J’étaisleur

petitjouet

MARIALANDON

AVECANDREWCROFTS

Traduitdel’anglais(Royaume-Uni)

parMarieMoreau

City

Témoignage

ÀGlen,quej’aimeetquimemanquetellement.

©CityEditions2014pourlatraductionfrançaise

©MariaLandon2008

PubliéenGrande-BretagneparHarperCollins,

sousletitreDaddy’sLittleEarner

ISBN:9782824641249

CodeHachette:8966689

Rayon:Témoignage

CollectiondirigéeparChristianEnglishetFrédéricThibaud

Cataloguesetmanuscrits:www.city-editions.com

ConformémentauCodedelaPropriétéIntellectuelle,ilestinterditdereproduireintégralementoupartiellementleprésentouvrage,etce,parquelquemoyenquecesoit,sansl’autorisationpréalabledel’éditeur.

Dépôtlégal:juin2014

ImpriméenFrance

Sommaire

Introduction

Uncoupleglamour

Lesdébutsd’uneviedefamille

Lespremierspasdemamèresurletrottoir

Ledépartdemamère

Lavieàtrois

Levoyagechezmagrand-mère

Lechagrindemonpère

Lalecture

Letempsdel’endurcissement

Lesfoyersd’accueil

Lepensionnat

Lavisite

Lepremierclient

Leretourdemamère

Leprixdupassé

MarencontreavecBrian

LesruesdeKing’sCross

Leretour

Premièregrossesse

L’épreuvedel’indépendance

Épilogue

Arrêtez-vousuninstant,lecteurdecettepage,

etsongezàlalonguechaînedeferoud’or,d’épinesoudefleurs,quinevousauraitjamaisenserrésilepremiermaillonnes’enétaittrouvéforgé

aucoursdequelquemémorablejournée.

CharlesDickens,LesGrandesEspérances

Introduction

—Ria,tuesmapréférée.

Voilàcequemedisaitmonpèrequandj’étaisenfant.

—Touslespapasontunepréférencepourleurpetitefille,ajoutait-il.

Sesparolesm’emplissaientdefierté.Monpèreétaitsigrand,sibeau,sifort!C’étaitmonhéros.MonfrèreTerryétaitpeut-êtrelepréférédenotremère,maisc’étaitmoiquenotrepèreaimaitleplus,etj’auraisfaitn’importequoipourluifaireplaisir.

D’aprèsmamère,ilatoujoursclaméhautetfortqu’ilferaitdemoi«lameilleurepetiteprostituéedu

quartier».Seulement,ilm’afalludutempspourcomprendrecequecelavoulaitdire.

Jepréféraissansdoutenepaslesavoiretresterdansledéni,mêmequandilinvitaitsesamiesprostituéesàlamaisonetmefaisaitessayerleursvêtements.Etmêmequandilacommencéàabuserdemoi.

Desannéesplustard,quandmontémoignagel’aenvoyéenprisonpourproxénétisme,voicicequ’ilm’adit:

—Tuaurasbeaumetraînerdanslaboue,j’arriveraitoujoursàmereleveretàêtrelàpourtoi.Quoiquetufasses.Jeseraitoujoursleseulàt’aimervraiment.

Jecroisqu’ilétaitsincère.S’ilaaiméquelqu’undanssavie,c’étaitsansdoutemoi.Etjeleluirendaisbien.C’étaitmonpèreetjen’avaisquelui,endépitdecequ’ilmefaisaitsubir.Ilavaituncharmefou,auquelj’étaisaussisensiblequetousceuxquileconnaissaient.Aujourd’huiencore,beaucoupdegensontunfaiblepourluialorsqu’ilssaventcequ’ilafait.

S’iln’avaitpaseucepouvoir,riendetoutcecineseraitarrivé.Mamèreneseraitpastombéeéperdumentamoureusedelui,tousceuxàquiilafaitdumalauraientétéépargnés,etjenemeseraispasretrouvéesurletrottoiràl’âgedetreizeanspourfinancersesbeuveries.

N’importequellepetitefillepeutdevenirchanteuse,danseuse,médecin,avocate,policièreouprostituée.Seulement,pourfairelesbonschoix,unenfantabesoindusoutienetdesconseilsdesadultesquil’entourent.Avecunpèrecommelemien,jen’avaisaucunechance.

1

Uncoupleglamour

JaneetTerry,mesparents,étaientconsidéréscommeuncoupletrèsglamourquandilsétaientjeunes.

Tousceuxquilesontconnusaudébutdesannées1960s’accordentàledire.Ilss’adoraientjusqu’àl’obsession,cequiestenpartieàl’originedesproblèmesqu’arencontrésnotrefamille.

L’amourqu’ilséprouvaientl’unpourl’autreauraitpunouspermettreàtousdeprendrelemeilleurdépartpossible.Mais,hélas,lecôtésombredeleurrelationaprisledessusetfaitdenotrevieunvéritablecauchemar.

Touslesgensquifréquentaientmonpèredanslespubsl’adoraient.Ilétaitgrand,beauettrèscharismatique.Avecsescheveuxnoirsbiencoiffés,soncostumeimpeccableetlacravatequ’iln’oubliaitjamaisdeporter,ilsavaitparaderetserendreaimableauxyeuxdelafouled’admirateursquil’entourait.

Mamèrenemesuraitpasplusd’unmètresoixante-cinq,maiselleavaitunesilhouetteparfaite.Minceettrèsféminineàlafois,elleaimaitporterdesminijupes,despantalonsmoulantsetdespetitshautssexy.

Ellesuivaitlamodedecetteépoque-là,dumoinscellequiarrivaitjusqu’àNorwich,àdeskilomètresdu

«SwingingLondon».Jen’aipasdesouvenirsdesesjeunesannées,maisonm’aditqu’elleavaitététrèsbelle.Toutlemondelaremarquaitavecseslongscheveuxdejais,sonregardprofondetsapeauparfaite.

Monpèreétaitlemoutonnoirdesafamille.C’estentoutcascequ’onm’araconté.Unhommedontl’histoirerestaitempreintedemystère,quinefaisaitjamaiscequ’ilfallait,maissevantaitd’agiravecclasse.Ilatoujoursclaméhautetfortqu’ilavaitétéconçupendantlaguerre,alorsquesamèreentretenaituneliaisonavecunamantetquesonpère–ouplutôtlemaridesamère–sebattaitloindechezluipoursonpaysetpoursonroi.Sicettehistoireestvraie,elleexpliqueenpartiepourquoimonpèreatoujoursétésidifférentdesesfrèresetsœurs,etpourquoiilsavaientl’air,sansledireclairement,denousconsidérercommedesétrangers.Quoiqu’ilensoit,ilyavaitunfosséentremonpèreetsafamille.Ilmenaitunevietotalementdifférentedelaleur,notammentenraisondeschoixqu’ilavaitfaits,maisaussiàcausedesapersonnalitéetdesesconvictions.Pourtant,c’étaitbienluilepréférédesamère,celuiqu’ellesoutenaitetdéfendaitquoiqu’ilfasse.Peut-êtrejustementparcequ’ilétaitlefruitd’uneaventureextraconjugale.

Lemaridemagrand-mèreétaitfermier.Deretourdelaguerre,ilétaittellementendettéqu’iln’apuentrevoirlamoindresolutionàsasituation.Désespéré,ils’estenfermédanslacabaneaufonddeleurjardinets’estsuicidéàl’aidedesonfusil.Monpèrenousaracontéque,petitgarçon,c’étaitluiquiavaitdécouvertsoncorps.Personnenem’ajamaisconfirmécetteversiondeschoses,mais,àl’époque,j’ycroyaissincèrement.Aujourd’hui,jenesaisplusquoipenser.Toujoursest-ilquejen’avaispasdegrand-pèrepaterneletquemagrand-mèrevivaitseuledanssonpetitpavillon,àquelqueskilomètresdecheznous.

Àencroireuneautrerumeurquicouraitdanslafamille,monpèreadormidanslemêmelitquesamèrejusqu’àl’âgedequatorzeans.Celasembletrèsplausible,étantdonnélelienquilesunissaittouslesdeux.Toutesavie,elleacherchéàleprotégerdetoutlemonde,ycomprisdemoi.Celaexpliqueraitaussipourquoiilétaitaussiàl’aiseaveclesquestionsdesexeetdenudité.

Mesonclesettantesonttouseuunparcourstrèsdifférentdeceluidemonpère.Ilsappartenaientàlaclassemoyenneetmenaientunevieconfortable.Ilspossédaienttousunlogement,géraientleurpropreentreprise,etaucund’euxn’auraitvoulufréquenterlesgensquicomposaientl’entouragedemonpère.

Desvoleurs,desalcooliques,desprostituées,tellesétaientlespersonnesquenousvoyionsalleretvenircheznousàtouteheuredujouretdelanuitetquibuvaientavecluidanslespubsdeNorwich.

Monpèren’aapprisàlireetàécrirequelongtempsaprèsmoi.Jesaisqu’ilapasséquelquetempsdansunemaisondecorrection,maisj’ignorepourquelleraison.J’aientendudireque,danssajeunesse,ilavaitjetéunconducteurdebushorsdesonvéhiculeetquecethommeétaitmortplustardd’unecrisecardiaque,maisjeneconnaispaslesdétailsdel’histoire.Personnenepouvaitsansdouteaffirmeraveccertitudequelesdeuxévénementsétaientliés,maismonpèreétaitadeptedecegenredecomportement.

C’étaituncharmeur,maisaussiuntyranquiaimaitplusquetoutattirerl’attentionetdontlaviolenceétaitincontrôlable.

Bienquemamèreaitlongtempsvécudansunlogementsocialetquesafamillen’aitpasaussibienréussiquecelledemonpère,c’étaituneenfantrelativementgâtée.Commemonpère,elleaposébeaucoupdeproblèmesàsesparentspendantsonadolescence.

Ellesesauvaitdechezelle,etsoncaractèrerebelleleuracausébiendusouci.Manifestement,elleavaittoutdemêmecertaineslimites,mêmeàl’âgedequinzeans.Eneffet,lesoiroùellearencontrémonpère,elleétaitalléeaucinémaavecunautregarçon.

Quandsoncavalier,profitantdel’obscurité,avoulumettrelamainsursacuisse,elleenaressentiunehonteterrible.Lerepoussantviolemment,elles’estaussitôtenfuiedelasalledecinémapourrentrerseulechezelleàpied,sefélicitantd’avoirsauvésonhonneur.Surlechemin,elleacroisémonpère,qu’ellerencontraitpourlapremièrefois.Ilavaitdeuxansdeplusqu’elle,maisétaitdéjàmaîtredansl’artducharmeetdelaflatterie.Ilétaitgrand,bienhabilléetpossédaittouslesatoutsduparfaitséducteur.

Ellen’apassurésister.Iladûréussirunvéritabletourdemagie,carnonseulementiln’apasessuyélemêmerefusquelemalheureuxgarçonducinéma,maisilamêmecouchéavecmamèrecesoir-là.

C’estainsiqu’acommencélagrandehistoired’amourquidevaitdétruiretantdeviesaucoursdesannéessuivantes.

Quandmonpèreaamenémamèrechezluipourlapremièrefois,magrand-mèreétaitfolledejoie.

Ellelesatoutdesuiteencouragésàsemarieretàfonderunefamille,mais,biensûr,ilsdevaientattendrequemamèresoitenâgedelefaire.Monpèreavaiteutellementd’ennuisjusque-là,àcausedel’alcooletdesesmauvaisesfréquentations,quemagrand-mèreavaitsûrementhâtedelevoirvolerdesespropresailes.Elledevaitespérerqu’ils’assagiraitmaintenantqu’ilavaittrouvélafemmedesavie.

Mesgrands-parentsmaternels,eux,n’ontpasétéaussienthousiasmésparcegrandamour,c’estlemoinsquel’onpuissedire.Ilssontmêmeallésautribunalpourinterdireàcegarçondefréquenterleurfille.

Commeellen’avaitencorequequinzeans,ilsespéraientsansdoutelasauverdudangeravantqu’ilnesoittroptard.Contrairementàelle,ilsontvuquellepersonnalitéilcachaitderrièrecettefaçadecharmeuseetl’onttoutdesuiteméprisé.Ilsontdûsentirqu’ilnepourraitfairequedumalàleurfille,etleurscraintessesonthélasvérifiées.Ilsavaientcertainementespéréqu’ellerencontreraitunhommestable,capabledeluiapporterunéquilibreémotionneletmatériel,etquiconqueauraitrencontrémonpèreseseraitrenducomptequ’iln’étaitpascethomme-là.

Évidemment,plussesparentsluiinterdisaientdelevoir,pluselleétaitdéterminéeàleurdésobéir.

Parleurprocédureetleursinjonctions,ilsontrenducetterelationencoreplusromantiqueetexcitanteàsesyeux.

Pourelle,monpèreétaitdevenuundélicieuxfruitdéfendu.Dèsl’instantoùilsontditlemalqu’ilspensaientdelui,ilsontperdutoutechancedeséparercesdeuxadolescentsaussitêtusqu’autodestructeurs.

Mamèreavaitdix-neufansquandelleaétéenceintepourlapremièrefois.Mesparentssesontmariésen1965,unesemaineoudeuxaprèslanaissancedemonfrèreTerryJunior.Magrand-mèrepaternelleétaitauxanges.Jecroisquec’estellequiafinancélapublicationdesbansettouteslesdépensesliéesàcetévénement.Mesgrands-parentsmaternels,eux,avaientdûfinirparreconnaîtreleurdéfaiteetparsefaireuneraison.Peut-êtreespéraient-ilsquelaparentalitéforceraitTerryetJaneàprendreleursresponsabilités.

Jesuisnéeunanplustard,en1966.PuissontarrivésChristian,troisansplustard,etGlen,en1970.

D’aprèslesrécitsquej’aipuentendre,j’aitoutdesuiteétélafavoritedemonpère,quej’adorais.Terry,lui,étaitlepréférédemamère.

—Àlasecondeoùtuesnée,m’a-t-elleditunjour,vousavezétéunistouslesdeuxparunlienfusionnel.

Etjesaisquec’étaitvrai.Ilaimaitaussimonfrèreaîné,mais,quandjesuisarrivée,Terryestdevenulefilsdemamère,etmoi,lafilledemonpère.

Onm’aracontéque,lanuitdemanaissance,ilavaitparcourulescouloirsdel’hôpital,complètementsoûl,uncigareauxlèvres,auplusgranddésarroidelareligieusequidirigeaitleservice.

—Dèsledébut,m’aditmamère,alorsquetun’étaisqu’unnourrisson,ilriaitendisantqu’ilferaitdetoilameilleurepetiteprostituéeduquartier.

2

Lesdébutsd’uneviedefamille

Malgrél’imageglamourqu’affichaientmesparentsquandilssortaientensembledanslespubs,lavienedevaitpasêtresifacilepoureux.Loindelà.QuandTerryétaitbébé,ilsvivaienttouslestroisdansunstudio,etcen’estqu’aprèsmanaissancequelamunicipalitéleuraattribuéunlogementsocial.

Simonpèretravaillaitàcetteépoque,cedevaitêtreentantquepeintredécorateur.Mais,commejenel’aijamaisvuoccuperlemoindreemploi,j’aidumalàimaginerquec’étaitdifférentquandilavaitvingtans.Ilprétendavoirtravailléaudébutdesarelationavecmamère,mais,d’aprèselle,ilnefaisaitpasgrand-chose.

Ilavaittoutdemêmeapprissonmétier,sibienqu’ilapufairequelquestravauxdanslamaison.Maisilnesesouciaitquedespiècesdanslesquellesilpassaitdutempsetrecevaitdesvisiteurs.Parconséquent,ils’estdonnébeaucoupdemalpourembellirlesalonetlachambreparentale,maislacuisineetlestoilettesextérieuresétaienthorribles.Quantànoschambres,ellesnecontenaientmêmepasdelit,etleursmursétaientrecouvertsdel’affreuxpapierpeintlaisséparlesprécédentsoccupants.Terryetmoin’avionsdroitniàdesmeubles,niàdesrideaux,nimêmeàdesampoulesélectriques.Privésdechauffage,nousdevionsnouscontenterdedeuxcouvertureschacun.Lematin,pouréviterdesentirlefroidglacédemachambre,jem’habillaissouslescouverturesetnesortaisquequandj’avaisautantdevêtementsquepossiblesurmoi.

Mamèreétaitsuperbeàcetteépoque.Ellesavaits’habilleretsemaquillerpoursemettreenvaleur,etsacollectiondeperruquesluipermettaitdechangerdecoiffurequandelleenavaitenvie.Ellechantaitrégulièrementdanslesbarsqu’ellefréquentaitavecmonpère,cherchantsanscesseàdéveloppersontalent.Ellerêvaitdedevenirprofessionnelle.Grâceàsavoixmagnifique,elleaeuunjourlapossibilitédeparticiperàOpportunityKnocks,l’ancêtredeXFactor.Maismonpèrel’enaempêchée.Iladûavoirpeurqu’elledeviennecélèbreetqu’ilperdesoncontrôlesurelle.Ensortantdumondedanslequelelleétaitenferméeaveclui,elleauraitconnud’autresgensetilauraitétémisàl’écart.Peut-êtrecraignait-ilqu’ellerencontreunhommegentiletrespectueuxetqu’ellelequittepourlui.Ceconcoursdechantétaitloindegarantirlesuccès,maisilreprésentaitpourelleuneoccasiondes’éloignerdelui,degagnersavieetdedevenirindépendante.Rienquepourcela,iln’étaitpasquestionqu’illalaissefaire.Lachancerendvisiteàtoutlemondedetempsàautre,mêmeàceuxquiontl’aird’attirerlemalheur.Mais,pluson

lalaissepasser,plusonrisquedelaperdrepourtoujours.

Malgréleursproblèmesmatérielsetletempéramentviolentdemonpère,mesparentsformaientuncouplejoyeuxaudébut.Commeilsaimaientsortirensemblepourboire,ilsnouslaissaientsouventtouslesdeuxàlamaison,Terryetmoi.Quandilsnousemmenaient,nousdevionslesattendredehors,assisdevantlebarqu’ilsavaientchoisipourlasoirée.NousmangionsdeschipsetbuvionsduCoca-Colaenattendantqu’ilsressortent,ivresmorts.Ilnousarrivaitderesterainsipendantdesheures,jusqu’àcequ’ilsémergent,incapablesdemarcheroudeparlernormalement.

Onm’aracontéque,quandj’avaisàpeuprèstroisans,ilssontallésunsoirauLamb,unpubdeNorwich.Enressortant,commeilsnemevoyaientpaslàoùilsm’avaientlaissée,ilsontpaniquéetappelélapolice.Onm’afinalementtrouvéeàl’arrêtdebus,avecunefemmequiétaitsurlepointdem’emmener.Jemedemandeparfoiscequiseseraitpassésilapoliceétaitarrivéequelquesminutesplustard.Mavieaveccetteétrangèreaurait-ellepuêtrepirequecellequis’annonçaitàmoi?Jenelesauraijamais.

Mesparentsavaientdéjàprisl’habitudededépensertoutleurargentdansl’alcool.Jesuisàpeuprèscertainequemonpèrenetravaillaitpasàcetteépoque,carmesgrands-parentsmaternelsvenaientcheznoustouteslessemainesavecdesprovisions.Etmamèreavaiteudesproblèmesaveclajusticepouravoirtrafiquélecompteurélectrique.J’enconclusqueleursproblèmesd’argentétaientdéjàrécurrents.

Monpèreaprouvéparsesnombreusesdéclarationslepeudecasqu’ilfaisaitdesonrôleauseindelafamille.Nonseulementilrépétaitàquivoulaitl’entendrequ’ilferaitdemoiuneprostituéedèsquepossible,maiscen’estpastout.Mamèrem’aditque,quandj’avaistroisans,illuiademandéunjourd’allerparierpourluichezlebookmaker.Commeelleneluiobéissaitpasdanslaseconde,ils’estimpatienté.Iln’aimaitpasqu’onlefasseattendre.Alors,ilm’aattrapée,asoulevémarobeetbaissémaculotte.

—Situtedépêchespas,a-t-ilhurléàmamère,jeteprometsquejel’auraipriseavantquetureviennes!

Jepensequ’ilplaisantait,maisquelpères’amuseraitàmenacerdeviolersafilledetroisans?À

forced’entendrecegenredechoses,mamèrenepouvaitques’inquiéterpourmoi.Ellen’étaitjamaissûredecedontilétaitcapableetcraignaitsanscessequ’ilfranchisseleslimites.Monpèreavaitunevisiondelaviebienàlui.

Illuiarrivaitdereveniràlamaisonavecunegrossesommed’argent.Celavoulaitgénéralementdirequ’ilavaitgagnéauxcourses,entoutcasàcetteépoque,avantqu’ilnemettemamèresurletrottoir.Danscescas-là,ilenfaisaitprofitertoutlemonde.Personnenepouvaitl’accuserd’êtreradin,bienaucontraire.Unjour,ils’estachetéuneJaguarMark10,et,commeilnesavaitpasconduire,ilaengagéEric,l’undesesamis,commechauffeur.Ilprenaitunmalinplaisir,vêtud’unbeaucostumeetfumantungroscigare,àsefaireconduiretouteslessemainespourallerpointerauchômage.Danscesmoments-là,ilseconsidéraitcommeunhommetrèsintelligentquisavaittirerprofitdusystème.Jenesaispascommentilapulefaireaussilongtempssansavoirdeproblèmes.Sansdoutegrâceàsaforcedepersuasion.

C’étaitpourcegenred’actesdebravadequesesamisl’aimaient.Toutcommemoi.Àmesyeux,c’étaitunhéros.Jemesouviensque,parfois,quandilavaitdel’argent,ilprenaitdesbilletsdedixoudevingtlivresetlesenflammaitdanslacheminéepourallumersoncigare.Monpèrebrûlaitdel’argent.

Pourmoi,c’étaitlegesteleplusbrillantquel’onpûtimaginer.Quellesfillesdemonâgeauraientpusevanterd’assisteràunescèneaussiextravagante?

Ilpossédaitdesfuretsetaimaitlesmettredanslespochesdesoncostumepoursortir.Riennel’amusaitautantquedelesbrandiràlatabled’unbarpourfairehurlerlesfemmes.

—Oh!Terry!Tuenasdebonnes!

Ellesletrouvaienttoutestellementdrôle.Oùqu’ilsoit,ilarrivaittoujoursàformerunpetitpublicautourdeluiquandils’asseyaitpourboire.Ilatoujourssuattirerlafoule.

Quemesparentsaientdel’argentounon,monpèreétaittoujoursvêtudemanièreimpeccable.Mêmepourallerdanslespubslesplusmisérablesouchezlesbookmakers,ilnesortaitjamaisautrementqu’encostume-cravate,avecunechemiseimmaculée.

Ilciraitseschaussurestouslessoirsetlesfrottaitjusqu’àcequ’ellesbrillent.Touslesmatins,ilselavaitlescheveuxetserasait,afind’êtreprêtàseprésenterdenouveauàsonpublic.

Quandilavaitdel’argent,iln’hésitaitpasàledépenserpourlafamille,àconditiond’acheterdeschosesquiimpressionneraientlesgens.Parexemple,nousavonsétélespremiersdenotrequartieràavoirunetélévisionencouleurs,ainsiqu’unlave-lingeautomatique.

Mais,endehorsdesrarespériodesfastes,nousétionsloindecesexcès.Laplupartdutemps,iln’yavaitrienàmangeràlamaison,etTerryetmoin’avionsmêmepasdevêtementsderechange.L’argentmanquaitpresquetouslesjoursdel’année.

Monpèrepossédaitaussideschiensqu’iladorait.Pouraffirmersonoriginalité,jepense,etpoursevanterd’avoirlesmêmeschiensquelareine,ilasurtouteudescorgis.SaMajestéétantleseulautreamateurdecetteracequejeconnaisse,ilétaitpresquecertaindenepasenvoird’autresquelessiensdanslequartierquandilserendaitaupub.Quandj’étaispetite,nousavionsuncanicheetunsaint-bernard.Ilsétaienttouslesdeuxbeaucouptropgrandspournotremaison,maisavaientleméritedefairelafiertédemonpèrequandillespromenaitourecevaitdesamisdanssonpetitroyaume.Adolescent,monpèreavaitétésurnommé«Minou»àforcedeporterdegrandesbottespointuesquirappelaientcellesduChatbotté.

Sibienque,parextensiondesonpropreego,ilaappelésonpremiercorgi«Minou».Cechienlesuivaitpartoutoùilallait,sedandinantsursespetitespattes,haletantenpermanence.Iln’avaitjamaisnicolliernilaisse.Monpèreaimaitl’idéedelesavoirassezattachéàluietbiendressépournejamaischercheràsesauver.Letenirenlaisseauraitnuiàsonimage.Chaquefoisquemonpèresefaisaitarrêterpouravoirbuoupours’êtrebattu,Minoulecorgiétaitraccompagnéàlamaisonparunevoituredepoliceouuntaxi.Toutlemondesavaitàquiilappartenait.Safidélitécontribuaitàmettresonmaîtreenvaleurdanslequartier.

Mêmequandilmanquaitd’argentpournourrirethabillersesenfants,monpèretrouvaittoutnatureldeserendredès10h30envillepourfairel’ouverturedesbars.Selonlui,unhommedignedecenomdevaitfairecequ’ilvoulaitdesavie,etpersonnen’avaitledroitdeluidirelecontraire.

Iltenaitaussiàéleversesenfantstelqu’ill’entendait,c’est-à-direenlesbattantchaquefoisquel’envie

luiprenait.Selonlui,nousluiappartenionsaumêmetitrequeMinoulecorgiouquesesbottesbiencirées.Commesonchien,nouslesuivionsàlatraceentrottinant,cherchantsanscesseàluifaireplaisirpouréviterlespunitions.

Simesparentsontréussiàs’occuperdeTerryetmoiaprèsnotrenaissance,c’estsansdouteavecl’aidedeleursparentsàeux.Àmoinsquecenesoitgrâceàl’énergieetl’enthousiasmedelajeunesse.

MaisquandmespetitsfrèresChristianetGlensontnés,mesparentsétaientdevenusincapablesd’avoirdesbébéssousleurresponsabilité.Pouruneraisonquej’ignore,monpèrenesupportaitpasdelesvoir.

Chrisl’agaçaittellementqu’unjour,ill’amisdanslelave-linge,menaçantdelefairedémarrerpendantquemamèrepoussaitdeshurlementsenlesuppliantdelelaissersortir.Évidemment,Chrisétaitterrifiédèsqu’ilvoyaitmonpère.Ilsemettaitàtremblerparcraintedesefairebattreetcouraitseréfugierdanslesjupesdemamère.

Àcourtdesolutions,mamèreaeul’idéed’enfermerChrisetGlenensembledansleurchambrequandnotrepèreétaitàlamaison.J’avaisquatreansquandGlenestnéet,pourtant,jen’aipassouvenird’avoirpassédutempsaveceux.Quandlavoieétaitlibre,notremèredescendaitaveceuxpourleslaveretleurdonneràmanger,mais,endehorsdecesraresmoments,ilsétaientenpermanenceenfermésaupremierétage.

Dansunetellesituation,n’importequelbébéseseraitmisàpleurerpourattirerl’attention,maiseuxgardaientlesilence.C’étaitcertainementlapeurquilesincitaitàêtreaussisages,quitteàsefairelittéralementoublierparnosparents.Chrisévitaitdesefaireentendredecrainted’attirerlacolèredemonpère;quantàGlen,iladûcommencerparimiterlecomportementdesonfrère.Parlasuite,iln’avaitsimplementpluslaforcedecrier.J’imaginequ’ilsontrenoncéàespérerquequelqu’unviendraitunjourrépondreàleursbesoins.Leurmutismerelevaitdufatalisme.

LachambresilencieusedeChrisetGlennouseffrayait,Terryetmoi.Nousdétestionsl’odeurfétided’urineetdesellesquis’enéchappaitetn’osionsniyentrerseulsnimêmeouvrirlaporte.Nousnesavionspassinouslestrouverionsvivantsoumortsàl’intérieur.Jemerappelleencorecetteodeuretl’horreurquej’aidécouvertedanscettechambrelesraresfoisoùj’ysuisentréeavecunadulte.Maisjenemesouvienspasd’avoirentendul’undemespetitsfrèrespousserlemoindrecri.

Siseulementj’avaispufairequelquechosepourlesaider.Mais,hélas,j’étaismoi-mêmetroppetiteetimpuissante.Etaucundeshabitantsdecettemaisonn’auraitosédéfiermonpèreetrisquerderéveillersamauvaisehumeur.Jefaisaistoutmonpossiblepourqu’ilsoitcontentdemoi,maisplusjemedémenais,plusjesemblaisavancersurlamauvaisevoie.Unjour,alorsquej’avaisàpeuprèsquatreans,nousjouionsauxpetitschevauxenfamille.Dansmonexcitation,j’ailancéledétropfortetilaroulésiloinquejel’aiperdu.

—Retrouve-letoutdesuite,m’aordonnémonpèredesavoixmenaçante.

J’aicherchépartout,souslestapis,souslesfauteuils,maisenvain.Aujourd’hui,j’enarriveàmedemanders’ilnel’avaitpasdiscrètementglissédanssapochepourêtresûrquesonplaisirneseraitpasgâché.Unefoisqu’ilavaitdécidédebattrel’undenous,riennepouvaitl’arrêter.Ilestsortidanslejardinpourcouperlabranched’unbuisson,choisissantunebrindillebiensolideetflexibleàlafois.

Pendantquenouscontinuionstouslestroisàchercheractivementledé,ilaprisuncouteauafindecouperméthodiquementlesfeuillesetlespetitesbranchesattachéesàsonbâton,letransformantenunearmemenaçantequ’ils’estmisàagiterdansl’air,commepours’assurerdesasouplesse.Mamèresavaitcequ’ilpréparaitetl’asuppliéd’yrenoncer,maisill’aignorée.Quandmonpèreavaitdécidédefairequelquechose,ilnelaissaitjamaispersonnel’endissuader.

Unefoisprêt,ilm’aordonnédebaissermaculotteetm’ainstalléesursesgenoux.Puis,metenantfermement,ilm’afouettéejusqu’ausang.Jehurlais,incapabledecomprendrepourquoimonpèreadorés’enprenaitàmoiaussiviolemment.

Aussiinsupportablequ’aitétéladouleur,latrahisonquejeressentaisétaitencoreplusforte.Dumoinssurlemoment,car,aprèscela,jen’aipaspum’asseoirpendantunesemaine.C’étaitlapremièrefoisqu’ilmebattait,mais,àpartirdecejour,cettebrancheestrestéeàportéedemaindanslesalon,prêteàservirdèsquemonpèreperdaitsonsang-froid.

Lescoupseneux-mêmesétaientextrêmementdouloureux,maiscefutleurattentequidevintlapiredestortures.Monpèrenousmenaçaitsanscessedenousbattre,laissantlebâtonàcôtédelacheminéeetleregardantdetempsentempspournousrappelercequinousattendait.Terrifiée,jememettaisàpleureravantmêmequ’ilaitsaisisonaffreuxaccessoire.Ils’enservaitpournoustaquiner.

—Tuenveuxunpeu?demandait-iltoutenlefaisantclaquercontresapaume.

Ilneseservaitpastoujoursdubâton.Parfois,ilsecontentaitd’unepantoufle.Etiln’avaitpasbesoind’êtresoûlpournousattraperl’unoul’autre,baissernotrepantalonetnousfairebasculersursesgenoux.

Parfois,ilétaitmêmecomplètementsobre.Ilavaitjustebesoind’évacuersafrustrationsurplusfaiblequelui.

—C’estl’heuredetesdixcoups,déclarait-ilparmoments.

Etdanscecas,noussavionsqu’ilétaitimpossibled’yéchapper.

Jemesouviensd’unjourenparticulieroù,lapantoufleàlamain,ilm’aordonnédem’approcherdeluipourrecevoirunecorrection.

—Baissetaculotte,m’a-t-ildit.

J’avaistellementpeurquejesuisrestéeimmobile,lespiedsplantésdanslesol.Puisjemesuismiseàpleureretàlesuppliertoutensachantquecelaneservaitàrien.

—Arrêtedepleurer,m’a-t-ilordonné.Sinon,c’estpasdixcoupsquetuvasavoir,maisvingt.

Ilmeparaissaitimpossibledefairelesquelquespasquimeséparaientdelui.Alors,jesuisrestéelàoùj’étais.Jesavaiscequim’arriveraitsijeneluiobéissaispas,maismesjambesrefusaientdebouger,commedansuncauchemar.

—Viensicitoutdesuite!a-t-ilvociféré,fouderage.

Cettefois,j’airéussiàavancerpourtraverserlesalon.Àmesurequejem’approchaisdelui,jevoyais

unsouriresedessinersurseslèvres,etj’aicrul’espaced’uninstantqu’ilavaitchangéd’avis.

Qu’ilavaitjustevoulumetaquiner,pours’amuser.Malgrélestremblementsdemoncorps,jemesuisforcéeàluisourireaussi,essayantdefaireensortequ’ilm’aimeassezpourrenonceràmefairemal.

Mais,dèsquej’aiétéàsaportée,ilm’aattrapéepourm’installersurseslonguesjambes.Commeilbrandissaitsapantoufledanslesairs,j’aipousséunhurlementstrident,cequil’afaitrire.

—Jet’aimêmepasencoretouchée!

Commejen’arrêtaispasdepleurer,ils’estmisencoreplusencolèreetadoublélenombredecoupspourm’apprendreàêtrecourageuseetforteetàobéiràsesordressanslefaireattendre.Sesleçonsontportéleursfruits,carj’aipeuàpeuprisl’habituded’étouffermescrisetderecevoirmescorrectionsensilence.Cherchantàoublierladouleur,jecomptaislescoupsetmeconcentraisdetoutesmesforcespouréviterdepleureretdelerendreencoreplusfurieux.

Quandilaeufini,ilm’ajetéesurlesolet,toutetremblante,jemesuisdépêchéederemontermaculotte.Leslarmescontinuaientàcoulersurmesjoues,maisj’étaissoulagéed’avoirsurvécuàcesuppliceaprèsm’êtrecruesurlepointdemourir.Jem’envoulaisd’enavoirfaittouteunehistoire.Aprèstout,cen’étaitpassiinsupportable.J’avaismal,maisjem’enétaissortie.Monpèreavaiteuraisondesemoquerdemoi.

J’aiessayédemetraînerjusqu’àunfauteuilpourm’asseoir,maiscelafaisaittropmaletj’aiétéobligéedem’allongersurlecôté.Mêmeunefoismapunitionterminée,j’étaisincapablederetenirmeslarmesetfaisaisseulementmonpossiblepourquemonpèrenelesvoiepas.

—Arrêtederenifler!a-t-ilcrié.Sinon,tuvasavoirdroitàunedeuxièmesérieet,cettefois,ceseraaveclebâton.

Seshurlementsmedonnaientencoreplusenviedepleurer.Jevoulaiscourirverslui,luidirequejel’aimaistoujoursetluidemanderpardonpourtoutlemalquej’avaispuluifaire.Jevoulaisleprierdemeprendredanssesbrasetdemefaireuncâlin,maisjesavaisquedetellesfaiblessesneferaientquelerendreencoreplusfurieux.Alors,jesuisrestéesurmonfauteuil,luttantpourfairecessermessanglots.

Jemerappellel’avoirvubattreTerrytrèsviolemmentunjour,avecsespoings.J’airegardémonfrères’effondrercontrelemur,laissantunetracedesangsurlepapierpeint.

Sij’étaisintervenue,monpèrem’auraitfaitsubirlemêmetraitementpourmepunirdemoninsolence,sibienquej’aidûresterimmobileàattendrequecesoitfini.Celuiquiluidemandaitpourquoiilétaitencolèrenerisquaitqu’uneseulechose:recevoiruneviolentecorrection.Lamoindreoppositionluidonnaitunprétextepoursemontrerencoreplusvicieux.

Mamèreétaitincapabledenousprotéger,pourlabonneetsimpleraisonqu’elleavaitaussipeurdeluiquenous.Ilauraitfalluavoiruncouragehorsducommunpourluirésister.Peuàpeu,àforcedeluidirequ’elleétaitlaideetbonneàrien,ilétaitparvenuàluifaireperdretouteconfianceenelle.Illabattaitelleaussi.

Unjour,enluidonnantuncoupdepieddanslamâchoire,illuiacassédesdents,qu’elleadûfaire

remplacerpardesfausses.Ellegardeencoredecetteattaqueunecicatriceimportanteaumenton.

Larelationdemesparentsadûêtreinstabledèsledépart,mais,d’aprèsmamère,c’estquandelleattendaitGlenqueleschosesontcommencéàdégénérer.Monpères’étaitmisàboireénormément.Unjour,alorsquemamèreétaitenceintedeplusieursmois,ilsrentraientensembledupubquandilsontcroiséunChinoisdanslarue.Celaapeut-êtrecommencéparuneplaisanterie,maismonpèreaaccusémamèred’avoiruneaventureaveccethomme,et,progressivement,ils’estconvaincuquec’étaitavecluiqu’elleavaitconçuGlen.Évidemment,c’étaitabsurde,d’autantplusquemamèrenel’avaitjamaisvuhormiscesoir-làdanslarue.

Maisl’histoirequemonpèreavaitinventéeafiniparlerendrefou,jusqu’aujouroùilapoussémamèreduhautdel’escalier.Sachuteadéclenchéletravailetelleadûsubirunecésarienneenurgence.Enlapréparantpourl’opération,lesmédecinssesontrenducomptequ’ellesouffraitd’anémieetdemalnutrition.AprèslanaissanceprématuréedeGlen,ilsl’ontdoncgardéeuncertaintempsàl’hôpitalpourlasoigner.

Lathéoriedemonpères’estrévéléeencoreplusridiculequandGlenestné,puisque,loind’avoirlestraitsdesonprétendugéniteurchinois,c’étaitceluidenousquatrequiressemblaitleplusànotrepère.

Pourtant,cetteévidencenel’aenriendissuadédecroirequecebébén’étaitpaslesien.Ils’estmisàprétendrequ’ilnepouvaitpassortirtravaillerdepeurdetrouversafemmeaulitavecunautrehommequandilrentrerait.C’étaitabsurde,maisiln’acessédelerépéterpendantdesannéespourattirerlacompassion,etjesuissûrequesescamaradesdupubnedoutaientpasdesonhistoire.PauvreTerryquinepouvaitpasfaireconfianceàsafemme…

Quandmamèreaétéemmenéed’urgenceàl’hôpitalpourlanaissancedeGlen,TerryJunior,Chrisetmoiavonsétéplacésenfamilled’accueil.Monpèreadûpenserqu’ilnes’ensortiraitpasseulavecnoustrois,àmoinsquecenesoitmamèrequiaitprévenulesservicessociauxpournousprotégerdelui.À

cetteépoque,jecroisquelesautoritésavaientcomprisàquelpointilétaitviolent.Nousétionssansdouteconsidéréscommedesenfantsendanger.

Jegardetrèspeudesouvenirsdecettepériode,maisjemerappelleparfaitementlematinoùjesuisdescenduedemachambreaprèsnotrepremièrenuitdanscettefamilled’accueil.

—Bonjour,m’aditquelqu’unenmevoyantapparaîtredansl’encadrementdelaporte.

Jemesuisfigée.J’aisentiquejedevenaisécarlateetj’aiétéincapablederépondre.Cesimplebonjouradûmedécontenancer,toutsimplementparcequec’étaitlegenredemotsquejen’entendaisjamaischezmoi.Àlamaison,lesgensnefaisaientquecrierquandilsétaientobligésdecommuniquer.

Àpartirdecejour,monsurnomauseindecettefamilled’accueilaété«lamuette».Peut-êtrequ’onnem’aappeléecommecelaquequelquesfois,aveclaseuleintentiondemetaquineretnond’êtreméchantavecmoi.Néanmoins,j’avaistellementhontequecemotestrestégravédansmamémoire.Jesavaisquec’étaituniquementmafautesijen’avaispasréponduquandonm’avaitditbonjour,etcelam’aconvaincuequej’étaisinférieureauxautresenfantsquivivaientlà.Jemevoyaiscommeunebonneàrienquin’avaitpasledroitdevivredanscettemaisonetdontpersonne,pasmêmesespropresparents,nevoudraitjamais.

Unefoismamèresortiedel’hôpital,nousavonseuledroitderentrercheznous.Lesmédecinsavaientdéclaréqu’unenouvellegrossesselamettraitendangeretluiavaientprescritunepilulecontraceptive.Enapprenantqu’ellenepourraitplusêtreenceinte,monpèreaconcluqu’ilétaittempsdelamettresurletrottoir.Ilenavaitdéjàparléauparavant;manifestement,cetteidéen’avaitriendechoquantàsesyeux.

Aucontraire,ilnecomprenaitpaspourquoicettepratiquen’étaitpasplusrépandue.

—Touteslesfemmessontassisessurunemined’or,avait-ilcoutumededire.Siaumoinsj’avaiseuquatrefilles,jedirigeraisunevraiepetitemaisondepasseetj’auraisplusjamaisbesoindetravailler.

Celapeutsemblerironiquedepenserqu’ilavaitbattumamèreàcaused’uneprétendueinfidélitéalorsqu’ilétaitprêtàlavendreàd’autreshommes.Maiscelacorrespondaitàsalogiquesiparticulière.

—Quitteàlefaire,disait-il,ilfautquecesoitcontredel’argentetpasgratuitement.

3

Lespremierspasdemamèresurletrottoir

Mamèren’avaitpasprismonpèreausérieuxquand,audébutdeleurrelation,illuiavaitparlédelapossibilitédeseprostituer.Elleavaitcruàuneplaisanterie.Quiauraitimaginéqu’unhommepouvaitvouloircelapourlafemmequ’ilaimait?

Maismonpèreétaitbiendifférentdelaplupartdeshommes,etmamèrel’adécouvertàsesdépensaufildesannées.Cequiavaitcommencécommedel’humourdemauvaisgoûtentredeuxamantsestbientôtdevenuunemenaceàprendreausérieux.

Mamèren’apastardéàcomprendrequemonpèreavaittoujoursdesprojetspourelle,d’autantplusaisésàconcrétiserque,maintenant,elleprenaitlapilule.Leplussérieusementdumonde,illuiaannoncéqu’ilétaittempspourelled’exploiterla«mined’or»surlaquelleelle«étaitassise»afind’entretenirsafamille.

Ilsdevaientdéjàconnaîtredesgensquitravaillaientdanscemilieu,carlesendroitsqu’ilsfréquentaientenétaientremplis.J’aid’ailleursvubeaucoupdeprostituéesàlamaisonparlasuite.Auxyeuxdemonpère,vendresoncorpsn’avaitriend’extraordinaire.C’étaitunemanièrefaciledegagnerbeaucoupd’argentsansfaired’efforts.Dumoins,sansqueluifasselemoindreeffort.

Ilestdifficiled’imaginercommentunhommearriveàconvaincresafemmed’allerpourlapremièrefoissepostersurletrottoirafindevendresoncorps.Maismonpèreavaitledond’obtenircequ’ilvoulaitenusantdesoncharme,desabrutalitéetdesontalentdemanipulateur.Ilavaitbeauadorermamère,illuttaitsanscessepourgarderlecontrôlesurellepartouslesmoyens.

Illadominaitetlaterrorisaitpresqueautantquesesenfants.Quandilvoulaitquelquechose,ils’obstinaitjusqu’àobtenirsatisfaction,etc’estcequ’ilafaitavecmamèrepourenarriverlà.Iladûlaflatter,luidireàquelpointelleétaitsuperbeavantdesemettreàl’insulterensoutenantqu’elleétaitincapableetqu’elledépendaitdelui.

Puisilluiasansdouterépétéàlongueurdejournéequelafamilleavaitbesoind’argent,qu’ilneluiendemandaitpastantqueça.Jel’imaginetrèsbiendanscerôle.Celapeutparaîtredifficileàcroire,mais

jesaisàquelpointilsavaitsemontrerpersuasifquandilavaituneidéeentête.

Entoutcas,mamèreafiniparaccepter.Ellel’acruquandilluiaditqu’ellen’auraitàlefairequ’uneoudeuxfois.Qu’illuidemandaitseulementunserviceparcequ’ilnevoyaitpasd’autresmoyenspoureuxdegagnerviteunpeud’argentpourretournerboire.Lepremiersoir,ill’aemmenéedanslequartierdeNorwich,oùtravaillaienttouteslesprostituées.Là,illuiaexpliquécequ’elledevaitdireauxhommespourlesaborderetcequ’elledevaitfaireunefoismontéeenvoitureaveceux.J’aiuneidéetrèsprécisedelafaçondontilluiaprésentéleschoses,puisque,quelquesannéesplustard,c’estàmoiqu’ilatenucediscours.

Mamèren’apasmislongtempsàserendrecomptedesanaïveté.L’argentfacileestunedroguedure,surtoutpourquelqu’unquin’aabsolumentrienàfairepourlegagner.Envoyanttoutcequerapportaitmamèreàlamaison,monpèrearefuséqu’ellearrête.Iln’étaitpaspluscapabled’ymettreuntermequedecesserdeboireoudejouer.Pluselleluirapportaitd’argent,plusilenvoulaitetplusillafaisaittravailler.

Ilprenaitsonrôledeproxénètetrèsausérieux.Lespremièresfois,ilestrestéaucoindelaruetoutelanuitets’estassuréquemamèrerestaitbienàsonposteetqu’ellefaisaittoutpourattirerlesclientspotentiels.Ilnel’autorisaitàrentrerquequandilétaitsûrqu’iln’yavaitplusd’argentàgagner.

Lorsqu’elleavaitaffaireàdesclientspeurecommandablesoumêmemenaçants,elleprenaitpeuretsuppliaitmonpèredelalaisserrentrer.Maisill’ignorait,feignantdenepasl’entendre,etlapoussaitpourqu’elleretourneàsaplace.

Laplupartdutemps,ellemontaitdanslavoituredesclientsquil’emmenaientàl’abridesregardsetfaisaientcequ’ilsavaientàfairesurlabanquette.Maisilarrivaitaussiqu’elleramènedesclientsàlamaison.Monpèresemoquaitdesavoiroùcelasepassaitdumomentqu’ellecontinuaitàtravailler.Assisdanslesalon,ilregardaitlatélévisionpendantqu’ellemontaitavecunhommedansleurchambre,àcôtédelàoùnousdormions,Terryetmoi,etdel’endroitoùChrisetGlengisaientensilence.Elleentraitsimplementdanslamaisonetmontaitàl’étageavecsesclients,commesic’étaitlachoselaplusnaturelledumonde.Celaneposaitaucunproblèmeàmonpère.

ElleacommencépeuaprèslanaissancedeGlenetcontinuéainsipendantdeuxoutroisans,s’enfermantdansl’illusionquecelas’arrêteraitunjour.

Desannéesplustard,ellem’aconfiéqu’ellesesentaitsimalqu’ellepassaitsesjournéesassiseàliredeslivresenmangeantdeschips,neselevantquepourretournertravaillerlesoir.

Durantunecertainepériode,elleoccupaitenmêmetempsunemploidansuneusinedechaussures,sibienqu’elledevaitvivredansunétatd’épuisementchronique.Luttantpoursapropresurvie,ellen’avaitplusaucuneforcepours’occuperdeTerryetmoi.

QuantàChrisetGlenenfermésenhaut,ellesemblaitavoiroubliéjusqu’àleurexistence.Elleallaitdemoinsenmoinssouventleschercher,mêmequandnotrepèren’étaitpaslà,enarrivantfinalementàlesabandonnerdesheuresdurant.

Àlalecturedesrapportsrédigésàl’époqueparlestravailleurssociaux,ilestévidentquemamèremenaitunevieépouvantable,avecquatreenfantsenbasâgeetaucunrevenu,endehorsdecequ’elle

arrivaitàrécupérerdesmainsdemonpère.Poursapart,iln’envisageaitpasunesecondedel’aideràs’occuperdenous.Ilagissaitsansdoutecommelaplupartdeshommesdecetteépoque.Etellen’auraitpaseul’idéenonplusdenousconfieràluipuisquec’étaitauxfemmesdes’occuperdesenfants.

Toutefois,laplupartdeshommesauraientfaitensortedesubvenirauxbesoinsdeleurfamille.Silerôletraditionneld’unefemmeétaitd’entretenirlamaisonetd’éleverlesenfants,celuid’unhommeétaitdetravailler.Mêmequandelletravaillait,mamèrenegardaitriendecequ’ellegagnait.Monpèrerécupéraittoutsonargentpouralleraupubetchezlesbookmakers.Souvent,elleétaitobligéed’allerdemanderdel’aideauxservicessociaux,carnousn’avionsplusrienàmanger.

Maissimonpèreledécouvrait,ilprenaitaussil’argentdesaidessocialesetledépensaitencorepourboire.Nouspercevionsparfoisdesbonsoudesenveloppespourpayerl’électricité,maisilvendaitlesbonsettrafiquaitlecompteurdèsqu’ilavaitbesoind’argent.

Parconséquent,mamèredevaitsecontenterdel’aidedecertainsvoisinsgénéreuxetdecelledesesparentsquinousapportaientdesprovisionstouslesmercredis.Commentmesgrands-parentsont-ilsfaitpournepasvoircequisepassaitcheznous?Pourquoin’ont-ilspascherchéànousaiderdavantage?

C’estdifficileàcomprendre.Jepensequ’ilsnesavaienttoutsimplementpasquoifairepournous.Etilsn’étaientsûrementpasconscientsdelaréalitédenotrevie,surtoutdecelledeChrisetGlen.J’imaginequemamèreprenaitlapeinedeleslaveravantleursvisites.

Quandilavaitbu,monpèredevenaitencoreplusobsessionneletcruelavecmamère.Faisantlescentpasdanslamaisoncommeunlionencage,illuirépétaitencriantqu’elleétaitgrosse,mocheetnulleetquepersonnenel’aimeraitjamaisàpartlui.Àforcedevolonté,iln’apastardéàl’enpersuader.

—Tufaishonteàlafamille,martelait-il.Jen’auraisjamaisdût’épouser.TuétaisàtaplacedanstonHLMavectesparents.

IlvivaitluiaussiavecelledansunHLM,mais,commelesautresmembresdesafamilleavaientréussi,ilconsidéraitqu’ilvalaitmieuxqu’elle.Et,sachantqu’illabattraitsielledaignaitluirépondre,ellerestaitassiseàrecevoircesavalanchesd’insultes.

Cedevaitêtreen1972,quandj’avaisàpeuprèscinqans,quemamèreaquittémonpèrepourlapremièrefois.Étantdonnéqu’elleavaittoujoursdumalànousfairesortirtouslesquatreensembledelamaison,ellen’aemmenéqueGlenetChrisets’estrenduedansunfoyerpourfemmesbattues.JecomprendspourquoiellelescroyaitplusendangerqueTerryetmoi.Ilsétaientbeaucouppluspetits,etmonpèresemblaitlesavoirprisengrippedepuisleurnaissance.

Lefoyeraalertélasociétépourlaprotectiondel’enfanceetlesservicessociauxlocaux,quisontallésvoirmonpèreaprèsavoirinterrogémamère.

Leurrapportfaitmentiondufaitqu’ilétaitauborddeladépressionnerveusequandilsl’ontrencontré.Aujourd’hui,ilsemploieraientsansdouteuneexpressionplusprécisepourdécriresonmal,telleque«troublesbipolaires».Maislesdiagnosticspsychologiquesétaientlimitésàl’époque.

Toujoursest-ilqu’ilsontpromisàmamèredelefaireadmettreenhôpitalpsychiatriquependantunmois.Ellepourraitprofiterdecettepériodeetfaireautribunalunedemanded’ordonnancerestrictiveafinqu’il

n’aitplusledroitdes’approcherdelamaison.Ilsluiontaussiassuréqu’elleobtiendraitlagardedesesquatreenfants.Pendantquelquesinstants,elleadûcroirequ’elleallaitenfinêtreprotégéedeluietqueleschosesallaients’arranger.

Uneambulanceestvenuecherchermonpèreàlamaison,etdeuxmembresdesservicessociauxsontrestésavecTerryetmoijusqu’àcequemamèrerentreavecChrisetGlen.Unefoisquenousavonsétéinstalléstouslescinq,ilsnousontlaissés,et,quelquesminutesplustard,mamèrerecevaituncoupdetéléphonedemonpère.Ils’étaitsauvédel’ambulancesurletrajetdel’hôpitaletétaitalléchezsamèrepourluivolerdessomnifèresqu’ilétaitmaintenantentraind’avaler.

—J’aiprismesproprescachetsavantdequitterlamaison,luia-t-ildit.

C’estalorsquemamèreavuleflaconvidesurlatabledelacuisine.

—Jeseraibientôtmort.J’appelaispourtedireaurevoir.

Iln’apasmanquédeluidireoùilsetrouvaitexactement,sibienqu’elles’estempresséederaccrocherpourappelerlessecours.Ilaétéaussitôttransportéauxurgences,oùonluiafaitunlavaged’estomac.Àl’hôpital,lesmédecinsontditàmamèreque,sil’ambulanceétaitarrivéedixminutesplustard,ilseraitmort.Ilapassétroisjourssousassistancerespiratoireetadéveloppéunepneumonie.Monpèreétaitvraimentdépressif,celanefaitpasdedoute,maisilétaittoujoursdifficiledesavoirsisestentativesdesuiciderelevaientd’unevraievolontéd’enfiniroud’un«appelàl’aide».

Unjouroùmamèreluirendaitvisiteàl’hôpital,unpsychiatreestvenuluiparler.Ilavaitreçumonpèreenconsultationetavaitétéépouvantépartoutcequ’ilavaitdécouvertsurnotrevie.

—Vousêtesmariéeàunhommetrèsdangereux,luia-t-ildit.Votremariestschizophrène.Iladésespérémentbesoindesoinsmédicaux.Jemedemandecommentvousavezfaitpourvivreavecluitoutcetemps.

Ilaorganiséletransfertdemonpèreàl’hôpitalpsychiatrique,etmamèreaacceptédemonterdansl’ambulanceaveclui.Elleadûsesentirsoulagéedevoirquequelqu’unreconnaissaitenfinsesproblèmesetétaitdécidéàl’aider.Maisjepensequ’elles’inquiétaitaussipourmonpère.Mêmes’ilétaitterribleavecelle,ilrestaitsonamourdejeunesseetlepèredesesenfants.

—Combiendetempsilsvontm’enfermerlà-bas?ademandémonpèrependantletrajet.

—Ilsnepeuventpasvousgarderdeforce,arépondul’ambulancier.Vousentrezàl’hôpitaldevotrepleingré.

Quandilssontarrivésàdestination,lesmédecinsontessayédedonnerdessédatifsàmonpère,maisilnecessaitdedirequ’ilvoulaits’enalleretilaordonnéàmamèred’appeleruntaxi.

Elleabienessayédeleconvaincrequ’ilavaitbesoindecetraitementetqu’ilsétaienttouslàpoursonbien,maisriennepouvaitlefairechangerd’avis.Elleafiniparcéder,etilssontrentrésentaxiàlamaison,oùilsn’ontpastardéàretomberdanslaviolence.Etmamèrearetrouvésaplacedanslequartierdesprostituées.

Peudetempsaprèscetévénement,mamèreadenouveauvoululequitterets’estrendueunefoisdeplus

dansunfoyerpourfemmesbattues.Commesonabsenceseprolongeait,lesservicessociauxnousontplacés,Terryetmoi,chezlesWatson,desgensabsolumentadorables.IlshabitaientdansleSuffolk,etc’estdansleurpiscinequenousavonsapprisànager.Leurméthodedouceétaitbiendifférentedecelledenotrepère,quiavaiteul’idéeunjourdenouspousserdelajetéedeGreatYarmouthennousdisantquec’étaitlameilleurefaçond’apprendre.

—Nageoucoule!s’exclamait-ilenriant.

Commenousavonssurvécuàcetteexpérience,j’endéduisqu’iln’avaitpastort.oùpeut-êtreest-celecourantquinousaramenéssurlaplageenmêmetempsquelesalguesetlesdéchetsflottants.Entoutcas,jemesouviensencoredelaterreurquej’airessentieenmedébattantaumilieudesflots,avalantdesgorgéesd’eausaléechaquefoisqu’unevaguemesubmergeait.LaméthodedesWatson,faitedeparolesencourageantesetd’aidepatiente,m’alaisséungoûtlégèrementmoinsamer.

Leurgentillesseétaitsanspareil.Ilsfaisaienttoutleurpossiblepourquenousnoussentionsbienchezeuxennoustraitantcommedesmembresdelafamille.NousallionscueillirdesmûresetpréparionsdestartesetdesconfituresavecMmeWatson.

Maistousleurseffortsnem’empêchaientpasdepenserquej’étaisuneintrusedansleurmaison.Jesavaisquejen’étaispasleurfilleetrestaisconvaincuequemaplacen’étaitpaschezeux.Jen’arrivaisjamaisvraimentàmesentiràl’aise.JepassaismontempsàmedemanderenquoilesenfantsdesWatsonétaientmeilleursquenouspourmériterunevieaussifantastique.

Pourquoimesparentsnemetraitaient-ilspascommelesWatsontraitaientleurfille?Jenesauraisdirecombiendetempsnoussommesrestéschezeux,maisnotreséjouradûêtreassezlong,carilsnousontinscritsàl’écoledeleurcommune.C’estlàquej’aiapprisàécrire.

LavieavaitbeauêtremerveilleusechezlesWatson,j’étaisimpatientederentrerchezmoietderetrouvermonpère.Jenemetrouvaispasassezbienpourvivredanscettejoliemaisonavecdesgensaussigentils.

Jegardeenmémoireunaprès-mididetrèsbeautempsoùj’étaisallongéeauborddeleurpiscine.

C’étaitunmomentparfait.

J’avaisunnouveaufoyeretdenouveauxvêtements.MmeWatsonnousavaitapportédesboissonsfraîches,et,depeurquej’attrapedescoupsdesoleil,ellem’avaitmisdelacrèmesolaire,meportantuneattentionquejen’avaisjamaisreçueauparavant.Pourtant,jenepouvaispasm’empêcherd’êtretriste.Jerêvaisd’êtrequelqu’und’autre,etcesentimentnedevaitplusmequitterpendantdesannées.

Mamèreestvenueplusieursfoisnousrendrevisiteavecsesparents.Jenemesouvienspasdel’avoirvuechezlesWatson,maisjemerappelleyavoirvumongrand-père.Manifestement,MmeWatsonétaittrèscompréhensiveetlaissaitmamèrenousdonnernotrebainetnousliredeshistoireslesoir.

Pendantcettepériode,nousn’avionsledroitdevoirnotrepèrequ’unefoisparsemaine,danslesbureauxdesservicessociauxetsouslasurveillanced’unagent.Unjour,commeiln’étaitpasvenuànotrerendez-vous,onnousasimplementramenésàSuffolk.

Ilestarrivélelendemainsurlelieudenosrencontreshebdomadaires,ivreettrèsagité,exigeantdenous

voir,carc’étaitsondroit.UncertainM.Ashby,membredupersonnel,l’areçudanssonbureauetluiaexpliquéquenoushabitionsdésormaistroploinpourquelesvisitespuissentêtreimprovisées.

Monpère,refusantd’entendreraison,s’estmisàfrappercepauvrehomme,nonsanss’êtreenferméàcléavecluipourl’empêcherdes’enfuir.Finalement,despoliciersontdûforcerlaporte.Enentrant,ilsonttrouvéM.Ashbyavectroiscôtesfracturées,unnezcasséetdemultiplesplaiesetcontusions.

Au-dessusdelui,monpèreessayaitdeluiarracherlesyeuxquandlespoliciersl’ontmaîtrisé.Cetteagressionluiavaluquelquesmoisdeprison,maisluiasurtoutdonnématièreàsevanterpendantdesannées.Selonlui,ilavaitprouvésonamourpoursesenfantsetsacapacitéàsedressercontretoutcequivenaitsemettreentreluietnous,ycomprisunmisérablefonctionnaire.

Mamèreétaitalorspersuadéequenotreséjourenfamilled’accueiln’étaitquetemporaireetqu’elleobtiendraitnotregardepours’installerseuleavecnousquatre.Ellecomptaitsurlesautoritéspournousprotégerdenotrepère,maintenantquetoutlemondeavaitconsciencedesadangerosité.

Mais,dèssasortiedeprison,ils’estmisàlasuivreàlatraceetàlaharcelerpourqu’ellereviennevivreaveclui.Ilsavaittoujoursoùlatrouvergrâceaulienquelesservicessociauxmaintenaiententretouslesmembresdelafamille.Pardeuxfois,elleadéménagéetchangédetravaildansl’espoirdeluiéchapper,maisenvain.Ilfinissaittoujoursparrentrerencontactavecelleenseservantdesondroitàvoirsesenfants.Lesgensquil’engageaientouquilalogeaient,lassésparl’attitudedemonpèrequilasuivaitpartoutoùelleallait,perdaientpatienceetluidemandaientdepartir.

Quandmonpèrelaretrouvait,ilusaitsacapacitéderésistanceavecsesdiscours,luipromettantquetoutallaitêtredifférent,qu’ilétaitleseulàl’aimer.Mamèrel’aquittétroisouquatrefois,maisilatoujoursréussiàlafairerevenir.Et,unesemaineplustard,ellerecommençaitàseprostituerpourlui.

Elles’étaitfaitarrêteràplusieursreprisespourracolageetvivaitsouslamenaced’unecondamnationavecsursis,maiscelanedissuadaitpasmonpèredelarenvoyersurletrottoir.Elleétaitterrifiéeàl’idéed’êtredenouveauarrêtéeetmiseenprison,maisiln’enavaitquefaire.Unsoir,commeelleavaitentendudirequelabrigadedesmœursfaisaitunedescentedanslequartier,ellel’asuppliédelalaisserrentrerplustôt.Elleavaitdéjàgagnébeaucoupd’argentcejour-là,maiscelanechangeaitrienauxyeuxdemonpère.

Furieuxqu’elleoseluidemanderunechosepareille,illuiarappeléquec’étaitluiquidécidaitdeseshoraires.Puis,soulevantsajupe,ils’estmisàcrierauxvoituresquipassaientdanslarue:

—VenezgoûterlameilleurechattedeNorwich!

Selonmamère,c’estàcemomentqu’elleacomprisqu’elledevaitluiéchapperunefoispourtoutes,partouslesmoyens,quitteàabandonnersesenfantsàsamerci.Aprèstoutcequ’elleavaitessayé,ellen’avaitplusd’autreschoix.

4

Ledépartdemamère

Jen’aipresqueaucunsouvenirdeviecommuneavecmamère,etpourtant,j’avaissixansquandelleest

partiepourdebon.Ilnemevientàl’espritaucuneimaged’elleàlamaison.Jerevoisunefemmeentraindefairedelageléeunjourdefêted’anniversaire,maisjesuisincapabledeluidonnerunvisage.

Iln’yaplusjamaiseudefêted’anniversaireaprèssondépart;j’endéduisdoncquec’étaitelle.C’estcequ’elleaffirmeaujourd’hui.

Àpeuprèstoutcequej’airacontéjusque-là,jeletiensderécitsdemamèreetd’autrespersonnesquifaisaientpartiedenotreentourageàl’époque,maisaussidesrapportsdesservicessociauxauxquelsj’aieuaccès.Terryetmoiavonstoujourseudumalàconnaîtrelavéritésurlesdépartsrépétésdenotremère,carnosdeuxparentsavaientuneversionradicalementdifférentedesfaits.

Jemesouvienstoutefoisdesonretouraprèsl’unedesesabsences,mêmesijen’arrivepasàrevoirsonvisage.Pourcélébrernosretrouvailles,noussommesalléstouslesquatreaucinéma,commeunevraiefamille.ChrisetGlenétaientcertainementrestésdansleurchambre.

Lànonplus,jenerevoispasprécisémentmamère,maisjemerappellecettesoirée,car,surlecheminduretour,jemesuisperdue.J’imagineque,dansmonexcitation,j’aicouruenavantetprislamauvaisedirection.Jenecroispasavoirdisparupendantlongtemps,mais,quandmonpèrem’atrouvée,ilétaitfurieuxquejel’aiecontrarié.Lorsquemamèreaquittélamaisondéfinitivement,ilm’aditquec’étaitàcausedemoisielleétaitpartie.Ellemetrouvaitexaspérante,d’aprèslui,etlesoiroùjem’étaisperduedanslarue,elles’étaitrenducomptequ’ellenepouvaitplusmesupporter.

Ilsavaittrèsbienfaireporteràd’autreslaresponsabilitédetoutcequin’allaitpasdanssavie.Jel’aicruparcequec’étaitmonpèreetquej’étaisdéjàconvaincued’êtreunefilleindigne.Ilmel’avaittellementditquejen’endoutaisplus.Parconséquent,pendantdesannées,j’aipenséquec’étaituniquementmafautesinotremèreétaitpartieetnevoulaitplusnousvoir.

Avantcela,quandmamèreestrevenueaprèssestentativesderupture,jecroisqu’elleespéraitlevoirchanger.Mais,loindetirerdesleçonsdecequis’étaitpassé,ilrecommençaitàlarabaisser,àlabattreetàlaharcelerpourqu’elleretournefaireletrottoir.

—Regarde,disait-il,c’estundetesclients.Tupourraisbienlerefaireunedernièrefois,non?

Siellenecédaitpasàsescajoleries,ilemployaitlaviolence.Rienneluifaisaitdavantageperdresonsang-froidqueladésobéissancedel’und’entrenous.Mamèreadûfinirparcomprendreque,tantqu’elleresteraitaveclui,riennechangerait.Elleseraittoujoursobligéedesesoumettreàsesordres,devendresoncorpspourluipermettred’acheterdel’alcooletdejouer.Alors,elleadécidédedisparaîtreunefoispourtoutes.

En1973,unjouroùelletravaillaitàl’usinedechaussures,elleestrentréeàlamaisonàl’heuredudéjeunerensachantquemonpèreseraitaupub.Elleafaitsavalise.Terryetmoiavionssansdouteaccompagnémonpère,etnousdevionsêtreassisdehorsentraindel’attendre.Maiscen’étaitpasunproblèmepourmamère,aucontraire,puisqu’ellen’avaitpasprévudenousemmener.Cettefois,ellepartaitseule.Elledevaitsavoirqu’ellenepourraitpaséchapperàmonpèresielleemmenaitnefût-cequ’unseuld’entrenous,carill’auraitretrouvéegrâceauxservicessociaux.

Ellevoulaitsimplementdisparaîtredelasurfacedelaterre.Ellen’avaitcertainementpasoubliélesparolesdupsychiatrequiluiavaitditqu’ellevivaitavec«unhommetrèsdangereux»,etc’estsansdoute

cequiluiadonnélaforcederassemblersesaffairesàlahâteetdefranchirleseuilunedernièrefoisenclaquantlaportederrièreelle.ChrisetGlenl’ontcertainemententenduedepuisleurchambre,maisilsdevaientêtretropaffaiblisparlafaimpourémettrelemoindreson.Detoutefaçon,jecroisqueriennel’auraitretenue.

Elleestd’abordalléechezunamienluidemandantdel’héberger.Audébut,illuiapromisdes’occuperd’ellejusqu’àcequ’ellepuissesedébrouillerseule.Maisellen’apastardéàserendrecomptequ’aveclui,elleentraitdanslemêmecerclevicieuxqu’avecmonpère.Siellenevoulaitpasêtrecontraintederecommenceràseprostituer,elleallaitdevoirquitterNorwichpourtoujoursetprendreunnouveaudépartailleurs,làoùpersonneneconnaîtraitsonpassé.Quandlesgenssaventquevousêtesuneprostituéeouquevousl’avezété,quandvousnerencontrezquedespersonnesévoluantdanslemêmemilieu,vousn’avezpresqueaucunechancedevousensortiràmoinsdechangercomplètementdevie.

Conscientedecettetristeréalité,mamèreamisdanssavalisetouteslesaffairesquiluirestaientetamarchéjusqu’àlasortiedelaville,oùunchauffeurroutierl’apriseenauto-stop.

—Oùallez-vous?luia-t-elledemandé.

—ÀBlakeney,a-t-ilrépondu.

—Çameva.

C’estainsiquemamères’estinstalléeàBlakeney.Ellenesetrouvaitqu’àunecinquantainedekilomètresaunorddecheznous,maisc’étaitcommesielleavaitétéàl’autreboutdumonde.

Elles’estfaitengagercommefemmedechambredansunhôteletapulouerunpetitstudio.ElleacontactélesservicessociauxdeNorwichpourlesavertirqu’elleétaitpartieetpourleurdemanderdenousprendreencharge,leurrépétantàquelpointelleavaitpeurpournous.Saplusgrandecraintemeconcernait,àcausedecequ’elleavaitentendusisouventdelabouchedemonpère.Ilavaitprévudepuistoujoursdeme«mettreautravail»dèsquejeseraisassezgrande.

Désormais,elleleconnaissaitassezbienpoursavoirqu’ilfallaitleprendretrèsausérieuxquandilproclamaitcegenredechoses.S’ilavaitétécapabledeforcersaproprefemme,l’amourdesavie,àseprostituer,pourquoiseretiendrait-ildefairelamêmechoseàsafille?Aprèsavoirditàsoninterlocuteurcombienmonpèreétaitdangereux,ellearaccrochéenétantpersuadéequ’onnouséloigneraitdeluietqu’onnousplaceraitdansdesfamillesdignesdeconfiance.

Quandlesagentsdesservicessociauxsontarrivéscheznouscejour-là,nousétionsabsents,Terry,monpèreetmoi.Ilsontcertainementenfoncélaporte,carilsonttrouvéChrisetGlen,alorsâgésdetroisetdeuxans,commetoujoursabandonnésdansleurchambreferméeàclé.Ilsn’onteuaucuneréactionquanddesétrangerssontentrés:leurregardétaitvidedetouteexpression.Chrissebalançaitdanssonpetitlit,tandisqueGlen,affamé,étaitentraindemangerlecontenudesaproprecouche.

C’estcettescène,découverteparlestravailleurssociaux,quiadonnépourtoujoursàmamèrelapireréputationquisoit.Monpèreenaprofitépoursedonnerlebeaurôle,etsesamisduquartierontfaitdeluilehérosdecettehistoire.Ilavaitbeauêtreaussiresponsablequemamèredusortdecesbébés,ilaréussiàsefairepasserpouruneautrevictimedesanégligenceetdesacruautéalorsqu’iln’étaitquelacausedelaplupartdesesproblèmes.Jecroisvolontiersmamèrequandellemeditqu’elleétait

dépressivedurantlesdernièresannéesqu’elleapasséesavecnous.C’estlaseuleexplicationplausibleaucomportementqu’elleaeuavecsesenfants.

Jenemerappellepasavoirdécouvertcejour-làenrentrantquemamèreétaitpartie.Commecen’étaitpaslapremièrefoisqu’ellequittaitlamaison,j’aisansdoutepenséqu’ellereviendraitbientôt.Cen’estqu’avecletempsquej’aicomprisquesondépartétaitdéfinitifetque,désormais,nousétionsseulstouslestrois,Terry,monpèreetmoi.Àpresqueseptans,jedevaisdevenirlafemmedelamaison.

Autantdirequ’assumercerôledanslamaisondemonpèreavaitdequoim’angoisser.

LesservicessociauxontprisChrisetGlenencharge,mais,pouruneraisonmystérieusequepersonnen’ajamaissum’expliquer,ilsontconsidéréqu’ilspouvaientnouslaisser,Terryetmoi,avecnotrepère.

Peut-êtrepensaient-ilsàcemoment-làqueleproblèmevenaitsurtoutdenotremère.Aprèstout,c’étaitellequiseprostituait,cequivoulaitdirepourbeaucoupdegensqu’ellenepouvaitpasêtreunebonnemère.Etc’étaitellequiavaitabandonnéledomicilefamilial.Ilsontpeut-êtrecruque,débarrasséd’unefemmeaussiméprisable,notrepèrepourraitnousoffriruneéducationplusdécente.Quisaitcequ’ilabienpudirepourlesconvaincrequ’elleétaitcoupabledetoutetqu’iln’avaitrienfaitdemal…Enusantdesoncharme,ilétaitcapabledefairecroiren’importequoiàn’importequi.

QuandmamèreaapprisparsesparentsqueTerryetmoiétionsrestésàlamaison,elleasautédanslepremiertrainpourNorwichafind’allervoirlesservicessociauxetdelessupplierdefairequelquechose.

Cevoyageadûêtreterriblementangoissantpourelle,tantelleavaitpeurd’êtrevueparuneconnaissancedemonpère.Lesdeuxagentsavecquielleavaitétéencontactparlepasséavaientétémutés,sibienqu’elleadûracontertoutesonhistoireàquelqu’und’autre.

Elleaparlédesproblèmesd’alcoolismedemonpère,desaviolence,desonimplicationdanslaprostitutionetdelapromessequ’ilavaitfaitedememettresurletrottoirdèsquepossible.Personnenel’apriseausérieux.Onadûcroirequ’elleexagéraitetqu’ellenecherchaitqu’àsevengerdumariqu’elleavaitquitté.

—Tousvosenfantssontsuivisparlesservicessociaux,luia-t-onditpourlarassurer.Etceseralecasjusqu’àleurmajorité.

Étantdonnénotresituation,c’étaitauxautoritéspubliquesdedéciderparexempleoùnousdevionshabiteretêtrescolarisés.Onluiapromisquenotrepèreseraitsurveillédeprèsetquenotregardeluiseraitretirées’ilnousmettaitendanger.Maisjedoutequemamèreaiteul’esprittranquilleaprèscetteconversation.Elleétaitbienplacéepourconnaîtreletalentdemanipulateurdemonpère.

Étantaujourd’huienpossessiondetouslesrapportsrédigésàl’époqueparlesservicessociaux,j’aileplusgrandmalàtrouverunecohérenceentrecequ’ilsontécritetcertainesdeleursdécisions.Lesannéesquiontsuiviledépartdemamère,j’étaistoujourspleined’espoirquandjesavaisquenousdevionsrecevoirlavisited’unagentdesservicessociaux.Chaquefois,jepensaisqu’ilallaitcomprendrenotresituationetnousaideràensortir.Maislafemmechargéedenotredossieravaitsipeurdemonpèrequ’ellen’acceptaitdevenirqu’àconditiond’êtreaccompagnéeparunpolicierouparl’undesessupérieurs.Ellenousrendaittrèsrarementvisiteetrestaitaussipeudetempsquepossible.Sescraintes

n’étaientpasinfondées,biensûr,puisquemonpèreavaitdéjàétécondamnéàsixmoisdeprisonpouravoirbattul’undesesconfrères.Maiss’ilssavaientqu’ilétaitcapabled’unetelleviolence,commentont-ilspupenserqu’ilnenousfaisaitrien,ànous?Qu’est-cequiabienpuleurfaireimaginerqu’ilpouvaitsansproblèmerevenirvivreavecnousaprèsavoirétélibéré?

Néanmoins,celan’auraitsansdouterienchangés’ilsétaientvenusnousvoirplussouventets’ilsnousavaientposédesquestionspluspoussées.Jen’auraisjamaisdénoncémonpère,nidevantluiniensonabsence.Ilm’aurafalludesannéespourtrouverlecouragederaconterentoutesincéritécequ’ilmefaisaitsubir.Quandjemetrouvaisfaceàlapersonnevenuepoureffectuersavisitedecontrôle,ilm’arrivaitderestersilencieuseetdelaregarderfixement,essayantdeluifairedevinercequisepassaitdansnotremaison.

J’espéraisqu’elleparviendraitàliredansmespensées,àentendrelesmessagesquejeluienvoyaispartélépathie.Évidemment,c’étaitsanssuccès.

—Est-cequetumangesàtafaim?medemandait-elle.

Monestomacsemettaitalorsàgargouiller,maisjen’osaispasluidirequenousn’avionsrienavalédepuisnosquelquesfritesdelaveille.Elleinterprétaitmonsilencecommeunsignequejen’avaisàmeplaindrederien.J’essayaisbiendefairedesallusions,dedonnerquelquesindicessurlaréalitédenotresituation,maisenvain.Jenedevaispasêtreassezclaire.Oubienpersonnenevoulaitm’entendre.

Manifestement,ilétaitplussimplepoureuxdepenserquetoutallaitbien.

J’avaisaussipeurdemonpèrequelesautres,maiscelanem’empêchaitpasdel’adoreretd’avoirenviedevivreaveclui.Jevoulaisjustequ’ildeviennegentilavecnousetqu’ilcessedenousmaltraiteretdenousbattre.J’envoulaisterriblementàmamèred’êtrepartie,carjevoyaislemalquesonabsencefaisaitàmonpèreetàmonfrère.Jelaméprisaisd’avoirpulesabandonneralorsqu’ilsl’aimaienttant.

Lahainequejeressentaispourellen’afaitquemerapprocherdemonpère;celanousfaisaitunpointcommun.

Envoyantàquelpointilsouffrait,j’aieulesentimentquec’étaitdésormaisàmoideveillersurlui.

Nousvivionstoujourslesmomentslesplusdifficilesquandilavaitbuetqu’ilsemettaitàs’apitoyersursonsort,réinventantsapropreexistencecommeleplusimaginatifdesconteursn’auraitosélefaire.

Régulièrement,nousletrouvions,Terryetmoi,àquatrepattessurletapisdusalon,pleurantetpriantpourleretourde«saJane»,poussantdeshurlementshystériques.

Entendresesenfantspleurerlemettaittoujoursdansunecolèrenoire.Aumoindresanglot,ilnouscriaitdenoustaireetnousbattaitennousdisantqueleslarmesétaientunsignedefaiblesse.

C’étaitlàl’unedescontradictionsdemonpèrequej’étaisincapabledecomprendre.Pourquoisesentait-ilsilibredepleurerenpublicendépitdecequ’ilnousapprenait?Cedevaitêtreunefaçonpourluid’affirmersonhonneur,demontreràtoutlemondeladouleurqueluiinfligeaitsafemmesicruelle.

—Jepeuxcomprendrequetamèreaitabandonnésesautresenfants,disait-ilàTerry.Maistoi,tuétaissonpréféré.Commenta-t-elleputelaisser?Unemèreestcenséeaimersonpremierenfantplusquetout.

JevoyaisdansleregarddeTerrylapeinequeluifaisaientcesparoles.Quantàmoi,j’étaistoutaussitristed’entendrelaconfirmationdecequej’avaistoujourssu:mamèreavaitaiméTerryplusquemoi.

Mongrandfrèrepleuraitrarement,mais,danscesmoments-là,sesyeuxs’emplissaientdelarmesetj’envoulaisàmonpèredesemontreraussicruelenverslui.C’étaitcommes’ilversaitduselsursesplaiesquandiltenaitcediscours.

Lecomportementdemonpèresuscitaitsouventmahaine;pourtant,ilparvenaittoujoursàmeconvaincrequ’ilm’aimaitdefaçoninconditionnelle.Ilsemblaitvouloircompenserlefaitquemamèrenem’aitpassuffisammentaiméepourrester.Souvent,ilmerépétaitque,tantquejeresteraisauprèsdelui,toutiraitbien.

—Touteslesmèresontunepréférencepourleurfilsaîné,disait-il,etlespèresadorentleurpetitefille.

Ilnejoignaitjamaisàsesdéclarationslemoindresigned’affectionoudegentillesse,maiscesquelquesmiettessuffisaientàentretenirmaloyautéetmonadorationenverslui.

Etce,mêmes’ilnecessaitdenoustorturer,Terryetmoi,ensevengeantsurnousdudépartdenotremère.Terryétaitanéanti,incapabledecomprendrecommentelleavaitpuluifaireça,etjesouffraistoutautantdesavoirquejen’avaisjamaiscomptépourelleetqu’ellen’avaitaiméquesonfils.Aprèsm’êtreposédesmilliersdequestions,j’ensuisarrivéeàlaconclusionqu’ellen’avaitpaspus’attacheràunefilleaussiexécrablequemoi.Puis,avecletemps,j’aidécidédeneplusyattacherd’importance.Peum’importaitcequ’elleavaitressentipourmoi,puisquec’étaitmoiquemonpèrepréféraitetqu’ilétaittoujourslàpournous.

Ilsavaittrèsbienrabaisserl’opinionquelesgensavaientd’eux-mêmeset,parlamêmeoccasion,fairedelui-mêmeunhérosàleursyeux.Ceuxquitombaientdanssonpiègeselaissaientconvaincrequ’ilsnepouvaientcompterquesurlui,surtoutdansladifficulté.

Pourcela,ilcommençaitparlesrendredépendantsdeluipourpouvoirensuiteleurfaireremarqueràquelpointilsétaientincapables.Ilprenaitainsilepouvoirsureux,etilsn’avaientplusqu’àluiêtrereconnaissantsd’êtreleseulàcontinueràprendresoind’eux.

C’estdecettefaçonqu’ilaprocédéavecmamèreetavectouteslesfemmesqu’ilafréquentées,maisaussiavecsesenfants.Jevoulaissanscessem’approcherdelui,montersursesgenouxetluidirecombienjel’aimais,maisilmerepoussaitavecdégoût.

—T’estropgrosseettropmoche,lâchait-ild’unevoixméprisante.Personnet’aimerajamaisàpartmoi.Mêmetapropremèret’aabandonnée.

Jesaismaintenantquecesinsultesn’étaientdestinéesqu’àmerabaisser,mais,àl’époque,jecroyaisqu’ildisaitlavérité.

Monpèreaimaitlesfemmesquiavaientdeskilosentrop,carilpouvaitseservirdeleurscomplexespourlesdominer.Celaluidonnaitl’occasiondesemoquerd’ellesetdelestraiterdegrossesetdebonnesàrien.

Illuiarrivaittoutdemêmedemeprendredanssesbras,maisjen’avaisquequelquessecondesavant

qu’ilnemerejettedenouveau.Sibienquej’aipeuàpeucesséd’allerverslui.Sesréactionsmefaisaienttropdemal.J’aimaisplusquetoutl’entendremedirequej’étaissapréférée,mêmesij’avaisdelapeinepourTerry.Maisjenecroyaispasmériteruntelhonneur.

Nousn’étionspastoutletempsavecluiàlamaison,carilluiarrivaitrégulièrementd’êtremisenprisonpouravoirvoléoubattuquelqu’un.Danscescas-là,Terryetmoiétionsplacésdansdesfamillesd’accueiloudesfoyerspendantladuréedesapeine,quipouvaitallerjusqu’àplusieursmois.Onnousemmenaitdetempsàautreluirendrevisiteenprison,cequiétaittoujoursuneexpériencetraumatisante.

Leseulfaitd’êtreassisdanslasalled’attenteaveclesautresvisiteursnousintimidait.Toutlemondeavaitl’airsipleindecolère,siagressif.Lescrisquirésonnaientdanslescouloirs,lebruitdesportesgrillagées,lecliquetisdescléssuspenduesàlaceinturedesgardiens…Toutcontribuaitàfairepeuràdesenfantsquinecomprenaientabsolumentpascequelesgensdisaientnicequisepassaitautourd’eux.

Arrivésauparloir,nousétionsmisfaceàlavisionterribledenotrepère,d’ordinairesibienhabillé,perdudanssonuniformetropgranddeprisonnier.Pournousquiavionsl’habitudedelevoirsipuissant,sidominateur,cettesoudainevulnérabilitéétaitinsupportable.Enprison,c’étaientlesgardiensquiavaientlecontrôlesursesmoindresfaitsetgestesetquilemalmenaient.Ildevenaittrèsémotiflorsdecesvisites,maisaussipleindebonnesintentions.Ilnouspromettaitquetoutseraitdifférentquandilrentrerait,quenotrevieseraitmagnifiqueetqu’iltrouveraitdutravailpournousoffrirtoutcedontnousavionsbesoin.Ilsemblaitjouerlerôled’unpèrehéroïqueluttantchaquejourpourassurerlebien-êtredesesenfantsdansunmondehostile.

J’avaistoujoursenviedelecroire,alorsque,chaquefois,ilnouslaissaittomberetoubliaitbienvitesespromesses.Enpublic,jeprenaistoujourssonparti,etj’aicontinuéàlefairemêmequandjemesuisrenducompteàquelpointc’étaitunmauvaispère.

Dèsqu’ilsortaitdeprison,jetrouvaisunmoyendequitterl’endroitoùjeséjournaispourcourirleretrouveràlapremièreoccasion.Jecroyaisdemondevoird’êtreloyaleenverslui,car,malgrétoussesdéfauts,luiaumoinsnenousavaitpasabandonnéscommenotremère.Ilétaitrestéavecnous,nousétionssesenfants,etnotreplaceétaitauprèsdelui.

—Personned’autrenevoudrajamaisdetoi,medisait-il.Jesuisleseul.Tuesgrosseetnulle,maisaumoins,tum’as,moi.

Ilnesupportaitpasl’idéequeTerryetmoipuissionsêtreplacésdefaçondéfinitive,car,selonlui,personnen’avaitledroitdejugersamanièred’éleversesenfants.Maisaussiparceque,s’ilavaitperdunotregarde,ilauraitétéprivédesavantagesqueluioffraitsonstatutdepèrecélibataire.Nouslesuivionspartout,commeunevéritablepetitecour,etilétaitcontrariédèsquequelqu’unessayaitdenouséloignerdelui.

Pendantdesannées,ilamêmeessayéderécupérerChrisetGlen,bienqu’iln’aitjamaissus’occuperd’euxetn’aitmêmejamaissupportédelesvoirdanssamaison.Ils’estrenduplusieursfoisdanslequartieroùrésidaitleurfamilled’accueilpouressayerdelesvoir,mais,parchance,personneneluiapermisdelesapprocher.J’aientendudirequ’ilavaitmêmefaitdesavancesàleurmèreadoptive,etjeneseraispasétonnéed’apprendrequ’elleavaitunfaiblepourlui.

Quandmonpèredécidaitd’userdesoncharme,trèsraresétaientceuxquiluirésistaient.Ilsavait

convaincrelesgensqueriennecomptaitplusàsesyeuxquesesenfants.Quec’étaitunpèredévoué,trompéparunefemmeetparuneadministrationsanscœur.

TerryetmoiavonsdûattendrededeveniradultespourfairelaconnaissancedeChrisetGlen.

Toutefois,nousavonseul’occasiondelesvoiraprèsleurdépart,carleursparentsadoptifsétaientapparemmentamisavecnosvoisinsetvenaientparfoisleurrendrevisite.

Iln’yavaitqu’unepetiteclôtureentreleurmaisonetlanôtre,sibienquenouslesvoyionsarriveretrepartir,maislesservicessociauxnousavaientinterditdeleurparler.Jemerevoisentraindeguetterparlafenêtre,remarquantcommeilsétaientmignonsdansleursvêtementstoutneufs.Etjemesentaistriste.

Auboutd’unmoment,quelqu’unadûserendrecomptedelacruautédecettesituation,carlesvisitesontbrusquementcessé.J’aidûattendred’avoirvingtanspourrevoirmespetitsfrères.

5

Lavieàtrois

Unefoisseulavecnous,notrepèren’apasvraimentfaitplusd’effortspourassumersonrôlequ’àl’époqueoùnotremèreétaitencorelà.Terryetmoidevionsnousdébrouillerpournousnourrirlaplupartdutemps.Jefaisaisdessandwichsàlaconfitures’ilyavaitdupain,oubiennousallionschercherquelquespommesdeterredanslepotagerpourfairedesfrites.

J’avaisdûapprendreenobservantmamère,mais,aujourd’hui,jemerendscompteàquelpointilétaitdangereuxdelaisserunepetitefilledemonâgemanipulerunefriteuse.

Danslejardin,ilyavaitaussiunevingtainedepoulesquinousfournissaientdesœufs,maisellesnecessaientdesesauveretdeprovoquerdesconflitsaveclesvoisins.Jedétestaiscesanimaux,enparticulierlejeunecoqquim’attaquaitengloussantetenbattantdesailesquandjedevaisallerramasserlesœufs.Monpèredisaittoujoursquesonrêveétaitd’avoirunepetitefermeàlacampagne,oùilpourraitvivreentotaleautarcie.Maisiln’ajamaisrienfaitpourleréaliser.Àvraidire,iln’ajamaisrienfaitpourquenotrevies’améliore.Ilpréféraitallerseréfugierdanslesbars,espérantgagnerassezd’argentauxcoursespourfairedisparaîtretoussesproblèmes.

S’ilsesouciaitrarementdecequenousavionsàmanger,ilsemoquaitcomplètementdesvêtementsquenousportions.Quantauxsiens,c’étaitàmoidem’enoccuper.Aprèsledépartdemamère,c’estmoiquiaiétéchargéedelaveretderepasserseschemisestouslesjours.J’avaisapprisàlefaireenregardantmagrand-mèrequandnousluirendionsvisitedanssonpetitpavillon.Montravaildevaitêtreirréprochable,car,sij’avaislemalheurdelaisserunseulfauxpli,ilmegiflaitenmetraitantd’idiotecommeunpropriétairedeplantationl’auraitfaitavecsonesclave.

Celanel’empêchaitpasderépéteràsesamisqu’ilavaitunepetitefilleextraordinaire,quifaisaittantdechosespoursonpapa.Commesic’étaitunepreuvedel’amourquejeluiportais.Cequi,dureste,n’étaitpastotalementfaux.J’étaisfièrequandilparlaitdemoiencestermes,maisjenecomprenaispaspourquoiilmedisaitexactementl’inversequandnousétionsàlamaison.Jenesavaisjamaisàquoim’enteniraveclui.Grâceàcettestratégie,ilgardaitlecontrôledesesrelationsaveclesautres,ycomprissesamis.

Terryetmoin’avionsjamaisl’occasiondelavernospropresvêtements,etnotrepèren’étaitpasdérangéparlefaitqu’ilssoientsalesetqu’ilssententmauvais.Enrevanche,ilprenaitunplaisirmalsainànousregarderprendrenotrebain.

Ilsevantaitd’êtretrèsàl’aiseaveclanuditéet,régulièrement,ilnousfaisaitmêmeprendredesbainsaveclui.Celasepassaitdansunetoutepetitepiècederrièrelacuisine,sousl’escalierquimenaitàl’étage,oùilyavaittoutjustelaplacepourunlavaboetunebaignoire.Ilentraitdansl’eauenpremieretyrestaitseulunmomentavantdenousappelerpourquenouslerejoignions.UnefoisqueTerrys’étaitlavé,ilsortaitetjedevaisresterseuleavecmonpère,quis’asseyaitauboutdelabaignoireenécartantlesjambes.Là,ilm’ordonnaitdemeretournerpourquejeleregardependantqu’ilsecaressait.

—Jeneveuxpas,disais-je,immobile,enregardantfixementlerobinet.

Jen’auraispassudirepourquoi,maisjesentaisquecequ’ilfaisaitn’étaitpasnormal.

—Jenepourraispassortirmaintenant?

Ilm’obligeaitàresteraussilongtempsqu’ill’avaitdécidé.

J’avaisdelongscheveuxblondsqu’ilaimaitpassionnément,refusanttoujoursquejelescoupe.

Environunefoisparsemaine,ilmeleslavaitdanslebainetlesrinçaitàl’eauglacée.Messursautslefaisaientrire,maisildevenaitfurieuxdèsquejepleuraisouquejem’agitais.

Danscesmoments-là,ilétaitaussiimmatureetsadiquequ’unpetitgarçondansunecourd’école.Ilinventaitdesthéoriessurmescheveux,toutesplusabsurdeslesunesquelesautres.Parexemple,ilpouvaitdéciderd’yverserduvinaigrepourlesfairebriller.

Etquandilfallaitlesdémêler,aulieudelesbrosserdoucementpourquecesoitagréablepournousdeux,ilmefaisaitsubirunvéritablesupplice.Ilétaitsibrutalquejenepouvaispasm’empêcherdegémiretdemetortiller,cequiavaitledondelefairerireauxéclats.

Ilavaitunhumouraussicruelquepervers.Àl’époqueoùmamèrevivaitencoreàlamaison,ilavaitparfoisl’idéed’urinerdanslabouteilledevinaigreetils’amusaitàlaregarderenverserquelquesgouttessursesfrites.

Quandilsetrouvaitàl’étageetn’avaitpasl’énergiededescendrepourallerauxtoilettes,ilsesoulageaitdansdevieillesbouteillesdelaitetnousappelait,Terryetmoi,pourquenousvenionsleschercheretquenouslesvidionsàsaplace.S’ilnedisposaitpasdebouteillesvidesàportéedemain,ilsecontentaitd’ouvrirlafenêtredesachambrepourarroserdirectementlejardin.Ilnesesoumettaitàaucunerègledelavieensociété.Cescontraintesnes’appliquaientpasàluietilpouvaitfairecequ’ilvoulaitquandbonluisemblait.

Iléprouvaitaussiunmalinplaisiràs’enprendreauxplusfaiblesquelui.Parfois,alorsqueTerryetmoiétionsassisavecluidevantlatélévisionouquenousjouionstranquillementdanslesalon,illuiarrivaitdeseleverd’unbondpoursejetersurl’undenousetluitordrelebrascommes’ilessoraituneserviettemouillée.Sinouscriionsdesurpriseoudedouleur,ilsemettaitàrireounousordonnaitenhurlantdelafermer.Onauraitditqu’ilvoulaitnousimposerunriteinitiatiquepournousendurciretnousapprendreà

surmonterlatorture.

Leplusperturbantpournousétaitquenousnepouvionsjamaisprévoirsesréactions.Illuiarrivaiteneffetdeprendrenotredéfenseavecuneénergiedémesurée.Uneannée,l’équipedefootballdeNorwichCity,dontilétaitunsupporterassidu,s’esthisséeenfinaledelacouped’Angleterre.Legrandjourétantarrivé,monpères’estinstalléavecexcitationdevantlatélévisionpourregarderlematchetnousaenvoyés,Terryetmoi,jouerdehors.Auboutd’unmoment,Terrys’estdisputéavecunautreenfantetafiniparrentreràlamaisonenpleurant.Monpèreétaitagacéd’êtreinterrompu,mais,aulieudes’enprendreàTerryenletraitantdepetitpleurnicheurcommeonauraitpus’yattendre,ilestsortientrombepourréglerleproblèmelui-même.

Lepèredel’autregarçons’estjointluiaussiauconflit,etlesdeuxhommessesontmisàsebattresiviolemmentqu’onadûappelerlapolicepourlesséparer.Quandmonpèreaétéarrêtéetemmenéauposte,c’estd’avoirmanquélematchquil’amisleplusencolère.

Pendantdesannées,ilaracontécettehistoireàquivoulaitl’entendrepourprouverqu’ilaimaitsesenfantsplusquetoutetqu’ilseraittoujoursprésentpoureux,quellesquesoientlescirconstances.Maisilétaitimprévisible,etTerryetmoisavionsparfaitementqu’ilauraittrèsbienpulerenvoyerdehorscejour-làenletraitantdemauvietteetenluiordonnantderéglerçatoutseul.

Commetouslesfrèresetsœurs,ilnousarrivaitdenousbattre,Terryetmoi.Quandcelaseproduisait,notrepèretenaitànousapprendreàdonnerdevraiscoupsdepoingaulieudenouslaissernousgrifferetnoustirerlescheveux.

Fortedesonenseignement,jemesouviensd’avoirfaitsaignerTerryàlalèvreunjour,cequej’aiaussitôtterriblementregretté.Maisnotrepèrem’afélicitéeetaempêchéTerrydemerendrececoup.

Jesavaisqu’ilnefallaitjamaisdésobéiràmonpèrenilecontrarier,sousquelqueprétextequecesoit.

Jepouvaisluidemanderlapermissiondesortirpouruneraisonoupouruneautre,mais,s’ildisaitnon,iln’étaitpasquestionquej’insiste.Dèsl’instantoùjel’entendaiséleverlavoix,jecessaisinstantanémentdeplaidermacause,carjesavaisqu’ilnechangeraitpasd’avisetquejerisquaisseulementdemefairebattre.

Monpèreavaitbeausesoucierdesonapparencedanslesmoindresdétails,ilsemoquaittotalementdesavoirdequoinousavionsl’air.

Nouspouvionssentirmauvaisetporterdesguenilles,celaneledérangeaitpaslemoinsdumonde.

Unefoisparsemaine,nousapportionsnotrelingesalechezmagrand-mèrepaternellequilelavaitafinquenouspuissionslerécupérerlafoissuivante.

N’ayantaucunhabitderechange,pasmêmedechaussettesetdesous-vêtements,nousdevionsgarderlesmêmespendantseptjours.Terryetmoitransportionslelingedansdegrandssacs-poubellenoirs.Surletrajet,notrepèremarchaitloindevantnousenfaisantminedenepasnousconnaître,alorsquecessacscontenaientprincipalementsesaffaires.

Nousessayionsdésespérémentdesuivresesgrandesenjambées.Sijememettaisàpleurerparceque

j’avaismalauxjambes,ilsemoquaitdemafaiblesseousemettaitencolèreenmereprochantdemeplaindre.Mêmemagrand-mèreleréprimandaitquandelledécouvraitl’étatdemeschaussettes.

Elleluidisaitdem’acheterdenouveauxvêtementspourquejepuissemechangerplusrégulièrementetqu’ilsnedeviennentpasaussisales,maisilnel’écoutaitpas.Chaquefois,elleparvenaitparmiracleàlesrendrepropres.

Lesouvenirleplusprécisquejegarded’elleestcettesilhouettedeboutdevantl’évierdelacuisine,entouréedepilesdelinge,etcesmainsénergiquesfrottantencoreetencorepourfairedisparaîtrelasaleté.

Quiconquenousvoyaitousentaitnotreodeuravaitforcémentuneidéeprécisedel’étatdanslequelnousétions.Sibienqu’unjour,ladirectricedenotreécoleaconsidéréqu’ilétaittempsqu’elleréagissepourmettreuntermeàcettesituation.

Danslecourrierqu’elleafaitparveniràmonpère,elleluiexpliquaitsansdétourquejedevaismelaverplussouvent.Commemonpèreétaitillettré,ilm’afaitliresalettreàhautevoix.Laseuleidéequequiconques’accordeledroitdefaireuncommentairesurnotreéducationluiétaitinsupportable.

Cegenred’intrusionlemettaithorsdelui.Ilpouvaitaccepterlesremarquesdesamère,d’autantplusqu’ilavaitbesoind’ellepourlalessive,maisiln’étaitpasquestionpourluidetolérerceladelapartd’unepersonneextérieureàlafamillecroyantfaireautorité.

—Écriscequejetedicte,m’a-t-ilordonnésévèrement.

Ilfulminaitdéjàavantdecommencer.Puisj’aidûrédigerunelettrepleinedejuronsetd’insultestrèsexplicites.Àunmoment,ilm’amêmeenvoyéedemanderàunvoisincomments’écrivaitlemot

«salope».Mêmesijenesavaispasexactementcequecelavoulaitdire,monintuitionmedisaitquecen’étaitpasuntermeconvenablepourm’adresseràmadirectrice.J’avaisentenducemotassezsouventdanslabouchedemonpèrequandilvoulaits’enprendreàunefemmeouquandilparlaitdemamèrepourdevinerquec’étaitungrosmot.

Manifestement,notrevoisinn’apastrouvétrèsnormalqu’unepetitefilledemonâgeluiposeunetellequestion,carilm’araccompagnéeàlamaisonpourvoirmonpère.Sansdoutevoulait-ilvérifierquejenementaispasetquec’étaitbienluiquim’avaitenvoyée.

—PourquoiMariaveut-elleconnaîtrel’orthographedecemot?a-t-ildemandé.

Quandmonpèreluiaexpliquécequ’ilétaitentraindefaire,notrevoisinabienessayédel’endissuader,maisenvain.Lelendemain,j’aiétéobligéed’apporterlalettrequej’avaisécriteavectantd’application.J’avaishonte,carjesavaisquecen’étaitpasbien.J’avaistoujoursbienaiméladirectriceetjenevoulaispasentrerenconflitavecelle,maismonpèremefaisaitbienpluspeurquen’importequelprofesseur,etpourrienaumondejen’auraisprislerisquedeluidésobéir.

Lalettreaétéremiseàsadestinataire,quil’acertainementlue.Mais,aprèscela,jen’aiplusjamaiseulamoindreremarquedesapart,etmonpèren’apasfaitplusd’effortspourquejesoispropre.

Ladirectriceadûconsidérerquecettebataillenevalaitpaslapeined’êtremenée,etmonpèreenafait

unenouvellevictoiresurlesfonctionnairesmesquinsquivenaientsemêlerdesavieprivée.

Lesservicessociauxversaientàmonpèreuneallocationqu’ilétaitcenséutiliserpournousacheterdesvêtementsetnousemmenerfairedessorties,maisilladépensaitentotalitépours’acheteràboire.

Quandlesautoritéss’ensontrenducompte,ellesontdécidéderemplacerl’argentpardesbonsd’achat,maisilaeul’idéedelesrevendreàdesamispourrécupérerdesespèces.

Ilessayaitsanscessed’élaborerdesstratagèmespourêtresûrd’avoirlesmoyensdepassersesjournéesdanslesbars.Leplussouvent,l’élaborationdecesplansluidemandaittellementd’effortsqu’illuiauraitsansdouteétéplusfaciledetravaillerpourgagnerlamêmesomme.Maisilnevoyaitpasleschosesdecettefaçon.Cequ’ilvoulait,c’étaitavoirlasensationdes’ensortirmieuxquelesautres.

Montreraumondequ’ilétaitplusintelligentqueceuxquicherchaientàluidonnerdesleçons.

SilefaitqueTerryetmoiportionslesmêmesvêtementstouslesjoursneledérangeaitpasdutout,ilétaitenrevanchetrèsstrictsurd’autresdétails.

Parexemple,ilnesupportaitpasdenousvoirmâcherduchewing-gumoudenousentendrejurer,etilnousfaisaitcirernoschaussurestouslessoirs.Toutlemondeportaitdestennisàl’école,pourdesraisonsdeconfortmaisaussidemode,etnouslesuppliionsdenouspermettred’enfaireautant.

Maisiltenaitàcequenousportionslesbelleschaussuresencuirquenousavaitdonnéesungentilvoisin.Terryetmoivoulionstellementressemblerauxautresélèvesquenousmettionsnostennisdansnotresacetremplacionsleschaussuresquenousavionsauxpiedsdèsquenousavionsdépassélecoindelarue.Notrepèredevaitsedouterdequelquechose,car,unjour,iladécidédenoussuivre.

Nousayantsurprisenflagrantdélit,ilnousaramenésàlamaison,furieuxd’avoirétédupé.Jenemesouvienspasdemaproprepunition,maisTerryaétéobligédemettreunelargecravateàmotifsjaunesetorange.

Ilavaitl’airridiculeetasuppliénotrepèredechangerd’avispourqu’ilnesoitpaslariséedetoutel’école.Mais,auboutducompte,iladûlaporterplusieursjoursdesuite.Depeurderecevoirunesanctionpirequecelle-ci,iln’apasosécettefoisenleverlacravatesurlechemin.C’étaitparcegenred’intimidationquenotrepèregardaitlecontrôlesurnotreviedanslesmoindresdétails.Ilaimaithumilierlesgensafindeleurdémontrersasupérioritéetsonpouvoirsureux.

Mavueétaittrèsmauvaisequandj’étaisenfantet,pendantdesannées,j’aiétéincapabledelirecequiétaitécritautableau.Jen’osaisriendire,depeurd’attirerl’attentiondetoutelaclasse.Lesenseignantsontfinipardevinermonproblèmeetontconseilléàmonpèredem’emmenerconsulterunopticien.Ilarefusécatégoriquement,prétendantquejefaisaissemblantdenepasbienvoirpourmefaireremarquer.

Àvraidire,saréactionm’apresquerassurée,carleslunettesrembourséesparl’assurancemaladien’étaientpasvraimentàlapointedelamode,etenportern’auraitfaitquemedifférencierunpeuplusdesautresenfants.J’étaisdéjàlacibledesmoqueriesetjen’avaispasenviededonnerauxtyransdescoursd’écoleunenouvelleraisondes’enprendreàmoi.

Finalement,l’undesfoyerspourenfantsdanslesquelsj’aiséjournépendantquemonpèreétaitenprison

m’afourniunepairedelunettes.Mesnotessesontaussitôtaméliorées,mais,danslemêmetemps,madignités’estunpeupluseffondrée.

J’avaisbeauadorermonpère,j’aicomprisasseztôtquenotrefamillen’étaitpasnormale,carjevoyaisquelesautresgensnevivaientpascommenous.Ilsétaienttousplusgentils,nonseulementlesWatsonquinousavaientaccueillisavectantdegénérosité,maisaussinosvoisinsIvanetAnnBunn.Ilsavaientdeuxfilles,FrancesetDenis,etunpetitgarçonquis’appelaitStephenetavecquijem’entendaistrèsbien.Ilyavaitunpianochezeux,etilsmepermettaientd’enjouerquandmonpèrem’autorisaitàleurrendrevisite,cequin’arrivaitpastrèssouvent.Nouslaisserjouerdehorsnel’ennuyaitpas,maisilsemontraittoujoursréticentquandnouscommencionsàsympathiseravecuneautrefamille.Peut-êtreavait-ilpeurquenousendisionstropsurcequisepassaitdansnotremaison,ouquenousnousrendionscomptequ’ilnenousfaisaitpasmeneruneexistencenormale.Àmoinsqu’ilaitsimplementcraintdeperdrelecontrôlequ’ilavaitsurnous.Voirunautreadulteparticiperànotreéducationouinfluencernotrefaçondepenserétaitintolérableàsesyeux.

LesBunnontdûsentirquelavien’étaitpasfacilecheznous,car,quandj’avaisseptouhuitans,ilsm’ontinvitéeàpasserlesvacancesd’étéaveceuxàHemsby,surlacôteduNorfolk.Jenesaispascommentilsontobtenul’accorddemonpère,maisjeleurenseraiéternellementreconnaissante,carceséjourreprésentel’undemesmeilleurssouvenirsd’enfance.Annm’aoffertunpyjamaencotonrose,dontlebasétaitrayé,etlehaut,ornédepetitspois.Cevêtementétaitàmesyeuxleplusjolietleplusdouxdumonde.

Unjour,commej’avaisprisuncoupdesoleil,ellem’adélicatementpassédelapommadepourapaiserlabrûlureetempêchermapeaudepeler.Jamaispersonnen’avaitautantprissoindemoi,mais,unefoisdeplus,j’avaislasensationdenepasêtreàmaplace.C’étaitcommesij’étaislàpourobserverlavied’unefamillenormale.Jenesavaispaspourquoi,maisjecroyaisquejeneméritaispasd’êtreaiméeetchériecommelesenfantsdesBunn.Jecroyaisêtreresponsabledetoutcequim’arrivaitd’horribleetrestaisconvaincuequejen’étaispasdigned’uneviemeilleure.Maisjenesavaispasquoifairepourchanger.Jepouvaisseulementcontinueràsubirlescrisetlescoupsdemonpère.

Biendesannéesplustard,quandj’avaisunetrentained’années,j’aicroiséAnnparhasarddanslegrandmagasindedécorationetdebricolageoùjetravaillais.Nousavonsparlédecetteépoqueetdesvacancesquej’avaispasséesaveceux.

—Jen’aijamaisoubliéceséjour,luiai-jeconfié.

—J’aiquelquesphotosàlamaison,a-t-elledit.Decesvacances,maisaussidetoijouantdansnotrejardin.Jepourraitelesapportersituveux.

J’étaissiheureusequej’aifaillil’embrasserpourluitémoignermareconnaissance.Maisj’airessentiunimmensechagrinensongeantquecettefemme,quiétaitseulementnotrevoisine,avaitgardédesphotosdemoialorsqu’aucunmembredemafamillen’avaitjamaisprislapeinedelefaire.J’avaistoujourssouffertdufaitquepersonnenetenaitassezàmoipouravoirenviedemeprendreenphoto.

Alors,quandj’aiapprisqu’AnnBunnl’avaitfait,j’aieulapreuveencoreplusévidentedupeud’affectionquej’avaisreçudelapartdemesparents.Quelquesjoursaprèscetterencontre,quandelleestrevenuem’apporterlesphotos,j’aieulasensationdevoiruneétrangèreenregardantlapetitefillequej’avaisété.

Jusqu’àcemoment,jen’avaispaseulamoindreidéedeceàquoijeressemblaisétantenfant.Nonsanssurprise,j’aidécouvertquej’étaisplutôtmignonne,nilaidenigrossecontrairementàcequemonpèreavaitvoulumefairecroire.

Mais,pourlui,ilyavaittoujoursuneraisondesemoquerdemoietdem’humilier.Parexemple,j’aimaisbeaucouplescoursdemusiqueàl’écoleetjem’étaisportéevolontairepourapprendreàjouerduviolon.Ilfallaits’inscriresurunelisted’attentepourbénéficierduprêtd’uninstrument,etlefaitd’enrecevoirunétaitunimmenseprivilège.Quandmontourestenfinarrivéetqu’onm’aannoncéque,pendantdeuxsemaines,j’allaisavoirunviolonquej’auraisledroitd’emporterchezmoi,j’étaisfolledejoie.Unefoisrentrée,jel’aisortiavecfiertépourenjouerquelquesnotesàmonpère.J’avaishâted’entendresescomplimentsetsesencouragements,mais,aulieudecela,jen’aieudroitqu’àdessarcasmes.

—T’espitoyable,a-t-ilditsuruntonmoqueuretméprisant.Tuserasjamaiscapabledefairequoiquecesoitavecça.

Puislebruitacommencéàl’énerver.

—Nerapporteplusjamaiscetrucàlamaison!

Ilrefusaitsystématiquementquejefassequelquechosequiéchappeàsoncontrôle.Jedevaisresterentrelesfrontièresdupetitmondesurlequelilrégnaitenmaîtreincontesté.Jemouraisd’envied’alleraucatéchismeledimanchecommelefaisaitmameilleureamiedel’époque.Nonseulementcelam’aurait-ilpermisdequitterlamaison,maisjesavaisaussiquelesenfantsrecevaientdulaitetdesbiscuitsetqu’ilsrentraientchezeuxavecleursproprespeintures.

Maisjen’aijamaiseuledroitd’yaller,pasplusquederejoindrelesjeannettesoulesguidesoudeparticiperauxactivitésdespetitesfillesdemonâge.Ilsemblaitnousconsidérercommedesêtrestropdifférentsdesautrespoursecomporternormalement,cequinefaisaitquerenforcermonsentimentquejeneseraisjamaisaussibienquelesenfantsquim’entouraient.

Àquelquesruesdecheznous,ilyavaituneravissanteéglisenomméeSainte-Catherine.C’étaitlàquenousallionsavecnotreécolepourlescélébrationsdeNoëletdePâques.Quandj’avaishuitans,onm’aproposédejouerlerôled’unangedansunspectaclesurlaNativité,cequim’atransportéedejoie.

Mais,commed’habitude,monpère,sansmedonnerd’explication,arefuséquejeparticipe.Unefoisdeplus,j’enaiconcluquejen’étaispasassezbienpourlefaire.Chaquefoisquejeluidemandaislapermissiondefairequelquechose,ilmerépondaitquejen’enseraispascapable,quej’allaismeridiculiser,etjelecroyais.

Jecroyaisquejen’étaisbonneàrienetquejeneméritaispasd’avoiroudefairelesmêmeschosesquelesautresenfants.

Durantlesannéesquej’aipasséesavecmonpère,j’aisouventfaitlemêmecauchemar.Jerêvaisquej’étaisprisonnièreaucentred’unespiraledecerclescolorésquitournaientdeplusenplusviteautourdemoi.

Priseaupiège,jemesentaistomberdansunabîmeetjesavaisque,sijen’arrivaispasàm’ensortir,j’allaismourir.J’essayaisdecrieràl’aide,maisaucunsonnesortaitdemabouche,etjemeréveillais

prisedevertigesetdenausées.Cecauchemarm’apoursuiviependantdesannées,dejourcommedenuit.

6

Levoyagechezmagrand-mère

Unmatin,l’hiverdemeshuitans,monpère,Terryetmoiregardionstranquillementlatélévisionenmangeantdesfrites.Laneigeavaitcessédetomber,etlesoleiléclairaitlesalontandisquelepoêleàcharbonréchauffaitdélicieusementlapièce.

Danscesmoments-là,j’aimaisvraimentnotreviedefamille.Nousétionsbientouslestrois,àl’abridumondeextérieur.Désireusedemaintenircetteatmosphèrepaisibleetdefaireplaisiràmonpère,jemesuislevéepourallerlaverlesassiettesunefoisquenouseûmesterminé.

Jevoulaisseulementrendreservice.C’estalorsquequelquechoseaattirémonattentionsurl’écrandetélévision,et,pendantquejetournaislatête,j’aimalencontreusementinclinéuneassiette,etquelquesgouttesdegraissesonttombéessurlamoquette.Monpères’enestaperçuavantmoiets’estmisàvociférer,mefaisantsipeurquejesuisrestéecommeparalyséependantquelagraissecontinuaitàcouler.Évidemment,celal’arenduencoreplusfurieux,commesijefaisaisexprèsdeleprovoquer.

Notreprécieusetranquillitéoubliée,ils’estbrusquementlevédesachaiseetm’aattrapéepourmejeteràl’autreboutdelapiècecommeunepoupéedechiffon,faisantvolerlesassiettesenéclats.Aumomentoùilm’alancée,j’aieupeurquematêten’explosecontreunmurcommelavaisselle.

Commesacolèrenes’appaisaitpas,ilasaisisonbâtonetl’afaitclaquerdixfoissurmesfessesnues.Maiscelanesuffisaittoujourspas.

Alors,ilm’arepousséeetestmontéàl’étage.Là,ilaramassétouteslescouverturesettouteslesserviettesqu’ilaputrouver.Tremblante,j’attendaisdevoircequiallaitsepasser.Ilafinalementremplideuxgrandssacs-poubelleavectoutlelingequipouvaitavoirbesoind’êtrelavé,letassantjusqu’àcequeleplastiquesoitsurlepointdecraquer.

—Voilà!a-t-ilcriéenlesjetantàmespieds.Apporteçacheztagrand-mère.

Jesavaisdéjàcombienilétaitdifficiledeporteraussilongtempsunseuldecessacs;jel’avaisfaitaumoinsunecentainedefois.Maisdeux?Etaussiremplis?Ilyavaitaumoinscinqousixkilomètresdemarche,etjepouvaisàpeinelessoulever.Prisedepanique,j’aifonduenlarmes.

Monexpériencem’avaitapprisqu’ilétaitinutiledediscuteroumêmedelesupplierquandilétaitaussiencolèreetquecelaluidonnaitseulementenviedemefrapper.Jesavaisaussiqueleslarmesnefaisaientquel’énerverdavantage,maisjenepouvaispasm’empêcherdepleurer.J’aitoutdemêmeréussiàrestersilencieuse,conscientequej’allaisdetoutefaçondevoirexécutersonordreetquejepouvaisaumoinséchapperàunedeuxièmecorrection.

Ilaouvertlaported’entréeetm’apousséedehors.Lecontrastedel’airglacialaveclachaleurdusalonm’acoupélesouffleetjeluiaidemandésijepouvaisprendremonmanteau.

—Sûrementpas!Tantpispourtoi!

Surcesmots,ilm’alancélessacsetaclaquélaportederrièremoi.Mesjambesnemeportaientplusetjemesuislaisséetombersurlesolenneigé,nesachantplusquoifaire.Jesavaisqu’iln’existaitqu’uneseuleoptionpossible,maisjedoutaisdetrouverlaforcenécessaire.Jetremblaisdéjàdefroidetsouffraisdescoupsquej’avaisreçus.Jenepensaisqu’àunechose:rentrerpourretrouverlachaleurducoindufeu.

Maisj’auraisétéinconscientedefrapperàlaporteoudesupplierparlafentedelaboîteàlettres.Jen’avaisaucunautrechoixqued’acceptermapunitionetd’accomplirlatâchequ’ilm’avaitimposée.

Alors,jemesuisrelevéeet,agrippantcommejelepouvaislessacsquimeglissaiententrelesdoigts,j’aifranchientitubantlespremiersmètresdemonimpossiblevoyage.

Àmesurequej’avançais,monfardeaumesemblaitdeplusenpluslourd,etj’avaisl’impressionquejen’arriveraisjamais.Leplastiqueétaittropfinetfragilepourquejepuissetraînerlessacssurlesoletilcraquaitchaquefoisquej’essayaisdel’agripper,sibienquelelingemenaçaitdes’échapperparlestrousbéants.

Enregardantlesvoiturespasser,jepriaispourquel’undesconducteursmevoieentraindelutteretmeproposedem’emmener,maispersonnenes’estarrêté.Pouressayerdemedistrairedemapeine,j’aientreprisd’attribuerunenoteauxmaisonsquibordaientletrottoirenfonctiondeleurapparence.Puisjemesuisfixédesobjectifsàatteindreentremespauses,afindedécoupermontrajetenétapessurmontables.

Enregardantàtraverslesfenêtres,jenevoyaisquedesvisagessouriantsetjerêvaisd’êtrebienauchaudàl’intérieurdel’unedecesmaisons,defairepartied’unefamillenormale,oùlesgensétaientgentilslesunsaveclesautres.Jesavaisquejeneméritaispascebonheur,carmonpèremelerépétaitassezsouvent,mecriantquej’étaisvilaineetquemamèreétaitpartieàcausedemoi,maiscelanem’empêchaitpasdel’imaginer.

Quandjemesuisfinalementeffondréesurleseuildechezmagrand-mère,ellen’apascachésonchocenvoyantdansquelétatj’étaisetdansquelletenuemonpèrem’avaitfaitsortir.Jeluiaiditcequis’étaitpassé,m’attendantàcequ’ellemegrondeelleaussienapprenantquej’avaisfaitcoulerdugrassurlesol.Maiselles’estmontréeétonnammentgentilleavecmoi.D’ordinaire,ellenefaisaitquerenchérirquandnotrepèreétaitencolèrecontrenous,allantmêmejusqu’ànoustirerlesoreillespourfairebonnemesure.

Alors,quandj’aientendusavoixdouce,j’aiététellementsurpriseetémuequej’aifonduenlarmes.

Ellen’estpasalléejusqu’àsemontreraffectueuseavecmoi,c’étaitau-dessusdesesforces.

Maisellem’afaitasseoiretm’aserviuneboissonchaudeenm’assurantquetoutallaits’arranger,qu’elleparleraitàmonpère.Elleluiatéléphonédevantmoietl’agrondécommeunenfantàcausedecequ’ilm’avaitfaitfaire.Enl’entendant,j’étaispartagéeentrelareconnaissanceetlacrainte.J’étaisheureusequequelqu’unprenneenfinmadéfense,maisj’avaisaussipeurqu’ellelerendeencoreplusfurieuxcontremoi.

J’allaisbientôtdevoirrentreràlamaisonetjen’avaisaucuneenviequ’ilm’accueilleavecsonbâtonàlamain.Lescoupsquej’avaisreçusplustôtmefaisaientencoremal.

J’aipasséunsibonaprès-midichezmagrand-mèrequejen’avaisplusenviederentrerchezmoi,maisellem’apromisquemonpèrenemefrapperaitplus.

Ellem’amêmedonnédel’argentpourquejepuisseprendrelebus.Finalement,jesuispartiedechezelleavecdeuxsacsremplisdeprovisionsetlepaquetdelingequenousluiavionslaissélasemaineprécédentepourqu’ellelelave.

J’étaisàpeuprèssûrequemonpèreseraitraviderecevoirdelanourrituregratuitementetquelecontenudemessacslecalmerait,luifaisantpeut-êtremêmeoublieràquelpointilétaitencolèrecontremoi.Aumomentdem’asseoirdanslebus,jecommençaisdéjààmesentirmieux,mêmesilaperspectivederetrouvermonpèrem’angoissaitencore.

Cettejournéem’avaitépuisée.Danslachaleurdubus,j’aifermélesyeuxetmesuisassoupie.Enmeréveillantensursaut,jemesuisrenducomptequej’avaismanquémonarrêt.J’aiétéaussitôtprisedepanique.

Aprèsmonpéripledanslaneige,jen’avaispluslaforcedeparcourirdeskilomètresaveclespaquetsquem’avaitconfiésmagrand-mère.

Alors,jemesuislevéedemonsiègeetj’aimarchéentitubantjusqu’àlaplateformesituéeàl’arrièredubus,attendantuneoccasiondedescendreencoursderoute.Dèsquelechauffeuraralentiàl’approched’uncarrefour,j’aisaisimachanceetsautéàterre.Maislaneigem’adéséquilibrée,et,englissant,j’aivusedéchirerl’undessacsdeprovisionsdemagrand-mère.J’aibaissélesyeux.Consternée,j’aidécouvertqu’unpaquetdesucreavaitéclatéentombantsurlesoletquelapoudreblanchesemêlaitmaintenantàlaneigeetàlabouequicouvraientletrottoir.J’aieulanauséeenvoyantcequej’avaisfait.

Commentallais-jeavoueràmonpèrecequemamaladressenousavaitencorecoûté?Ilallaitterriblementm’envouloird’avoirgâchéunpaquetdesucreentier.

Jesuisrestéelongtempsassiseparterre,àmedemandercequej’allaisfaire.Jen’avaisqu’uneseuleenvie:disparaîtredelasurfacedelaterre.J’aimêmeenvisagédemesauverenlaissantlessacsderrièremoi.

Toutmesemblaitpréférableàl’horreurd’affronterencoreunefoislacolèredemonpère.Maisoùaurais-jebienpum’enfuir?Jenepouvaispasretournerchezmagrand-mèremaintenantquej’avaisrenversétoutlesucre,etjen’avaisplusd’argentpourreprendrelebusdansl’autresens.J’étaisobligéederentrerchezmoi.

Toutenremettantdanslessacslespaquetsquej’avaisfaittomber,j’aisongéquemonpèrenesavaitpascequem’avaitdonnémagrand-mère.J’avaisdoncunespoirdem’ensortirindemneenfaisantcommesiriennes’étaitpassé.

Àl’instantoùj’aifranchilaportedecheznous,monpèrem’aannoncéqu’ilvenaitd’appelersamèrepourluidemanderquandj’allaisrentrer.Elleluiavaitditqu’ellem’avaitdonnédessacsdeprovisionsetilavaittenuàsavoircequ’ilscontenaientexactement.J’aisentimagorgesenouerquandilm’aditcelatoutendéballantavidementlespaquets.

—Oùestlesucre?m’a-t-ildemandé.

Prisedepanique,j’aimentiavantd’avoireuletempsderéfléchiràcequej’allaisdire.

—Mamienenousapasdonnédesucre.

—Ellem’aditquesi.

Ilétaitdécidéàélucidercemystère.Pourrienaumondeiln’auraitrenoncéàunpaquetdesucregratuit.J’auraisvouluretirermonmensongeetluiavouerlavérité,maisc’étaittroptardetjemeretrouvaispiégéeparlaréponseprécipitéequejeluiavaisdonnée.

Jem’étaismisedansunesituationencoreplusdésastreuse.Maintenant,j’étaiscoupablenonseulementd’avoirrenversélesucre,maisaussid’avoirmenti.Siseulementj’avaistoutdesuiteracontécequis’étaitpassé,j’auraisétépunie,maisjel’auraismérité.C’étaitentoutcascequejepensais.

Cherchantunesolutionpourm’ensortir,j’aidécidédeneplusriendire.Ilfiniraitpeut-êtreparlaissertomberetparoublierlesucredisparu.Quellenaïvetédemapart!Iln’étaitpasquestionqu’ilmelaissem’entireraussifacilement.Quiessayaitdeleduper?Était-cesafilleousamère?Déterminéàlesavoir,ilarappelémagrand-mère,etletonn’apastardéàmonter.

Elleinsistaitsurlefaitqu’elleavaitbeletbienmisdusucredansunsactandisqueluiaffirmaitlecontraireetlatraitaitdementeuse.Jemesentaisdeplusenplusmal;lapressiondevenanttropforte,j’aifiniparneplusyteniretpartoutavouer.

—J’aieuunaccident!mesuis-jeexclamé.Jesuistombéeetlepaquetdesucreaéclaté.

Aussitôt,maconscienceaétésoulagéed’unénormepoids.Jesavaisquej’allaisêtrepunieetj’étaisterrifiéeenpensantàcequiallaitm’arriver,mais,aumoins,j’avaisditlavérité.Àmagrandesurprise,ilnes’estpasmisautantencolèrequejel’avaisprévu.Aucontraire,ilsemblaitpresquecontentd’avoirlaréponseàsesquestions.J’aipeuàpeuretrouvémarespirationtoutenmedisantquecetteaventurem’avaitenseignéunebonneleçon.Jesavaisdésormaisqu’unmensongenerestaitjamaiscachébienlongtemps.

Mais,aprèscela,unnouveautitres’estmisàmecolleràlapeau:celuide«menteuse».J’avaisapportéàmonpèrelapreuvequej’étaisunemauvaisefilleetquepersonned’autrequeluinepourraitjamaism’aimer,maiscen’étaitpastout:j’avaisaussitrahimagrand-mèreaprèsavoirpasséunsibonmomentavecelleetalorsqu’elles’étaitmontréesigentilleavecmoi.Enmentant,j’avaisdonnéàmonpèreetàmagrand-mèreunearmeàutilisercontremoi,et,durantlesannéesquiontsuivi,ilsnes’ensontpasprivés.J’avaisprouvéàquelpointj’étaisindignedeleuraffection.

Enfant,j’aitoujourseulesentimentquemagrand-mèrenem’aimaitpas,carellenefaisaitquemegronderetmetirerlesoreilles.Lapetitefilletoujoursenquêted’approbationquej’étaisdevaitl’agacer.

C’estpourquoisagentillessem’asurpriselejouroùmonpèrem’aenvoyéechezelledanslefroidavecdeuxsacsdelingesale.Sansdoutes’était-ellerenducomptequ’ilavaitdépasséleslimites.J’auraispuprofiterdecetévénementpourluifairechangerd’avissurmoi,mais,hélas,j’avaistoutgâchéenimprovisantunmensongestupide.

Sij’avaisencorebaissédanssonestime,j’aitoutdemêmecontinuéàallerdéjeunerchezellele

dimancheaveclerestedelafamille.J’aimaiscela,carlesrepasétaientmagnifiques,etilyavaittoujoursundessert.Chaquefois,Terryetmoinousservionsaussiabondammentquepossible.

J’observaistoutcequefaisaitmagrand-mèreafind’apprendresesgestesdansl’espoirdelesreproduireàlamaisonpourfaireplaisiràmonpère.Ellefaisaitlameilleurecroûteaufromagedumonde.Pourcela,elleposaitunemichedepaincoupéesurlatableetymettaitlefromageavantdecouperuneparfaitetranchehorizontalement.Grâceàcettetechnique,lepainsemaintenaitparfaitement,etcelameparaissaittrèsastucieux.Cesontdespetitsdétailsdecegenrequirestentàjamaisgravésdanslamémoiredesenfants.

Ducôtédemonpère,j’avaisquatrecousinsdontmagrand-mères’occupaitsouventlasemainependantqueleursparentstravaillaient.Cependant,ellen’ajamaisproposédenousgarder,Terryetmoi,alorsqu’ilétaitévidentquenousavionsbesoind’elle.Peut-êtrequenotrepèrenevoulaitpasquenousallionschezelle,maisjepensequecelavenaitd’elle.

Sinon,pourquoiaurait-ellelaisséChrisetGlendansunefamilled’accueilplutôtquedelesaccueillirchezelle?Pourquoinevoyait-ellepasquenotrepères’occupaitmaldenous,etpourquoinefaisait-ellerienpouryremédier?Jenecessaisdemeposercesquestions,maisjen’avaispersonneversquimetournerpourobtenirdesréponses.Alors,jemecontentaisdesouffrirensilence.

Jepensequ’audébut,certainsmembresdenotrefamillepaternelleontessayédenousaider.MatanteJill,quenousvoyionsparfoischezmagrand-mèreleweek-end,nousaoffertdescadeauxdeNoëluneannée,carellesavaitquenotrepèreneleferaitpas.Jemesouviensdelapetitecaisseenregistreuseenplastiqueaveclaquellej’aitellementjouéparlasuite,etdespersonnagesdecow-boysetd’IndiensdeTerry.LemarideJill,quiétaitàlatêted’uneentreprisededécoration,avaitproposéuntravailàmonpère.Sonoffreestrestéesansréponse.Àforce,mononcleetmatanteontdûfinirparsedécourager.

C’estsansdoutecequis’estpasséavectoutenotrefamille.Nosproblèmesétaientsiconsidérablesquepersonneneparvenaitàentrevoirlamoindresolution,sibienquetoutlemondenousalaisséstomber.

Mescousinsétaientassezgentilsavecmoi,maisj’étaistroptimidepoursavoircommentréagirquandilsm’invitaientàparticiperàleursactivités.Nousallionssouventdanslamaisonvidequisetrouvaitàcôtédechezmagrand-mère,mais,incapabledem’intégrer,jenefaisaisquelesregarderjouer.Leurfaçondeparlerétaitdifférentedelamienne.Làencore,j’avaisl’impressiond’êtreuneétrangère.

Simagrand-mèreavaitétéenthousiasteàl’idéequemonpèreépousemamère,ellen’avaitplusdemotsassezdurspourparlerd’elleaprèssondépart.Ellel’accusaitd’êtreunemèreabominablequiavaitabandonnésesenfants.Ellenes’étaitjamaisremisedelahontequeluiavaitinfligéeladécouvertedesonpetit-filsmangeantlecontenudesaproprecouche.Biensûr,jen’aimaispasl’entendrediredumaldemamère,maiscommentaurais-jepulacontredire?Enréalité,j’étaissouventd’accordaveccequ’elledisait.J’envoulaisterriblementàmamèred’êtrepartie.Néanmoins,Terryetmoin’avionspasàentendrecetteharanguepermanente.

Aucundenousn’avaiteudenouvellesdemamèredepuissondépart.Ellenenousavaitpasenvoyéuneseulecartepostale,quecesoitpourNoëloupournotreanniversaire.Notregrand-mèren’avaitdoncpasbesoindenousrappeleràquelpointnousnoussentionstristesetabandonnés.Ellenefaisaitjamaisaucunreprocheànotrepère,alorsquec’étaitsurtoutàcausedeluisiChristianetGlenavaientétéenfermésetignorés,parfoispendantdesjoursentiers.C’étaitaussiluiquiavaitforcénotremèreàseprostitueretqui

avaitrendusaviesiinsupportablequ’ellen’avaitplustrouvéd’autreissuequelafuite.

Dupointdevuedenotregrand-mère,notrepèrenefaisaitjamaisriendemal.

Elledésapprouvaitlefaitqu’ilboivetropetqu’ilnetravaillepas,mais,d’aprèselle,notremèreétaitlaseuleresponsableparcequ’elleluiavaitbrisélecœur.Illuiarrivaitdefairedesremontrancesàsonfils,mais,siquelqu’und’autreavaitlemalheurdelecritiquer,elles’empressaitdeprendrevigoureusementsadéfense.

Parfois,j’enarriveàmedemandersielleétaitjalousedelarelationquej’avaisavecsonfilsbien-aimé.Celaexpliqueraitpeut-êtrel’hostilitédontelleafaitpreuveavecmoidèsmonplusjeuneâge.Quoiqu’ilensoit,ellen’ajamaismanquéuneoccasiondes’enprendreàmoioudemedonneruneclaque.

Ellenemefaisaitpassubirdescorrectionscommemonpère,maisjesavaisqueluim’aimaitmalgrésaviolence.Parcequ’ilmeledisaitetparcequ’ilétaittoujourslàpourmoi.Magrand-mèrenem’ajamaisditqu’ellem’aimait,etj’étaisconvaincuequecen’étaitpaslecas.Parmoments,ellesecomportaitseulementcommelamajoritédesfemmesdesagénérationquiavaientunecertaineidéedel’éducation.

J’avaisparexemplelafâcheusehabitudedemerongerlesongles,et,quandellemesurprenaitentraindelefaire,ellemedonnaituneviolentetapederrièrelatête.Siellenem’avaitfrappéequepourdesraisonsspécifiquescommecelles-ci,j’auraispeut-êtrecompris,mêmesij’avaishorreurdecela.

Mais,oùquej’aiepuêtredanssamaison,j’avaistoujoursl’airdemetrouverentraversdesonchemin,surtoutdanssapetitecuisine,etjerecevaissystématiquementunetapeàcausedecela.À

l’époque,jepensaisquec’étaitnormaletquejel’avaisméritée,etjenedisaisrien.J’étaistrèstimideetj’avaistoujoursl’impressiondedérangertoutlemonde.Celaexpliquaitselonmoipourquoimamèrem’avaitabandonnéeetpourquoimonpèremebattaitaussisouvent.

Aujourd’hui,jepenseque,simagrand-mèremedétestaitautant,c’estenpartieparcequejeluirappelaismamère,lafemmequiavaitgâchélaviedesonfils.

Conformémentàsespirescraintes,j’allaisbiendesannéesplustardsuivrel’exempledemamèreentrahissantmonpèredelapiredesfaçons.C’estdumoinsainsiqu’elleinterprétalesfaits.

7

Lechagrindemonpère

Monpèrenes’estjamaisvraimentremisduchocdudépartdemamère.Enpartieparcequ’ilavaitdûrenonceràsaprincipalesourcederevenus,maispasseulement.

Detouteévidence,ilavaitperdul’amourdesavieetsavaitqu’ilnepourraitjamaisleremplacer.

Touslessoirs,ilallaitnoyersonchagrindansl’alcool.Iln’avaitpasattenduqu’ellelequittepourboireautant,maissasituationluidonnaituneautreexcuse.

Quandilsortait,ilnefaisaitjamaisappelàdesbaby-sitters;soitilnousemmenait,Terryetmoi,soitnousrestionsseulsàlamaisonàl’attendre.Gagnésparlafatigue,ilnousarrivaitdemonternouscoucher

avantsonretour,maisnousétionsincapablesdenousendormirtantnouscraignionsqu’ilsesoitbattuouaiteuunaccident.Outoutsimplementqu’ilsoittropivrepourretrouverlechemindelamaison.

Jemesentaisresponsabledelui.Noussavionsque,s’illuiarrivaitquelquechose,nousresterionsorphelinsetqu’aucunmembredenotrefamillenenousprendraitsoussonaile.Personnenes’intéressaitànous.Sinotrepèreavaitmieuxprissoindeluietdenous,nousnousserionssentisplusensécurité.

Quandnousl’entendionsfinalements’écroulerdansl’entréeaprèsl’heuredefermeturedesbars,nousnousprécipitionsenbaspourl’accueillir,carnoussavionsqu’ilaimaitcela.

Sijamaisnousnousétionsendormis,ilmontaitàl’étageettrébuchaitpournousréveilleretquenoussoyonslàpourl’écouterpleurerlapertedesonamour.Iltombaitàgenouxetselamentaitcommeundamné,sedonnantenspectacledevantlepublicdontilnepouvaitpassepasser.

—Jane,Jane,gémissait-il.Jet’ensupplie,reviens.

Cettelitaniepouvaitdurerdesheures,etriendecequenousdisionsneparvenaitàsoulagersadouleur.Sijamaisnousessayionsderetournerdiscrètementnouscoucherpendantl’unedecesséances,ilsemettaitencolèrecontrenous.Selonlui,nousdevionsàtoutprixêtrelestémoinsdesravagesquenotreégoïstedemèreavaitfaitssurlui.

C’étaittellementdéroutant…Jeladétestaisàcausedecequ’ellenousavaitfait,maisjesouhaitaisquandmêmequ’ellereviennepourmonpèreetpourTerry.Jenecomprenaispaspourquoiellenerevenaitpas.Paspourmoi,jem’enmoquaisbien.

Maispourlui,monpauvrepèreabandonné,quejevoyaischaquesoirsombrerdanslafolieetimplorertouslesdieux,allantjusqu’àsecognerlatêtecontrelesoltantlapeineledévorait.Quandilsemettaitàdonnerdescoupsdanslevideenpleurant,jeladétestaisencoreplus,maisj’avaisaussienviequ’ilsereprenneetqu’ilseconcentresursavieavecnous.

Iltenaitlemêmediscourspartoutoùilallait.Lesgensqu’ilcôtoyaitdanslespubsadmiraientsoncourageetsaforcedecaractère,luiquitenaitlecoupmalgréledépartdesafemmeetl’enlèvementdedeuxdesesenfantsparlesservicessociaux.

Ilpassaitdesheuresàracontersesmalheursàquivoulaitl’écouter.Ilexpliquaitcommentils’étaitbattupournousgarderauprèsdelui,sansjamaisoublierderappelercequ’ilavaitfaitsubiràceluiquiluiavaitinterditdevoirsesenfants.IlpassaitsansarrêtlamêmechansondeCharlieRich[1]surlejuke-box:Eh!auriez-vouscroisélaplusbellefemmedumonde,etsioui,était-elleentraindepleurer?

Elleracontaitl’histoired’unhommequiavaitlaissépartirl’amourdesavieetquiserendaitcomptetroptarddesonerreur.

Lesparolescorrespondaienttoutàfaitàl’imagequ’ilsefaisaitdesaruptureavecmamère,etilécoutaitcettechansonencoreetencoreenpleurant,deboutàcôtédujuke-box,chantantd’unevoixdéchirée.J’aifinipardétestercemorceau.

Dèsquej’entendaislespremiersaccords,jemesentaismal.Jenecomprenaispaspourquoiilpensaitsansarrêtàmamère,pourquoielleluimanquaitautantalorsquej’étaislà,prêteàtoutpourlerendre

heureux.

Danslajournée,quandnousétionstouslestroisàlamaison,monpèreavaitsespetiteshabitudes.

Pours’attirerlasympathiedesgens,ilaimaitquel’undenouslesuivepartoutoùilallait.Ilnousexposaitcommedespetitstrophéesquitémoignaientdubonpèrequ’ilétait.CommeMinoulecorgi,nouscontribuionsàl’imagequ’ilvoulaitdonnerdelui.C’étaitsouventmoiquil’accompagnais,carTerrynesemontraitpasaussicoopératif.Curieusement,monpèreluiaccordaitplusdelibertéqu’àmoi.

Maislesuivren’étaitpaslaseulechosequ’ilm’obligeaitàfaire.Parexemple,c’étaitlelundiqueluiétaitversésonrevenuminimum,et,lemardi,ilpercevaitsesallocationsfamiliales.Pourrécupérersonargent,ildevaitserendreaubureaudepostequiouvraità9hdumatin.Maisiln’étaitpasquestionpourluidefairelaqueuecommetoutlemonde.

C’étaitmoiquidevaisallermeplacerdanslafiled’attente,sibienque,cesmatins-là,j’arrivaistroptardpourêtreadmiseàl’écoleetj’étaisdisponiblepourpasserlerestedelajournéeaveclui.Oudevantlepubdanslequelilavaitdécidéd’allerdépensersonargent.

Ilm’arrivaitdepasserdesheuresàl’attendredehors.Lesfenêtresdespubsétantenverregranité,jenepouvaisrienvoirdecequisepassaitàl’intérieur,hormisquandquelqu’unouvraitlaportepourentrerousortir.Danscecas,jetendaislecoupouressayerd’apercevoirmonpèreetregardercequ’ilfaisait.

Sesamisnecessaientdenousdire,àTerryetmoi,quelhommeformidableilétait.Seloneux,nousdevionsluiêtrereconnaissantsetnousréjouird’avoirunpèretelquelui.Nousdevionsêtresagesetéviterdeluirendrelavieencorepluscompliquée.

Cesproposmerendaientmalade,d’autantquejemesentaisdéjàcoupabledenepasêtreàlahauteurdecequ’ilattendaitdemoi.Jemerappelleunjouroùdeuxvieillesdamessontsortiesdupubaprèsavoirécoutélatristehistoiredemonpère.Enlarmes,ellesm’ontoffertdeschipsetduCoca-Colatoutenmedisanttoutlemalqu’ellespensaientdemamère.

—Tudoisêtregentilleavectonpauvrepapa,m’ont-ellesditavantderepartir.

Danscesmoments-là,j’avaisvraimentlesentimentquemonpèreétaitunhérosetquemamèreétaitlaméchantedel’histoire.Pauvrepapa.Ilfaisaittantpournousalorsqu’ellenousavaitabandonnés.Ilavaitbienbesoindeboirepourseréconforter.

Lejouroùiln’aplussupportédevoirlesvêtementsetlesperruquesdemamèredanslamaison,ilaalluméunfeudejoiederrièrelamaisonetbrûlétoutessesaffaires,commes’ilmettaitenscèneunbûcherfunéraire.Ilalongtempsgardédesphotosd’elleenhautduplacarddelacuisine,maisellesontdisparuellesaussiaucoursdel’unedesespeinesdeprison,alorsquelamunicipalitéavaitreprispossessiondelamaison.Maisiln’avaitpasbesoindecesobjetspoursesouvenird’elle,etjamaisiln’allaitpermettreauxautresnonplusd’oublierquel’amourdesaviel’avaittrahi.

Ayantpitiédemoi,l’undespatronsdesbarsquefréquentaitmonpèremeproposaittoujoursdem’installerdanssonappartementsituéau-dessusdupubaulieud’attendredehors.Monpèreacceptaitparfois,mais,laplupartdutemps,ilm’empêchaitdemonter.

—Elleseratrèsbiendehors,disait-ilavecdédain.

Ilnevoulaitsurtoutpasêtreredevableàquiquecesoit.

Desréactionsdecetypeétaientrécurrentes,maiscen’enétaitpasmoinsdéconcertant.S’ilétaitaussidévouéquetoutlemondeledisait,pourquoin’yavait-iljamaisrienàmangercheznous?Pourquoin’allait-iljamaisfairedecourses?Pourquoinetravaillait-ilpaspourprendresoindesafamille?

Pourquoin’aménageait-ilpasnoschambresconvenablementetpourquoirefusait-ildenousconsolerquandnousenavionsbesoin?Pourquoinepensait-iljamaisànousoffrirunepetitecartepourNoëloupournotreanniversaire?Pourquoinousbattait-ilaussisouvent,mêmequandnousn’avionsrienfaitdegrave?Àl’époque,pourtant,j’étaisloindemeposertoutescesquestions.Jenetrouvaispasanormalqu’ildépensetoutsonargentaupubetqu’ilsecomportecommeillefaisait.Jeneconnaissaisriend’autre.

Monpèredétestaitl’idéed’acheterquoiquecesoitdansunmagasin.Pourrienaumondeilneseseraitabaisséàparcourirlesalléesd’unsupermarchéavecunpanieràlamainpourchoisirdesproduitsdanslesrayons.Parconséquent,iln’yavaitjamaisdepetit-déjeuneràlamaison.

Certainsmatins,surlechemindel’école,j’arrachaisdesfeuillesdanslesarbresoucueillaisdesbrinsd’herbepouravoirquelquechoseàmâcheretessayerdetrompermafaim.Certainesdecesplantesavaientungoûtétonnammentagréable,mais,malheureusement,ellesnesuffisaientpasàmecouperl’appétit.

Àlasortiedel’école,Terryetmoiattendionsdevantlafriteriequisetrouvaitenbasdenotrerue.

Torturésparlesodeursalléchantesquis’échappaientdelacuisine,nousentrionsdetempsentempspourréclamerlesmiettestombéesdanslefonddesbacsàfriture.

Nousnousplaignionssouventquenotrepèren’achèteriendanslesmagasins.Lasdenousentendre,unjouroùilavaitgagnéauxcourses,ilnousadonnécinqlivreschacunpourquenousachetionscequenousvoulions.

—Çaveutdirequevousn’aurezpasledroitdemangermespommesdeterreetmesœufs,a-t-ilprécisé.Jenevousnourriraipaspendantunesemaine.Vousn’avezqu’àvousdébrouillersivousêtessiintelligents.

Nousétionsauxanges.Munisdenosbillets,noussommesallésdanslemagasinleplusprochepournousacheterungrandpaquetdecéréales,dulaitetdusucre,ainsiquedupain,dubeurreetdelaconfiture,toutesceschosesquenousn’avionsjamaisàlamaison.

Quelquesjoursplustard,nousavonsdûallervoirnotrepèreetreconnaîtrequenousnousyétionsmalpris.Nousavionsdépensétoutnotreargentetmangétoutcequenousavionsacheté.

Celanel’apasmisencolère,carrienneluifaisaitplusplaisirquedeprouverqu’ilavaiteuraison.

Notreéchecavaitdémontréquenousnepouvionspasnousensortirsansluietluiavaitfourniunenouvelleoccasionderaillernotredésird’indépendance.

Commenousn’avionsjamaisdedînerenrentrantcheznouslesoir,Terryetmoiprofitionsdesjoursoùnousallionsàl’écolepourmangerautantquepossibleetdemanderàêtreserviunesecondefois.

Néanmoins,ilestarrivéquecettestratégieseretournecontrenouslesraresfoisoùnotrepèreavaitcessédeboirepoursetransformersoudainenpèreparfait.

SiTerryetmoiétionsd’ordinairechargésdetouteslestâchesménagères,noustrouvionscessoirs-lànotrepèreàquatrepattesentraind’astiquerlamaisondefondencomble,d’enleverdupapierpeintouderepeindreunmurtoutenpréparantunénormerepaspournous,leplussouventunragoûtoudessaucissesavecdespoisetdelapuréedepommesdeterre.Quandcelaarrivait,j’étaissifièredeluique,lelendemain,jeracontaisàtoutesmesamiesquemonpèreavaitarrêtédeboireetqu’ilm’aimaitautantqueleurpèrelesaimait.

N’ayantjamaisaucunealertepournousannoncerceschangementsd’humeur,nousn’avionspasderaisondemodifiernoshabitudesàlacantine.

Sibienque,lesoirvenu,ennousmettantàtable,nousn’avionsplusassezfaimpourfairehonneuraurepasquenotrepèrenousservaitavectantdefierté.Celalemettaithorsdelui.Ilnoustraitaitalorsd’ingrats,selamentaitdesedonnerautantdemalpourdesenfantsquineluitémoignaientaucunereconnaissance.

Soussonœilvigilant,jemeforçaisàavalerunebouchéeaprèsl’autre.Jemesentaisdeplusenplusmal,maisj’étaisprêteàtoutpourapaisersacolèreetéviterdeleblesser.Commeilluiarrivaitdejouercerôlependantplusieursjoursd’affilée,Terryetmoidécidionsdenouspriverdedéjeuneràlacantinepourêtresûrsd’avoirdel’appétitenrentrantcheznous.

Mais,dèslepremierjourdecetterésolution,nousdécouvrionsànotreretourquenotrepèreétaitdenouveausortiboire.Leplacardétaitvide,etilnenousrestaitplusqu’àresteraffamésjusqu’audéjeunerdulendemain.

Ilnousarrivaitaussidetrouverunefouledegenscheznouslesoir.Ils’agissaitprincipalementd’alcooliquesetdeprostituéesquenotrepèreavaitramenésdupubetquiétaientravisdetrouverunrefugelorsqu’ilstraversaientunepériodedifficile.Notrepèrenetournaitjamaisledosàceuxquiétaientdanslebesoin.Ilétaittoujourslepremieràoffrirsoncanapéàquiconquevenaitluiracontersesproblèmes.Ilaimaitquelesgensdépendentdeluietluisoientreconnaissantsdesemontreraussigénéreux.Biensûr,ils’empressaitdelesrejeterdèsl’instantoùilsprenaienttropdelibertésàsongoûtoùs’ilsnefaisaientpasassezdecasdetoutcequ’ilfaisaitpoureux.

JegardeenmémoiredeuxNoëlslorsdesquelsilavaitdécidé,pouruneraisonmystérieuse,defairedeseffortsconsidérables.Ilavaitcommencéparacheteruneboîted’AfterEight,carc’étaient«leschocolatspréférésdemaman».Jedétestaisça,enpartieparcequejesavaisqu’ouvrirlaboîteallaitêtrel’occasionpourluid’entamersesdiscourspleinsdedétresseetderancœurmêlées.Nousallionsencoredevoirl’écouterparlerd’elleetselamentersursonmalheur.Ill’évoquaitsansarrêt,ettouteslesfemmesqu’ilfréquentaitsavaientqu’ellespassaientaprès«saJane».

—Elleestbien,disait-ilenparlantdesapetiteamiedumoment.Maisaucunen’arriverajamaisàlachevilledemaJane.

PourfêterdignementNoël,ilvoulaits’assurerquenousayonsundéjeunercopieuxlejourJ.Ilentreprenaitdoncdegagnerdel’argentàl’approchedelafindel’année.Pourcela,ilpassaitdesjoursentiersàplumerdesdindesdanslacuisineetdanslasalledebainspourlecompted’undesesamis.Iltravaillaitjusqu’àcequesesmainssaignent.

Quandcelaarrivait,j’étaisconvaincuequ’ilavaitchangé.Danscesmoments-là,ilétaitdifficiledeluienvouloirpoursoncomportementdestroiscentsoixantejoursdurestedel’année.S’ilavaitprissoudainladécisionfermedechanger,nousluiaurionstoutpardonné.Nousaurionsmissesdéfaillancessurlecomptedudépartdenotremère.Mais,aufildesannées,sonattituden’afaitqu’empirer,etlesrépitsn’ontétéquedeplusenpluscourtsetdeplusenplusrares.

À14h30,quandlespubsfermaient,ilserendaitchezlesbookmakers.Jequittaisdoncleposteauqueljel’avaisattendupourlesuivre,commeunpetitchieneffrayéàl’idéed’êtreabandonnéoudenepassatisfairesonmaître.Ilnem’adressaitpresquepaslaparoleavantdedisparaîtredansunautrebâtiment,devantlequeljedevaisdenouveaul’attendre.

Pourpasserletemps,jeregardaislesvitrinesenrêvantdebeauxhabits,dejouetsetdenourriture.

Obsédéeparlafaim,j’attendaislejouroùilressortiraitavecunesommesuffisantepourm’offrirquelquechoseàmanger.Mais,aufonddemoi,jesavaisparfaitementqu’ilneleferaitjamais,quelsquesoientsesgains.Quandilréapparaissaitenfin,j’essayaisparfoisdeluiprendrelamain,courantpourrattrapersesgrandesenjambées.

—Soispasridicule,megrondait-ilalorsenmerepoussant.Lesgensvontcroirequet’esmapetiteamie.

Tenirlamaind’unenfantauraitsansdoutenuiàl’imaged’hommedurqu’ilvoulaitdonnerdelui.Enrevanche,ildevaittrouvervalorisantquejelesuivepartoutentrottinant.

Sonhumeurdel’après-mididépendaitdesaréussitechezlesbookmakers.C’étaitaussienfonctiond’ellequ’ildécidaitdeprendreuntaxiouderentreràpiedsanssesoucierdeseffortsquejedevaisfairepourlesuivre.J’essayaisparfoisdeluidemandercombienilavaitgagnéouperdu,maisilignoraitmesquestions,medonnantl’impressionquejen’existaispasoùquejen’étaispasdignequ’ilm’adresselaparole.

Surlecheminduretour,illuiarrivaitdes’arrêterdevantdestoilettespubliquespourhommesetdemedired’attendreencoredehorspendantqu’ildisparaissaitàl’intérieur.Assisesurlemuret,jeregardaislesautresusagersentreretsortir,sanscomprendrepourquoiilyrestaitaussilongtemps.Quandilrevenaitenfin,affichantunairimportant,ilavaitsouventassezd’argentpourquenousfinissionsletrajetentaxi.Cen’estquedesannéesplustardquej’aicompriscequidevaitsepasserdanscestoilettespendantquej’attendaisdehors.S’ilconsidéraitque«touteslesfemmesétaientassisessurunemined’or»,peut-êtreétait-ilarrivéàlaconclusionqu’ilenétaitdemêmepourlui.

Quandiln’avaitpasdutoutd’argent,maisqu’ilavaitdécidédepréparerdesœufsfrites,ilm’envoyaitdanslepetitsupermarchésituésurnotrecheminafinquejevoledessaucissesoudubaconpourcompléternotrerepas.J’étaisterrifiéeàl’idéequ’onmesurprenne,maislapeurdesessanctionsétantbienplusforte,l’idéedeluidésobéirnemetraversaitpasl’esprit.

IlluiarrivaitaussidedemanderàTerrydelefaire,maismonfrèreétaitmoinsdouéquemoi.Ilse

montraitplusnerveux.Lescommerçantslesurveillaientpeut-êtredeplusprès,étantdonnéquec’étaitungarçonetqu’ilavaitunandeplusquemoi.

Pourvoler,jemecontentaisdecacherlespaquetssousmonmanteauetdesortirdumagasincommesiderienn’était.Cettehabiletémerendaitassezfière,etj’espéraistoujoursquemonpèresemontreraitplusgentilavecmoiensignedereconnaissance.

Maissesréactionsétaientcomplètementimprévisibles.Illuiarrivait,leplussouventsansraisonapparente,denepluspouvoirsupporterTerryoumoi.Danscecas,ilenfermaitsavictimedanslaréservedecharbon,unetoutepetitepiècesituéederrièrelacuisineetquiétaitrarementremplie.Jecroisquej’avaisàpeuprèsseptanslapremièrefoisquec’estarrivé.C’étaitpeudetempsaprèsledépartdemamère.Quandjecomprenaisqu’ilallaitm’enfermer,jelesuppliaisavecdeplusenplusdeferveuràmesurequenousapprochionsdecetaffreuxcachot.

—Papa,s’ilteplaît,non.Jevaisêtresage,jetelepromets.S’ilteplaît,non,papa.Jet’aime,papa.

Jesuisdésolée.

Maisilsecontentaitderire,outoutsimplementdem’ignorer.Quandilavaitdécidéd’unepunitionpourl’undenous,ilnerevenaitjamaissursadécision.C’eûtétéunsignedefaiblesseinacceptabledesonpointdevue.Unefoisenfermésàclé,nousn’avionsplusqu’ànousasseoirsurcequ’ilrestaitdecharbon,sansoserappelernifairelemoindrebruit.

Ilfaisaitsinoirquenouspouvionsouvriroufermerlesyeuxsansquecelafasseaucunedifférence.

Quandj’étaislàtouteseule,recroquevilléedansuncoin,jerestaisàl’affûtdumoindrebruit.Jemedemandaiss’ilyavaitdesserpents,desratsoudessourisquiallaientmedévorersansquepersonneneviennemesauver.Dèsquej’entendaislasonneriedutéléphone,leclaquementd’uneporteoulavoixdemonpère,j’étaisquelquepeurassurée.Celamerappelaitquej’étaistoujourschezmoietquecetenfermementn’étaitqueprovisoire.

Parfois,aprèsnousavoirl’unoul’autreréduitsausilencedecettefaçon,notrepères’endormaitdansunfauteuiletnousoubliaittoutbonnement.Nousdevionsalorsattendreplusieursheurespourêtredélivrés.

Quandilseréveillaitenfin,seremettantdifficilementdesonivresse,ilmarchaittranquillementjusqu’àlapetiteporteetl’ouvrait,l’airsurprisdenoustrouverencoreassislà.Sij’étaisrestéedelonguesheuresdanslenoir,lalumièresoudainemefaisaitmalauxyeux.

NiTerrynimoin’osionsintervenirquandl’autreétaitenfermé,carnoussavionsquenotrepunitionseraitterriblesinouslefaisions.

J’étaisparfoistentéed’allerdéverrouillerlaportedelaréservequandjesavaisquemonfrèreétaitàl’intérieuretjesaisqu’ilressentaitlamêmechosequemoiquandlesrôlesétaientinversés,maisnousredoutionstroplacorrectiondenotrepèrepouragir.Terryetmoiétionstoujourssolidaires.C’étaitluietmoicontrelerestedumonde.Mais,mêmeàdeux,nousnetrouvionsjamaislecouragedenousopposerànotrepère.

C’étaittoujoursl’undenousdeuxquiétaitchargéd’alleracheterducharbon.Unetâcheaussidégradante

auraitportéatteinteàladignitédenotrepère.Levendeurrefusaitdelivrerlecharboncheznous,carnotrepèrenepayaitjamaissesfactures,sibienquenousdevionsallerjusqu’aumagasinquisetrouvaitenbasdelacôteetfairetoutletrajetduretouraveclesacsurnosépaules.

Toutefois,cespunitionsetceshumiliationsauraientétésupportabless’iln’yavaitpaseulereste.

J’auraispuluitrouverdesexcusesettoutluipardonners’iln’avaitpascommencéàm’infligerl’irréparable.

8

Lalecture

Entreautreschoses,notrepèreaimaitquenousluilisionslejournaldusoirquandilrentraitdupub,puisqu’ilnepouvaitpaslefairelui-même.Ilregardaitlesphotosetnousdemandaitdeluilirelestitres.

S’ilétaitintéresséparlesujetdel’article,nousdevionscontinuer.

C’étaitsansdouteunbonentraînementpournous,mêmesinousétionsloindecomprendretoutcequenouslisions.Parexemple,j’aimisuntempsfouàsaisirque«geôle»signifiaittoutsimplement

«prison».

Hélas,c’estenmedemandantdeluifairelalecturequemonpèrem’afaitsubirunabussupplémentairequisurpassaittouslesautres.Ilpossédaitunecollectiondemagazinespornographiques.

Unjour,ilacommencéàmefairemonteravecluidanssachambrequandilrentraitàlamaison,qu’ilsoitivreounon.

Là,ilm’ordonnaitdem’asseoirsurleborddesonlitetdeluiliredeshistoirestrèsexplicitespendantque,allongéàcôtédemoi,ilsemasturbait.Biensûr,àl’époque,j’étaisincapabledemettreunnomsurcequ’ilfaisait.Jen’avaisquehuitouneufans.Jenecomprenaismêmepascequ’ilfaisait,pasplusquelestextesqu’ilm’obligeaitàlire.Maisjedevinaisquecen’étaitpasbienet,surtout,jedétestaisça.Audébut,jelesuppliaisenpleurantdenepasmeforceràlefaire,maisilsemettaittellementencolèrequej’avaispeurdecequ’ilmeferaitsijenecontinuaispasàlire.

Quandilétaitdanscetétat,ilétaitimpossibledeparleravecluietjesavaisquejen’avaisaucunautrechoixquedeluiobéir.C’étaitpréférableàunesériedecoupsdechaussonoudebâton.J’essayaisdenepasleregarder,maisjenepouvaispasignorerlestremblementsdumatelassurlequelj’étaisassise.Jefaisaisaussimonpossiblepouréviterdeposerlesyeuxsurlesphotosdesmagazinesetpourmeconcentrersurlesmotsquejelisaissanspenseràriend’autre.Toutcequejevoulais,c’étaitenfiniraussivitequepossible.

Puisilacommencéàmedemanderdem’allongeràcôtédeluiet,pendantquejelisais,ilglissaitsamainlibredansmaculotte,cequimemettaitmalàl’aiseetmefaisaitpeur,mêmesi,audébut,ilnemefaisaitpasmal.

Unefoisquec’étaitterminé,ilinsistaitsurlefaitquejenedevaissurtoutparleràpersonnedecequenousfaisionsensemble.Ilmeracontaitl’histoired’unepetitefilleduquartierquenousconnaissionset

dontlepèreétaitalléenprisonàcausedeshistoiresqu’elleavaitracontéessurlui.

—Sijevaisenprison,Terryettoivousserezplacésdansunfoyeroùtoutlemondevousdétestera,disait-ilpourmemenacer.Lesfoyerspourenfantssontpleinsdeperversquivonttetorturerettevioler.

Tuasbesoinquetonpapasoitprèsdetoipourteprotéger.Tuesgrosseetmoche,etpersonnenet’aimerajamaisàpartmoi.

Jecroyaistoutcequ’ilmedisait.Et,mêmesijedétestaiscequ’ilmefaisaitfaire,jeredoutaisplusquetoutqu’ilsoitenvoyéenprison.Notrefamilledevaitresterréunie.

Curieusement,leshistoiresqu’ilmeracontaitsurlesfoyerspourenfantsmeterrifiaientalorsquejen’avaisjamaisvécudetellesexpériencesquandj’yavaisséjourné.

Jepensaistoujoursqu’ilm’arriveraitleschosesterriblesqu’ildécrivaitdèslafoissuivante.Plussesexigencesaugmentaient,plusilmerépétaitquejenedevaispasracontercequisepassaitdanscettechambre.Detoutefaçon,disait-il,personnenemecroirait.

—C’estnotresecret.Etsacheque,tantquetun’auraspasdixans,ajoutait-il,personnenet’écoutera.

Plustard,quandilafinalementdûrépondredesesactes,ilaprétenduquej’avaismalcompriscequ’ilfaisait,qu’ilavaitsimplementtoujourseuuneapproche«ouverte»delanuditéetdusexe.Cequiétaitvrai,c’estqu’ilnevoyaitaucunmalàfairecequ’ilvoulait.Maisilnetenaitaucuncomptedecequevoulaientlesautres,àcommencerparmoi.Aucunenfantnesouhaitevoirsesparentssepromenernusdanslamaison,urinerparlesfenêtresoumettrelesmainsdanssaculotte.

J’aifiniparcomprendrequelesupplierd’arrêterouessayerdem’enfuirétaitvain.Alors,jelelaissaisfairetoutenm’efforçantdemeconcentrersurautrechoseetenfaisantcommes’ilnesepassaitrien.

Jetentaisdemeconvaincrequecen’étaitpassiterribleetespéraisseulementquecelasetermineaussivitequepossible.Jusqu’aujouroù,alorsquej’avaisneufans,ilm’ademandéenrentrantdupubsij’avaisenvied’unesucette.

—Oui,s’ilteplaît,papa,ai-jerépondugaiement.

Commeilmeprenaitlamainetm’emmenaitàl’étage,j’aicommencéàmeposerdesquestions.Jesavaisqu’iln’yavaitpasdesucetteslà-haut,etjen’avaispasentendulecamionduvendeuritinérantdanslarue.Prisedenausée,j’aivuque,commed’habitude,ilmedonnaitunmagazineets’allongeaitpoursemasturber.J’aicruquesapropositionn’avaitétéqu’uneméchanteplaisanterie,mais,auboutdequelquesminutes,ilm’areposélamêmequestion.

—Alors,est-cequetuveuxunesucette?

—Oui,ai-jerépondunaïvement,croyantqu’ilavaitfini.Oùsont-elles?

—Viensparici,a-t-ilditbrusquementenprenantmatêtedanssamain.Suceça!

Avantquej’aieeuletempsdecomprendrecequisepassait,ils’étaitintroduitdeforcedansmabouche,mefaisantsuffoquer.Jemesuisaussitôtdébattuepourmelibérer,maisils’estmisencolèreetm’a

empêchéedepartir.Jepleuraisettoussais,persuadéequ’ilallaitmetuer.Jenepouvaisplusrespirer.

Ilacontinuéàs’enfoncerdansmabouche,jusqu’àmagorge,toutenmecoinçantpourquejenepuissepasm’échapper.Cettefois,j’étaisincapabledepenseràautrechosequ’àlanouvelletorturequ’ilétaitentraindem’infliger.

Quandilm’aenfinlibérée,ilestrestéallongésurlelitenfaisantéclatersonriremoqueur.Jemesentaissistupidedem’êtrelaissépiégerparsafausseproposition!Commentavais-jepucroire,neserait-cequ’uneseuleseconde,qu’ilallaitm’offrirunesucettesansraison?Pourquoicontinuais-jeàimaginerqu’ilpouvaitêtregentilavecmoi,mêmeoccasionnellement?

Aprèsavoirreprismonsouffle,jemesuissentieridiculed’avoirpenséquelquesminutesplustôtquej’allaismourir.Jem’étaisaffoléepourrien,enfindecompte.Simonpèreconsidéraitcelacommeuneplaisanterie,cenedevaitpasêtresigrave.Jeledétestaisetjel’aimaistoutenmêmetemps,etj’avaispitiédeluiautantquedemoi.Jeluitrouvaistoujoursdesexcusesquandilbuvait,maisjen’arrivaispasàluipardonnerça.C’étaitàlafoistropdégoûtantettropeffrayant.

Plustard,quandilaessayéd’avoirdesrapportssexuelsavecmoi,j’avaisencorepluspeuretj’étaisencoreplusconvaincuequej’allaismourir.Ilétaittellementénormequej’avaisl’impressionqu’ilallaitmedéchirerendeuxquandilsefrayaitdeforceunpassageentremesjambes.Jevoyaismoncorpsentraindesedisloqueretdesedissoudredanslenéant.

Danscesmoments-là,ilmefaisaitl’effetd’unmonstreénorme,ivreetnauséabond.Couchéau-dessusdemoi,ilessayaitdemepénétrersansjamaissesoucierdemescrisdedouleur,mesoufflantsonhaleinefétideauvisage.J’étaiscertainequequelquechosedeterribleallaitm’arriver.

—Ceseraplusfacilecommeça,disait-ilenseléchantlesdoigtspourmemouiller.

—Non,s’ilteplaît!criais-jesanscesseenpleurant.

Maisils’enmoquait.

—Détends-toi.Situn’enfaisaispastouteunehistoire,ceseraitplusvitefiniettuauraismoinsmal.

J’avaistellementhâtequecelas’arrêtequej’essayaisdesuivresesconseils.Detoutefaçon,jen’avaispasassezdeforcespourmedébattre.Ilétaitsigrandetsifort.Et,commec’étaitmonpère,jelecroyaisquandilmedisaitquejedevaislefaire.

C’étaitcommes’ilm’avaitditdeprendreunmédicamentaugoûtatroceparcequelemédecinmel’avaitprescrit,oucommes’ilm’avaitdemandéderelevermamanchepourmefaireinjecterunvaccin:celafaisaitmalsurlemoment,mais,àterme,ceseraitbonpourmoi.Jesavaisqu’ilfallaitfairecertaineschosessimplementparcequelesadultesnousl’ordonnaient.Jepensaisquecelle-cienfaisaitpartie.

J’auraisvouluaumoinsqu’ilnesentepasaussimauvais.Ilselavaitetseparfumaittouslesmatins,mais,enfindejournée,ilrapportaitdupublesodeursdetabacetd’alcoolquiluicollaientàlapeauetauxcheveuxetmedonnaientdeshaut-le-cœur.

Unefoisqu’ilavaitfini,ilsemoquaitsystématiquementdemoi.

—Alors,tuvois,c’étaitpassipénible?

Ilauraitétéinutiledeluidireàquelpointc’étaithorrible.Soitilnem’auraitpascrue,soitilm’auraitreprochémoningratitudecomptetenudetoutcequ’ilfaisaitpourmoi.

Aprèslapremièrefois,iladéclaré:

—Maintenantquetul’asfaitunefois,tupeuxcommenceràlefairepourdel’argent.

Sesparolesm’ontemplied’effroi,mêmesijenecomprenaispasexactementcequ’ilvoulaitdire.Dureste,ilnelesapastoutdesuiteconvertiesenactes.Aufond,jen’arrivaispasàimaginerqu’ilpuissemefairefaireçaavecd’autreshommesalorsquej’avaisdéjàsimalquandc’étaitlui.

Aprèsavoirréussiàmepénétrer,ilavoululefairesanscesse.Parfois,ildonnaitl’impressiondevouloirsemettreendanger,commesilerisqued’êtresurprisajoutaitàsonexcitation.Ilaimaitmontrerqu’iln’avaitpeurdepersonne,qu’ilétaitau-dessusdesloisetqu’ilpouvaitfairecequ’ilvoulait.À

Norwich,ilyavait,prisentredeuxroutes,unbosquetbroussailleuxoùilm’aemmenéeplusieursfois.Ilfallaitpourcelafaireundétourenrentrantdespubsetdesguichetsdebookmakers.

Desvoiturespassaientàseulementquelquesmètresdechaquecôtédenous,maiscelanel’empêchaitpasdemeviolerlà,commepourmettrelemondeaudéfidel’empêcherdefairecequ’ilvoulait.Jenecomprenaispaspourquoiiln’attendaitpasquelquesminutesquenoussoyonsrentrésàlamaison,maisjen’auraisjamaiseulecouragedeluiposerlaquestion.J’enétaisencoreàlesuivreencourantcommeunpetitchien,cherchantàluifaireplaisirdetouteslesfaçonspossibles,espérantseulementqu’ilnemeferaitpastropsouffrir.Maplusgrandepeurétaitqu’ilmerejette.Quantàsonaffection,j’yavaisrenoncédepuislongtemps.

Toujoursavided’argentfacile,monpèreaeul’idéed’aménagerunpeulachambredeTerryetlamiennepourylogerdeslocataires.

Parconséquent,ilnousaobligésàvenirdormirdanssonlit,chosequenousdétestionstouslesdeux,maisdontnousn’osionspasnousplaindre.

Ilmeforçaitàm’allongeràcôtédelui,prétextantqueTerrybougeaittropetqu’illuidonnaitdescoupsdepiedpendantlanuit.J’avaistoujourspeurquandilétaitallongéprèsdemoi,maisc’étaitencorepirequandjesavaisqu’ilallaitrentrerivreetmetoucheralorsqueTerrydormaitdanslemêmelit.

Mêmeunefoisquemonpèreétaitendormi,jecontinuaisàressentirlemêmedégoût,etl’odeurd’alcoolquis’échappaitdesabouchequandilronflaitm’écœurait.

Enquittantlamaison,mamèrel’avaitprivéd’unrevenuprécieuxsanslequelilavaitleplusgrandmalàs’ensortir.Biensûr,l’idéedesemettrelui-mêmeàtravaillerneluiétaitpasvenueàl’esprit,sibienqu’ildevaittoujoursélaborerdenouvellesescroqueriespourgagnerunpeud’argent.QuandonluiavaitaccordéofficiellementlagardedeTerryetmoientantquepèrecélibataire,ilavaitaussitôtclaméhautetfortqu’iln’auraitplusjamaisbesoindetravaillergrâceauxallocationsfamilialesqu’ilallaitpercevoir.Maisils’estviterenducomptequecesversementsnesuffiraientpaspourfinancersaconsommationd’alcool.

Enplusdeluipayerunloyer,certainsdesespensionnairesluifournissaientuneautresourcederevenus.Eneffet,lesprestationssocialesqu’ilspercevaientarrivaientcheznousparmandatpostal,etmonpèrelesinterceptaitavantqu’ilssesoientrenducomptequ’ilsétaientarrivés.Ilmechargeaitensuited’imiterleursignatureetd’apporterlesmandatsauguichetd’unbureaudeposteéloignédecheznouspourretirerl’argentliquide.Iln’apasfallulongtempsàlapolicepourvenircheznousetcomparerl’écrituredemonpèreauxfaussessignatures.Iln’estvenuàl’idéedepersonnedefaireuneexpertisedemonécriture.Quiauraitpuimaginerunepetitefilletimidedeneufanscapabledefalsifierdesmandatspostaux?

—Tupourraspastefaireattraperpourça,m’assuraitmonpèrequandjeluidemandaisnerveusementsionallaitmemettreenprison.Unenfantdemoinsdedixansn’estpasresponsablelégalement.

Laplupartdeslocatairesnerestaientquequelquesjours.Souvent,leurdépartétaitdûàunebagarreavecmonpère.Jenemesouviensprécisémentquededeuxd’entreeux,dontunétaitungarçontrèsbeauettrèsgentil.Unaprès-midi,Terryetmoiétionsavecluiàlamaisonentraindediscutertoutenmangeantdesbiscuitsauchocolatquenotregrand-mèreavaitdéposéslaveille.C’estalorsquenotrepèreestarrivé.Lesbiscuitsétantunedenréerarecheznous,ceuxauchocolatplusencore,jepensequenousavonscru,Terryetmoi,qu’ilsavaientétéachetésparleslocataires.

Monpèreavaitdûrêvertoutaulongdutrajetdubiscuitauchocolatqu’ilallaitmangeravecsonthéet,quandilnousavustouslestrois,ils’estmisdansunecolèrenoire.C’estlelocatairequiaétélavictimedesarage.Sejetantsurlui,monpèrel’abattudevantnous,siviolemmentquesonsanggiclait.

Sescoupss’abattaientsurluietillejetaitsurlesoltoutenl’accusantdeluiavoirvolésesbiscuits.

Terryetmoiavonsessayédeluidirequec’étaitnotrefaute,maisilnevoulaitrienentendre.Ilarassemblétouteslesaffairesdupauvregarçonetlesajetéesdanslarue.

Mêmesij’étaisencorepetite,jemesouviensdem’êtredemandépourquoiilavaitréagiainsipourunpaquetdebiscuitsalorsqu’illuiauraitsuffid’enracheterun.

Maisaujourd’hui,jepenseque,s’ilabattucegentilpensionnaire,c’estparcequ’ilavaitremarquéquejel’aimaisbienetqu’ilavaitvuenluiunemenacesurlecontrôlequ’ilexerçaitàlamaison.Iln’étaitpasquestionqueTerryetmoiayonsd’autreshérosquelui.Maistoutcequejeressentaissurlemomentétaituneimmenseculpabilité.Commed’habitude,jepensaisquec’étaitàcausedemoisicegarçonavaitsubiunetellecorrection.

Uneautrefois,unlocatairealaissélaportedujardinouverte,etnotrechiens’estéchappé.Furieuxd’avoirperdusonchercorgi,monpèrel’abattuluiaussietjetédanslarueavecsesaffaires.

Apparemment,illuiétaitinsupportabledevoirunautrehommequeluisursonterritoire,mêmesilapersonneluipayaitunloyer.

Riennenouspermettaitjamaisd’anticipersesréactions.Parfois,ilsortaitdesesgondsàcaused’undétailqu’ilétaitleseulàavoirremarqué,alorsqu’àd’autresmoments,laperspectived’êtrepunisnousfaisaittremblerdepeur,etcequenousredoutionsn’arrivaitjamais.Cettesituationnousmaintenaitdansuneinsécuritépermanenteetaugmentaitlepouvoirqu’ilavaitsurnous.Ilétaitsiimprévisiblequenousnepouvionsqu’êtretendusetnerveuxàlongueurdetemps.

Danslesalon,ilyavaituncadreaccrochéaumurauqueliltenaitbeaucoup.C’étaitunesortedediplômeenrapportavecluietlafranc-maçonnerie.Celavoulait-ildirequ’ilenétaitmembre?Entoutcas,cetobjetfaisaitsafiertéetsajoie.QuandTerryetmoiavonsbriséleverreducadreunjourenjouantauballonàl’intérieur,nousavonscrutouslesdeuxqu’ilallaitnoustuerenrentrantàlamaison.

Nousn’avionsaucunmoyendecachernideréparernotrebêtise,sibienqu’enl’entendantpousserlaported’entrée,nousnoussommesmisàtremblerdepeur.Accourantverslui,nousl’avonssuppliédenouspardonneretd’avoirpitiédenous.

—Aucuneimportance,a-t-ilditensouriant,commepournousmontrercombiennousétionsidiotsdenousenfairepoursipeu.C’estfacilederemplaceruncadre.

S’entenanttoujoursauprincipeselonlequelnousétionstropjeunespourêtrearrêtés,ils’estmisànousenvoyerdeplusenplussouventvolerdanslesmagasins.S’ilnousavaitseulementchargésaudébutderapporterunpeudebaconetquelquesdenréesnécessaires,ilapeuàpeuprisl’habitudederéclamerdesbouteillesdewhiskyqu’ilpartageaitensuiteavecsesamis.Tandisqu’ilservaitlesverresdesesinvités,ilsevantaitdel’habiletédesafillecommesijevenaisderemporterunprix.

J’étaisempliedefiertéquandilchantaitmeslouangesetquesesamismeregardaientavecadmirationsanscomprendrequejenecommettaiscesvolsqueparcequemonpèrem’yavaitobligée.Siseulementilavaitpuêtreaussicontentdemoiquandjejouaisduviolonouquandj’avaisdebonnesnotesàl’école…

J’aitoujoursréussiàvolerdesbouteillesdewhiskypourluisansmefaireprendre.J’imaginequelescommerçantsétaientloind’imaginerunepetitefillefaisantcegenredechoses;c’estpourquoiilsnemesurveillaientpasparticulièrementquandjetraversaislerayondesalcoolsforts.

Matâcheauraitputoutefoisêtreplussimplesimonpèren’avaitpaseudesexigencessupplémentaires,carilnepouvaitaccepterquedeuxmarques:Teacher’setWhiteHorse.Illuiarrivaitdenousaccompagnerdanscesexcursionspourjouerlerôledechaperon.Derrièrelesupermarché,ilyavait,toujoursattachéeaumêmeendroit,unebicycletteéquipéed’unesacocheàl’arrière.

Ils’asseyaitlà,àcôtéduvélo,etrécupéraitlesbouteillesaveclesquellesjeressortais.S’empressantdelescacherdanslasacoche,ilm’envoyaitaussitôtenchercherd’autres.Unefoisquenousenavionstroisouquatre,nouslesramassionstoutesetreprenionstriomphalementlechemindelamaison.Ilétaitenchantédem’avoirappriscelaetd’échapperunefoisdeplusàlaloietauxrèglesdelavieensociété.

Quantàmoi,mêmesijedétestaisqu’ilm’obligeàvoler,j’étaisheureused’avoirenfintrouvéunmoyendeluifaireplaisiretdeluimontrerquejen’étaispascomplètementinutile.

Unjour,alorsqu’ilnousavaitenvoyés,Terryetmoi,volerduwhiskysanslui,nousavonsdécidédeprendreplutôtdesbonbonspourcalmernotrefaim.C’estlàquenousavonsétésurpris.

Silescommerçantsneseméfiaientpasdesenfantsquandilspassaientaumilieudesbouteillesd’alcool,ilsfaisaientcertainementplusattentionquandilsnousvoyaientrôderautourdesfriandises.

J’étaisterrifiéeenimaginantl’arrivéedelapoliceet,pourtant,jemesentaispresquesoulagée.

Maintenantquenousavionsétérepérés,notrepèreallaitsûrementserendrecomptequec’étaittrop

risquéetqu’ilnedevaitplusnousenvoyervolerduwhiskypourlui.

Quandlespoliciersnousontramenésàlamaisonetluiontexpliquécequis’étaitpassé,ilainterprétésongrandnumérodepèrescandalisétoutenleurassurantqu’ilallaitpunir«cespetitscons»,quiplusjamaisn’oseraientcommettreunefauteaussigrave.Jedétestaislevoirtoutàcoupsoumisàl’autorité.Jeletrouvaislâchequandilsemontraitprêtàtoutpourseprotéger.

Aprèsledépartdespoliciers,ils’estmisencoreplusencolèrecontrenous,nonpasàcausedenotremalhonnêteté,évidemment.Ilnenousenvoulaitpasnonplusd’avoirétésurpris,mêmesicelaprouvaitunefoisdeplusàsesyeuxquenousn’étionsquedesbonsàrien.Non,cequilerendaitleplusfurieux,c’étaitquenousayonsessayédevolerdesbonbonsàlaplaceduwhisky.Etilnousaaussitôtenvoyésréparernotreerreur.

—Nerevenezpastantquevousn’aurezpasunebouteillechacun,nousa-t-ilordonné.

Terryafonduenlarmesdevantlemagasin.Ilsesentaitincapablederetourneràl’intérieuraprèscequinousétaitarrivé.

J’aidoncdûpartirtouteseuleenmission.Jetrouvaisnormaldefairedeschosespourlui,car,dèsqu’ilenavaitl’occasion,ilsemontraittoutaussigentilavecmoi.Notresituationnousrendaitsolidaires.

Notrepèreacachélesdeuxbouteillessouslecanapétoutensefélicitantd’avoirunefoisdeplusobtenuquelquechosegratuitement.Quandsesamissontarrivés,illesafièrementsorties,etilsontpupasserlanuitàboireenjouantauxcartes.Lefaitqu’iln’aitpaseuàlespayersemblaitleurdonnerencoreplusdevaleur.Sonaversionpourl’acted’achatdépassaitleslimitesdel’entendement.

Serefusantmêmeàpayerlepapiertoilette,ilserendaitdanslessanitairespublicsdespetitsvillagesetvolaitlesgrandsrouleauxmisàladispositiondesusagers.Ilsevantaitsansarrêtdenepasavoirachetédepapiertoilettedepuisdesannées,commepourdirequeceuxquilefaisaientétaientdesimbéciles.

IlabienachetéuneJaguarunjour,maisnousn’avonspresquejamaiseudevoiture,sibienque,laplupartdutemps,ildemandaitàdesamisdeleconduirelàoùilavaitbesoind’aller.Iladoraitbraconnerafinderapporterdeslapinsoudesfaisans,nonseulementpouravoirdelanourrituregratuite,maisaussipourentretenirl’illusiond’êtreau-dessusdeslois.

Lesarmesàfeulepassionnaientetilenpossédaitplusieurs,aveclesquellesiltiraitsurlesoiseauxdepuislafenêtredelacuisine.Ilvisaitbienetlestouchaitsouvent.Ilm’amêmeapprisàtirer,cequimerendaitfolledejoie.C’étaitsirarequ’ilm’enseignedeschosesàpeuprèsnormales,commeunvraipère,luiquiadéployétellementd’énergiepourm’apprendreàvoler,àtricheretfinalementàvendremoncorps.

Ilavaitcertesrejetélesrèglesimposéesparlasociété,maiscelanel’empêchaitpasd’avoirsonproprecodedemoralité.Parexemple,pourrienaumondeiln’auraitvolédel’argentdansunportefeuille.Celaluiauraitparumalhonnête.Iln’avaitpourtantpaséprouvélemoindrescrupuleàconsidérercommelesienl’argentquemamèreavaitgagnéenseprostituantetàluiconfisquerchaquecentime.

Parfois,lesoir,quandmonpèreavaitdelavisite,ilnousenvoyaitnouscoucher,Terryetmoi.Maisilluiarrivaitaussid’avoirenviequenousrestionsfairelafêteavecsongrouped’amisjusqu’à2ou3heures

dumatin,surtoutmoi.Ilmeforçaitàboireduwhiskymélangéàdujusd’orange.Audébut,celamefaisaitmalaucœur,maisjem’ysuispeuàpeuhabituée.

Terryetmoipréférionstoujoursallerdormir,carnousvoulionsalleràl’écolelelendemain,maisilnousétaitimpossiblededéfendrecepointdevuequandilavaitdécidéquenousdevionsresterenbasaveclui.

Certainssoirs,ilvoulaitabsolumentsedébarrasserdenousleplustôtpossible.Etàpartirdumomentoùilnousavaitchassés,pourquelqueraisonquecesoit,nousn’avionsledroitderedescendresousaucunprétexte,mêmesinousétionsmontésdès16heures.

Commelesseulestoilettessetrouvaientenbas,derrièrelamaison,etqu’iln’étaitpasquestionpournousdedéfiersesordres,nousdevionspresquechaquefoistrouverunautremoyendenoussoulagerpendantceslonguessoirées.Nousn’avionspasl’audacedelefairecommeluiparlafenêtreouverte.

Terrypouvaitatteindrelacuvequisetrouvaitdanslachambredenotrepère.Cuvequinousapprovisionnaiteneauaurez-de-chaussée,cequimelaisseimagineraveceffroicequenousavonsbuetutilisépournouslaver.

J’étaisenrevanchetroppetitepourl’imiter,sibienquej’ensuisarrivéeàsouleveruncoindelamoquettepourmesoulagerdirectementsurleparquet.Noschambresétaientdéjàsisalesetmalodorantesquenotrepèrenes’estjamaisrenducomptedecequ’ilnousobligeaitàfaire.

Nousignorionscequisepassaitenbasquandnousétionsainsireléguésàl’étage,maisnousentendionsdesbruitscurieuxetnoussavionsqu’ilgardaitsesmagazinespornographiquessouslecoussindesonfauteuil.Commelaplupartdesesamisétaientdesalcooliquesoudesprostituées,ilestaisédedevineràquoiilsoccupaientleurssoirées.

J’aimaisbeaucouplesprostituéesqu’ilavaitpouramies,carellesétaientpresquetoutestrèsgentillesavecmoi,etmonpèresecomportaitmieuxquandellesétaientlà.Sansdouteavaient-ellesvécuuneenfancesemblableàlamienneetdevinaient-elleslesortquim’étaitréservé.

J’aimaissurtoutl’uned’entreelles,unefemmenoireprénomméeGail.C’étaitl’unedesrarespersonnescapablesdeterrorisermonpère.Parfois,ellevenaitmechercherpourquejegardesesenfantspendantqu’elleallaittravailler.Cessoirs-là,illuiarrivaitderamenerdesclientsquandj’étaischezelle,maiscelanemeparaissaitpasanormal.C’étaitainsiquelesgensavaienttoujoursvécuautourdemoi.

D’unefaçonoud’uneautre,j’avaissûrementdevinéqu’ellefaisaitaveccesinconnuscequejefaisaisavecmonpère,maisj’essayaisdenepasypenser.

Gailétaitunefemmeforte.C’étaitaussiunevéritableobsédéesexuelle,etmonpèreluiplaisaitbeaucoup.Ilavaitbeauaimerlesexeluiaussietproclamerqu’ilnerésistaitjamaisàl’appelduplaisir,ilétaitévidentqueGaillemettaitmalàl’aise.Ilaimaitavoirlecontrôlesurlesautresetêtreàl’initiativedelaséduction–ouduviol.Àn’importequelleheuredujouroudelanuit,Gailetluimontaientàl’étage,etnouslesentendions,Terryetmoi,pendantqu’ilssebattaient,qu’ilscouchaientensembleouqu’ilsfaisaientcequileurvenaitàl’esprit.Jel’admiraisparceque,contrairementàlaplupartdesgens,ellesavaitluirésister.Unjour,aupub,jel’aivueluitapersurlatêteavecunequeuedebillard.Elleétaitformidable.J’admiraisceuxquineselaissaientpasfaireparmonpèreetquiavaientle

couragederépondreàsesattaques.Jerêvaisd’êtrecommeeux.

Lucyétaituneautreprostituéeamieavecmonpère.Jel’aimaisbeaucoup,elleaussi.Elleavaituntempéramentdefeuetunealluredebohémienne.Monpèren’arrêtaitpasdeluifaireremarquerqu’elleétaittropmaigre,maisriendecequ’ildisaitn’avaitlepouvoirdelavexer.Jenecroispasqu’ilsaientpartagéautrechosequ’unefrancheamitié.Ilss’entendaientbien,etLucyétaitl’unedesraresfemmescapablesdeluirépondreetdesedéfendrecontrelui.

—Leshommesn’aimentpaslesfemmesmaigres,disait-ilpoursemoquerd’elle.

Maiselleneselaissaitpasfaire.Iln’arrivaitpasàluifaireperdresaconfianceenellemalgrésesparolesacerbes.Souvent,ellearrivaitàlamaisonenpleinenuit,couvertedeblessuresparcequel’unoul’autredesessouteneursl’avaitbattue.Biensûr,chacundeceshommesseconsidéraitcommesonpetitami.Chaquefoisquecelaseproduisait,monpèrelafaisaitentrerets’occupaitd’elle,etTerryetmoilatrouvionslelendemainmatincouchéesurlecanapé.

Saprofessionn’étaitpasunmystère,étantdonnéqu’elleportaittoujoursdeshautsmoulantsetdécolletés,desminijupesetdeschaussuresàtalons.Elleavaitbeausortirtravaillertouslessoirs,ellen’avaitjamaisd’argentsurelle.Sansdoutedépensait-elleenalcoolcequesessoi-disantpetitsamisvoulaientbienluilaisser.

C’estsouventcequiarriveauxprostituées:n’ayantpasl’impressionquel’argentqu’ellesgagnentestrespectable,ellesenviennentàlegaspilleralorsqu’ellesn’auraientjamaisagidelamêmemanièresiellesavaienttravaillédansunmagasinoudansuneusine.Àleursyeux,celaressembleplusàdel’argentsalequ’àunerichesseàprotégeretàéconomiser.

QuandLucyétaitàlamaison,ellem’envoyaitconstammentacheterpourelledescollantsneufs,delalaqueouunpeigne.J’adoraisfairelescoursespourelle,carellemedisaittoujoursd’enprofiterpourm’acheterdesbonbons;maisj’aimaisaussiluirendreservice,toutsimplement.Mêmequandj’étaistropjeunepoursavoirvraimentcequesignifiaitlemot«prostituée»,jesavaisquec’étaitsonmétier.Maiscelam’étaitégal.Jel’aimaispourcequ’elleétait.Unjour,alorsquej’avaisneufans,jesuisrevenuedumagasinaveclesnouveauxcollantsqu’ellem’avaitcommandés.

—SiRialesessayait,asuggérémonpère.

Sansvraimentréfléchir,ellem’atendulescollantsquejevenaisdeluidonner.Commen’importequellepetitefille,jemouraisd’enviedem’habillercommeunefemmeetjelesaienfilésavecenthousiasmeenespérantêtreaussiélégantequeLucy.

—EssaieleschaussuresdeLucy,m’aensuiteditmonpère.

Faisantcequ’ilmedisait,j’aifaitquelquespasdanslapièceenm’efforçantdegarderl’équilibresurdestalonsdeplusdedixcentimètres.

—EssaielajupedeLucymaintenant.

Lucysesentaitmanifestementdeplusenplusmalàl’aise,carelleaditàmonpèrequ’ellenevoulaitplusjoueràcejeu.Elleabienessayédeledistraire,mais,cettefois,j’étaisducôtédemonpère.

Jerêvaisd’essayersesvêtements.Alors,nousl’avonssuppliéejusqu’àcequ’ellecèdeetqu’ellemedonnesajupe,nonsansréticence.Jemesuisglisséededansavecunplaisirfou,découvrantavecfascinationlanouvellelignedemesjambesinfinimentlongues.

—Ellealesjambesdesamère,acommentémonpèreavecsatisfactionenmeregardant.

Pourmoi,c’étaitleplusbeaucomplimentqu’ilpûtmefaire,carils’étaittoujoursextasiésurlasilhouettedemamère.

—Quandelleaural’âge,a-t-ilditàLucy,jelamettraisurletrottoir.Ellevagagnerdesfortunes.

JesuiscertainequeLucyétaitaucourantdesprojetsqu’ilavaitpourmoi,cariln’enavaitjamaisfaitunsecret.Maiselleaétéchoquéequ’ilfassecettedéclarationdevantmoi.

—Elleesttropjeunepourquetul’habillescommeça,a-t-elleprotesté.

—Maquille-launpeu,arétorquémonpère,ignorantsaremarque.

Commejelasuppliaisdemedonnerl’allured’uneadulte,elleacédéunefoisdeplus.Sansmêmeunsourire,ellem’alégèrementmaquillélesyeuxetleslèvres,et,quandjemesuisregardéedanslaglace,j’aieul’impressiond’êtrelaplusjoliefilledumonde.

—C’estridicule,a-t-elleconcluavecunairrenfrogné.

Soncommentairem’afaitl’effetd’uncoupdepoignard.Jetrouvaisquecelam’allaitbien,etmonpèremedonnaitl’impressiondepenserlamêmechosequemoi,maisl’avisdeLucycomptaitpourmoi,etjenevoulaispasqu’ellemetrouveridicule.

Alors,jesuisvitealléemechangeretmelaverlafigure.Jemesouviensque,toutenfaisantdisparaîtremonmaquillage,jem’étaisditquecetteséanced’essayagem’avaitamusée,maisquejenevoulaispasdevenirprostituée.Mêmepaspourfaireplaisiràmonpère.

—Lucyvamonterpourfairesontravail,disait-ilquandelleramenaitunclientàlamaison.

Etjen’étaispasétonnée.Jesavaisque,pourtravailler,lesprostituéesrecevaientdeshommes.C’étaitleurfaçondegagnerdel’argent.Jenevoulaispasensavoirplussurcequ’ellesfaisaient.Mais,aufonddemoi,jesavaistrèsbienàneufansquejenevoulaispasexercercemétierplustard.

9

Letempsdel’endurcissement

Bienquelafamilledenotremèreaitvécudanslamêmevillequenous,Terryetmoin’avonsplusvupersonneaprèssondépart.Mêmepasnosgrands-parents.Toutlemondenousatournéledos,commepouroublierlahontedecequis’étaitpassé,etnousn’avonsplusreçuaucunecarteniaucuncoupdetéléphone.Personnen’acherchéàsavoirsinousallionsbien.J’imaginequenotrepèren’apasfacilitélescontacts,maisjenecomprendraijamaispourquoinotrefamillen’apasaumoinsessayédenousaider.

J’imaginequ’ilétaitplusfacilepourmesgrands-parentsdefairecommesinousn’avionsjamaisexisté.

Aprèsdesannées,lapetitesœurdemamèreabiencherchéàserattraperennousinvitantàdesréunionsdefamille,maisletempsécouléavaitfaitdeTerryetmoidesétrangersauseindenotreproprefamille.

Seulsnotrepèreetnotregrand-mèreavaientfaitpartiedenotreviependantnotreenfance,ainsiquenoscousinsavecquinousavionsparfoiseul’occasiondejouer.Commentaurais-jepunepasaimermonpèrealorsqu’ilétaittoutcequej’avais?Ilnousapparaissaitcommelaseulepersonneaumondequinenousaitpasabandonnés.

LesautresmembresdelafamilleauraientpuprofiterdesmomentsoùilétaitenprisonetoùTerryetmoiséjournionsenfoyerpourvenirnousvoirsanscrainted’avoiràl’affronter.Seulement,ilsnel’ontjamaisfait.Pasmêmeàl’occasiondeNoël.

Apparemment,notreexistencenefaisaitquedérangertoutlemonde.Nousn’étionsqu’unechargepourceuxquiétaientresponsablesdenous.Etnousnecomprenionspaspourquoinotregrand-mèrenecherchaitpasànousvoir,nipourquoinosonclesettantesneprenaientjamaisdenosnouvelles.

Lefaitqu’ilsnousaientrayésdeleurvienousfaisaitpresqueautantdepeinequeledépartdenotremère.Sitoutlemondenousavaittournéledos,medisais-je,celasignifiaitquenousétionsvraimentdesenfantshorriblesetquenotrepèredevaitêtreunsaintpourcontinueràvivreavecnous.

—Jesuislaseulepersonneenquitupuissesavoirconfiance,medisait-ilsouvent.Personned’autrequemoinet’aimerajamais.

Jevoyaisbienqu’ilavaitraison.

Parfois,ilnousenseignaitcertaineschoses,àTerryetmoi,encroyantsincèrementagirpournotrebien,mêmes’illefaisaitpourdemauvaisesraisons.

Commeilnesupportaitpasdenousvoirpleurer,ilnousaapprisànousbattrecontrequiconquenousattaquait,sauflui.Sinousrentrionsenpleurnichantparcequelesenfantsavecquinousavionsjouéàl’écoleoudanslaruenousavaienttapésouoffensés,ilsefâchaitetnousdisaitquenousaurionsdûlestaper,nousaussi.Quenousnedevionsjamaispleurerdevantlesautres.Ilnecessaitdenousrépéterquenousdevionsêtredurssinousnevoulionspasnousfaireécraserparlerestedumonde.

Commeilnousavaitsouventdonnél’occasiondevoirqu’ilappliquaitcettephilosophieàlalettre,jesavaisquejen’aimaispassaviolence,maisjevoyaisaussiqu’elleluipermettaitd’êtrerespecté.

Personnen’osaitjamaiss’enprendreànotrepère.

—Netebatspascommeunefille,medisait-il.Arrêtedegrifferetdedonnerdesclaques.Tudoisapprendreàdonnerdebonscoupsdepoingcommeungarçon.

Durantcesséancesd’entraînement,sanssesoucierdumalqu’ilnousfaisait,ilnousfrappaitdetoutessesforcespournousmontrercommentnousyprendre.Maispasseulement.Àn’importequelmoment,sansquenousnousyattendions,ilnousfrappaitetnoustordaitlesbrasetlesjambes,riantdel’expressiondechocquiapparaissaitsurnotrevisage.

Tandisquenousretenionsdeslarmesdedouleur,ilnousordonnaitdenousendurcir,commesic’étaitlaseuleraisonpourlaquelleilsecomportaitdecettefaçon.Commes’illefaisaitpournotrebien.

Étanttoujoursintimidéeàl’école,ayantsanscesselesentimentd’êtreuneétrangèreaumilieudesautres,j’étaisuneciblefacilepourlesélèvesmalintentionnés.J’avaissurtoutaffaireàungroupedetroisfillesquipassaientleurtempsàsemoquerdemesvieuxvêtementsetàmedirequej’étaissaleetquejesentaismauvais.

—Tun’asmêmepasdemère!lançaient-elles.Elleestpartieparcequetuétaistropmoche.

Commejesavaisqu’ellesavaientraison,jen’essayaismêmepasdemedéfendre,maisleursremarquesmefaisaientsouffrir.Jerentraisàlamaisonenlarmes,maisjenedevaispascomptersurmonpèrepourmeréconforter.Ilaffirmaitquec’étaitarrivéparmafauteetquejedevaisapprendreànepasmelaisserfaire.Iln’avaitpasdetempsàperdreavecune«gaminequinefaisaitquechialer».

—T’esqu’unemauviette,m’assénait-il.Situleurdonnesdebonscoupsdepoing,ellestelaisseronttranquille.Etellesterespecteront.

Mêmesij’étaisconvaincuequecesfillesdisaientlavérité,celamefaisaitencoreplusmald’entendrecesparolestouslesjours.Avecleursattaques,ellesmerappelaientchaqueinstantquejen’étaisqu’unecréaturelaideetinutilequepersonnenepouvaitaimer.

Jevoulaisquecelas’arrête.Jevoulaisqu’ellesdeviennentgentillesavecmoi,ouaumoinsqu’ellesmelaissenttranquille.Et,pourcela,jeneconnaissaisqu’uneseuleméthode:cellequemonpèrem’avaitapprise.Seulement,jenemesentaispascapabled’attaquermesadversairescommeilmel’avaitrecommandé.Jenevoulaispasinfligeràd’autrescequ’ilnousfaisaitsubiravectellementdesatisfaction.

Unjour,lesfillesontrecommencéàsemoquerdemoi,aupointqueceladevintinsupportable.J’aisentilatensionmonterenmoi,jusqu’aumomentoùj’aicomprisquejedevaisréagir.Ilm’estdevenutoutàcoupimpossibledecontrôlermarage.Jemesuisjetéesurelles.

Àcemoment,toutcequem’avaitapprismonpèrem’estvenuavecunnatureldéconcertant.Jedevaisfairepeuràvoir,distribuantlescoupsàdroiteetàgaucheavecuneviolenceinouïe.C’étaitcommesij’étaissortiedemonproprecorps.Mesadversairesnedevaientpass’attendreàmaréaction,carellesnem’ontopposéaucunerésistanceetj’aifacilementremportémoncombat.

Dèsquejem’ensuispriseàlameneuse,lesautressesontécartéesenmeregardantavecstupeurtandisqu’unefouledespectateursserassemblaitautourdenouspourassisterauspectacle.

J’avaisbeaudominermonadversairequin’avaitpaslesmoyensdesedéfendre,jenepouvaispasm’empêcherdefrapperencoreetencore.Finalement,jenemesuisarrêtéequ’unefoisquej’eusévacuétoutemacolèreetquemavictimefutinertesurlesol.Jemesuissentieeuphoriqueendécouvrantcequej’avaisfait.Lesleçonsdemonpèreavaientportéleursfruits!

Mais,aussitôt,j’aiétéenvahieparlaculpabilité.Envoyantcettefillesereleveravecdifficultéets’écarterdemoientitubant,j’aieuenviedemeprécipiterversellepourluidemanderpardonetm’assurerqu’ellen’avaitriendegrave.

Maisjesavaisque,sijelefaisais,jeperdraislaréputationquejevenaisd’acquérir.Monpèrene

présentaitjamaissesexcusesàpersonne,etjevoulaisdeveniraussicrainte,aussirespectéeetaussiintouchablequelui.

J’avaishâtederentreràlamaisonpourluiracontercequis’étaitpassé.Ilseraitforcémentravid’apprendrequej’avaisenfinfaitcequ’ilm’avaitappris.Quantàmoi,j’étaisfièredem’êtredéfendue.

Jen’aipasétédéçueenvoyantsonexpressionaumomentoùjeluiaidécritcoupparcoupmafabuleusevictoire.Pourlapremièrefoisdemavie,j’avaisl’impressiond’avoirfaitcequ’ilfallaitetdeluifairevraimentplaisir.Enfin,jemesentaisdignedesonamour.Seulement,quelquesheuresplustard,lepèredel’élèvequej’avaisagresséeavectantdeférocitéestvenusonnercheznouspourseplaindredutraitementquej’avaisinfligéàsafille.Ilvoulaitnousréclamerdel’argent,carj’avaiscasséseslunettesetdéchirésarobe.

Metenantfièrementàcôtédemonpèresurlepasdelaporte,j’étaisonnepeutplusheureusequecettevisiteinattenduevienneconfirmermavictoire.Jem’attendaisàcequ’ilfassesubiraupèrecequej’avaisfaitsubiràlafille,exactementcommelejouroùilavaitprisladéfensedeTerryens’attaquantaupèredel’enfantquiluiavaitfaitdumal.

Maisiln’amêmepasfaitfrontavecmoi.Aulieudecela,ils’estmontréétonnammentconciliant,allantjusqu’àdemanderpardonpourmoncomportementetàmefairepasserpourunedélinquantequiluicausaitdesproblèmesterribles.

Unefoisdeplus,ilcherchaitàsusciterlacompassionenjouantlerôledupauvrepèrecélibatairequidevaitlutterchaquejourpours’ensortiravecdesenfantsdifficiles.J’avaiscruquenousformionsuneéquipeimbattableetquenotreenneminesortiraitpasindemnedecetterencontre,maismonpèrem’alaisséetomber.

Dèsquenousavonsétéseuls,touslesdeux,ilalaissééclatertoutesacolèrecontremoietm’adonnéunecorrectionpourmepunirdeluiavoirattirédesennuis.Jemesentaisdeplusenplusperdueàmesurequelescoupspleuvaientsurmoi.Commentavait-ilpuchangerd’avisaussibrusquement?J’envenaisàcroireque,décidément,jen’arriveraisjamaisàfairequelquechosedebien.Commentyserais-jeparvenuealorsquejenecomprenaispascequ’ilattendaitdemoi?Jem’étaisenfindéfenduecommeilmel’avaittoujoursappris,etvoilàqu’ilmebattaitpourmepunir.Jamaisjenetrouveraislemoyendeluifaireplaisir.Telleétaitlaconclusionquis’imposaitàmoiquand,unefoislibérée,jesuisalléem’asseoirseuledansl’escalier.

Mêmesimonpèrem’envoulaitàcausedelavisitequ’ilavaitreçue,j’étaisforcéed’admettrequ’ilavaiteuraisonenmedisantdemontrerlespoingspourmedéfendre.

Àcompterdecejour,toutachangépourmoiàl’école.J’avaisgagnélerespectdesautresélèves,etmanouvelleréputationmeprotégeaitdesattaques.

Ceuxquiavaientassistéàlabagarreenavaientparléàtoutlemonde,etleursproposavaientcertainementexagérélagrandeurdemaperformance.Tousceuxquiavaienttoujoursprissoindem’ignorervoulaientsoudaindevenirmesamis.

Aufonddemoi,jem’envoulaisd’avoirfaitdumalàlapauvrefillequej’avaisfrappée,maisjenepouvaispasmepermettrededévoilermesremords.Monchangementdestatutmerendaittropheureuse.

Enapparence,j’avaissansdoutegagnédelaconfianceenmoi,maismesincertitudesdepetitefillemaldanssapeauétaientintactes.Mêmesilesgensavaientcessédesemoquerdemoi,jemesentaistoujoursdifférentedesautresfilles.J’étaisconvaincuedenepasméritertoutcequ’ellesavaient,àcommencerpardesparentsquilesaimaientetquis’occupaientd’elles.

Jevoyaismescamaradesdeclassecommedesêtressupérieurs,mêmesijesavaisfrapperplusfortqu’elles.J’étaisincapabledejouernaturellementavecd’autresenfantsetlasimpleidéedemejoindreàleursactivitésmerendaitnerveuse.Jemetenaistoujourssurmesgardes,m’attendantàmefaireattaquerd’uninstantàl’autre.J’étaispersuadéeque,sipluspersonnen’osaitsemoquerdemoiouvertement,toutlemondecontinuaitàlefaireencachette.

Monnouveaustatutavaittoutdemêmeuninconvénient:jem’étaisfaitremarquer,etd’autresfillesdésiraientmaintenantjouirdumêmeprestigequemoi.Sibienque,régulièrement,ellesvenaientmeprovoquerpourmontrerqu’ellesétaientaussitémérairesquemoi.Jen’avaispasenviederépliquer,mais,commelesautresguettaientmaréaction,j’étaisobligéedemebattre.Jesavaisparfaitementque,sijenerelevaispasledéfi,jeperdraisaussitôtlerespectquej’avaisacquisetrisqueraisderedevenirleursouffre-douleur.Laplupartdutemps,jem’ensortaisavecdesimplesmenaces,etj’étaistoujourssoulagéequandmaréputationmepermettaitd’éviteruncombat.

Malgrélerespectquel’onmetémoignaitdésormais,jenemesentaistoujourspaspopulaire.Onm’avaitsisouventrépété,àlamaisoncommeàl’école,quejen’étaisqu’unehorriblebonneàrien,quej’enétaistotalementpersuadée.

Messeulesamiesétaientdesfillesquicomptaientsurmoipourlesdéfendrecontrelesautres,oucertaines,beaucoupplusrares,quiéprouvaientdelacompassionenversmoiàcausedemaviedefamille.Cetypedepopulariténerisquaitpasderenforcermonamour-propre.

Lesprofesseurs,eux,semontraientsouventgentilsavecmoi,commes’ilsavaientdéceléenmoiunpotentielàexploiter,maisjenemesuisjamaisautoriséeàmerapprocherd’aucund’entreeux.Monpèrem’avaitsuffisammentrépétéqu’ilnefallaitaccepterlacharitédepersonne,etjecroyaistoujoursvoirdelacondescendancedansleursmainstendues.J’étaissûrementloindefaciliterlatâchedesbonnesvolontésquicherchaientàm’aider.Jem’interrogeaistoujourssurlaréalitédeleursintentionsetj’étaisprêteàimaginerlepiresurtoutlemonde.

Lesannéespasséesavecnotrepèrenousontbeaucoupsoudés,Terryetmoi.Bienquemonfrèren’aitqu’unandeplusquemoi,jepensaisqu’ilétaitbeaucoupplusmûrquemoietqu’ilsavaittout.Jevoulaislesuivrepartout,sansluiaccorderunseulmomentderépit.J’étaiscertainequ’ilétaitcapabledefaireensortequetoutsepassebienpournous.

C’étaitungarçonetilétaitplusâgéquemoi;celasuffisaitpourquejeleconsidèrecommemonprotecteuretmonhéros,celuiquiavaittoujoursréponseàtout.Qu’aurait-ilpufaire?C’étaitunenfantcommemoi,toutaussidécontenancéetbouleverséparcequinousarrivait.Maisilmefascinait.Jenem’intéressaispasauxjeuxtraditionnelsdesfilles,jen’aimaispasjoueràlapoupée.Toutcequejevoulais,c’étaitresteravecluietsesamis.Jelessuppliaistoujoursdem’autoriseràlessuivre.

—Non!répondaientlesautresgarçons,horrifiésàl’idéededevoirsupporterlaprésenced’unegamine.

—Sivousnevoulezpasd’elle,répondaitTerry,jenevienspasnonplus.

Celamarchaittoujours,parcequetoutlemondeaimaitTerryetvoulaitl’avoirdanssongrouped’amis.

Àlamaison,j’arrivaisparfoisàleconvaincredejoueràlamarchande.Enéchange,nousjouionsensuiteavecsespersonnagesdecow-boysetd’Indiens.Nousorganisionsdesbataillesquiduraientdesheures,commelefonttouslesenfantsdumonde.

Nouspouvionsaborderpresquetouslessujetsensemble.Nouspartagionsnospeursetnosquestionnements.Mais,quandnotrepèreacommencéàabuserdemoi,jeneluienaipasparlé.Biendesannéesplustard,ilm’aconfiéqu’ils’étaitbiendoutédequelquechoseàl’époque,maisqu’iln’avaitpassucommentréagir.Qu’aurait-ilpufaire?C’étaitunenfant,etnotrepèreetmoiétionslesdeuxpersonneslesplusprochesdelui.S’ilavaitditoufaitquoiquecesoit,ilseseraitexposéàunesanctionterrible.

Quandlavéritéafinalementéclatéaugrandjour,ilapulibérertoutesacolère.Ilavaitdû,sansvraimentsavoirpourquoi,sesentirmisàl’écartdelarelationquemonpèreentretenaitavecmoi.Ilavaittoujoursentendudirequ’ilétaitlepréférédenotremère.S’ils’estrenducomptequemonpèreetmoiavionsdessecretsquenousnepartagionspasaveclui,celaadûrenforcersonsentimentd’isolement.

Riendecequej’auraispudireneluiauraitpermisdesesentirmieux.Quantàluirévélerlavérité,celanousauraitmistouslesdeuxdansunesituationaussiembarrassantequ’insupportable.

Maisjeremerciemabonneétoiled’avoirmisTerryàmescôtéspendantcettepériode.Jen’auraispaspusurmontertouteseulelesépreuvesquem’imposaitmonpère.Jenecroispasquej’auraissurvécu.

Ilétaitpresquetoujoursimpossiblededevineràquelmomentunescèneapparemmentbanaleallaitsetransformerencauchemar.Jemerappelleunsoiroùmonpèrem’avaitenvoyéechercherdubeurre.

J’avaisneufans.Lanuitcommençaitàtomber.

Unefoisàl’intérieurdumagasin,j’aiprisdanslerayonnotremarquehabituelledemargarine,sansréfléchir.Maisc’étaitdubeurrequ’ilm’avaitdemandé,etquandjesuisrentréeetqu’ilavucequejeluirapportais,ils’estmisdansunecolèrenoire.

—Putain,maist’esnulle!a-t-ilhurléencollantpresquesonvisagecontrelemien.Tufaisvraimentn’importequoi!

Ilm’aordonnéderetourneraumagasin,cequej’aifait.Jenedemandaisqu’àressortiravantquesaviolencenedeviennephysique.Lecœurbattant,j’aiachetécequejecroyaisbienetsuisviterentréeàlamaison,tremblantedepeurenmedemandantsij’avaispriscequ’ilfallait.Évidemment,cen’étaitpaslecas,mêmesijemedemandeencoreaujourd’huienquoijem’étaistrompée.Ils’estremisàcrieretm’ajetéedehorsàcoupsdepiedenmemenaçant.

—Nerevienspastantquetun’auraspascequ’ilfaut!

L’heureavaittournédepuismonpremiertrajet.Quandjesuisarrivéeaucentre-villepourlatroisièmefois,lemagasinétaitfermé.Seulement,j’étaisbientropterroriséepourrentrerlesmainsvides.J’aicommencéàprendrelentementlechemindelamaison,maisjenecessaisdepenseràlacorrectionquej’allaisrecevoirpouravoiroséluidésobéir.

Monexpériencem’avaitapprisque,lorsqu’ilexigeaitquelquechosedebienparticulier,riend’autrene

pouvaitlesatisfaire.C’étaitcommeaveclesmarquesdewhisky.Ilm’avaitinterditderevenirtantquejen’auraispaslebeurrequ’ilvoulait,maisjenesavaispasoùallerpoursatisfairesonattente.Laseulepersonneversquij’auraispumetournerétaitmagrand-mère,maisjesavaisquejenerecevraispasunbonaccueildesapart.

Jemesuisalorssouvenuedel’endroit,derrièrelemagasindefruitsetlégumessituéenbasdenotrerue,oùétaiententasséslescageotsetlescartonsquidevaientêtreramasséslelendemainmatin.J’aidécidédem’installerlàpourlanuitetd’attendrelaréouverturedesmagasinspourtenterdenouveaumachance.J’espéraisquemonpèreseraitdésenivréetcalméàl’heureoùjerentrerais,ouqu’ilseraitdéjàpartiaupub.

Laruellen’étaitpaséclairée,etj’aieul’impressiond’avoirencoreplusfroidenavançantdansl’obscurité.Aumomentdem’installeràtâtonsaumilieudescartons,jemesentaiscommeunesans-abriabandonnéedetous.J’aifinalementréussiàtrouverunepositionàpeuprèsconfortable,maisilm’aétéimpossibledem’endormir.

Aumomentdefermerlesyeux,jeneressentaisplusquelefroidetl’armaturedescageotsquimefaisaitmal.Lesbruitsdelaruemesemblaientterriblementmenaçantsàcetteheuredusoir.Pourlapremièrefoisdemavie,j’avaisréellementenviedemourir.J’auraisvoulum’endormiretdisparaîtredumondepourneplusjamaisavoiràmeréveiller.Jenemesentaispascapabled’affronterlavieunseuljourdeplus.Çaleurapprendra,medisais-je.Cettefois,ilspourronts’envouloir.

Mais,enmedemandantsimesparentssesentiraientcoupablesdemamort,unetristecertitudes’estimposéeàmoi:monpèreaccuseraitmamèredem’avoirabandonnée,etmamèreferaitportertoutelaresponsabilitéàmonpèreenl’accusantden’avoirpassus’occuperdemoi.Avaient-ilslamoindreidéedecequ’ilsfaisaientsubiràleursenfantsensecomportantdemanièreaussiégoïste?

Entoutcas,ilsnesemblaientabsolumentpass’ensoucier.Quantàmoi,j’avaisl’impressiond’êtrelapetitefillelaplusméprisabledelaplanète.Jemesentaisresponsabledelasituationabominabledanslaquellejemetrouvais,etcesentimentn’allaitplusmequitteraucoursdesannéessuivantes.Jen’aipaspleurétandisquej’étaiscouchéetouteseuleaumilieudescaissesdefruitsetdescartons;monpèrem’avaitapprisàcontrôlermeslarmes.Jemecontentaisdecontemplerlenoiropaquequim’entouraittoutensouhaitantdetoutesmesforcesquemoncœurcessedebattreetquemavies’arrêtelà.

Aprèsunlongmoment,lefroidm’estdevenuinsupportable.J’avaismalpartout,j’avaispeur,et,auboutducompte,ilm’estapparupréférablederentrerchezmoietdefairefaceàlacolèredemonpèreplutôtquederesterlàtouteseule.

Puisquejenepouvaispasmourir,ilnemerestaitplusqu’àaffronterlaréalité.J’aicourudanslanuit,sursautantàchaquebruit,jusqu’aumomentoùjesuisarrivéedansnotrerue.Horrifiée,jen’aipastardéàdistinguerunevoituredepolicegaréedevantcheznous.

Jenesaispasprécisémentcombiendetempsj’étaispartie,maiscelaavaitsuffipourquemonpèresignalemadisparition.Enentrant,j’aivuquedesagentsdesservicessociauxétaientlàaussi,etj’aientendumonpèreinterpréteràlaperfectionsonrôled’adulteresponsablequipeinaitàs’ensortiravecunefilledifficileabandonnéeparunemèreindigne.

Biensûr,ilavaitomisdementionnerquec’étaitluiquim’avaitenvoyéedanslarueenm’interdisantde

rentrertantquejen’auraispaslebeurrequ’ilvoulait.Jemesuisrenducomptequej’avaisprovoquéencoreplusdeproblèmesenrestantdehorsetquej’avaisdérangécesgensquiavaienttouteslesraisonsd’êtrefurieuxcontremoi.Renonçantàcontrediremonpèredepeurd’aggraverlasituation,jemesuiscontentéedebaisserlatêteetdegarderlesilence,cequiacertainementdonnéàtoutlemondel’impressionquejen’avaisquefairedecequisepassait.Sij’avaisrévélélavérité,monpèreauraitfaitpassersespropresparolespourunesimpleplaisanterieetj’auraiseul’aird’uneimbécileincapabledereconnaîtresonsensdel’humour.Mieuxvalaitdoncpourmoineriendireàpersonne.

Pourcommencerleursrecherches,lespoliciersavaientappelémesgrands-parentsetleuravaientdemandélenumérodetéléphonedemamère,pensantqu’ellepourraitpeut-êtreleurindiqueroùjemetrouvais.Sansdoutecroyaient-ilsquej’étaispartielaretrouver.Ilsavaientmêmeeuletempsd’envisagerladiffusiondanslesmédiaslocauxd’unbulletind’alertesignalantmadisparition.

Endécouvrantquejen’avaispasétéenlevée,maisquej’étaisrestéedehorsvolontairementetquejeleuravaisseulementfaitperdreleurtemps,touslesfonctionnairesprésentsétaienthorsd’eux.Maiscommentleleurreprocher?Ilsn’avaientpasidéedelaviequenousmenionsavecnotrepère.

—Tonpauvrepère,m’aditl’und’eux.Ils’efforcedet’élevertoutseul,etvoilàcommenttuleremercies:enluicausanttouscessoucis.

Ilsleplaignaienttous,commelesvieillesdamesquiselaissaientabuserparsesdiscoursaupub,et,plusilenrajoutait,pluslesgenslecroyaient.Diretoutelavéritéauraitétélaseulefaçonpourmoidemedéfendre,maisiln’étaitpasquestionquejeletrahissedecettefaçon.

Aprèsledépartdelapolice,j’aicruquej’allaisrecevoiruneviolentecorrectionàcausedesennuisquejeluiavaisattirésunefoisdeplus,maisiln’apasajoutéunseulmot.Lasoirées’estpoursuiviecommesiriennes’étaitpassé.Peut-êtres’était-ilsincèrementfaitdusoucipourmoi,maisjecroissurtoutqu’ils’étaitinquiétédesconséquencesquecelaauraiteuespourluis’ilm’étaitarrivéquelquechose.Ilpouvaitaussim’êtrereconnaissantdenepasavoirditàlapolicelaraisonpourlaquellej’étaissortieseulelesoirdanslarue;maisilm’avaitsouventrépétéqu’ilrisquaitd’allerenprisonsijeledénonçais,etcetteperspectivemeparaissaitbienplusterrifiantequed’obéiràsesordresetdefairefaceàdespoliciersencolère.

Noussavionsdéjàque,lorsqu’ilétaitenvoyéenprison,nousn’avionsplusquelesservicessociauxversquinoustourner.Notrepèreétaitnotreseulefamille,sibienque,quandiln’étaitpaslà,nousétionsforcémentplacésdansunendroitouunautre.Etemménagerdanscesfoyerstoujoursnouveauxnousfaisaitl’effetd’ungrandsautdanslevide.

Notrepèreneselassaitpasdenousraconterleshistoireslesplusterriblessurlesfamillesd’accueiletlesfoyerspourenfants.Selonlui,ilsétaientpeuplésd’adultestortionnairesquiallaientnousbattreetnousvioler.Mais,mêmesanslestableauxeffrayantsqu’ilnousdressait,pourrienaumondejenel’auraistrahi.Toutsimplementparcequ’ilétaitmonpèreetquejel’aimais.Simavieétaitunjeu,c’étaitluiquiavaittouteslescartesenmain.

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Lesfoyersd’accueil

Monpèreavaittoujoursl’airdeluttercontreladépression.Ilaffirmaitquesonmal-êtreétaitdûaudépartdemamèrequiluiavaitbrisélecœur,maisilavaitdéjàessayédesesuicideravantqu’ellenelequittedéfinitivement.Quandilétaitivre,ildisaitsouventqu’ilallaitsetuer,cequiavaitledondenouseffrayer,Terryetmoi.Nousavionstoujourspeurqu’ilmettesesmenacesàexécutionetqu’unjour,enrentrantdel’école,nousletrouvionsmort.

Néanmoins,àforcedel’entendrerépéterlesmêmeschosesaufildesannées,nousavonsprêtédemoinsenmoinsd’attentionàsesparoles.Jusqu’àcejouroù,àl’âgedeneufans,jel’aivurentreràlamaisonavecunebouteilled’herbicideàlamain.

Ilaannoncéqu’ilavaitl’intentiondes’enservirpoursesuiciderlejourmême.Manifestement,ilavaittrouvécetteidéedanslejournalNewsoftheWorld,danslarubrique«faitsdivers».Unhommes’étaittuédecettefaçon,etnotrepèresemblaitdécidéàl’imiter.Devantnous,ilaouvertlabouteilled’ungestegrandiloquentetl’abueenentier.NiTerrynimoin’osionsl’interrompre.Finalement,ilnousaditaurevoiretestmontésecoucherpourmourir.

—Netéléphonezàpersonne,furentsesderniersmotsavantqu’ilnequittelapièce.

Terryetmoisommesrestésimmobiles,nousregardantmutuellementavecstupeur.Unepartiedemoimedisaitdenepasréagiretdelelaisserpartir.J’avaislesentimentquemavieseraittellementplussimplesanslui…Mais,aufonddemoi,jesavaisquejenepouvaispasfaireça.Malgrétoussesdéfauts,ilrestaitnotrepèreetleseulmembredenotrefamillerestéauprèsdenous.Devions-nousluidésobéiretappelerausecours?Ilnousavaitdonnéunordre;enoutre,ilnousavaittoujoursapprisànerépéteràpersonnecequisepassaitauseindenotrefamille.

D’aprèslui,lesgensrisquaientdecroirequ’iln’étaitpascapabledes’occuperseuldenous,etnousserionsenvoyésenfoyer.Sicelaarrivait,disait-il,nousavionsdeschancesdeneplusjamaislerevoir.

Quandilsefaisaitarrêteretquenousétionsplacés,jecraignaistoujoursd’êtreséparéedeluipourtoujours.S’ilsesuicidait,lesautoritésn’auraientd’autrechoixquedenousconfieràquibonleursemblerait,etnousserionslivrésànous-mêmesjusqu’àlafindenosjours.Pluspersonnenesesoucieraitdenotresort.Nousdeviendrionsdesorphelins.

Aprèsunmomentdesuspens,n’ayantpaslaforcederestersansrienfaire,nousavonsdécidédeprendrelerisquedeluidésobéiretnousavonsappelélemédecin.D’unevoixhaletante,nousluiavonsexpliquécequis’étaitpasséet,quelquesminutesplustard,ilfrappaitànotreporte.Dèsquenousluiavonsouvert,ilestmontédirectementàl’étage,oùilafaituneinjectionànotrepèrequis’estprécipitéàsafenêtrepourvomirtoutcequecontenaitsonestomac.C’estparlavitredelaported’entréequenousavonsvucequicascadaitdepuislehaut.Quelquesinstantsplustard,lemédecinredescendait.

—C’estbon,ilnecraintplusrienmaintenant,nousa-t-ilditavantderepartir.

Restésseuls,nousn’entendionsplusquelesbruitsetlesgémissementsvenantdelachambredenotrepère.Aveclerecul,jemedemandecequ’ilavaitbu.S’ilavaitvraimentavaléunebouteilleentièred’herbicide,n’aurait-ilpaseulagorgebrûlée?Neseserait-ilpasévanouienuninstantsousl’effetdeladouleur?J’enarriveàpenserqu’ilavaitremplicettebouteilled’unautreliquide.Sinon,lemédecinnel’aurait-ilpasemmenéenurgenceàl’hôpital?Jeneconnaîtraijamaislavéritésurcequis’estréellementpassé.

Cetincidentestrestésansconséquence.Lesservicessociauxnesontpasvenusprendredenosnouvellesninousproposerd’enparler.Parchance,notrepèrenenousenapasvouludeluiavoirdésobéi;j’enconclusque,finalement,nousavonsfaitcequ’ilattendaitdenousenprévenantlemédecin.

Aprèscetévénement,j’aicommencéàmesentirencoreplusinquièteetdéboussolée.J’aicomprisquej’allaisdevoirfaireplusd’effortspourrendremonpèreheureuxafinqu’iln’essayepasunenouvellefoisdesesuicider.Jedevaisfairetoutmonpossiblepourluifaireoubliersonchagrin,mais,enmêmetemps,jedétestaislafaçondontilnoustraitait.Jen’enpouvaisplusd’avoirpeuretdemesentircoupablesansarrêt.

Lesagentsdesservicessociauxquipassaientcheznousdetempsàautreontcontinuéànousposerlesmêmesquestionsderoutine.Sansdouteétaient-ilsconscientsquejenedisaispastoutsurlaviequejemenaisavecmonpère.Toujoursest-ilquej’aiattendud’avoirdixanspourtrouverenfinlecouragederévélerquenotrepèrenousenvoyaitrégulièrementvolerduwhiskyetquejenevoulaispluslefaire.

Jenemesouviensplusprécisémentdecequiasuivicetteannonce,maiselleaeud’importantesconséquencespuisquenousavonsétééloignésdeluietplacésdansunfoyerpourenfantsappelé«LesDurdan».

Commed’habitude,riennes’ypassaitainsiquedanslesdescriptionscauchemardesquesdenotrepère.Aucontraire,pourdenombreusesraisons,nousyétionstrèsbien.Lepersonnelfaisaitsonpossiblepourêtreagréableavecnous,etj’adoraisl’établissementvoisindanslequelonnousavaitscolarisés.

Nousavonsreçudesvêtementsneufs,etnouspouvionschangerdechaussettesetdesous-vêtementstouslesjours.Quantàlanourriture,elleétaitinfinimentmeilleurequecheznous.Pourtant,jenepensaisqu’àunechose:retournermangerdesœufsfritesavecmonpère,quejeconsidéraistoujourscommelaseulepersonneaumondecapabledem’aimer.

Unjour,ilestvenunousrendrevisiteauxDurdanavecKathy,sanouvellepetiteamie.Jenem’inquiétaispasdelevoirselieràdesfemmes,carjesavaisquenotrerelationétaituniqueetquecequ’ilressentaitpourmoinechangeraitjamais.Jesavaisqu’ilm’aimaitetqu’ilnem’abandonneraitpasàmoinsd’yêtreforcé,carilmel’avaitditsouvent.Jecomprenaisqu’ilaitbesoind’avoirunefemmedanssavieafinqu’elleremplisselerôlequejenepouvaisetnevoulaispasremplir.Etpuisj’avaisenvied’avoirunenouvellemamanetjesavaisqueTerryenavaitbesoinluiaussi.

Kathyétaitadorable.C’étaitunefemmebrune,ravissante,auregardàlafoislumineuxetbon.Elleavaitlecœursurlamain.Sesdeuxenfantsétaientlégèrementplusâgésquenous,etellevoulaitquenousvivionstouslessixensemblecommeunegrandefamilleheureuse.Notrepèreavaitdûexercersurellesespouvoirsmagiques,carelleétaittoutaussiamoureusedeluiquetousceuxquil’entouraientsemblaientl’être.

Ilpromettaitque,dèsquenousserionstousrassemblés,ilferaitrevenirChrisetGlenàlamaison.Jelevoyaistoujourscommeunhéros.Jeneconsidéraispasquec’étaitsafautes’ilbuvaittrop.C’étaitàcausedemamère,etjenepouvaisqu’aimerlafemmequiluipermettraitdel’oublier.

Dèsl’instantoùj’airencontréKathy,j’aieuenviedefairepartiedesafamille.J’aiprislarésolutiondedevenirunepetitefilleirréprochableafinqu’ellen’aitjamaisenviedenousquitter.Jenevoulaispaslafairefuircommej’avaisfaitfuirmamère.

D’autantquejesavaisque,siKathys’installaitcheznous,monpèremelaisseraitenpaix.Ilnechercheraitplusàvenirsurmoienpermanenceetjepourraisredevenirsafille,rienquesafille.Celamefaisaitrêver.

Jem’étaisfaitcouperlescheveuxquelquesjoursavantcettevisite.EnarrivantauxDurdan,monpèreestpasséàcôtédemoisansmereconnaître,cequim’aprofondémentblessée.Quandilm’aregardéeetafinalementcompriscequej’avaisfait,ils’estmisencolèreenmerappelantcombienilavaitaimémeslongscheveuxblonds.C’étaitcommesij’avaisvolontairementcasséunobjetauqueliltenaitenacceptantquequelqu’unlescoupe.Unefoisremisdesonchoc,ilafinalementpus’installeretdiscutertranquillementavecnous.Toutefois,ilsemblaittoujourssursesgardesquandilyavaitdumondeavecnous.

—Tuasenviederentreràlamaison?m’a-t-ildemandéaumomentoùlasurveillanteétaitsortiedelapiècepourpréparerduthé.

J’aiacquiescéavecenthousiasme.

—Alors,dis-leurquetuasmentiquandtuasditquejevousavaisenvoyésvolerduwhisky.

Jedétestaismentir.Celamerendaitmaladeetmedonnaitunimmensesentimentdeculpabilité.

Pourtant,commed’habitude,j’aifaitcequ’ilmedemandait.J’aiditaupersonnelquej’avaistoutinventé.

Terryetmoiétionsdanscefoyerdepuisdesmois,maiscettesimpledéclarationasuffiàfairechangerd’avisl’équiped’encadrement.NousavonspurepartiravecKathyetnotrepèrelejourmême.Jemesentaisplusheureusequejamaisaumomentdefranchirlagrilleavecmesaffairesentasséesdansunsac.

Kathyetmonpèreavaientenviequejeviveaveceux,etj’allaisenfinfairepartied’unvéritablefoyer.

J’aimaismonpèreplusquejamais.Nousallionsformerunevraiefamille.

LaprésencedeKathycheznousavaitaumoinsunavantagemajeur:monpèrenepouvaitplusm’emmenerdanssachambre.Néanmoins,ladouceuretl’harmonieétaientencoreloinderégnerdansnotremaison.Parfois,Kathyparvenaitàrésisteràsatyrannie,cequiaboutissaitsouventàuneséparation,mêmeprovisoire.ChaquefoisqueKathys’enallait,monpèrerecommençaitàabuserdemoimentalement,physiquementetsexuellement.Ilavaittoujoursbesoind’exercersonpouvoirsurunepersonneplusfaiblequeluiafind’évacuersacolèreetdesatisfairesespulsionssexuelles.JeconsidéraisKathycommemasauveuse,et,chaquefoisqu’ilsseséparaient,j’étaisfollederage.J’avaispeurqu’ellefinisseparlequitterdéfinitivement,melaissantàsamercienpermanence.

Mêmesinousvivionsplusoumoinscommeunefamille,Kathyavaiteulasagessedenepasabandonnersamaison,mêmedanslesmomentsoùleurrelationétaitaubeaufixe.Commeellen’habitaitpasloindecheznous,nousallionssouventd’unlogementàl’autre.Grâceàcela,monpèrenepouvaitpasprendrecomplètementlecontrôledesavie.

Elleavaittoujoursunendroitoùseréfugierquandildépassaitleslimites,cequemamèren’avaitjamaiseuaprèsleurmariage.Kathyadoraitmonpèreaupointdevouloirl’épouser,mais,curieusement,c’étaitluiquimontraitdesréticencesàs’engageraussifranchementavecelle.Peut-êtrecroyait-ilquecette

situationluipermettaitdegarderuncertainpouvoirsurelle.

Àmoinsqu’ilaitvraimentconsidéréqu’iln’auraitjamaisd’autreépousequemamère.Quoiqu’ilensoit,celaasansdoutesauvéKathy.

Monpèrecontinuaitàvoleretàsebattre,sibienqu’iln’apastardéàêtrerenvoyéenprison.Kathy,quidevaitdéjàs’occuperdesespropresenfants,nepouvaitpasnousaccueillirchezelle.NousavonsdoncétéplacéschezlesLeggett.Commeilshébergeaientdéjàsixgarçons,ilsnem’ontpascachéleurenthousiasmeàl’idéed’avoirenfinunefillechezeux.Enarrivantdanslamaisondecettenouvellefamilled’accueil,j’étaisfolledejoielorsquej’aidécouvertqu’ilsm’avaientpréparéunechambrerose.

Maisjen’aipastardéàapprendreàmesdépensqu’êtrelaseulefilleaumilieud’ungroupedegarçonsavaitbiendesinconvénients.Manifestement,ilsconsidéraienttousquejedevaisêtreàleurservice,etjesuisbientôtdevenuelesouffre-douleurdelamaison,commeàl’époqueoùl’onm’avaitsurnommée«lamuette».

Jesentais,peut-être,àtortdureste,quelesgarçonssemoquaientdemoidèsquej’avaisledostourné,etj’ensouffraisterriblement.Unjour,alorsquejedébarrassaislatableaprèsunrepas,j’aividéuneassiettedanslapoubelleenutilisantmamainaulieud’uncouvert.

Aussitôt,lesautresenfantssesontmoquésdemoieninventanttoutessortesdesobriquetspourmedécrire.Iln’yavaitpeut-êtreaucuneméchancetédansleursplaisanteries,maiscelan’afaitquerenforcermonsentimentd’infériorité.

Quandnousétionsplacés,nousrecevionschaquesemaineunpeud’argentdepoche.Orj’aidécouvertquel’undesgarçonsquivivaientavecnouspercevaitunesommeplusimportantequemoialorsqu’ilétaitplusjeune.

—Commentçasefait?luiai-jedemandéavecétonnement.

—C’estparcequejesuismeilleurquetoi,a-t-ilréponduavecleplusgrandnaturel.

Biensûr,jel’aicru,puisquej’étaisdéjàconvaincuequelemondeentierétaitmeilleurquemoi.Jemerappelleavoirétédévastéeparcettesimpleremarqueet,aprèscela,j’aipriéDieudetoutesmesforcesdemelaisserretournerauprèsdemonpapa.

Dèsquemonpèresortaitdeprison,ilmetéléphonaitetmedisaitdemesauverdufoyerdanslequeljemetrouvaispourcourirlerejoindre,cequejenemanquaisjamaisdefaireàlapremièreoccasion.

Commejenemesuisjamaissentiechezmoidansaucunefamilled’accueil,celam’apparaissaittoujourscommelameilleuresolution.J’avaisbeauavoirpeurdemonpèreetdétestercequ’ilmefaisaitsubir,jevoulaistoujoursvivreaveclui.Chaquefoisquejeleretrouvais,j’espéraisquetoutallaitchanger,qu’ilseraitgentilavecmoietcesseraitdemefaireceschosesquimedégoûtaient.Maisilnepouvaitpastransformersanatureprofonde.

Ilvivaittoutcelacommeunjeu.Cequ’ilvoulait,c’étaitmontrerauxservicessociauxquiessayaientd’agiraumieuxpourmoiqueleurseffortsétaientvainsfaceaupouvoirqu’ilexerçaitlui-mêmesurmoi.

Quoiqu’ilsfassentpourassurermasécurité,illuisuffisaitdeclaquerdesdoigtspourquejecourele

retrouver.

Quelquetempsaprèsnotreretouràlamaison,notrepèreadenouveauétéarrêté,sansdoutepourvolàl’étalage.Sansqu’ondaignenousdonnerlamoindreexplication,nousavonsétéreconduitsauxDurdanpourunlongséjour.Jenesauraisdirecombiendetempsnoussommesrestésexactement,carjemerendscomptequecertainespériodespeuventparaîtreexagérémentlonguesauxyeuxd’unenfant.Maiscelaadûdurerprèsd’unan,carjemesouvienstrèsbiendel’écolequenousfréquentions.

Jerestaispersuadéeden’êtrebonneàrien,ainsiquemel’avaitapprismonpère.Nousavionschaquesemaineuncontrôledemathématiques,et,sij’obtenaisunenotedeneufsurdix,jem’envoulaisterriblementd’avoirperduunpoint.Denepasavoirparfaitementréussi.Sienrevanchejenefaisaisaucunefaute,jepensaisquec’étaitseulementparcequelesexercicesavaientétéparticulièrementfacilescejour-là.Jemecroyaisincapabled’êtreperformantedansunquelconquedomaine.Jenevalaisrien,c’étaitunfaitétabli,selonmoi.

AuxDurdan,ilm’arrivaitdemedéguiseravecd’autresfillesetdeparticiperàdesconcoursdebeauté.Sijegagnais,j’étaissûrequel’onm’avaitlaissélapremièreplaceparpitiéetparcraintequejenesoisdésespéréesijeperdais.

Quoiquel’onmedise,jemevoyaistoujourscommeunepersonnegrosse,laideetinutile,puisquejen’entendaisqueceladepuisdesannées.Ilm’arrivaitsouventdemejetersurmonlitentapantdespoingsavecragesurlematelas.Jenepleuraispas,maisjecriaisquejemehaïssaisetquejevoulaisquetoutcelas’arrête.

Silepersonnelm’entendaitetvenaitmedemandercequin’allaitpas,jereprenaisaussitôtmoncalmeetnedisaisplusrien.

Tantdechosesmepassaientparlatêteàcetteépoque…J’étaistoutsimplementincapablededéfinircequejeressentais.Detoutefaçon,jen’auraispassumeconfier;jen’avaispasapprisàcommuniquerauseindemafamille.Notrepèrenenousavaitjamaisencouragésàparlerdenous-mêmesouàexprimernossentiments.Celanesemblaitpasl’intéresserlemoinsdumonde.J’avaisunbesoindésespéréd’attention,maisj’étaisincapabledel’exprimer.

J’avaislasensationqu’unmurdeverresedressaitentremoietlerestedumonde.Personnenepouvaitm’entendre,etceuxquiessayaientdem’aidernepouvaientpasm’atteindreàtraverscettebarrièreinfranchissable.

Unjour,l’undespensionnairesdesDurdan,ungarçonnomméHarryquiavaitdeuxansdemoinsquemoi,aeuunaccèsdecolèreets’estmisàtoutcasserdanssachambre.Nonsansintérêt,j’aiobservélepersonnelquis’empressaitautourdeluipouressayerdecomprendresongesteetdeleconsoler.Jemedisaisqu’Harryavaitdûsesentirtrèsmalpourenarriverlà.Et,justement,jemesentaistrèsmal,moiaussi.N’avait-ilpaseuuneexcellenteidée?Sijefaisaisunecriseàmontour,quelqu’uns’intéresseraitpeut-êtreenfinàmoi.

J’aiattenduquelquesjoursquelavieaitreprissoncoursdanslefoyer,puisj’aifaitexactementlamêmechosequ’Harry.J’aimismachambreàsac.Curieusement,lesréactionsenversmoin’ontpasétéaussicompréhensivesquecellesqu’avaitreçuesHarry.Toutlemondeavaitsansdoutetrèsbiencomprisquej’avaisfaitcelauniquementpourattirerl’attention,etjen’aieuquedesremontrances.Aumoins,jem’étaisfaitentendre,et,grâceàcetévénement,j’aigagnéuneréputationd’enfant«difficile».

Quandj’avaisunpeuplusdedixans,lesautoritésm’ontfaitparticiperàdeuxséjourséquestrespendantlesvacances.Jedormaisdansundortoirsituédanslesécuries,avecdesfillesquejen’avaisjamaisrencontréesauparavantetquinesavaientriendemoi.Onnousattribuaitàchacuneunchevaldontnousdevionsnousoccuperpendanttoutelasemaine.

Cesmomentsontétélesplusheureuxdetoutemonenfance.Jen’avaisjamaismontéàcheval,maisj’aitoutdesuiteaiméça.J’adoraislesrandonnéeséquestres,lespique-niquesenpleinenature,leschevauchéessurlaplage…Leplusmerveilleuxétaitd’êtresurledosdemonchevalpendantqu’ilnageaitdanslamer.J’aimêmeétédécoréed’unflotàlafindecesdeuxstages.Pourmoiquin’avaisjamaisrienremportédemavie,c’étaitunévénement!Jemesentaissifière,siexcitée.Lesgensquej’aifréquentésdanscetteécuriemetraitaientcommen’importequi,medonnantl’impressionquejen’étaispasindignedemetrouveraumilieud’eux.

J’étaisfolleduchevalqu’onm’avaitconfiélorsdupremierstage.C’étaitunadorablegrisnomméShandy,etjepouvaispasserdesheuresassiseàcôtédesonboxàluidirecombienilétaitformidableetcombienjel’aimais.Lasecondefois,j’aidûm’occuperd’unpetitponeybaitêtuquis’appelaitNeroetquejen’aipastardéàaimertoutautant.Cesséjoursm’ontappristellementdechoses.

Lesoir,assisdehorsautourd’unfeu,nousmangionsdespommesdeterrerôtiesendiscutantetenrianttousensemble.Jen’avaisjamaisconnuuneatmosphèrecommecelle-ci.

Mais,endépitdubonheurquej’éprouvais,jesavaisquecesvacancesn’étaientqu’unrêveetqu’àlafindelasemaine,jedevraisretourneràlaréalité.Jamaisjen’aiimaginépouvoirunjourmenerlamêmeexistencequelesgensquitravaillaientdanscetteécurie.Jeneméritaispascettevie.J’avaisdéjàdumalàcomprendrecommentonavaitpum’autoriseràmettrelepieddansunmondeaussimerveilleux.

J’aiparticipéàd’autresséjoursengroupe,aucoursdesquelsétaientorganiséesdesactivitésartistiquesetmanuelles.Celasepassaitdansunegrandemaison.Nousfaisionsaussidessortiesencanoëetpratiquionstoutessortesdesports.Lorsd’undecesséjours,jemesuisprisedepassionpourletennis;jejouaisdèsqu’uncourtétaitdisponible.J’étaisaussiunebonnenageuse.Notremonitrice,unefemmetrèsgentille,voulaitmefaireintégrerleniveausupérieur,maisj’airefusé.Jevoulaisresterlameilleurenageusedemongroupeetredoutaisdedevenirl’unedesmoinsbonnesduniveausupérieur.Celamefaisaittellementdebiend’êtreenfinlameilleure!

Monpèrenem’ajamaisencouragéeàpersévérerdanslesdisciplinesquimeréussissaient,quecesoitletennis,lanatationoul’équitation.Unefoisderetouràlamaison,jen’aipaseuledroitdeparticiperauxactivitésextrascolaires.Jemesouviensquej’aieuunvélopendantunecertainepériodeetquej’étaistrèsfièrequandj’airéussiàenfaire,d’autantplusquej’avaisappristouteseule.Mais,unjour,enrentrantdel’école,j’aidécouvertquemonpèrel’avaitvendu.

Peut-êtreque,sij’avaiseul’occasiondedéveloppermaconfianceenmoi,j’auraiseudavantagederespectenversmoi-même.J’auraismieuxsumedéfendre,j’auraiseulesarmesnécessairespourrésisteràmonpèreetrefuserdemevendrepourlui.Maisjecroyaisvraimentquejenevalaispasmieuxquelaviequ’ilm’imposait.Àforcedemerépéterquejen’étaisbonneàrien,ilm’enavaitpersuadée.

11

Lepensionnat

NesachantplusquefairedeTerryetmoi,lesservicessociauxontfinalementrésoludenousscolariseraupensionnatdeWymondhamCollege.J’avaisonzeans,jequittaistoutjustel’écoleprimaire.

Toutenotrevie,nousnousétionssentisdifférentspartoutoùnousétionsallés:danslesécolescommedanslesfoyerssociaux,maisaussiauseindenotreproprefamille.Danscepensionnat,lesélèvesétaientissusdelaclassemoyenne,etleursparentsétaientsouventenserviceàl’étrangerpourlecomptedel’arméebritannique.

Jamaisnousn’avionseuautantl’impressiondenepasfairepartiedelanorme.Lesautoritésnousavaientplacésicipournouséloignerdel’influencedenotrepère,cequiétaitpourlemoinscompréhensible.Mais,commenouspassionstouslesweek-endsettouteslesvacancesaveclui,riennechangeaitvraimentpournous.NousdemeurionshostilesàtoutcequelepersonneldeWymondhamessayaitdefairepour

nous,etnousnenousprivionspasd’imiterlecynismedenotrepère.

Lejourdelarentrée,unprofesseurademandéauxnouveauxélèvess’ilsvoulaientêtreappelésd’unecertainemanière.Parexemple,siunefilleétaitprénomméeKatherine,souhaitait-elleêtreappelée

«Kate»,«Katy»ou«Kathy»?J’ignorepourquoi,mais,enentendantcettequestion,j’ailevélamainpoursignalerquejepréféraisqu’onm’appelle«Diane».Jenesauraisdired’oùvenaitlechoixdeceprénom;seulement,jenevoulaisplusêtreMariaetjecroisavoirditlepremiernomquimevenaitàl’esprit.

Àpartirdecemoment,jesuisdevenue«Di»,commepoursignifierunchangementradicald’identité.

Maisj’étaistoujourslamêmepersonne,évidemment.Cellequiessayaitdesefaireuneplacedansunmilieudontellesesentaitcomplètementétrangère.

Pourplusieursraisons,jedoisreconnaîtrequenousplacerdanscepensionnatétaitunebonneidée.

Jamaisnousn’avionsévoluédansunenvironnementaussistrict.Notreemploidutempsétaitrégléàlaminuteprès,cequimelaissaitassezpeudetempspourbroyerdunoir,réfléchiràl’injusticedelavieoumerappeleràquelpointmonpèrememanquait.

Letempsquenousnepassionspasenclasseétaitconsacréausport,etj’aieul’occasioninespéréed’apprendrelehockeysurgazonetlenetball.Lesservicessociauxm’avaientmêmefournimaproprecrossedehockey.J’avaissipeul’habitudedeposséderdeschoses,contrairementauxenfantsquim’entouraient!

Certainesplageshorairesétaientconsacréesàlalectureetàl’étudedelalittérature,d’autres,àlaprière,etilnousarrivaitmêmedepratiquerdesactivitésleweek-end.Avectoutcela,nousn’avionsletempsnidenousennuyernidefairedesbêtises.Unefoishabituéeàcerythme,j’aicommencéàappréciercestyledeviesidifférentdecequej’avaisconnujusque-là.Maisjamaisjemesuissentieintégrée.Lesautresfillesétaienttrèsgentillesetpoliesavecmoi,maisleurfaçondeparleretleursmanièresétaientinfinimentloindemoi.Ellesavaientbeaucoupvoyagéetconnaissaientdeschosesdontjen’avaispasmêmeentenduparler.Nousn’avionspourainsidirerienencommun.

Douzejeunesfillesinstalléesdanslemêmedortoirfinissentforcémentparparlerdelaviequ’ellesmènentendehorsdel’école.Jenecherchaispasàmentirniàcacherd’oùjevenais,mêmesijemegardaisbiendetoutrévélersurmonpère,maisj’arrivaistoujoursàtrouverdeshistoiresquilesfascinaientàproposduvolàl’étalage,desprostituéesetdesalcooliques.Jen’aijamaisétéunebonnementeuse.

Siquelqu’unmeposeunequestiondirecte,jemesenstoujoursobligéededirelavérité.C’estd’ailleurspourcetteraisonquejedétestaisêtreimpliquéedanslesescroqueriesdemonpère.

Toutefois,jenecroispasquemescamaradesm’aienttoujourscrue.Ellesdevaientpenserquej’inventaiscesanecdotespourattirerl’attention,ouquej’enrajoutaispourdonnerplusd’intérêtàcequejeracontais.

Sij’avaisdumalàcomprendreleurvie,lamiennedevaitleurparaîtreencoreplusétrange.J’avaiseu

descontactsavecleurmilieudanscertainesfamillesd’accueiloulorsdemesstagesd’équitation,maisjamaisellesn’avaientpasséunenuitentièreàboireetàjouerauxcartesavecdeshommescommemonpère,nivudesprostituéesalleretvenirdansleurmaisonavecdesclients.Lanotionmêmedelogementsocialleurétaitétrangère.Laprostitutionétaitunsujettaboudansleurmilieu,et,àcetteépoque,lessériestéléviséesn’étaientpaslàpourparlerdelaviedanslarue.

Àl’école,jerêvaisd’avoirunpetitami.Évidemment,cen’étaitpasl’aspectsexuelducouplequim’intéressait,carlavisionquej’enavaisétaiteffroyable.

Maisjevoulaisquequelqu’unm’aimeets’occupedemoi.Jemouraisd’enviedeprouveràmonpèrequ’ilavaittortetqu’iln’étaitpasleseulcapabledem’aimer,aupointquejepassaismontempsàcouriraprèsdepauvresgarçonsenessayantdeleurfaireavouerleuramourpourmoi.Biensûr,ceuxavecquijesortaiss’empressaientdeglisserleursmainsdansmonsoutien-gorgeoumaculotte.Dèsquecelaseproduisait,jenecachaispasmonindignation.

—Alors,c’esttoutcequetuattendsdemoi?disais-jetristement.

J’enarrivaisàpenserquelesgarçonsn’étaientvraimentintéressésqueparlesexe.Néanmoins,jegardaisespoiretpoursuivaismaquête,cherchantsansrelâchel’amourplatonique,quitteàallerdedéceptionendéception.Chaquefoisquejeparvenaisàarracherunedéclarationd’amouràungarçon,j’étaiscertained’avoirtrouvélapreuvequejen’étaispasl’horriblecréaturequemonpèredécrivaitsanscesse.

Etquandcegarçonmetournaitledosparcequejenel’avaispaslaissémetoucher,denouveaupersuadéequemonpèreavaitraisonetquepersonned’autrequeluinem’aimeraitjamais,jeversaistoutesleslarmesdemoncorpsetm’effondraissurmonlit.

C’estaucoursdecettepremièreannéeàWymondhamquej’aicommencéàavoirmesrègles.J’étaisfolledejoiequandc’estarrivé,carjepensaisquemonpèrecesseraitd’avoirdesrapportssexuelsavecmoidepeurdememettreenceinte.Aprèstout,iln’avaitenvoyémamèreseprostituerquelorsqu’elleavaitprislapilule;celavoulaitbiendirequ’ilpensaitàceschoses-là.Jemesuisempresséedeluitéléphonerdel’écolepourluiannoncerlanouvelle.

Ilétaitenchantéd’apprendrequej’étaisdevenueunefemme,mêmesijen’avaisqueonzeans,mais,hélas,jen’aipastardéàdécouvrirquecelan’avaitaucuneinfluencesursafaçondemetraiter.Dèsmonretouràlamaison,ilarecommencéàabuserdemoi.

J’avaisbeauaimerKathyetavoirenviequ’ellesoittoutletempsavecnous,jemesentaistoujourscommeuneétrangèredanslafamillequandsesenfantsétaientprésents.Etmonpèrenefaisaitrienpourarrangerleschoses.Uneannée,nousavonspasséNoëltousensemble.

Monpèren’étantpasenprisonetTerryetmoiayantdescongésscolaires,nousavionsl’occasiondecélébrerlesfêtescommen’importequellefamillenormale.J’avaishâtequelesvacancesarrivent,carjemesouvenaisdesNoëlsquenotrepèreavaitpréparéspournousdesannéesplustôt,desdindesqu’ilavaitpluméespournousoffrirunebellefête,etj’étaissûrequ’ilseraitdenouveaudebonnehumeurcettefois-ci.

Lejourvenu,lamaisonavaitétédécoréeparKathy,etilrégnaitunevéritableatmosphèredefêteà

l’intérieur.Tousréunisdanslesalon,nousregardionslescadeauxplacéssouslesapin.J’aiobservéKathyetmonpèreoffrirunpaquetàlafilledeKathy.Enl’ouvrant,elleadévoiléuneboîteempliedepetitsflaconsdeparfumjolimentemballés.

Puisilssesontéchangédescadeaux,jusqu’aumomentoùj’aicomprisquetoutlemondeavaitreçuquelquechose,saufmoi.Lecœurserré,jemesuisforcéeàsourireetàretenirmeslarmestoutenespérantquejem’étaistrompéeetquej’allaisfinirparavoirquelquechose.Maisnon,rienn’étaitprévupourmoi.Monpèreadûremarquermonexpressionfigée,carils’estmisàrireetm’alancéunpaquetdeMaltesers.

—Tiens,çasuffirapourtoi,a-t-ilditsuruntonmoqueur.

C’étaitleplaisirqu’ilprenaitàm’humilierdevanttoutlemondequimefaisaitleplusdemal.Ilaimaitrappeleraussisouventquepossiblequejenevalaisrien,quejeneméritaisaucuneattentionniaucuneconsidération,mêmepaslejourdeNoël.

Jecomprenaisqu’ilaitbesoind’argentpourboire;c’estpourquoijeneréclamaisjamaisrien.Maiscelanevoulaitpasdirequejenerêvaispasd’avoirquelquechosedeneufdetempsentemps,surtoutquandtoutelafamillerecevaituncadeau.Jenem’étaisattendueàriendecher,maisunseulpetitcadeaubienprésentém’auraitmontréquequelqu’unavaitpenséàmoiets’étaitdonnédumalpourmefaireplaisir.

J’ignorepourquoiKathyn’avaitrienprévupourmoi.Peut-êtreavait-ellecruquejeneseraispaslà,àmoinsquemonpèreluieûtassuréqu’ilavaitdéjàuncadeau.Jenemesouvienspas.Maiselleétaittoujoursgentilleavecmoi,etjesaisqu’ellenem’auraitpasdélaisséevolontairement.

QuandlesenfantsdeKathyétaientlà,j’essayaisdemelieraveceux,maisilsétaienttropgrandspours’intéresserànosjeux.Nousnenousdisputionspas,maisj’avaislesentimentqu’ilsétaientmeilleursquemoietquejen’étaisqu’uneintrusedansleurfamille,exactementcommedanslesfamillesd’accueilquim’avaienthébergéeouaumilieudemescousinsquandnouslesvoyionscheznotregrand-mère.Jen’avaisl’impressiond’êtreàmaplacequelorsquenousétionstouslestroisàlamaison,Terry,notrepèreetmoi.

Auboutd’unmoment,notrepèreamêmeréussiàfaireensortequeKathyluirapportedel’argentfacile.Jen’auraisjamaiscrucelapossibleetj’aiencoredumalàcomprendreaujourd’huicommentc’estarrivé,mais,mystérieusement,ill’aconvaincuedeseprostituerpourluicommeill’avaitfaitavecmamère.Kathyavaitbeauêtrelafemmelaplusgentille,laplusintelligente,laplusraffinéeetlaplusravissantequej’aiejamaisconnue,celanel’apasempêchéedetomberdanssonpiège.Elleabienessayéderésister,maisilestparvenuàlasoumettreàforcedeviolenceverbaleetphysique.

Pourl’intimider,ilamêmetuésonchatenleprenantparlaqueueetenfaisantexplosersatêtecontrelemur.IlsemblaitcapabledejeterunsortauxgenscommeKathyetmoiafindelesbriseretd’enfairetoutcequ’ilvoulait.SidesfemmesadultesetfortestellesquemamèreetKathyn’avaientpassuluirésister,quelleschancesmerestait-ilàmoi,unepetitefilleenadorationdevantsonpère?Depuislejourdemanaissance,monavenirs’imposaitàmoicommeunefatalité.

12

Lavisite

Àmesurequejegrandissais,l’attitudedemonpèreenversmoidevenaitdeplusenplusambiguëetsinistre.Quandj’étaisaucollège,ilacommencéàmeconsidérercommeunefemmeetnonpluscommeuneenfant.

Ilseréjouissaitmanifestementàl’idéedepouvoirbientôtconcrétiserlesprojetsqu’ilavaitdepuissilongtempsélaboréspourmoi.Àl’âgededouzeans,unjouroùj’étaisderetouràlamaisonavecTerry,j’aiétéinvitéeàunefêteavecKathy,monpèreetmonfrère.

Monpèreatenuàmedonnerl’allured’uneprostituéeenmefaisantporteruneroberougemoulantequiappartenaitàlafilledeKathyetenmepersuadantdememaquilleretdemecoiffercommeuneadulte.Ilsecomportaitexactementcommelejouroù,troisansplustôt,ilavaitconvaincuLucydemedéguiser.

Audébut,j’aiétéravied’avoirl’aird’unefemme,mais,àforcedemeregarderdanslaglace,j’aicommencéàmesentirmalàl’aise.J’aiessayédefairemarchearrière,maisilainsistépourquejerestetellequej’étais.Selonsesproprestermes,ilvoulaitquej’aiel’aird’avoirdix-huitansl’espaced’unesoirée.Cen’étaitpassidifficile,dureste,malgrémonjeuneâge.J’étaisplusmûrephysiquementquemescamaradesdeclasse,etj’avaisdéjàlesformesd’unejeunefille.Aveccetterobe,jepouvaistrèsbienjouerlerôlequ’ilattendaitdemoi.

Quandnoussommesarrivésàlafête,ilacommencéàsecomporterdefaçonencoreplusétrange,commes’iln’étaitpasmonpère,maismonpetitami.Samanièredemeregarderetdemetoucherétaitloind’êtrepaternelle,etsesparolesétaientpourlemoinssuggestives.

Celamegênaithorriblement,mais,sijeluiavaisfaitlamoindreremarque,ilseseraitmisencolèredevanttoutlemonde.Jemecontentaidesourireenbaissantlesyeuxetenessayantd’oubliermahonte.

Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’iladoptaituncomportementdéplacé,sansmêmeparlerdesabusqu’ilmefaisaitsubir.Mais,cesoir-là,sonattitudemeparaissaitencoreplusmenaçante,carnousn’étionspasseulsetilnesemblaitpasaccorderlamoindreimportanceàcequ’allaientpenserlesgens.

Onauraitmêmeditqu’ilprofitaitd’avoirunpublicpourm’exhiber.Lejourdemesdouzeans,ilm’avaitécritunecarted’anniversairepourlapremièrefoisdemavie.J’étaissiheureusequ’ils’ensoitsouvenuetqu’ilaitfaitcegeste!Mais,endécouvrantlemessageaudos,jem’étaissentiemalsansvraimentsavoirpourquoi.

Ilavaitécrit:Pourtoi,Maria,machérie.Quelquesmotsquisemblaientvenird’unamantplusqued’unpère.Cequ’ilafaitlorsdecettesoiréem’adonnélamêmeimpression.

Lelendemaindelafête,sansquittersontonambigu,ilm’aannoncéqu’ilvoulaitmemontrerquelquechose.Jel’aisagementsuivicommed’habitude,heureusederetrouvermonrôledefilleaprèscettecurieusesoirée.J’espéraissansdoutequ’ilallaitm’emmenerfairequelquechosequimeplairait.Lafêteforaineétait-ellearrivéeprèsdecheznous?Allait-ilmefaireuncadeau?Iln’étaitpasaiséderesteroptimisteaprèstoutescesannéesdedésillusions,maisjenepouvaispasm’empêcherd’essayer.

Néanmoins,encomprenantqu’ilétaitentraindemarcherverslequartieroùtravaillaientlesprostituées,j’aicommencéàmesentirencoreplusmalquelaveille.Jenesavaispasexactementcequ’ilvoulaitmemontrer,maisjepouvaisdéjàdevinerquecelaavaitplusderapportavecsesdésirsd’adultequ’avecmespréoccupationsd’enfant.

SituéejusteàlalimiteduquartiercommerçantdeNorwich,BerStreetétaitlarueprincipale.C’estlàquesepostaientlesprostituéeslesplusenvue.

Plusloin,ilyavaitKingStreet,lerepairedesfemmesquisedroguaientouquiétaientoriginairesd’autresvilles.Siellesavaientlemalheurdes’installersurletrottoirdeBerStreet,leursconcurrenteslocaleslesenchassaientaussitôtsansménagement.

Monpèrem’aannoncéfièrementquec’étaitlàqu’avaienttoujourstravaillémamère,Lucy,Gailetlesautresfemmesquejeconnaissais.Àprésent,m’a-t-ildit,ilvoulaitmemontrercequej’auraisàfaireunefoisprête.Danscequartier,ilyavaitplusieurspubs,oùlesfillesetleurssouteneursallaientrégulièrement,toutcommemonpèrequiétaitunpersonnageréputédecepetitmilieu.Silaplupartdesenfantsvontvisiterlebureau,lemagasinoul’usinedeleursparents,admirentleurvoituredefonctionetleurordinateur,c’étaitsurBerStreetquej’aidécouvertpourmapartlepetitroyaumedemonpère.Enmefaisantvisitersonquartieravectantdefierté,ilsecomportaitcommesijedevaisêtrehonoréeetheureuseàl’idéed’ytravaillerplustard.

Mêmeenpleinejournée,quelquesfillesétaientdéjàdehorsentraind’attendrelesclients.Àleurmanièredes’adresseràmonpèreàmesurequenousavancionsdanslarue,j’aicomprisqu’ellesleconnaissaienttoutes.

Etellesavaientàl’évidencerepéréenmoiuneconcurrentepotentielle.Néanmoins,larivaliténedevaitpastantleseffrayer,carellesavaienttoutesl’airdebiens’entendre,cequinem’apassurprisepuisquej’avaisdéjàrencontréàlamaisondesfemmestellesquelaredoutableGailetlamerveilleuseLucy.

J’avaisdécidéquejeneferaispascemétierlejouroùmonpèreavaitvoulum’habillercommeelles.

Mêmepourluifaireplaisir,jen’étaispasprêteàallerjusque-là.Etcetterésolutionn’avaitfaitqueserenforceraucoursdestroisansquis’étaientécoulésdepuisquej’avaisessayélesvêtementsdeLucy.

Entraversantcequartier,mêmeavecmonpèreàmescôtéspourmeprotéger,j’aitrouvél’atmosphèreaussiterrifiantequesordide.Maisjen’avaispaslecouragededirequoiquecesoit.Sijeluiavaislaisséentendrequejen’étaispasd’accordavecsesplans,ilseseraitfâchéetm’auraitbattue,oubienseseraitmoquédemoienmetraitantd’idioteetdegamine.

Sinon,ilauraitsimplementignorécequej’avaisàdireetauraitcontinuéàparlercommesijen’étaispaslà.Sij’étaistoutdesuitealléevoirlesservicessociauxpourraconterexactementcequ’ilprévoyaitdefairedemoi,onm’auraitpeut-êtrevraimentéloignéedelui.Maisjenevoulaispasplusêtreséparéedemafamillequetravaillersurletrottoir.Commejevoulaisresteravecmonpère,KathyetTerry,jen’airiendit,espérantsimplementqu’ilfiniraitparchangerd’avisetrenonceraitàm’envoyeraveclesautresfilles.

Kathyaétélapremièrepersonneàquij’aiconfiécequemefaisaitmonpère,etc’estellequiasurmontésapeurdeluipourallerledénoncerauxservicessociaux.Mêmesiellen’avaitpassufixerdelimitesaveclui,allantjusqu’àseprostituerpourlui,ellesavaitqu’ilavaitfranchilalignerougeavecmoi.

C’estelleaussiquiaracontéauxautoritésqu’ilm’avaitemmenéevisiterlequartierdesprostituéesafindemeprépareraujouroùilmemettraitautravail.Silesagentsavaientconsultél’historiquedeleursdossiers,ilsseseraientrenducomptequelesrévélationsdeKathycorrespondaientprécisémentaux

avertissementsqueleuravaitadressésmamèresixansplustôt.

Elleleuravaitbienditqu’ilavaitdécidélejourdemanaissancedefairedemoiuneprostituée!JenecroispasqueletémoignagedeKathyaitétéunchocpoureux.Toutlemondeconnaissaitmonpèreetsavaitdequoiilétaitcapable.Mais,enraisondesadémarche,ilsontdûsesentirobligésdeprendremasituationplusausérieuxetderéagir.

Lejouroùjeluiaidittoutelavérité,j’étaisalléechezellepourlasupplierderevenirversluiafinqu’ilmelaissetranquille.Deretourdupensionnatpourleweek-end,j’avaisapprisqu’ilsétaientséparésunefoisdeplusetj’étaisterrifiéeàl’idéederesteràlamaisonseuleaveclui.Assiseàcôtéd’elle,jel’aiécoutéem’expliquerlesraisonsdesondépart:laviolence,laprostitution,l’alcooletlamauvaiseinfluencequemonpèreavaitsursesenfants.Toutcelaétaitparfaitementcompréhensible,etjel’admiraisd’avoireulecouragedelequitter,maisj’aimalgrétoutcontinuéàlasupplierderevoirsadécision.

Intriguéeparmadétresseévidente,elleafiniparmedemanderpourquoisonretourétaitsiimportantpourmoi.J’étaistoujoursréticenteetmêmeterrifiéeàl’idéedeletrahir,carjenevoulaissurtoutpasêtreresponsabledesonarrestation,mais,auboutd’unmoment,jen’aipluseulaforcedemetaire.Certainssecretspèsenttroplourdpourêtregardéséternellement.

Accabléeparlechocetlacolère,elles’estempresséed’appelerlesservicessociaux,quiontréagiimmédiatement.Kathyavaitbeauconnaîtremonpèreetsesnombreuxtravers,elleétaithorrifiéeparcequejevenaisdeluidireetatoutdesuiteconcluqu’ilvalaitmieuxquejepasselanuitchezelle.Lefaitd’avoirplacémavieentrelesmainsdequelqu’und’autremefaisaitpeur;jecraignaisquemonpèrenemetueenapprenantquejel’avaistrahi.

Peut-êtrequ’ilvoudraitaussituerKathypourlapunirdel’avoirlivréauxautorités!J’étaisfolled’inquiétude,nesachantcequiallaitsepasseràpartirdemaintenant.Jenevoulaispasqu’onm’empêchedevoirmonpère;jevoulaisseulementqu’ilcessedem’obligeràcoucheraveclui.Pendanttoutleweek-end,ilm’aétéimpossibled’oubliermonangoisse.RiendecequepouvaitdireKathynemecalmait.

Finalement,jesuisretournéeàWymondhampourmasemainedecourssansavoirvumonpère.EnréponseàcequeleuravaitditKathy,lesagentsdesservicessociauxsontvenusmevoiraupensionnatafindepratiquersurmoidesexamensqu’ilspourraientutilisercontremonpèredevantuntribunal.Lefaitqu’ilsviennentmevoirm’adonnélesentimentqu’ilsmecroyaient,cequim’asoulagée,mêmesij’étaispourlemoinsréticenteàl’idéed’êtreexaminéeparunmédecin.Ilsm’ontdemandédeleurraconterlesfaitsdansledétail,puisilssesontmisenquêtedepreuvespourappuyermonrécit.J’avaisl’impressiondeperdrelecontrôledemavieetden’êtreplusqu’unpantinentrelesmainsdesadultes.Maisavais-jedéjàcontrôléquoiquecesoitconcernantmonexistence?Monpèreavaittoujoursdécidédetout,hormislorsqu’ilavaitétéenprisonetquelesautoritéspubliquesavaientprislerelais.Jevenaissimplementdemesoulagerd’unatrocesecret.

Sijem’étaissentiedifférentedesautresélèvesavantcela,j’étaisdésormaisunetotaleétrangère,d’autantquelepersonneldel’écoleavaitétémisaucourantetm’apportaitunsoutienàlafoisdiscretetappuyé.Commentallais-jereprendremaplaceenclasseaprèscetépisodequimedonnaitl’impressiond’êtreaucentred’untourbillonquejenemaîtrisaispas?

Onm’aemmenéechezlemédecin.Avechorreur,j’aiapprisque,silesexamensavaientrévélédestraces

évidentesd’activitésexuelle,monhymenétaittoujoursintact.Endépitdeladouleurinsoutenablequemonpèrem’avaitinfligéechaquefoisqu’ilavaitvoulucoucheravecmoi,iln’avaitpasréussiàm’enlevermavirginité.J’avaispeurquepluspersonnenemecroieàprésent,quelesadultespensentquej’avaistoutinventépourattirerleurattention.J’étaisdécouragée,maisaussieffrayéeenimaginantcequemonpèreallaitdirequandjelereverrais.Ilseraitàlafoisfurieuxquej’aieessayédeletrahiretraviquejen’aiepaspufournirlespreuvesnécessairespourlepoursuivre.J’allaisdevoiraffronterlapireissuepossibleàcettesituation.

Finalement,monpèreatrouvélemoyendeconvaincreKathyderevenir.J’aidumalàcomprendrequ’elleaitcédéalorsqu’ellesavaitdésormaiscequ’ilm’avaitfait.Aprèscela,iln’apasdaignéseprésenteràsonrendez-vousavecl’agentdesservicessociauxquis’occupaitdemondossier.Ilsemblaitvouloirdireàtoutlemondequ’iln’étaitpasobligédesuivrelesloisqu’iltrouvaitsiméprisables.Iltenaitàmontrerqueriennel’intimidait,etsurtoutpaslepouvoirdespetitsfonctionnaires.Quandils’estenfinprésentéàladateetàl’heurequ’ilavaitlui-mêmedécidées,ilaniémesallégationsavecvéhémence.

—Cen’estpaslapremièrefoisqu’ellement!a-t-illancé.Vousvoussouvenez,elleavaitdéjàracontéquejel’envoyaisvolerduwhiskyalorsquecen’étaitpasvrai.C’estlemalenpersonne.Aprèscequ’elleafait,jeneveuxplusqu’ellerevienneàlamaison.

Iln’avaitaucunscrupuleàjouercerôlediaboliqueavecmoicommeaveclesautres.C’étaitluiquim’avaitconseillédedirequej’avaismentiàproposduwhisky,etvoilàqu’ilseservaitdecettefausseconfessionpourprouverquej’étaisunementeuse.Sijedisaisquoiquecesoitpourmedéfendre,jerisquaisseulementd’aggravermoncas.

Parmoments,ilsemblaitvouloirfaireétalagedesonstyledeviedevantlesgensquiessayaientdel’interroger,commes’ilcherchaitàleurmontreràquelpointilsavaientl’espritétriqué.

Ilfaisaitd’euxdesêtresinsignifiantsetdelui-mêmeunmajestueuxlibertinquin’avaitquefairedeleurmorale.IlatoutdemêmereconnuqueTerryetmoidormionssouventdanssonlitparcequ’illouaitdeuxdestroischambresdelamaison.

—Ilpeutm’arriverdemettrelajambesurTerrydansmonsommeil,a-t-ilditenriant.Quandjecroisquejesuisavecunefemme.

Malgrésesdénégations,lesservicessociauxsontmanifestementarrivésàlaconclusionqu’iln’yavaitpasdefuméesansfeuetque,mêmesij’étaistechniquementtoujoursvierge,ilsnetarderaientpasàavoirdequoil’arrêterpourdebon.

Monpèreadûs’enrendrecompte,carilestretombédansuneprofondedépression.Quelquetempsaprèscetinterrogatoire,Kathyarappelélaresponsabledenotredossierpourluidirequemonpèreavaitdestendancessuicidairesetqu’ilavaitreconnunousavoirenvoyésvolerduwhiskypourlui.

Peut-êtrea-t-ilpenséque,s’ilavouaitunefaute,ilseraitplusfaciledelecroirequandilniaitavoirabusédemoi.Àmoinsqu’ilsoitdevenudépressifaupointdeneplussesoucierdecequiluiarriverait.

Quoiqu’ilensoit,j’aiétésoulagéequ’iladmettequec’étaitluiquiavaitmentietpasmoi.Maisj’étaisterrifiéeàl’idéequ’iltenteencoredesetuer.Jenevoulaispasêtreresponsabledesamort.Ilrestaitla

personnelaplusimportanteàmesyeuxetjel’aimaismalgrétout.

Àpartirdecemoment,lapoliceestentréeenjeu,etj’aicomprisquemonpèrerisquaiteneffetd’allerenprisonàcausedemoi.Lepersonneldel’écoleetdesservicessociauxavaitbeaumerépéterdenepasm’inquiéteretdenepasmesentircoupable,jesavaisqu’oncherchaitseulementàmerassurer.

Lepoidsquipesaitsurmesépaulesétaitsilourdquej’envenaispresqueàregretterdem’êtreconfiéeàKathy.Jeneconnaissaisplusunseulinstantdetranquillité.

Lesrapportsquej’ailusmeconcernantm’ontapprisqu’àcetteépoque,lesadultesquim’entouraients’interrogeaientsurcequejepensaisetressentais.Voicicequ’écrivaitladirectricedel’internat:Mariaestàlafoisunepetitefilledequatreoucinqans,unejeunefilledeseizeansetuneélèveintelligentededouzeans.Maislecommentaireleplusétonnantestceluiqu’elleafaitplustard:Mariaadoresonpèreetveutqu’ilresteauprèsd’elle,mais,s’ilspassenttropdetempsensemble,ellecommenceàseplaindre.N’est-cepasnaturelpouruneenfantd’aimersonpère?Jevoulaisseulementqu’ilarrêtedemefaireceschoseshorribles.Jenevoispascequ’ilyad’anormalàcela.

Denombreusesréunionsonteulieupourquelesautoritésdécidentdel’endroitoùnousdevionspassernosweek-ends.Magrand-mèreaproposéd’accueillirTerrychezelle,maisellenem’apasinvitée,cequim’aconfortéedansl’idéequ’ellenem’aimaitpas.

Desonpointdevue,jenefaisaisqueprovoquerdesproblèmesauseindelafamilleenracontantdesmensongessursonfils,enrépandantdefaussesrumeursetenattirantlahonteetledéshonneursurnoustous.Ellen’auraitjamaispuadmettrequ’ilétaitcapabledefairecedontjel’avaisaccusé.

Commesilasituationavaitbesoindesecompliquerdavantage,monpèredevaitfairefaceàuneprocédured’exclusion,carlamunicipalitéavaitdécouvertqu’ilsous-louaitleschambresquinousétaientdestinées.Poursadéfense,ilargumentaitqu’ilavaitàtoutprixbesoindegardercettemaisonpouraccueillirsesenfantsleweek-end,mais,sinousn’avionsplusledroitd’allerchezlui,quepourrait-ildireauxautorités?

Lorsd’unnouvelinterrogatoire,ilaprétenduquejevoulaisseulementmevengerdeluiparcequ’ilavaitoffertàTerryunemontreàcinquantelivrespoursonanniversairealorsquejen’avaisrienreçu.Jeveuxbiencroirequ’ilaitfaitcela,maisj’étaishabituéeàcegenredechoses.Sicelameblessait,c’étaitaussiunemotivationpourmoidefaireencoreplusd’effortspourluiplaire.Jevoulaisdevenirmeilleureafindemériterdescadeaux,moiaussi.Celanemedonnaitpasdutoutenviedel’envoyerenprison.

—Detoutefaçon,a-t-ilconclu,mêmesij’avaisfaitcedontellem’accuse,pourquoim’aurait-elledénoncésiellem’aimaitvraiment?

Sesproposn’ontdoncintriguépersonne?Selonmoi,safaçondedirequ’unenfantnedevaitpasdénoncersesparentsquoiqu’ilsfassentressemblaitfortàunaveudeculpabilité.

Lacrisefamilialen’étantpasprèsdeserésoudre,lesautoritésdevaienttrouverunendroitoùnousenvoyer,Terryetmoi,passerlesvacancesscolaires.Breakétaituneassociationfondéeparuncouple,M.

etMmeDavison,etquiavaitpourpremierobjetd’offrirdesvacancesauxenfantshandicapés.

L’associationpossédaitdeuxmaisonsappelées«Magpie»et«Rainbow».Magpieétaitdevenueunfoyerpourtouslesenfantsdéfavorisés.Afind’éviterquenousretournionscheznotrepère,c’estlàquelamunicipalitéadécidédenousfairepassernosvacances.

Breakm’aoffertdesmomentsmerveilleux.Onnousemmenaitrégulièrementàlaplagevoisinedufoyer.Nousypassionsdesheuresànagerl’étéetànouspromenerl’hivertoutendiscutantinlassablement.Nousavionsunepréférencepourlesvacanceshorssaison:lestouristesétaientpartis,etnousavionslaplagepournousseuls.

J’avaisaussiprisl’habitudedemerendredanslamaisonquiaccueillaitlesenfantshandicapés,afind’aiderlepersonnelàleurdonnerleursrepas.J’aimaisplusquetoutentrecesmurslefaitquepersonnenejugepersonne.ÀRainbow,nulnemeregardaitdehautenmedonnantl’impressionquejen’étaispasàmaplace.Jemesentaisenfinutileetmoinsméprisablequed’habitude.

QuelquetempsaprèsnotrearrivéeaufoyerdeBreak,lesDavisonontouvertuntroisièmefoyer,puis,aufildesannées,l’associations’estdéveloppéepourdevenirunegrandeorganisationcaritative.

Maiscequ’elleproposaitàl’époquesuffisaitàmonbonheur.Seulement,chaquefoisquejeparlaisàmonpèreautéléphone,ilmesuppliaitdem’enfuirpourvenirleretrouver.Aussiétonnantquecelapuisseparaître,j’aifiniparcéder.Ilmemanquaitet,malgrémoi,jem’envoulaisdel’avoirtrahi.J’avaissipeurqu’ilnemepardonnejamaisquelefaitmêmequ’ilm’appellemefaisaitdubien.

Enallantleretrouver,j’aieupeurdel’accueilquej’allaisrecevoir,maisiln’apasexprimélamoindrerancuneenversmoi.Aulieudemereprocherd’avoirparléàKathy,ilsemblaitaccepterlasituationcommeunefatalité.Celanem’empêchaitpasdemesentircoupable.Pourcompensermatrahison,j’étaisprêteàfairetoutcequ’ilmedemandait.Jenevoulaisplusaccepterl’aidedesautresadultes.

J’avaisunesimauvaiseopiniondemoique,mêmelorsquedesgensmetendaientlamainensesouciantsincèrementdemonbien-être,jelesrejetais.Prenantexemplesurmonpère,j’enétaisarrivéeàlesconsidérercommedepetitsfonctionnairesquisemêlaientdenotreviepoursuivrelesordresdeleurhiérarchie.

MêmeauseindeBreak,TerryetmoiétionsamenésànoussentirdifférentsàcausedenotrestatutdepensionnairesàWymondham.Lesautresenfants,eux,étaientscolarisésdansuncollègepublicdelarégionetsefréquentaientaussipendantlespériodesdecours.

Durantcesannées,jedevaisavoiruncomportementtrèsincohérent,carlesrapportsrédigésparceuxquim’entouraientfontdemoiunportraitpourlemoinsétrange.

Mariaestalléechezellele23décembre,écritl’un.TerrySenioratéléphonépourdemandersiMariapouvaitrestertoutleweek-end.J’aiaussiparléàMaria,quisouhaiteresteravecsonpère.J’aitéléphonéàMmeDavison,quiestd’accordpourqueMariarestechezsonpèrejusqu’àdimanche.IlssonttouschezKathy,cequilimitelaprobabilitéqueMariaaitdesrapportsintimesavecsonpère.

Sanscertitudequecesoitarrivéparlepassé,c’estunrisqueàprendre,carMarianepeutpassepasserdevoirsonpère.

Jeconsidéraisqu’ilmeviolait.Ilsconsidéraientquenousavionsluietmoi«desrapportsintimes».

Commesic’étaitarrivésurmoninitiativeautantquesurlasienne.Enretournantsansarrêtauprèsdelui,jedevaisdonnerl’impressiond’enavoirenvie,maisc’étaittellementloindecequejeressentais.

Jesuispeut-êtrecoupabled’avoirmanquédediscernementetdem’êtremoi-mêmemisedansdessituationsdangereuses,maisc’étaitluil’adulteetmoil’enfantquiavaitbesoind’êtreprotégée.Lapersonnequiarédigécerapportaurait-elleétéenthousiasteàl’idéed’envoyersafillepasserleweek-endchezmonpère,mêmesielleavaiteutrèsenvied’yaller?

Toutemavie,monpèrem’avaitrépétéque,oùquejesois,jedevaism’enfuiràlapremièreoccasionpourcourirleretrouver.J’avaisbeaumerendrecomptequejemesentaissouventmieuxlàoùmeplaçaientlesservicessociaux,jen’avaispaslereculsuffisantpourremettreenquestionlesenseignementsdemonpère.Ilmesemblaitnormaldevouloirlerejoindre.Unjour,onluiaannoncéqu’ilauraitledroitdemevoir,maisuniquementsoussurveillance.Cettenouvellel’amisdansuneragefolle.

Ilahurléque,danscesconditions,ilpréféraitnepasmevoirdutout.Ilétaitsûrementconscientqu’ilavaitbesoind’êtreavecmoientête-à-têtepourcontinueràmemanipuler.Unautreadulten’auraitpastardéàledémasqueretàcomprendresonjeumalsain.

Jepensequ’ilavraimentsouffertquandjel’aidénoncéàKathy,puisauxservicessociaux,carilconsidéraitquejeluiappartenais.J’étaisunobjetdontilpouvaitdisposeràloisir.Parconséquent,iladûêtreàlafoisétonnéetdéçudeconstaterquejen’allaispeut-êtrepasdevenirunebrillanteprostituée.

Ilaeupeurquej’aillefinalementàl’encontredesesplansetquejenesoispaslàpourl’entretenirjusqu’àlafindesesjours.Enfindecompte,ilressentaitpeut-êtrelamêmechosequelesparentsquifontfaceaurefusdeleursenfantsdedevenirmédecinsouavocatscommeilsl’avaientespéré.Maisiln’allaitcertainementpasrenonceràsesprojetsàcausedecesimplecontretemps.

13

Lepremierclient

Pendantlapériodequiasuivicesévénements,j’aicontinuéàm’enfuirdel’écolepourrejoindremonpère,luipermettantdemecacherdesautoritéspendantdesjours,voiredessemaines.

Jenemerendaispascomptequejeneservaisquesesintérêtsàlui.Àforced’abuserdemoi,ilafinalementréussiàm’enlevermavirginité.Toutefois,jenesauraisdireàquelmomentc’estarrivé,carladouleurétaitinsupportablechaquefois.

C’estsansdouteàl’occasiondel’unedecesfugues,alorsquej’avaistreizeans,qu’iladécidéqueletempsétaitvenupourmoideluifairegagnerdel’argent.Iladûconsidérerquej’étaisprêtepuisqu’ilavaitréussiàmepénétrer,etilaorganisémesdébutsdanslemétier.

MonpèreavaitunamiirlandaisnomméPeter,qu’ilretrouvaitsouventaupub.C’étaitunhommegrosquisentaitmauvais.Iltravaillaitsouventloindechezlui,sansdoutesurlesplateformespétrolièresdelamerduNord.Peteravaittoujoursbeaucoupd’argentliquidesurluietaucunefamilleàsacharge,cequifaisaitdeluiunecibledechoixpourmonpère.Ilspassaientdesheuresàboireensemble,etjecroispouvoirdirequePeterfinançaitengrandepartieleursbeuveries.Unsoiroùjem’étaisunefoisdepluséchappéedupensionnat,monpèrem’aaccueillieàbrasouvertsetm’ainvitéeàsortirdanslesbarsavec

Peteretlui.

Àcetteépoque,ilaimaitmefaireboiredesvodkascitronvert.Lesserveursdevaienttousêtreconscientsdemonjeuneâge,maisaucunn’ajamaisréagienassistantàcesscènes.J’avaisl’habitudedemesoûleravecmonpèreetsesamispuisquej’avaiscommencéàlefairedèshuitouneufans,àl’époqueoùjebuvaisdeswhiskysorangeenjouantauxcartestoutelanuit.Jen’avaisdoncaucuneraisondememéfierplusparticulièrementdeleursintentionscesoir-là.

Ensortantdupub,nousavonsmarchéendirectiondechezPeter,etilssesontarrêtésencheminchezuntraiteurchinoispouracheterunrepasàemporter.

Aprèsunmoment,noussommesarrivésàdestination.C’estlàquej’aidécouvertunappartementaffreuxetrépugnant,mais,àvraidire,j’étaisbientropsoûleetj’avaisbientropfaimpourfaireattentionàl’étatdecerepaired’ivrognes.

J’étaisavecmonpère,etiln’enfallaitpaspluspourmerendreheureuse.Alléchéeparl’odeurdesplatschauds,jemesuisassisesurlecanapépourouvrirlesboîtesencartonquicontenaientnotredîner.

Malgrélesnombreusesvodkasquej’avaisbuescesoir-là,j’aieul’espritassezclairetlaforcenécessairepourrepousserPeterquandilestvenusecollercontremoi.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’unhommeessayaitdemetoucher,etj’avaissuffisammentconfianceenmoipoursavoirquejepouvaisleteniràbonnedistance,d’autantquejemesentaisprotégéeparlaprésencedemonpère.Aprèsl’avoirvusebattresisouvent,jen’avaisaucundoutesursacapacitéàprendreledessussurunhommegrosetsoûlcommePeter.J’espéraisseulementquePeterrenonceraitàsesgestesdéplacésavantquemonpèren’entredansunecolèredontilavaitlesecretetlebattesansretenue.

J’étaisloinducompte.Sansavoirletempsdecomprendrecequisepassait,j’aisentiqu’onm’attrapaitpourmefairetomberducanapéetmeplaquerviolemmentcontrelesolpendantquelanourritureserenversaitsurmoi.C’estalorsquej’aicomprisl’horreurdelasituation.

Monpèremetenaitlesbraspourm’empêcherdemedébattreetpermettreàPeterdemevioler.Loindelutterpourmeprotéger,ilm’avaitvendue.Jenepouvaispluscompterquesurmoi-mêmepourm’ensortir,maismescrisetmessupplicationsétaientimpuissants.

—Laferme!ahurlémonpère.

Manifestement,maréactionlegênaitvis-à-visdePeteretlemettaitencolère.Conscientequejen’avaisaucunechancecontrelaforcededeuxhommesliguéscontremoi,j’aifiniparmerendre.

—Détends-toi,m’aditmonpère,fidèleàsonhabitude.Detoutefaçon,tuvaspasyéchapper.Alors,tuferaismieuxdet’ymettretoutdesuite.Plustuserasdétendue,mieuxçasepasserapourtoi.

J’aitournélatêtepournepasvoirmesdeuxtortionnaireset,pendantquePeterfaisaitcequ’ilvoulaitdemoi,j’airegardéfixementlesboîtesrenverséesetlanourriturerépandueautourdemoisurlamoquette.Direquecesplatsm’avaientsemblésiappétissantsquelquesminutesplustôt…Jenepensaisplusqu’àunechose:jenevalaispasmieuxquecela,mêmeauxyeuxdemonpère.Couchéeaumilieudesdétritus,jen’étaisplusqu’unobjetmisàladispositiondel’hommequim’avaitachetée.

Cetteexpériencem’aparuencoreplustraumatisantequelesnombreuxviolsquej’avaissubisdelapartdemonpère.Peterétaituninconnu,etsonaspectrepoussantnefaisaitqu’ajouteràl’horreurdelasituation.

Monpèrem’ayanttoujoursditqu’ilétaitleseulêtrecapabledem’aimer,j’étaiscertainequePetern’avaitpaslamoindreconsidérationpourmoi.Ilvoulaitseulements’offrirunplaisirrapideetprofiterdelafraîcheurd’unejeunefille.Étantdonnéqu’ilsn’ontpaséchangéunseulmotduranttoutelascène,j’aicomprisqu’ilsavaienttoutplanifié.

Monpèrem’avaitvendue,commeill’avaitfaitauparavantavecmamère,Kathyettouteslesautres.

J’étaissûrequePeteravaitpayé,carjamaismonpèrenem’auraitofferteàquiquecesoit.Ilétaitdenaturejalouse,mêmeavecmoi,etseull’appâtdugainpouvaitluifaireoubliersapossessivité.

Contrairementàunpetitami,Peternerisquaitpasdemenacerlecontrôlequemonpèreexerçaitsurmoi.

—Tunedevraispasfaireçagratuitement,disait-ilàtouteslesfemmes.Quandonpenseàl’argentqueçapourraitterapporter.

Jesaisqu’ilavaitsincèrementdumalàcomprendrepourquoitouteslesfemmesneseprostituaientpas.D’ailleurs,ilconsidéraitquelaplupartd’entreelleslefaisaient,d’unefaçonoud’uneautre.D’aprèslui,êtremariéeetnepasavoird’emploirevenaitàsefaireentretenirparsonépouxenéchangedefaveurssexuelles.Ilnevoyaitpasquelledifférencecelafaisaitavecvendresoncorpsàdesétrangers.

Desannéesplustard,alorsquejeséjournaisdansunautrefoyer,Peters’estmisàm’envoyerdel’argentdetempsentemps.Jen’avaisplusjamaiscouchéavecluiaprèscettesoirée,maispeut-êtreavait-iluneconscience,enfindecompte.Monpère,lui,nedevaitpasenavoir,car,àpartirdecemoment-là,ilm’avuecommeunesourcederevenuspermanente.Ilacommencéàm’emmenerdanslequartierqu’ilm’avaitfaitvisiter,celuidanslequelilsesentaitchezluietoùilavaitdéjàemmenémamèreparlepassé.

Lapremièrefoisquej’aipassélanuitsurletrottoir,jem’étaisenfuiedeBreak.Jecroisquemonpèrevenaitdesortirdeprisonetqu’ilm’avaittéléphonépourquejeviennelevoir.Nousnepouvionspasallerdanssonappartement,carc’étaitlepremierendroitoùlapolicem’auraitcherchée;alors,nousnoussommesretrouvéschezLucyetTwiggy.Depuisdesannées,Twiggy,ungarçonadorable,entretenaitunerelationdiscontinueavecLucy.J’avaispeurdecequemonpèreavaitprévupourmoicesoir-là,maislefaitd’êtreaveceuxmerassurait.Ilsmedonnaientuneimpressiondefamiliarité,commesitoutcequisepassaitétaitparfaitementnormal.J’aibuunequantitéconsidérabledevodka,puisnoussommessortis.Laplupartdesprostituéessontobligéesdeboireoudesedroguerpoursurmonterleurpeurdefaireletrottoir,surtoutàleursdébuts.Ellescontinuentàlefaireparlasuite,maisdavantagepouroubliercequ’ellesvivent.Voilàpourquoilaconsommationd’alcooletdedrogueestsirépanduedanscemilieu.Jeneconnaissaisriensurladrogueàcetteépoque,hormiscequem’enavaitditmonpère,àsavoirqu’ilfallaitl’éviteràtoutprix.Ils’estimaitbiensupérieurauxhippiessalesetdébraillésquienprônaientl’usagedanscesannées-là.

ChezLucyetTwiggy,monpèrem’adonnélesvêtementsquejedevaisporteretm’asurveilléependantquejememaquillais.Puisilm’aemmenéesurBerStreet.Àcemoment,jeneressentaisplusriend’autrequedudésespoir.Puisquejen’avaisaucunmoyend’échapperàcequim’attendait,jepouvaisseulementluiobéir.C’estdonccequej’aifaitsanslamoindrecontestation.Àlamanièred’unrobot.

—Tuavancesverslavoiturequis’arrête,m’a-t-ilexpliqué.Puistuouvreslaportièreettudemandes:«Vousêtesintéressé?»Sileconducteurdit:«Oui,c’estcombien?»,tuluiréponds:«Septlivresdanslavoitureoudixlivresàlamaison.»

Ilestrestéderrièremoidansuncoinsombre,mepoussantverslesvoituresquiralentissaientetm’encourageantàmi-voixpendantquej’avançaisenchancelant,ivre,surmestalonshauts.Sicequ’ilmefaisaitfaireétaiteffrayant,cen’étaitpasdifficilepourautant.Unhommeseulenvoituredanscequartiercherchaitforcémentcequej’avaisàvendre.

—Vousêtesintéressé?ai-jedemandéaupremier.

Aprèsavoirannoncélesconditionsdelatransaction,jesuismontéedanssavoitureetl’ailaisséfaire.

Cettepremièrenuit,j’aidûvoirquatreoucinqclients.Jenemesouviensnideshommesnidecequis’estpasséexactement.

Toutcequim’estrestéenmémoire,c’estunesensationdedégoûtextrême.Ceshommesétaient-ilsconscientsquejen’avaisquetreizeans?Et,sinon,celaaurait-ilchangéquelquechosepoureuxs’ilsl’avaientsu?Ilestimpossiblequej’aieeul’aird’avoirseizeans,mêmedansl’obscurité.Maispersonnen’arenoncéenmedisant:«Tuestropjeune,chérie»,parcequecesgensnepensaientqu’àleurplaisirpersonnel.

Monpèreavaitachetéunebouteilledewhiskyafindelarapporteràlamaisonaprèsmanuitdetravail.Soulagéequecettetorturesoitterminéeetquej’yaiesurvécu,j’enaiavaléplusieursverresdesuiteavantdetoutvomirsursonpantalondecostume.

Lemélangeduwhiskyetdelavodkaajoutéàlamontéed’adrénalinequej’avaisdûsubiravaiteuraisondemonestomac.J’aicruquemonpèreallaitmetuerquandjemesuisrenducomptedecequej’avaisfaitàsesvêtements,maisilnes’estmêmepasmisencolère.Aucontraire,l’étatdanslequeljem’étaismiseaeul’airdel’amuser.

Ilétaittoujourslàpouraiderlesgensquiavaienttropbu,quiétaientmaladesouquis’étaientfaitbattre.Dèsquel’unedesesamies(commeLucy)apparaissaitsurleseuildesaportepourqu’ilvienneàsonsecours,ils’empressaitdelafaireentreretdes’occuperd’elle.Beaucoupdegensauraientaccusécesfemmesd’êtreresponsablesdeleurspropresmalheurs,maisilétaitaucontrairetoutprêtàlescomprendre.

Sansdouteétait-ilconscientques’occuperdespersonnesvulnérablesétaitlemeilleurmoyendeprendrelepouvoirsurelles,delesrendredépendantesdeluietreconnaissantesenversluiparcequ’ilnelesjugeaitpas.Ilaimaitquelesgenspensentqu’ilseraittoujourslàpoureux,quoiqu’ilsaientfait.Sij’étaisivreetmalade,c’étaitd’autantplusfacilepourluidememanipuleretdemefairefairecequ’ilvoulait.

—C’estlavie,a-t-ilditgaiementennettoyantsonpantalon.

NoussommesrestésquelquesjourschezLucyetTwiggy,maislapoliceadûapprendreoùnousnouscachions,cardesagentsn’ontpastardéàvenirdanslebutdemerameneraufoyerpourenfants.

Enlesentendantfrapperàlaporte,Lucyetmonpèrem’ontcachéedansleplacardsituésousl’escalier.

Recroquevilléedanslenoir,j’espéraisquelespoliciersallaientmetrouveretm’emmenerpourm’éviterd’avoiràretournersurletrottoir.Mais,commejenevoulaispasmettremonpèreencolère,jemesuisgardéedefairedubruitpoursignalermaprésence.

Maprioritéétaittoujoursdeluifaireplaisir.Alors,jesuisrestéeassiseensilence,lecœurbattant,àregarderlesombresbougeràtraverslesfentesdelaporte.J’entendaislespoliciersmechercherdanstoutelamaison,maisàaucunmomentilsn’ontpenséàouvrirleplacard.Quandilssontfinalementpartis,jenesavaisplussijedevaisressentirduregretoudusoulagement.

Aprèscela,jemesuismiseàtravaillerrégulièrement.Monpèrecontrôlaitabsolumenttoutcequisepassaitquandjefaisaisletrottoiretiladoraitça.Touslessoirs,ilchoisissaitmatenueetmonmaquillage.

Audébut,ilrestaitavecmoidanslarue,puis,quandilavuquej’avaisbiencompriscequ’ilfallaitfaire,ilarésoludemelaisserseulepourrejoindresesamisdanslesbarsduquartier.Ilrevenaittoutdemêmemevoirdetempsentempspours’assurerquejetravaillaisbien.Maisilm’avaitsibienappriscequejedevaisfairequ’iln’avaitpasbesoinderesterlongtempsàcôtédemoi.

Ilm’arrivaitderamenerdesclientsdansl’appartementdemonpère,mais,leplussouvent,nousrestionsdansleurvoiture.Celasepassaittoujoursdelamêmefaçon,etlatransactionneduraitjamaislongtemps,car,aumomentoùjemontaisaveceux,leshommesétaientdéjàsiexcitésquetoutseterminaitenquelquessecondes.Leseulfaitdevenirdanscequartier,deralentiretdesefaireaborderparuneprostituéefaisaitpartiedel’aventurepoureux.

Unegrandepartiedeleurplaisirvenaitdurisquequ’ilsprenaientendéfiantlamoraleetenrôdantdansunquartiermalfamé,oùdesgenstelsquemonpèreetmoilesattendaientpourleurdonnerunaperçud’unmondequineseraitjamaisleleur.

Justeàl’extérieurdelaville,unepetiteroutetraversaitunjolivillage,etc’étaitsouventàcetendroitquenousemmenaientlesclients.Avecsesvoituresgaréesdanschaquerecoin,cettezoneétaitconnuepouraccueillirles«couples».S’ilyavaitdéjàtropdemondeousilapoliceétaitpostéepournoussurveiller,nousétionsobligésdecontinueràrouleretdetrouverunautreendroit(commeunparkingdésert)pournousarrêter.D’ordinaire,lesclientsavaientl’airdesavoiroùilsallaient,maisceuxquiétaientdepassageavaientbesoindesuggestionsetd’indications.

Demonpointdevue,ilsseressemblaienttous.Avecleurcostumeimpeccableetleurvoituredefonctionrutilante,ilsétaienttouslesmêmeshommesd’affairesautondevoixpoli.Sijamaisunhommevenaits’arrêterlelongdutrottoirdansunvieuxvéhiculecabossé,nousluidisionsd’allervoirailleursetilseretrouvaitdanslesruesadjacentes,làoùlesfillessemontraientmoinsdifficiles.

LetrajetentreBerStreetetlelieudelatransactionétaittoujourslemomentleplusinquiétant.Jemedemandaisoùilsallaientserendreetredoutaismêmequ’ilsnes’arrêtentpasouqu’ilss’énerventaumomentoùjeleurdemanderaisdel’argent.Ilssecomportaientpresquetousdelamêmefaçonetrespectaientlestermesdenotreaccord.Mais,chaquefoisquejemontaisdanslavoitured’uninconnu,jesavaisquejerisquaismavie.N’importelequeldeceshommespouvaitêtreunfououunsadiquequiprenaitsonplaisirentabassant,enétranglantouenpoignardantdesfillescommemoi.

Unefoisqueleclientavaittrouvéunendroitoùsegarer,ilmedonnaitl’argent.Puisnousnousdisputions

ausujetdespréservatifs.Ilsnevoulaientjamaisenutiliser,mais,pourmoi,iln’étaitpasquestiondes’enpasser.Nonseulementjeredoutaisdemeretrouverenceinte,maisj’avaisaussisuffisammentcôtoyélesprostituéespourconnaîtrelesdangersconcernantlesinfectionsetlesmaladiessexuellementtransmissibles.J’avaissouvententenduLucyetGailenparler.

Certainshommesm’offraientdessommesinsensées,parfoisjusqu’àcentlivres,pourmeconvaincredecoucheraveceuxsansprotection.Maisjen’aijamaisététentée.Lesfillesquidevaientfinancerleurdépendanceàl’alcoolouàladrogueétaientsansdouteplusconciliantesaveccegenred’hommes.

J’imaginequ’aujourd’hui,lesclientsontprisl’habitudedemettreunpréservatif;mais,àlafindesannées1970,personneneconnaissaitlesida,etlesgensétaientbeaucoupmoinsprudents.Ilyavaituneautrerègleàlaquellejenedérogeaisjamais:jerefusaislesfellations.L’expériencequem’avaitfaitsubirmonpèrem’avaittraumatisée.Cequejevendaisétaitdonccequ’ilyavaitdeplusclassiquedanscedomaine.

Unefoisquejem’étaismised’accordavecleclientetqu’ilm’avaitpayée,jereculaislesiègepassageraumaximumetj’enlevaismaculotte.

Àcemoment,leclientétantàlafoisfoud’excitationetnerveuxàl’idéed’êtresurpris,ilfaisaitpreuved’unehâtemaladroitepoursedébarrasserdesaveste,ouvrirsonpantalonetvenirentremesjambes.Jemettaisalorslespiedssurletableaudebordet,àpartirdelà,toutétaitfinienquelquessecondes.

Uninstantplustard,jem’étaisdéjàrhabillée,j’avaisremislesiègeenplaceetnousroulionsendirectiondeBerStreet.Ilnesepassaitgénéralementpasplusd’unquartd’heureentrelemomentoùjemontaisdansunevoitureetceluioùj’étaisprêteàaborderleclientsuivant.

J’étaiscenséedonneràmonpèretoutl’argentquejegagnaisjusqu’auderniercentime,mais,unefoisquelasoiréeétaitbienentamée,ilfinissaittoujoursparcéderàl’ennuietpardisparaîtredansunpub.À

mesurequelessoiréespassaient,ilrevenaitdemoinsenmoinssouventmevoir,jusqu’aumomentoùsasurveillances’estcomplètementrelâchée.

Fortedemonexpérience,jemesuisserviedesesabsencesenluifaisantcroirequejen’avaisencoreeuaucunclientquandj’enavaiseudeux,etjegardaisl’argentbiencachésousmesvêtements.J’aiaussifiniparfairepassermontarifàdixlivressansleluidire,afindepouvoirgarderunpeud’argentchaquefois.

Àcetteépoque,j’étaislaplusjeuneprostituéeduquartier,etlesplusâgéesn’aimaientpasmevoirvolerleursclients.Néanmoins,ellesnepouvaientriencontremoi,carellessavaientquemonpèreétaitlàpourveillersurmoi.Ilarrivaitsouventquelesfemmessebattent,surtoutquanddesprostituéesvenuesd’autresvillesessayaientdesefaireuneplacedeforce.Jesavaisque,sanslaprotectiondemonpère,j’auraiseudesmomentsdifficilesàpasser;mais,sanslui,jenemeseraisjamaisretrouvéesurcetrottoir.

Ilm’avaitdonnéunepetitebrochequejegardaisaucreuxdelapaume.Elleétaitfixéeàlabaguequej’avaisaudoigt,etilm’avaitditdem’enservirsijamaisj’avaisbesoindemedéfendre.

Maisjen’enaijamaiseulecourage.Enutilisantunearmecommecelle-ci,j’auraiscertainementfaitdégénérerlessituationsconflictuelles,etcelaauraitmêmepumetuer.Avecletemps,j’aiprisconfiance

enmoietenmescapacitésàgérertoutessortesdeclients,maisjen’aijamaispumedébarrasserdelapeurquim’habitait.Jerestaisconscientequeleprochainclientétaitpeut-êtreceluiquiallaitm’assassiner.

Mêmesijem’efforçaisdechoisirmesclientsavecprudence,jenepouvaispasmefaireuneidéesûreaucoursdesquelquessecondesquiséparaientl’instantoùj’ouvraislaportièredeceluioùjemontaisdanslavoiture.Unjour,c’estaumomentoùleclientaredémarréquej’aieusoudainunmauvaispressentiment.Ilfaisaitpourtantencorejour,cequimepermettaitnormalementd’avoirmoinspeur.

L’hommequiconduisaitavaitbeauressembleràtouslesautres,ilétaitbienplusinquiétant.Ilacommencéparmedirequ’ilnevoulaitpasallersurlapetiteroutehabituelle.Surcesmots,ilarouléjusqu’àunendroitdésertquejeneconnaissaispas.

Safaçondeprendrelecontrôledelasituationmemettaitmalàl’aise.Maisj’aipréféréneriendire.

Jesentaisquejenedevaispasm’opposeràlui.Àforcedevivreavecmonpère,j’avaisapprisàreconnaîtreunhommequipouvaitdevenirdangereuxsionlecontrariait.Quandils’estenfingaré,jeluiaidemandédemepayer,maisiln’apasvoulu.

—Plustard,a-t-ildit.

Lucyetmonpère,ainsiquetousceuxquifréquentaientcemilieu,m’avaientenseignécetterègled’or:leclientdevaittoujourspayerd’abord.Commejemesentaisdeplusenplusangoissée,j’aiprofitédesonrefuspourannulernotremarchéetj’aivouludescendredevoiture.

Mais,àl’instantoùj’aiposélamainsurlapoignéedelaportière,ilm’aremisedeforcesurlesiègeetaviolemmentplaquésabouchecontrelamienne.

J’aicomprisquejen’avaisplusaucunautrechoixquedemelaisserfaire.Commemonpère,cethommenesemblaitpassesoucierlemoinsdumondedesdégâtsqu’ilcausaitpourobtenircequ’ilvoulait.

J’aicomprisque,s’ilmontraitdéjàautantd’agressivitéàcestade,ilrisquaitd’allerbeaucoupplusloinsijenecoopéraispas.Jevoyaisbienqu’ilnemeconsidéraitpascommeunepersonne,maiscommeunsimpleobjet,etquejen’avaisaucunechancedel’inciteràfairepreuved’humanitéavecmoi.

Celapeutparaîtreétrangedemapartdeparlerdeviolétantdonnéquejevendaisdesrapportssexuels,maisc’estbiencequem’afaitsubircethomme.Jen’avaispasdonnémonconsentement,etilacouchéavecmoideforce.Ravalantmonsentimentdehonteetdecolèremêlées,j’aiattenduqu’ilaitterminéenespérantqu’iln’avaitpasprévudes’attaqueràmoiensuite.Finalement,ilavolélesquelquesbilletsquej’avaisdansmonporte-monnaieetm’apousséedehorsavantdemelancermonsacàmainetderedémarrerentrombe.Restéeseulesurleborddelaroute,tâtonnantàquatrepattespourretrouvermesaffaireséparpillées,j’avaisperdulepeudedignitéquimerestait.

J’étaistellementfurieusequej’aieuenviedeledénonceràlapoliceoudemeconfieràquelqu’un;maisàquoibon?J’étaisuneprostituéemineurequis’étaitenfuiedesonfoyersocial.Quiauraitbienpuéprouverdelacompassionenversmoi?Àencroirelestémoignagesquej’avaisentendusparlepassé,jepouvaism’estimerheureusedem’enêtretiréeàsiboncompte.Jen’avaisperduquemonargentetmafierté,alorsquej’auraispuêtretabasséeoumêmetuée.

Lapolicem’aarrêtéedeuxfoispourracolage.Commej’étaismineure,jen’aireçuquedesavertissements.C’étaittoujourscequemedisaitmonpèrepourmeconvaincredefairedeschosesillégales:selonlui,j’étaistropjeunepourrisquerquoiquecesoit.

Celan’empêchaitpaslesautoritésd’êtresanscesseàmarechercheàcausedemesnombreusesfugues.Unjour,c’estlabrochequejeportaiscommearmequim’avaluunavertissementdelapolice.

Curieusement,certainspolicierssemblaientpluspréoccupésparlesouciquejecausaisàmonpèrequeparcequim’arrivait.L’und’euxm’aunjourarrêtéesurBerStreet;ilsavaitquej’étaisunemineuresoustutellejudiciaire.Cethommeétaitunamidemonpère,et,manifestement,ilétaitaucourantdetoutcequiconcernaitnotrefamille.Ycomprislefaitquemonpèreaitétéimpliquérécemmentdansuneviolentebagarre.

—Tuattiresbeaucoupd’ennuisàtonpère,m’a-t-ilditenmereconduisantàsonappartement.

Ilparlaitdeluicommes’ils’agissaitd’unhommedouxetgentilquinecomprenaitpaspourquoisafilleavaitsimaltourné.Commentfaisait-ilpournepasserendrecomptequec’étaitmonpèrequim’avaittoujoursmontrélamauvaisevoieetobligéeàfairelespireschoix?

Enchemin,ils’estarrêtéàlafriterieafindeluiacheterunrepas.

—Çaleréconfortera,a-t-ildit.

Aprèsm’êtresisouventdemandépourquoilapolicenes’enprenaitpasplussévèrementàmonpèremalgrétoutcequ’ilfaisait,jen’aitrouvéqu’uneseuleréponseplausible:cedevaitêtreunindic.Maispourrienaumondeiln’auraitreconnuunevéritéaussihonteuse.Danslesmilieuxqu’ilfréquentait,s’ilétaitparfaitementadmissibledemettresafillesurletrottoir,celal’étaitbeaucoupmoinsderenseignerlapolice.

14

Leretourdemamère

Finalement,ladirectiondeWymondhamCollegeaétécontraintedemerenvoyeraucoursdemadeuxièmeannéeàcausedemesfuguesrépétées.

Toutlemondes’estlongtempsmontréindulgentenraisondemesantécédentsfamiliaux,maisiln’étaitpasquestiondelaisserpenserauxautresélèvesqu’ilspouvaients’absenterdupensionnatquandbonleursemblait.Terryaétéexcluquelquetempsplustardpourdesécartsdeconduitemoinsgraves.

C’étaituntrèsbonétablissement,maisnousavionstouslesdeuxbeaucouptropdeproblèmespourpouvoirnousyintégrernormalement.

ÀBreak,jem’étaisfaitunetrèsbonneamiequis’appelaitMel,etj’espéraismaintenantquelesautoritésallaientmescolariserdanslemêmecollègequ’elle,avecuneautreamieprénomméeFiona.

Maislesservicessociauxontchoisidem’inscrireàNorthWalshamGirls’High,àunequinzainedekilomètresdufoyer.Celam’obligeaitàmeleveruneheureplustôtquetouslesautrespensionnairesdeBreaketàprendrelebustouteseule.Pourquoifallait-iltoujoursquejesoistraitéedifféremment,miseà

part,commesij’étaisporteused’unemaladiecontagieuse?

Meletmoiavionsbeaucoupdechosesencommun.Toutd’abord,sonpèreetlemienétaientamis,cequiluipermettaitdecomprendreunpeumieuxquelesautreslemonded’oùjevenais.Sonpèreaussiétaitalcooliqueetavaitbattusamère,cequiavaitprovoquéleplacementdeMeldansunfoyerpourenfants.

ContrairementauxélèvesdeWymondham,elleconnaissaittrèsbienlesproblèmesquej’éprouvais,mêmesijen’avaispasl’impressionquenousfaisionspartiedumêmemondetantjel’admirais.

J’avaissanscessedesconflitsaveclepersonneldufoyer,tandisqueMelavaitl’airparfaitementàsonaise.Toutlemondel’adorait,moiycompris.Elleavaitquelquesmoisdeplusquemoi,maisjelaconsidéraiscommeunepetitesœurquejedevaisprotéger.

Aujourd’hui,jeregrettedenepasm’êtremieuxsentieàWymondham.Sij’yavaispassétoutemascolarité,j’auraisacquisunenseignementetdescompétences.J’auraisaussipucontinueràpratiquerlessportsquej’aimais.

Seulement,jen’étaispasconscientedetoutcelaàl’époque.J’avaissimplementl’impressiondenepasêtreàmaplacedanscepensionnat.Monpèren’apaseubeaucoupd’effortsàfournirpourmeconvaincred’abandonner.Maisoùavais-jevraimentmaplace?Surletrottoiraveclesautresprostituées?Jerefusaisdelecroire.

AprèsmondépartdeWymondham,jen’aiplusjamaisvumacrossedehockey,nimaraquettedetennis,nilecygneenboisquej’avaissculptéencoursd’artsplastiquesavectellementdesoin,semaineaprèssemaine.Lefaitquepersonnen’aitjugébondegardercesobjetspourmelesrendren’afaitquerenforcerlapiètreopinionquej’avaisdemoi.

Àtreizeans,quandjesuisentréeàNorthWalshamGirls’High,jejouaisencorebeaucoupautennis.

Unjour,pendantuncours,j’aicommencéàavoirunmaldeventreépouvantableàcausedemesrègles,jusqu’àenêtremalade.Leprofesseurm’aenvoyéeàl’infirmerie,oùl’onatéléphonéàMmeDavisonpourqu’elleviennemechercher.

Enapprenantqu’onl’avaitdérangéeexprèspourmoi,jemesuissentieencoreplusmaletj’aieupeurdecequiallaitm’arriver.Loindes’enprendreàmoi,elleaétéd’unegentillesseincroyable.Ellem’aramenéeaufoyeretm’apermisdem’allongersuruncanapéavecunecouverturepourregarderletournoideWimbledon.Pourm’aideràallermieux,desmembresdupersonnelm’ontapportédesboissonsaulaitchaudetduparacétamol,medonnantpendantquelquesinstantsl’impressiond’êtreunepersonnedigned’intérêt.Maiscesentimentneduraitjamaislongtemps.Aufonddemoi,jerestaispersuadéequeceuxquimemontraientuntantsoitpeud’attentionnefaisaientqueleurtravail.

AucoursdesmoisquiontsuivimesdébutssurBerStreet,jemesentaissiperdue,siencolèreetsimalheureusequej’aicommencéàmescarifierlesbrasavecdeslamesdecouteauettouslesinstrumentstranchantsquejepouvaistrouver.

Jenecroispasavoireularéelleintentiondemesuicider,mêmesilamortressemblaitpourmoiàl’uniqueportedesortie.Parcegeste,jecherchaisseulementàmefairedumalpourmepunird’êtreunepersonneaussihorrible.Jecroisaussiquejecherchaisàretrouveruncertaincontrôlesurmoncorpset

quejen’avaispasd’autremoyenàmadisposition.Quandlesangcommençaitàcouler,j’éprouvaistoujoursunsentimentdesoulagement,mêmepassager.

Jen’aipascessédem’enfuirpourrejoindremonpère,maisjel’aifaitavecdeplusenplusderéticence.Jemedemandaischaquefoiss’ilallaitmeforceràretournersurletrottoirous’ilallaitpasserleweek-endàabuserdemoi.

Unsamedi,alorsquej’étaisaufoyerdeBreak,j’aireçuplusieurscoupsdetéléphonedeTerryquiétaitallérendrevisiteànotrepère.Àcetteépoque,monfrèren’étaitpasaucourantdecequejevivaisvraiment.TandisquejeparlaisavecTerry,notrepèreaprisletéléphonepourm’annoncerqu’ilsallaienttouslesdeuxpasserlajournéeauborddelameravecKathy,àYarmouth.

—Est-cequetuveuxvenir?m’a-t-ildemandé.

—Jenepeuxpas,ai-jerépondu.

Jesavaisqu’onnem’autoriseraitpasàpasserunejournéeavecmonpère,mêmeenprésencedeKathy.

—Montedansletrain,a-t-ilinsisté.JeteretrouveraiàNorwichetjepaieraitonbillet.

J’airésistépendantquelquesinstantsenluiprésentantmesexcuses,maisjemanquaisdeconviction.

Jemouraisd’enviedeparticiperàcettesortieenfamille,d’autantplusqu’ilsavaitsemontrerextrêmementpersuasifquandilavaituneidéeàl’esprit.

Cen’estqu’enlisantlesrapportsdesservicessociauxdesannéesplustardquej’aidécouvertquelepersonneldeBreaksavaitparfaitementcequisepréparaitcejour-là.Ladirectionad’abordenvisagédeprévenirlapoliceafinqu’onviennemerécupéreràlagaredeNorwich,maisceuxquiétaientresponsablesdemoiontfinalementchangéd’avispourmelaisserpartirentouteliberté.JenemesouviensmêmeplussinoussommesvraimentallésàYarmouth,maisjesaisquemonpèrem’avioléeceweek-end-là.Kathynedevaitpasêtrelà;monpères’étaitservid’ellepourmefairevenir.

Lesoirvenu,ilm’acachéepourquenouséchappionsàlapolice,puis,lelendemain,noussommesallésdéjeunerchezmagrand-mère.Jesuisrestéeencoreplussilencieusequed’habitude,tantjesouffraisqu’ilm’aitdenouveaumentietqu’ilsesoitservidemoi.Jen’avaispaslaforcedemesortirdel’étatdépressifdanslequelilm’avaitplongée.

JenevoulaisniêtrelàavecluiniretourneraufoyerdeBreak,oùjeseraisloindupeudefamillequimerestait.Cedimanche,mescousinsétaientaussichezmagrand-mère,etnousavonspassél’après-mididanslegarage,àl’écartdesadultes.Nousn’avionsriendeparticulieràyfaire,et,enraisondemonhumeursinistre,l’atmosphèremeparaissaitencoreplusétrangequed’habitude.

J’aifinalementdécidémoi-mêmederetourneràBreakdanslasoirée,tantj’avaisbesoindeconfiermadétresseàquelqu’un.J’airacontéàmonamieMeltoutcequis’étaitpassé,ycomprisleviol.Sonpèreavaitbeauêtrealcooliqueetviolent,ilneluiavaitapparemmentjamaisfaitsubircegenredechoses,carelleaétéépouvantéeparmesconfidences.

Elleaaussitôtprévenuunmembredupersonnel,quiaappelélapolice.Jenesauraisdiresic’étaitcequej’avaisespéréousij’avaisseulementvoulupartagerunsecretavecelle.Sansdouteétais-jetiraillée

entredeuxsentiments,commecelam’arrivaitsisouvent.Quoiqu’ilensoit,despolicierssontarrivésaufoyeretontdéclaréque,pourobtenirdespreuvesvalablesdevantuntribunal,ilsdevaientmefaireexamineravantquequarante-huitheuresnesesoientécoulées.

—Cettefois-ci,m’ont-ilsassuré,nousallonsvraimentpouvoirlecoincer.

Jenesavaisplusquoipenser.Unepartiedemoiétaitprêteàtoutpourquemonpèrecessed’abuserdemoi,maisuneautreredoutaitdelevoirpartirenprison.Plusquetout,jecraignaisquecettenouvelletrahisonnel’amèneàmedétester.

Lanuitétaittombéequandjesuisarrivéeaupostedepolice.Meln’avaitpasétéautoriséeàm’accompagnerparcequ’elleétaittropjeune.Onm’afaitpasserdesexamensmédicaux,puisonm’ademandédecracherdansuntube,carmonpèrem’avaitembrasséependantlerapportetilrestaitpeut-

êtredestracesdesasalivedansmabouche.

J’étaissiangoisséeaucoursdessemainesquiontsuiviquemesrèglesontprisduretard,sibienquej’aidûfaireuntestdegrossesse.Laseuleidéed’êtreenceintedemonpèremeterrifiait,mais,parchance,c’étaitunefaussealerte.

Quandlapoliceafaitremarqueràmonpèrequej’avaiseudesrapportssexuelsalorsquej’étaissoussaresponsabilité,ilarécitél’histoirequ’ilavaitpréparée.

—Elleadûcoucheravecundesescousinsdanslegarageledimancheaprès-midi,a-t-ilprétendu.

Chezmamère.

Sesmensongesmemettaienthorsdemoi.Commentosait-ilmefairepasserpourunesorted’obsédéesexuelleprêteàdireouiàn’importequi?Ilétaitvraimentprêtàtoutpourseprotéger!J’étaiscertainequelesrésultatsdesexamensprouveraientsaculpabilité,maisjen’enaiplusjamaisentenduparler.

Personnen’ajugéutiledemelescommuniquer,etcen’estquedesmoisplustardquej’aiapprisquelapoliceabandonnaitlescharges.Sanslamoindreexplication.

Monpère,lui,aprétenduqu’onavaittrouvélasemencedeplusieurshommessurmoncorps,cequiprouvaitquej’avaismultipliélesaventuresceweek-end-là.Aprèsdesmoisd’angoisse,j’étaisdésespéréed’apprendrequelesautoritésm’avaientabandonnée,unefoisdeplus,etquemonpèreétaittoujoursaussienclinàdiredeshorreurssurmoi.

Pourlui,toutcelan’étaitqu’unjeu.Ilsevantaittoujoursdesavoirmanipulerlesservicessociaux,et,malheureusement,c’étaitvrai.Aujourd’hui,jemedemandesilapoliceaabandonnéleschargescontreluienéchangederenseignements,mais,hélas,jenelesauraijamais.Pourrienaumondeilnelereconnaîtrait,mêmesic’étaitlavérité.

Unjour,àl’âgedequatorzeans,jemetrouvaisdanslacuisinedufoyeràcôtédupasse-platetjeparlaisavecquelqu’unquisetenaitdel’autrecôté.L’immensebouilloireavaitétérempliepourlapréparationdenosboissonschaudesdusoir,etlesflammesdelagazinièreléchaientlesparoiseninox.

Ensentantunebrûluredansmondos,jemesuisbrusquementretournéepourdécouvrirquelechemisier

quejeportais(etquej’avaisemprunté)étaitenfeu.

Terrifiée,jemesuismiseàcourirenhurlant,etl’undesmembresdupersonnelm’arattrapéedanslecouloirpourm’attirerdehorsetmefairetomberdanslaneigeafind’éteindrelefeu.J’aipasséunesemaineàl’hôpital,couchéesurleventre,ledoscouvertdecloques.

Unefoissortie,j’aidûporterungrospansementdeouatequimedonnaitl’impressiond’êtreencorepluslaideetrepoussante.Lesmédecinsm’ontavertiequejegarderaisdescicatricestoutemavie,mais,finalement,touteslestracesdecetaccidentontdisparuavecletemps.

Peuaprèscela,monpèreadenouveauétéenvoyéenprisonpouruneaffairequin’avaitrienàvoiravecmoi.TerryetmoinousétionshabituésàvivreaufoyerdeBreak,maisjeressentaistoujoursunmanqueprofond.J’avaisenvied’avoirunefamillequineselimitepasàunpèreetunfrère.

J’avaisbeauadorerleseulparentquimerestait,j’avaistoutdemêmefiniparcomprendrequejenepourraisjamaiscomptersurluietqu’ilmeforceraittoujoursàfairedeschosesquejedétestais.

QuantàTerry,ilneméritaitpasdesupportertousmesproblèmesenplusdessiens.Jen’avaispasledroitdemereposersurluialorsqu’ildevaitsurmonterlamêmesituationfamilialequemoi.Melavaitfiniparluidirequenotrepèrem’obligeaitàmeprostituerpourlui,cequil’avaitmisdansuneragesansprécédent.Ilvoulaitprendreuncouteauetallerletuerdesespropresmains.Envoyantsaréaction,j’aicomprisqu’ilétaitinjustedeluifairesubirunetellepression.

J’aidoncdemandéauxservicessociauxdecontactermamère.Monpèreétantenprison,j’aipenséqueceseraitplusfacilepourelledevenirnousvoir.Jemouraisd’enviedelarencontrer,carjen’avaisaucunsouvenird’elle.Jem’étaisdonnédumalpournepasladétesterdenousavoirabandonnésetj’étaisdésormaiscurieusedesavoiràquoielleressemblaitetpourquoiellen’avaitjamaisessayéd’entrerencontactavecnousduranttoutescesannées.J’imaginaisquenousaurionsbeaucoupdechosesencommundésormais,puisquemonpèrenousavaittouteslesdeuxtraitéesdelamêmefaçon.

Lesagentsdesservicessociauxm’ontpromisdefaireleurpossible,etilssontparvenusàretrouversatrace.Elletravaillaitdansunhôteld’Eastbourne,surlacôtesud,ethabitaitchezuneamie.Ilssontentrésencontactavecelleetluiontapprisquenoussouhaitionslavoir.

Àmagrandesurprise,elleaacceptédenousrendrevisiteaufoyerdeBreak.Toutlemondeétaittrèsexcitéetnerveuxlejourdesavenue.Iln’arrivaitpassouventquedespensionnairesretrouventleurmèreaprèshuitansdeséparation.Quandelleestarrivée,lepersonnell’ainstalléedanslesalonavantdevenirnouschercher,Terryetmoi.

Jenesaispascequej’avaisespéréendemandantcetterencontre.Qu’ellefondeenlarmesetmeserredanssesbrasenmedisantcombienjeluiavaismanqué?Qu’elleexprimesesregretsdenousavoirabandonnés?Entoutcas,j’avaissansdouterêvéderessentirunlientrèsfortavecelledèsquejelaverrais.Jedevaisimaginerqu’entreunemèreetsafille,celiendevaitrésisteràdesannéesd’éloignement.

Quandjesuisentréedanslesalonoùellenousattendait,jen’aipaséprouvélamoindreémotionenlavoyant.Lesservicessociauxauraientpufairevenirn’importequellefemmechoisieauhasarddanslarue,celan’auraitfaitaucunedifférenceàmesyeux.

Encomparaisondesdescriptionsélogieusesdenotrepère,ellem’aparuexcessivementordinaire.

Elleneressemblaitpasdutoutàlafemmesublimedontiln’avaitcessédenousfaireleportrait.J’avaiseuenviedecroireàlabeautéexceptionnelledemamère,d’autantquemonpèren’avaitpasétéleseulàlalouer.D’autresgensquil’avaientconnuenousparlaientsouventd’elledanslesmêmestermesquelui,ajoutantqu’elleavaitforméavecmonpèreuncouplequetoutlemonderemarquait.

C’étaitsansdoutecettefemmejeuneetsuperbequejem’étaisattendueàrencontrer,etnoncellequisetenaitdevantmoi,uséeparlavieetparéeseulementdesvêtementsetdumaquillagequ’elleavaitpus’offriravecsonsalaired’employée.

Peut-êtreavais-jeimaginéqu’ellenousavaitquittéspourvivreuneexistenceplusromantique,loindeslogementssociauxetdescorvéesdomestiques.Siellen’avaitpasfuipouruneviemeilleure,pourquoiétait-ellepartie?Était-cesiterribledevivreavecnouspourqu’elleaitpréférétravaillercommefemmedechambreoucommevendeusesansmêmepouvoirs’offrirunlogement?Lesquestionsquim’assaillaientétaientsinombreusesquejen’aipastrouvélesmotspourluiparler.

—Est-cequetuveuxunetassedethé?luiai-jeproposépourromprelesilencegênantquis’installait.

—Oui,s’ilteplaît.

—Tuprendsdusucre?

Leseulfaitdedevoirposercettequestionàmapropremèrem’abouleversée.Celamerappelaitquenousn’étionsquedesétrangèresl’unepourl’autre.Macolèreenverselles’estréveilléed’uncoup;jeluienvoulaistellementden’êtrejamaisentréeencontactavecnous,denepasnousavoirpermisdelaconnaître.

C’étaientsesparentsquil’avaientconduitejusqu’ànous.Aprèsl’avoirdéposéeaufoyer,ilsétaientallésl’attendredanslecentre-ville.Quandellenousaproposédelesrevoir,j’aiacceptéavecenthousiasme.Peut-êtrecorrespondraient-ilsdavantageàl’imageidéaliséequej’avaisd’eux…Nousavonsdoncprisàpiedlechemindelaville.Toutenmarchant,elleasortiunpaquetdecigarettesetnousenaoffert.

J’avaisbeaufumerdepuisl’âgedeonzeans,jesavaisquec’étaitpourlemoinsétrangepourunemèrededonnerdescigarettesàsesenfants.Detouteévidence,cen’étaitpasuneattituderesponsable.Nousn’avionspasbesoindedeveniramisavecelle,c’étaitunemèrequinousmanquait!

Biensûr,nousavonsquandmêmeacceptélescigarettesqu’ellenousoffrait,caronnouslaissaitrarementfumeraufoyer.Aprèscela,nousavonseuencoreplusdemalàlavoircommelamèredontnousavionsrêvé.Toutefois,Terrys’estmontrémoinscyniquequemoi.Sijesuisrestéesurmesgardespendanttoutelajournée,monfrère,lui,n’apascachésajoiedelarevoir.

Quandnoussommesarrivésenville,magrand-mèrem’adonnéelleaussil’impressiond’êtreuneinconnue.Curieusement,j’aitoutdesuitereconnumongrand-père.Jenelesavaispasàl’époque,mais,apparemment,ilavaiteuunfaiblepourmoiquandj’étaispetite.J’aiapprisplustardque,quandmamèrenousavaitquittés,ilavaitessayédelarassurer.

—Net’inquiètepaspourcettepetitefille,luiavait-ildit.Elles’ensortira.

Jemesuissouventdemandécequiavaitbienpuluifairepenserça.Et,surtout,pourquoin’a-t-iljamaisprisdenosnouvellesaprèsledépartdenotremère?Peut-êtrel’a-t-ilfaitsansquenouslesachions.

Aprèshuitansdesilencetotal,notremèreaeutoutàcoupl’airdevouloirnousprendreencharge.

Commenotrepèreétaitenprison,elleenvisageaitdereveniràNorwichentoutesécuritéetdetrouverunlogementpournoustroisafinquenousvivionsheureuxenfamille.Jen’arrivaispasàcroirequecelasoitaussifacileaprèstantd’années.Pourquoin’avait-ellepaspriscettedécisionplustôt?Cen’étaitpaslapremièrefoisquenotrepèrepurgeaitunepeinedeprison;lesoccasionsavaientmêmeéténombreuses.

Néanmoins,jemesuisbiengardéededirequoiquecesoit,depeurdeluifairechangerd’avis.J’avaisenviequesesprojetsseréalisent.Elleapréciséqu’elledevaitd’abordretourneràEastbournepourprendrecongédesalogeuseetdesonemployeuretpourrécupérersesaffaires.

Aprèssondépart,jemesuisrenducomptequeladéceptionquej’avaisressentieaupremierabords’étaitdissipée.J’étaisfolledejoieàl’idéedepasserdorénavantplusdetempsavecelle.

Quoiqu’ilaitpusepasser,ellerestaitnotremèreet,siellerevenaitauprèsdenous,nousallionsenfinrenoueravecnotrefamille.Peut-êtrequenousallionsenfintrouvernotreplaceennousinstallantavecelle.Nousnoussentionssiseulsenl’absencedenotrepère,privésdetoutefamille…Jerêvaisdefairepartied’unvéritablefoyer.

DeretouràBreak,j’ailonguementdiscutédetoutcelaavecMel.Plusj’enparlais,plusj’étaisimpatientederevoirmamèreetd’apprendreàlaconnaître.Unesemaineaprèssavisite,nousavonsdécidétouteslesdeuxdenoussauverpourallerlaretrouveràEastbourne.J’imaginaisqu’elleseraitaussiraviedemevoirquel’inverse,maisaussiflattéequenousnoussoyonsdonnétantdemalpourlarejoindre.

Noussommessortiesdel’enceintedufoyersanstropdemal,puisnousnoussommesdirigéesverslesud.Cen’estqu’enarrivantàdestinationquenousnoussommesrenducomptequ’Eastbourneétaitunegrandeville.Ornousnesavionsnioùellehabitaitnioùelletravaillait.Enoutre,ilyavaitcejour-làunesortedecarnavalquidéfilaitdanslarue,sibienquenousavionsencoreplusdemalànousrepéreraumilieudelafoule.Faisantduporte-à-portedanstousleshôtelsquidonnaientsurlefrontdemer,nousavonsfiniparlatrouver.

—Noussommesvenuesterendrevisite,ai-jeditquandonnousamenéesàelle.

J’étaisfièred’avoireffectuécelongvoyageetjecroisquej’espéraisencorequ’elleseprécipiteraitversmoipourmeserrercontreelle.Ouaumoinsqu’elleseraittouchéeparmadémarche.

—Tut’essauvée,m’a-t-elleditsèchement.Tupeuxfairedemi-touretrentreraufoyer.

Sesmotsm’ontfaitl’effetd’unegifle.Finalement,ellenousapermisàcontrecœurderesterpourleweek-endavantdenousrenvoyeràNorwich,mais,detouteévidence,notreprésenceladérangeait.

Quandnoussommesrentrées,j’aisubitouteslesremontrancesdupersonneldeBreakquim’areprochéd’avoirentraînéMeldansmafugue,alorsquenousavionspriscettedécisionensemble.

Maisj’avaisl’habituded’êtreaccuséedetouslesmaux.Aucunedenousdeuxn’auraitentrepriscetteescapadetouteseule,maisjenel’avaispasmenacéepourqu’ellem’accompagne.Aucontraire,c’était

ellequiavaitdel’influencesurmoietnonl’inverse.Terryéprouvaitlesmêmesproblèmesquemoi,endossantlaresponsabilitédefautesdontiln’étaitpasforcémentleseulcoupable.Notreétiquetted’«enfantsàproblèmes»favorisaitlesaccusationscontrenous,tandisquelesautrespensionnairessemblaienttoujoursbénéficierdecirconstancesatténuantes.

Unjour,alorsqueMelétaitderetouraufoyeraprèsunepériodedevacances,sonétatdépressifl’aconduiteàfaireuneoverdose.Envoyantl’attentionqu’onluiportaitàlasuitedecetévénement,j’aidécidédefairelamêmechosequelquessemainesplustard,exactementcommelejouroùj’avaisimitélegarçonquiavaitmissachambreàsacauxDurdan.

J’avaisréussiàcollecterplusieurscomprimésdeparacétamolenprétextantdesmauxdetêteoudesrèglesdouloureuseset,unsoir,jelesaitousavalésd’uncoup.Jenemesouvienspascombienilyenavait.Manifestement,lenombren’étaitpasconsidérable.Jen’aibiensûrpasbénéficiédelamêmecompréhensionqueMel.Ons’estmoquédemoienmedisantqu’ilétaittempsquejemereprenneenmain.

J’avaisquatorzeans.Aprèscetteprisedemédicaments,j’aibiendûfairedixoudouzevéritablesoverdoses.Enavalantdesquantitésdecomprimés,j’espéraistoujoursmettrefinàmesjours,maisjechangeaissystématiquementd’avisauboutdequelquesinstants.

Moninstinctdesurvieprenaitledessus.Enmerendantcomptequejenevoulaispasvraimentmourir,j’étaisprisedepaniqueetjem’empressaisdeprévenirquelqu’un,commel’avaittoujoursfaitmonpère.

Alors,onappelaitunmédecinenurgence.Unefoisqu’onm’avaitfaitunlavaged’estomac,ilnemerestaitplusquelahonteetuneabsencetotaled’amour-propre.

Quelquessemainesaprèsnosretrouvailles,notremèreestrevenues’installeràNorwichafinquenouspuissionsvivreavecelle.Lamunicipalitéluiafourniunlogementsocial.C’étaitunecharmantemaisonquicomportaittroischambres.Enfin,j’avaisl’impressionquenousallionsmenerunevéritableviedefamille.Lesservicessociauxontmeubléetdécorélamaisonetsesontmisenquatrepournousaideràprendreensemblelemeilleurdépartpossible.

Pleinsd’espoir,TerryetmoiavonsquittélefoyerdeBreakpouremménageravecnotremère.Entre-temps,ellenousavaitannoncéqu’elleétaitenceinted’unhommequ’elleavaitconnuàEastbourne,maisilestbientôtdevenuévidentqu’ilnes’occuperaitpasdecetenfant.Malgrénotreoptimisme,lesmauvaisprésagescontinuaientàplanerau-dessusdenous.

15

Leprixdupassé

Endépitdetoutesnosbonnesintentions,Terry,mamèreetmoiavionsfortpeudechancesdeconstruireunerelationnormaleaprèsunesilongueséparationettantd’épreuvesaccumulées.Notrenouveaufoyerarésistétrèsexactementsixsemainesauxtensionsetauxconflitsincessants.Jeveuxbiencroirequenotremèrenousaittrouvésinvivables.Pendanthuitans,ellen’avaiteuàsepréoccuperqued’elle-même,etvoilàqu’elleseretrouvaitavecdeuxadolescentsdifficilesqu’elleconnaissaitàpeineetquientretenaientenverselleunerancœurtenace.Néanmoins,nousavonsétéinfinimentdéçusqu’elles’avouevaincueaussirapidement.

Nousavionsencorechangéd’écoleafindenousrapprocherdenotrenouveaulogement,etjerefusaiscatégoriquementd’yallertantjeredoutaisdedevoirm’intégrerunefoisdeplusàungrouped’inconnus.

J’étaislassedeluttersisouventpourmefaireuneplace,defairefacesanscesseàdenouvellesrailleriesetdedevoirencoreetencoreimposermadomination.Voulantseulementqu’onmelaissetranquille,jepassaismesjournéesenvilleavecdesamis.Nousbuvions,nousnousfaisionsremarquer.

Enfin,jepouvaism’amuserunpeu.Lavolontédemamèred’exercersonautoritéparentaleprovoquaitdenombreusesdisputesàlamaison.Pourluirésister,jen’airientrouvédemieuxquedemetailladerlespoignetsetdefaireunenouvelleoverdosedemédicaments.Lesservicessociauxontétéalertés,etmamèreaétéforcéedereconnaîtrequ’ellenes’ensortaitpas.

Cetteexpérienceayantéchoué,Terryetmoiavonsdenouveauétéplacés.J’étaisdésespéréedevoirmonrêves’effondrer.Commesicelanesuffisaitpas,onm’aannoncéquej’allaisêtreséparéedemonfrère.Onm’aemmenéedansunétablissementdunomdeBramertonLodge,tandisqueTerryaétéinstallédansuneaubergeoùildevaitapprendrel’indépendance.

JenecomprenaispaspourquoionnenousramenaitpastoutsimplementaufoyerdeBreak.Toutlemondesemblaitm’abandonnerenmêmetemps.Jesaisbienquemoncomportementn’étaitpasbrillant,maisn’était-cepasàmoi-mêmequej’avaisfaitleplusdemalenmescarifiant,enavalantdescachets,enmeprostituantetenbuvantdesquantitésd’alcool?Jenecessaisd’appelerausecoursetpersonnenemerépondait.

Bramertonétaitunpensionnatdédiéauxenfantsendifficulté,situéenpleinecampagne,àquelqueskilomètresdeNorwich.C’étaitlelieudeladernièrechancepourlescascommelemien,l’étapesuivanteétantlamaisonderedressementoulaprison.Avecsesbarreauxauxfenêtres,lebâtimentétaitterriblementmenaçant.Jedevaisinitialementydemeurersixsemaines,enattendantquelesautoritésdécidentdemonsort.J’yaifinalementpasséleplusclairdestroisannéesquiontsuivi,avecnéanmoinsdenombreusesinterruptions.

Cetétablissementétaitcomplètementdifférentdetousceuxquej’avaisconnus.L’encadrementyétaittrèsstrict,nousétionssurveilléschaqueinstant.Dèslepremiersoir,jesuisentréedanslasallecommuneenmefaisantremarquer.

—Commentjefaispoursortirdecetrou?ai-jeclaméhautetfort.

Lesautresélèvessesontmisàrireavantdem’annoncerqu’iln’yavaitaucunmoyendes’échapper.

Lesmesuresdesécuritéétaientbientropfortes.J’allaisleurprouverplustardquelesbarrièresqu’ilscroyaientinfranchissablesnel’étaientpaspourmoi,maisjemesouviensdem’êtresentieàlafoisseuleeteffrayéeencomprenantquej’étaisenfermée.Qu’allais-jedevenirdanscetenfer?

LepaysagequientouraitBramertonétaitravissant,avecsespetitsvillagesoùlesgensavaientl’airdemeneruneexistenceidyllique,siéloignéedelamienne.Àmesyeux,cetteécoleavaiteneffettoutd’uneprisonpourenfants.J’étaissansarrêtmiseenisolementetpuniepourdesinfractionsaussibanalesquelapossessiond’unbriquet.Pourallumernoscigarettes,nousétionscensésnousadresseràunmembredupersonnel.

Ladirectiondevaitcraindrequenousmettionslefeuaubâtimentsansserendrecomptequenouspouvionsaussibienlefaireavecunecigaretteallumée.Certainsaspectsdecetendroitétaientmoinsdétestablesqued’autres,commelesquelquescigarettesqu’onnousfournissaitgratuitement.

Enrevanche,j’avaisenhorreurl’écoleinstalléedansl’enceintemêmedupensionnat.Lesélèvespassaientleurtempsdansdesateliersàfabriquertoutessortesdechosesinutiles,medonnantencoreplusl’impressiond’êtredesprisonniers.Leprofesseur,lui,avaittoutl’aird’unsurveillantpénitentiaire.

Lessixpremièressemainesquej’aipasséeslà-basdevaientdonnerletempsauxautoritéscompétentesdetrouverunautreendroitoùm’installer.Seulement,ils’estavéréquepersonnenevoulaitdemoi,cequin’estpasdifficileàcomprendre.

Mondossieravaitdequoifairepeur.Toutlemondesavaitdésormaisquejemeprostituais,maisaussiquejepassaismontempsàm’enfuirpourretrouvermonpère,quiétaitlasourcedetousmesproblèmes.

Sijemesauvaisaussisouvent,jepensequecen’étaitpasuniquementparcequemonpèremeledemandait.J’imitaismamère.Et,puisquejenemesentaisnullepartàmaplace,jen’avaisaucuneraisonderésisteràlatentationdepartir.

Malgrémesinnombrablesdésillusions,jecontinuaisàchercherl’endroitoùjeseraisbien.Mais,commejenem’étaisjamaissentiechezmoiailleursquechezmonpère,jem’obstinaisàyretourner,mêmesijeconnaissaisparfaitementleshorreursquim’yattendaient.

Lesservicessociauxavaientessayéàmaintesreprisesdem’intégrerausystèmescolaireclassique,mais,chaquefois,jedécidaisdedétesterl’établissementqu’ilsavaientchoisipourmoietjepassaismesjournéesàtraînerdanslespubsavecungrouped’amis.

C’estpourcetteraisonquejemesuisretrouvéeàBramerton.Seulement,contrairementàcequem’avaientditlesautresélèves,iln’étaitpassidifficiledes’enéchapperetj’aicontinuéàallerretrouvermabandeenvilleaulieudesuivrelescours.

PeudetempsaprèsmonentréeàBramerton,j’aientaméunerelationavecunhommequiavaitpresquevingtansdeplusquemoi.Pourquoiya-t-iltantd’hommesattirésparlesjeunesfillesconfiéesàl’assistancepublique?Ilm’amêmedemandéenmariageenm’offrantunebaguedefiançaillesqu’ilavaitchoisiesurlecataloguedebijouxdesapetiteamie.

Endehorsdufaitquejen’aieeuquequatorzeans,peut-êtreaurait-ilpuêtrealertéparlescrisdepaniquequejepoussaisdèsqu’ilessayaitdecoucheravecmoi.Lesrapportsdesservicessociauxfontétatdemesmœurslégèresdel’époque,mais,enréalité,j’avaislesexeenhorreur.

Aujourd’hui,ilmesembleévidentquec’étaitunefigurepaternellequejerecherchaisenfréquentantdeshommesmûrs.J’avaisbesoind’êtreaiméeetprotégée,etmaquêtenecessaitdememeneraumauvaisendroitetauprèsdesmauvaisespersonnes.

Endécembredecetteannée-là,mamèreadonnénaissanceàmonpetitfrère,Adam.Jesuisalléeleurrendrevisiteàl’hôpitalavecmonnouveaupetitami.Entremamèreetmoi,lesrapportsétaienttrèstendus.Jecroisquenousnenousétionsmêmepasadressélaparoledepuisl’échecdenotrevieàtroisavecTerry.

Parconséquent,cesretrouvaillesontétépourlemoinsparticulières,maisjen’avaisjamaisrienvud’aussiadorablequelebébéqu’ellevenaitdemettreaumonde.Jel’aiaimépassionnémentàlasecondeoùjel’aivu.C’estalorsquej’aiimaginéàquelpointceseraitmerveilleuxd’avoirunbébérienqu’àmoi.

Hélas,jen’aipastardéàcomprendrequejen’étaispaslabienvenuechezmamèreetqu’iln’étaitpasquestionquejefassepartiedesavienidecelled’Adam.Elleétaitpartiequandj’avaissixans.Depuiscejour,ellenenousavaitpasenvoyéuneseulecartepostale.Aprèsnosretrouvaillesetnotresecondeséparation,j’aiespéréquenousallionsresterencontact,mais,leNoëlsuivant,lacartequej’attendaisn’estpasarrivée,etj’aicomprisqu’ellenevoulaitpasdemoi.

Elleavaitditqu’elleétaitdécidéeàêtreunebonnemèrepourAdam,qu’ellenevoulaitpasreproduireavecluileserreursqu’elleavaitcommisesavecsesautresenfants.Jepeuxaffirmerentoutehonnêtetéquejen’aijamaisétéjalousedemonpetitfrère.Cen’étaitpasàluiquej’envoulais,maisàelle.

Dèsl’instantoùnousavonsquittésanouvellemaison,ellearomputoutcontactavecnous,demanièreaussiradicalequ’ellel’avaitfaitlapremièrefoisqu’elleétaitpartie.Nousn’avonsreçunicarte,nicoupdetéléphone,nilettre,nilamoindrevisite.C’étaitcommesinousavionsdenouveaucesséd’existerpourelle.Jeluiaiécrit,maisellenem’ajamaisrépondu.Sansdoutevoulait-elleprendreunbondépartavecsonbébésanslaissersonpassévenirsalirleurvie.

C’estàcetteépoquequej’aiperdutoutevolontédem’ensortir.Jen’avaispluspersonne;mêmemonfrèreavaitétééloignédemoi.Lesservicessociauxm’avaientannoncéqu’aucunfoyernevoulaitdemoi.

J’avaislesentimentquetoutlemondem’avaitabandonnée,mêmesijemerendscompteaujourd’huiqu’ilsfaisaientsûrementleurmaximumpourm’aider.Seulement,leproblèmequejereprésentaisétaitpresqueinsoluble.

L’évasionétaitdevenueunehabitude.Dèsquel’occasionderetrouvermonpèreoumesamiss’offraitàmoi,jelasaisissaissanshésiter.Toutadulteayantl’habitudedesadolescentsendifficultéauraitalorsdevinéquejebuvaisbeaucoup,maisaussiquej’avaiscommencéàmedroguer.LesgensquejefréquentaisàBramertonn’avaientpasunebonneinfluencesurmoi.C’estaveceuxquej’aiapprisàreniflerdelacolleetdesaérosols.

Dedouzeàdix-huitans,aucunélèvenevoulaitdirenondepeurd’êtretraitédemauviette.Jen’aijamaisaiméça,surtoutlacolle,carl’effetneduraitquequelquessecondesetjedevaisensuitesupporterunaffreuxmaldetête.Jepréféraislesaérosols,maisseuleslesvraiesdroguespouradultesmeplaisaientvraimentquandj’arrivaisàm’enprocurer.Avecmabanded’amisducentre-ville,j’aicommencéparfumerducannabisavantdedécouvrirlesamphétamines,quej’aicontinuéàconsommerpendantdesannées.

D’unemanièregénérale,jememontraishostileenversquiconqueessayaitdemedirecequejedevaisfaire.Latyrannietraumatisantedemonpèreavaitdûmerendreréfractaireàtouteautorité.Sil’ons’adressaitàmoiavecgentillesse,jesavaismemontrercoopérative,maislesgensquitravaillaientàBramertonn’avaientsouventniletempsnil’enviedefairepreuvededouceur.Parconséquent,mesrapportsaveceuxétaientpourlemoinsconflictuels.M.etMmeMcquarrie,quidirigeaientl’établissement,ontcommencépargarderleursdistancesavecmoi.J’étaistoujoursnerveusequandilsmeconvoquaientàcaused’unefrasqueoud’uneautre.M.Mcquarrieavaituneprestanceprofessoralequi

inspiraittoutdesuitelerespect.

Laplupartdutemps,j’étaislapremièrevictimedelacolèrequibouillaitenmoi.Jecontinuaisàmescarifieretàfairedesoverdosespardégoûtdemoi-même.Ilm’arrivaitaussi,assisedansmonbain,demefrotterlapeauaussifortquepossible,jusqu’ausang,avecunebrosseetunproduitàrécurer.

Certainesfillesdupensionnatétaientanorexiquesouboulimiques.Commej’étaisaussiconvaincuequ’ellesd’êtretropgrosse,j’aivoululesimiterenessayantdemerendremaladeaprèslesrepas.

Maisjen’ysuisjamaisparvenue.J’avaisbeaum’enfoncerlesdoigtsdanslagorge,jenefaisaisquetoussersanspouvoirmedébarrasserdecequej’avaismangé.Jetrouvaismoncorpsaffreuxparcequemonpèren’avaitcessédemerépéteràquelpointilétaitlaid,etparcequejelevoyaiscommeunemarchandisevendueàbasprixetutiliséeparquiconquedisposaitd’unedizainedelivresetdequelquesminutes.

ÀBramerton,lesfillesavaientprisl’habitudedesetatouermutuellementavecdesaiguillesetdel’encredeChine.Lepersonnelneprêtaitpasd’attentionàcegenredepratique,bienanodinesencomparaisondestentativesdesuicideetdesincendiesvolontaires.

J’aimoi-mêmetatouélemot«papa»surmonavant-bras,carj’avaisencorelesentimentd’êtreliéeàluiàtoutjamais.J’aicommencéparlefaireavecuneaiguilleetdel’encre,mais,celaprenanttropdetempsàmongoût,j’aifinienm’entaillantgrossièrementlapeauavecuncutter.

Jen’avaispasoubliélejouroù,àl’écoleprimaire,j’avaisréussiàmefairecraindredesautresélèvesenmebattant.Depuislors,j’entretenaismaréputationpartoutoùjepassais.ÀBramertonaussi,j’étaissoucieusedemefairerespecterpournejamaisdevenirlacibledesmoqueriescommejel’avaisétéautrefois.Jenevoulaisplusêtreunevictime.Jevoulaismelibérerdel’emprisedemonpèreetdeshommestelsquePeterquiavaientfaitmonmalheur.Plusjamaisjenevoulaismevendreauxclientsdansleursbellesvoitures.Jedétestaislaviolence,maisj’avaistoutdesuitecomprisqu’aumilieudesdélinquantesdeBramerton,j’allaisdevoirdéployerdegroseffortspourmefairerespecter.Avecletemps,j’aifiniparprendrelaplacededominantauseindugroupe,notammentenraisondemonancienneté,maisaussigrâceàlaforcedemespoings.

J’avaisfaitensorted’asseoirtrèstôtmaréputationenmontrantquej’étaistoujoursprêteàmebattresionm’ypoussait.J’aidûmemontrerconvaincante,car,aprèscela,jen’aipresquejamaiseubesoindedonnerdescoups.Ilmesuffisaitdemenacermesadversairespourleurfairepeur.

Néanmoins,jemetenaisprêteàfairemespreuvesàtoutmoment.Chaquenouvellepensionnairen’hésitaitpasàmedéfierdanslebutdeprendremaplace,maisj’étaisdécidéeàmedéfendrecoûtequecoûte.

Pourmapart,jenem’enprenaisjamaisauxautressansraison.Iln’étaitpasquestionpourmoidechoisirunsouffre-douleurplusfaiblequemoi.Aucontraire,j’étaisplutôtcellequ’onvenaitvoirpourseconfier.

Mais,detempsentemps,j’étaisobligéed’affirmermonautoritéfaceàcellesquivoulaientlaremettreenquestion.Jevoyaisbienquelesautresfilles,àl’affûtd’unsignedefaiblesse,mesurveillaientsanscesse.

J’étaisàBramertondepuisquelquesmoisquand,jenesaispluspourquelméfait,unenouvellepensionnairem’adénoncéeaupersonnel.Dèsquelesautresfillesl’ontsu,ellesl’ontavertiequej’allais

venirluidonnerunebonnecorrectiondèsqueleslumièresseraientéteintes.Ellesavaientl’airàlafoisfièresdemontempéramentetimpatientesdemevoirpunircettearrivistepoursonerreur.DansunétablissementcommeBramerton,ladénonciationétaitconsidéréecommeunpéchécapital;jesavaisdoncqu’unesanctiondemapartétaitinévitable.J’espéraisseulementque,sijem’approchaisd’elleavecuneattitudeassezagressive,elleauraitpeuretmeprésenteraitsesexcuses,prouvantparlamêmeoccasionqu’ellen’avaitaucuncourage.

Jem’entireraisalorsavecdesmenacesetsansviolencephysique.Toutefois,lesregardsméprisantsqu’ellem’adressaitetletonmoqueurdesavoixmedonnaientlesentimentqu’ellen’allaitpasselaisserimpressionneraussifacilement.

J’étaismaladed’appréhensionenentrantdanssachambrecesoir-làavecungroupedefillesgalvaniséesparl’événement.Jeredoutaisd’avoiràmebattreavecelle.Envoyantavecquellearroganceellenousattendait,j’aicomprisqu’ellevoulaitvraimentprendremaplaceauseindugroupeetqu’ellen’allaitpasreculermaintenant.Commemoi,elletenaitàaffirmersadomination,etnoussavionstouteslesdeuxquelamoindretentativederéconciliationpasseraitpourdelalâcheté.J’aicomprisquej’allaisdevoirutiliserlaviolence.

Agissantdansl’urgencedumoment,j’aispontanémentsaisiunmorceaudeverrecassépourlamenacerdeluientaillerlevisage.Mais,toutenl’agressant,jepriaisintérieurementpourqu’ellesesoumetteetquejen’aiepasbesoind’allerauboutdemongeste.Laperspectivedemettremamenaceàexécutionmeterrifiait.J’auraispréférémecontenterdeluidonnerdescoupsdepoing,mais,maintenantquejebrandissaismonarmedefortune,ilétaittroptardpourmeradoucir.

Lesautresfilles,avidesdesang,m’encourageaientcommeunehordedesupportersenfurie.Àmesurequelessecondess’écoulaient,ellescommençaientàm’accuserdefaiblesse.Siseulementj’avaispum’ensortirsanslablesser!Maisc’étaitallétroploin.Etl’enjeuétaittropimportantpourmoi.Lecœurbattant,prised’unepousséed’adrénaline,j’airéagisansprendreletempsderéfléchir.J’aibrandimonmorceaudeverreetl’aiattaquée,visantsamainàlaplacedesonvisage.Siseulementj’avaiseulecouragederenoncer,delaissertombermonboutdeverreetdem’enaller…

Maisc’étaitau-dessusdemesforces.Commelesangsemettaitàcouleràflotsdesamain,elleapoussédeshurlementstandisque,dansunmouvementdepanique,lesautresfillesalertaientlepersonnel.

Elleaétéconduiteenurgenceàl’hôpitalpourqu’onluifassedespointsdesuture.Quantàmoi,j’aiétéenferméeàclédansunepetitepiècedurez-de-chaussée.

L’undessurveillants,quimedétestaittoutparticulièrement,nes’estpasgênépourjubiler.Enfin,j’avaisfranchilalignerouge,etrienn’auraitpuluifaireplusplaisirapparemment.

—Ontetientmaintenant,Maria.TuvasallertoutdroitàHolloway.

C’étaitunecélèbreprisonpourfemmesdanslaquelleonmemenaçaittouslesjoursdem’envoyer.

Sansdouteavait-ilraison,maisjeregrettaistellementcequej’avaisfaitquejen’arrivaisplusàm’intéresseràcequiallaitm’arriver.Jedétestaislapersonnequej’étaisdevenue.Jeméritaisd’êtreenvoyéeenprison.

L’écoleafaitvenirlapolice,quim’aemmenéepasserlanuitencellule.Lelendemainmatin,M.etMmeMcquarriesontvenusparleraujuge.Enlesvoyant,jen’aipluseuaucundoutesurcequiallaitadvenirdemoi.J’avaisoffertauxdirecteursl’occasiondesedébarrasserdemoietjepouvaisêtresûrequ’ilsnelalaisseraientpaspasser.Pourtant,àmagrandesurprise,M.Mcquarrieaprismadéfensedevantlejugeets’estbattupourqu’onm’autoriseàretourneràBramerton.

D’aprèslui,sij’étaisenvoyéeàHolloway,jen’auraisaucunechancederemonterlapentesurlaquellej’étaisdéjàengagée.Malgrétoutlemalquejepensaisdemoi-mêmeetdecequej’avaisfait,lesargumentsdeM.Mcquarrieontconvainculesautoritésquiontacceptédem’accorderunedeuxièmechance.

L’élèvequej’avaisagresséeaétéplacéeailleurspoursasécurité,cequim’aparuprofondémentinjuste.Finalement,cetévénementn’afaitquerenforcermaréputation.Toutlemondesavaitdésormaisqu’ilnefallaitpass’attaqueràmoi,àmoinsqu’uned’entreellesveuilleêtreblessée,humiliéeetrenvoyée.

J’aicomprisquelesMcquarrieavaientprisdesrisquespourmoi,etcetteprisedeconsciencem’asoudainfaitréagir.Ilsavaienteuraison.Sij’étaisalléeàHolloway,jen’auraisjamaispum’ensortir.

J’auraisétévouéeàuneviedeviolenceetdedélinquancedèsl’instantoùj’auraisfranchilesgrillesdecetteprison.Sileurréactionm’avaitétonnée,jemesentaissurtoutinfinimentreconnaissanteenverseux.

Ilétaitrarequedesgensmettenttellementd’énergieàmedéfendre.

Peudetempsaprèsmonretour,MmeMcquarrieestvenuemevoirunjouroùjetravaillaisauxcuisinesetellem’ainvitéeàvenirfumerunecigaretteavecelledanssonbureau.

C’estbientôtdevenuunrituelentrenous.Presquetouslesjours,jelarejoignaisdanssonbureaupourprendreunetassedecaféetdiscuteravecellecommesinousétionsamies.Dessurveillantsvenaientsouventmechercherpourmefairevenirencours,maisellelesrenvoyaitsèchement.

—Non,disait-elle,jeveuxqu’elleresteici.J’aiquelquechoseàluifairefaire.

Cettefemmemefascinait.Unaccidentdontelleavaitétévictimedanssajeunessel’avaitprivéed’unemainet,mêmesielleavaituneprothèse,ellenes’enservaitjamais.Ellearrivaitàtoutfaireavecuneseulemain.Letéléphonecoincéentrel’oreilleetl’épaule,unecigaretteentreleslèvres,elleparvenaitencoreàécriretoutenparlantàsoninterlocuteur.Etelleétaittrèsamusante.

Aprèsm’avoirsauvéedelaprison,elleetsonmarisesontmontréstrèsbonsenversmoi.Jepensequ’ilsavaientdécidédemeprendresousleuraile.LeNoëlsuivantnotredépartdecheznotremère,jen’avaisnullepartoùallerpourlesvacances.J’aiconfiéàMmeMcquarriecombienj’étaistristequ’ellenenousdonnejamaisdenouvelles.

—Pourquoituneluienverraispasunecarte?m’a-t-ellesuggéré.Tuesuneadulte,toiaussi,maintenant.Tupourraispeut-êtrefairelepremierpasversuneréconciliation.

J’aisuivisesconseils,maisjen’aireçuaucuneréponse.Mamèren’auraitpaspuêtreplusclaire:detouteévidence,ellenevoulaitplusentendreparlerdenous.

TouslesautresélèvesdeBramertonallaientpasserlesvacanceschezdesamisoudesmembresdeleur

famille,àl’exceptiond’ungarçonadorablequis’appelaitMartin.MaislesMcquarrien’avaientpasfinidemesurprendre.Accordantuncongéàtouslesemployésdel’internat,ilssonteux-mêmesrestésavecnousaulieuderentrerchezeuxàNorwich.LejourdeNoël,ilsnousontserviàtouslesdeuxunpetit-déjeuneraulit,puisilsontaménagélasalleàmangerpourenfaireunepiècejoyeuseetchaleureuse.Ilsyontinstalléleurpropresapinetleurspropresdécorations,etnousontmêmeoffertdescadeaux.

J’aiencorelebraceletenargentquej’aireçudeleurpart.Aprèsledéjeuner,nousavonsregardélatélévisiontouslesquatreensemble.Ilsauraientpuengagerdessurveillantspourresteravecnous;aulieudecela,ilsontrenoncéàleursvacancespournous.Martinetmoinepouvionsquesouffrird’êtrerejetésparlesnôtres,maiscommentn’aurions-nouspasététouchésparlegestedesMcquarrie?J’étaisd’autantplusémuequejeneleuravaisattiréquedesennuis.Etjerestaiscertainequejen’étaispasdignedeleurbonté.

LelendemaindeNoël,unejeunepensionnaireadûnousrejoindre,carsonneveuavaitsuccombéàlamortsubitedunourrisson.Enapprenantcedrame,jen’aipuquerelativisermonpropremalheur.LaplupartdesélèvesdeBramertonavaientdesproblèmesbienplusconsidérablesquelesmiens.Nombred’entreeuxsontrestésoudevenustoxicomanes.

D’autressontallésenprison,etj’aimêmeapprislamortdecertains.Ceuxquiavaientététropfragilisésdansleurenfancepardesconditionsdeviedramatiquesn’avaientpastrouvélaforced’affronterl’âgeadulteetl’indépendance.

MarelationavecMmeMcquarrienem’apasincitéeàdeveniruneadolescenteexemplairedujouraulendemain.J’aiétéimpliquéedansunautreincidentavecuneélèvedeBramerton,cequin’afaitqu’accentuerlacraintequej’inspiraisdéjàauxautres.Cettefilleseprostituaitelleaussietavaituncaractèrebientrempé.Touslessoirs,nousdevionsattendreàl’extérieurdelasalleàmangeretn’entrerqu’aumomentoùledînerallaitêtreservi.Or,unsoir,impatientedepasseràtable,jeluiaidemandél’heureetellem’aréponduavecuneextrêmebrutalité.Jen’allaissûrementpaslalaissermetraiteravecautantdedédain.

—C’estquoi,tonproblème?ai-jerépliqué.Nemeparlepascommeça.

—Tutecroistellementsupérieure…

Elleétaitencoreentraindemecritiquerquandnoussommesentréesdanslasalleàmangerpournousasseoiràl’unedesgrandestablesrondes.Elles’estinstalléeenfacedemoi,s’esttranquillementserviunetassedethé,puiselles’estlevéeetmel’ajetéeàlafigure.Souslechoc,jesuisrestéefigéependantquelquessecondesavantderéagir.Melevantàmontour,j’aialorssaisilagrandethéièrequiétaitrempliepourservirtoutelatablée.Puisj’aiôtélecouvercleetlancétoutsoncontenusurcellequim’avaitattaquée,inondantaupassageleparquetpolietciré.J’avaisrappeléàtoutlemondequ’onnes’enprenaitpasàmoisansconséquence.

Parchance,lethén’étaitpasassezchaudpourcauserdesbrûlures,maisc’étaittoutdemêmetrèsdésagréable.Touslesautresélèvesassisànotretablesesontécartésd’unbondpouréchapperàlavaguedethéquidéferlaitsureux.Quandlessurveillantsontaccouruversmoipourmemaîtriseretm’empêcherdecauserplusdedégâts,ilsontglissésurlesolmouillépendantquelesautresélèvesriaientetm’encourageaient.

—Vas-y,Ria!

J’avaisl’impressiond’êtreenpleinfilmdeLaureletHardy.Cettefarcenousavaluunepunitionàtouteslesdeux.Cettefois,cependant,jenemesuispassentietrèscoupable.Toutd’abordparcequec’étaitmonadversairequim’avaitattaquéelapremière,maisaussiàcauseducomiquedelascèneetdufaitquepersonnen’aitétéblessé.

Naturellement,j’avaisleplusgrandmalàfaireconfianceauxhommesàcetteépoqueetj’étaissouventodieuseavecceuxquiavaientlemalheurdemecontrarier.Monpèrem’avaittoujoursrecommandédememéfierdesemployésdesfoyerspourenfants.Selonlui,c’étaienttousdespervers;etjelecroyais.

Aujourd’hui,biensûr,jemerendscomptequ’ilsétaientpourlaplupartextrêmementdévouésetqu’ilsvoulaientsincèrementaiderlesjeunesendifficulté.J’aimaintesfoisaccuséunsurveillantdudortoirdesgarçonschezBreakdechercheràm’espionnerquandj’étaisdanslasalledebains,alorsque,désormais,jesuissûrequecetteidéeneluiajamaistraversél’esprit.

J’aitoutefoisrencontréquelqueshommesàBramertonquimettaientlesfillesmalàl’aise.Nousn’avionspasledroitd’avoirdesserruresauxportesdeschambres,etcertainsmembresdupersonnelsemblaientapparaîtrecommeparenchantementdanslescouloirsàl’heuredenotretoilette.L’und’entreeux,notamment,avaitprisl’habituded’ôterseschaussurespourmonterdiscrètementàl’étageetvenirrôderaumomentoùnousnousdéshabillionspournousmettreaulit.

Commenousavionsremarquécequ’ilfaisait,nousavonsentreprisdesemerdespunaisesdansl’escalier.Nousavonstellementrienentendantsescrisétoufféslorsqu’ilavoulumonterlesmarchesenchaussettes…

Unautresurveillantmedétestaittoutparticulièrement.Lepensionnatétaitbâtiencarré,desmaisonsreliéespardescouloirss’élevantauxquatrecoins.L’unecomportaitlabuanderieetlesbureaux,uneautre,ledortoirdesgarçons,puisilyavaitlamaisondesfillesetenfinunesectionmixte.Danslapartieréservéeauxfilles,ontrouvaitcinqousixchambrescollectives,unsalonetunecuisine.Auboutdechaquemaisonétaitsituéunappartementpourlepersonnel,etcesurveillant,quiétaitunanciensoldat,vivaitdansl’appartementvoisindenotredortoiravecsafemmeetsesenfants,quenousnevoyionsjamais.S’ilm’intimidaitterriblement,jenevoulaissurtoutpasqu’ils’enrendecompte.C’estpourquoijeleprovoquaissanscesse.

Nousavionspourrègled’éteindreleslumièresetderestersilencieusesàpartirde22heures,maisnouscontinuionsàfairedubruitaprèslecouvre-feudansleseulbutdelefaireenrager.

Unsoir,versminuit,ilatotalementperdusonsang-froidetestentréentrombeenordonnantàtoutlemondedeselever,mêmeauxfillesquidormaientsagement.Nousalignantdanslecouloirlelongdumur,ils’estmisàhurlerenmepostillonnantàlafigure.

Jen’aipum’empêcherderireenvoyantsonvisagerougedecolère.Jesavaisqu’ilmouraitd’enviedemefrapper;mais,s’ill’avaitfait,ilauraittoutsimplementperdusonemploietseseraitretrouvédevantlestribunaux.Sibienquejeledéfiaissansaucunepitié.

Ayantétésoumiseàl’autoritédemonpèreparsaviolence,j’étaisdevenueincapabled’obéiràceuxquin’avaientpasledroitdeleverlamainsurmoi.Celadevaitrendrecesurveillantfouderage,maisilétait

obligédesecontrôlerpourgardersaplace.

Jecherchaistoujoursàfaireplaisirauxsurveillantsquej’aimaisbien,maisjepouvaisêtretrèscruelleaveclesautres.Peut-êtreavais-jebesoindeprendremarevancheaprèsdesannéesdemauvaistraitementsinfligésparmonpère.Moncomportementavaitétépervertiparsatyrannie.

Bramertonavaitétéconçupourdesséjoursdecourtedurée,maisj’yaivécupresqueenpermanencedequatorzeàdix-septans.Lesservicessociauxontessayéàdeuxreprisesdem’installerdansuncentrederéadaptation,unétablissementplusouvertoùjedevaisvivreencommunautéenvued’apprendrel’autonomie.

Lapremièrefois,j’aiétéaccuséeàtortd’avoirvolédel’argent.Lorsdelasecondetentative,onm’atraitéedetrafiquantededrogueparcequej’avaisrapportédel’acideducentre-villepourdeuxautrespensionnaires.Àlasuitedeceséchecs,jesuisretournéeàBramerton.

J’étaisétonnéequecertainespersonnesaientencoredel’espoirpourmoiàl’époque.Jemesentaisaspiréeparunespiralenégativedontjen’arriveraisjamaisàmesortir,exactementcommedanslecauchemarquim’avaitpoursuiviedurantmonenfance.Jetombaisdanslevideetjenevoyaisàcettechuteaucuneautreissuequelamort.

16

MarencontreavecBrian

Jecontinuaisàm’échapperdeBramertondèsquel’occasionseprésentait.Simonpèren’étaitpasenprison,ilm’arrivaitdecéderàsespressionsetdelerejoindrepourséjournerchezlui.

Maisjen’enpouvaisplusdefaireletrottoiretdeluidonnertoutl’argentquejegagnais,sibienquejepréféraisleplussouventretrouvermesamisenvilleetpasserdutempsaveceux.Ilyavaitunecafétériaoùleschômeursavaientl’habitudedeserassemblerautourd’unetassedethéqu’ilsfaisaientdurertoutelamatinée.

C’estlàquej’aiconnuplusieurspersonnesavecquijepassaisdesheuresàboireetàfumer.QuandjemesauvaisdeBreakoudeBramerton,sijenerejoignaispasmonpèreouKathy,jememoquaisdesavoiravecquij’étaisdumomentqu’ilyavaitdel’alcooletdeladrogue.Lesgensquejerencontraisdanslespubsavaientlamêmepréoccupationquemoi.C’estainsiquejemesuisliéeavecdeshommesquicultivaientmesmauvaiseshabitudesaulieudem’endétourner.

J’avaisquinzeanslorsquej’airencontréungarçonprénomméJohn,quim’aproposédem’installerchezlui,enbanlieue,pendantquelquessemaines.

Lesgensquiboiventensemblesontsouventgénéreuxlesunsenverslesautres.Monpèreenétaitunbonexemple.Jen’aijamaiscouchéavecJohn.

Quandj’avaisdesrapportsavecdeshommes,c’étaittoujoursenéchanged’argent,etjedétestaissuffisammentcelapournepaslefairegratuitement.Cegarçonlivraitdupaindansunecamionnette,etjel’accompagnaisparfoissursatournée.Jelogeaischezluidepuisplusieurssemaineslorsque,unenuit,ilavoulumetoucher.J’enavaistellementassezqueleshommesn’attendentriend’autredemoiquedusexe!

Jevoulaisdesamisavecquim’amuseretpasserdebonsmoments,riendeplus.Jesuissortiedechezluià6hdumatinenclaquantlaporteetenhurlanttoutlemalquejepensaisdeshommescommelui.À

cetteépoque,j’avaissipeuconfianceenmoiquetoutcequ’onpouvaitmedireoumefairem’apparaissaitcommeuneinsulte.J’étaissanscesseenquêted’unepreuvesupplémentairedemoninsignifianceetdupeudeconsidérationquej’étaisendroitd’attendredelasociété.

J’avaisdéfendumatristepetitemorale,maisjemeretrouvaisàlarueentraind’errerdansunquartierquel’obscuritém’empêchaitdereconnaître.C’estalorsquej’aientenduquelqu’unpousserunsifflementadmiratif.Commej’étaisseulesurletrottoir,j’étaisàpeuprèscertainequ’ilm’étaitdestinéetj’étaisprêteàdonnerunebonneleçonaucoupablesijeparvenaisàlerepérer.Levantlesyeux,jen’aipastardéàdistinguersurunbalcondupremierétageunhommebarbuauvisagesympathiquequimeregardaitensouriant.J’aidûdevinerqu’iln’yavaitpasuneoncedemauvaiseintentionenlui,carj’aiaussitôtrenoncéàm’enprendreàlui,etnousavonscommencéàdiscuter.

—Tuveuxmonter?m’a-t-ilproposéauboutd’uneminuteoudeux.

N’ayantnullepartoùaller,j’aisuivimoninstinctetl’airejointchezlui.Ilm’inspiraitconfiance.

J’aiapprisqu’ils’appelaitBrianetqu’ilétaitirlandais.Ancienmotard,onluiavaitretirésonpermisdeconduire,sibienqu’ils’étaitséparédesamotoetqu’ilseretrouvaitcoincédanscettebanlieue,toutcommemoi.S’ilétaitprivédevéhicule,ilavaitencoretoutd’unmotard,aussibiendanssonapparencequedanssafaçondepenser.Ilavaittrente-cinqans,c’est-à-diretoutjustevingtansdeplusquemoi.

Ilétaitgrand,mince,etjeletrouvaisbeau.Ilyavaitdumondedanssonappartement,desgensqu’ilhébergeaitoudesamisdepassage,tousrecroquevilléssousdescouverturesoudansdessacsdecouchage.Ilssesontréveillésl’unaprèsl’autre,aucoursdesheuresquiontsuivimonarrivée,avecl’aird’avoirtropbuetpasassezdormi.

Dotéd’unefibreartistique,Brianavaitpeintentrèsgrandl’emblèmedugroupedeheavymetalMotörheadau-dessusdesacheminée.C’étaitlacopieexactedelatêtedemonstreauxcrocsterrifiantscrééeparunartistedunomdeJoePetango.Brianavaitreprésentétoutautourdecepersonnagedesdragonsetdesflammesauxlignessinueuses,semblablesauxmotifsquel’onretrouvaitsursoncorpsetqu’ilavaitlui-mêmedessinés.L’undesesbrasétaitentièrementtatoué,etilavaitunerosesurlecou.Cesvéritablesœuvresd’artétaientbienloinderessembleràmesaffreusesscarifications.Brianm’apparaissaitcommeunêtreunique,passionnant,différentdetouslesgensquej’avaisconnusjusque-là.

Ilpossédaitunpetityorkshirequ’ilavaitappeléMotörhead-Dick-the-Shit,aliasDick.Lapersonnalitédecechienétaitaussiimposantequesoncorpsétaitminuscule.Ilétaitimpossibleàdresseretsimignonquepersonnenepouvaitserésoudreàlegronder.Mêmecepremiermatin,quandilavolémescigarettespourlesmâchonner,jen’aipaspumefâcher.Jenesaispassijesuisd’abordtombéeamoureusedeDickoudeBrian,mais,ensemble,ilsformaientunduoirrésistible.

Cependant,c’estsurtoutl’undesgarçonsquitraînaientdanscetappartementquiad’abordattirémonattention.Quandj’aiétéarrêtéequelquesjoursplustarddanslarueetreconduiteàBramerton,jesuispartieenconsidérantquecegarçonétaitmonpetitamiofficiel.Pendantlacourtepériodequej’avaispasséechezBrian,nousavionsoccupétoutnotretempsàboireetàprendredeladrogue,cequimeconvenaitparfaitement,etlefaitd’êtreséparéedeluim’adésespéréecommen’importequelle

adolescenteamoureuse.J’étaisconvaincued’avoirtrouvéunhommequim’aimaitetraviedepouvoirprouveràmonpèrequ’ilavaiteutort.

Impatientederetrouvermonbien-aimé,jemesuisdenouveauéchappéedeBramertondèsquej’aipu.

Mais,quandjesuisarrivéechezBrian,monmerveilleux«petitami»s’étaitlasséd’attendreetsortaitdéjàavecuneautrefille.Dévastée,j’enaiaussitôtconcluquemonpèreavaiteuraisonenfindecompteetqu’aucunhommenes’intéresseraitjamaisàmoipourautrechosequelesexe.Mondésespoirm’apousséeàmetournerversBrianpourtrouverduréconfort,etsasagesseetsabontém’ontbouleversée.

J’aicomprisalorsquejem’étaistrompéeenmelaissantséduireparcegarçon.L’hommequ’ilmefallaitn’étaitautrequeBrian.Sansdoutecorrespondait-ilparfaitementàlafigurepaternellequejecherchaisdésespérémentdepuislejouroù,arrivantaucollège,j’avaiscommencéàpoursuivrelesgarçonspourlesinciteràmedéclarerleuramouréternel.

Peuàpeu,j’aiapprisbeaucoupdechosessurBrian.Ilm’aconfiéquesonpèrel’avaitbattupendantdesannées,quandilétaitenfant,avantdes’enfuirfinalementavecuneprostituée.Samère,uneferventecatholique,nes’étaitjamaisremisedecetévénement.Brianavaitessayédesuivrel’exempledesonfrèreetdesasœurquimenaientuneviebienrangée.

Pourcela,ilavaitmontésapropreentreprisededécorationintérieure,s’étaitmariéetavaitachetéunemaison.Mais,unjour,ils’étaitrenducomptequ’ilnevoulaitriendetoutcela.Ilnerêvaitquedeliberté,ausensphysiqueaussibienquespirituel.Ilavaittoutabandonnépourvivreuneaventureavecuneautrefemme.

Leurhistoireavaitduréseptans,aucoursdesquelssacompagneavaitfaitplusieursfaussescouches.

Finalement,leursouffranceavaiteuraisondeleuramour,etBrians’étaitmisàboirebeaucoupaprèsleurrupture.Ilbuvaittoujours,mais,contrairementàmonpère,l’alcoolavaituneffetpositifsursonhumeur.

Ilprenaittoutaveclesourire.C’étaitunhommedouxetbon,facileàvivre,biendanssapeau,quiavaituneapprochephilosophiquedel’existence.Aveclui,iln’yavaitplusdeproblèmesnid’urgences.

Ils’estavéréquedeuxdesfillesquej’avaisrencontréeschezluilepremiermatinétaientaussidesprostituées,sibienqu’iln’apasétéchoquéenapprenantcequejefaisaispourgagnermavie.Jepouvaisparlerdetoutaveclui.DemonpèreetdesraisonsquimepoussaientàfuiraussisouventBramerton.

Brianavaitaussidenombreuxproblèmesàcausedesonalcoolisme,mais,aulieudelesubmerger,lesépreuveslerendaientincroyablementtolérantvis-à-visdeserreursetdesfaiblessesdesautres.Ilnepartageaitnil’amertume,nilaviolencedemonpère,nicebesoindemanipuleretdecontrôlersonentourage.

Nousavonsconsommébeaucoupdechampignonshallucinogènesensemble,ainsiquedesamphétaminesquiavaientlepouvoirdemerendreparticulièrementjoyeuse.Ellesm’apportaientaussilaconfianceenmoiquimefaisaittantdéfaut.Seulement,ellescoûtaientcher,sibienquejedevaiscontinueràmeprostituerpourenacheter.J’ensuisbientôtarrivéeàprendreungrammeparjour,cequireprésenteuneconsommationassezélevée,surtoutpourunejeunefilledequinzeans.

Silesamphétaminesmeprocuraientdessensationstrèsagréables,ladescenteétaittellementépouvantablequej’avaisaussitôtenvied’enreprendre.Pouruneheured’extase,jedevaistraversertroisouquatreheuresdesupplice.C’estsansdouteunmiraclequejenesoispasdevenuedépendantecommedesinombreusesfillesquifaisaientlemêmemétierquemoi.Cettedrogueaaussipoureffetdecouperl’appétit,cequimeplaisaitpuisquejevoulaisperdredupoids.Maiscen’estpastout:elleattaqueaussilesgencivesetproduittoutessortesd’effetssecondairesabominables.Jelesavaispouravoirobservécessymptômessurd’autrespersonnes,maisjem’enmoquais.Detoutefaçon,jemedétestaisetmoncorpsmedégoûtait;peum’importaitdemedétruire.J’avalaismesamphétaminessoitenbuvant,soitenlesenveloppantdansdupapier.Mondealerabiencherchéàmefairepasseràlacocaïne,prétendantquej’économiseraisdel’argent,carj’obtiendraislemêmeeffetavecmoinsdepoudre,maisj’étaisconscientequecelareviendraitàdévalerunpeupluslapenteglissantesurlaquellejemetrouvaisetj’aipréférém’entenirauxdroguesquejeconnaissais.Ildevaitmeresteruneonced’instinctdesurvieaufonddemoi.

Plustard,j’aidécouvertqu’ilm’avaitmentietquelaconsommationdecocaïnem’auraitcoûtébeaucouppluscher.Parbonheur,jen’aijamaisconnul’héroïnequiétaitplusdifficileàtrouveretpluschèrequ’aujourd’hui.

Jen’aijamaiseud’illusionssurleseffetsquemeprocuraitladrogue.Jesavaisquecen’étaitpascela,lebonheur.Lesimplefaitd’êtrevivanteetdevoirlesoleilbrillerauraitdûsuffireàmerendreheureuse.Commecen’étaitpaslecas,celasignifiaitquej’avaisunproblèmeplusprofond.Jenecroyaispasqueladrogueavaitlepouvoirdesoignermonmal-être,maisjenesavaispasquoifairepouryremédier,etBrianétaitlaseulepersonneversquijepouvaismetourner.M’évaderdemoi-mêmeétaitleseulremèdecapabledesoulagermadouleur.Unjour,j’aimêmeessayédereniflerdunitritedepentyle,quianotammentpoureffetterrifiantdedécuplerlerythmecardiaqueenquelquessecondes.Maiscetteexpériencenem’apasconvaincue.

Àcetteépoque,lemétierdeprostituéenemeplaisaitpasplusquelesoiroùmonpèrem’avaitvendueàsonamiPete.Mais,avecletemps,jem’étaishabituéeàcequiétaitdevenuuneroutinepourmoi.Etj’avaisbesoind’argent.Jenepouvaisplusmepasserdel’alcooletdeladroguequimepermettaientd’oublieràquelpointjedétestaismavie,àquelpointjevoulaisenfinir.Quelmétieraurais-jebienpufairepourgagnerdequoilesacheter?Peut-êtresommes-nousfaitspourêtrecapablesdenoushabitueràtout,enfindecompte.Jesavaiscombienc’étaitdangereuxdemonterdanslavoitured’inconnus,maisjememoquaisdésormaisderisquermavieàtoutmoment.Lorsqu’onn’éprouvequeduméprispoursoi,l’idéedemourirn’ariend’effrayant.Jesavaisaussiquechaquepiluled’acidequejeprenaispouvaitmetuer,maiscelam’étaitégal.Jepensaismêmequ’unemortaccidentelleauraitl’avantagedemedispenserd’unsuicide.

Jemesuistrèsbienentendueaveclesdeuxfillesquej’avaisrencontréeschezBrian,aupointqu’ilnousarrivaitd’allertravaillerensemble.Unaprès-midi,alorsquejemarchaisavecl’uned’elles,unhommes’estapprochédenousetnousacomplimentéesavantdenousdirequenousdevrionsfairedumannequinat.Pourmoiquim’étaistoujourstrouvéegrosseetmoche,sesparolesonteul’effetd’uneformulemagique.Commecetteidéenousamusaittouteslesdeux,nousnoussommesrenduesàl’adressequ’ilnousavaitindiquéeafindenousfaireprendreenphoto.Nousnouscomportionscommedeuxpetitesfillesidiotesetsurexcitées.Desontondouxetmielleux,notrerecruteurnousaproposédeposerensous-vêtements,etnousavonsaccepté.

—Ditesdonc,vouspourriezgagnerdesfortunes!s’est-ilexclaméavecadmirationtoutennousphotographiant.

Ilnousencourageaitànoustouchermutuellementdefaçoninnocente.

—Nousn’ironspasplusloin,luiavons-nousditauboutd’unmoment.

Nousenavionsassezetnousavonsdécidédenousrhabiller.

—Jedoismontrerçaàmonpatron,a-t-ilditjusteavantquenouspartions.Jecroisquejepourraisvendrecesphotos.Revenezdemain,peut-êtrequenouspourronsrefairequelquesprisesdevueetétabliruncontrat.

Nousnoussentionsàlafoisflattéesettrèsexcitées.Lavoiequimenaitàlafortuneetlacélébritévenaitdes’ouvrirànous!Quandnousysommesretournéeslelendemain,l’hommenousaditqu’ildevaitencoreprendrequelquesphotos.

—Etl’argentdontvousnousavezparlé?avons-nousdemandé.Etlecontrat?

—Nousavonsbesoindevoird’autresphotos,a-t-ilrépondu.Enlevezjustevotresoutien-gorge.

C’estàcemomentquenousavonscomprisqu’ilnousmenaitenbateau.Ignorantsesprotestations,noussommespartiessansnousretourner.Ilressemblaittoutàcoupàn’importequelclientrefusantdepayerpourunepasse.

Jemedemandesouventcequ’ilestadvenudecesphotos.Réapparaîtront-ellesunjoursurInternet?

Malgrénotrejeunesse,nousétionstouteslesdeuxdesprostituéesexpérimentéesayantl’habitudedeshommesdecegenre.Maisjen’oseimaginercombiendejeunesfillesinnocentestombenttouslesjoursdansdespiègescommecelui-là.Trompéesparundiscoursséduisant,ellesselaissentconvaincredefairedeschosesdontellesn’ontpasenvieetleregrettentplustard.Lemondeestpleindeprédateursquibrûlentd’exploiterlanaïvetédesjeunesfilles.

J’adoraispasserdutempsavecBrian.Ilétaitfantastique.C’étaitmonpremiervraipetitamietilm’afaitdécouvrirunmondecomplètementnouveau,àcommencerparlamusiquedeBruceSpringsteen,deMeatloafouencoredeBobSeger.IlpassaitsouventHungryHeartdeSpringsteensurlejuke-boxdupub,commemonpèrelefaisaitaveclachansondeCharlieRich.Mais,contrairementàTheMostBeautifulGirl,HungryHeartétaitpourmoilaplusbellechansondumonde.

J’aimaislesmotsdeSpringsteen:J’aiprislamauvaisevoie,maisj’aicontinuéàavancer,ouencorePersonneneveutêtreseul.J’avaisl’impressionqu’ilparlaitdemoi.Lesbonsgroupesderock,toutcommel’alcoolouladrogue,permettentauxrêveurstelsqueBriand’échapperuninstantàlabanaleréalitéetd’imaginerqu’ilssontlesespritslibresqu’ilsonttoujoursvouluêtre.

Contrairementàmonpère,Briann’avaitpasbesoindefaired’effortspourattirerl’attentiondesgensquandilsortaitdanslespubs.Ilétaitàlafoissicharmantetsiréservéquetoutlemondevenaitspontanémentautourdeluipourprofiterdesacompagnie.

Jemesuisconvaincuequej’étaisprofondémentamoureusedelui,et,malgrémesquinzeans,j’airéussià

persuaderuntatoueurd’inscrirePROPRIÉTÉDEBRIANsurlehautdemonbras,au-dessusdunomdemonpère.J’avaistrèsenvied’apparteniràquelqu’un,surtoutàunhommecommeBrianquiallaitm’aimer,mechoyeretmeprotéger.Ilétaitsidifférentdemonpèrequinevoulaitqueseservirdemoietm’exploiter…

Ilm’arrivaitdecroisermonpèrequandj’allaismepostersurletrottoirqu’ilm’avaitfaitvisiteravectantdefiertéquelquesannéesplustôt.Chaquefois,celameterrifiait.Ilm’envoulaithorriblementdem’êtreémancipéedeluietdefaireprofiterdemesrevenusàBrianplutôtqu’àlui.Enlevoyantaussifurieux,j’avaispeurdecequ’ilpourraitmefaire.Pourmerassurer,jemerépétaisqu’iln’allaittoutdemêmepasmebattredanslarue,devanttoutlemonde,nimetraînerdeforcejusquechezlui.Celaauraitnuiàl’imagedepèreidéalqu’ilavaittoujoursvouludonnerdelui.

Ilconsidéraitqu’ilavaitmisésurmoi.Ilavaitdonnédesontempsdanslaperspectivedemevoirgrandiretluifaireobtenirunretoursurinvestissement.Seulement,àprésent,ilnerécoltaitpaslefruitdesesefforts.Ilavaitcomptésurmoipourl’entretenirpendantdesannées,commeill’avaitfaitavecmamère,etildevaitconsidérerquejel’avaisabandonnéexactementcommeelle.

Lefaitd’avoirBrianàmescôtésmedonnaitdelaforcepouraffrontermonpère.Tantqu’ilnepouvaitpasmeramenerseulechezlui,jen’avaispasgrand-choseàcraindre.Toutefois,jesavaisquejedevaism’attendreàtoutaveclui.J’avaispeurqu’ilsorteunjourdupubivremortavecl’enviedesebattreavecmoi.

Briansavaittoutsurluietsurcequ’ilm’avaitfait,etjepouvaiscomptersurluiencasdebesoin,mais,quandj’étaisseule,jemesentaisàsamerci.

Àtoutmoment,j’avaispeurqu’ilsurgissepours’enprendreàmoi.Jel’avaisvuassezsouventfairepreuved’uneviolenceinouïe,ycomprisavecmoi,poursavoirqu’ilétaitcapabledetoutquandsafierté,saréputationetsesintérêtsfinanciersétaientmenacés.

Malgrétoutelahainequ’ilressentaitpourBrian,curieusement,iln’ajamaisessayédel’attaquerphysiquement.Peut-êtren’était-ilpascertaindeprendreledessusencasdebagarreaveclui.

JesaisqueBrianm’aimaitsincèrementmalgrénosvingtansd’écart.Ilvoulaittoujoursmeprotégeretprendresoindemoi,etnouspassionsensembledesmomentsformidables.Lapatronnedel’undespubsoùnousallionstrèssouventnousconnaissaitbien.Ellesavaitquej’étaistrèsjeune,maiscelanel’empêchaitpasdemeservirautantdevodkaquejevoulais.Lejouroùnousavonsachetéunebagueenargentaumarchéetquenousavonsannoncénosfiançailles,elleettouslesclientsdesonbarétaientenchantés.

Quantàmoi,j’étaisivredebonheur,bienentendu.Jemecroyaissurlepointd’avoircedontj’avaistoujoursrêvé:unevraiefamille.J’avaistrouvéunhommequim’aimaitetsurquijepouvaiscompter.

Pendanttoutecettepériode,j’étaisrégulièrementarrêtéeparlesautoritésetramenéeàBramerton,mais,dèsquejelepouvais,jemesauvaispourcourirleretrouver.Commejen’avaisencorequequinzeans,lesservicessociauxsontarrivésàlaconclusionqueBramertonn’étaitpaslebonétablissementpourmoietquejedevaisêtreplacéedansuneunitésécurisée.Ils’agissaitd’unpensionnatdePeterboroughnomméSalter’sLodge.N’ayantcommisaucuncrime,jenepouvaispasêtreenvoyéeenprison,maislesautoritésdevaientagirpourmontrerqu’ellesmeprotégeaientdemoi-mêmeetdemonentourage,composé

soi-disantdedangereuxprédateurs.J’avaisentendutellementd’histoiressurlesunitéssécuriséesquecetteannoncem’aterrifiée.Àencroirelesrécitsdesautresenfants,onm’imposeraitunecamisoledeforcesijecausaislemoindreproblème.

JesuisarrivéeàSalter’sLodgeunvendredi.Commeaucunlitn’étaitencoreprêtpourmoiauseindel’unitésécurisée,lepersonnelm’ainstalléedansuneautresectionenprécisantquejeseraistransféréedèslelundi.Ils’agissaitd’uncentrederéadaptation,moinssécuriséquel’autrepartiedel’établissement.

Celavoulaitdirequejedisposaisduweek-endpourm’enfuir;aprèscela,jeseraisenferméederrièredesbarreauxpouruneduréeindéterminée.Delàoùjelogeais,jevoyaislebâtimentprincipalquiavaittoutl’airàmesyeuxd’unevéritableprison.Etj’aicomprisalorsquej’aimaistropmavieavecBrianpourmerésoudreàresterici.J’avaisbienl’intentiondemebattrepourmesortirdecettesituation.

Ceweek-end-là,lessurveillantsdevaientemmenerlespensionnairesducentrederéadaptationfairedurolleràSkegness.

—L’undenousvadevoirrestertoutelasoiréeavectoi,m’ont-ilsditd’untonmaussade.Toutçaparcequ’onnepeutpastefaireconfiance,alorsquenousavonstousenviedeparticiperàcettesortie.

—Cen’estpasmafaute,ai-jerépliqué.C’estvotretravail,vousêtespayéspourça.C’estàvousdedécidersivousmefaitesconfianceounon.

—Sinouspouvionstefaireconfiance,noust’emmènerions.

Leurtonétaitmielleux,commes’ilscherchaientàmeconvaincredelesaccompagneràSkegness.

—Ehbien,ai-jeditlepluscalmementpossible,àmoinsdemedonnerunechance,vousnesaurezjamaissivouspouvezmefaireconfiance.

Pouruneraisonmystérieuse,ilsontdécidédem’emmeneralorsquemesinnombrablesescapadesétaientmentionnéessurmondossier.Ilsdevaientvraimentavoirtrèsenviedepassercettesoiréedehors.

Dèsl’instantoùnoussommesarrivésàSkegness,ilsontadoptéuneattitudetrèsdétendue,ettoutlemondesemblaitsoudainavoiroubliéquej’étaisunefugitivenotoireetqu’ilnefallaitpasmequitterdesyeux.Jen’aieuqu’àm’éloignerquandilsavaientledostourné,puisj’aipurejoindreNorwichenauto-stopetmerendredirectementchezBrian.

Lelendemainmatin,lapoliceétaitàlaportedesonappartement.Enentendanttambouriner,ilm’aattiréejusqu’àlapiècedufondetm’aaidéeàsortirparlafenêtre.J’aiattendudehorspendantquelesagentsmecherchaientpartoutàl’intérieur.

Aprèsleurdépart,jesuisremontée.AvecBrian,lavieressemblaitàuneaventurefantastiqueetdrôle.

Mais,cettefois-ci,nousétionscontraintsdeprendrelasituationavecleplusgrandsérieux,carjeredoutaisd’êtreretrouvéeetincarcéréeàSalter’sLodge.

Brianvoulaitêtreavecmoiautantquejevoulaisêtreaveclui.Ilconsidéraitquelesservicessociauxm’avaientabandonnéeetquejedevaism’éloignerdeNorwichpouréchapperaudangerquereprésentaitmonpère.Nousavonsdoncdécidédefuirensemble.NousallionsrejoindreLondreset,là,Brian

trouveraitunemploidepeintre-décorateur.Nousyresterionsjusqu’àcequejesoisassezâgéepourquenousrevenionsvivreàNorwichcommeuncouple,entoutelégalité.

Folledejoieetflattéequ’ilselancedanscetteentreprisepourmoi,jenecessaisderéfléchirauxdétailspratiquesdenotrevoyage.BrianmenaitunevietrèsconfortableàNorwich,etvoilàqu’ilétaitprêtàtoutabandonnerpourfuiravecuneadolescentedequinzeans.Personnen’avaitjamaisprisautantderisquespourmoi.Pourquoiaurais-jehésiténefût-cequ’unesecondeàm’enremettreàlui?

17

LesruesdeKing’sCross

FixantsongrossacàdossursesépaulesetinstallantDickàsaplacehabituelle,àl’intérieurdesavesteencuir,Brianm’aemmenéejusqu’aurond-pointd’oùpartaitlaroutedeLondres.Nousnoussommespostéslàpourfairedel’auto-stop.Aprèsquelquesminutesseulement,nousavonsvuarriverunemotodelapolice.L’espaced’uninstant,j’aicruquenotreaventureétaitterminéeavantmêmed’avoircommencé.

Maisc’estavecstupeurquenousavonsvulamotos’inclinerdangereusement,puisdéraperpourfinalementserenversersurlaroute,entraînantdanssachutelemalheureuxpolicier.L’accidentaaussitôtréveillél’instinctdemotarddeBrian.LançantDickdansmesbras,ilm’aditd’allermecacherdansleparcvoisinpendantqu’ilaidaitl’hommeaccidenté.CetteréactionreflétaitàmerveillelecaractèredeBrian,etc’étaitpourcettegénérositéqu’ilétaitaussipopulaire.

Unefoislepolicierpartienambulanceetl’agitationdissipée,nousavonsreprisnotreplacesurleborddelarouteetsommesmontésàborddupremiercamionquis’estarrêté.Nousn’étionspasparticulièrementpressésd’arriveràLondres,etBrianétaittoujoursenquêtedenouvellesexpériencesquandilvoyageait.

Ilavaitunetenteindividuelleaccrochéeàsonsacàdos,sibienquenouspouvionsnousarrêteroùnousvoulionspourétablirnotrepetitcampementetnousserrerpourdormirensemblesoussatente.

Commenousétionspartisavecl’argentquiluirestaitdesesallocationschômageetceluiquej’avaisgagnédanslarue,nousavonsfaitunehaltededeuxjoursàBanham,villagedanslequelétaitinstalléeunecélèbrecidrerieetoùnousavonsconnuuneivressemémorable.Pendantlesdeuxjoursquenousavonspassésdanslesboissousnotrepetitetente,nousavonsvécucommedeuxenfantspartisàl’aventure.

Maisjen’avaispaspeur.JemesentaistoujoursensécuritéavecBrian.J’étaiscertainequ’ilmeprotégeraitdetouslesdangers.

QuandnoussommesfinalementarrivésàLondres,nousavonsprislemétropournousrendreàKing’sCross.D’aprèsBrian,nouspourrionsytrouverunechambreauloyerraisonnable.Jesuiscertainequ’ilvoulaitsincèrementmesauverdemonpèreetd’unenfermementàSalter’sLodge,maismeconduiretoutdroitdansl’undesquartiersdeprostituéeslespluscélèbresdupaysn’étaitpeut-êtrepaslameilleureidée.

Lemontantdesloyersnenousimportaitplusvraimentànotrearrivée,car,detoutefaçon,nousn’avionsplusunsouenpoche.Nousavionstoutdépenséaucoursdenotrevoyage.Nousavonsdoncerrédanslesrues,engageantlaconversationaveclesgensquisemblaientapparteniraumêmeuniversquenous,

jusqu’aumomentoùquelqu’unnousaparléd’unsquatinstallédansunemaisonabandonnée.

D’aprèslui,celavalaitlecoupdeserenseigner.Lachanceétaitavecnous,car,unefoisquenousfûmesarrivésàl’adressequ’ilnousavaitindiquée,onnousaapprisqu’ilyavaitjustementunechambrelibreaurez-de-chaussée.

Sinosexigencesn’étaientpasélevées,lamaisonnousatoutdemêmeparudansunétatlamentable;mais,aumoins,nousavionstrouvéunendroitoùnousabriter.LatentedeBriannenousétaitpasd’unegrandeutilitéaumilieud’unegrandeville.Dormirdehorsnenousdisaitrien,etnousnevoulionspasallerdansunfoyerpoursans-abridepeurd’êtrerepérésetarrêtés.J’étaismineureetnotreescapadeétaitillégale.

Dansnotrechambre,ilyavaitunrobinetd’eaufroidequigouttaitenpermanence.C’étaitleseulendroitoùnouspouvionsnouslaver,etjen’avaisavecmoiqueleshabitsquej’avaisportésenmesauvantdeSalter’sLodge.Jedevaisdoncnettoyermessous-vêtementstouslessoirsdanscelavabo,frottantavecdusavonetreproduisantlesgestesdemagrand-mère.

J’avaislesentimentd’êtreretombéeenenfance,àl’époqueoùjedevaisporterlesmêmesvêtementstoutelasemaine,saufque,cettefois-ci,personnen’étaitlàpourmerendreunepiledelingepropreledimanche.Monmoralétaitassezbas,maisj’espéraistoujoursqueBrianallaittrouverdutravailetprendresoindemoi,ainsiqu’ill’avaitdécidé.

Ilfautreconnaîtrequ’ilafaitsonpossiblepourtrouverunemploiafinquenouspuissionsacheterdelanourriture,maisenvain.Notreallurenedevaitpasjouerennotrefaveurpendantcettepériode,sanscompterquenousnesentionssansdoutepastrèsbon.Bientôt,nousavonscomprisqu’iln’yavaitqu’uneseulesolutionsinousnevoulionspasmourirdefaim:j’allaisdevoirrecommenceràmeprostituer.Sicetteperspectivem’effrayait,lafaimmetraumatisaitencoreplus.

LesruessalesetagitéesdeKing’sCrossétaientmillefoisplusterrifiantesqueBerStreet.Surlestrottoirsdelacapitale,jenepouvaispluscomptersurlaréputationdemonpèrepourmeprotéger.

Jen’étaisqu’uneadolescenteenfugueparmidescentaines,unsimplemorceaudechairfraîchemisàladispositiondeshommes.Sil’undemesclientsavaitdécidédemetueretdefairedisparaîtremoncorps,quis’enseraitrenducompte?Quis’enseraitsoucié?UniquementBrianetDick.EtquiauraitaccordélemoindrecréditauxparolesdeBrian,puisquec’étaitluiquim’avaitemmenéejusque-là?

Laplupartdutemps,jeprenaisunebonnedosed’amphétaminesoud’acideavantdesortirtravaillerafindesurmontermespeurs.

MaislesdroguesétaientencorepluschèresàLondres,cequim’obligeaitàservirplusdeclients.

J’étaiscommeunesomnambuleplongéeenpleincauchemar,agissantmachinalementensuivantl’enseignementdemonpère.Jerefusaisderéfléchiràcequejefaisais.

Sansdoutesavais-jeaufonddemoiquecelanepouvaitmemenerqu’àmaperte.LesprostituéesdeKing’sCrossparaissaienttoutesplusâgées,plusredoutablesetplusvicieusesquecellesquej’avaisconnuesàNorwich.AucuneneressemblaitàLucy.Lesgensquejecroisaisdanscesruesétaientdestoxicomanes,desschizophrènes,deslaissés-pour-comptequivivaientenmargedumonde.Gailétaitlaseulepersonnenoirequej’aieconnueauparavant,etellen’avaitrienencommunaveclemilieunoirde

King’sCross,dontlesmembresavaientunaccentetunefaçondeparlerquejenecomprenaispas.Toutlemondemeparaissaitsiagité,siagressif…J’avaisl’impressiond’êtreuneétrangèredanscemondedontjeneconnaissaispaslescodesetoùtoutmeparaissaitàlafoisétrangeetdangereux.

Letravailenlui-mêmeétaitexactementlemêmequ’àNorwich,saufqu’iln’yavaitpasdejolieroutedecampagneoùalleraveclesclients.Nousnedisposionsquederuellessordidesetdechambresd’hôtelsmisérableslouablesàl’heure.

Laruedanslaquellejetravaillaiscomportaitunterre-pleincentralentouréd’unegrillenoireetjonchédedétritus.Lesombresquiévoluaiententrelesvoituresgaréesetlesbruitsmenaçantsquirésonnaientàtouteheurecréaientuneatmosphèresiangoissantequejenefaisaisjamaisqu’uneseulepasseparsoir.

Dèsquej’avaisgagnéassezd’argentpouracheterunpeudenourritureetdeladrogue,jeretournaisauprèsdeBrianetDick,etjeneressortaistravaillerquelorsquenousn’avionsplusd’argentetquenousrecommencionsàavoirfaim.Aumoins,jen’étaispasobligéederesterjusqu’àcequeledernierclientsoitparticommeàl’époqueoùjetravaillaispourmonpère.C’étaitdésormaismoiquidécidaisquandj’arrivaisetquandjerepartais.Seulement,j’obéissaistoutdemêmeàunmaîtrebienpluspuissantquemoi:lafaim.

L’undessouteneursduquartierétaitunvéritablecharmeur.Ilportaittoujoursdenombreuxbijouxenorquibrillaientsursapeaunoire.Unaprès-midi,alorsquejecherchaisunclient,ilacommencéàmeparlersuruntonquelquepeuséducteur,maisquin’avaitriend’inquiétant.Iln’yavaitpasbeaucoupd’activité.Lesclientsétaienttoujoursplusdiscretsquandilfaisaitjour,et,étantnouvelledanslequartier,jenereconnaissaispasleshabituéss’ilsnemontraientpasclairementcequ’ilsvoulaient.J’étaisdoncdésavantagéeparrapportauxautresfilles.

—Tuasbesoind’aide?m’a-t-ildemandé.

—Euh…Oui,ai-jeadmisàcontrecœur.

—J’aiunpetitboulotsympapourtoisituveux.

Mefiantàsonsourire,jel’aisuivisansréfléchir.Ladrogueetlafaimavaientsansdouteeuraisondemacapacitédejugement.Quandilm’afaitentrerdanslemétro,j’aicommencéàsentirl’angoissemonterenmoi.Qu’étais-jeentraindefaire?Jemetrouvaisdansunevillequejeneconnaissaispasetjenesavaisriendecethomme.Pourquoiavais-jeacceptédel’accompagner?Maisilétaittroptardpourquejechanged’avis.Lapeurmeparalysaitetm’empêchaitdeparler.

Jemesentaisincapabledefuir.Alors,jesuisrestéeassiseàcôtédelui,muette,concentréesurlebruitetlessecoussesdutrain,àattendrebêtementdevoircequiallaitsepasser.Jen’étaisriend’autrequ’uneenfantperdueetsansdéfense.Jenesavaisnioùnousallionsnicommentj’allaisrentrer,etjen’avaisaucunargentsurmoi.Jem’étaismiseàlamercid’unproxénète,commesic’étaitunepersonnedignedeconfiance.

Àmesurequeletempss’écoulait,sonattitudechangeaitetils’estmisàmeparlersuruntondeplusenplusagressif.Soncharmantsourireavaitdisparuetilsecomportaitcommesimanervositéenfantinel’irritait.

—Oùallons-nous?ai-jefiniparluidemander.

—Laferme.Tuverrasbienquandonysera.

J’aieuunesensationdepiqûresurlebras,mais,quandj’airegardé,iln’yavaitrien.Aujourd’hui,jesuisàpeuprèscertainequ’ilm’ainjectéquelquechose,maisjen’étaisplussûrederiensurlemoment.

Toutestseulementdevenuextrêmementflouàpartirdecetinstant.Jemesentaisincapabledemeconcentrersurcequisepassaitautourdemoi,j’étaiscommedansunrêve.J’avaisl’impressionquej’allaismouriretquejenepouvaisrienyfaire.Jen’avaisd’autrechoixquedemesoumettreàcethommequim’attiraitmaintenantàl’extérieurdumétrosansquejepuisseluirésister.

J’auraisvoulum’allongerpourm’endormir,maisils’estmisàmepousserpourquej’avance,merattrapantd’ungestebrusquelorsquejetrébuchais.

Mêmesij’avaiseulecouragedem’enfuirencourant,mesjambesn’auraientpaspumeporter.Lesimplefaitderesterdeboutnécessitaittoutemonénergie.Detoutefaçon,jen’auraispassudansquelledirectionmesauver.

Quandnoussommessortisdanslarue,j’aivuquenousnoustrouvionsdansunquartiernoir,unmondedanslequelilétaitparfaitementàsonaise.Pourmapart,jemesentaisdeplusenplusseuleetvulnérable.Lespetitesmaisonsquibordaientlesruesétaienttoutesidentiques,etj’entendaisdureggaequisediffusaitparlesfenêtresouvertes.L’ambianceétaitàlafoisdétendueetfestive;desodeursdecuisineexotiqueflottaientautourdemoi.

Quandnoussommesentrésdansl’unedesmaisons,ilyavaitunmondefouautourdenous.

Apparemment,unegrandesoiréebattaitsonplein.L’hommequim’avaitemmenéejusque-làm’asaisilebrasetm’afaittombersuruncanapéavantdes’éloigner,melaissantseuleaumilieud’undécorquej’avaisdumalàdistinguer.Toutcequim’entouraitétaitcommemasquéparunépaisbrouillard.J’avaisbeausavoirquejedevaism’échapper,monirrésistibleenviededormirétaitlaplusforte.

Quandjemesuisréveillée,ilétait5ou6heuresdumatin.J’aimisquelquetempsàcomprendreoùjemetrouvaisetàmerappelercommentj’yétaisarrivée.

Toutautourdemoigisaientdescorpsendormis,maisjenevoyaisnullepartlesouteneurdeKing’sCross.J’étaistoujoursvivanteetapparemmentpasblessée.Celasuffisaitàmonsoulagement.

Rassemblantlepeudeforcesquimerestaient,jemesuisalorslevéepoursortirdelamaisonsurlapointedespiedsenprenantsoindeneréveillerpersonne.Ayantrefermélaportederrièremoi,j’aimarchédanslalumièreblanchedel’aubesanssavoiroùj’allais.Jevoulaisseulementm’éloignerlepluspossibledecettemaison.

J’aieubeaumeconcentrer,ilm’aétéimpossibledemerappelercequis’étaitpassépendantlanuit.

Jepouvaisseulementmeréjouird’êtreenvie,mêmesijemedoutaisquej’avaisdûêtrevioléeplusd’unefoispendantcesheuresdesommeil.

Àmoinsquetoutlemondem’aitoubliéetantjedormaisprofondément.Jenesaispluscommentjem’en

suissortiesansargent,maisj’airéussiàregagnerlesquat.J’aicertainementmendiépourobtenirunticketdemétroousautépar-dessuslesbarrières.

Àmonarrivée,Brianétaitsurlepointdecontacterlapolicepoursignalermadisparition.Ilétaitmortd’inquiétude.Quantàmoi,jem’envoulaisdem’êtremiseainsiendanger.J’auraistrèsbienpudisparaîtreàjamaiscesoir-là.Jenesuispassûrequelapoliceseseraitdonnébeaucoupdemalpourmechercher.

LavieàLondresmerendaitmaladed’anxiété.D’autantquejemesentaisaussipeuensécuritédanslesquatquedanslarue.Uncoupled’Écossaislogeaitau-dessusdenous.Ilsbuvaienttouslesdeuxénormément.Quandilsétaientivres,ilssemettaientàhurleravecuneagressivitéquimeterrifiait.Leurvienesemblaitfaitequedeconflitsnourrisenpermanenceparl’alcool.Lorsd’unedeleursdisputes,l’hommeafinalementperdutoutcontrôleetpoignardésafemmedansleventre,justedevantnotreporte.

Endécouvrantlamaredesangquiserépandaitsurlesmarches,j’aiimaginéavechorreurlejouroùBrianetmoiallionsêtreassassinésdansnotresommeil.

Ilétaittempsd’admettrequenousavionscommisuneerreurenvenantnousinstalleràLondres.Nousavonsdoncdécidéderepartiravantqu’ilnesoittroptard.Enquittantlacapitale,nousavonsprislaroutedeNorthampton,oùhabitaitKevin,unamideBrian.

18

Leretour

KevinvivaitseulavecFish,sonlabradornoir,dansunepetitemaisonsituéeàtroiskilomètresdelapistedeSantaPod,célèbrepouraccueillirdescoursesdedragsters.Tina,l’unedesprostituéesquej’avaisconnueschezBrian,nousarejointschezKevin.

Nousallionstouslesquatreassisterauxcourses,faisantconnaissanceetbuvantavecdesgensquiavaientl’habitudedetraversertoutlepayspourpasserleursweek-endsàcamperautourdeSantaPod.

Jetrouvaisfollementexcitantlefaitdes’intégreràleurcommunauté,d’autantquej’aimaisl’atmosphèrequirégnaitdanslemilieudesmotards.Lebruitronflantdesmoteursetlesgazd’échappementm’enivraientautantquel’alcool.CetendroitmeparaissaitsisûrencomparaisondesruesdeKing’sCross!Ici,enfin,nouspouvionsnousdétendreetredevenirnous-mêmes.

Nousn’avionsquittéNorwichquesixsemainesplustôt,maisiln’avaitpasfallulongtempsàlapolicepourpublierdanslesjournauxlocauxmaphotoaccompagnéed’unavisdedisparition.Quiconquem’ayantvuedevaitprévenirlesautorités.

Ladescriptionquel’onfaisaitdemoin’étaitpastrèsflatteuse:Jeunefilled’environunmètresoixante-dix,cheveuxcourtsauburn,ayantquelquesboutonssurlevisageetportantparfoisdeslunettes.Plutôtforteetfaisantplusquesesquinzeans.Ceportraitcorrespondaitàcequejepensaisdemonproprephysique,et,enlelisant,j’aientendulesmotsdemonpèrerésonnerdansmamémoire:«Tuesgrosseetmoche,etpersonnenet’aimerajamaisàpartmoi.»MaisBrianm’aimait.Jen’endoutaispasuneseuleseconde,etriennipersonnenem’avaitjamaisfaitautantdebien.

PendantlessemainesquenousavonspasséesàNorthampton,ilnousestsouventarrivédeneplusavoird’argentdutout.Parchance,notresurvienedépendaitpasseulementdemesrevenuspuisqueBriancontinuaitàtouchersesallocations.Ellesnousauraientpeut-êtresuffisinousn’avionspaseubesoind’acheterautantdedrogueetd’alcool.PendantnotreséjouràLondres,BrianavaitdûretourneràNorwichenauto-stopunefoistouslesquinzejourspourpointerauchômageetrécupérersonargent.

Restertouteseulelà-basdurantdeuxoutroisjoursavaitétéuncalvairepourmoi.

Mêmesijesavaisquenousn’avionspasd’autrechoix,jem’étaissentieencoreplusperdueetvulnérable.IladûfairelamêmeexpéditionpendantquenousétionsàNorthampton,saufque,cettefois,lapolicel’attendaitauguichetetils’estfaitarrêterenvenantpointer.Lesagentsontexigéqu’illeurdiseoùilm’avaitcachée.

Tina,quiétaitretournéeàNorwichentre-temps,m’atéléphonépourmeracontercequis’étaitpasséetj’aicomprisquenotreescapadeavaitprisfin.Jecommençaisenfinàmesentirbienquelquepart,etvoilàqu’ilfallaitdenouveautoutquitter.Tinaasentiquej’avaisbesoind’uneamieetellearefaitlevoyagejusqu’àNorthamptonpourvenirmechercher,ainsiqueDick.Jevoulaisallermoi-mêmeàNorwichafind’expliquerauxautoritésqueBrianétaitcomplètementinnocent,qu’ilnem’avaitpasenlevée,maisaucontrairesauvéedemonpère,quiétaitleseuletvéritablecoupable.CommeTinavivaittoujoursdansl’appartementdeBrian,elleaprislechienavecelleetjesuisalléemeprésenterspontanémentauxservicessociaux.

Lesfonctionnairesquiytravaillaientconnaissaientàpeuprèstoutdemoi.Ilssavaientquejemeprostituais,maisaussiquemonpèreavaitabusédemoi,mêmes’ilsn’avaientpasencoretrouvéletempsdemonterundossiersolidecontrelui.

Maintenantqu’ilstenaientBrianentreleursgriffes,ilsavaientl’airdepenserqu’ilsavaientassezd’élémentsàchargeenleurpossession.Finalement,monpèreetluionttouslesdeuxétéaccusésd’avoirvécudemonactivitéimmorale.Jemesentaissimal!Cequiarrivaitétaitladernièrechosequej’avaissouhaitée.

C’estlecœurdéchiréquej’aidûmerendreautribunalpourapporterdespreuvescontremonpère.

Deboutàlabarre,j’aidûtémoignerpendantuneheureetdemietoutensupportantleregarddurqu’ilfixaitsurmoi.J’étaisauxprisesavecmilleémotionscontradictoires.Jeledétestaisetjel’adoraisenmêmetemps.J’étaisheureusequelesgensmecroientenfin,heureusedesavoirqu’ilallaitpayerpourcequ’ilm’avaitfaitendurerpendanttantd’années.Maisjemesentaisaussicoupabledeletrahiretdel’envoyerenprisonunefoisdeplus.

Commesijenemesentaispasassezmal,magrand-mères’estjetéesurmoiàlafindel’audiencepourm’insulter.Sanssesoucierdesgensquil’entendaientetsansavoirhontedecequ’ilsallaientpenserdenous,ellem’atraitéedementeuse,degarceetm’aaccuséed’avoirtoutinventépournuireàsoncherfilsTerry.

—Commentpeux-tufaireçaàmonfils?m’a-t-ellecrié.Àtonproprepère?Ilestinnocent!Tusaisquecenesontquedesmensonges!

Lacourneluiapasdonnéraison.Onnem’apasconsidéréecommeunementeuse,puisquemonpèreaété

déclarécoupableetcondamnéàquatreansdeprison.Lejugeamêmetenuàpréciserquec’étaitlapeinemaximalequ’ilpouvaitprononcercomptetenuducrimedemonpèreetqu’ilavaitvouluexprimerledégoûtqu’inspiraitàlasociétécequ’ilm’avaitfaitsubirpendanttantd’années.

Lefaitqu’ilaitétémonpèreetqu’ilaitcommencéalorsquej’étaissijeunearenducettehistoireencoreplusécœuranteetintolérableauxyeuxdel’opinionpublique,ycomprisdesprisonniersqu’ilallaitretrouverderrièrelesbarreaux.Lesvioleursd’enfantsnesontpastrèsbienaccueillisenprison.

Onm’asignaléplustardqu’ilavaitétéincarcérédansdesquartiersréservésauxdélinquantssexuelsetauxvioleursquel’onmettaitàl’écartpourleurpropresécurité.J’aiapprisquelesautresdétenusavaientl’habitudedetoutfairepourhumilierlescriminelssexuelsenprison,parexempleenleurcoupantlescheveuxdefaçonridiculeouenleurfaisantporterununiformetroppetit.Ilspouvaientaussimettredesmorceauxdeverredansleurnourritureourenverserdel’eausalesureuxdepuisl’étagesupérieur.Jedoisreconnaîtrequ’unepartiedemoiaimaitl’idéequequelqu’unaccomplissemavengeance.Celaconfirmaitquecequ’ilm’avaitfaitétaitmal,ainsiquejel’avaistoujourspensé.Untelméprisdevaitêtred’autantplusdifficileàsupporterpourunhommeaussivaniteuxetnarcissiquequemonpère,luiquiavaittoujourscherchéàsefaireadmirer.

Toutefois,jenepouvaispasm’empêcherdem’inquiéterpourluiàcausedesontempéramentdépressif.Jecontinuaisparfoisàmesentircoupabledeluiavoirfaitcela.Jesavaisquebeaucoupd’hommesenarrivaientausuicidequandilssetrouvaientdanslamêmesituationquelui,etilavaitprouvéplusieursfoisqu’ilétaitcapabled’enarriveràdetelsgestes.

LepluspéniblepourmoiaucoursduprocèsaétédedevoirtémoignercontreBrian,l’hommequej’aimaisetquiavaitsisouventprouvéqu’ilm’aimait,luiaussi.Lacourauraitbienvoululedéclarercoupabled’enlèvement,maisjel’aidéfenduavectellementd’énergiequecettecondamnationnetenaitplus.

Néanmoins,ilétaitsihonnêtequ’iln’apaspunierqu’ilavaitcouchéavecmoietquej’avaispartagéavecluil’argentquej’avaisgagnéàLondrespourquenouspuissionsnousnourrir.Iladoncétécondamnéàsixmoisdeprisonpourdétournementdemineureetpourproxénétisme.

CejugementaétéunvéritablechocpourBrian,quin’avaitjamaisimaginéqu’ilfaisaitquelquechosedemal.Jecroisqu’ilavaitprisl’habitudedemetraitercommesinousavionslemêmeâge,aupointque,pendantladuréedenotrerelation,ilavaitoubliéquej’étaistoujoursuneenfantdupointdevuelégal.Ilamêmeenvisagédepoursuivrelapolicepourarrestationarbitraire,maissonavocats’estchargédeluiexpliquerlagravitédelasituation.

Ilétaitévidentquelacourdevaitréagir,maislesaccusationsdepédophilieportéessurluisonnaientvraimentfaux.C’étaitindiscutablementmonpetitami.Endépitdemonjeuneâge,jen’avaisriend’uneinnocentepetitefillepuisquecelafaisaitdeuxansquejecouchaisavecdeshommespourdel’argent.S’ilavaitcommisunefaute,ilétaitloind’êtrecoupabled’ungrandcrimemoral.

Enlecondamnantàunepeinebeaucouppluscourtequecelledemonpère,lejugeamontréqu’ilétaitloindeconsidérerqu’ilsavaientlesmêmesresponsabilités.Toutefois,ilnepouvaitdécemmentpasfermerlesyeuxsurcequ’ilavaitfait,mêmes’ilacceptaitlefaitquej’aieétéconsentanteavecBrianetnonavecmonpère.

Parchance,lapressenelesapastraitésdelamêmemanièrenonplus.Maisjem’ensuisterriblementvoulud’avoireuuneffetaussidésastreuxsursavie,etêtreséparéedeluiaétéunevéritabletorture.

Commemonpère,onluiaproposédebénéficierdelaprotectionréservéeauxpédophilesetauxdélinquantssexuels,maisill’acatégoriquementrefusée.

Ilvoulaitêtretraitécommelesautresdétenus,cariln’avaitpashontedecequ’ilavaitfait.Toutlemondeconnaissaitnotrehistoirelejouroùilaétéincarcéré,etsescodétenusl’ontconsidérécommeunesortedehérosetnoncommeunaffreuxprédateur.

Ilsvoyaientaussienluiceluiquim’avaitpermisd’échapperàmonpère.Personnenes’enestprisàlui,etilavécusapeinedeprisonavecautantdephilosophiequelerestedesonexistence.

Grâceàsanaturedouceetcompréhensive,ilnem’ajamaisreprochédel’avoirenvoyéenprison.Aulieudecela,ilcontinuaitàmeparlerdenotreavenirensembleenrêvantdujouroùilseraitlibreetoùjeseraisassezâgéepourvivreavecluiouvertement.

Àlafinduprocès,lesautoritésontdécidédemerenvoyeràBramerton.Jesouffraisterriblementd’êtreséparéedeBrian,quiavaitlepouvoirdem’apaiseretquejen’allaispasvoirpendantsixmois,autantdireuneéternité.

Aumoins,jepouvaisdorénavantenvisagermonaveniraveclui.Lespersonnesresponsablesdemoiontcertainementcruquenotreséparationforcéeauraitraisondenotreamour,quej’étaistropinconstantepourl’attendrependanttoutcetemps,maisellessetrompaient.Pourlapremièrefoisdemavie,quelqu’unm’aimaitvraimentaupointd’êtrealléenprisonpourmoi.Jen’allaiscertainementpasgâcheruntelmiracle.

Lesmoispassant,lepersonneldeBramertons’estrenducomptequejecontinuaisàentretenirunecorrespondanceassidueavecBrianetquejenefréquentaisaucunautrehomme.Lesresponsablessesontdoncrésolusàmelaisserluirendrevisiteenprison.Cetteexpériencen’arieneud’effrayantnidedéprimant,contrairementauxvisitesqueTerryetmoiavionsrenduesànotrepèredansnotreenfance.

C’étaitunbonheurdelevoir,mêmeenprésencedel’agentdesservicessociauxquiestrestéavecnouspendanttouteladuréedenotreentretien.Iln’avaitpaschangé,ilacceptaitsaconditionsansamertumeetmedisaitdeschosesinfinimentdouces.Ilmetraitaitcommeunepersonneunique.

LedirecteurdelaprisonaeudenombreuxentretienstéléphoniquesavecMmeMcquarrie.Finalement,ilssontarrivésàlaconclusionqueBrianavaitpeut-êtreuneffetpositifsurmoi.Ilétaitentouspointsl’opposédemonpèreetmerépétaitsouventdenepasm’enfuirdeBramertonetdenepasrecommenceràmeprostituer.Ilmepromettaitquenousallionsnousmarieretquetouts’arrangeraitpournousdèsqu’ilsortiraitdeprisonetquej’auraisl’âgelégal.Ennousconvoquantdansleurbureaurespectif,ledirecteurdelaprisonetMmeMcquarrieontconvenud’unarrangementpourqueBrianetmoipuissionsnousparlerautéléphone.

Endépitdesesconseilsavisés,jen’aipastardéàmesauverdenouveau.L’habitudeétaittropfortepourquej’ymetteuntermeaussifacilement.

Laplupartdutemps,jenesavaismêmepaspourquoijefuyaisainsi,nipourquoijefumais,nipourquoije

buvais,nipourquoijemedroguais…Peut-êtrevoulais-jesimplementdéfierlasociétéetl’autorité.S’évaderdeBramertonn’étaitpasaisé,caruneseuleroutemenaitaupensionnat.J’étaisdoncobligéedecouperàtraverschamps,sijenevoulaispasêtrerepéréeaussitôt,toutenmecachantderrièreleshaiesetlesarbres.

Aidéeparl’adrénaline,jecouraisviteaudébut,maisjecommençaisàm’essouffleretàregretterdem’êtredonnétantdemalpoursortirencachette.Cesexpériencesmerappelaientlesépreuvesdecrossquej’avaistellementdétestéesàWymondhamCollege.

Lorsd’unedecesfugues,jemesuisretrouvéesurlarouteprincipaleàunmomentoùjemecroyaisassezloindupensionnatpourêtretranquille,surtoutà21h.Jemesuisalorsdébarrasséedesbrindillescoincéesdansmescheveuxetdelabouecolléeàmeschaussuresavantdetendrelebraspourfairedel’auto-stopetregagnerNorwich.Bientôt,unevoitures’estarrêtée,etl’hommequiconduisaitm’aproposédemonter.Commeilétaitpolietbienhabillé,jen’aipashésité.

—Quefais-tudehorsàcetteheure-ci?m’a-t-ildemandéenredémarrant.

—J’étaischezdesamispourfairemesdevoirs,ai-jerépondu.J’aimanquéledernierbus,etmonpèrevametuersijenerentrepasàl’heure.

—Net’inquiètepas,tuserascheztoiàl’heure.Tun’aspasderaisondet’angoisser,jesuispolicier.

Sesparolesm’ontglacéed’effroi.J’étaispersuadéequ’ilallaitmereconduiretoutdroitàBramerton.

J’aitoutdemêmeluttépourgardermonsang-froidenespérantqu’ilneserendraitpascomptequejementais.Trèsgentiment,ilacommencéàmeposerdesquestionsquim’ontmiseextrêmementmalàl’aise.

—Oùsontteslivresdeclasse?m’a-t-ildemandé.

—Oh!voussavezcommeilssontlourds…,ai-jeréponduavecdésinvolture.Commelesparentsdemonamiel’emmènentàl’écoleenvoiture,elleprendmesaffairespourm’éviterd’avoiràlesporter.

—Tun’espasunedecesfugueusesdeBramerton,aumoins?a-t-ilditenriant.

—Pardon?

Moncœurbattaitlachamadeetjecraignaisd’êtreentrainderougir.

—Bramerton?ai-jeajouté.Qu’est-cequec’est?

—Tun’enasjamaisentenduparler?C’estungrandfoyerpourenfantsbâtiaumilieudeschamps.

—Quelsenfantsyvont?

Ilapassélerestedutrajetàrépondreàmaquestion.Sansdoutemecroyait-ilplusâgéequejen’étaisenréalité.Lorsqu’ilm’adéposéeenville,iln’avaitpaseul’airdedouterdemoiunseulinstant.Enroulantverslepostedepolicepourprendresonservice,iladûseféliciterd’avoirprissoussonaileunejeunefilleendétresse.J’aientendudireplustardqu’onluiavaitfaituncompterendudesaffairesencoursà

sonarrivéeetqu’ilavaitalorsdevinéquij’étais.Quandonm’afinalementretrouvéeetramenéeàBramerton,lessurveillantsn’ontpasmanquédemeracontercombienilavaitétéfurieuxd’êtreainsidupé.

—J’espèrepourtoiquetunelerecroiserasjamais,m’ont-ilditenriant.Ilétaitvraimentfouderage.

Malgrémesfuguesrépétées,jesuisrestéefidèleàBrianpendantlessixmoisdesonincarcération.

J’attendaisqu’ilsoitlibérépourleretrouveretvivreaveclui.J’avaistoujoursbesoindemesoûleretdemedroguerpouroublieràquelpointjemesentaisseule,perdueetdésorientée,maisjemegardaisbienderetournersurlestrottoirsdeBerStreet.ÀBramerton,lesgarçonsvenaientsouventversmoietjejouaisvolontiersaubillardaveceux,maiscelas’arrêtaitlà.J’aimaispasserdutempsenleurcompagnie;seulement,ilsn’étaientriend’autrequedescamaradesdeclasse.C’étaitunhommedontj’étaisamoureuse.

Monpèreétantenprisonpourunlongmoment,Kathyétaitvraimentprêteàm’aideretelleaproposédem’hébergerafinquejepuissequitterlefoyerpendantquelquetemps.Jepourraisainsiessayerdem’adapteràunevienormale.Ellem’aaccueilliedansunejoliechambre,précisantquejerestaisàconditiondebienmecomporteretderentrerlesoiràl’horairequ’elleauraitfixé.Jevoulaisvraimentquetoutsepassebienavecelle,maisj’avaisrecommencéàfréquenterdesfillesquej’avaisconnuesdanslarueetjelesretrouvaisaupubpresquetouslessoirs.Jemesuismiseàboiredeplusenplus,jusqu’aujouroùj’aiavaléenquelquesheuresquatorzepintesdeSnakeBite,unmélangedecidreetdebière.L’unedesprostituéesdecettebandes’appelaitSally.C’étaitunefemmetrèsgrande,impressionnante,etellevenaitdesefairepercerlenez.Ellemefaisaittrèspeur,mêmesipourrienaumondejeneleluiauraismontré.

—J’aimeraisbienfairelamêmechose,luiai-jeditenmetapotantlenez.

—Jepeuxtelefaire.

Jenepouvaisplusreculer.Jedevaisluiprouverquej’étaisaussitémérairequ’elle,sinon,jen’avaispasfinid’enentendreparler.

—D’accord,ai-jerépondu,commesic’étaitlachoselaplusbanaledumonde.

—Bon,viensalors.

Noussommesalléesensembledanslestoilettesdesfilles,et,sansaucunpréambule,ellem’atranspercélanarineavecunclou.Celafaisaitunmalhorrible,maisj’étaisbiendécidéeàmasquerladouleurquejeressentais.Commeàl’époqueoùmonpèremebattait,deslarmescoulaientsurmesjoues,maisjeretenaismescris.Ilm’avaitbienpréparéeàcegenredesituation.J’aigardéleclouenfoncédansmapeau,et,parmiracle,laplaienes’estmêmepasinfectée.

Kathyafiniparneplussesentircapabled’êtreresponsabledemoi.Elleessayaitdemeraisonnerchaquefoisquejerentraisivreetdroguéeaupetitmatin.

Dèsquejeretrouvaismalucidité,jem’envoulaisdel’avoirencoredéçue.Jeluidemandaispardonetluipromettaisquecelan’arriveraitplus.

Dèsquel’ennuirevenaitetquemonmoralretombait,jerecommençais.J’étaisincapablederésisteràlatentationdel’autodestruction.Comprenantquejenepouvaisplusluiimposercettevie,jesuisretournéeàBramertonsansprotester.Jen’avaisplusquequelquessemainesàpatienteravantdepouvoirretrouverBrian.

Àcestade,toutlepersonneldupensionnatavaitapprisàmeconnaîtreetsavaitcommentsecomporteravecmoi.Parfois,aprèsuneévasiondequelquesjours,jedécidaisderenonceretdetéléphonerpourdemanderqu’onviennemechercher.

Unenuit,aprèslafermeturedespubs,j’étaistellementivrequej’aivomidanslavoituredusurveillantquiétaitvenumerécupérerenville.J’avaisdûveniràboutdeleurpatienceàtous,maisilssemblaientavoirrenoncéàmedonnerdesleçons.Aulieudecela,ilspréféraientsemoquerdemoi.

—Pourquoias-tufaitça?medemandaient-ilsquandj’avaisagibêtement.Aufait,pourquandestprévuetaprochainefugue?

Jecroisqu’ilsn’attendaientplusriendemoi.Ilsmepunissaienttoutdemêmedetempsentempsenm’imposantdestâchesménagèressupplémentairesouenmeprivantdecertainsprivilèges,etj’acceptaisdocilementleurssanctions.Maislaconfiancequej’avaisregagnéedanscescas-làneduraitjamaislongtemps,carjefaisaissanscessedenouveauxcaprices.Auxyeuxdetous,j’apparaissaisdeplusenpluscommeunecauseperdue.

19

Premièregrossesse

Monseizièmeanniversairepassé,Brianaétélibérédeprison,etplusriennepouvaitmeretenir.Ilm’étaitimpossiblederesterlongtempséloignéedelui.

Dèsquel’occasionseprésentait,jefuyaispourleretrouver,exactementcommejel’avaisfaitavecmonpèreauparavant.LadirectiondeBramertonadoncdécidédemelaisserluirendrevisiteleweek-end:puisquej’avaisseizeans,notrerelationétaitlégaledésormais.Etnousétionstoujoursaussiamoureux.

Dèsquej’aidécouvertquej’étaisenceinte,j’aisuprécisémentdepuisquand.LapremièrefoisqueBrianétaitvenumevoiràBramertonaprèssalibération,nousétionsallésnouspromenertouslesdeux.

Aprèstantdemoisdeséparation,nousavionsfollementenviedefairel’amour.Nousnenoussommespasprotégés,toutsimplementparcequejemouraisd’envied’avoirunenfantdeBrian.J’aidoncétéenchantéed’apprendrequecelaavaitmarchédèslapremièrefois.Seulement,lesgensquim’entouraientn’ontpastardéàaltérermajoie,m’amenantàmedemandersij’avaisfaitlemauvaischoix.

L’unedessurveillanteslesmoinssympathiquesdeBramertons’estapprochéedemoietapointéundoigtversmonventre.

—Lemieuxquetupuissesfairepourcebébé,a-t-elleditavecunregardcruel,c’estdetefaireavorter.Tuneserasjamaiscapabled’êtremère.Laviedecetenfantvaêtreunenfer.

Celafaisaitunanquejenepensaisqu’àlaperspectived’avoirunbébé,quejenerêvaisquedelenourrir,delechériretdem’occuperdeluicommepersonnenel’avaitjamaisfaitpourmoi.Brianaussi

enavaittrèsenvie,d’autantplusqu’iln’avaitpaspudevenirpèrelorsdesesprécédentesrelations.Jecroyaisque,sij’avaisunbébé,j’auraisenfinunbutdanslavie,maiscettefemmevenaitdesemerledoutedansmonesprit.

J’avaiscruqu’unbébém’aideraitàrésisteràlatentationderetournersurBerStreetdèsquej’auraisbesoind’argent.Celam’étaitapparucommemameilleurechanced’assumermonindépendanceetdemenerunevienormale.Maissielleavaitraison?J’étaispeut-êtreindignededonnernaissanceàunenfant.Jemecomportaiscommeuneégoïste.Ilavaitsuffidequelquesmotspourmerappelertoutlemalquejepensaisdemoi-même.

Uneautreraisonm’avaitincitéeàfaireunbébé.J’avaisluquelquepartquelesfillesquiavaientétévioléesdansleurenfanceavaientparfoisdumalàêtreenceintesàcausedesmeurtrissuressubiesparleurcorps.J’avaisbesoindemerassurertantjecraignaisd’êtreconcernée.Mais,àprésent,jenepensaisplusqu’ausentimentd’inférioritéquivenaitdeseréveillerenmoi.Qu’est-cequipouvaitbienmelaisserpenserqu’unepersonneaussiméprisablequemoiméritaitd’avoirunenfant?Detouteévidence,cettesurveillanteavaitraison.Jedevaismettreuntermeàcettegrossesse.Sinon,jecondamnaismonbébéàvivreuneenfanceaussimalheureusequelamienne.

JesuisalléevoirMmeMcquarrieetl’infirmièrepourleurfairepartdemadécisiond’avorter.Ellesm’ontécoutéeattentivement,maisladirectricen’avaitpasdutoutl’airdem’approuver.J’étaisdéboussolée,moiquiavaiscruqu’elleseraitd’accordavecmoi!Etsonopinioncomptaitbeaucoupàmesyeux.

L’agentdesservicessociauxquisuivaitmondossierconsidéraitelleaussiquejedevaisavorter.C’estdoncellequim’aemmenéechezlemédecinafinqu’ilmeprescrivel’intervention.

—Pouvez-vousmedirepourquoivousvoulezavorter?m’a-t-ildemandéenévitantsoigneusementderegardermonaccompagnatrice.

—Parcequetoutlemondem’aditquej’étaisincapabled’éleverunenfantàcausedelaviequejemène,ai-jerépondud’unevoixneutre.

—Maisvous,qu’est-cequevousvoulezvraiment?

J’aifonduenlarmes.

—Jeveuxavoircebébé.

—Bien,a-t-ilponctuéens’enfonçantdanssonsiège.Iln’estpasquestionquejevousfassecetteprescriptionsiellenecorrespondpasàcequevousvoulez.

Sesparolesmelibérèrentd’uncoupdel’étauquimeserraitlecœur.J’étaissiheureusequequelqu’unécouteenfincequej’avaisàdireaulieudemedictermaconduite!Àpartirdecetinstant,pluspersonnen’auraitpumeconvaincred’avorter.Enquittantlecabinetmédical,jemesentaisplusheureuseetpluslégèrequejamais.Jen’entendaismêmepaslesreprochesquem’adressaitlafemmequim’avaitaccompagnée.ÀpeinearrivéeàBramerton,jesuisalléetoutdroitvoirMmeMcquarrie.

—Jenevaispasavorterfinalement,luiai-jeannoncé.

—J’espèrebienquenon,a-t-ellerépondu.

—Vousaveztoujoursvouluquejegardecebébé,n’est-cepas?

—Biensûr.Vousêtesunejeunefemmeenpleinesantéetvousêtestombéeenceintevolontairement;alors,pourquoivoudriez-vousavorter?

—C’estcequelesautresm’ontditdefaire.

—Ehbien,qu’ilsaillentsefairevoir,a-t-ellelâchéavecungrandsourire.Nousallonsavoirunbébé,unpoint,c’esttout.

Quandlessurveillantsontapprisquej’allaisbeletbiendevenirmère,ilsnesavaientpluscommentsecomporteravecmoi.Jerefusaisdésormaisd’allerencours,sibienquejepassaisdeplusenplusdetempsavecMmeMcquarrieouaveclessurveillants.J’aimêmeapprisàtricoterpourconfectionnerdesgilets,desbonnetsetdetoutespetiteschaussettes.

Aveclesannées,j’avaisnouédesliensavecplusieursmembresdupersonneldeBramerton,mêmesitoutavaitmalcommencéentreeuxetmoi.Jem’entendaisparticulièrementbienaveclesdomestiquesquejefréquentaisdanslescuisines,notammentRenee,lagouvernante,etlechefcuisinier.Ilsm’ontappristouslesdeuxbienplusquetouslesprofesseursdumonde.JeneparlaisjamaisàReneedemesproblèmespersonnels,cequiétaitunvraisoulagement.Samissionétaitdes’assurerquenousmangionsànotrefaim,quenousn’ayonspasfroidetqueleslocauxsoientbienentretenus.CequejepartageaisavecRenee,lesgarçonsletrouvaientsouventaveclejardinier.Nombred’entreeuxavaientdesproblèmessérieuxetn’étaientpasloindelaprison,etlefaitdepasserdutempsdehorsetdetravaillerlaterreétaituntrèsbonmoyendeleurfaireoublierquelquesinstantsàquelpointleurvieétaitdifficile.Pourmapart,jemesuismiseàconsidérercertainsmembresdupersonnelcommeunevéritablefamilledesubstitutionaucoursdesderniersmoisquej’aipassésàBramerton.

Sijenevoulaisplussuivrelescours,medisaient-ils,jedevaisalorschercherunemploi,cequiétaitunenotiontoutenouvellepourmoi.Jen’avaisjamaisconnupersonneayantuneactiviténormaledanslemondedutravail.Quandonmedemandaitcequejevoulaisfaire,jerépondaisquejevoulaismemarieretavoirquatreenfants.Maintenantqu’onmesuggéraitdetravailler,uneseuleidéemevenaitàl’esprit:unemploidevendeuse.

—Maistuesunefilleintelligente!ontprotestélesadultesdemonentourage.Tunevoudraispasavoirunprojetunpeuplusambitieux?Tupourraisfairedesétudessupérieurespourconstruireunecarrière.

Jen’étaispastrèsconvaincueparleursarguments.Aprèsdesannéesd’insultesassénéesparmonpère,jenemecroyaispasàlahauteurdetellesambitions.

Mais,surleurinsistance,j’aifiniparreconnaîtrequej’avaisbeaucoupaimétravailleraveclesenfantshandicapésdeBreak.Ilsontdonctrouvéuneplacepourmoidansunfoyerlocalpourhandicapés,cequiallaitmepermettred’emménagerdansunesorted’appartementsurveilléoùj’apprendraisl’autonomie.

Commej’avaistoujoursledroitdevoirBrianrégulièrement,j’avaislasensationquetoutmesouriait.

Jecommençaisàcroirequ’unbelavenirs’offraitàmoi,contrairementàcequej’avaistoujourscru.

Quelquessemainesplustard,jemesuisréveilléeunmatinavecdesdouleursterriblesetdessaignements.Autéléphone,lemédecinaindiquéquejedevaisrestercouchéeetqu’ilfaudraitfaireveniruneambulancesilessaignementscontinuaient.

Àl’heuredudéjeuner,monétatavaitempiré,etquelqu’unadoncappeléuneambulance.J’étaisterrifiée.MmeMcquarries’estprécipitéeàmonchevet,medonnantl’impressionqu’elleétaitaussiinquiètequemoi.Finalement,elleainsistépourm’accompagnerelle-mêmeàl’hôpital.

Ellem’atenulamainpendanttoutletrajet,cequim’adonnéàlafoisdelaforceetduréconfort.Elleétaittoujourslàquandonm’aemmenéeensalled’opération.Lorsquejemesuisréveillée,c’estsonexpressionsoucieuseetcompatissantequej’aivueenpremier.

—Est-cequej’aiperdumonbébé?luiai-jedemandé,mêmesilaréponseétaitinscritesursonvisage.

—Oui.Jesuisdésolée.

Dévastée,j’aipleurépendantdesjours,dessemainesmême.Recevoircedontonarêvétoutesavie,unechoseaussimerveilleuse,toutcelapourenêtreprivébrusquement,meparaissaitaussicruelqu’insupportable.Brianétaitsouslechoc,luiaussi.Mais,aumoins,jesavaisdésormaisquejepouvaisêtreenceinteetj’avaisplusenviequejamaisd’avoirunenfant.J’étaisdécidéeàréessayerdèsqueceseraitpossible.

20

L’épreuvedel’indépendance

Àdix-septans,j’étaistoujoursàlafoistrèsmûreetimmaturepourmonâge.Lesservicessociauxavaientlesentimentd’avoirtoutessayépourmoi,etilsnevoyaientplusl’intérêtdemegarderenfoyerjusqu’àmamajorité.Conscientsquej’allaispassermontempsàm’échapperdetoutétablissementoùilsmeplaceraient,ilsontdécidédem’accorderofficiellementmonindépendance,afindevoircequej’allaisenfaire.LejugequiavaitprésidéauprocèsdemonpèreetdeBrianamisfinàl’ordredeplacementàl’assistancepublique,puisilm’aremisl’ordonnancedutribunalquiannonçaitmonémancipation.J’étaislibred’emménageravecBrian.Moinsd’unanplustôt,onm’avaitditdegardermesdistancesavecluisousprétextequ’ilétaitdangereux,etàprésent,voilàqueletribunalnoussouhaitaitdevivreheureuxensemble.Cetteflexibilitéétaitsansdouteunebonnechose;celaprouvaitqu’onétaitàl’écoutedemesbesoins.Enréalité,Brianetmoiétionsaussiincapablesl’unquel’autredenousprendresérieusementenmain.

Transportéeparl’arrogancedelajeunesse,j’étaiscertainedesavoircequejefaisais.C’estpourquoij’aiannoncéauxservicessociauxquejen’avaisplusbesoindeleuraide.L’hommequej’aimaisétaitlàpourveillersurmoidorénavant.Ilsontdûêtresoulagésd’êtredébarrassésdemoi,maisjemedemandes’ilsontvraimentcruquenousallionsnousensortir,surtoutavecunbébésinousparvenionsàenavoirun.

JedevaisêtrelaseuleànepasmerendrecomptequeBrianauraitleplusgrandmalàassumerlapaternité.Commetouslesadolescents,j’étaisconvaincuequejepouvaisarriveràtoutsilesadultescessaientdemettredesobstaclessurmonchemin.

LamunicipalitéaattribuéunlogementsocialàBrian.J’aiaussitôtemménagédanscetappartementetsuistrèsvitetombéeenceinte.Cettenouvellechancededevenirmèremecomblaitdebonheur,maisjen’aipastardéàmerendrecomptequelesoutiendeBrianrisquaitd’êtrelimité.

Jenem’étaispasfaitdesoucitantquenousn’étionsquedeux,carjesavaisquejepouvaistoujoursallergagnerunpeud’argentsinécessairesurletrottoirdeBerStreet,mêmesi,biensûr,cetteperspectivem’écœurait.Maisiln’étaitpasquestionquejefassecelaalorsquejeportaisunvéritabletrésordansmonventre.Jemesentaisdonctoutàcoupextrêmementvulnérable.

Brianatrouvéunemploidepeintre-décorateur,maisilétaitdéjàendettéauprèsdelamunicipalité,cariln’avaitpaspayésonloyerpendantplusieursmois.Ilavaitpréférédépensersesallocationsenalcooletendroguesdetoutessortes.Ilbuvaitdeplusenplus,aupointque,commemonpère,ilconsacraitdésormaistoutsonargentàcela.Onnousavaitcoupélegaz,etlefournisseurd’électricitéavaitinstalléuncompteuràpiècesàcausedesproblèmesdefacturesimpayées.Sanschauffe-eau,j’étaisobligéedefairebouillirdel’eausurlesplaquesélectriquessijevoulaisprendreunbain,etcesconditionsrendaientnotreviecentfoispluscompliquée.

Laplupartdutemps,nousn’avionsplusdemonnaiepourl’électricitédèslemilieudelasemaine,etjerestaisassisetouteseuledanslenoiretdanslefroidenattendantqueBrianperçoivesesrevenusàlafindelasemaine.

Mêmelejouroùilétaitpayé,ils’arrêtaitaupubsurlecheminduretouretydépensaitdéjàpresquetoutsonargent.Jen’arrivaispasmoi-mêmeàmeconvaincredechercheruntravailsansperspectived’avenir,etBrians’indignaitdedevoirm’entretenirpendantquejenefaisaisriend’autrequel’attendreàlamaison.

Ilvoulaitquejecontribueaurevenudenotreménagesijevoulaismangeràmafaim,etjesavaisqu’ilavaitraison.Seulement,jenetrouvaispaslaforcedemeleverpoursortiretallerchercherdutravail.

J’aidûlepousseràbout,carils’estmisàdeveniragressifavecmoiquandilavaitbu,etmêmeviolentparfois,cequineseraitjamaisarrivéparlepassé.

J’avaisbeauêtreobsédéeparl’enfantquejeportais,jenefaisaispasgrand-chosepourpréparersanaissance.Jen’avaisprévunibiberonnigigoteuse,etjemedemandaisavecdeplusenplusd’inquiétudecommentj’allaismeprocurertoutcedontj’allaisavoirbesoin.Lebonheurd’êtreenceintem’avaitaveugléeaupointquejen’étaispluscapablederegarderlaréalitéenface.Avecletemps,j’aitoutdemêmefiniparcomprendrequenousallionsdevoirassemblernosforcestouslesdeuxpourremédierànotresituation.Quandjesentaislapaniques’emparerdemoi,jenepouvaism’empêcherdem’enprendreàBrian.Jeluifaisaislalistedetoutcequenousdevionsacheter.Lajeuneaventurièregaieetinsouciantedontilétaittombéamoureuxétaitloindésormais.Iladûcommenceràmevoircommeunfardeauquileprivaitdelalibertéqu’ilchérissait.Avantmagrossesse,nousavionsforméuncouplededeuxenfantsirresponsables,maisl’undenousaumoinsallaitdevoirdevenirunadulte.Ettrèsrapidement.

—Trouveuntravail,disait-ilquandjemeplaignaisden’avoirriendecedontj’avaisbesoin.

—Lequel?

—Jenesaispas.Regardelespetitesannoncesdansunjournal.

J’étaisconscientequ’ilavaitraison;seulement,j’avaisdenouveausipeuconfianceenmoiquej’étaispersuadéequepersonnenem’engagerait,mêmesijetrouvaisl’énergied’allerchercherunemploi.

J’étaisincapabledepenseràautrechosequ’àmonbébé,mais,mêmeencequileconcernait,jeneprenaisaucunedécisionraisonnable.Jemecontentaisdem’inquiéteretdepaniquer.JesuisdevenueinsupportableavecBrian;jenecessaisdeleharceleretdem’enprendreàluiàcausedesavisd’expulsionquenousrecevions.

Jemedemandaisàvoixhautecequiallaitadvenirdemoietdemonbébésinousétionsjetésàlarue.

Jenousimaginaistouslesdeuxsousunporcheentraindemendierou,pireencore,jemevoyaisseuledehors,séparéedemonbébéparlesservicessociauxquil’auraientplacéchezdesparentsdignesdecenom.

JevoyaisbienqueBrianétaitallétroploinpourpouvoirrevenirenarrière.Detouteévidence,jenepourraispascomptersurluipourmesoutenirfinancièrementetmoralement.Jel’aimaistoujours,maisjemerendaiscomptequ’iln’étaitpasprêtàchangerdevieetqu’ilneleseraitcertainementpasd’icilanaissancedubébé.Cependant,jenesavaispasversquimetournerpourdemanderdel’aide.Mamèrem’avaitrejetéetropsouventpourquejem’adresseàelle;mêmesimonpèreavaitpum’êtred’unquelconquesecours,ilétaittoujoursenprisondetoutefaçon.

J’étaisenceintedesixouseptmoisquandBrianaétéexpulsépourdebonparlamunicipalité.L’hiverapprochaitetjemenourrissaisaffreusementmaldepuisdessemaines,sibienqu’unjour,jemesuisévanouiedanslebus.Jevoulaistellementêtreunebonnemère…

Maismonbébén’étaitmêmepasencorenéetjelemettaisdéjàendanger.Et,plusjem’angoissais,pluslasituationempirait.

Àl’approchedemonaccouchement,j’aidûmerendreàl’évidence:monexpérienced’indépendanceavaitéchoué.Jenepouvaispasm’enremettreenpermanenceauxautressansm’assumermoi-même.Lamortdansl’âme,j’aiquittéBrian,faisantdemoi-mêmeunesans-abri.Jeredoutaisderetourneraubureaudesservicessociauxpourreconnaîtremonéchec.Jecraignaisqu’ilsmeprennentmonbébé.

Mais,commejecraignaisbienplusencoredeluifairedumal,j’aifinalementrassemblémoncouragepouryaller.Commejem’étaisvantéeauprèsd’euxquelquesmoisplustôtd’êtreparfaitementcapabledem’ensortirtouteseule,j’aidûravalermonorgueiletreconnaîtrequej’avaisbesoindeleuraide.

Sansdouten’avaient-ilspasététrèssurprisdemevoirarriver,carilsm’onttendulamainavecbontéetm’ontinstalléedansunfoyerpourfemmesnommé«LittlePortion»enattendantdemetrouverunlogement.C’étaitàlafoisironiqueetlogiquequejemeretrouvelàoùmamères’étaitréfugiéedesannéesplustôt.

LittlePortionétaitdirigépardesreligieuses.Jevoudraisbienpouvoirdirequec’étaitunenvironnementsympathiqueetaccueillant,mais,hélas,cen’étaitpaslecas.Peut-êtremefaisais-jedesidéessurcequ’ellespensaientdemoiàcausedelapiètreopinionquej’avaisdemoi-même,maisellesonttoutfaitpourmefairesentirquejen’étaisqu’unefemmedemauvaisevie.Ladisciplineyétaittrèsstricte.

Aucunhommen’avaitledroitd’entrer,cequiétaitsansdouteunebonnemesure,etl’heureducoucher

nousétaitimposée.Lesrepasétaientfrugaux,etl’atmosphèreétaitàlafoisétouffante,glacialeetintimidante.Lesreligieusesnefaisaientjamaispreuvedeméchancetédirecteenversnous,maisjen’airessentinisoutiennibontéautourdemoi.

Danscefoyer,j’airencontréunefilleprénomméeLisa.Elleétaitlamèred’unepetiteJessica.Noussommesdevenuesamies.Lesservicessociauxm’onttrouvéunappartementpeudetempsavantladateprévuepourmonaccouchement,etj’yaiemménagéaussitôt.

J’aipasséNoëltouteseuleavantdeconvaincreLisadevenirvivrechezmoiavecJessica.Celam’évitaitd’affronterseulelanaissancedemonbébé,etLisaétaittoujourslàpourmeréconforterquandj’étaisprisedepanique.Cetteidéeneplaisaitpasauxservicessociaux;d’aprèseux,laprésencedeLisaétaitnuisible,carsonex-petitamiétaitunhommeviolent.J’aimaistoutefoisbeaucoupcettefemmeetj’avaisbesoindecompagniepournepassombrer.

J’aicomprisalorsquej’avaisperdutoutemafamille.Monpèreétaitenprison.Detoutefaçon,ilétaitfurieuxcontremoidepuisledébutdemonhistoireavecBrianetilm’avaitfaitsavoirqu’ilnevoulaitplusentendreparlerdemoi.Endépitdetoutcequ’ilm’avaitfaitsubir,cettesituationmefaisaitréellementsouffrir.JevoyaistrèsrarementTerry.

QuantàChrisetGlen,ilsmenaientleurviedeleurcôté,etjen’avaispasledroitd’entrerencontactaveceux.Nevoulantpasquemonbébévienneaumondesansaucunefamille,j’aiécritàmamère.

J’étaisamèreàl’idéededevoirfaireunefoisdepluslepremierpasverselle,maisjetenaisàluidirequ’elleallaitdevenirgrand-mère.

Jeluiaiproposéquenousrecommencionsànousvoir.Àmagrandesurprise,elleaaccepté.Nousavonsfaitdenotremieuxlorsdenosrencontrespourreconstruireunerelationpacifiée.Elleavaitunnouveaucompagnonquiavaitadoptémondemi-frèreAdam.

Néanmoins,ilavaitbienpréciséqu’ilnevoulaitpasavoiràs’occuperdesesquatreautresenfants.Ilvoulaitbienqu’ellenousparleautéléphoneetquenousluirendionsvisitequandilétaitabsent,maisilrefusaitcatégoriquementd’avoiraffaireànous.

Comptetenudenotrehistoirefamiliale,jepeuxcomprendresaréaction,bienqu’ellemesemblâtquelquepeucruellevis-à-visdenoustous,ycomprisAdam.

Brianestvenuàl’hôpitalpourassisteràl’accouchement.Toutefois,j’aidécouvertqu’ilétaitsortilaveilleavecuneautrefemmeetnonavecdesamiscommeilmel’avaitdit.Ilestarrivécomplètementsoûletn’apastardéàs’endormirdanslasalled’attente,cequinecontribuaitpasàdonnerunetrèsbonneimagedelui.L’infirmièreadûleréveillerpourleprévenirquesonbébéétaitentraindenaître.Àcemoment,jenemesouciaisplusdecesdétailsquimeparaissaientbieninsignifiantsencomparaisondecequim’arrivait.Jenepensaisplusqu’àmonpetitgarçonetàmanouvelleviequicommençaitaveclui.

Ilétaitmagnifique.Jen’aipasfermél’œildetoutelanuitaprèssanaissance,tantj’avaisbesoindeleregarder.Del’admirer.Ilétaitsipetit,siparfait.Jeluiparlais,jeluipromettaisquejeferaistoutpourluioffrirunevieagréableetqu’ilneconnaîtraitjamaisuneenfancecommelamienne.

L’amourquejeressentaispourluiétaitsifortquejemesentaissubmergéeparmesémotions.Jel’ai

appeléBrendan,ensouvenird’ungarçonadorableavecquij’avaistravailléaufoyerpourhandicapés.

UngrandIrlandaisauxcheveuxrouxetauvisageparsemédetachesderousseur,avecquij’avaispartagéunericheamitiépendantletempsquej’avaispassélà-bas.

MmeMcquarrieaétél’unedespremièrespersonnesàmerendrevisiteàl’hôpital.Renee,lagouvernantedeBramerton,étaitvenueavecelle.J’aiaussivuKathy,quim’aapportétoutessortesdechosesdontj’avaisbesoin.Brianestvenuavecungrandbouquetdefleursetunecartesignéepartousnosamisdupub,cequim’adonnélesentimentd’appartenirmalgrétoutàunepetitecommunauté.MêmelamèreetlasœurdeBriansontvenuesnousvoir,Brendanetmoi.

Unefoisremisedemonaccouchement,j’aipassédixjoursdansunétablissementoùj’allaisapprendrelesgestesélémentairesàadopteravecmonbébé.J’étaisfermementdécidéeàêtrelameilleuremèrepossible.Durantlespremiersjours,cependant,cettetâchem’aparuinsurmontable.L’allaitementmefaisaitsimalquejepleuraisparfois.Jen’aimalgrétoutjamaisabandonné.Peuàpeu,c’estdevenuplusfacileetj’avaistellementdelaitquelessages-femmesm’ontsuggéréd’entirerunpeupourledonnerauxprématurésplacésensoinsintensifs.JemesouviensaussiqueBrendanareçuuneinjectionetquejen’aipaspuresterdanslapiècetantilcriaitquandonl’apiquéaupied.Jenesupportaispasdelevoirsouffrir,mêmepoursonbien.

Lisam’aoffertunlivredeMiriamStoppardsurl’éducationdesenfants.Cetouvrageestdevenumonguideabsolu,celuiquej’essayaisdesuivreàlalettredansmaquêtedelaperfection.Jesuisalléeàquelquesséancessurlaparentalitédanslebutd’apprendreplusdechoses,maistouteslesfemmesétaientlàavecleurmariouleurcompagnon,etj’étaisgênéedevenirseule.

J’avaisdix-huitansquandBrendanestné.Cejour-là,jemesuismiseàvivreexclusivementpourlui.

C’estluiquim’aobligéeàdeveniruneadulte.Lefaitd’avoirunbébémerappelaitChrisetGlen,etlafaçondontilsavaientététraitésaudébutdeleurvie.

Lanégligencedontnosparentsavaientfaitpreuvemeparaissaitencoreplusincompréhensiblemaintenantquej’étaismère.Toutenmoimedisaitdeprotégermonbébé,etjenecessaisdemedemandercommentmesparentsavaientpusemontreraussicruelsavecleursenfants.

Quandj’aipurentrerchezmoiavecBrendan,LisaetJessicaétaientparties.Brian,quantàlui,acommencéànousrendrevisiterégulièrement.Ildisaitvouloirpasserdutempsavecnous.Quelquessemainesplustôt,j’auraisététouchéeparcettedémarche,maisj’avaisunegranderesponsabilitéàprésent.Jesavaisquejedevaismemontrerpragmatique;orilestbientôtdevenuévidentqueBrianvoulaitseulementprofiterdemoi.Ilmangeaitlanourriturequej’achetaisetdilapidaitl’argentquiauraitdûservirpourBrendan.Ilnem’arienfournipournotrebébé.

Toutcequej’avaismevenaitdelagénérositédemonentourage.Jenepouvaistoujourspascomptersurlui.Toutefois,ilavaitlemérited’êtrelà,souriant,etdemetenircompagniedetempsàautre,mêmes’ilétaitgénéralementivreoudroguéquandilarrivait.

TouslesrapportsrédigésparDoris,l’assistantesocialequisuivaitmondossier,témoignentduchangementradicaldemoncomportementaprèslanaissancedeBrendan.Elleadmiraitmoncourageetmacapacitéàm’ensortirdansl’adversité.

Enlisantcequ’elleaécrit,j’aimaintenantl’impressionquelapersonnedontelleparlaitn’étaitpasl’adolescenterebelleetinstablequiétaitmentionnéequelquetempsplustôtdansd’autresrapports.

Enréalité,j’étaistoujourslamêmeaufonddemoi.Mesincertitudesetmesangoissesdepetitefilleétaienttoujourslà,etjemecroyaistoujoursincapabled’accomplirquoiquecesoit.Jeluttaisseulementpournepassombrer.J’aicommencéàvolerdesvêtementspourBrendan,carjedépensaistoutmonargentpourchaufferconvenablementnotreappartement.

Commejen’avaispaslesmoyensd’acheterdescouchesjetables,jemettaisàBrendandescouchesentissuquejedevaislaveràlamainpuisquejenepossédaispasdelave-linge.Jelessuspendaisensuitepourqu’ellessèchent,cequientretenaitlefroidetl’humiditédel’appartement,sanscompterquejen’arrivaisjamaisàfairedisparaîtrel’odeurquiimprégnaitletissu.Lasage-femmequipassaitchezmois’estsévèrementfâchéeunjouràcausedelatempératuretropbassedemonappartement.J’étaisdésespéréedevoirque,malgrétousmesefforts,jen’arrivaismêmepasàdonneràBrendanleminimumdontilavaitbesoin.Jemesouvenaisdufroidquirégnaitdansmachambredepetitefilleetjenevoulaispasfairesubirlamêmechoseàmonfils.

Dorisétaitunefemmeformidable,maissesvisitesd’unedemi-heureparsemainen’avaientpaslepouvoirderésoudremesproblèmesnid’opérerdeschangementsfondamentauxdansmavie.Laplupartdutemps,j’étaisseulechezmoiavecmonbébé.Jen’avaispasunenuitniunejournéeàmoi;chaqueminutedemonexistenceétaitconsacréeàrépondreauxbesoinsdeBrendan.

Dorissavaitquejeluttaispourm’ensortir,carellem’amêmeapportéducharbonpourm’aideràentretenirlefeu.Toutefois,jenevoulaispasqu’ellesacheàquelpointc’étaitdifficilepourmoi;j’avaistroppeurqu’ellesoitd’avisqueBrendanseraitmieuxchezquelqu’und’autre.

Jevoulaisbienfairedanstouslesdomaines,maisjenesavaispascommentm’yprendre.Jen’avaisjamaisvumamèrefairelacuisineoufaireleménage,etjenelavoyaispasassezsouventpourluidemanderconseil.Jedevaistoutapprendresurletas.J’avaisachetéunebouteilled’eaudeJavelpournettoyerlestoilettes,maisjenesavaisabsolumentpasàquellefréquencejedevaism’enservir,niquellequantitédeproduitjedevaisverser.C’étaitainsipourtout.

Jenecessaisd’entendredirequelesgensquiavaientétévictimesdeviolencesdansleurenfancereproduisaientlesmêmesmaltraitancesàl’âgeadulte.Pourtant,monseulbut,maseuleenvieétaientdem’occuperdeBrendancommed’untrésoretdeleprotéger.Maisuneforceobscuresommeillait-elleaufonddemoi?Cettepenséemeterrifiait,etjeredoutaisdedevenirunjourunmonstrecommemonpère.

Descentainesdequestionsassaillaientmonesprit.Àpartirdequelâgenedevait-ilplusprendresonbainavecmoi?Quanddevrais-jecesserdememontrerdevantluiensous-vêtements?J’avaistellementpeurdereproduirelesmêmeserreursquemonpère.Parfois,jemedemandaismêmesijedevaislecaresseretluifairedescâlins,tantjecraignaisdefranchirleslimites.

Lemanqued’argentmetracassaitvingt-quatreheuressurvingt-quatre.Seulement,jenepouvaispastravailleràpleintemps,carjenesupportaispasl’idéed’êtreséparéedeBrendan.Detoutefaçon,commentaurais-jefinancésagarde?Jedétestaisaussil’idéedevoler,d’autantquejepouvaisàtoutmomentmefairearrêter,cequidonneraitauxautoritésuneexcusepourplacerBrendanenfoyerd’accueil.Jeneconnaissaisqu’uneseulefaçondegagnerdel’argentrapidement.Alors,quandBrendanaeusixmois,j’airassemblétoutmoncourageetjesuisretournéefaireletrottoirdanslebutd’acheterce

dontnousavionstantbesoin.

J’aiamenéBrendanchezLisa,quiavaitemménagédansunnouveaulogement,etluiaidemandésiellepouvaitlegarderpendantdeuxheures.Jeneluiaipasditcequej’allaisfaire,niàpersonned’autre,carjesavaisquej’avaisprisunetrèsmauvaisedécision,mêmesic’étaitlaseulepossible.Jesavaisque,siunagentdesservicessociauxmevoyait,jeseraiscertainementséparéedemonbébé.Jefaisaisungrandpasenarrièreet,aumomentdemonterdanslavoituredemesclients,jememéprisaisplusquejamais.

Jenel’aifaitquedeuxfoistoutensachantquej’allaisdevoirtrouveruneautrefaçondesurvivre.Jemesentaistellementcoupabled’avoirrompulapromessequej’avaisfaiteàBrendanlejouroùilétaitvenuaumonde…Jeluiavaisjurédeluioffrirunebellevieetj’enétaistoutsimplementincapable.Monexpériencem’avaitapprisquel’argentquejegagnaisenmeprostituantneduraitjamaisplusdedeuxjours.

Sijecontinuaisdanscettevoie,jen’allaispastarderàmepostersurletrottoirdeBerStreettouslessoirs.Danscombiendetempsallais-jeêtrearrêtéeparlapoliceoubattueparunclient?Jenevoulaispasrentrerauprèsdemonbébéavecunœilaubeurrenoiretdesdentscassées.JemerappelaislessinombreusesfoisoùLucyétaitarrivéeàlamaisoncouvertedebleusetdeblessures.

Jesavaisquesafillemarchaitdésormaisdanssespas.Sijevoulaisavoirunechanced’offrirunaveniràBrendan,jedevaistoutdesuiteromprececerclevicieux.Maiscommentdevais-jem’yprendre?

Touslesjours,j’emmenaisBrendanfairedelonguespromenadesdanssonlandau.Jemarchaisainsideskilomètrespournouséviteràtouslesdeuxderesterdansnotreappartementetpourm’aideràréfléchir.J’avaisbeauaimerBrendanplusquejen’auraissuledire,jemesentaisdésespérée.Cherchantàéchapperàladureréalité,j’avaiscommencéàboiretouteseulechezmoi.Ilm’arrivaitd’avalerunebouteilleentièredevodkaenunejournéepouroubliermasolitudeetlaroutinepesantedemonexistence.

Danslesmomentslesplusdifficiles,mesidéesnoiresm’amenaientàmedemandersilasurveillantedeBramertonn’avaitpaseuraisonendisantquejeseraisincapabledem’occuperd’unbébéetqu’ilauraituneenfancemisérable.Quepouvait-ilespéreravecunemèrequinesavaitrienfaired’autrequeboireetvendresoncorpspouracheterdel’alcool?

J’étaisterrifiéeàl’idéedefinircommemamèreséparéedemesenfants,ouencoremorteetmutiléedansunendroitdésert.Lorsdesesvisites,Dorismeparlaitdegroupesdesoutienpsychologiquequipourraientm’aideràmeremettredemonpassé.

Ellem’aprésentéeàunefemmequiaccueillaitsouventdesenfantsenplacementfamilialetquipourraitpeut-êtregarderBrendandetempsentempspourmepermettredefairedesprojetspourmoi-même.

QuandBrendanaeuhuitmois,j’airencontréunhommed’affairestrèsprospèrequis’appelaitDavid.

Ilm’aapportéuneaideetunsoutienprécieux.S’ilmeplaisaiténormément,cen’étaitpasréciproque.Iln’ajamaisétéattiréparmoi.Ilvenaitdeseséparerdesonépouseetsemblaitdécidéàseteniràl’écartdesfemmespendantunbonmoment.

Ilvoulaitm’aider,entoutesincérité,etilm’aproposédevenirrépondreautéléphonechezluipendantqu’ils’absentaitpourtravailler.JepouvaismêmeemmenerBrendan.Jefaisaisaussiquelquestâches

administrativesetunpeudeménagedanssamaison.Davidétaittrèscontentdemoi.

Ilnepouvaitpasmepayertrèscher,carjetouchaisdesallocations,mais,grâceàcesupplémentderevenu,j’aipuprendredesleçonsdeconduite.Celamefaisaittellementdebiendefaireenfinquelquechosederespectable.Jegagnaisdel’argenthonnêtementgrâceàmontravailetj’étaisdécidéeàledépenserdemanièreutile.

Unjour,alorsquejerentraisdechezDavid,unecamionnetterempliedejeuneshommesaralenti.

Tandisquelesautresmesifflaient,leconducteurs’estadresséàmoi.

—Tuveuxquejeteramènecheztoi?

—Non,merci.Jemepromèneavecmonbébé.

—Donne-moitonnuméroalors,aditunautre.

C’étaitunjeunehommebienbâtiquiavaitunepetitetrentained’années.Commeilmeplaisait,jeluiaidonnémonnumérodetéléphone.N’ayantpasdenouvelleslesjourssuivants,j’aicesséd’ypenser.

J’avaissuffisammentdechosesentêtepournepasmepréoccuperd’unhomme.

Malgrémonnouveautravail,jen’avaispasderaisonsd’êtreoptimistepourl’avenir.Monétatdépressifnem’avaitpasquittée,etjecraignaisdenejamaisêtreenmesured’offrirunebellevieàmonfils.

J’avaisl’impressiond’êtreengagéesurunevoiesansissue.Pournerienarranger,j’avaisapprisquemonpèren’allaitpastarderàêtrelibéréaprèsavoirpurgépresquelatotalitédesapeine.J’appréhendaismesretrouvaillesaveclui.Unjour,alorsquej’étaisvraimentaufonddugouffre,j’aidécidéqu’ilétaittempsdemettreuntermeàtoutcelaavantqu’ilnesoittroptardetquelaviedeBrendannesoitàjamaisperdue.

Jel’aiamenéchezladamequem’avaitprésentéeDorisetluiaidemandédelegarderunmoment.

Puisjesuisrentréechezmoietj’aifaitvolontairementuneoverdose.J’avaisl’impressionquejen’avaisplusd’autrechoix.Etcen’étaitpasdifficile,jel’avaisdéjàfaitdesinombreusesfois…Jenemesentaispluscapabledem’occuperdeBrendan,etvivresansluiétaittoutsimplementau-dessusdemesforces.Jenesupportaispasl’idéederegarderquelqu’und’autrel’éleveràmaplace.C’étaitsansdoutepourlamêmeraisonquemamèreavaitcoupétoutcontactavecnouslejouroùelleétaitpartie.Sinon,sadouleurauraitététropforte.JenepouvaissuivresonexempleetabandonnerBrendanpourcontinueràvivre,maisj’étaispersuadéequ’ilseraitmieuxsansmoi.

Commej’attendaisquelescomprimésfassentleureffet,letéléphones’estmisàsonner.Jenesaispaspourquoij’aiprislapeinederépondre,maisjel’aifait.C’étaitRodney,legarçondelacamionnette,quivoulaitm’inviteràsortiraveclui.

Jen’aipasréussiàluidirecequejevenaisdefaire,maisleseulfaitd’entendresavoixàtraverslebrouillardcrééparlavodkaetlesmédicamentsm’asoudainredonnéespoir,etj’airegrettémongeste.

Toutdesuiteaprèsavoirraccroché,j’aiappelémamèrepourluidirequej’avaisfaituneoverdose.

Ellen’apascachéquejeladérangeaisetquemoncomportementl’écœurait,maiselleatoutdemêmeenvoyéuneambulance.Quandjemesuisréveillée,j’étaisàl’hôpital,oùj’avaissubiunnouveaulavaged’estomac.Enreprenantconnaissance,j’aiétéprisedepanique.Allaient-ilsm’enleverBrendanmaintenantquej’avaistentédemesuicider?Vivreavecmoiétaitdevenubeaucouptropdangereuxpourlui!C’étaitentoutcascequ’allaientpenserlesservicessociaux,àn’enpasdouter.

Parchance,lesoutienappuyédeDorisadûmesauver.Àmagrandesurprise,lesservicessociauxsesontmontréstrèscompréhensifs.Toutlemondesemblaitconsidérerquej’avaistouteslesraisonsd’avoircommisungestesuicidairecomptetenudemonpasséetdetouslesproblèmesactuels.Personnen’asongéquecelafaisaitdemoiunemauvaisemère,etonacherchédenouveauxmoyensdemevenirenaide.

J’aicommencéàsortiravecRodneyjusteavantmondix-neuvièmeanniversaire.Parpurecoïncidence,nousavonsvumonpèreaupubdèsnotrepremièresoiréeensemble!Quandjelesaiprésentés,Rodneyavouluaussitôtfairebonneimpressionensecomportantcommelegendreidéal,etlecharmeaparfaitementopérésurmonpère.Ilssesontentendusàmerveille.

Plustard,quandj’aiconfiéàRodneytoutcequem’avaitfaitmonpère,ilétaithorrifiéetm’aditquejenedevraisplusjamaislevoir.

Dèsledébutdenotrerelation,ilm’afaitpartdesonenviedecommencerunenouvellevieavecBrendanetmoi.C’estainsiqu’ils’estinstalléavecnousdansmonpetitdeux-pièces.

J’avaisencoredumalàcroirequequelqu’unpuisses’intéresseràmoi.Brianvenaittoujoursnousrendrevisitedetempsentemps,maisilavaitcomplètementsombrédansl’alcoolisme,etjevoyaisbienqu’ilneseraitjamaisunpèrepourBrendan.Jen’aidoncpasprotestélorsqueRodney,àboutdenerfs,l’arenvoyéenluidisantque,désormais,nousétionssafamille.

J’avaisenviedecontinueràtravaillerpourDavid,carcetemploim’avaitpermisd’acquérirunecertainedignité,maisRodneynesupportaitpasl’idéequejetravaillepourunautrehomme.Nousnoussommesbeaucoupdisputésàcesujet.Finalement,c’estmoiquiaicédé.

Rodneyavaitdéjàtroisenfantsd’uneautrefemme.Ilsvenaientcheznousleweek-end,etlafamillequenousformionstousensemblemecomblaitdebonheur.Aujourd’hui,jemedemandecommentnousfaisionspourcohabitertouslessixdanscetappartement,d’autantplusqu’ilsvenaientavecleurpetitJackRussellterrier!

Maisj’aimaislejoyeuxbruitetledésordrequ’apportaitleurprésenceetjeprenaisunplaisirfouàm’occuperd’eux.Plusjamaisjen’allaispasserceslonguesheuresseulechezmoiàmemorfondre,plusjamaisjeneseraistentéedemeprostituerpourgagnerdel’argent.AvecRodney,jemesentaisensécuritéetjenedemandaispasmieuxquemereposersurlui.

Jesouhaitaisencoreunechose:libérerBrendandelasurveillancedesservicessociaux.Etjesavaisquenousn’aurionsplusbesoind’euxsijerestaisavecRodney.Jenesavaispasdansquelleaventurejemelançais,maisenfin,peut-êtrepourlapremièrefoisdemavie,j’avaisfoienl’avenir.

Épilogue

Quandj’aiàpeuprèstrente-cinqans,aprèsdesannéesdethérapie,monpèreestvenumerendrevisiteunjour.Ilavaitlescheveuxgris,etunvieuxpullrougeavaitremplacéseschemisesblanchesd’autrefois.Ilavaitenviedemeparler,dem’expliquerpourquoiils’étaitcomportédecettefaçonavecmoi.

—C’étaitàcausedudépartdetamère,a-t-ildit.Siellenem’avaitpasquitté,jenet’auraisjamaistouchée.

Sonautreexcuseétaitl’alcool.D’aprèslui,c’étaittoujourssousl’effetdel’ivressequ’ilavaitabusédemoi.Maisjesavaisqu’ilnedisaitpaslavérité.

Ilm’aensuiteconfiéqu’ilavaitsubidesviolsrépétésdanssonenfanceetqu’ilnel’avaitjamaisditàpersonne.J’ignoresic’étaitvrai,maiscen’étaitpasuneraisonpourm’infligerlamêmetorture.Entoutcas,lefaitdemeracontercettehistoirel’afaitpleurer.

—Papa,luiai-jeditsèchement,necomptepassurmoipourteservirdepsychologue.

Jevoulaisbienessayerdelecomprendre,maisriendecequ’ilpourraitmedirenemeconvaincraitqu’ilavaiteuraison.Cejour-làencore,ilm’afaitcomprendrequ’ilm’envoulaitd’avoirrévélécequisepassaitenprivéentrenous.Ilconsidéraittoujoursquejeluiappartenaisetquejen’auraispasdûledénoncer.

—Donc,a-t-ilditfinalementenséchantseslarmes,sijetedonnaismillelivresmaintenantetquejet’emmenaisaulitpourtebaiser,là,çaresteraitentrenous,c’estça?

Jenepouvaispascroirecequejevenaisd’entendre.Commentavait-ilpudireunechosepareille?

—Sorsdechezmoi,luiai-jeordonné.

Jesavaismaintenantquejen’obtiendraisjamaisd’excusesdesapart.

Peter,l’hommequim’avaitvioléeaveclacomplicitédemonpère,esttombéàl’eauunjouralorsqu’ilétaitivreetils’estnoyé.Jen’aipasressentilamoindreémotion.

Brianesttombédesonbalconsousl’effetdel’alcooletaeudeslésionscérébrales.Jel’aivuunjourvendreBigIssue,lejournaldespersonnesendifficulté,danslecentredeNorwich.Jemesuisapprochéepourluienacheterunexemplaire,maisilnem’apasreconnue.

Nombreuxsontceuxquej’aiconnusparlepasséetquiontétévictimesdel’alcooletdeladrogue.Ilfautbeaucoupdecourage,dechanceetd’effortspoursesortirdustyledeviedanslequeljesuisnée.

En2006,quandj’aientenduparlerdumeurtredecinqjeunesfillesquiseprostituaientàIpswich,j’aieulecœurserré.Enmontantdanslavoitured’inconnuspourvendreleurcorps,elless’étaientmisesendangercommejel’avaisfaitsisouvent.Aucunejeunefillen’enarrivelàparchoix.Personnenenaîtpourmeneruneexistencecommecelle-là.Ilfautenarriveràundegrédeméprisdesoitrèsavancé,ilfautêtreconvaincuqu’onnepeutrienfaired’autrequandondécidedevendresoncorpssuruntrottoir.Cesjeunesfillessontlesproieslesplusfacilespourlessadiquesetpourlesassassins.

J’auraispumefairetuerdesdizainesdefois.Dureste,jedoisdirequemonpèreaétéinterrogéparlapoliceàlasuitedecemeurtreàIpswich,carilétaitconnupoursonactivitédeproxénèteàNorwich,qui

nesetrouvaitqu’àunesoixantainedekilomètresdulieududrame.Ilarrivaitquedesfillesd’Ipswichviennenttravaillerdansnotrequartier,celuiquemonpèrem’avaitfaitvisiterenmerappelantquemamèreaussis’yétaitprostituée.

Ilm’arriveencoredelehaïretdelemépriser,oumêmedesouhaitersamort.D’autresjours,jeparviensàtrouverlaforcedeluipardonner.

Cesannéesdesouffranceresterontàjamaisgravéesdansmamémoire.Jel’adoraisetjesavaisqu’ilm’aimaitaussi.Maisjeneveuxplusjamaisluifairelamoindreplacedansmavie.

Chezlemêmeéditeur

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Desrécitsémouvantsd’enfancesvolées,deshistoirespleinesd’espoird’uneluttepourlavie.

www.city-editions.com

[1].TheMostBeautifulGirl,1973.

DocumentOutlineSommaireIntroductionUncoupleglamourLesdébutsd’uneviedefamilleLespremierspasdemamèresurletrottoirLedépartdemamèreLavieàtroisLevoyagechezmagrand-mèreLechagrindemonpèreLalectureLetempsdel’endurcissementLesfoyersd’accueilLepensionnatLavisiteLepremierclientLeretourdemamèreLeprixdupasséMarencontreavecBrianLesruesdeKing’sCrossLeretourPremièregrossesseL’épreuvedel’indépendanceÉpilogue