Joseph Moreau - L'Idée Platonicienne Et Le Réceptacle

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  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

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    Revue Philosophique de Louvain

    L'ide platonicienne et le rceptacleJoseph Moreau

    Rsum

    L'ide platonicienne est-elle une abstraction spare du sensible, ou une relation a priori applicable l'analyse de l'exprience

    et propre dfinir un idal pratique? Cette question, souleve dans l'aristotlisme, se traduit par l'opposition entre lesdterminations mathmatiques (nombres et figures) et les exigences de la finalit. Ces deux conceptions supposent toutefois

    une rduction idaliste de l'extriorit, ramene une expression imaginative du non-tre.

    Abstract

    Are Plato's Ideas an abstract vision, separated from sensible things, or an a priori relation used for analysing experience as well

    as for planning action? This question, raised in Aristotelianism, can be expressed as the opposition between mathematical

    definitions (numbers and figures) and practical values. But both views imply an idealist reduction of exteriority, considered as an

    imaginative expression of non-being.

    Citer ce document Cite this document :

    Moreau Joseph. L'ide platonicienne et le rceptacle. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, tome 86, n70,

    1988. pp. 137-149;

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1988_num_86_70_6494

    Document gnr le 25/05/2016

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1988_num_86_70_6494http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1988_num_86_70_6494http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1988_num_86_70_6494http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1988_num_86_70_6494http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/
  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

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    L'ide

    platonicienne

    et

    le

    rceptacle

    Aristote,

    on le

    sait,

    s'oppose au platonisme

    en rejetant

    le ralisme

    de l'intelligible, la ralisation de l'Ide en

    dehors

    du sensible; mais il ne

    peut liminer sa, fonction: c'est de

    la

    fonction de l'Ide, de sa ralisation

    immanente,

    que

    rsultent toutes

    les

    dterminations

    du

    sensible.

    Pareillement, pour

    Kant,

    notre connaissance ne

    peut atteindre d'autres objets

    que ceux

    de

    l'exprience,

    qui reposent sur les

    donnes

    des sens; pour

    Platon,

    au

    contraire,

    les

    donnes sensibles

    taient

    perptuellement

    fluen-

    tes;

    on n'y pouvait

    rien saisir de stable;

    elles taient

    donc incapables

    de

    fournir des

    objets

    la

    connaissance. Si

    donc,

    poursuit

    Aristote,

    rapportant

    la

    doctrine

    de Platon,

    il doit

    y avoir une science, une connaissance

    sre,

    affranchie

    des

    incertitudes

    de l'opinion

    et

    permettant de dominer

    la

    mobilit

    et la

    confusion des apparences,

    il

    faut

    qu'il y

    ait des essences

    immuables,

    distinctes des choses sensibles, et que Platon appelle

    Ides.1

    Mais comment concevoir ces Ides, qui seraient, pour Platon,

    l'objet vritable

    de

    la connaissance?

    Si

    l'on

    en croit Aristote, les Ides

    platoniciennes

    seraient

    des

    notions gnrales

    et

    abstraites, retenant

    les

    caractres

    communs aux

    tres singuliers

    runis

    dans

    une

    mme

    classe.

    Les Ides

    platoniciennes sont regardes par Aristote

    comme

    des Univer-

    saux,

    et il estime,

    comme Platon, que

    la

    science a pour

    objet

    l Universel;

    seulement ces Universaux n'ont pas

    ses

    yeux

    de

    ralit en

    dehors

    des

    choses sensibles; c'est en eux que consiste

    la

    forme ou essence des choses

    sensibles; mais l essence ne saurait tre

    spare de

    la chose2; c'est

    de

    la

    prsence en

    elles

    de la forme ou essence que les

    choses

    tiennent leur

    ralit; c'est

    par

    l qu'elles

    sont des substances.

    Deux

    points

    doivent

    ici retenir

    notre

    attention.

    D'abord,

    est-il

    exact

    que

    l'Ide

    soit,

    au regard

    de Platon, un

    Universel tir par abstraction

    de

    la comparaison des tres singuliers? Aristote

    indique

    ce propos que

    Platon a t

    conduit

    la

    considration

    de

    l'Ide par l'exemple

    de

    Socrate,

    qui recherchait des

    dfinitions

    universelles en morale3. L'enqute

    socratique

    est

    manifestement l'origine de

    la thorie

    platonicienne de

    Aristote, Mtaph. A 6,

    987a

    32-33; M

    4, 1078b 12-17.

    1

    Ibid.,

    A 9, 991b 1; M 9, 1086b 1-7.

    3

    Ibid.,

    A 6, 987b

    1-4;

    M

    4,

    1078b 17-19, 27-29.

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    Joseph

    M

    or

    eau

    l'Ide; mais l tude des premiers dialogues

    de Platon,

    qui nous montrent

    Socrate

    la recherche d'une

    dfinition

    du

    courage, de

    la

    sagesse, de

    la

    pit,

    de

    la

    vertu

    et

    de

    ses

    diffrentes

    espces,

    dnote

    aussi

    que

    cette

    recherche ne peut aboutir si l'on

    s'en

    tient

    une confrontation

    d opinions ou une comparaison d'exemples, si elle ne se rfre une exigence

    absolue,

    qui se rvle a priori, dans

    l'intriorit

    de

    la

    conscience4. Si

    l'Ide trouve son origine dans la rflexion

    morale, elle

    ne

    peut

    donc

    se

    rduire, comme le suggre

    Aristote,

    une abstraction.

    Mais

    sur un autre point

    les

    explications

    d'

    Aristote rencontrent

    une

    difficult fondamentale.

    Si l'Ide, observe-t-il,

    est

    spare de

    la

    chose,

    comment peut-elle contribuer

    la connaissance? Si, par opposition aux

    apparences sensibles,

    leur diversit

    mouvante,

    il n'est

    de

    connaissable

    que l'Ide, l'essence immuable, ne

    s'ensuit-il

    pas

    de

    l que

    tout

    ce qui est

    matriel, mobile,

    est

    soustrait

    la connaissance?5

    Cette consquence,

    reproche Platon,

    ne

    s'impose cependant

    que

    si l essence

    est

    considre

    comme une abstraction,

    drive

    de l'exprience et rduite

    une

    forme

    vide

    de

    contenu. Mais c'est

    d'une autre

    faon

    que l'Ide

    platonicienne

    peut

    et doit

    tre entendue: non comme une notion

    abstraite,

    dtache de

    l'exprience,

    mais

    comme

    une dtermination

    a

    priori, au moyen

    de

    laquelle la pense s'applique la rejoindre.

    Plus

    que par la

    sparation de

    l'Ide, par la dualit

    de

    l'Ide et

    de

    la chose,

    l'idalisme platonicien peut

    tre

    caractris

    par

    la

    thorie

    de

    la

    Rminiscence,

    selon

    laquelle

    apprendre,

    c'est se ressouvenir, c'est--dire dcouvrir dans

    l'intriorit

    des

    vrits dont la

    certitude

    ne

    dpend pas de l'exprience,

    mais qui

    s imposent l'esprit par une

    ncessit

    intrinsque: telles les vrits

    mathmatiques, qui n'ont pas besoin pour tre vraies

    que

    leurs objets

    soient

    rels.

    Les

    figures

    et les nombres sont

    des objets idaux, qui

    ont

    leurs vraies

    et

    immuables natures, mme s'ils n'existent pas en dehors de notre pense.

    Ils ne

    sont pas dfinis

    a

    posteriori, en

    conformit

    avec

    des donnes

    d'exprience, mais poss

    a priori,

    par une libre dcision dont l'esprit

    reconnat

    les

    consquences

    ncessaires;

    en

    cela

    consiste

    leur essence, leur

    vrit ternelle, correspondant une dfinition nominale6.

    Aristote

    rpugne

    cette

    conception idaliste de

    la vrit;

    pour

    lui,

    il

    n'est de connaissance que drive de l'exprience;

    il

    ne peut donc y avoir

    de notions, si

    ce

    n'est abstraites, de dfinitions, si

    ce

    n'est empiriques;

    4 Platon, Gorgias, 472 bc.

    5 Aristote, Mtaph. A 9,

    991a

    11.

    6 Descartes,

    Meditatio V

    (AT., IX, p.

    50-51).

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    L'ide

    platonicienne et

    le rceptacle

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    point par

    consquent de dfinitions

    nominales, supportant des

    vrits

    ncessaires.

    S'il

    est

    une dfinition

    nominale,

    c'est celle

    d'un

    tre qui

    n'existe

    pas,

    comme

    la

    licorne

    ou

    l'hircocerf;

    mais

    pas

    plus

    qu'il

    n'a

    d'existence,

    un

    tel animal ne saurait avoir

    d'essence,

    faire

    l'objet

    d'une

    dfinition vritable: ce qui

    n'est

    pas, nul ne saurait dire ce que c est7.

    Cette position d'Aristote fait apparatre un contraste entre

    deux

    manires de concevoir

    l'Ide

    platonicienne. Si elle

    est pose en

    dehors

    du

    sensible,

    comme une

    entit, un Universel

    spar, une abstraction ralise,

    elle devient impropre sa fonction, ne peut tre

    pour

    nous le moyen de

    connatre

    les

    choses

    sensibles,

    les objets

    empiriques; la

    critique

    aristotlicienne

    relve

    ainsi une

    difficult

    qui

    n'avait

    pas

    chapp

    l'attention

    de

    Platon et dnote

    seulement

    que l'Ide doit tre conue d'une

    autre

    manire8.

    Dans

    le mme dialogue o

    Socrate

    explique

    que

    les

    diffrentes

    vertus se

    distinguent

    entre

    elles

    non comme les doigts de

    la

    main, mais

    comme

    les

    espces

    dans

    le

    genre (dans

    le Mnon),

    il

    indique

    que la

    vrit

    se

    dcouvre

    dans l'intriorit; il montre que

    l'objet de

    la connaissance

    mathmatique

    est

    construit a priori, au moyen

    de relations pures9.

    Platon

    en viendra, certes,

    voir dans

    les tres

    naturels, dans

    les

    objets de

    la science,

    une

    hirarchie de genres et d'espces; mais

    ces objets

    ne

    seront vritablement connus que s'ils sont constitus essentiellement

    de

    rapports, dfinis par des mesures,

    partir

    d'une

    exigence absolue,

    d'un

    principe

    inconditionn. Si donc

    il est

    permis d'envisager

    deux

    conceptions

    de

    l'Ide platonicienne, l'une o

    elle

    est

    regarde comme

    un genre,

    l'autre o elle

    est

    saisie

    comme une relation,

    et

    si elles ne sont pas

    incompatibles, c'est

    la

    seconde nanmoins, celle qui

    la

    sparation,

    souligne par

    Aristote,

    oppose

    l'intriorit,

    qu'il convient

    d'accorder la

    prfrence et la

    priorit. C'est ainsi

    que dans

    son livre: Les philosophes-

    gomtres de

    la

    Grce (1900),

    antrieur

    celui de

    P.

    Natorp: Platons

    Ideenlehre (1903),

    et

    qui plus que

    ce

    dernier, d inspiration no-kantienne,

    m'a

    d'abord

    servi

    de

    guide,

    G.

    Milhaud

    a

    pu

    crire:

    L'tre

    des ides

    est

    de mme

    nature

    que

    l'tre des vrits et des

    essences

    mathmatiques;

    et, justifiant cette

    interprtation,

    il crivait: Tandis que

    l'ide gnrale

    (l'Universel aristotlicien)

    rsulte

    toujours de

    la

    constatation des

    caractres

    communs

    une multitude

    de

    choses, nous

    sommes

    conduits

    7 Aristote,

    Anal, post., II

    7,

    92

    b

    4-8.

    Platon,

    Parmnide, 132

    ab.

    9 Id.,

    Mnon,

    81

    b-86

    b.

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    Joseph

    M

    r

    eau

    poser l'ide

    platonicienne

    bien

    plus

    par

    la

    contradiction

    des impressions

    extrieures

    que par leurs ressemblances10.

    Ces

    vues

    sont pleinement

    confirmes

    par des

    analyses

    qu'on

    peut

    extraire des dialogues platoniciens relatifs la connaissance. Dans

    le

    Phdon, titre d'exemple de

    ces

    essences immuables requises pour

    la

    vrit de

    la

    connaissance,

    est

    considr

    d'abord Y

    gal en soi

    (amo

    xo

    aov),

    l'ide d'galit,

    son opposition

    la multitude des

    btonnets

    gaux

    (6Xa x aa) observables par les sens. Ceux-ci ne sont jamais

    parfaitement

    gaux entre

    eux; la

    relation d'galit, au contraire,

    est

    toujours

    identique elle-mme; elle

    n'est jamais donne dans l'exprience

    sensible; elle

    est

    seulement pense; c'est en ce sens qu'elle

    est

    dite

    intelligible11. Or,

    en dpit

    de

    cette

    opposition

    essentielle,

    il

    importe

    de

    remarquer que

    cette

    ide

    de l'gal

    ne

    serait

    jamais

    venue

    notre esprit

    sans

    la perception d'objets

    gaux12; mais elle

    n'est pas drive

    de

    la

    perception, elle

    est

    seulement voque par elle: elle provient d'une

    autre

    origine; Ce

    n'est pas

    de

    la comparaison d'objets

    gaux que nous tirons

    l'ide de l'gal;

    car

    de tels objets

    ne

    sont jamais

    parfaitement gaux;

    c'est

    au contraire

    parce

    que nous trouvons dans notre esprit l'ide de l'gal

    que

    nous pouvons juger

    que

    ces objets

    sont

    approximativement gaux13.

    Plus gnralement, c'est pour rsoudre les

    ambiguts

    du

    sensible

    que

    nous

    faisons

    appel aux

    relations

    de mesure: Simmias est-il grand ou

    petit?

    On

    n'en-

    saurait

    rien

    dire

    absolument;

    mais

    il

    est

    plus

    grand

    que

    Socrate, plus petit que Phdon14. La relation

    d'ingalit

    se distingue

    ainsi en

    diffrence,

    en plus ou en moins, qui se prcise elle-mme en

    rapports de mesure: double ou demi,

    combien

    plus ou

    combien

    moins. Six

    osselets

    ct

    de quatre

    sont moiti plus,

    ct de

    douze moiti moins; et

    la

    relation immuable permet

    ainsi

    de dterminer jusqu'aux variations

    de

    grandeur15. Contrairement l'objection d'Aristote,

    la

    relation immuable

    s'applique

    la

    dtermination

    du changement:

    n'y

    a-t-il pas

    des

    quations

    du

    mouvement?

    Ces

    explications,

    tires

    du

    Phdon,

    du

    Thtte,

    de

    la

    Rpublique,

    mettant en lumire le

    caractre

    a

    priori

    de

    la

    pense

    mathmatique

    et

    son

    rle

    dans

    la

    dtermination du sensible, aboutissent rduire l'cart entre

    10 G.

    Milhaud,

    Les philosophes-gomtres de la

    Grce,

    p. 259, 267.

    11 Platon,

    Phdon, 74

    bc.

    12

    Ibid., 75

    a.

    13

    Ibid,

    74

    d.

    14 Ibid., 102 b; cf. Rpublique, VII 523 b-524 d.

    15 Thtte, 154

    c.

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    L'ide

    platonicienne et

    le rceptacle 141

    l'objet

    intelligible, immuable,

    et

    la

    mobilit de

    l'exprience

    sensible; elles

    nous permettent

    d'apercevoir (ce que Kant

    tablira magistralement)

    que

    l'exprience

    ne

    se rduit

    pas

    aux

    donnes

    brutes

    des

    sens,

    qu'elle

    est

    un

    rsultat, autrement dit qu'elle suppose une laboration du sensible au

    moyen

    de concepts

    purs

    de

    l'entendement.

    C'est par

    l que

    l exprience

    s'lve

    au-dessus

    de la subjectivit

    confuse

    des impressions, pour

    atteindre une connaissance objective, une reprsentation d'objets16.

    L'objectivit

    n'est

    pas, comme l'imagine le

    sens

    commun,

    et

    comme

    l'affirme dogmatiquement

    le positivisme

    scientiste,

    la

    donne

    primitive et

    la base indfectible

    de

    la connaissance: l'objectivit

    mme

    est

    une

    conqute.

    Telle

    est

    la

    position

    caractristique

    de

    la

    critique

    kantienne:

    en

    montrant que l'objectivit de la connaissance

    rsulte de

    l'application

    aux

    phnomnes des catgories de l'entendement, elle

    fonde

    la certitude de

    la

    science, mais rduit sa prtention dogmatique,

    celle

    d'atteindre au-del

    du phnomne,

    la chose

    en

    soi: mais

    comme elle

    est

    cense interdire ainsi

    l'accs

    la

    mtaphysique,

    au

    monde

    intelligible,

    aux

    Ides

    transcendantes

    il

    parat

    impossible

    d'imputer Platon une

    position

    pareille,

    de

    ramener la doctrine

    des Ides une

    thorie

    de l'objectivit scientifique,

    de rduire

    l'idalisme

    platonicien

    un

    idalisme transcendental. Une

    telle interprtation, qui parat tre celle de Natorp17, a t

    accueillie

    par

    L.

    Brunschvicg,

    mais

    est

    apparue

    au

    plus grand nombre comme une

    mutilation

    du

    platonisme: mutilation accepte

    allgrement

    par

    Brunschvicg, qui distingue entre le Platon

    de

    l'analyse, thoricien

    de

    l objectivit

    scientifique, et

    le Platon de

    la

    synthse, qui construit une

    cosmologie rationnelle, un systme de l'Univers, o s'exprime une

    mt physique

    de

    l'tre, une ontologie d'inspiration thologique18.

    J'ai toujours estim, pour ma part, qu'il y avait dans l'idalisme

    platonicien

    une

    thorie

    de

    l'objectivit,

    comparable

    celle

    de Kant,

    mais

    qu'elle

    n'est

    pas incompatible

    avec

    la

    transcendance mtaphysique

    de l'Ide, l'exigence absolue du Bien; ce

    que l'on

    peut traduire avec

    plus

    de prcision en disant

    que

    l'Ide platonicienne n'est pas seulement un

    concept de l'entendement, applicable

    au donn,

    mais

    une

    forme idale,

    dfiant

    peut-tre toute

    ralisation empirique,

    et o s'exprime une exi-

    16 Kant, Critique de la Raison

    pure,

    Introduction,

    I.

    17 P.

    Natorp,

    Platos Ideenlehre, Leipzig,

    1903.

    18 L. Brunschvicg, Le Progrs de la conscience dam la philosophie occidentale,

    I,

    p. 19

    sq.; La

    Raison et la

    Religion,

    p. 48.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    7/14

    142

    Joseph

    M

    reau

    gence suprme de

    la

    raison. Or, non seulement

    ces

    deux

    fonctions

    de

    l'Ide ne sont pas incompatibles;

    l'une sert d'appui

    l'autre;

    voire,

    la

    transcendance mtaphysique

    ne

    peut

    s'exprimer

    que

    sur

    la base

    de

    l'idalisme transcendental.

    L'Ide

    de

    l'gal, c'est--dire la relation

    d'galit,

    applique la

    dtermination du donn, conduit une reprsentation objective des

    phnomnes, une connaissance

    qui ne dpasse pas

    le niveau de

    l'exprience;

    et si

    une exigence

    a

    priori

    s'exerce en

    elle,

    c'est celle qui se

    traduit

    dans la

    ncessit

    propre aux thormes mathmatiques, dont

    l'objet

    est

    purement idal, exempt de

    toute

    porte ontologique. Si

    l'Ide

    de l'gal,

    et les

    autres relations

    de

    mme

    ordre,

    n'avaient d'autre

    fonction

    que

    celle-l, elles

    n'envelopperaient

    aucune

    signification

    transcendante. Mais les Ides

    du

    bien, du beau, du juste, dont

    la

    dfinition ne

    peut tre obtenue, comme

    il

    ressort des apories des

    premiers

    dialogues,

    par voie

    d'induction

    empirique, se rfrent

    une

    autre

    exigence que

    celle

    de

    la dtermination objective d'un donn; elles ne servent pas

    s implement

    la

    constitution d'un objet,

    mais

    visent

    la

    ralisation d'un projet,

    la

    dtermination

    d'un devoir-tre,

    l'organisation

    de

    la conduite

    humaine.

    Or, en vue

    de

    dfinir cette

    organisation, cet

    ordre idal qui doit

    rgler la

    conduite,

    l'esprit

    ne peut encore faire

    appel

    qu' des relations

    de

    convenance, des

    rapports de

    mesure, comme

    ceux

    que met en uvre

    la

    pense mathmatique.

    La

    diversit des tendances humaines ne peut

    tre

    ramene

    un

    ordre qu' travers

    un

    systme

    de formes complexes,

    d'idaux et

    de

    valeurs,

    dfinies

    partir

    de

    relations pures, relies

    entre

    elles par une exigence d'unification, comme les termes d'une proportion.

    C'est ainsi que Socrate,

    dans la

    Rpublique,

    dfinit la

    justice comme une

    proportion

    entre

    les

    fonctions sociales,

    une hirarchie

    entre

    les

    composantes

    de

    l'tat19; et c'est

    de

    la

    mme

    faon que dans

    le Time,

    l'Architecte de l Univers

    dfinit

    par ses calculs

    la

    nature

    et

    le

    nombre

    des

    lments

    qui doivent

    entrer dans

    sa composition, ainsi

    que la

    disposition

    des

    orbes

    clestes,

    dont

    les

    distances

    rciproques

    correspondent

    aux

    intervalles

    de

    la

    gamme, comme

    les

    figures des lments aux

    polydres

    rguliers,

    inscriptibles dans la sphre20.

    On

    voit

    d'aprs ces exemples,

    et

    d'abord par

    la

    considration de

    la

    justice,

    comment

    la

    relation pure, instrument de dtermination

    intellectuelle

    au moyen

    de

    la mesure, et

    condition

    de

    tous

    les

    dveloppements

    19 Platon, Rpublique IV, 443 de.

    20 Id.,

    Time,

    31

    b-37

    a,

    55

    e-56 b.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    8/14

    L'ide

    platonicienne et le rceptacle 143

    du calcul,

    peut

    entrer en

    des

    combinaisons

    complexes, contribuer

    la

    formation

    de concepts

    dans lesquels s'exprime une

    exigence

    transcendante,

    et

    qui

    se

    constituent

    comme des

    formes exemplaires,

    des

    normes

    s'imposant

    notre

    volont. Mais c'est une requte

    capitale

    de l'idalisme

    platonicien,

    que

    l'exigence rationnelle, qui impose sa loi notre

    conduite,

    est aussi

    le

    principe

    absolu

    de l'organisation

    de l'Univers,

    telle

    qu'elle se dfinit dans les calculs du Dmiurge. Seul

    le Bien

    et

    l obligation,

    proclame Socrate

    dans

    le Phdon, peut tre le lien entre les parties

    de l'Univers

    et

    le support de

    l'unit

    des choses21. Cette vision

    finaliste

    de

    l'Univers,

    qui

    sera

    reprise et

    prcise par Leibniz, avait

    t

    annonce par

    Anaxagore,

    proclamant

    que l'Esprit gouverne

    toutes

    choses. Or,

    Socrate dplore

    qu'il

    n'ait

    pas

    tenu

    sa promesse:

    dans

    l tude de

    la

    nature, des phnomnes

    particuliers, il

    s'est attach des explications

    mcaniques, par

    composition de

    parties, et

    reposant

    sur des observations

    empiriques.

    Or

    ce n'est pas, estime Socrate, sur

    de

    telles bases qu'on

    peut s'lever

    jusqu'au principe

    de l'explication des choses. Si l'on veut

    montrer

    que

    l Univers

    est

    un Tout organis,

    que

    son organisation

    rsulte

    des

    calculs de l'intelligence,

    il faut

    que les

    apparences sensibles,

    les

    phnomnes, aient

    t

    pralablement ramenes une reprsentation

    objective, des

    rapports de

    mesure;

    car

    c'est cette condition

    seulement,

    aprs

    avoir

    t

    traduites

    en

    langage

    mathmatique,

    que

    les

    informations d'origine sensible pourront

    tre traites

    par le

    calcul, que la

    diversit des phnomnes pourra tre comprise dans

    l'unit organique

    du Tout, travers une

    srie

    de conditions

    hirarchiquement

    ordonnes.

    La dtermination objective des phnomnes au

    moyen

    des

    quations

    de

    la

    physique mathmatique

    est l'tape

    indispensable si

    l'on veut

    s'lever une explication

    rationnelle de

    l'Univers, remonter son

    principe

    absolu. C'est en rflchissant

    sur

    l'chec d'Anaxagore

    que

    Socrate a reconnu

    la ncessit

    de l'Ide,

    en tant que

    relation pure,

    dans

    la connaissance des

    phnomnes naturels;

    sur la base des

    seules

    observations empiriques,

    on

    ne peut difier

    que

    des explications contradictoires:

    Je

    craignis,

    dit Socrate,

    que

    mon

    esprit

    ne tombt

    dans

    un aveuglement

    total si j'observais

    les

    choses avec mes

    yeux et tentais,

    par chacun de mes

    sens, d'entrer en

    contact

    avec elles. Il

    me

    parut qu'il fallait

    me

    rfugier

    dans les logoi (les relations et les notions nominales),

    et

    chercher y voir

    la vrit des

    choses22.

    21 Id., Phdon, 99 c.

    Ibid, 99 e.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    9/14

    144

    Joseph

    M

    reau

    Ce n'est pas dans l'observation

    seule

    qu'il faut chercher la

    vrit,

    mais dans les relations. La science doit commencer par prendre

    ses

    distances

    l'gard de l'observation,

    congdier

    les

    phnomnes,

    dit

    brutalement

    Platon23.

    L'observation du Ciel ne fournit pas

    l astronome

    un modle

    dcrire, mais

    un

    problme rsoudre;

    la

    science

    astronomique a pour tche de sauver

    les

    phnomnes, c'est--dire de

    les

    reconstruire idalement

    partir d'hypothses permettant de les

    prvoir, de

    dfinitions

    bien choisies. De telles

    dfinitions ne sont pas

    le

    dcalque

    d'observations; ce sont des dfinitions

    a priori,

    nominales,

    comme

    celles

    des

    figures

    gomtriques. C'est travers le nominalisme

    des concepts mathmatiques

    que

    l'on peut obtenir une reprsentation

    objective

    des

    phnomnes, en

    tenter

    une

    reconstruction hypothtique.

    La

    science astronomique, et plus

    gnralement

    la physique, ne

    peut

    se

    dpartir

    du

    caractre

    hypothtique

    li

    au nominalisme de

    la

    connaissance

    mathmatique.

    La physique n'est au regard

    de Platon,

    comme

    la

    mathmatique,

    qu'un systme hypothtico-dductif', l observation ne peut

    apporter

    aux

    hypothses de la

    physique

    qu'une confirmation

    pproxim tive

    et prcaire; c'est pourquoi une telle connaissance ne mrite pas

    proprement le nom de Science24;

    ce

    nom doit tre rserv cette

    synthse

    rationnelle qui

    rend

    compte a

    priori

    de l'organisation de

    l'Univers,

    qui

    apporte

    aux

    hypothses

    de

    la

    physique mathmatique

    une

    confirmation absolue, en les reliant, travers une srie

    de

    conditions

    hirarchises, une exigence d'unification

    suprme,

    un principe

    inconditionn.

    C'est

    seulement

    en les considrant

    ce niveau suprieur, qui n'est

    plus

    celui de

    la dianoia,

    de

    l'entendement

    discursif,

    appliqu la

    dtermination objective des apparences sensibles, mais

    celui de

    la nosis,

    de l'intellection pure25, de

    la

    synthse rationnelle,

    que

    les Ides

    platoniciennes s'lvent,

    au-dessus de leur fonction

    pistmologique

    (en

    tant

    que

    conditions

    transcendentales

    de

    l'objectivit), au rang d'objets

    transcendants de

    l'Intellect,

    d'essences

    immuables, de

    raisons ternelles

    des

    choses.

    Elles

    tiennent cette nature transcendante de leur rfrence au

    principe absolu, l'Ide

    du

    Bien; mais

    il

    n'est pas requis pour autant

    qu'elles

    soient ralises

    en

    dehors

    de la

    pense, comme des ralits

    subsistant

    en soi, ou

    comprises

    de

    toute

    ternit dans

    l'entendement

    23 Id,

    Rpublique VII, 530

    b.

    24 Ibid., 533 c.

    25 Ibid.,

    VI, 511

    de.

    .

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    10/14

    L'ide platonicienne

    et

    le

    rceptacle 145

    divin, suivant la

    doctrine de

    la Vision en Dieu,

    version augustinienne de

    l'idalisme platonicien;

    il suffit

    qu'il y ait en Dieu, comme

    l'a

    prcis

    Leibniz,

    le

    principe

    absolu

    de

    l'Intelligence, la

    raison

    de

    toutes

    les

    vrits25. Ainsi le rationalisme, qui proclame

    la

    transcendance

    du

    vrai,

    se

    concilie

    avec

    le nominalisme,

    qui rejette

    le ralisme de

    l'intelligible, les

    Ides hypostasies;

    c'est que

    le nominalisme

    n'est pas li avec

    l empirisme

    et

    ne rduit pas

    l'Ide

    un flatus vocis; c'est

    sur

    le nominalisme de

    la

    dfinition mathmatique

    que

    reposent

    les

    vrits ncessaires

    et les

    essences

    immuables, objets

    de

    l'idalisme mtaphysique.

    Une grande confusion s'est

    introduite

    dans l'interprtation

    du

    platonisme

    quand

    on

    s'est imagin,

    dans

    le

    dbat

    entre

    les

    successeurs de

    Platon, dont

    l'cho

    nous

    est

    parvenu par

    Aristote,

    qu'

    la

    distinction de

    la dianoia et

    de

    la nosis, qui est celle

    de deux

    niveaux

    de

    la connaissance

    intellectuelle, celui

    de

    l'entendement discursif et

    celui

    de

    la

    synthse

    rationnelle,

    correspondait celle de deux sortes d'entits, les objets

    mathmatiques,

    nombres et

    figures

    d'une

    part,

    les Ides

    proprement

    dites

    d'autre

    part,

    celles-ci tant

    conues

    comme des

    Universaux,

    des formes

    gnrales

    et

    abstraites. On en

    est

    venu

    considrer

    d'une

    part les objets

    mathmatiques comme

    seulement

    intermdiaires entre le sensible

    et

    l'intelligible,

    de l'autre

    riger

    les

    nombres

    au

    rang

    de

    principes

    d'o

    drivent les Ides27. La vrit, c'est que les

    relations

    mathmatiques

    servent

    dans

    un

    premier

    temps

    construire

    une reprsentation objective,

    faite d'objets dtermins de l'entendement,

    et

    en ce sens intelligibles;

    ensuite, c'est encore par un calcul, au

    moyen

    de constructions

    gomtriques et

    de nombres, que

    se

    dfinissent

    les degrs intermdiaires, les

    structures

    idales,

    qui

    reprsentent

    les conditions

    ncessaires

    l organisation du Tout;

    c'est

    travers

    de telles structures

    que

    les rapports

    mesurables entre

    les

    phnomnes,

    les

    dterminations qui

    en permettent

    une

    reprsentation

    objective,

    sont

    ramens l'exigence suprme

    d unification.

    Cela n'empche

    que cette

    synthse rationnelle, cette construction a

    priori

    de

    l'organisation universelle, n'ait t conue

    sous deux

    aspects

    diffrents, sous deux

    formes

    rivales: d'un ct comme une composition

    partir d'lments tels

    que

    l'unit, le point, la ligne

    et

    ses

    dveloppements

    28 Leibniz, Gnrales Inquisitiones 131 voir

    notre ouvrage:

    L'Univers

    leibnizien,

    p.

    208, n

    1

    et 2): Dieu

    seul

    connat

    a priori les vrits mme

    contingentes. Cf.

    De

    liber

    tate, p.

    181: Cognitio

    a

    priori,

    per veritatum

    rationes.

    27

    Aristote, Metaph., A

    6, 987

    b

    14-18;

    A

    8, 1073 a 18-19.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    11/14

    146

    Joseph Moreau

    en surfaces et en solides,

    de

    l'autre comme une dduction partir

    de

    notions universelles; les

    principes sont d'un

    ct ceux du

    nombre,

    de

    l'autre ceux des

    Ides;

    c'est

    sur cet

    antagonisme des

    principes

    que

    reposent les apodes introductives de la

    Mtaphysique

    d'Aristote28. Dans

    cet

    antagonisme se traduit l'opposition entre

    Yexigence

    a priori

    de

    l'idalisme

    platonicien

    et

    l'exemplarisme fondamental de

    la connaissance

    au regard

    d'Aristote.

    A titre

    d exemple, signalons

    la

    critique

    qu'il

    dirige

    contre la diairesis, la

    division

    par genres et espces, conduisant la

    classification des

    tres

    vivants,

    la

    dcouverte

    de

    la

    hirarchie naturelle.

    Selon

    Aristote, cette division

    ne

    peut rsulter de

    la

    seule

    dichotomie,

    de

    la

    distinction

    logique des opposs;

    elle requiert le recours

    l'observation

    empirique29.

    Si

    je pose

    que

    tout

    animal

    est

    ail

    ou

    non-ail

    (postulat

    incontestable),

    c'est l observation seule qui m'apprend si la

    chauve-souris

    a vraiment des ailes. Cependant, si

    la

    division procde mthodiquement,

    par succession

    ordonne

    de

    diffrences,

    elle aboutit une dfinition

    unifie

    (lorsque par

    exemple

    chaque espce se distingue dans le genre

    par une diffrence

    ultime,

    qui suppose

    toutes

    les

    prcdentes30);

    mais

    cette dfinition, souligne

    Aristote, n'quivaut

    pas une demonstration*1

    Que

    faudrait-il

    pour que la dfinition

    soit dmontre? Il

    faudrait qu'

    chaque

    degr

    de

    la hirarchie naturelle,

    le

    genre pt tre divis

    autrement que par dichotomie, par opposition logique

    de

    deux termes, mais

    par une dtermination a

    priori du

    nombre

    et

    de

    la

    figure des espces

    comprises

    dans

    le

    genre;

    par

    exemple, il

    n'y a ni plus ni moins de cinq

    polydres rguliers

    inscriptibles dans la sphre. Ces figures

    (la

    pyramide,

    le cube, l'octadre, l'icosadre

    et

    le

    dodcadre) sont

    autant d'espces

    d'un

    mme genre,

    et

    chacune

    se dfinit

    mathmatiquement.

    Cette

    diairesis suprieure peut servir de

    fondement

    la distinction

    empirique des

    genres

    et des espces;

    c'est elle

    qui est la

    mthode

    primordiale de la

    dialectique platonicienne32.

    Aristote, qui affirme

    la

    suite de Platon l'organisation

    hirarchique

    de

    la

    nature,

    estime

    pour

    sa

    part

    qu'elle

    ne peut

    tre

    dcouverte

    sur

    la

    base de

    la

    seule observation;

    et

    son adversaire

    Speusippe (successeur

    de

    Platon

    la

    tte

    de

    l'Acadmie),

    qui faisait

    de

    la

    dichotomie,

    division

    purement logique,

    la

    mthode de

    la

    classification des

    tres

    vivants,

    et

    pour qui l'Univers tait constitu de niveaux superposs, correspondant

    28

    Id., Mtaph.,

    B

    1,

    995 b

    27-29;

    996 a 12-15.

    29

    Id.,

    De part, anim., I

    3.

    30

    Mtaph.,

    Z

    12,

    1038 a 9-20.

    31

    Anal, post., B 6,

    91 b

    12-15.

    32

    Platon,

    Rp.

    VII,

    534

    b;

    Philbe,

    16

    c-17

    a.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    12/14

    L'ide

    platonicienne

    et le rceptacle

    147

    des tapes de complexit croissante33, il objecte avec vhmence

    que

    ce mode

    de construction mathmatique, reposant

    sur la

    seule

    composition

    des

    lments

    (points,

    lignes,

    surfaces,

    solides,

    etc),

    exclut

    la

    finalit,

    l'exigence suprme d'unification

    organique34.

    Tels

    paraissent

    tre les enseignements retenir des tortueuses

    discussions de l'Ancienne

    Acadmie, dans

    le dclin de l'inspiration

    idaliste de Platon.

    Mais cette

    inspiration a

    t recueillie,

    revivifie

    au

    cours des sicles, travers Plotin,

    S.

    Augustin, Descartes,

    Malebranche,

    et jusque

    dans la

    critique kantienne.

    Dans

    son analyse de l'exprience,

    Kant,

    mettant en lumire les conditions

    de

    l'objectivit, nous a orients

    vers

    la

    fonction

    de

    l'Ide,

    et

    nous

    a

    permis

    de dcouvrir

    dans

    le

    platonisme

    deux niveaux

    de

    la connaissance

    intellectuelle, celui de

    la

    dtermination

    objective au moyen des

    concepts de

    l entendement (ce qui

    est le

    rle de

    la

    dianoia)

    et

    celui de

    la synthse

    rationnelle,

    rpondant

    l'exigence

    $ nconditionn, qui s'exprime

    dans

    les Ides

    de

    la

    raison.

    La

    distinction

    de ces deux niveaux

    est

    chez Kant un hritage

    du

    platonisme,

    dont la

    constatation s'impose l'historien

    sur

    le trajet de retour, de

    Platon Kant.

    Cette constatation

    irrcusable atteste que ce second

    niveau,

    celui de

    la mtaphysique, n'est pas formellement reni par Kant,

    comme on

    l'admet

    ordinairement.

    Pas

    de

    connaissance

    ses yeux

    qui

    dpasse

    le niveau de l'exprience, de l'objectivit scientifique; mais

    la

    science, dont Kant s'applique tablir

    la

    validit,

    ne

    rpond

    pas

    ce

    qu'il appelle Vintrt suprme de la raison, qui

    s'attache

    aux fins

    de

    l action, aux valeurs morales,

    la

    signification

    de l'existence35.

    Ce point

    soulign

    dans la

    Prface de

    la 2e

    dition de

    la

    Critique tait

    marqu

    ds

    la lre dition, dans YAppendice

    la Dialectique transcendentale, ainsi

    que dans la Mthodologie transcendentale. Mais ce

    qu'il me

    parat

    curieux

    de signaler

    en terminant, c'est qu'une notion

    primordiale de

    la

    Critique

    de

    la

    Raison

    pure,

    celle

    de

    forme

    a

    priori

    de

    la

    sensibilit, est

    vivement

    claire a tergo par

    les

    indications enigmatiques relatives une

    fonction gnosologique capitale dans

    le platonisme.

    De bons connaisseurs des thories classiques

    de

    la connaissance ont

    dnonc chez Kant une notion

    contradictoire,

    celle ^intuition sensible a

    33 Arist.,

    Mtaph.,

    N 3, 1090

    b 5-20; A 10,

    1075

    b 37-1076

    a

    4.

    34 Id., Mtaph., A 7,

    1072

    b

    13-14.

    35 Kant,

    Critique

    de la Raison

    pure,

    Mthodologie

    transe, cf.

    II,

    2e section

    (B 832-

    833).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    13/14

    148 Joseph Moreau

    priori.

    La sensation

    est une fonction indispensable

    la connaissance

    humaine,

    et Kant ne

    s'carte

    pas de la tradition sur ce point; notre

    entendement

    ne

    peut

    se

    donner

    lui-mme son

    objet;

    s'il

    le

    construit

    selon

    des exigences a

    priori,

    ce ne peut tre que sur la base des

    donnes

    sensibles;

    or, la

    sensation

    est

    une fonction

    rceptive36

    il serait

    donc

    contradictoire d'admettre un a priori

    dans la facult

    sensible.

    Cependant, dans cette facult mme, on

    peut

    regarder proprement

    la

    forme; si sa

    fonction

    propre

    est

    de

    recevoir

    des impressions, il

    n'en

    demeure

    pas

    moins

    qu'elle ne les

    peut

    recevoir que

    per

    modum

    recipien-

    tis31

    Ce

    qui est reu

    par

    les

    sens,

    ce sont

    des impressions

    qualitatives;

    mais

    l'tendue

    qui est leur substrat commun est irrductible une

    impression38;

    elle est

    toujours

    prsente

    l'esprit,

    dans

    une

    intuition

    qui

    n'est pas l'effet

    d'une

    impression particulire, mais qui est lie

    la

    situation mme

    d'un sujet

    sentant,

    la

    condition

    d'une

    conscience finie,

    ouverte un infini qui

    la

    dpasse, et qui

    ne

    peut lui

    tre

    dvoil

    que

    sous

    l'aspect

    de X

    extriorit, symbole de la transcendance absolue.

    Cette

    extriorit est

    toujours prsente notre

    pense;

    elle

    remplit,

    disait

    Descartes,

    la

    capacit

    de

    notre

    imagination39,

    sans

    tre pour cela une

    fiction. Pas plus qu'elle ne peut tre

    te,

    suppose anantie,

    la

    manire

    des objets qui y

    sont

    contenus, l'tendue

    ne saurait

    tre feinte,

    tre

    un

    produit de

    notre

    imagination,

    attendu

    qu'une

    fiction

    ne

    peut

    s'effectuer

    que

    sous le prsuppos de l'imagination49. Ce sont

    l

    des considrations

    empruntes par Kant

    la

    philosophie cartsienne; mais elles

    ont

    leur

    antcdent

    dans la considration de la x pa platonicienne,

    de

    Vhorizon

    o apparaissent

    tous

    les

    objets

    et qui obsde notre imagination, au point

    de

    nous faire croire que ce qui n'est pas dans l'espace, qui n'est pas

    tendu, corporel, n'existe

    pas41.

    Cet horizon

    est

    dsign chez

    Platon

    sous le nom de rceptacle; il

    est la forme

    de

    la rceptivit et

    correspond

    l'intuition sensible a priori.

    34, rue de Lachassaigne Joseph Moreau.

    F-33000 Bordeaux.

    36 Ibid.,

    Esth. transe,

    1 ; Logique transe.

    Introd. I

    (B 75);

    Anal,

    transe. 2e

    d.)

    21.

    37

    S.

    Thomas, Summa theol.,

    I

    84, 1.

    38 Kant,

    Esth. transe.,

    3 2e

    d.) B

    45;

    cf. 1

    d.

    A, 28-29.

    39 Descartes, Regulae XIV

    (A.T.,

    X442,

    20-21).

    40 Kant,

    Esth.

    transe., 2,

    2;

    Rfutation de

    l'Idalisme,

    Remarque

    I,

    note.

    41 Platon,

    Time, 52 b.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - L'Ide Platonicienne Et Le Rceptacle

    14/14

    L'ide

    platonicienne et le rceptacle 149

    Rsum.

    L'ide platonicienne est-elle une abstraction spare du

    sensible,

    ou une relation a priori

    applicable

    l'analyse

    de l exprience

    et

    propre

    dfinir

    un

    idal pratique?

    Cette question,

    souleve

    dans

    l'aristotlisme, se traduit par l'opposition entre les

    dterminations

    mathmatiques (nombres

    et

    figures)

    et les

    exigences de

    la finalit. Ces

    deux conceptions

    supposent

    toutefois une

    rduction

    idaliste de Y

    extriorit, ramene une

    expression

    imaginative du non-tre.

    Abstract.

    Are

    Plato's Ideas

    an

    abstract

    vision,

    separated

    from

    sensible

    things,

    or

    an

    a priori relation used for analysing experience

    as well as for planning action? This question, raised

    in

    Aristotelianism,

    can

    be

    expressed as the opposition

    between mathematical

    definitions

    (numbers

    and figures) and

    practical

    values. But both views imply

    an

    idealist reduction of exteriority, considered as

    an

    imaginative expression

    of

    non-being.