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LE ROMAN DE CHARLES TRENET - exultet.net · doucement la pluie en rêvant. Trenet avait su donner à cette attente la légèreté des nuages, avec un rythme dansant de ... Sera loin,

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LEROMANDECHARLESTRENET

NELSONMONFORT

LEROMANDECHARLESTRENET

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Perpignan.

Un jour, un garçonde quatorze ans « tout gai, tout blond,auxmolletsnus,auxjouesdepommes»,l’abordaetluidébitatoutà trac :«Monsieur,vousnemeconnaissezpas.Jesuis lefilsdevotreamiLucienTrenet,notaire.Jesuispoèteetartiste-peintre.Jesuisentroisièmelatin-langues.Etjeveuxjouerdansvotre revue ! » En effet, Trenet peignait avec passion et uncertain talent, cette passion l’habitera toute sa vie. Il peindra,exposera et vendra ses tableaux dès son adolescence àPerpignan.Quantà« larevuedeBausil»,elleavaitunsuccèsconsidérableetattirait toutPerpignan lorsdesa représentationannuelle.La troupepréparait fébrilement l’événement au coursde l’année et le grand spectacle au théâtre de la ville étaitl’apothéosedeceténormetravail.

Cettepremièrerencontre–préluded’innombrablesautres–métamorphosacomplètementlaviedel’adolescentquicherchaitla lumière. Le poète et l’enfant devinrent inséparables. AlbertBausil fit du petit garçon rêveur qui pratiquait ardemmentl’écolebuissonnière,un lecteur insatiable.Grâceà lui,Charlesdécouvritlesgrandsécrivainsfrançais:JulesVerne,Hugo,Zola,Paul Morand… Et les poètes : Verlaine, Baudelaire, MaxJacob… Et se constitua une culture littéraire foisonnante etcopieuse, mais surtout, il va apprendre à se fier à son proprejugement, à ne faire aucune concession à sa liberté. Il puisaitsans compter dans l’immense bibliothèque de Bausil. Il lisaitMauriac,Maurois,mais surtoutMorand, « parce queMorand,c’étaitmoderne».EtBausilencourageaCharlesàpeindre.Illuiorganisa à Perpignan ses premières expositions quirencontrèrentuncertainsuccès.

Charles,quiàcetteépoquen’avaitpasquinzeans,composacomme en se jouant, sa première chanson, qui, telle quelle,restera un classique : au cours d’une soirée chez des amis, ils’installaaupianoetsemitàpianotereninterpellantdetempsentempssonpublic:«Qu’enpensez-vous?»Lachansonsortitpeuàpeudesagangue,gracieuse,parbribesetpritsonenvol.C’était Fleur bleue qui connaîtra bien plus tard un succèsplanétaire.

«Faistavie,écritBausil,n’attendsriendesautres.Crée-toi.Tonpèreet tamère t’ont créédechair.Crée-toid’âme.Forge-toi. Débarrasse-toi des habitudes, des préjugés, des conseilsintéressés, des idées toutes faites. Regarde. Écoute. Médite.Compare.Etpars!»

Et Albert Bausil, le poète régional, qui toute sa vie restaattachéàsonterroir,poussaainsihorsdunid,aprèsl’avoirgavéde poésie et de culture, après l’avoir campé fièrement sur sesergots,unpoèted’envergureinternationalequiallaitprendresonenvolàpartirdeParis.

ParisetTrenet…unelongueetbellehistoired’amourallaitcommencerquines’éteindraitqu’aveclamortdupoète.

CHAPITREII

YAD’LAJOIE!

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music-hall. Pendant un an ils travaillèrent d’arrache-pied pourpréparer leur numéro. Souvent, mais pas toujours, les parolesétaient deTrenet et lamusique de JohnnyHess.Dès qu’ils sesentirent prêts, ils se mirent à la recherche d’un engagement.Leur duo, qui devait connaître une certaine notoriété, était aupoint,ilsallaientenfinlemettreàl’épreuvedupublic.

Ilsfrappèrentd’abordàlaported’HenriVarna,lepatronduPalaceetduCasinodeParis.Deprimeabord,celui-cinefutpastrèsconvaincuparceduodontlamusiqueneressemblaitàriende connu dans la chanson française de l’époque. Ce swingtoniquetranchaitétrangementsurlamédiocritéambiante:rienàvoir avec les roucoulades à la Tino Rossi, ni avec la gouaillefaubouriennedeMauriceChevalier.C’estJoséphineBakerqui,dufonddelasalleoùelleassistaitàl’audition,lesfitengager:« Prends-les, ils sont si mignons ! » s’écria-t-elle. JoséphineBaker était la coqueluche de Paris, elle dansait nue ou plutôttout simplement vêtue d’une ceinture de bananes. Ellebouleversait les foules parisiennes, Varna ne pouvait rien luirefuser.EtvoilànosduettistesdevingtansadmisàseproduiredanslarevueParisMadridsurlascèneduPalace.

Leurs débuts furent difficiles. Les pauvres chanteursnéophytes, qui n’avaient droit qu’à quatre chansons, passaienten tout début de programme, devant un parterre vide. Lesspectateurs commençaient à arriver à la finde leurnuméro. Ilsavaient beau s’époumoner, leurs voix se perdaient dans larumeuretlebruitdeschaisesdesnouveauxarrivants.Bref,leurpassage était nul et non avenu. Les amis venus les applaudirn’arrivaient même pas à les entendre. Découragés, trois joursplustard,ilsdécidaientdeseretirer.

En face du Palace, dans la rue Notre-Dame-de-Lorette, setrouvait Le Fiacre, un cabaret tenu par le chansonnier RenéGoupilquiétaitaussilavedettedel’établissementsouslenomd’O’Dett.Àlafoisclown,chanteuretcamelot,O’Dett,dontlaspécialité était le transformisme, triomphait avec des coupletsauxsous-entendussalacesousatiriques.Onapeineàycroireenécoutant les enregistrements d’O’Dett – sa voix grasseyante etfausse, ses chansons indigentes – mais, Tout-Paris venaitl’entendrechantersonfameuxBouffémonttsoin-tsoin:

EntreParisetPontoiseIlexisteauxenvirons

UnpatelinenSeineetOiseQuis’appelleBouffémont.Monamivientd’yacheterUnevilla,etchaqueété,

IlpassesesjournéesentièresàBouffémont–tsoin-tsoinIldélaissemêmesesaffairespourBouffémont–tsoin-tsoin[…]Sonseulplaisirdanslavie,c’estBouffémont–tsoin-tsoin.

Les artistes qui se produisaient au Fiacre étaient descélébrités de l’époque : la grande Fréhel, Irène de Trébert,Georges Lambros (futur Georges Guétary), Léo Marjane.«CharlesetJohnny»sejoignirentàcettetroupe.

Lerépertoiredesnouveauxduettistesétaitdifférentdeceluides chanteurs à succès de l’époque. Les seules chansons quitrouvaientgrâceàleursyeuxétaientcellesdeMireille,unetoutejeunechanteusequicomposaitseschansonsetlesinterprétaitde

son filet de voix acidulé avec son partenaire Jean Nohain :Couchés dans le foin, Le Jardinier qui boite, Puisque vouspartez en voyage, des mélodies douces et légères, des textestendresetmutins,unefraîcheur,unesaveurvraimentnouvelles,toutpourplaireàTrenetquin’aimaitrientantquel’harmonie,lafantaisie et la simplicité. Outre leurs propres compositions,CharlesetJohnnyinterprétèrentSurleYang-Tsé-Kiang,untextetrèsdrôledeBausilmisenmusiqueparJohnnyHess.IlsfirenttantetsibienleursgammesauFiacrequelacélébritéarriva.Ilsladevaientàleurtalent,biensûr,àceschansonsquicreusaientleur propre sillon dans l’air du temps et qui, en définitive,convenaient parfaitement à la légèreté de l’époque. Mais, ilsdevaientbeaucoupaussià lagénérositédeleuramiO’Dettquiétait bien plus que ne pouvait le laisser croire son personnaged’histriongrotesqueetvulgaire.

En effet, O’Dett n’était pas simplement un bouffon, il fitpreuved’uncertaincourageenselivranten1940àuneimitationextraordinairedeHitleren folle. Inutilededirequecenumérone fit pas rire les occupants. O’Dett dut quitter Paris et seréfugia en zone libre jusqu’à la fin de la guerre. Charles etJohnny passaient après le tour de chant d’O’Dett, ils purentainsi se faire entendre par les célébrités qui se pressaient auFiacre : Harry Baur, Francis Carco, Jean Wiener, MauriceChevalier,JoséphineBaker…IlssefirentpeuàpeuunnometsignèrentchezPathé-Marconiuncontratd’exclusivitépourtroisans. C’est au Fiacre que Charles et Johnny rencontrèrent leurpremierproducteurquiétaitaussiceluideFréhel.

En1935,CharlesetJohnnyquittèrentleFiacre.Ilsyétaiententrés pour deux semaines, ils y restèrent un an. Ils étaientdésormaisconnusdupublic,de lapresseetdesprofessionnels

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Lapendulefaittic-tactic-tac

Lesoiseauxdulacfontpicpicpicpic

Glouglougloufonttouslesdindons

Etlajolieclochedingdindon

Mais…

Boum

QuandnotrecœurfaitBoum

ToutavecluiditBoum

Etc’estl’amourquis’éveille.

Boum

Ilchante«loveinbloom»

AurythmedeceBoum

QuireditBoumàl’oreille

Toutachangédepuishier

Etlarueadesyeuxquiregardentauxfenêtres

Yadulilasetyadesmainstendues

Surlamerlesoleilvaparaître

Boum

L’astredujourfaitBoum

ToutavecluiditBoum

QuandnotrecœurfaitBoumBoum

Leventdanslesboisfaithouhouhou

Labicheauxaboisfaitmêmêmê

Lavaissellecasséefaitcriccrincrac

Etlespiedsmouillésfontflicflicflac

Mais…

Boum

QuandnotrecœurfaitBoum

ToutavecluiditBoum

L’oiseauditBoum,c’estl’orage

Boum

L’éclairquiluitfaitboum

EtlebonDieuditBoum

Danssonfauteuildenuages.

Carmonamourestplusvifquel’éclair

Pluslégerqu’unoiseau,qu’uneabeille

Ets’ilfaitBoum,s’ilsemetencolère

Ilentraîneavecluidesmerveilles.

Boum

LemondeentierfaitBoum

Toutl’universfaitBoum

Parc’quemoncœurfaitBoumBoum

Boum

Jen’entendsqueBoumBoum

ÇafaittoujoursBoumBoum

BoumBoumBoum…

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était tout à faitpersonnel et trèsmaîtrisé. Il ne laissait rienauhasard, et en même temps, il semblait tout faire le plusnaturellement dumonde. Jamais on ne sentait chez lui l’effortou le travail. Pourtant, malgré les grandes facilités qu’il avaitdanssonmétier,c’étaitavant toutunprofessionnel.Enstudio,souvent il ne faisait qu’une prise, car il arrivait sachantparfaitementsachansonetsoninterprétationétaitmiseaupointdanslesplusinfimesdétails.

Trenet était unmélodiste de génie. Il avait toujours refuséd’apprendre le solfège, cela l’ennuyait. Il dictait sescompositions qui lui venaient entières, paroles et musiquesimultanément, et d’oreille. Il rodait ses chansons avec sonpublic. Si après quelques essais, une de ses créations ne« prenait » pas, il l’éliminait et ne l’enregistrait pas. C’est lepublicquifaisaitsonproprechoix.Et,ilnesetrompaitjamais,disaitCharles.

Commetoujours,ilavaitcomposéunemerveilleusechansonquiexprimaitparfaitementlemomentquevivaientlesFrançais,lecôtéfeutré,unpeuléthargiquedela«drôledeguerre»,quiauraété,letempsdel’attenteinterminable,letempsdel’espoiret de l’angoisse, le temps de l’insouciance, de l’illusion, durefusdevoirqu’uneterriblepluiedefeuetdeferallaits’abattresurlaFranceetsurl’Europetoutentière.Onseréfugiaitdanslatiédeur de la chambre à coucher et on écoutait tomberdoucement la pluie en rêvant. Trenet avait su donner à cetteattente la légèreté des nuages, avec un rythme dansant declaquettesdansunechanson,bondissanteetdrôle:

Ilpleutdansmachambre.

J’écoutelapluie,Doucepluiedeseptembre,Quitombedansmonlit.

Lejardinfrissonne.TouteslesfleursontpleuréPourlavenuedel’automneEtpourlafindel’étéMaislapluiefredonneSurunrythmejoyeux.Tipettapettiptopettip

EttiptipettipEttiptopettap.

Voilàcequ’onentendlanuit.Pendantquetombelapluie.

DemainlejourfleurirasurvoslèvresMonamouretlapluiequicalmenotrefièvre

Seraloin,trèsloindanslamer,Voguantsouslecielclair.

Demain,lesboisaurontfaitleurtoiletteEtlestoitspeintsdefraisaurontunairdefête.

Lesoiseaux,contentsdeceshampooing,Neseplaindrontpoint.Ilpleutdansmachambre.Ilpleutdansmoncœur.Doucepluiedeseptembre,ChanteunairmoqueurDanstoutelacampagne.

PoussentdebeauxchampignonsEt,danslamontagne,Leventjoueduviolon…TousleschatsdegouttièreDansent,chantentenrondTipettapettiptapettipEtfutfutmiaouetticEtpicpacettoc.

Voilàcequ’onentendlanuit.C’estlachansondelapluie.

Trenet avait chanté ce refrain charmant et farfelu tout aulong de son périple à travers la France, pendant les huitmoisquedurerale«tempsdéraisonnable»deladrôledeguerre.Etsonpublicreprenaitenchœur:

TipettapettiptopettipEttiptipettip

EttiptoptopettapVoilàcequ’onentendlanuitPendantquetombelapluie.

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Situvoismonbistrot

Etmastationd’métro

SituvoisrueLepic

MaconciergeSylvie

Dis-leurqu’unjourviendra

P’t-êtredemain,onn’saitpas

Oùjer’viendraichezmoi

Oùj’pourrair’voirtoutça

Pourlavie.

…SituvasàParis

TuverraslesTuileries

L’Opéra,lesboulevards,

Notre-DameetlaSeine,sibelle.

Tuverrasdansleciel

NotrebonnevieilletourEiffel

Tuverrasmagrandevillesanségale.

ÀbientôtplaceClichy

Àbientôtlesamis

Monpays,monquartier,toiMontmartre…placePigalle.

Le peuple de Paris et les résistants s’emparèrent de lachanson et en firent unbrûlot. «Si tuvas àParis »devint unsignederalliementclandestinpourceuxquiaimaientleurvilleàenmourir.

CHAPITREV

QUERESTE-T-ILDENOSAMOURS?

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Lamerqu’onvoitdanserlelongdesgolfesclairsAdesrefletsd’argent,lamer

Desrefletschangeantssouslapluie

Lameraucield’étéconfondsesblancsmoutonsAveclesangessipurs,lamer

Bergèred’azurinfinie

VoyezprèsdesétangscesgrandsroseauxmouillésVoyezcesoiseauxblancsetcesmaisonsrouillées

LamerlesabercéslelongdesgolfesclairsEtd’unechansond’amour,lamerAbercémoncœurpourlavie

Lamerqu’onvoitdanserlelongdesgolfesclairsAdesrefletsd’argent,lamer

Desrefletschangeantssouslapluie

Lameraucield’étéconfondsesblancsmoutonsAveclesangessipurs,lamer

Bergèred’azurinfinie

VoyezprèsdesétangscesgrandsroseauxmouillésVoyezcesoiseauxblancsetcesmaisonsrouillées

LamerlesabercéslelongdesgolfesclairsEtd’unechansond’amour,lamerAbercémoncœurpourlavie

1943aétéuneannéehorribleenFranceetdanstoutel’Europeoccupée.L’Allemagnenazieetsesalliés,harcelés,cernésdetoutesparts,acculéssurtouslesfronts,n’avaientplus

aucune vergogne. Ils le savaient, ils étaient en train de perdrecetteguerrequ’ilsavaientalluméeauxquatrecoinsdumonde.Aussi, leur rageneconnaissaitpasdebornes : ils terrorisaientlespopulationsdespaysqu’ilsoccupaientetlesréduisaientàunquasi-esclavage pour obtenir d’elles les ressourcesindispensables à leur dernier effort de guerre. Impossible dejustifier leurs exactions. D’ailleurs, ils ne se préoccupaientmême plus de se construire une image positive ! Leur simpleprésencedanschaquevilleouvillagesignifiaitmassacres,violsetpillages.

MaisonchantaitencoreenFranceaucoursdecesannéesdehaine. On chantait même beaucoup. Des complaintes, deschansons qui racontaient l’attente des femmes et le désespoirdeshommesencaptivité.C’estalorsqueTrenetécrivit«Quandtureverrastonvillage»queTinoRossichanta:

QuandtureverrastonvillageQuandtureverrastonclocher,

Tamaison,tesparents,lesamisdetonâgeTudiras«Rien,chezmoi,n’achangé!»

Quandtureverrastarivière,Lesprésetlesboisd’alentour

EtlebancvermouluprèsduvieuxmurdepierreOùjadistuconnustesamoursTabellet’estfidèleetbiensage

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Unpetitséjourd’unmoisRevoirParis

EtmeretrouverchezmoiSeulsouslapluie

ParmilafouledesgrandsboulevardsQuellejoieinouïe

D’allerainsiauhasardPrendreuntaxi

QuivalelongdelaSeineEtmerevoici

AufondduboisdeVincennesRoulantjoyeux

VersmamaisondebanlieueOùmamèrem’attendLeslarmesauxyeuxLecœurcontent

MonDieu,quetoutlemondeestgentilMonDieu,quelsourireàlavie

MonDieu,merciMonDieu,mercid’êtreiciCen’estpasunrêve

C’estl’îled’AmourquejevoisLejourselève

EtsèchelespleursdesboisDanslapetitegare

Unsémaphoreappellecesgens

TouscesbravesgensDeLaVarenneetdeNogent

BonjourlavieBonjourmonvieuxsoleil

BonjourmamieBonjourl’automnevermeil

JesuisunenfantRienqu’unenfant,tusaisJesuisunpetitFrançaisRienqu’unenfantToutsimplement

Partir!Partirvite,loin,surunairdejazz.Findesannéessombres, début de la décennie cinquante, Charles se sentpousser des semelles de vent et des ailes dans le dos

commesursesportraitsdessinésdeCocteau.Ila toujoursrêvédes’envolerailleurs.Justeavantlaguerre,ilasignédescontratspourdestournéesàl’étrangerqu’iln’apuhonorer.Lemomentest venu de sauter dans un avion…pour la première fois !Lemonde entier l’attend à commencer par l’Amérique du NordpourunepremièretournéeauxÉtats-Unispuis leCanadaoùilestdéjàconnuetaimé.

Il débarque àNewYork en avril 1946 après une traverséemouvementée : un des moteurs du quadriréacteur DC4 d’AirFranceprendfeu.Charlesracontequ’enapercevantlesflammesparlehublot,au-dessusdel’Atlantique,ils’estunpeualarméets’est immédiatement rassuré lorsqu’on lui a expliqué qu’il enrestaittrois!Maissaplaciditéenracontantl’histoireestfeinte,ilavouequ’ilaeuunefrayeurmémorablependanttoutleresteduvolquiàl’époqueduraitplusdedixheures…

PourlesAméricains,lamusiqueenFrance,c’estlapolkaetl’accordéon…Lorsqu’ils’enaperçoit,ilestunpeudéstabilisé:jouer«LaMer»enpolka?Pasquestion.Mais lesmusiciensd’abord, le public ensuite, sont immédiatement enthousiastes :unaccentfran-çaisaveclerythmeetlessonoritésdujazz,c’estla séduction même. Le Plaza, le Persian Room, l’Ange Bleu,l’Embassy,leVaudeville,autantdelieuxdelanuitnew-yorkaiseoùilseproduitaveclemêmesuccès.IlestadoptécommeseulslesAméricainssaventlefairelorsqu’ilsaiment:onsel’arrache.Ilest invitépartout,ovationné lessoirsdepremièrecommelesstars, il dineavecClarkeGable, fait unbœufavecSinatra, estinvité par Duke Ellington. Charlie Chaplin et Mary Pickford

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Alorsparfoissesprochess’étonnent:Pourquoicettefrénésiedetournées,degalas,deconcerts?D’unesalleprestigieuse, il seretrouvedans une bourgade, il chante àBroadway et dans despatelinsperdus,pourquoi?Iln’apasbesoind’argent,lesdroitsd’auteurs tombent chaque jour plus sonores dans sonescarcelle!Envérité,çal’amuse.Illereconnaît,iln’apasenviedevivre commeun retraité. Il est trop jeunepour ça. Il est unenfantcurieuxetémerveillé.Chaquesoirée,chaquegala,chaquevoyageluidonnentdesidées,éveillentsoninspiration.

Pendant ce temps-là, un jeune Américain à la chevelurenoiregominéeenbanane,auregarddevelourssortsonpremier45 tours : That’s all right mama. Elvis Presley apparaît etbouleverselemondeentier:ons’arrachecettepetitegalette,lesfilles pleurent, hystériques, en l’écoutant et son premier grandconcert à Jacksonville dégénère en pugilat. Cette fois, unenouvelle génération de chanteurs va déferler et le poète sentvibrerlesolcommelorsqu’arriveletrainàvapeurengaredeLaCiotat.Àvraidire,ilnevoitpastantladifférence,ilnecessedese déplacer de tournées à l’étranger en galas : trois années desuiteàl’Olympiapuisàl’AlhambraetauThéâtredel’Étoile.Ledébut des sixties le voit partir de nouveau en Amérique maisaussi en Russie et en Scandinavie. On raconte, parmi desversionstoutesdifférentes,quec’estàCopenhaguedansunparcqu’ilaeul’idéepuisacomposé,commed’habitude,aufildelaplume,sansunerature,son«Jardinextraordinaire».

Mais Charles n’est jamais là où on l’attend. Après tantd’échappéesdeparlemonde,levoiciquirevient,pour«RevoirParis»,plusexactement:

AufondduboisdeVincennesRoulantjoyeux

VersmamaisondebanlieueOùmamèrem’attendLeslarmesauxyeuxLecœurcontent.

Enfacedel’îled’Amour,surleborddelaMarne,samère,c’est vrai, l’attend. Ils se sont beaucoup écrit, beaucoup parlépartéléphone(«Etquelleheureest-illà-bas?Tuessûrequetunevaspasprendrefroid?»).Ilsontl’unetl’autrebesoind’êtrecôteàcôte,mêmesionsaitqueleursrelationstiennentsouventà des chipotages enfantins avec parfois des fâcheries quienvoientchacunbouderdanssamaison:elleàlaVillaMédicis,luidanssa«Maisondupoète»…pourmieuxseretrouver.

CHAPITREVIII

MOIJ’AIMELEMUSIC-HALL

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Kangourou,kangourou,Mongentilkangourou

Auxyeuxverts,aupoilroux,Ont’aimaiticibeaucoup.Ont’avaitrapporté

Dupaysdesgrandsétés,D’Australie,Dansunlit,

Unpetitlitdepaillebienjoli.Kangourou,kangourou,

Lespremiersjoursfurentsidoux.Tusautaiscommeunfou,Gambadantunpeupartout.

Souslesarbres,dansleursfleurs,Tufaisaislejolicœur.

LesvoisinssanscourrouxDisaient:«Qu’ilestgentil,cekangourou!»

Tugrandis,tugrandis.Lejardindevinttropp’tit.

Àlafin,rassasiéDejoueràsaute-rosier,Saute-lilas,saute-gazon,Unbeaujour,tufisunbondEtfranchit,c’estmalin,

LemurdelamaisondeSaint-Paulin.

UngendarmequipassaitS’écria:«Maisqu’est-c’quec’est

Quecegroslapind’chouxQuisautelemurdechezvous?»

Jeluidis:«Celapin,M’sieurl’gendarme,c’estuncopain.»

Sansm’entendre,ilt’emmènePourt’enfermerauzoodeVincennes.

NousvenionslejeudiT’apporterdesfruitsconfits.Tristement,turegardais

LesbadaudsquitebadaientEttonexilsemblaitdire:

«Est-cebienvraiouest-cepourrireOupourfaireunechanson

Quetum’asfaitjeterdanscetteprison?»

Vintl’automne,lesjoursfroidsEtjecompriscejour,mafoi,

EnvenantunjeudiQuetuallaismourird’ennui.

J’eusalorsduchagrinDet’avoirramenédesiloinSanssavoirquetonbonheur,

C’étaitdevivreaupaysdetoncœur.

Kangourou,kangourou,Tupartis,gentilcommetout,Pourdeslieuxmerveilleux

Oùl’onvoitpasserl’BonDieu,Maisparfois,quandlesoleilBrisedesesrayonsvermeilsLapluiefinedumoisd’août,

Jecroistevoirlà-haut,monkangourou.

Librement,librement,Tugambadesaufirmament.Surdebeauxnuagesperché,Tut’amusesàsaute-clocher,Sauteletoitd’lamaison,

Sautelesversdemachanson,Loindescages,desverrous

Etsansrancunepourmoi,monkangourou.

«EtpuischezTrenet,poursuitEddy,ilyaussicetteenviedebouffer la vie. D’ailleurs c’est un vrai bon vivant, c’estquelqu’unquisetientàtableetquisaits’asseoiràuncomptoir.Maiscequiestfantastiquechezlui,cen’estpasseulementlesgrandeschansonsreprisespardetrèsgrandschanteurs,ilyaussises chansons qui swinguent un petit peu et qui racontent deshistoiresextraordinaires…»

Trenet,lorsqu’onluirapportelesproposd’Eddy,remarque:«Ilyatrenteans,onm’appelaitle“Fouchantant”parcequ’onaétésurprisparlerythmedemeschansons,parleurdynamisme.

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cousines, parlent lamême langue, usent desmots identiques :nuances,tonalité,ambiance,climat,rythme,fougue,couleurs».Questiond’école?Malgrél’autoritépaternelle,ils’estdéfilé.Ill’avouedansunechanson:

Àl’écoledesBeaux-artsJevivaiscommeunlézard

Jen’foutaisriensoiretmatinJ’passaisletempsàfairel’idiotd’vantlescopains

Le grand enfant n’écoute personne que son piano et soninspiration.Etils’amusefollementdepuissesdébuts.Mêmelesenregistrements qui, pourtant, ne sont pas particulièrementdivertissants, qui manquent de l’excitation de la scène et dupublic,même le studioensolodevant sonmicro lemettentenjoie.Ilsuffitpours’enrendrecomptedeleregardertravailler.Ilestcommeunpoissondans l’eau :heureux,détendu, léger ! Iljette les notes avec un regard amusé, les yeux brillants, lamusiquelebalance.D’ungeste, il laisse tomber lesfeuillesdutexte au fur et à mesure de l’enregistrement. Cette aisance,apparente absence d’application ou de concentration, estfascinante à voir, d’autant plus qu’il ne fait qu’une ou deuxprises,reprenantàunmomentsonpianistepourluiindiquerunmouvement avec des explications non pas techniques mais enquelques mots simples pour le faire mieux entrer dans lachanson. Il aime écrire, il aime la musique, il aime chanterdepuistoujours.Sonmétierestsonamusementpremier.

Soudainon l’envie ! Il traverse lavie regard rieur,chapeaurond,œilletrougeà laboutonnière,nesefiantqu’àsa logiqueenfantine.Certesils’estdonnélesmoyensdesesambitions:sa

richesseluipermetdetoutinventer.Blagues,jeuxdemots,fêtesentre amis interminables et drolatiques, châteaux et maisonscocasses, automobiles comme autant de jouets. Dans sonunivers,ilestinterditd’interdire,lescanardsparlentanglais,lesoleil croise la lune… Un jardin extraordinaire, subtil etcharmantgardéparlui,«angedubizarre»,lejardind’unenfantbiendécidéàlerester.

CHAPITREX

LAJAVADUDIABLE

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Bourges.Ilsortdescèneépuiséetragaillardi:«Bourges,lance-t-il,c’estBogomoletz!»Çanelefaitpasreveniraumusic-hall,dumoins en France car sa tournée d’adieu l’emmène pour unquasi-tour du monde, des États-Unis au Japon en passant parl’Italie,l’Espagne,l’Allemagne.Ilprendsontemps:sesadieuxdurenttroisans,maisensuite?Ensuite,ilferacequ’ilvoudra,cequisignifiequ’ilselaisseraalleràchanterquandl’envieluiviendra,àBobino,Pleyelouailleurs.Heureusement.

CHAPITREXI

ROUTENATIONALE7

DetouteslesroutesdeFrance,d’Europe

Cellequej’préfèreestcellequiconduit

Enautoouenauto-stop

VerslesrivagesduMidi

Nationale7

Ilfautlaprendrequ’onailleàRome,àSète

Quel’onsoitdeux,trois,quatre,cinq,sixousept

C’estuneroutequifaitrecette

Routedesvacances

QuitraverselaBourgogneetlaProvence

Quifaitd’Parisunp’titfaubourgd’Valence

Etlabanlieued’Saint-Paul-de-Vence

Lecield’été

Remplitnoscœursdesalucidité

Chasselesaigreursetlesacidités

Quifontl’malheurdesgrandescités

Toutexcités

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CHAPITREXII

NARBONNE,MONAMIE

Narbonne,monamie,

Douceurdespremiersjours,

Cesoirfaitl’endormie

Àl’ombredesestours.

Etsouslalunepâle,

Jemarcheallègrement

Danslanuitprovinciale

Decedécorcharmant.

Personnenemeremarque,

Jepasseendeuxvilles

Etsoudainjedébarque

Surlesbarquestranquilles.

LarueduPontm’accueille

Et,gentiment,medit:

«Tuvois,lesjourss’effeuillent,

Adieu,monvieuxpetit!»

Bonsoir,larueDroite,

Oùsil’ontourneàdroite

Onretrouvetoujours

L’écoleBeau-Séjour.

Bonsoirquaid’Alsace,

Oùtoutestàsaplace

Commeàlabellesaison

Oùvivaitmamaison.

Narbonne,monamie,

Demain,ilferajour,

Demainchanteralavie

Etfleuriral’amour.

Etmoi,pourdesvoyages

Encore,jepartirai

Avec,dansmesbagages,

Moncœuretsesregrets.

Aurevoir,paysdessonges

Dutempsdemonenfance,

OùlefiacredeMonge

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Enécoutantlecœurbattant

L’airdesesvingtans.

Danslechagrin,ilabesoindesolitudeetdesilence.Luiquivitplutôt en bande, entouré d’amis, de secrétaires,chauffeurs,imprésarios,touteunepetitefoulequiveut

leprotégerdetout,ilnerépondplusautéléphone,n’ouvreplussaporte.Ilresteavecseschats.Quandonréussitàlejoindre,ilmaugrée qu’il a besoin de paix et de tranquillité, qu’il va trèsbien,cequepersonnenecroit.Ilrefusequ’onlevoieenpeine.Latristesseestintime,ellefaitpartiedelui,ilnepeutl’exhiber.Ilvad’unemaisonàl’autre,maistoutesluisontinsupportables:chacuneestempliedesouvenirsquiraviventsonchagrin.

Undesesamis,JacquesPessis,quil’abienconnu,racontedans son livre Trenet, philosophe du bonheur, son étrangeattitude lors des obsèques de Rachel Breton, l’épouse de sonéditeurRaoulBreton.Uneamitiéfilialelesliait:ilavaitdébutégrâce àRaoul et le couple avait hébergéCharles longtemps etl’avaittoujourssoutenu.Aucimetière,touslesartistes,touslesamis,étaientréunis.Charlesétaitabsentetons’étonnaitunpeu.« En fait, il était dans sa voiture, garée à quelque distance. Ilétait présentmais discret. » Il a attenduque tout lemonde aitquitté le cimetière pour venir discrètement à son tour serecueillir sur la tombe. Seul, sans aucun témoin, loin desphotographes.Unedemi-heureplus tard, il rejoignait sesamis,aunombredesquelsPessis,quil’avaientattendu.Ilainvitésesintimes à déjeuner dans un restaurant tout proche sans ajouterunmotdeplus.Et jusquedans la soirée, il a fait rire toute latablée avec les souvenirs de cinquante ans d’amitié avec lesBreton,etRachelenparticulier.Ilneparvenaitpasàserappelerpourquoi et comment il avait baptisé cettepetite femmepleined’énergie, de gaieté « La Marquise ». Il fallait simplement àCharlesunmomentdesilenceetdesolitudeavantderetrouverlemonde. Il envademêmepour le deuil de samère.Mais le

chagrinimmensequ’iléprouveexigeplusdetemps.

Il lit, il réfléchit. Il relit des lettres, trie des papiers,accomplit toutce travailpaperassierquivaavec laperted’unepersonnechère.Etcefaisant,passedeslarmesauxrires,revientaux larmes, jette tout par terre, range à nouveau. Il revoit sonenfance,Narbonne, la grandemaison qu’un nouveau et tendrefantôme va désormais hanter, il se rappelle les vacances à LaNouvelle,etsonadolescence,lesjourspassésàBerlin,Prague,Vienne,leursvoyagesetleurcomplicitéàParis.Ilapprendtoutdoucement à vivre sans elle et peu à peu, note au passage lesidéesetlesmotsdenouvelleschansons.Illuifautdeuxanspourreveniràsavie.

Ilsortunnouveaudisque.C’estsamanièrededonnerdesesnouvelles,deparlerde luietdeMarie-Louiseencoreune fois.Dans ce petit album, une chanson bouleverse, comme uneconversationméditative et douce évoquant un retour dans leurvilledenaissance.C’estunemanièred’hommageetd’adieu.Luiquiasisouventparlédelamortetdesfantômesdesurprenantefaçonmaistoujourslégèrement,ilestprécisdanscerendez-vousultimequ’ildonneàsamère:

Queveux-tuquejetedise

DeNarbonneetdeseséglises

Maman?

Oui,laplacedesQuatre-Fontaines

Estpartie,tontontaine

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D’oùvientletalent?D’où,commentluiestvenue,parexemple,cette«FolleComplainte»dignedeVerlaine?D’oùtire-t-

ilcetteenvied’écrire,decomposer,cettecapacitédesentirl’airdu tempset l’atmosphèredes jours?Unebonne fées’est sansdoute penchée sur le berceau du petit Trenet, elle a sûrementverséunedoubledosededonspourlapoésieetlamusique,avecunepincéesupplémentairepourlapeinture…Ellepartait?Non,elleestrevenueetaajoutéunflacond’humouretdegaieté.«Unenfantcommeça,iln’yenaqu’unparsiècle,maisçasuffit!»a-telle déclaré. Ensuite, tout était plus aisé. Il a suffi que lesyeux bleus de Mamounotte chérie, le regard extasié deTantoune, se posent sur lui. Plus tard les feux de la rampe,l’écoute insatiable et les applaudissements du public lesremplaceraientmaisceseraittoujourslamêmehistoired’amouret d’attraction, de succès et de fascination. Tout le reste n’estquerencontres,amusement,envie,audaceetcertitudetranquilleau fond de soi qu’on est sinon lemeilleur, aumoins que l’onpossèdeunvraitalent.

Très tôt,on lesait, il futadoubépar tous lespoètes :MaxJacob, le premier puis Paul Fort, Pierre Mac Orlan, PhilippeSoupault, et Jules Supervielle. Et puis il y a Jean Cocteau.L’auteur d’Orphée ne le reconnait pas seulement comme unpoète, mais il voit en lui un frère en littérature, un ami bien-aimé. Ils ont en commun l’humour et un talent multiforme :peinture,musique,théâtre.IlpréfaceainsisonsecondromanLaBonne Planète : « … Charles Trenet a créé tout un universd’objets légers, d’objets dans un courant d’air, d’ob-jets surlesquels on souffle, d’objets qui deviennent des mains… desamoureux qui s’envolent par les fenêtres, des pendus gais quideviennent des fantômes gais… Charles Trenet est untroubadour ». Les deux artistes s’admirent, s’aiment, se

stimulent. Ils se téléphonent chaque jour, se racontent leurssoirées.CocteauaimeautantlesbonsmotsqueCharles.Jeansetrouvait à la générale du Soulier de satin. « Alors ? demandeCharles. «Heureusementqu’il n’y avait pas lapaire», répondJean du tac au tac. Ils se critiquent aimablement, Charlesn’imaginepasdesvacancesdansleMidisansJeanetleursamis,au premier rang desquels JeanMarais qui peint tous les joursdanslejardinduDomainedesEsprits.Leurliennesedéchireraqu’àlamortdupoète.

On a beaucoup épilogué sur l’art de Trenet. Commentcomposait-il ? Il ne cessait de se promener. Il adorait discuteravec les gens au hasard, ou bien il allait à Montparnasse, àSaint-Germain ou au marché tout simplement. Il marchaitbeaucoup,sedéplaçaitsouventenvélo.Ilaimaitrencontrerdespeintres,desécrivains.Ilnerestaitjamaisseul,jamaisimmobilechezlui.Ildisaitqu’ilyaplusd’idéesdansl’imaged’ungaminqui tape dans un ballon, de trois petites filles jouant à lamarelle, d’une moto bloquée au feu vert parce que le piloteembrasse la fille posée sur le siège arrière. La rue, la ville, lafoule,toutétaitsourced’inspiration.

«Jefaisdeschansonscommeunpommierfaitdespommes!Cen’estpasmoiquichoisismeschansons,cesontellesquimetrouvent, elles se font toutes seules dansma tête. J’admire lesgensquisemettentàleurbureauetdécidentaujourd’hui,jevaisécrire une chanson. J’en suis incapable ». Il écrivait avec uneincroyable aisance, d’un coup, parfois sans une rature, sur uncoinde table, dansunevoiture, dansun train : «L’expressiond’une émotion à un instant précis de votre existence »,expliquait-il.Ilécritn’importeoù,n’importequand.

Ainsi, pour « Les Relations mondaines ». À l’époque, en1959, Charles s’est mis au vélo. De La Varenne, il pédalejusqu’àVincennes, là ilprendlemétropourserendrechezlesBreton.Assisdanslarame,unlieuaussiopposéquepossibleàl’idée que l’on se fait d’un salon mondain, qu’est-ce qui luiinspirel’idéedecescouplets?

J’aidesrelationsmondainesJ’aidesrelationsJ’connaisla

BaronneduMaineSonfilsAbsalon.

J’vaislesvoirchezeuxunefoispars’maineDansleurvieuxsalon

Oùtoutungratins’démène,s’promèneEnlargeetenlong…

Il arrive chez les Breton, se met au piano et termine sachanson!

JulietteGrécosesouvientcomment ilagriffonnépourelle« Coin de rue » sur la nappe en papier du restaurant où ilsdéjeunaient.Entreeuxletitreestdevenu«Coindetable»!Leschansonsjaillissent,surgissentàtoutmoment.Ilencompteplusde 350 répertoriées. Comme l’écrit plus joliment Cocteau ennovembre 1955 : « Il serait inexact de dire que tu as faitdescendre la poésie dans la rue car ton prodige est que teschansons y poussent comme si le trottoir était une herbed’avril».Unedeseschansons,dédiéeàRachelBreton,commeune anthologie de ses meilleurs titres, met en valeur le côté

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CHAPITREXV

LACHANCEAUXCHANSONS

Lachance

Auxchansons

LaFrance

Araison

D’aimersesmusiques,sespoèmes

Ilsviennent

Dansnoscœurs

Ymènent

Endouceur

Uneexistenceunpeubohème

Ettantdesouvenirsquel’oncroyaitincertains

S’éveillentunbeaumatin

Dansunrefrain

Alorsnousdisons

Entoutesaison

Ilfautdonnerlachanceauxchansons!

Tutesouviensdecelle

Quirépétaittoujours

Quelavieétaitbelle

Autempsdetesamours

Ellerevientlégère

Surl’aileduprintemps

Pourteparlermachère

Denosvingtans

Lachance

Auxchansons

Ondansesansfaçon

Aurythmedesbeauxjoursquipassent

Maislesjourspassés

Reviventonlesait

Dansunpaysquerienn’efface

Ongardelemeilleur

Toutenberçantlesregrets

Alorslajoiedemeure

Dansuncouplet

Etredisons

Lavieadubon

Ilfautdonnerlachanceauxchansons!

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Faistavieetn’attendsriendesautresFaistavieloindesmauvaisapôtres

Faistavie,marchetoutdroit,tuverras…Faistavie,surtoncheminavance

Croisenlui,c’estpourdemainlachanceCroisentoi,gardetafoi,çaira!

Carlafoidonneunpouvoirmerveilleux:Voleravecsespropresailes

Enunmot,sedépasserdansuncielbleuLoindesrampantscollésensolenribambelle…

FaistavieloindesidéesreçuesDanslanuitdeschosesmalperçuesParlesautresdoncmauvaisespourtoiFaistavie,marchedroit,tuverras!Faistavie,marchedroit,çaira

Faistavie!Tuverras!Çaira!

Le texte lui tenait à cœur. Dans le disque sortiimmédiatement à sa mort, disque posthume en fait, il l’adéveloppé.«Faistavie»estdevenuunpoème,pluslong,plusapprofondi sur lemême thème. Ilne lechanteplusmais leditcommeun«slammeur».Certainsontvudanslaphrase«Lafoidonne un pouvoir merveilleux » la conviction religieuse deCharles. Mais à la question « Croyez-vous en Dieu ? » ilrépondaitparunepirouette:«JenesaispassijecroisenDieumais lui il croit sûrement enmoi, vu tous les bienfaits dont il

m’acomblé!»Plusprobablement,lafoiévoquéeestlaforcedecroire en soi, en son propre talent et sa capacité à le fairegrandir,cequiétaitvraimentsaphilosophiedelavie.

CharlesestparticommelesAngesdesachanson:

LesangessontpartisParunclairmatindenovembre

Laissantdansbiendescœurs,biendesregrets.Lesangessontpartis,

PourretrouverlavraielumièreCellequitoujoursluitDansletrès-haut.

Charlesestparti. Ilnous reste seschansons,des imagesetdesmotsparmilliers,desmusiquesirrésistibles.Pourtoujours.

TABLEDESMATIÈRES

«YADELAJOIE»

PREMIÈREPARTIELEFOUCHANTANT

ChapitreI–JECHANTEChapitreII–YAD’LAJOIE!ChapitreIII–BOUM!ChapitreIV–DOUCEFRANCEChapitreV–QUERESTE-T-ILDENOSAMOURS?ChapitreVI–LAMER

DEUXIÈMEPARTIELEVAGABOND

ChapitreVII–REVOIRPARISChapitreVIII–MOIJ’AIMELEMUSIC-HALLChapitreIX–LEJARDINEXTRAORDINAIREChapitreX–LAJAVADUDIABLEChapitreXI–ROUTENATIONALE7ChapitreXII–NARBONNE,MONAMIEChapitreXIII–LEPIANODELAPLAGEChapitreXIV–LAFOLLECOMPLAINTEChapitreXV–LACHANCEAUXCHANSONSChapitreXVI–FIDÈLE