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Néo-pentecôtismes sous la direction de Jesús García Ruiz & Patrick Michel 1

Jesús García Ruiz & Patrick Michel - cmh.ens.fr · pasteur Silas Malafaia, leader du ministère Vitória em Cristo (150 millions) ; R.R. Soares fondateur de l’Igreja Internacional

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No-pentectismessous la direction de

Jess Garca Ruiz & Patrick Michel

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Actes du colloque no-pentectismes, organis les 6-7 fvrier 2014, lcole normale suprieure (Paris), linitiative du Centre Maurice Halbwachs (CNRS-ENS-EHESS), sous lgide du LabEx Tepsis. Crdits Ce travail a t ralis dans le cadre du laboratoire dexcellence Tepsis port par lEHESS, portant la rfrence ANR-11-LABX-0067. Publication du Centre Maurice Halbwachs, CNRS-EHESS-ENS (UMR 8097) ISBN format epub : 978-2-9558142-0-8 ISBN format pdf : 978-2-9558142-1-5 Juillet 2016 Secrtariat de rdaction : Solenne Bertrand, Florence Kerdoncuff Cration de l'ebook : Florence Kerdoncuff Mise en ligne : Pierre Brochard (site du CMH : http://www.cmh.ens.fr) Logiciels Stylage Lodel (http://openedition.github.io/lodel/) Exportation Writer2xhtml sous OpenOffice (http://writer2latex.sourceforge.net / https://www.openoffice.org/fr/) Edition epub sous Sigil (http://sigil-ebook.com) Droit d'auteur : tous droits rservs. Lensemble de cette cration (contenu et prsentation) constitue une uvre protge par la lgislation franaise et internationale en vigueur sur le droit dauteur et dune manire gnrale sur la proprit intellectuelle et industrielle. Diffusion : cette cration est mise disposition selon le contrat : Paternit Pas dutilisation commerciale Partage dans les mmes conditions.

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IntroductionJess Garca-Ruiz* et Patrick Michel*** Directeur de recherche mrite CNRS, Centre Maurice Halbwachs, [email protected]

** Directeur de recherche CNRS, Directeur dtude EHESS, Centre Maurice Halbwachs,[email protected]

Les textes de ce dossier rsultent des communications prsentes lors du colloque no-pentectismes, qui sest tenu les 6 et 7 fvrier 2014, lcole normale suprieure (Paris), linitiative du Centre Maurice Halbwachs (CNRS-ENS-EHESS), sous lgide du LabExTepsis.

e 31 juillet 2014 a eu lieu So Paulo, en prsence de Dilma Rousseff, chef de ltatbrsilien, linauguration du Temple de Salomon , difice central de culte de lIgrejaUniversal do Reino de Deus, fonde et dirige par lvque Edir Macedo. Dunesuperficie quivalant celle de seize terrains de football, dune hauteur de deux fois

celle du Christ Rdempteur de Rio de Janeiro, ce qui est la plus grande glise de la ville peutrecevoir 10 000 fidles assis. Dote de toutes les technologies de pointe, elle dispose en sous-sol dun parking pouvant accueillir 1 200 vhicules.

Cette ralisation constitue dores et dj un incontournable du tourisme SoPaulo. Elle atteste la forte visibilit dun courant vanglique qui, en Amrique latinecomme au niveau mondial, peut se prvaloir depuis une cinquantaine dannes dune progression constante et gnralise1 . Mais si lvanglisme2 apparatcomme la branche religieuse la plus dynamique du monde occidental dvelopp ,ce qui progresse en priorit nest pas tant lvanglisme que le pentectisme, et nontant le pentectisme classique quun no-pentectisme pour qui la secondevenue du Christ ne saurait faire lobjet dune attente passive : le Royaume tant djde ce monde, une stratgie active de conqute, doccupation, voire de saturation delespace public est requise.

Cette progression, plus importante encore que celle de lislam, contraint cepoint revisiter lide dune scularisation continue et irrversible des socitsmodernes quelle a pu servir de support la thse dune dscularisation, prsentecomme un retour de Dieu ou un r-enchantement du monde , pour nereprendre l que les titres douvrages publis par Harvey Cox3 et Peter Berger. Cesderniers, hier grands thoriciens de la scularisation, confessent ainsi streradicalement tromps sur linterprtation dun monde de leur point de vue plusfurieusement religieux que jamais4 . Cest dans cette perspective que le no-pentectisme a pu tre prsent comme la religion du XXIe sicle5 . Et ds lorsaussi comme la religion du monde global.

Si le no-pentectisme savre en mesure de constituer un espace privilgi detransformation des socits, cest quil apparat en situation, partout, darticuler uneoffre en phase avec les attentes en prsence. Mais aussi, et peut-tre surtout, ensituation de radicalisation dune relation individualise au symbolique, susceptiblede se prter aux usages multiples et contradictoires que les acteurs peuvent en faire.

Le succs de loffre no-pentectiste rsulte ainsi de larticulation russie entrechristianisme marchand, tlologie de la russite individuelle gage sur une thologiede lefficacit et morale conservatrice.

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mailto:[email protected]:[email protected]

Avec le christianisme marchand, il est non seulement question de la privatisationdu religieux lglise tant une entreprise prive individuelle mais aussi de laconstitution, sous lgide et au profit des entrepreneurs religieux (les pasteurs-propritaires) de holdings permettant de mettre la disposition dune clientle, quelon sappliquera rendre la plus captive possible, dune gamme de biens et deservices, aussi adapte que possible aux besoins identifis, ceux-ci tant loin de selimiter au seul registre du spirituel.

Le no-pentectisme, se prvalant dune proximit particulire avec le mondeglobalis, et les valeurs qui le fondent, sera ainsi valu laune de la mobilit socialequil promet (et vise permettre) ainsi qu celle des prestations quil est mmedoffrir. Les milliers dglises vangliques qui accueillent des populations migrantesen provenance dAfrique, dAsie ou dAmrique latine dans les priphries desgrandes villes europennes ou nord-amricaines proposent ainsi leurs fidles, au-del dune socialisation religieuse, diverses aides, pour la rgularisation du sjour, larecherche demploi, dun domicile, dun conjoint6.

Lenrichissement individuel reprsente dans cette logique lobjectif recherchavec la cration et le dveloppement de lentreprise religieuse, mais aussi le butpoursuivi par le converti et, au-del, le socle mme de lgitimation de cetteentreprise.

Obi Igwara, voquant le cas du Nigeria, considrait que la religion toutesconfessions confondues, dailleurs tait avant tout un grand business, laprolifration des glises servant dabord lintrt conomique de leurs leaders7. Ceque ne dment pas le magazine Forbes qui, listant dans son dition du17 janvier 2014 les millionnaires brsiliens, mentionne lvque Edir Macedo,fondateur de lIgreja Universal do Reino de Deus (galement connue sous le nomPare de Sufrir [arrte de souffrir]), qui dtiendrait un patrimoine estim 950 millions de dollars ; laptre Valdemiro Santiago, fondateur de lIgrejaMundial do Poder de Deus, qui a quant lui accumul 220 millions de dollars ; lepasteur Silas Malafaia, leader du ministre Vitria em Cristo (150 millions) ; R.R.Soares fondateur de lIgreja Internacional da Graa de Deus (125 millions) ;Estevam et Sonia Hernandes, fondateurs de lIgreja Apostlica Renascer em Cristo(65 millions).

Ce qui est en question, cest comment, avec les no-pentectistes et leur tlologiede la russite individuelle, Dieu en arrive sous-traiter le salut au march lereligieux, en lrigeant en arbitre suprme, sacralisant celui-ci. Cest l tout lenjeu dela Thologie de la Prosprit : constituer les biens matriels du croyant en un gage dela bienveillance de Dieu son endroit, et en une validation de la loyaut que lecroyant manifeste envers Dieu. Or les valeurs promues et sacralises via ce religieuxsont clairement les valeurs dominantes du monde globalis. Le fonctionnement dusystme est donc en boucle : le religieux nen est pas lorigine mais reprsente lundes points de la circonfrence dun cercle.

La Thologie de la Prosprit retient, dans la perspective du no-protestantismeconservateur nord-amricain, lindividu plutt que la communaut pour registredaction privilgi et constitue la pauvret en un indice de labsence de soumission Dieu, dbouchant sur limpossibilit du Salut. En effet, si les biens de ce mondeappartiennent au Pre, ils reviennent prioritairement ses Fils. Dans cette logique,llection divine ouvre au fidle laccs aux biens de ce monde. En dautres termes, laThologie de la Prosprit se propose de transformer lindividu, cette transformationdevant terme conduire celle de la socit. Lascension sociale de lindividu est

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http://pt.wikipedia.org/wiki/Igreja_Mundial_do_Poder_de_Deushttp://pt.wikipedia.org/wiki/Vit%C3%B3ria_em_Cristohttp://pt.wikipedia.org/wiki/Igreja_Internacional_da_Gra%C3%A7a_de_Deus

constitue en le seul vecteur possible de la transformation de la socit, en lgitimantpar la volont divine lvolution recherche. Do laccent mis sur le formatage delindividu en question, dans le cadre de la no-communaut que constitue lglise.

Nulle surprise ds lors que le no-pentectisme se rclame dun renouveau dupolitique par le religieux, dont les principes auxquels il se rfre tmoignent :changement de doctrine concernant la conception mme du politique ; modleecclsial appliqu au politique, tant en matire dorganisation que de stratgie decroissance ; morale rigide dont les normes, intriorises par les membres, sont lorigine de l identit forte de ceux-ci ; cohsion affirme de la structurefamiliale ; responsabilits religieuses et politiques confies aux femmes.

Ces principes, qui se verront par exemple formaliss par le Partido NacionalCristiano colombien, mais qui apparaissent communs lensemble de la mouvance,vont savrer susceptibles dalimenter un projet ddification de nationschrtiennes . Cest ainsi, toujours par exemple, lobjectif la nation pour leChrist ( la nacin para Cristo ) que sassigne la Fraternidad Cristiana deGuatemala, se proposant dannoncer Jsus para transformar la nacin . Ilexiste, dans le cas dune autre glise guatmaltque, El Shaddai, un programmeintitul Jess es el Seor de Guatemala . Il rsulte de ces initiatives un intrtparticulier des no-pentectistes pour les rformes constitutionnelles, avec pour butde soumettre le systme juridique aux prescriptions bibliques. Ce qui entranetriplement la critique de ce qui est appel lhumanisme constitutionnel , accus defaire obstacle la vision biblique de la loi ; la volont dun transfert du systmeducatif et de sant sous la responsabilit des no-pentectistes ; enfin, la rvision etle renforcement des lois relatives la morale sociale (divorce, avortement).

La progression du no-pentectisme constitue donc au final le signe, triple, dunepluralisation des socits, du renouvellement des systmes axiologiques en lien avecla transformation acclre de celles-ci, de ltat davancement et des effets de laglobalisation, enfin.

Il serait toutefois hasardeux de voir dans cette progression la victoire dun religieux nouveau face un religieux classique ou encore un r-enchantementremettant en cause la scularisation. Le risque le plus grand pour lavenir des glises,quelles soient traditionnelles ou nouvelles, pourrait en fait venir dvolutionssocitales. voquant par exemple la lgalisation des unions homosexuelles Mexico-City et en Argentine ainsi que linquitude que de telles mesures suscitent dans leshirarchies religieuses, Marco Vicenzino avance ainsi lide selon laquelle catholiques et pentectistes pourraient en fait finir par voir dans la lente monte enAmrique latine du scularisme et de lathisme une menace commune et majeurepour les uns comme pour les autres, au del des conflits qui les opposent []. Onpourrait en somme, conclut-il, enregistrer une large convergence dintrts dans lasphre politique sur la base dune opposition commune un scularisme enprogrs8 .

Dans un ouvrage rcent9, Peter Beyer voque le lien historique, conceptuel etinstitutionnel , qui existe ses yeux entre globalisation et religion, cette dernireapparaissant doublement comme une expression du processus historique deglobalisation et comme lun des rsultats [outcomes] des transformations et desdveloppements successifs qui ont conduit la socit mondiale contemporaine .Mais si le religieux est un indicateur, ou le produit, dun processus de transformation

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affectant lensemble des socits contemporaines, il constitue galement lun desespaces privilgis de leffectuation mme des recompositions induites par ceprocessus.

Celles-ci, parce quelles branlent lensemble des repres auxquels pouvaient serfrer les acteurs sociaux, sont largement apprhendes et vcues par eux sur lemode de la crise , une crise dont la progression des no-pentectistes, partout,serait tout autant un indicateur quun instrument de gestion. Le courant vanglique,et en son sein le no-pentectisme, apparaissent de fait comme une ressourceprivilgie de redfinition identitaire et dinscription de cette identit reconstruitedans un univers de circulation fluide. Cet vanglisme constitue un espace pertinentdobservation des nouvelles valeurs de socits travailles par un mouvement aveclequel des affinits lui sont prtes. Il reprsente galement un indicateur prcieuxdes modalits dtablissement, par ces socits, dun rapport au pluralisme, dont ilapparat dailleurs comme lune des composantes. Il est, partout, tent de passerexplicitement du statut dacteur religieux celui dacteur social, conomique et, dslors, politique.

Lambition poursuivie ici est de contribuer, en construisant le religieux en unobjet intermdiaire, mettre en place les lments de loutillage intellectuelrenouvel ncessaire pour penser les recompositions affectant la scnecontemporaine en termes de relation entre politique, social et religieux. La doublefonction dun religieux simultanment indicateur et mode de gestion desrecompositions luvre sera aborde travers trois dimensionstroitement articules :

la production, via le religieux, dune individuation compatible avec lesprocessus de globalisation/mondialisation en cours ; cest--dire la faon dont lesnouvelles institutions communautaires no-pentectistes tendent fabriquer unindividu globalis, selon une logique pleinement intgre de march. Et ds lors lagestion, via le religieux, de la rarticulation, dans le mouvement, du rapportindividu-communaut-universel ; comment donc se forgent, entredterritorialisation et reterritorialisation, de nouvelles appartenancescommunautaires et de nouvelles loyauts, en lien avec les mobilits sociales induitespar les usages du religieux.

ltablissement, via le religieux, dun rapport renouvel au politique ; et ce dansune logique o, loin de sprouver comme autonomes lun par rapport lautre,religion et politique se mlent et se redistribuent en permanence dans un espacecaractris par lextrme fluidit des circulations qui lorganisent.

La mise en place, via le religieux, de rseaux mondialiss, permettantlmergence dacteurs globaux en relation de complmentarit les uns par rapportaux autres, et en capacit de dployer du religieux dterritorialis10.

Au titre de la premire dimension individuation et no-communautarisation Fabienne Samson analyse limplantation de lglise Universelle du Royaume de Dieuau Sngal, soit la manire dont une glise chrtienne et lusophone sadapte unpublic sngalais francophone et largement islamis, en se prsentant commedtache dune culture voire dune religion et en affichant luniversalit affirmedune voie de salut affranchie dun savoir doctrinal ou culturel. Ce qui nelempche pas de construire paralllement la culture sngalaise traditionnelle etislamique en ennemi abattre. La question pose est ds lors celle des facteurs et desmodalits dallgeance des adeptes sngalais qui saccommodent [des exigences delglise] tout en restant, pour beaucoup, fidles leur religion dorigine .

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Sattachant dcrire la construction du leadership dans les glises no-pentectistes en Afrique sub-saharienne (Nigeria et Ghana) et dans la diaspora enItalie, Enzo Pace, partir dune typologie du leadership (leadership pentectiste,leadership charismatique, entrepreneur du charisme), envisage le charisme commeentreprise et dcrit une pop-religion , un bien de consommation de masse grcomme tel par des entrepreneurs soucieux de se faire la place la plus large sur unmarch satur de biens de salut.

Ltude dAnnalisa Butticci sintresse galement la diaspora africaine en Italie.Dressant le tableau du champ religieux italien et des dynamiques de pouvoir entreltat et lglise catholique dont il est le thtre, lanalyse traite de la faon dont laperception du sens et de la fonction des pratiques et symboles pentectistes africainsdpend en dernire instance tant des relations de pouvoir entre glises africaines etreligion catholique majoritaire que de la marginalisation et de la discriminationsociales dont souffrent les communauts constitutives de la diaspora africaine dansla socit italienne.

Concernant la relation au politique, Yannick Fer montre comment la thologie du combat spirituel sest impose dans le contemporain comme un mouvementexemplaire de la globalisation religieuse, encourageant la circulation et lacombinaison dun ensemble dlments culturels et religieux . Le retour sur lagnalogie de ce mouvement conduit examiner les ruptures dcisives quil introduiten termes de rapport de la religion au territoire, didentits culturelles et de relationsentre religion et politique.

Jess Garca-Ruiz et Patrick Michel, dans leur analyse des relations entreprotestantisme conservateur et transformations des socits, fonde sur une mise enperspective des cas argentin et chilien, sappliquent quant eux comprendrecomment, partant de la capacit des vangliques incarner la pluralisation effectivedes socits latino-amricaines (en lien avec le basculement de ces socits dans unmonde globalis), un mouvement issu de la globalisation et vecteur de celle-ci,porteur donc dune homognisation place sous le signe du global, inscrit ses effetsdans la cadre prtabli des structures, des mentalits et des cultures politiquesspcifiques chacune des socits o il agit. En dautres termes, comment cemouvement intervient simultanment comme outil de d-particularisation et derenforcement des particularits.

Jolle Rabner, pose la question du rle des protestants vangliques dans la viepolitique amricaine et de leur capacit peser sur la politique trangre des tats-Unis. Revenant aux origines de lentre en politique des protestants vangliques,elle retrace les tapes, via la conclusion de partenariats et dalliances politiques,notamment avec la droite conservatrice, les no-conservateurs et le lobby pro-isralien, de la constitution dun groupe de pression politique susceptible de peserlors des chances lectorales.

Enfin, Barbara Giudice, partir dune enqute de terrain effectue sur descommunauts pentectistes dans deux villes russes, apprhende le mouvementpentectiste comme acteur dune dscularisation paradoxale en Russie. Analysanttrois stratgies dinsertion (partenariat social, partenariat politique et mise en rseauglobalise), lauteur pose la question des limites de la d-scularisation associe lintgration russie du mouvement au travail social public du pays, limites quitiennent laspect paradoxal dun processus la fois encourag et rejet par lepouvoir.

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Sagissant, en dernier lieu, de la thmatique no-pentectisme, rseaux etglobalisation , Nathalie Luca sinterroge, partir des cas sud-coren et hatien, surle lien entre circulation no-pentectiste et rseaux entrepreneuriaux. La croissancedes entreprises de multi-niveaux a en fait dcoul, dans chacun des deux pays, dutype de pentectisme quelles y ont rencontr, la confiance accorde ce modleentrepreneurial variant en fonction du contexte, du contenu et des attitudes decroyances locales. Ce qui a ds lors pu fonctionner en Core du Sud, jusqu ce que lacrise asiatique remette en cause un contexte proamricain et anticommunistefavorable au no-pentectisme, a chou en Hati, du fait de lhostilit rsolue delglise pentectiste la thologie de la prosprit.

Hui-yeon Kim analyse pour sa part lvolution de lglise du Plein vangile deCho Yonggi. Ce dernier, converti par des missionnaires amricains, sest appropri lemode dimplantation que transmettaient les missionnaires de lAssemble de Dieuinternationale. Lglise, qui revendique son caractre transnational, propose unpentectisme qui sest transform paralllement au changement de la socit sud-corenne, dune forme classique un no-pentectisme spcifique puis un no-pentectisme coren , rig en nouveau modle.

Joaquin Algranti, partir dune recherche qualitative sur les stratgies deproduction et de circulation de biens symboliques mises en jeu par les industriesculturelles, en majorit vangliques et catholiques, en Argentine, montre que letravail social de production et de reproduction de la culture matrielle vangliquersulte de deux grandes orientations conomiques, lune spirituelle et lautre commerciale . Il identifie trois stratgies de marquage : le marquage standard, quicombine marques fortes et faibles ; le dmarquage, qui met en avant les marquesfaibles ; et le sur-marquage, qui sature lobjet de rfrences gnriques. La culturematrielle apparat comme une porte dentre privilgie dans la mondialisation, parla mdiation des ides et de la production de sens.

Enfin, Ari Pedro Oro sintresse la transnationalisation no-pentectistebrsilienne vers lEurope, cest--dire aux politiques de r-vanglisation de lEurope partir du Brsil, sur la base dun imaginaire de la reconqute spirituelle duVieux continent. Mettant jour trois modles distincts de transnationalisation, ilsattache dcrire les logiques et les stratgies de cette mission inverse ,soulignant que la mise en avant dun imaginaire du global vise souvent se fortifierdans le local .1 David Martin, La pousse vangliste et ses effets politiques , in Peter Berger (dir.), Le Renchantement dumonde, Paris, Bayart, 2001, p. 81-82.2 vanglique est un terme gnrique presque toujours utilis par les membres des glises protestantes quientendent souligner la centralit de la Bible, la justification par la foi et la ncessit de la conversion personnelle.3 Harvey Cox, Retour de Dieu. Voyage en pays pentectiste, Paris, Descle de Brouwer, 1995.4 Peter Berger, La dscularisation du monde : un point de vue global , in Peter Berger, Georges Weigel, DavidMartin, Jonathan Sacks, Grace Davie, Tu Weiming, Le Renchantement du monde, Paris, Bayard, 2001, p. 15.5 Henri Tincq, La monte dun christianisme de conversion , Le Monde, 1er avril 2002 et Le choc de deuxfondamentalismes , Le Monde, 1er avril 2003 ; Harvey Cox, op. cit.6 Voir ce sujet Damien Mottier, Une Ethnographie des pentectismes africains en France - Le temps desprophtes, Bruxelles, Academia, 2014.7 Obi Igwara, Holy Nigerian Nationalism and Apocalyptic Visions of the Nation , Nations and nationalism,vol. 1, n 3, 1995, p. 327-355. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1354-5078.1995.00327.x/pdf8 Marco Vicenzino, America latina : la sfida dellevangelismo , in Religione e politica , Aspenia, Roma, n 42, 2008, p. 152.9 Peter Beyer, Religion in the Context of Globalization - Essays on Concept, Form, and Political Implication,London, Routledge, 2013.

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http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1354-5078.1995.00327.x/pdf

10 Cette approche sinscrit dans la continuit des analyses dveloppes dans notre ouvrage : Jess Garca-Ruiz etPatrick Michel, Et Dieu sous-traita le Salut au march De laction des mouvements vangliques en Amriquelatine, Paris, Armand Colin / Recherches, 2012.

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I. Individuationet no-communautarisation

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Limplantation de lglise Universelle du Royaumede Dieu au Sngal

Fabienne SamsonCharge de recherche IRD, membre du site Raspail de lIMAf, anthropologue,[email protected].

glise Universelle du Royaume de Dieu (IURD1), glise vanglique doriginebrsilienne, nest plus prsenter tant elle intresse les chercheurs des faitsreligieux. Cre en 1977 par Edir Macdo au Brsil2, elle a vite conquis le reste dumonde3, des Etats-Unis lEurope4 en passant, bien videmment, par lAfrique

subsaharienne. L, elle sest dabord implante dans les pays lusophones (lAngola, leMozambique), puis a touch les pays anglophones (Afrique du Sud, Botswana, Ouganda,Kenya) avant darriver en zone francophone, en Cte dIvoire5 et au Gabon en 1995, puisau Congo, au Cameroun ou encore au Togo. Prchant la thologie de la prosprit6, elle faitpartie de la nouvelle vague dglises dites no-pentectistes , tout en restant difficilementcatgorisable (Corten et al., 2003, p. 9) cause notamment de ses rfrences multiples aucatholicisme.

Trs largement tudie, tant par des sociologues que par des anthropologues, elleest connue dans ses moindres aspects : son histoire, sa thologie, le fonctionnementde ses cultes, son organisation hirarchique, son rapport largent, aux mdias, aupolitique, etc. En consquence, lanalyse de son implantation au Sngal, odailleurs elle nest jamais devenue un phnomne de masse, naurait aucun sens sielle reprenait tout ce qui a dj t crit sur elle dans dautres pays, son savoir-faire tant le mme au Sngal quailleurs. Lintrt rside alors dans la comprhensionde la particularit de lIURD dans ce pays, particularit non pas lie lglise elle-mme, mais la sociologie religieuse de son public.

Au Sngal7, lUniverselle (telle que les fidles la nomment couramment) est assezrcente (1999) et totalement ignore par les chercheurs. Ce pays, compos dunepopulation trs majoritairement musulmane, est, effectivement, surtout rput pourses confrries islamiques fortement imbriques dans la socit et dans le pouvoirpolitique, notamment la tariqa8 mouride dorigine locale. Pourtant, le paysagereligieux y est plus complexe. Si lglise catholique, minoritaire mais trs respecte, at reconnue grce notamment au premier prsident lu aprs lindpendance(Lopold Sdar Senghor), le Sngal compte galement quelques dizaines dglisesvangliques qui demeurent marginales. Celles-ci ont la particularit de sadresseressentiellement un public de migrants (Ivoiriens, Congolais, Centre-Africains)mais ne concernent quasiment pas les populations locales. Dans ce contexte, lgliseUniverselle du Royaume de Dieu fait figure dexception : ses fidles sont presque tousSngalais et, originalit suprme, majoritairement musulmans.

Toute personne non avertie, entrant pour la premire fois dans cette glisechrtienne au Sngal, ne peut qutre surprise de constater parmi son auditoirenombre de femmes voiles et dhommes barbus en boubous ou djellaba,habituellement dnomms Ibadou9 dans le pays. Aprs discussion avec les fidles,lvidence simpose : les deux tiers environ des adeptes sont des musulmansrevendiqus comme tels, le reste est compos de catholiques ou de sans-

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religion10 . Leur prsence dans cette glise ne semble pas tre un hiatus pour eux,mme si la plupart sy rend en cachette de crainte de se voir dconsidr socialement.Ils ne cherchent pas sy convertir mais cumulent diverses pratiques religieuses dansle but damliorer leur vie.

Se pose, par consquent, la question de savoir ce que ces personnes, qui se disenttoujours musulmanes (ou catholiques) pratiquantes, font dans cette glise ?Pourquoi les attire t-elle alors que les autres communauts vangliques neconnaissent aucun succs au Sngal ? Comment lglise Universelle du Royaume deDieu, lusophone dorigine, peut-elle simposer dans le champ religieux sngalais,francophone et trs fortement domin par lislam confrrique ?

Certes, le slogan arrtez de souffrir , simple et efficace, affich sur la faade dechaque glise du monde entier, participe pour beaucoup au succs de lUniverselle,au Sngal comme ailleurs. Les gens y viennent pour se faire soigner et esprent unmiracle qui changera leur vie. Toutefois, lobjectif ici est daller au-del de lattraitpour la thologie de la prosprit cense rsoudre les problmes quotidiens desfidles, afin de saisir la particularit de lglise dans ce pays et de comprendre lalogique de cumul des pratiques religieuses.

Cet article analysera la manire dont lIURD, chrtienne et lusophone, sadresseaux Sngalais et sadapte ce public francophone largement islamis, tout enconservant sa vocation universaliste. Demble, il est ncessaire de prciser quelanalyse ne portera pas sur la notion de syncrtisme religieux , apprhendecomme un mtissage, une hybridation ou un mlange. Le syncrtisme fusionnel ,analys notamment par Roger Bastide (1960)11 qui le diffrenciait du syncrtisme en mosaque , est inappropri ici. Lglise Universelle au Sngal ne fabrique pasune nouvelle religion hybride, les fidles ne se convertissant que trs rarement et nyrecherchant pas une nouvelle identit (ni mme une nouvelle communaut). Cetravail sinspirera plutt de lapproche dOlivier Roy (2008) portant sur ladterritorialisation / reterritorialisation ou sur la dculturation / reconnection laculture locale. Lauteur explique ainsi que les objets religieux contemporains, pourcirculer travers le monde, doivent paratre universels, non lis une culturespcifique quil faudrait comprendre avant de saisir le message (idem, p. 21).Comme cela est le cas pour lIURD, Olivier Roy ajoute que le religieux circule endehors de tout savoir. Le salut ne demande pas de savoir mais de croire (idem).

Originaire du Brsil et implante au Sngal grce un pasteur angolais, lgliseUniverselle du Royaume de Dieu ne cherche pas transmettre aux Sngalais uneculture et une langue lusophones, ni mme un dogme chrtien explicite. Aucontraire, elle se prsente au Sngal comme dtache dune culture (voire dunereligion) propre, et prtend luniversalit, proposant une voie de salut liesimplement la foi, affranchie dun savoir doctrinal ou culturel. Cette universalit est, pour elle, la seule approche possible afin dattirer desmusulmans (ou des catholiques) pratiquants. Cependant, en parallle, elle se reconnecte la culture sngalaise locale, traditionnelle et islamique, quellediabolise et combat, et dont elle fait lennemi abattre. Cet article dcryptera, in fine,les facteurs et modalits dallgeance des adeptes sngalais, qui saccommodent deses exigences tout en restant, pour beaucoup, fidles leur religion dorigine.Lobjectif sera de penser la cohrence dans lincohrence, cerner la logique desincompatibilits (Mary, 2001).

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Luniversalit affirme de lUniverselle au Sngal,ou la question de la dterritorialisation

Depuis son entre au Sngal, lglise Universelle du Royaume de Dieu a toujoursoscill entre un dsir dvanglisation, de multiplication du nombre dglises et defidles, et diverses stratgies de dissimulation face un monde trs islamis et apriori hostile. Sa politique du secret est courante de par le monde, lglise refusantde souvrir toute personne extrieure (Mary, 2002). Mais aucune tude, maconnaissance, ne montre un degr tel quau Sngal. Elle y assume trois stratgies dedterritorialisation et de dculturation (Roy, idem) grce laquelle elle prtend cette universalit : elle cache son caractre chrtien, offre une voie de salutuniverselle et non dogmatique, et cherche transcender toutes les religions par unfort mysticisme. L est sa particularit en cette terre dislam : tenir un discoursacceptable et non anxiogne, afin de convaincre les populations dentrer (et de rester)dans un lieu quils ne pensent pas, au dpart, tre une glise chrtienne.

Nombre de Sngalais, musulmans de bonne foi, ne seraient jamais entrs danslenceinte de lUniverselle Dakar sils avaient su quil sagissait dune glisechrtienne. Mais le mode de proslytisme des pasteurs, majoritairement trangers12,est assez habile pour leur laisser croire que lancien cinma Al Akbar, connu de tous,est devenu un centre daccueil13 o les diabtiques, hypertendus, tuberculeux etautres malades peuvent tre guris. Lorsque les fidles ouvriers14 , encadrs parune voiture haut-parleur , font les marchs ou arpentent les quartiers populairesdakarois, tracs la main, ils ne disent jamais quils sont des chrtiens vangliquesvenus convertir les populations musulmanes locales. Ils invitent seulement lespassants aller se faire soigner grce des prires fortes15 , non dfinies. Par lasuite, certains, attirs par ces promesses, avouent avoir cru quil sagissait dun centrede sant aux mthodes particulires. Ils disent navoir dcouvert le caractre chrtiende lglise quune fois lintrieur, les prires commences.

Cette attitude, a priori nave de la part de ceux qui se sont laisss convaincre,nest pourtant pas tonnante lorsque lon connat le lieu, sige social de lglise, o sedroule le culte principal. Ancien cinma16 en plein Dakar, connu de toutes lesgnrations, le btiment a quasiment gard, de lextrieur, son aspect dantan. Seulesdes pancartes et banderoles suspendues expliquent que sy droulent des prires,sans prciser leur spcificit vanglique. Au dessus de la porte dentre, lenseignede lIURD, compose de deux curs rouges percs par une colombe, annonce le centre daccueil et souhaite la bienvenue toutes les religions. Cette neutralit confessionnelle est encore plus manifeste dans dautres glises delUniverselle ouvertes dans diverses rgions du Sngal : elles nont aucun signereligieux lintrieur mme de leur enceinte, et la plupart sont de simples magasinsreconvertis sans aucun signe apparent17, hormis une enseigne discrte. Mais le butmanifeste de lglise Universelle du Royaume de Dieu est de mener au Sngal, terrehistoriquement et culturellement musulmane, une politique de dissimulation, uniquetactique possible pour attirer les populations locales sans les effrayer et les faire fuir,comme cela est le cas dans les autres glises vangliques de la place.

Cacher son appartenance religieuse ou montrer, plutt, son ouverture vers toutesles spiritualits, est une stratgie de dterritorialisation de lIURD qui, comme sonnom lindique, se veut universelle. Pour cela, elle doit dpasser toute culture locale

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afin de construire un espace non pas territorial mais mondial, universel. Sorte decarcan rigide dont les directives sont prises ltranger (au Brsil o se trouve sonfondateur et dirigeant), elle ne laisse pas de place aux initiatives locales. Ses cultes,les thmes de ses cultes, son mode de fonctionnement, ses activits diverses, sontidentiques dans le monde entier. Ainsi, que lon soit Paris, Dakar, New York ou Rio, tous les lundis sont consacrs aux prires pour la prosprit matrielle, tousles mardis la gurison, les jeudis la famille, les vendredis aux prires dedlivrances, les samedis aux prires pour la vie sentimentale, les mercredis etdimanches la recherche de lesprit saint. Les nombreuses tudes sur cette glisedans le monde montrent quun mme discours de chasse aux dmons et Satan estrcurrent partout de la mme manire, les pasteurs prchant tous selon certainesgestuelles symboliques identiques. De mme, les stratgies dimplantation et deproslytisme de lIURD sont analogues partout o elle est prsente. Elle sinstalle enpriorit dans les grandes villes, gnralement dans les capitales avant de sedvelopper dans des localits plus modestes. Elle investit les cinmas de quartier oudes magasins quelle loue ou achte selon ses moyens. Partout dans le monde, sespasteurs mnent les mmes activits de bienfaisance, grce son association ABC(Association de Bienfaisance Chrtienne)18 : dons de vtements, de nourriture auxplus pauvres, don de sang, collectes diverses, etc. Grce son mode dorganisationultra hirarchis, ses dirigeants grent, depuis le Brsil, toutes les activits delglise, laissant peu dinitiatives aux pasteurs locaux qui prennent leurs ordresdirectement du Conseil Mondial des vques (Mariano, 1998, p. 212). Dailleurs, lespasteurs les plus importants restent peu de temps dans un mme endroit, et sontrapidement muts dans un autre pays ds quils commencent connatre unimportant succs : cette pratique doit empcher les fidles de sattacher leurspasteurs qui uvrent pour lglise dans son universalit.

Dans le cas particulier du Sngal, o lglise sadresse en priorit desmusulmans, il ne lui suffit pas de cacher son caractre chrtien pour montrer cetteuniversalit dans laquelle les musulmans peuvent se retrouver. Sa stratgie estgalement de convaincre quelle nest quune spiritualit supplmentaire et nonexclusive : elle serait un chemin qui mne au renforcement de la foi, ne prsenteraitaucun dogme spcifique, et nobligerait pas ses fidles renier leur religion dorigine.Ainsi, les pasteurs scandent sans cesse quils ne jugent pas les pratiques et croyances(musulmanes et catholiques) de chacun puisque leur glise nest pas une religion, lesconvertis devenant des sans religion , cest dire des convertis Dieu et non pas un dogme particulier. Lacceptation dun cumul religieux, obligatoire au Sngal face lomniprsence de lislam dans lespace public et dans les normes de viequotidienne, semble spcifique ce pays alors que lUniverselle se montre bien plusintransigeante et vindicative ailleurs19. Mais ce discours doit son attrait sa tolranceapparente, mme si des critiques rptes envers lislam et le catholicisme sontdiscrtement insres dans les prches, dans lespoir damener les croyants adoptertotalement la nouvelle foi.

Enfin, dernier stratge de lUniverselle au Sngal, lglise doit galementmontrer sa force surnaturelle qui transcende toutes les religions. Les Sngalaismusulmans ne vivent pas leur pratique en son sein comme un hiatus vis--vis de leurreligion dorigine, car sa thologie ultra simpliste et minima leur permet de ne passe sentir trangers ses cultes. Ainsi, comme ailleurs dans le monde (Mary, 2002) laBible nest finalement que peu ouverte durant les principaux cultes de la semaine, lesprches fonds sur lvangile se limitant aux mercredis et aux dimanches. Le reste du

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temps, des passages bibliques de quelques courts versets sont transcrits sur des boutsde papiers et distribus lauditoire. Ces quelques mots suffisent au pasteur du jourpour dmontrer comment faire revenir le calme dans un foyer, gurir une maladie,ou gagner de grosses sommes dargent. De mme, sil est rappel sans cesse que lerdempteur des hommes est Jsus, mort sur la croix pour sauver lhumanit, lequotidien de lUniverselle est plutt bas sur des pratiques bien loignes de la Bible(mme si les pasteurs y puisent leur justification). Il sagit par exemple pour lesfidles dcrire leurs maux sur des petits papiers qui sont bruls au sein de lglise engrande crmonie expiatoire, de shabiller de rouge toute une semaine durant pourmontrer leur colre contre les dsagrments de la vie, de boire ou de sasperger deaubnite, de se verser de lhuile ointe sur la tte, etc. Les rituels sont nombreux, sanscesse renouvels afin de ne pas lasser lauditoire. L encore, lglise organise cettethtralisation des rituels dune manire universelle : comme lexplique Andr Mary(2002), les dcors, les dplacements collectifs des fidles, limaginaire autour de lamonte du mont Sina, etc., toute cette chorgraphie rpte partout dans le monderappelle un thtre religieux issu de traditions dAmrique Latine.

Les Sngalais musulmans, habitus pour nombre dentre eux pratiquer lislamdans des confrries soufies, hauts lieux de mysticisme, se retrouvent finalement dansles cultes de lUniverselle. Ces rituels imags et fortement symboliques leur parlent,bien plus quun sermon bas sur la Bible auquel ils nadhreraient pas, par crainte detrahir leur croyance islamique. L, mme sils comprennent, ds leur premireexprience au sein de lglise, quil sagit dun culte li au christianisme, cette dconnection toute rfrence culturelle, cette universalit ne leur semble pascontradictoire avec leur pratique de lislam. Leur participation est vcue comme un complment , une aide supplmentaire leur religion dorigine.

Une universalit reterritorialiseLuniversalit de lUniverselle ne peut tre accepte, au Sngal ou ailleurs, qu la

condition que lglise se reconnecte (Roy, idem) la culture locale, sindignise comme le dit Ari Pedro Oro (2009). Pour Ricardo Mariano, aprsavoir ni le monde, le no-pentectisme cherche sinscrire, senraciner en luiselon un processus dassimilation (1998, p. 228). Dailleurs, Edir Macedo, fondateurde lIURD, semble persuad quadapter le discours de son glise aux mentalits etcroyances brsiliennes est le meilleur moyen de la faire accepter et donc croitre dansce pays. Ainsi, dans le cas du Brsil, lUniverselle sinspire de la culture locale, syaccommode et sy fond. Elle rcupre les symboles des religions afro-brsiliennes(candombl, umbanda, quimbanda) dans lesquels se reconnaissent les fidles, mmesil sagit pour eux de dsormais les combattre. Ari Pedro Oro (idem) expliquegalement que dans le cas de lArgentine, pays domin par le catholicisme, ce sont lesgurisseurs, le mauvais-il, la jalousie et les entits malignes locales qui sontdiaboliss. Au Portugal, lglise, qui a su sadapter la logique organisationnelle desquartiers et des influentes associations locales, tient un discours combattant sur lasituation politique du pays au sein de la communaut europenne. Dernier exemple,en Afrique du Sud, lIURD joue du climat politico-social du post-apartheid poursriger en protectrice de ceux qui restent toujours les plus faibles, les noirs et lespauvres.

Au Sngal, cette logique de reconnection et de reterritorialisation estidentique. Elle est le seul moyen pour les Sngalais de comprendre etdexprimenter le message de lglise. Pour autant, celle-ci ne pratique pas de

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syncrtisme fusionnel avec la culture locale, dans le sens de la cration dunenouvelle religion hybride. Elle ne cherche pas non plus vritablement un branchement (Amselle, 2001) puisquelle nengendre pas une crolisation (idem), ne produit pas une nouvelle identit issue dun mlange entre diversescomposantes proposes. Au contraire, mme si lIURD adapte son discours aucontexte local afin de se faire accepter, elle reste dans le choc des cultures et descroyances. Elle interpelle les gnies locaux dans lobjectif de les chasser, de lesloigner des croyants et de les en dlivrer. En langage allgorique, il serait possiblede dire quelle mange, avale, dvore et digre tout ce qui peut lui servir localement.Mais elle sen distancie toujours. Comme le dit Birgit Meyer (1998, p. 63), si lesglises pentectistes (ou no-pentectistes ) diabolisent ainsi les croyanceslocales, elles nen font pourtant pas un syncrtisme, contrairement ce quannoncetoute une littrature sur la question. Au contraire, en exhortant leurs membres rompre avec le pass, les glises pentectistes adoptent une position intransigeanteenvers la culture traditionnelle .

Extrmement belliqueuse, lUniverselle officie bien plus sur la figure du Diableque sur celle de Dieu. Cela nest pas propre au Sngal mais est rcurrent travers lemonde. Prchant la thologie de la prosprit, elle doit dlivrer les fidles du mal quiles entoure et qui est en eux, afin de les mener vers le Salut. ce titre, elle dsigne lesmaux dont souffrent les adeptes, et les chasse de leur corps. Or, Dakar, ces mauxsont les gnies locaux : les rap ( farou rap , garou rap 20, ) accuss danslimaginaire collectif dtre la cause de nombreuses difficults quotidiennes,notamment celle de ne pas trouver de conjoint. Lorsque lon quitte la capitale pourune autre rgion du Sngal o lUniverselle est implante (Saint-Louis, This,Mbour, Joal), les gnies, identifis par les pasteurs comme des adversaires combattre, changent de nom. Dans la ville de Barny, tout prs de Rufisque, habiteessentiellement par des Lbous, les pasteurs chassent Mame Coumba, le gnie de laville. Joal, chez les Srres, ils invoquent Mama Ngeth, Kouta, Fassanda et autresfigures des croyances locales. Dans lensemble du Sngal, malgr lislamisationmassive des populations, les gens portent habituellement des gri-gri protecteurs,parfois dailleurs associs aux pratiques talismaniques du Coran. LIURD dnonceces objets venant, selon elle, du diable et les remplace par dautres objets (braceletsde tissu rouge, ficelles, encens, etc.) tout aussi magiques et symboliques. LeCoran et la pratique de lislam sont galement dcris, mais de manire peu frontaleafin de ne pas froisser les musulmans. Ainsi, lors de la recherche de lEsprit Saint ledimanche, le pasteur (ou vque) peut demander un musulman arabisant de liredes passages du Coran, afin de les comparer aux versets de la Bible, dans lobjectifvident de prouver la supriorit de ces derniers. La pratique du jene durant leRamadan est galement critique, mme si les pasteurs sempressent de dire que lapratique de lislam nest pas incompatible avec lUniverselle : chacun fait selon sa foi.De mme, certaines ftes catholiques comme Nol sont attaques. Mais l encore, lespasteurs font comprendre aux fidles quil ne leur est pas interdit de les pratiquer.Toutefois, la promesse de prosprit ici-bas et de Salut dans lau-del pourrait en treretarde.

Linvocation des gnies locaux obit aussi une stratgie pour mieux se fairecomprendre par la population locale. Les fidles musulmans (ou catholiques) qui syrendent pour trouver une solution leurs problmes quotidiens mettent, lors descultes, des noms prcis sur leurs maux. Par consquent, ils pensent pouvoir agir pareux-mmes pour rsoudre leurs difficults. Ils se reconnaissent dans les prires de

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lUniverselle qui leur parle de leur environnent culturel. Ils se sentent reconnus dansleur identit, reconnus par cette glise qui vient de ltranger pour leur portersecours.

Cet universel abstrait du Royaume de Dieu (Mary, 2002) ou cettereterritorialisation passent galement par toute une rhtorique dploye lors descultes. Chaque participant est interpell personnellement par un discourssavamment tudi, laissant croire quil lui est personnellement adress. Les thmesabords correspondent, tout dabord, aux problmes prcis des populations. AuSngal, il sagit de maladies spcifiques les plus rpandues (diabte, cholestrol,hypertension, paludisme, AVC, tuberculose, etc.). Il sagit galement des problmessociaux connus de tous : chmage, manque dargent et endettement, conflitsgnrationnels, conflits conjugaux, enfants dlinquants et/ou drogus, etc. La forcedu discours tient au fait que les pasteurs sadressent lauditoire la deuximepersonne du singulier, personnalisant de la sorte les propos :

Toi tu es venu ce matin parce que tu as perdu ton travail, toi tu es venu ce matin parceque tu es malade, toi cest ton mari qui ta quitte. Toi tu es l ce matin parce que tu asmal dormi cette nuit, parce que tu as mal au ventre, parce que tu fais de mauvais rves.Toi tu es venu parce que tu es au chmage, que tu narrives plus nourrir tes enfants etta famille. Toi tu es venu parce que tu as la fivre, tu te sens mal, tu as mal partout et lhpital on ne peut pas te gurir21

Pendant de longues minutes, les pasteurs scandent cette litanie de maux etproblmes un rythme effrn, crie dans les micros jusqu saturation. Lorsque lepasteur montre des signes de fatigue, il est aussitt remplac par un autre qui prendle relais. Les gens ont les yeux ferms, serrent les poings de douleur et tousentendront, un moment donn, la raison de leur propre prsence. Ils penserontalors que le pasteur sadresse eux, nomme leur mal et le reconnat, cheminementindispensable pour se croire sur la voie de la gurison. En effet, la dlivrance doitsuivre cette numration de malheurs : souvent des personnes entrent en transe,crient, seffondrent, aides par les ouvriers qui, par des gestes et paroles, chassent ledmon de leur corps. Lorsque la squence est termine, jusqu la prochaine un peuplus tard, les fidles se frictionnent les mains comme sils se les lavaient, se frottent lecorps comme sils se dbarrassaient de salets, puis tapent des pieds pour craser lesmauvais esprits sortis deux-mmes. Ces sances rptes plusieurs fois par cultesont des moments intenses durant lesquels chacun exprimente le discours delUniverselle.

Afin dtre encore plus proche des gens, les pasteurs (ou vque), trangers auSngal pour la plupart, apprennent des rudiments de wolof afin dinsrer des motsdurant leur discours : cela le rend plus raliste pour lauditoire. Tous font galementleffort dapprendre le franais, beaucoup venant de pays lusophones (Angola, Cap-Vert). Pour mieux se faire comprendre, un ouvrier sngalais traduit simultanment,en wolof22, les propos du pasteur. De plus, spcificit sngalaise, lvque angolaisFerraz23, fondateur de lglise dans le pays, aimait dbuter le grand culte dudimanche matin par un grand Salam Aleikoum , salut habituel des Sngalais,musulmans ou non. Cette exclamation forte voix dans le micro faisait toujours soneffet : lauditoire, ravi, rpondait en chur Aleikoum Salam et chacuncommenait le culte dans la bonne humeur.

Les exemples de reconnection de lUniverselle la culture sngalaise sontinnombrables. Il est possible de citer la musique qui anime les cultes, joue au clavierpar un pasteur musicien : la rythmique, souvent ivoirienne, reprend nanmoins des

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airs de mbalax ou de musique traditionnelle locale sur laquelle les fidles dansentavec joie. De mme, lors dvnements majeurs dans le pays comme les lections, lespasteurs invitent les participants prier pour la Nation, pour la paix dans le pays. Ilsdemandent ainsi que la prsidence (celle dAbdoulaye Wade puis de Macky Salldepuis 2012) soit guide par le Saint esprit.

Cette reconnection la culture et aux croyances locales sinscrit dans la stratgieuniverselle de lglise. Partout elle sadapte aux contextes nationaux, toujours de lamme manire. Si au Brsil ses dirigeants sont engags en politique (certains ont tlus dputs), elle ne simplique jamais dans les affaires politiques des pays o ellesimplante. En Afrique subsaharienne comme ailleurs, elle forme des pasteursnationaux qui renforcent le caractre local de lglise. Au Sngal, ces pasteursaident au proslytisme et lacceptation de lglise au fin fond du pays. Partout dansle monde, elle chasse les gnies locaux, sadapte aux maux spcifiques despopulations. Finalement, elle se reterritorialise universellement .

Une pratique pragmatique et non communautaireDe nombreuses tudes sur le pentectisme montrent combien ces glises

individualisent les fidles : insrs dans leur nouvelle communaut religieuse avec denouvelles normes de vie, ils rompent parfois totalement avec leur ancienenvironnement social. Cette dmarche volontaire de repli vers sa nouvelle famillereligieuse peut rpondre une stratgie pour se dmarquer de liens parentauxpesants, et couper court aux contraintes financires qui y sont lies. Cela est le cas decertains pentectistes au Burkina Faso (Pierre-Joseph Laurent, 2003), ou encore auGhana, qui souhaitent saffranchir vis--vis des obligations familiales, sans dailleurspouvoir rellement la vivre concrtement (Birgit Meyer, 1998).

Au Sngal, lglise Universelle du Royaume de Dieu prne galement unindividualisme manifeste, ne serait-ce que par sa qute de dlivrance des espritsmalfiques locaux. Ceux et celles qui font la dmarche de se rendre dans cette glise,de manire rgulire un moment donn de leur vie, sont dans la qute duncheminement personnel dindpendance par rapport une situation de vie qui neleur convient plus (maladie, chmage, difficults familiales, etc.). Dailleurs, laplupart y vont en cachette, signe dune dmarcation vis--vis de leur groupe parentalet social. Tous dsirent prendre leur vie en main, esprent trouver lUniverselle lescls pour matriser leur destin. Ainsi, aux cts des malades et ncessiteux, quiattendent un miracle quils pensent pouvoir provoquer grce leurs dons, de jeunesentrepreneurs conomiques sngalais vont lglise o ils apprennent croire enleur talent, en leur capacit changer de vie.

Jai retenu beaucoup denseignements du pasteur Ferraz, et a maide tenir dans mavie. Grce lui, je garde foi en mon avenir, en ma russite. Ferraz disait celui qui craintna pas la foi . Je retiens cette formule et elle maide surmonter mes problmes.24

Ces jeunes ne cherchent pas forcment quitter leurs famille et amis. Ils ne sontpas en qute dune nouvelle communaut de prire, contrairement dautrespentectistes plus radicaux. Ils veulent simplement changer de condition de vie. Ilsse sentent aptes, par exemple, crer une entreprise mais nen nont pas les moyensfinanciers et/ou humains. Ils trouvent dans lUniverselle la force de croire en leurprojet, ce qui les aide se battre et esprer.

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Toutefois, cette qute dindividualisme et dautonomie ne doit pas laisser croireque les adeptes sngalais de lIURD sont attachs corps et me leur glise. Commepartout dans le monde, le problme de lUniverselle est la fidlisation des personnesqui la frquentent. Ceux qui viennent y chercher un miracle y passent habituellementquelques mois : soit leur situation de vie samliore et ils pensent avoir rsolu leurproblme grce leur pratique, en consquence de quoi ils nont plus besoin daide etreprennent leur vie antrieure ; soit leur situation se dtriore et ils quittent lgliseen dsespoir de cause. Dans un pays comme le Sngal o les ressources matrielleset financires sont rares, il est galement difficile, sur le long terme, dassister auxcultes durant lesquels il faut donner rgulirement de largent. Ainsi, lUniverselle nereprsente pas une communaut religieuse soude, avec une vie intense en ruptureavec lextrieur. Certes, les jeunes impliqus dans les activits de lglise seretrouvent plusieurs fois par semaine et nouent des liens damiti, mais la plupartdes fidles vient au culte et en repart sans lier de relation. Enfin, depuis lechangement de direction de lglise en 2010, le dpart de lvque Ferraz et dequelques pasteurs en Cte dIvoire, les fidles se font de plus en plus rares, que cesoit Dakar ou dans dautres villes du Sngal. Ces personnalits qui avaientconstruit lglise dans le pays taient trs apprcies des adeptes, et les nouveauxresponsables ont du mal simposer. La confiance et la foi en leur possibilit demiracle ont perdu en intensit, et nombre de ceux qui allaient lUniverselle depuisson implantation au Sngal lont quitt, ny trouvant plus de rponse leursproblmes. Certains sont partis dans dautres glises vangliques nouvelles sur laplace, mais la plupart sont retourns dans leur religion dorigine.

Finalement, lIURD, lindividualisation se vit surtout vis--vis de lglise elle-mme, et le signe vident de lautonomie de ses membres au Sngal est le cumul despratiques religieuses. La grande majorit se revendique musulmane, souventpratiquante, une minorit se dit catholique, et les gens nhsitent pas dclarer hautet fort leur religion dappartenance. Ils viennent lUniverselle en qute de lEspritSaint, mais leur pratique reste trs personnelle, en contradiction totale avec lnormemachine organisationnelle de lIURD qui ne laisse aucune place limprovisation. Ilsse laissent porter par lexprience motionnelle collective lors des cultes, tout enralisant une pratique sur mesure, la carte (Schlegel, 1995).

linverse de ltude de Joel Robbins (2004) qui montre comment les Urapmin(aire mlansienne) vivent leur adoption au christianisme comme une contradictionindpassable de leur propre culture, et se trouvent dans une sorte de doubleconscience en acceptant entirement, malgr les antagonismes, les valeurs de laculture vanglique, les adeptes sngalais de lIURD adoptent ce que Roger Bastide(1960) appelait le principe de coupure . Celui-ci leur permet de vivre en mmetemps des expriences qui semblent contradictoires. Ainsi, les croyants sngalaisrestent fidles leur religion dorigine tout en cherchant un complment ponctueldans cette glise. Mais ils ne mlangent pas les deux, ne dsirent pas la ralisationdune nouvelle religion hybride, ni dune nouvelle identit. Comme le dit Andr Mary(2000, p. 172), il nexiste pas de logique syncrtique dans ces nouveaux mouvementsreligieux o les croyants puisent comme dans une bote outils dans les diversestraditions religieuses [] sans souci apparent de cohrence thologique ou dunitliturgique . Ce bris-collage postmoderne , comme le dit cet auteur, est dominante individuelle, et propose une ralisation dun Moi assumant sa fluidit etne sembarrassant plus des prcontraintes, des significations premires des pratiquesquils reprennent leur compte (idem).

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Toutefois, ce bris-collage ou cette logique syncrtiste (Mary, idem) nestpas dnu de sens pour ceux qui le pratiquent, contrairement une littrature quipourrait laisser croire lanomie totale de ces nouveaux mouvements religieux. Lesmusulmans prsents lUniverselle disent, ainsi, que leur religion ne leur apporteplus de solution prcise leurs problmes donns. Comme ils croient en Jsus tel unprophte rput pour ses miracles, ils pensent quil ne leur est pas interdit de venirchercher sa bndiction. Celle-ci complte leur pratique de lislam. Les catholiques,eux, considrent Jsus comme le fils de Dieu et cherchent lIURD des prires plusfortes et plus vivantes qu lglise catholique, laquelle ils restent fidles par loyautet tradition familiale, mais dont ils trouvent la foi morte25 . Mais tous interprtent leur manire le droulement des cultes, et y participent selon leur comprhensionet seuil de tolrance. Effectivement, sils pratiquent un cumul, ils ne sont pas prts tous les compromis. Par exemple, aprs chaque prire, les pasteurs formulent lesparoles consacres au nom du Pre, du Fils et du Saint Esprit suiviesdapplaudissements. Habitus au signe de croix, les catholiques se dmarquent cemoment l en refusant dapplaudir et en se signant, restant, de la sorte, fidles leurpropre obdience religieuse. Nombre de musulmans imitent les applaudissementsdes pasteurs, mais certains dclinent la formule consacre, Jsus ntant pas, poureux, le fils de Dieu. Ils prfrent alors, ce moment l, rciter dans leur tte uneprire propre. Autre exemple, les pasteurs demandent rgulirement lauditoire dejeter tous gri-gri et objets illicites. Pourtant, nombreuses sont les personnes quiassistent aux cultes avec leurs amulettes sous forme de bracelets ou de bagues. Lesmusulmanes voiles ne se dcouvrent pas durant loffice, et certaines femmescatholiques shabillent de grands boubous dcors par des photos du Pape ou deslogans lhonneur de lglise catholique. Une dame portait ainsi un jour une robesur laquelle tait inscrit : Gore, fille ane de lglise catholique au Sngal. Soisfidle ton baptme .

La question de dpart tait de comprendre, au-del de la thologie de laprosprit, ce que trouvent dans lIURD les personnes qui cumulent ces pratiquesreligieuses. Certes, donner du sens des pratiques nest pas toujours ais, comme lemontre par exemple louvrage collectif de Matthew Engelke et Matt Tomlinson(2006)26. Mais dans le cas de notre tude, certains caractres des cultes et discoursde lUniverselle correspondent assez bien la culture sngalaise, au point o lesSngalais qui dsirent y participer ne semblent pas perturbs par une pratiqueloigne, a priori, de leur religion dorigine. Lentre en transe, banalise au sein delglise mais pourtant trs impressionnante pour toute personne non avertie, est bienaccepte par la plupart des gens prsents qui, pour nombre dentre eux, ont dj euun cheminement thrapeutique avant de venir l. Ils ont souvent dj particip dessances de ndeup, pratique traditionnelle de transe des Lbous, dont lobjectif estdappeler un gnie local pour le chasser du corps de la personne malade. Beaucoupde fidles comparent, dailleurs deux-mmes, la dlivrance de lUniverselle lapratique du ndeup. La notion de miracle est galement assez habituelle et acceptabledans un pays comme le Sngal, o il est commun de penser quun saint homme,guide spirituel dune confrrie islamique, est, grce sa baraka, proche de Dieu etapte accomplir des actes surnaturels pour lamlioration de la vie de ses disciples.Autre exemple, la pratique assidue et extrmement contraignante du don dargent(dme, offrandes, sacrifices), hautement critique de par le monde au point declasser, en France notamment, lIURD au rang de secte nfaste, est pourtant assez

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bien tolre par les fidles sngalais, mme sils narrivent pas toujours lhonorer.Beaucoup de musulmans comparent cette obligation de don montaire la hadiyya,argent donn un guide spirituel (marabout) en change dune bndiction divine.

LUniverselle, adapte au contexte sngalais, est ainsi assez rapidementcomprhensible par ceux qui dsirent y chercher une aide particulire. Elle permet chacun de donner sens une qute spirituelle de salut, tant dans lau-del quici bas.Elle offre galement la possibilit chacun de trouver une forme de pratiquereligieuse adapte un besoin donn. Mais si cette mallabilit a certainementfacilit son expansion fulgurante dans un pays comme le Sngal, sa stratgie dedissimulation et de secret peut galement, dans un plus long terme, lui tre nfastevoire fatale.

Lincomprhensible Universelle au SngalSuite au dpart en 2010 du pasteur Ferraz, fondateur de lglise au Sngal

devenu vque tant son travail accompli dans le pays fut remarquable, lUniversellevoit nettement sa croissance compromise. Elle na pas ouvert de nouvelle glise dansle pays, et les cultes au sige Dakar sont parfois dserts. Le dimanche matin, alorsque Ferraz faisait salle comble, la moiti des siges de lancien cinma Al Akbar sontmaintenant vides. Ce changement brutal tient trs certainement, avant tout, lapersonnalisation trs forte de la relation pasteurs/fidles au sein de lglise. Tandisque Ferraz et dautres pasteurs taient trs populaires, leur mutation en Cte dIvoirea dcourag certains fidles qui aimaient se confier eux. Le nouvel vque Valente,angolais lui aussi, semble moins toucher les populations malgr une volontdadaptation vidente : il aime se faire appeler Diouf27 . Mais ses efforts ne sontpas, pour linstant, couronns de succs.

Au-del de cette premire analyse, le rcent dclin de lIURD au Sngal est li ce qui a fait son succs : sa politique de dissimulation. Effectivement, les premiresannes de son implantation, les Sngalais ne comprenaient pas les ressorts de cetteglise. Mais ils taient bienveillants son gard, la confondant avec lglisecatholique. Les musulmans, totalement ignorants des affaires de christianisme,savaient pour les plus informs dentre eux, quune croix se trouvait lintrieur delglise de Dakar. Ils savaient aussi quon y parlait de la Bible. Sans plus dindications,ils lavaient classe parmi les glises chrtiennes respectables. Puis vint le temps olglise catholique elle-mme critiqua ouvertement lUniverselle, laccusant dtreune secte au service de Satan et de se livrer des sacrifices humains. Des journalistescommencrent sinterroger, sans plus de bagages pour comprendre ses cultes. Ilsfustigrent ses prires en musique ou lon chante et danse, ils critiqurent lesrfrences Isral, les chandeliers sept branches. Avertis, des notables etresponsables musulmans dcidrent leur tour de dcouvrir ce qui se passait au seinde cette glise. Ils vcurent surtout avec beaucoup damertume le succs immdiatde lUniverselle dans les petites villes du Sngal, voyant leurs propres disciples fuirvers cette nouvelle religion. L, commencrent les premiers dboires pour lespasteurs : des glises furent attaques et dtruites, comme Rufisque o laprfecture dcida dinterdire lglise. Certains pasteurs furent malmens, la limitede lagression. En 2011, dans la foule dmeutes Dakar lies un mcontentementpolitique des populations, lancien cinma Al Akbar, sige de lIURD au Sngal, futbrul et pill, les coffres ouverts et vids de leur argent, les voitures incendies,lglise ravage. Si les faits sont certainement imputables des casseurs et voleurs

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sans dsir rel de contester cette glise28, les articles de presse qui couvrirentlvnement les jours suivants attestent de linquitude gnrale que suscite lIURDau Sngal.

Dans sa logique de dissimulation afin de ne pas effrayer les musulmans,lUniverselle, comme son habitude de par le monde, prfra se poser en victime, sefermer sur elle-mme et accuser la presse de travailler pour Satan, plutt quedouvrir ses portes et dexpliquer le pourquoi de ses pratiques. Cette mfiance de lapart des populations, double du dpart de ceux qui firent son succs aucommencement, explique sans nul doute son dclin manifeste depuis les annes2010. Saura-t-elle, alors, trouver une nouvelle stratgie pour reconqurir la foi desSngalais ?

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1 Le sigle provient de son nom brsilien, Igreja universal do Reino do deus.2 Pour des rfrences sur lIURD au Brsil, voir par exemple : V. Boyer (2001) ; A. Corten (1995, 1997),M. Ricardo (1998). Ce dernier prcise que lIURD reprsente le principal phnomne du pentectisme dans lepays, grce notamment une croissance impressionnante (1998, p. 209).3 Selon A. P. Oro (2009), lIURD est prsente dans plus de 80 pays.4 Voir par exemple les travaux de A. Marion (2000), S. Edio (2005).5 Voir J.-P. Dozon (2003), A. Mary (2002) par exemple, mais les rfrences sont trs nombreuses.6 Edio Soares (2005) donne une dfinition assez prcise de cette thologie qui prtend que la pauvret est unemanifestation des forces du Malin . Fonde sur lvangile selon Jean, Chapitre X ( Moi je suis venu pourquelles aient la vie et quelles laient davantage ), cette thologie considre, par consquent, que la richesse et lasant sont les signes de la bndiction de Dieu. Elle dcrte que lhomme, par ses sacrifices et offrandesfinancires, recevra de Dieu le centuple de ce qui est donn. Son salut prend une forme de bien-tre terrestre, daccomplissement de soi ici-bas (Soares, idem).7 Cet article est fond sur plusieurs annes denqutes au Sngal, depuis 2007.8 Terme arabe signifiant confrrie islamique ; au pluriel : turuq.9 Le mouvement islamique Ibadou Rahmane est un mouvement sngalais rformiste , disant pratiquer lesvraies rgles de la Sunna. Ses adhrentes sont voiles et portent de longs habits couvrants, ses adhrents sontsouvent barbus et habills de longues djellabas ou de longues robes-tuniques couvrantes. Je nai pas confirmationque les personnes voiles lUniverselle appartiennent rellement ce mouvement. De plus, ces hommes et cesfemmes sont minoritaires parmi tous les musulmans qui vont lIURD Dakar et qui forment la grande majoritdes fidles.10 Il sagit de personnes qui ont quitt leur religion de naissance (lislam ou le catholicisme) pour adhrertotalement lUniverselle. Ils se disent, dornavant, sans religion. Cette notion de sans religion , dveloppepar lUniverselle au Sngal, est acceptable pour les Sngalais qui y pratiquent, car elle nest pas synonymedathisme, difficilement comprhensible pour eux.11 Pour R. Bastide, le syncrtisme fusionnel implique une logique de mtissage, de mlange entre diffrentesdonnes culturelles ou religieuses. Selon une lecture culturaliste, il considrait que ce syncrtisme dnaturait despratiques pures. Il lui prfrait le syncrtisme dit en mosaque , permettant de pratiquer en mme tempsdivers cultes religieux a priori antinomiques. De ce syncrtisme dcoule son principe de coupure.12 Depuis limplantation de lUniverselle au Sngal, la majorit des pasteurs viennent de Cte dIvoire oudAngola. Si lglise a form plusieurs pasteurs sngalais, la majorit (et notamment la nouvelle direction delglise depuis 2010) reste toujours trangre.13 Terme dsignant lglise.14 Les ouvriers (et ouvrires) sont les fidles convertis, la base dune hirarchie pyramidale complexe, quiencadrent les cultes, font du proslytisme et se prparent, pour certains dentre eux (les hommes), devenirpasteurs.15 Termes de lglise.16 Le rachat ou la location des cinmas est une politique habituelle de lUniverselle, partout dans le monde. SelonA. Mary (2002) lobjectif est de moraliser ces lieux ludiques.17 linverse, lintrieur de lglise Dakar, se trouvent une grande croix de bois, un chandelier septbranches, et des banderoles o sont inscrits des extraits des vangiles. Actuellement, le nouvel vque transformeprogressivement lintrieur en cathdrale , avec des vitraux, des tableaux, etc.18 Pour plus dinformations sur lassociation, voir par exemple Mariano (1998).19 Voir par exemple le cas du Kenya tudi par Y. Droz (2003, p. 107).20 Equivalents, dans limaginaire sngalais, du dmon Incube (ou Succube pour les femmes).21 Discours de lvque Ferraz, Dakar 2009.22 La traduction est en wolof Dakar, mais peut tre en srre Joal, etc.23 Cet vque qui connut un trs grand succs Dakar, fut mut en Cte dIvoire en 2010.24 Entretien ralis avec D., jeune fidle de lUniverselle Dakar, le 16 dcembre 2010.25 Termes souvent rpts par des catholiques prsents lUniverselle.26 Cet ouvrage montre, comme son titre lindique, la difficult, pour un chercheur, donner du sens unepratique religieuse, au-del de lexplication croyante que donne lui-mme lacteur tudi.

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http://www.ethnographique.org/2005/Soares.html

27 Diouf est lun des patronymes les plus rpandus au Sngal.28 Les auteurs nont jamais t arrts et aucune revendication nest parue.

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S

Le charisme comme entrepriseLa construction du leadership dans les glises no-pentectistes en Afrique sub-saharienne (Niger et Ghana)et dans la diaspora en Italie

Enzo PaceUniversit di Padova, Italia, [email protected].

elon les estimations de la World Christian Database (Barnett, Johnson, 2005), au moinsun quart des deux milliards de chrtiens dans le monde appartient aux glisespentectistes ou des mouvements charismatiques. Dautres estimations plus mesuresvoquent 350 millions dadhrents (Johnstone, Mandryk, 2004). Il ne sagit toutefois

que destimations car, ce jour, aucun chiffrage prcis et dtaill nexiste. Lopration nesten fait gure aise puisque les sigles des diverses agrgations relevant de cette mouvance sontnombreux, toujours nouveaux, et parce quil est difficile de recourir de simples catgories,visant unifier une grande varit de phnomnes habituellement regroups sous le nom depentectisme.

En 2025, on comptera 2,6 milliards de chrtiens. La majorit dentre eux vivra enAfrique (633 millions), en Amrique Latine (640 millions) et en Asie (460 millions).On est donc en train de voir merger un christianisme de lex-Tiers Monde quiapparat comme une Tierce glise (Buhlmann, 1977), diffrente des principalesglises historiques (catholique, orthodoxe et protestante). Il sagit, pour mieux dire,dun christianisme post-colonial, fier de ses caractristiques indignes, qui penseavec ses propres catgories culturelles non plus faonnes sur celles de la traditionphilosophique europenne et qui sorganise de manire plus souple par rapport auxcomplexes formations ecclsiastiques qui ont domin lhistoire du christianismeoccidental, et que les hirarchies et les autorits de ces glises ont essay dimporter,en les transplantant, mais avec des rsultats parfois ambivalents, incertains, pour nepas dire dramatiques, comme dans le cas du Rwanda (Pace, 2003).

Un historien des religions, Philip Jenkins (2002) a parl de lavnement dunnouveau type de christianisme global, qui se prsente comme tempr dans sescertitudes en matire de croyances et plus lger quant ses formes dorganisation.Une foi qui croit dans les dons de lEsprit, non de manire abstraite mais comme unfait socialement observable : lEsprit, si on le prie avec ardeur, gurit, dlie la langueet fait parler dans une langue trangre, insuffle la capacit de prophtiser, dvoileo se cache le dmon et attribue les pouvoirs adquats pour le combattre etlexorciser ici et maintenant. Tout ceci sans barrires entre lacs et prtres oupasteurs parce que lon croit que lEsprit souffle l o il veut, et sur tous ceux qui senremettent lui.

Face la complexit de ce phnomne, lobservation des divers modlesdorganisation et des styles de communication, que les diffrentes glisespentectistes ont adopts, permet de dlimiter lobjet de lanalyse afin decomprendre le processus de diffrenciation, au sein du christianisme contemporain,

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mailto:[email protected]

des formes du leadership religieux : de la figure classique du pasteur celle delentrepreneur du charisme. Et pour ce faire, il est ncessaire danalyser au moinstrois dimensions (figure 1) :

a) Le rapport entre les diffrentes figures de leader et la parole dpose dans leTexte sacr, la Bible.

b) La varit des styles de communication de la parole : de la traditionnellecommunication savante la communication oriente vers le march.

c) La manire dagir dans lespace rituel : du modle traditionnel de ltude de laBible (les Bible Schools) au rite transform en une performance de grand acteur, seulsur scne, dans de vastes espaces qui peuvent accueillir de grandes masses depersonnes (mga-glises-auditoriums, mga-crans, mga-miracles) ; tout ceci enfonction dune stratgie de commercialisation dun bien de salut.

Fig. 1 : Les trois dimensions analytiques

En faisant interagir les trois dimensions mentionnes conomie du Textebiblique, styles de communication du leader, gestion de lespace et de lactionrituelle , on entend esquisser une typologie du leadership qui puisse permettre desorienter dans le vaste monde pentectiste contemporain, en distinguant avant tout,dans la ligne de ce quont dj propos les chercheurs du Pew Forum (2006), nonseulement les pasteurs pentectistes des pasteurs charismatiques, mais aussi cesderniers de ceux quon dsignera comme entrepreneurs du charisme. Dans leschma de la figure 2 sont rsums les traits caractristiques qui seront prsents demanire analytique, en regroupant les trois figures dans une catgorie qui cherche unifier, mme si gnrique, et emprunte encore une fois la recherche du PewForum, celle des revivalistes.

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Fig. 2 : Pentectistes, charismatiques et entrepreneurs du charisme

Premier type : le leadership pentectisteLe premier type de leadership (pentectiste) est cohrent avec toutes les glises

ou dnominations qui appartiennent au pentectisme classique, celui quihistoriquement saffirme dans le milieu protestant au dbut du XXe sicle, et quiconnat un grand succs travers, par exemple, la Church of God in Christ et par lasuite les Assembles de Dieu (AD), qui se sont constitues en 1914 Hot Springs, enArkansas, et qui comptent aujourdhui presque 13 000 communauts rien quauxEtats-Unis, avec trois millions de disciples.

En somme, les origines du phnomne sont rechercher au sein du rveilspirituel qui se vrifie entre 1850 et le dbut du XXe sicle, dans le monde protestantanglo-saxon, du Wales en Grande-Bretagne jusqu certains tats dAmrique duNord. Il ne sagit videmment pas du premier signe de rveil. Il y en avait eu dautresauparavant, avec des cycles plus ou moins longs et intenses qui ont vu natre denouvelles sectes, lesquelles se sont ensuite transformes en dnominations, commele mthodisme ou lglise des Frres, produits de ce que les historiens appellent leGrand Rveil du XVIIIe sicle. Lide de rveiller les consciences, de retourner aumodle de lglise primitive, de purifier les structures ecclsiastiques tropcompromises avec le monde et le pouvoir politique, de redcouvrir aussi la forcesociale du Sermon sur la Montagne sur les batitudes se trouvent dans lemouvement puritain qui, au XVIIe sicle, bouleverse en mme temps la monarchieanglaise et lglise dAngleterre, pour se diffuser ensuite, surtout dans le NouveauMonde.

Dans ce sens, si on considre conventionnellement le puritanisme comme lepremier rveil, on peut convenir avec les historiens du protestantisme quaprs lui, ily a eu au moins trois autres grandes vagues de mouvements qui ont cycliquementrepropos tant le thme de la communaut des saints et des gaux devant Dieu quecelui dun modle dglise lger, dmocratique, anticlrical et antihirarchique dansson organisation, avec des rsultats divers. La seconde vague du XVIIIe sicle voit,aprs une phase montante, se consolider une nouvelle dnomination comme le

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mthodisme, tandis quau cours de la troisime vague merge ce qui, avec uneformule efficace, est appel le mouvement de saintet (holiness movement) qui, sousbien des aspects, anticipe les raisons qui pousseront ensuite dautres prdicateurs accentuer les thmes du Baptme de lEsprit et des charismes de gurison, qui sont lepropre du premier pentectiste.

Tout ceci constitue la quatrime vague, celle du pentectisme. Selon unenarration consolide, le premier vnement gnralement mentionn commelincipit du phnomne a lieu au Kansas. Topeka, la capitale, le 1er janvier 1901 seforme le premier noyau pentectiste sous la direction de Charles Parham, dans leBethel Bible College, pour ensuite se diffuser dans le Missouri, au Texas et enfin avecplus de succs en Californie. La premire mission pentectiste est ouverte LosAngeles sur Azusa Street sous la direction de William Seymour en 1906. Sur la basede cet humus spirituel originel, prendra forme une des plus grandes organisations enrseau, dj voque, les Assembles de Dieu. En 2013, cette dnomination, pourdonner une ide de son succs, comptait 283 413 glises parpilles dans cent dixpays du monde, avec un nombre dadhrents qui dpasse les soixante-cinq millionsde personnes. Ce qui anime ce mouvement pentectiste, considr dsormaisclassique ou historique, est la ferme conviction que la seconde venue de Jsus seraprcde par une priode de rdemption et de rforme spirituelle de tous les hommessur terre. Conformment aux enseignements vangliques, lattente de la secondevenue est caractrise par la foi dans les dons de lEsprit Saint : nous nous retrouvonsdonc face une glise de la Pentecte, convaincue que la fin des temps estimminente.

Deuxime type : le leadership charismatiqueLe deuxime type de leadership (charismatique) se rfre tous ces mouvements

religieux qui sont ns ou qui naissent entre 1960 et 1980, aussi bien au sein desprincipales glises chrtiennes (orthodoxes, protestantes et catholiques) quendehors, et mme en conflit ouvert avec certaines dentre elles. Il sagit, en dautrestermes, de groupes de croyants qui pratiquent des rites et qui font des expriencesspirituelles semblables celles des glises pentectistes historiques mais qui nesidentifient avec aucune delles. Le point de rupture avec les autorits constitues estdtermine prcisment par le fait que ces groupes se reconnaissent en unepersonne, retenue porteuse de dons extraordinaires, en particulier le pouvoir degurir et le pouvoir de faire entrer les fidles en communication avec lEsprit. Sesdisciples peuvent, dans certains cas, rester lis et continuer se sentir partieintgrante dune glise (catholique, protestante ou orthodoxe), mais ils tendent sorganiser de manire autonome, puisquils pensent vivre une expriencesincrement chrtienne dans laction rituelle. Ils font lexprience de parler dans unelangue trangre (glossolalie), accourent l o se trouve un porteur de donsextraordinaires (gurison et exorcisme), se rassemblent sans structure hirarchiqueou forme dorganisation stable et dfinitive.

Au sein de lglise catholique est n par exemple, en 1967, un mouvementpentectiste qui depuis les tats-Unis est arriv en Europe dans la priode qui aimmdiatement suivi la fin du Concile Vatican II. Ce mouvement a eu des difficults se voir lgitim au sein de lglise. Toutefois, quivoques et tensions aplanies, il estdevenu un mouvement lintrieur de lglise elle-mme. Il sagit du Renouveaudans lEsprit et ses adhrents parlent en langue trangre, croient au don de lagurison et en celui de la prophtie. Sans avoir constitu une nouvelle glise, ils ont

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connu des scissions qui ont engendr la formation de mouvements considrs, parles autorits ecclsiastiques, comme en dehors de lglise et qui sprouvent donccomme autonomes.

Beaucoup plus imposants, pour demeurer dans le domaine catholique, sont lesexemples qui proviennent respectivement du Brsil avec la figure dun prtreauteur-compositeur tel le Pre Marcelo et des Philippines avec le mouvement ElShaddai, qui regroupe presque dix millions de fidles une glise au sein de lagrande glise catholique.

Troisime type : lentrepreneur du charismeLa troisime figure de leader, que jai appel entrepreneur du charisme , fait

partie dun mouvement intervenu rcemment, au dbut des annes 1980 et pendanttoutes les annes 1990 du sicle pass. Il se caractrise par un trait dominant :transformer le discours sur les dons de lesprit en ressource morale pour le succsdans le monde. Quand on parle de succs, on lentend au sens large : du succsconomique au bien-tre matriel, consquence dun quilibre spirituel et intrieurretrouv, de la capacit influencer les choix politiques (Oro et Mariano, 2011) lengagement politique mme. Le mot mouvement doit tre compris dans un senssociologique : il sagit dune tendance affectant des millions de personnes parpillessur les diffrents continents du globe. Cette tendance prend forme dans un typedagrgation socio-religieuse qui ressemble lglise mais qui, au dbut, se prsentecomme un groupe dadeptes rassembls et fascins par le pouvoir dun leadercharismatique.

Le charisme commence avec une personne puis sarticule dans les charismes oudons de lEsprit. Il se cre progressivement et au fur et mesure que la communautdes premiers adeptes sagrandit, donne naissance, dans de nombreux cas, unevritable organisation, parfois pyramidale, parfois lgre et polycentrique, ou encoresoutenue par un appareil bureaucratique et administratif imposant ou seulementvirtuelle, confie aux vertus dinternet (Pace, 2013), aux moyens de communicationde masse dont elle se dote. Les tlprdicateurs crent en effet avant tout une glisevirtuelle, lectronique, et cest seulement dans un second temps, quand laudience estdevenue assez consistante, quils favorisent la constitution ventuelle dun lieuphysique et rel de rencontre, en construisant par exemple une mga-glise,dimposantes structures architecturales o est offert un service le dimanche lafaon dun mgastore, dun mall de lesprit. On trouve des exemples de ce genre aussibien aux tats-Unis quen Asie. Garden Grove en Californie, le pasteur JohnOsteen a ouvert une salle de prire, la Crystal Cathedral, faite de 10 000 panneauxde verre relis par une structure en tuyaux, capable daccueillir 2 900 fidles et dersister aux tremblements de terre les plus dangereux sur lchelle de Richter. Riende semblable toutefois ce qui sest fait Soul et Singapour. Dans la capitale sud-corenne, le fondateur de la Yoido Full Gospel Church qui affirme compter850 000 membres, David Yonggi Cho, a construit un grand auditorium sur lleYeouido. La grande salle de lassemble de prire peut accueillir jusqu26 000 personnes. Au mme niveau, on trouve Singapour la City Harvest Church,fonde par Kong Hee. Des phnomnes semblables existent en Amrique Latine,avec par exemple lglise Universelle du Royaume de Dieu, cre en 1977, quitransforme de grandes salles de cinma ou de grands espaces publics en lieux deculte, capables de contenir des milliers et des milliers de personnes.

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La masse est dj un signe rassurant de succs pour celui qui gre ces nouvellesglises. Gurir lme et le corps, dun ct, et russir dans la vie, de lautre, semblenttre les deux ingrdients efficaces pour accrotre le nombre et dcupler lintensit deces nouvelles glises charismatiques de type intramondain. Le slogan nothing toohard for God [rien nest impossible pour Dieu] rsume bien la thologie qui fondeces glises.

Il sagit donc dun nouvel idal-type, pour reprendre les catgories de Max Weber,dorganisation socio-religieuse (Pace et Butticci, 2010). Aprs lglise et la secte, quele christianisme a connues durant toute son histoire jusqu aujourdhui, noussommes face un troisime type dagrgation, que lon peut appeler entreprisecharismatique : une forme dorganisation qui exalte les talents individuels plus queles appareils ecclsiastiques et qui, en mme temps, permet chaque individudexprimenter personnellement les dons de lEsprit pour russir dans la vie. Cestdonc dune construction sociologique quil sagit, qui doit tre ensuite concrtementrapporte aux dimensions relles des diverses formations socio-religieusesdinspiration charismatique. Il faut en dautres termes vrifier chaque fois, etjusqu quel point, lide du succs est prche : seulement en termes no-puritains si tu changes de vie et si tu la purifies de tes mauvaises habitudes, tout en toi etautour de toi samliorera , ou bien comme message de prosprit conomique quialimente chez un individu lesprit dentreprise, ou bien enfin comme plateformeidologique pour se lancer dans larne politique.

Les aspects qui dfinissent le profil de lentrepreneur du charisme peuvent trersums de la faon suivante : lglise nat comme une entreprise personnelle, autourdune personne qui russit se faire reconnatre comme porteuse de donsextraordinaires. Elle doit tre en mesure doffrir une ritualit qui, tout enreproduisant, sous bien des aspects, le schma classique labor par les glisespentectistes historiques, entre en comptition avec elles, prcisment sur le terraindes performances de lextraordinaire mis la disposition et la porte directe desfidles plus de miracles, plus de gurisons, plus dexorcismes dans lespace et dansle temps liturgique). La performance rituelle du leader doit rpondre une stratgiede fidlisation des membres plus qu la constitution de communauts stables. Ou,en dautre termes, la formation dun rseau de consommateurs spirituels, quijouissent dun ensemble de biens de salut spirituels et matriels que chacun estappel apprcier, en payant le juste prix chaque fois quune personne en tire desbnfices immdiats, pour sa vie affective, professionnelle ou pour sa sant physique.

Le premier investissement en capital symbolique est donc reprsent par la figuredu leader, start-up dune entreprise visant ncessairement les masses. Uneproduction de masse a besoin dune classe de fonctionnaires capables dorganiser lecharisme en une uvre collective, en exploitant tous les moyens modernes afin decommuniquer, transmettre des images, tablir des liens transnationaux entremaison-mre et filiales parpilles travers le monde, avoir des produits en srie,diffrencier les produits vendre, former les promoteurs et ainsi de suite.Transformer un message religieux en un business, prsenter et reprsenter la figuredu chef comme un modle dentrepreneur succs, adhrer sans tat dme aumarch et la comptition qui y rgne ma performance liturgique est plusefficace que la tienne et enfin mobiliser une nouvelle gnration, instruite eturbanise, qui veut croire pour avoir du succs, pour tre moderne et comptitive,tout ceci semble convaincant pour une partie non ngligeable des chrtiens du

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Troisime Millnaire, qui sortent des glises de leur naissance, pour devenir des actionnaires majoritaires des nouvelles entreprises charismatiques (Garcia-Ruizet Michel, 2012).

Il est alors important danalyser le rapport entre le pouvoir de communication etla masse chez lentrepreneur du charisme. Il ne sagit pas l dune nouveaut, denombreux chercheurs se sont penchs sur ce thme : Le Bon (1895), Ortega y Gasset(1930), Riesman (1950) et Mosse (1975). Leurs prcieuses recherches portenttoutefois sur le politique et sintressent aux processus de dgnrescence autoritairede la dmocratie et du libralisme. La dimension religieuse y est donc peu prsente,napparaissant quavec ltude des formes de sacralisation du pouvoir politique sousle nazisme en Allemagne (Mosse), ou de la divinisation du collectivisme communiste(Ortega y Gasset).

En revanche Elias Canetti (1986) explore les dynamiques socio-religie