie-Italienne. La Comédie-Italienne luitenait principalement à cœur,

Mais, une fois à Paris, on le trouva déci-dément vieilli, usé, fané; rien n'y fit

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plus, ni le musc, ni l'opium. Son procèsavec madame de Saint-Vincentacheva de leperdre de réputation.

Dans un de sés voyages à Paris, il se ren-contra avec Voltaire, mais il n'y eut qu'unseul triomphateur. Et cependant Voltaire luiavait écrit ce billet suprêmement ridicule y

« Je vous attends avec l'inquiétude d'un vieit.lard qui n'a pas un moment à perdre, et l'Im-patience d'une jeune ûlle pressée d'embras-

ser son amant. nIl y avait non seulement entre ces deux

squelettes ambulants un échange de ma-mours, mais encore le grand seigneur en-voyait au poète un mélange de ses drogueset de ses opiats. On a mêmeprétendu quec'était une dose beaucoup trop forte de sesmarmelades qui avait accéléré la mort del'auteur d'h-< « Ah! mon cher docteur!criait Voltaire dans les bras de Tronchin,faites-moivivre, je vous en prie, faites-moivivre 1 »

Et le maréchal de Richelieu, écoutant cerécit de la bouche du même médecin, disaiten lui frappant sur l'épaule « Soyez tran-

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'quille, ami Tronchin, je ne ferai pas l'en" v

fant comme lui!»Il ne fit pas l'enfant, en effet. Il perdit gra-

duellement la mémoire et le jugement; cefut tout. Son dernier soupir s'exhala dans unmadrigal & la duchesse deFronsac,enl8T8,la veille de la Révolution. Il avait quatre-vingt-douze ans. Ainsi s'éteignit une desplus brillantes' immoralités du xvm" siècle.

Son fils Fronsac ne lui survécut pas long-temps trois ans à peine – il mourut enémigration.

Deux autres acteurs de cet épisode Serninunit & Bordeaux, dans un emploi obscurde la préfecture de police. C'était tout cequ'il méritait. Il guérit de son caprice pourla Clairville en le satisfaisant, Quantà elle, à cette Clairville, son histoire futcelle de toutes les étoiles de province. Aprèsavoir fait les beaux soirs de Bordeaux, ellealla faire les beaux soirs de Lyon, de Mar-seille, de Nantes; – et puis, de ville enville, on la vit tomber successivement dansdes trous, à Montargis, à Rethel, à Péronne,à Saint-Malo. En dernier lieu, sous l'Em-

Page 281: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

pire, elle tint unhôtel garnipour les officiers.Le reste ne vaut pas l'honneur d'être

~o)~m~Le seul homme que nous étions sur le

point d'oublier, et le seul qui mérite qu'ons'occupe de lui, celui par le nomduquel s'ou-vrent les premiers feuillets de ce livre, c'estVictor Louis, l'immortel architecte du Grand-Théâtre de Bordeaux, le premier théâtre deFrance. Louis un ouvrier de génie en mêmetemps qu'un pauvre homme tourmenté, har-celé, marchandé, liardé par les jurats, et fina-

Irlement ruiné par eux 1 Louis, qui a bâti un.chef-d'cÈu'Yre.et~quil'on n'apas voulu payerce chef-d'œuvref –Après l'inauguration res-plendissante que nous en avons décrite, onpouvoir croire que ses douleurs allaient ces-ser et qu'il allait entrer désormais, lui et sonmonument, dans la prospérité rayonnante.Erreur! Son théâtre une fois édifié, Loui&

resta malheureuxplus que jamais, et qui pisest, il resta sans travail. Il demanda à cesmêmes jurats une rente de mille écus qui lu~

fut refusée. Revenu à Paris, il se signala pardeux théâtres encore supérieurs la Comédie"

Page 282: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

Française, toujours existante, aux amplesproportions, et l'Opéra de la place Louyois,depuis incendié. Rappelons aussi que, grâceà la protection du duc de Chartres, Louis.renouvela le Palais-Royal, auquel il ajoutases élégantes galeries, qui font songer va-guement à la place Saint-Marc, de Venise.Puis je le recherche et je ne le retrouve plus.Il avait encore de longues années à vivre,

une noble carrière à fournir, il s'arrêta enchemin. Vers le commencement du siècle,il mourut aux environs de Touc~

Triste oh triste

1

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I.–Pfenez~osbiHetsaubureau.II.–D'après un pa~tët. 101:1.–Ledo~e de Bordeaux. ~1

IV. Au voleur! au voteurt. MV.–piguMsdepoMce. 58\I.–Sortis du fortdeHâ. 8iVH.–CbezRoterte. 69

Vm. – Qù l'on voit la bande à Jean de la Réole. J08IX.–LedicdeFronsM. <26X.–LetertfedeFfonsM. 147Xt.–o!tt'cnrevo!ttesdiamants. iM

XII. Retour chez )~ C~trYiUe. ~TXni.–Évanouissement. nexn'.– '9' ·XV. IMXVI.–ColoneUeetchanoinesse. ~05XVII.–Oi.seMxden:ch6~ 2HXVni.–Papamarecha.t. 220XtX.–LagroMedeMinorque. 233XX.–Priez pcureUe. 241XM.–M~ ~MËP~UE.

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Page 295: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

7</M~r~~ ae ûoo aM~~M

Par A. Robidavvv

\OS<P<E'C7~coco

T 'Œuvrede Rabotais est le plus mervei))eux thÈme queJ-~ puisse,rêver un artiste amoureux de la plus pittoresquedes époques; mais à ce tivre.puissant i! faut une' i))ustrationdigne de Fauteur,variéeet etince!antc comme )c texte & inter-prêter.

M. A. Robida a rëso!u ce probtèmeavec son crayon stptein d'originalité,d'imprévu e~ de fantaisie. Il a semé le texte<)e dessins de toutes formes, et en outre a peint des aquarei)esen cou!curs qui sont imprimées hors texte et qui donnent al'ouvrage un attrait de plus.

'0000'/<.v ~r~ ~e~ et ~r~ /or~ yo/KH!M :H-6'.

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C/M~it? fo/!o;:e ~t?<~ y~ t~~r~ ~(trono~

'<de

abelaisi

<

JFjD/TVOJV 7LL~S7~~ DE G~M~D ~X.E;

Page 296: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

Ou~a~ de H. ~obtda y

Le Vingtième sièc!eHistoire d'une Parisienne d'après-demain

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Prix,broche. S5 fr.Prix, bl'oché, 25 fr.'< jRe!iéavec fers spéciaux, tranches dorées 32 fr.

Le Voyage de Monsieur DurnolletOMfrdg'e de /MJ<'e

H-ustré de nombreux dessins noirs et cotoriés de fax~Mf.Prix,broché. 13 fr.Relié, cartonnage à t'angtaise 15 fr.

Voyages très extraordinairesde Saturnin Farandout,

et dans tous les paysconnuset même inconnue

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Texte et dessins de l'auteur.Prix, broche. 10 fr.

La Grande Mascarade Paristenneun fortYotmne avec nombreuses illustrations

Texte et dessins de ~«~«'.Prix, broche, 10 f)-.

Le Portefeuitted'un très vieux garçon

Texte et dessins de /K~«;U~jo)in!bum in-8, cartonne. Pfux. Sfr.

La Tour enchantéeTexte et dessins de l'auteur,

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Page 297: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

Qu~a~ de Dom~ P~ute~

Les Mouve!!es Son~êtes «e ta Sciencellïjuatr~es~dcplus de MO sravures ~or~t'~ tj~e~ se~~e~pf<]tn< <:(tr~ <rCc..

Ouvragecouronné par !'Académie Française.L'ouvrage complet se compose de 4 volumes qui se vendent séparément,brochés:20 francs; rettés avec fers spéciaux 25 francs.Les nouvelles applications de rE!ec-

tricité. – jL'~e~ .e~Mf. Le ~M~oHe. j~KM'crop/tOM. L'électricitéforce motrice. Les expositions <<ec-~<-< t~o~Mte..

?? Grands Turlnels et Railways métr<POHtainS. –– Le <MMK~ dat AfOM~-C~KM. – <M)!M<'< ~MA~onf-Sttt'Hf-CoMar~.– Le <MMC< ~r~cr~. Le tunnel sous-md'rï'Mdu P~C~~tf. – Les fd't'y métropolitains en ~4~terre, ot ~mdr:'9Me, .')t 4Hema~):e et en France. r Volume.

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Page 298: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

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vure~ en couleuret d'un grand nombrede figures noires. Prix, brocha615 francs.

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vures en couleur et d'un grand nombrede figures noires. Prix, broché18 francs.

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Page 299: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

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Page 300: Jean de La Réole : roman nouveau / Charles Monselet

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