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EXPOSITIONS FIDMARSEILLE LA COMPAGNIE 19, RUE FRANCIS DE PRESSENCÉ - 13001 MARSEILLE DU 1ER AU 6 JUILLET 15:00 / 19:00 DU 7 AU 12 JUILLET 11:00 / 21:00 Jean-Claude Ruggirello BRUITS DE FOND - France, 2009, 19’ La durée rappelle le format d’un film, le désir de cinéma est sans doute présent, mais dans ses fondements primitifs, qui sont la scé- narisation de l’espace par l’action. Aussitôt que le son arrive, la parole se fait entendre. Mon film, de ce point de vue, est muet. La scénarisation de l’espace est un processus que l’on retrouve aussi dans mes pièces anté- rieures. Ma culture scénaristique trouve ses ori- gines dans les combine painting qui rôde autour de la forme en ouvrant l’espace à l’infini. Dans Bruits de fond l’homme qui tourne en rond, écrase sous chacun de ses pas l’espace que l’on entend se dérouler et se tordre avec fracas. La destruction est, me semble-t-il, une constante dans la sculpture. C’est aussi un processus de transformation, que j’ai cherché en choisissant un homme lent, au cou ridé. Il me fallait éviter la rock attitude à tout prix, mais aussi la folie que l’on décréte au moindre geste négatif, je voulais qu’un espace devienne un trou. Durant tout le film un homme est debout, il avance à tâtons, muet, perdu dans un lieu qu’il connaît et qu’il abolit tendrement. Il se déplace parmi des objets inutiles, voilà en quels termes le projet a été posé. Que voyons-nous, dans les films de Kevin Jerome Everson ? Nous voyons ce que le cinéma montre rarement, sinon jamais. Nous voyons les gestes de la population noire améri- caine, les gestes du travail et du sport, les gestes de l’ouvrier, du chauffeur de taxi, du routier, du policier, les gestes de l’amateur et du champion. Nous voyons des hommes et des femmes témoi- gner au micro du cinéaste ou à celui d’une télévi- sion, aller et venir selon le rythme des labeurs et des jours, mais aussi selon le rythme d’images opérant comme par vagues : flux et reflux, pleine lumière et extinction des feux… Qu’entendons-nous, dans les films de Kevin Jerome Everson ? Nous entendons le bruit, la musique de ces vagues. Nous entendons une rumeur. Nous entendons. Nous n’entendons plus. Nous entendons encore. Comme chaque film repasse par le noir, chacun repasse par le silence. Comme chaque film coupe le moteur, chacun coupe le son. Il est difficile d’isoler le principe de ces silences, certains arrivent par surprise au milieu d’un plan ou d’une phrase. La constitution ou la reconstitution, la création ou la recréation d’une archive, l’invention d’une représentation pour le peuple noir américain ne doit pas en effet oblitérer la place effective de ce peuple ; elle tomberait sinon dans le prêche, le performatif, la croyance trop naïve dans les pou- voirs de l’image… Il faut montrer ce peuple autrement, mais il faut aussi le montrer tel qu’il est vu. Il ne faut pas le montrer vaincu. Mais il ne faut pas non plus le montrer vainqueur. Il faut s’installer dans l’intervalle, et y faire jouer toutes les intermittences du monde : infimes, infinies. Intermittences du noir. Intermittences de la puis- sance et de l’acte, du réel et du virtuel, de la politique et de l’art. Disons-le d’un mot, chez Everson, le peuple noir n’est ni vainqueur ni vaincu, ni défait ni refait. Il est et demeure sans défaite, undefeated. Undefeated. Notes sur les films de Kevin Jerome Everson (extrait) Emmanuel Burdeau Sarah Beddington ELEGY TO MAMILLA - Royaume-Uni, 2009, 20’ Comment est né ce projet ? J’ai passé l’an dernier quatre mois en résidence d’artiste à Jérusalem. Un jour, dans la partie israélienne à l’ouest de la ville, je suis tombée sur un cimetière qui avait l’air abandonné. Il n’y avait aucun panneau témoignant de sa valeur historique. En voyant les inscrip- tions en arabe sur les tombes, j’ai compris qu’il s’agissait d’un cimetière musulman, mais je ne m’expliquais pas qu’il puisse être dans un tel état de délabrement. Pourquoi des canalisations d’eau circulaient-elles à ciel ouvert sur les tombes, pourquoi d’autres étaient recouvertes d’amas de matière organique ? Et que cachait ce haut mur d’acier surmonté de caméras de surveillance dans un coin du cimetière ? J’ai fait des recherches, elles m’ont appris que Mamilla avait été pendant au moins huit siècles le cimetière principal des cheikhs, des imams de la mosquée Al-Aqsa, des gouverneurs de Jérusalem, des intellectuels et des chefs militaires. J’ai découvert que le chantier était celui du très controversé « Musée de la Tolérance ». Des centaines de squelettes ont été exhumés et déplacés, sans que l’on dise aux Palestiniens où sont passés les ossements de leurs ancêtres enterrés là-bas. Je voulais trouver un moyen de faire un film qui puisse révéler cette injustice, tout en faisant appel à la compassion et au respect, dans une ville qui laisse des pans entiers de son histoire s’effacer, pour ne valoriser qu’un passé particulier et sélectif. On lit des inscriptions en hébreu et en arabe, mais la voix ne parle qu’en arabe, pourquoi ? Les seuls mots d’hébreu visibles sont ceux des panneaux officiels, qui ne font nullement référence à l’histoire islamique du site. La voix qui lit les inscriptions sur les tombes façonne une géographie orale de l’espace au sol, mais elle permet aussi que l’on se souvienne de ceux dont la mémoire ris- que de disparaître d’un jour à l’autre, irrémédiablement. Pourquoi avez-vous choisi Mahmoud Abu Hashhash ? Comment s’est passé le travail avec lui ? Après avoir photographié toutes les inscriptions restantes sur les tombes du cimetière, je me suis dit qu’il fallait une voix humaine pour redonner vie à ces mots qui peu à peu s’effritent. J’ai contacté le poète palestinien Mahmoud Abu Hashhash, très respecté, et connu pour la beauté de sa voix et son talent de lecteur. Il a gentiment accepté de faire un enregistrement sur cet endroit que, vivant sur la rive ouest, il n’est pas autorisé à visiter. Kevin Jerome Everson ERIE - Etats-Unis, 2009, 81’ LES VARIATIONS DIELMAN - Espagne, 2010, 11’ Dans ce fameux film, on s’en souvient, Akerman s’était attelée à décrire par le menu la vie d’une femme ordinaire, incarnée par Delphine Seyrig. En un prologue et trois brefs chapitres, Fernando Franco re-découpe et remonte ces séquences mythiques, histoire d’affûter notre regard sur les lieux et les gestes de Dielman, autant que sur le cinéma de Chantal Akerman. Fernando Franco GALERIE MONTGRAND ÉCOLE SUPÉRIEURE DES BEAUX-ARTS DE MARSEILLE 41, RUE MONTGRAND - 13006 MARSEILLE DU 6 AU 12 JUILLET 15:00 / 20:00 INFLAMMATORY ESSAYS Jenny Holzer / Etats-Unis, 1979-1982 48 affiches 43 x 43 cm fixées au mur. Courtesy [mac], musée d’art contemporain, Marseille. ANTHROPOFOLIES Les Maîtres Fous, c’est sous le signe de ce titre célèbre que se place ce programme. Mais à l’entendre résonner dans tous ses sens. Maîtres tournés fous, experts ès delirium, cham- pions du vertige, virtuoses en démence ; mais aussi, affolement de l’idée même de maî- trise, impossibilité d’assurance et de stabilité du pouvoir, fût-il dérangé. Les deux égare- ments marchent ensemble. On se souvient d’ailleurs de la réception houleuse du film de Rouch. Tous, unanimes, blancs comme noirs, trouvèrent l’objet révulsant, scandaleux, bobines d’images à détruire impérativement. C’est qu’en effet s’y voyait en même temps cela : une technique, un art, mis au service du chamboulement, du renversement des valeurs et des hiérarchies, coloniales et «modernes» notamment ; mais aussi le saccage grandiose, grotesque, de tout principe identitaire : l’humanité se tenait là suspendue au bord d’elle même, sur le point de se dissoudre, empruntant les masques de l’effroi. C’est donc avec ce mouvement dévastateur en tête que nous avons souhaité rendre un hom- mage, un peu déjanté forcément, à Claude Lévi-Strauss. Non par vaine irrévérence pota- che, mais pour faire sourdre tous ces remous, à peine cachés sous le lissé de sa prose classique et sous le calme de ses analyses en vérité bien mélancoliques. Rendre justice donc au grondement qui s’entend dans sa pensée en effet plus sauvage qu’il n’y paraît. Mais le faire, cet hommage, non avec force discours, mais avec des films. C’est-à-dire avec des objets autonomes, assez agités déjà chacun avant d’être mis ensemble dans l’asile d’une programmation. Ces films n’illustreront donc rien, ils ne servent aucun propos : ni maîtres, ni serviteurs, ils s’avancent seuls dans la nuit qu’ils ont sécrétée. Ils sont cette nuit (dans laquelle se clôt Trash Humpers), mais ils en sont aussi la forge lumineuse de la fabrique de songes (Dream Films), ils en sont l’exorcisme bavard (Palms, Mysterious Object at Noon, La Campagne de Sao José). Ils en sont les dialogues qu’aucune psychologie ni sociolo- gie ne pourra s’ingénier à réduire (France, Tour, Détour: Deux Enfants ; Oral History ; O’er the Land). Ils sont à la conquête de leur mémoire (Las Pistas; Fix Me; Mudanza;The Perfumed Nightmare), comme de leur peine. Aucun ne cherche refuge dans un savoir, ni théorique, ni cinématographique : tous s’exposent, tous nous exposent. Jean-Pierre Rehm » « MAISON DE LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR 61, LA CANEBIÈRE 13001 MARSEILLE DU 7 AU 12 JUILLET DU 6 AU 12 JUILLET 15:00 / 20:00

Journal 1 05 - FIDMarseille

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Page 1: Journal 1 05 - FIDMarseille

EXPOSITIONSFIDMARSEILLE

LA COMPAGNIE 19, RUE FRANCIS DE PRESSENCÉ - 13001 MARSEILLE

DU 1ER AU 6 JUILLET n 15:00 / 19:00DU 7 AU 12 JUILLET n 11:00 / 21:00

Jean-Claude RuggirelloBRUITS DE FOND - France, 2009, 19’

La durée rappelle le format d’un film, ledésir de cinéma est sans doute présent, maisdans ses fondements primitifs, qui sont la scé-narisation de l’espace par l’action. Aussitôt quele son arrive, la parole se fait entendre. Monfilm, de ce point de vue, est muet.La scénarisation de l’espace est un processusque l’on retrouve aussi dans mes pièces anté-rieures. Ma culture scénaristique trouve ses ori-gines dans les combine painting qui rôde autourde la forme en ouvrant l’espace à l’infini. DansBruits de fond l’homme qui tourne en rond,écrase sous chacun de ses pas l’espace que l’onentend se dérouler et se tordre avec fracas. Ladestruction est, me semble-t-il, une constantedans la sculpture. C’est aussi un processus detransformation, que j’ai cherché en choisissantun homme lent, au cou ridé. Il me fallait éviter

la rock attitude à tout prix, mais aussi la folie quel’on décréte au moindre geste négatif, je voulaisqu’un espace devienne un trou. Durant tout lefilm un homme est debout, il avance à tâtons,muet, perdu dans un lieu qu’il connaît et qu’ilabolit tendrement. Il se déplace parmi desobjets inutiles, voilà en quels termes le projet aété posé.

Que voyons-nous, dans les films de

Kevin Jerome Everson ? Nous voyons ce que lecinéma montre rarement, sinon jamais. Nousvoyons les gestes de la population noire améri-caine, les gestes du travail et du sport, les gestes

de l’ouvrier, du chauffeur de taxi, du routier, dupolicier, les gestes de l’amateur et du champion.Nous voyons des hommes et des femmes témoi-gner au micro du cinéaste ou à celui d’une télévi-sion, aller et venir selon le rythme des labeurs etdes jours, mais aussi selon le rythme d’imagesopérant comme par vagues : flux et reflux, pleinelumière et extinction des feux… Qu’entendons-nous, dans les films de KevinJerome Everson ? Nous entendons le bruit, lamusique de ces vagues. Nous entendons unerumeur.

Nous entendons. Nous n’entendons plus. Nousentendons encore. Comme chaque film repassepar le noir, chacun repasse par le silence. Commechaque film coupe le moteur, chacun coupe leson. Il est difficile d’isoler le principe de cessilences, certains arrivent par surprise au milieud’un plan ou d’une phrase.La constitution ou la reconstitution, la création oula recréation d’une archive, l’invention d’unereprésentation pour le peuple noir américain nedoit pas en effet oblitérer la place effective de cepeuple ; elle tomberait sinon dans le prêche, leperformatif, la croyance trop naïve dans les pou-voirs de l’image… Il faut montrer ce peupleautrement, mais il faut aussi le montrer tel qu’ilest vu. Il ne faut pas le montrer vaincu. Mais il nefaut pas non plus le montrer vainqueur. Il fauts’installer dans l’intervalle, et y faire jouer toutesles intermittences du monde : infimes, infinies.Intermittences du noir. Intermittences de la puis-sance et de l’acte, du réel et du virtuel, de lapolitique et de l’art. Disons-le d’un mot, chezEverson, le peuple noir n’est ni vainqueur nivaincu, ni défait ni refait. Il est et demeure sansdéfaite, undefeated.

Undefeated. Notes sur les films de Kevin JeromeEverson (extrait)

Emmanuel Burdeau

Sarah Beddington ELEGY TO MAMILLA - Royaume-Uni, 2009, 20’

Comment est né ce projet ? J’ai passé l’an dernier quatre mois en résidence d’artiste à Jérusalem.Un jour, dans la partie israélienne à l’ouest de la ville, je suis tombée sur un cimetière qui avait l’airabandonné. Il n’y avait aucun panneau témoignant de sa valeur historique. En voyant les inscrip-tions en arabe sur les tombes, j’ai compris qu’il s’agissait d’un cimetière musulman, mais je nem’expliquais pas qu’il puisse être dans un tel état de délabrement. Pourquoi des canalisationsd’eau circulaient-elles à ciel ouvert sur les tombes, pourquoi d’autres étaient recouvertes d’amas dematière organique ? Et que cachait ce haut mur d’acier surmonté de caméras de surveillance dansun coin du cimetière ?J’ai fait des recherches, elles m’ont appris que Mamilla avait été pendant au moins huit siècles lecimetière principal des cheikhs, des imams de la mosquée Al-Aqsa, des gouverneurs de Jérusalem,des intellectuels et des chefs militaires. J’ai découvert que le chantier était celui du très controversé« Musée de la Tolérance ». Des centaines de squelettes ont été exhumés et déplacés, sans que l’ondise aux Palestiniens où sont passés les ossements de leurs ancêtres enterrés là-bas.Je voulais trouver un moyen de faire un film qui puisse révéler cette injustice, tout en faisant appelà la compassion et au respect, dans une ville qui laisse des pans entiers de son histoire s’effacer,pour ne valoriser qu’un passé particulier et sélectif.

On lit des inscriptions en hébreu et en arabe, mais la voix ne parle qu’en arabe, pourquoi ?Les seuls mots d’hébreu visibles sont ceux des panneaux officiels, qui ne font nullement référenceà l’histoire islamique du site. La voix qui lit les inscriptions sur les tombes façonne une géographieorale de l’espace au sol, mais elle permet aussi que l’on se souvienne de ceux dont la mémoire ris-que de disparaître d’un jour à l’autre, irrémédiablement.

Pourquoi avez-vous choisi Mahmoud Abu Hashhash ? Comment s’est passé le travail avec lui ?Après avoir photographié toutes les inscriptions restantes sur lestombes du cimetière, je me suis dit qu’il fallait une voix humaine pourredonner vie à ces mots qui peu à peu s’effritent. J’ai contacté le poètepalestinien Mahmoud Abu Hashhash, très respecté, et connu pour labeauté de sa voix et son talent de lecteur. Il a gentiment accepté defaire un enregistrement sur cet endroit que, vivant sur la rive ouest, iln’est pas autorisé à visiter.

Kevin Jerome Everson ERIE - Etats-Unis, 2009, 81’

LES VARIATIONS DIELMAN - Espagne, 2010, 11’

Dans ce fameux film, on s’en souvient, Akerman s’était attelée à décrire par le menu la vie d’une femme ordinaire, incarnée par Delphine Seyrig. En un prologue et trois brefschapitres, Fernando Franco re-découpe et remonte cesséquences mythiques, histoire d’affûter notre regard sur leslieux et les gestes de Dielman, autant que sur le cinéma deChantal Akerman.

Fernando Franco

GALERIE MONTGRANDÉCOLE SUPÉRIEURE DES BEAUX-ARTS DE MARSEILLE

41, RUE MONTGRAND - 13006 MARSEILLE

DU 6 AU 12 JUILLET n 15:00 / 20:00

INFLAMMATORY ESSAYSJenny Holzer / Etats-Unis, 1979-198248 affiches 43 x 43 cm fixées au mur. Courtesy [mac], musée d’art contemporain, Marseille.

AANNTTHHRROOPPOOFFOOLLIIEESS

Les Maîtres Fous, c’est sous le signe de ce titre célèbre que se place ce programme. Mais àl’entendre résonner dans tous ses sens. Maîtres tournés fous, experts ès delirium, cham-pions du vertige, virtuoses en démence ; mais aussi, affolement de l’idée même de maî-trise, impossibilité d’assurance et de stabilité du pouvoir, fût-il dérangé. Les deux égare-ments marchent ensemble. On se souvient d’ailleurs de la réception houleuse du film deRouch. Tous, unanimes, blancs comme noirs, trouvèrent l’objet révulsant, scandaleux,bobines d’images à détruire impérativement. C’est qu’en effet s’y voyait en même tempscela : une technique, un art, mis au service du chamboulement, du renversement desvaleurs et des hiérarchies, coloniales et «modernes» notamment ; mais aussi le saccagegrandiose, grotesque, de tout principe identitaire : l’humanité se tenait là suspendue aubord d’elle même, sur le point de se dissoudre, empruntant les masques de l’effroi. C’estdonc avec ce mouvement dévastateur en tête que nous avons souhaité rendre un hom-mage, un peu déjanté forcément, à Claude Lévi-Strauss. Non par vaine irrévérence pota-che, mais pour faire sourdre tous ces remous, à peine cachés sous le lissé de sa proseclassique et sous le calme de ses analyses en vérité bien mélancoliques. Rendre justicedonc au grondement qui s’entend dans sa pensée en effet plus sauvage qu’il n’y paraît.Mais le faire, cet hommage, non avec force discours, mais avec des films. C’est-à-dire avecdes objets autonomes, assez agités déjà chacun avant d’être mis ensemble dans l’asiled’une programmation. Ces films n’illustreront donc rien, ils ne servent aucun propos : nimaîtres, ni serviteurs, ils s’avancent seuls dans la nuit qu’ils ont sécrétée. Ils sont cettenuit (dans laquelle se clôt Trash Humpers), mais ils en sont aussi la forge lumineuse de lafabrique de songes (Dream Films), ils en sont l’exorcisme bavard (Palms, Mysterious Object atNoon, La Campagne de Sao José). Ils en sont les dialogues qu’aucune psychologie ni sociolo-gie ne pourra s’ingénier à réduire (France, Tour, Détour: Deux Enfants ; Oral History ; O’er theLand). Ils sont à la conquête de leur mémoire (Las Pistas; Fix Me; Mudanza;The PerfumedNightmare), comme de leur peine. Aucun ne cherche refuge dans un savoir, ni théorique,ni cinématographique : tous s’exposent, tous nous exposent. Jean-Pierre Rehm

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MAISON DE LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR 61, LA CANEBIÈRE 13001 MARSEILLE

DU 7 AU 12 JUILLET

DU 6 AU 12 JUILLET n 15:00 / 20:00

Page 2: Journal 1 05 - FIDMarseille

Louidgi BeltrameGUNKANJIMAFrance, 2010, 33’

Après Brasilia/Chandigarh, vousvoici de retour au Japon, où vousaviez tourné Les dormeurs. Vouspoursuiviez votre enquête sur les

emblèmes du modernisme occidental. Et ici ce serait le rapportà la nature maîtrisée, au travail ? L’île de Gunkanjima au large deNagasaki mesure 480m de long sur 160m de large. Propriété deMitsubishi Corporation, elle a été successivement, depuis le débutde l’ère Meiji qui a marqué l’ouverture du Japon au monde occiden-tal et le début de son industrialisation spectaculaire : une colonieminière, le site du premier immeuble en béton armé du Japon en1916, un camp de travail pour les prisonniers Chinois et Coréenspendant la seconde guerre mondiale. Et aussi la ville la plus densé-ment peuplée au monde avec 5500 Habitants dans les années 60,jusqu’à son abandon en 1974 suite à la baisse de rentabilité de l’ex-ploitation du charbon. Ici, s’il y a eu une vraie lutte pour la maîtrisede la nature (puisque deux tiers du sol de l’île est gagné sur la meravec les résidus de l’extraction), le site abandonné est entré dansune “boucle entropique”. Sous l’impact des typhons et l’action dusel, les immeubles de bétons retournent à l’état de matériaux bruts: cailloux, sable et limaille de fer.

Pouvez-vous expliciter ce choix d'un narrateur invisible ? La voixjaponaise qui hante le film parle de ce que l’on ne voit pas, lagenèse géologique de l’île, la formation des filons de charbon à l’eo-cène. Les effets chimiques du sel marin sur le béton, les 2 puits demines qui s’enfoncent à plus de 1000 mètres sous la surface.Véritable monde souterrain dont la croissance a informé lasilhouette définitive de Gunkanjima. La ville ayant été construitesans plan directeur, elle s’est développée au gré de l’évolution desbesoins de la mine. Ça me rappelle le schéma freudien de l’esprithumain, représenté par un iceberg. La partie immergée représentantl’inconscient, la partie émergée la conscience. Disons que, dans cesens, la voix exprimerait la part inconsciente, refoulée de l’île.

Que dire de l'omniprésence des éléments, de la végétation ? Levent, la mer, la végétation sont les forces entropiques qui travaillentl’île, qui l’érodent, la transforment. De même que les mouvementsde plaques tectoniques, évoqués par la voix off, font s’écrouler lesgaleries de mines. Par ailleurs, l’eau et les courant d’airs sont lesvéhicules des esprits dans le shintoïsme. La religion animiste japo-naise prête une âme tant aux pierres qu’aux plantes ou aux animaux.Si un fantôme reste coincé dans un espace sans air, ou dans l’eaustagnante, il devient mauvais.

Vous optez pour deux positions d'observation, depuis l'extérieuret par les plans descriptifs des ruines, la seconde rejoignant lapremière ? Comment avez-vous envisagé cette articulation ? Lesdeux points de vue qui se croisent pourraient être celui du défenseuret de l’assaillant. Les plans extérieurs en bateau se rapprochent del’île jusqu’à longer la digue massive de béton qui entoure l’île sansjamais l’aborder. C’est cette muraille qui donne en partie sasilhouette guerrière à l’île d’Hashima et qui lui valu le surnom donnéen 1921 par un journaliste du Nagasaki Daily News : Gunkanjima, soitl’Île Cuirassée.

ANDREAS FOHR DER GANG AUFS LANDFrance, 2010, 28'

Pourquoi Monte Verità aujourd'hui ? La mémoire d'une utopie ?Cet endroit m’a beaucoup marqué quand je l’ai vu la première fois, ily a plus de trente ans, et à mon retour en 2009. M’importait lamémoire de quelque chose de bien réel : l'exposition d’HaraldSzeemann retraçant les activités de ce lieu qui inventait une alterna-tive au mode de vie de ce début de 20ème siècle. Par sa mise enscène, non spectaculaire, sa manière d’installer cela dans le paysagemême, là où presque personne n’allait lui rendre visite, ou alors seu-lement par hasard. C’est pourquoi j’ai repris le sous-titre de sonexposition Les mamelles de la vérité. Il n’y a rien d’utopique dans ce quiest dit, ce ne sont pas des projections, tout a eu lieu ou a encore lieuaujourd’hui. C’est peut-être le lieu lui-même qui est utopiqueaujourd’hui, parce que cela n’a plus lieu. C’est dans ce sens que je l’aiperçu et que je l’ai utilisé pour y faire émerger des voix.

Le choix des textes ? Les jeux de voix et de répétition ? Les textes sont liés au Monte Verità. Le premier évoque Otto Gross, figuretrès importante des débuts. Dans une lettre ouverte, il décrit son désarroi : devoir justifier sa « normalité », sa santé mentale, mal-gré ou justement à cause de son désaccord avec les normes de la société à laquelle il appartient et dont il se réclame par ailleurs deplein droit. Les deux autres textes sont de même nature, mais à des moments historiques différents, l’un en 77, l’autre aujourd’hui.Ils dessinent donc une ligne dans le temps. M’a aussi intéressé le style employé pour décrire ces situations, et qui fait apparaître unesorte de spectacle grotesque. Les répétitions renvoient, elles, à une temporalité autre, plus proche de la musique que du théâtre,comme le changement entre la voix d’homme ou celle de l’enfant, qui opère une rupture et introduit une autre strate, comme la mon-tagne et son évolution climatique au cours du film.

Eric PelletLE PREMIER JOUR - France, 2010, 34’

Comment avez-vous travaillé avec Henri-Alexis Baatsch ? Le choix des textes ?Henri-Alexis Baatsch et moi-même étions invités début mai 2009 en Allier àune résidence qui avait pour thème La Sépulture. Ce thème gênait considéra-blement H-A.B tandis que dans mon travail, la mort est souvent une donnéedéjà présente ou qui advient et qui doit être traversée pour justement conqué-rir le vivant, rendre la vie possible par delà cette mort. H-A.B, perplexe à traitersans images un tel sujet, a guidé le choix des premières images : les arbresmorts zoomorphes et anthropomorphes, les tombes médiévales, la carrièreantique. Puis j'ai eu l'idée de prélever des fragments dans un ancien livre de H-A.B, Polaire Amazonale Manganésie, tout juste terminé d'écrire au moment dema naissance, correspondance souterraine. Ces réflexions de 1974 ont permisd’élargir une première réflexion qui butait sur l’expérience de la mort toujoursrenouvelée, de lui offrir des échappées. Dès lors, c'est une sortie du livre : le pro-cessus de création du film engendre une construction littéraire qui n'existe pasen tant que telle, qui part d'une origine puis s'élabore simultanément au tour-nage et au montage. Sous-tendu par les rapports texte / image / son, un objetfilm singulier émerge ainsi à travers de multiples opérations de bricolage.

L'utilisation de la musique ? C'est aussi une prise de risque de s'attaquer à etd'attaquer tout court des œuvres aussi intimidantes que Les variationsGoldberg ou L'art de la fugue. Le film est devenu la rencontre entre deux tempsde pensée (1973/2009), sur la base du postulat que "la perspective mentale"restait toujours à inventer.

Pourquoi le cheval ? Hasard. La vue de l'endroit où je logeais cadrait sous mesyeux ces chevaux, ces écuries ; le filmer s'imposait. "Le tissu général dont la viese construit : hasard", énonce le texte. Le cheval est primordial, mais il est placésur un plan d'équilibre avec d'autres éléments du monde, le minéral, le végétal,et je l'inscris fortement dans une petite cosmologie : l'art, l'histoire, la lumière,l'espace, le temps. Paradoxalement, mon souci demeure la littéralité, une sortede ‘réalisme’ ultime, même s'il s'agit aussi de casser le naturalisme.

Les insectes ? Les insectes sont saisis et mobilisés dans une conception musi-cale du contrepoint. Ainsi, dans le mouvement général du film, le cheval peuts'apparenter au sujet de la fugue, et les insectes incarnent eux le contre-sujet.Les insectes sont portés à la hauteur d'éléments tragiques, sans volonté d'an-thropomorphisme cependant, même si Gregor Samsa et sa métamorphose nepeuvent s'oublier. Mais il faut se garder de ne rien instrumentaliser, ni le chevalni les insectes. Je me refuse à les constituer en métaphores ou en figures, àasservir leur vie, leur souffrance et leur mort à une idée qu'aurait énoncée letexte et dont ils seraient une démonstration.

Anne-James Chaton PORTRAITS - France, 2005-2008

La qualité sonore de vos textes est primordiale. Comment avez-vous travailléici la forme plastique, rare dans votre travail ? Les premières pièces que j’aipubliées (Événéments 99) étaient effectivement inscrites dans ce registre, mais à yregarder de plus près, elles invitaient déjà à une plastique de la lecture plutôt qu’àun pas à pas linéaire. La forme ‘spécifiquement’ plastique, celle que l’on dira,alors, sortie du livre, mais entretenant toujours un rapport étroit à l’écrit et à l’im-primé, s’est imposée à moi avec l’objet que je cherchais à construire : ces 100Portraits. Lesquels, in fine, mais cette fin est encore à venir, peuvent se rassembleret former un volume qui ferait 176 sur 120 cm ! Dans mes compositions sonores,l’accumulation et la saturation progressive de l’oreille par la boucle produisent uneffet de dispersion et de fuite en tous sens. Il en va de même dans les Portraits. Laprolifération des données à l’intérieur de chacun des portraits, associée à leurexposition commune, creuse l’inconsistant et le démultiplie. Il en ressort une mul-titude d’individualités et de mondes possibles, à la façon des Monades de Leibniz. Quand à la question de la subjectivité, doit elleêtre seulement approchée depuis sa propre intériorité ? L’unicité ne m’intéresse guère, je privilégie une forme accidentelle de subjec-tivation, qu’elle soit celle du modèle ou de son lecteur.

Comment s'est fait le choix des différents portraits ? J’ai listé un ensemble de 100 activités, plutôt que des professions, le réper-toire des codes ROME utilisé par Pôle Emploi faisant disparaître de notre société un grand nombre de personnes. Ensuite, les por-traits se choisissent eux-mêmes, au gré des rencontres, et la liste des débuts est ainsi sans cesse mouvante. Des 100 Portraits, unecinquantaine sont aujourd’hui réalisés.

Le principe de liste était déjà présent notamment dans Événements 99. Elle porte aussi une forme de folie ordinaire. Vous sen-tez-vous plus l'âme d'un anthropologue ou d'un moraliste ? La liste fonctionne à la façon du sample, elle fuit très rapidement. Et,ce notamment, avec son exposition plastique, la masse déroutant, sans attendre, la linéarité. Quant aux moralistes et aux anthropo-logues, je ne partage pas leur souci de l'Homme. Je me sentirais plus proche d'un entomologiste qui sait ses tentatives de hiérarchiesgénéalogiques perdues d’avance, confronté qu'il est à la probable existence de plus de 30 millions d’espèces.

Antonella Porcelluzzi TINA - France, 2010, 34’

Vous annoncez ce film comme issu de chutes. Pourquoi ce montage ? Que signifiele sous-titre, « my very sparkling garbage-series » ? Au montage de mon premierfilm, Edutolove, j'avais 40 heures de rushes à ma disposition, j'en ai extrait un film de38 minutes, et quelque temps après j'ai décidé de monter encore quelque chose enrécupérant des images que je n’avais pas oubliées. Les appeler « my very sparklinggarbage-series » est une forme d'ironie, en rapport avec un goût pour la BD.

Pourquoi avez-vous choisi d'employer des cartons, entre traduction commentaire etinformation, sans traduire les échanges ? Je voulais que le spectateur comprenne masituation d'ignorance. Je comprends très peu ce qu'elles se disent, et le fait que jepuisse être présente est simplement dû à la bienveillance de Tina et de ses copines.En revanche, dès que je comprends quelque chose, je le signale à travers les cartons.C'est une adresse directe au spectateur. Ces cartons produisent aussi une formed’intimité, comme des commentaires chuchotés, en écho à la façon dont ces fem-

mes commentent le film que l'on regarde ensemble à la télévision. Une sorte de petit système de boîtes chinoises.

On peut lire : « mon film la vie des femmes ». Pouvez-vous préciser ? Ce carton est lié à celui qui le suit : « Mon filmla vie des femmes, le film nigérian, l'amour et ses controverses ». Cela met mon film et le soap opera en relation.Finalement, la vie des femmes et la place qu'elles donnent à la question de l'amour sont à l'origine d'Edutolove commede Tina.

La place de la télévision, de plus en plus présente, à l'image et au son, les deux espaces se mêlant ? Après avoirfait connaissance, dans la première partie du film, on prend de plus en plus le film nigérian en considération, et nosconversations (ou plutôt les leurs) ont commencé à passer par les commentaires sur le film qu'on regardait ensem-ble. Il devenait un terrain qui nous permettait d'échanger nos points de vue.

Chen Yang PETITE TROMPETTE - Chine, 2010, 21’

Vue sur la rue. En face de nous un trottoir, plus loin la route,sa circulation. On est en Chine. Ça s’entend, la radio leraconte. C’est ‘Petite trompette’, une émission pédagogiquedestinée aux enfants. On leur y dit l’histoire des luttes, de larévolution, de la promesse. Mais d’où sort cette voix radiopho-nique ? De l’intérieur d’un fast-food. C’est de la qu’on voit enface. En face de nous, la rue. Au bord du trottoir un homme estassis. Il agite un bras, il doit parler. Il agite l’autre, au niveau dela braguette. Il se branle. Contraste. Entre ? À vous de dire.

Portraits (fac simile), détail, courtesy galerie Porte-Avion, Marseille

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Anne Durez“SE ELES SE CALAM …” [ « S’ILS SE TAISENT... » ]France, 2009, 53’

Pouvez -vous revenir sur l'origine de ce projet, de la perfor-mance comme du film ? Ce projet de performance est ancien, celuide travailler le corps en résistance. Cette posture allongée et immo-bile fait déjà partie d’un protocole de travail en place depuis quel-ques années. J’étais pendant deux mois en résidence à la FAAP à SaoPaulo à l’automne 2008 et c’était la première fois que je vivais et tra-vaillais en milieu urbain. En donnant l'envers du décor d’emblée, lapremière partie dans la nature devient le négatif de la performanceproprement dite en galerie, on assiste à la mise en place, les pierressont noires, et le film dépasse alors la performance.

Le titre ? « Se eles se calam,… » est la première partie d’une phrase découverte au bord d’une route sur la terre rouge auCameroun en 2005, écrite en blanc en français, une route qui montait jusqu’à un point culminant, une église protestante : «S’ils se taisent, les pierres crieront ». Cette phrase m’a habitée depuis. Une fois au Brésil, le temps était venu de faire crier lespierres durant une performance avec des danseurs. Quand elles rebondissent sur le ciment de la galerie tandis que le poingenduit de terre rouge se lève vers le ciel, l’image devient parlante. L’histoire dira plus tard comment les rituels vont se dépla-cer maintenant. Comment « faire encore corps avec » désormais pour mieux résister ?

Comment avez-vous travaillé avec Aguinaldo Bueno ? Peu de mots, du fait des barrières de langue. Nous avons fait plusieursvoyages préparatoires autour de Sao Paulo en nous rapprochant progressivement de la galerie Vermelho avec les matériaux etpeu à peu le processus s’est affiné. J'ai vite su qu’il fallait tenir une heure immobile dessous, il savait comment positionner lespierres pour que je puisse respirer, etc. C’est la première fois que je travaillais comme ça pour une performance, et même sicela semble paradoxal, de « répéter ». Parce que cette fois-ci, la mise en danger impliquait de pouvoir maîtriser la situation,mais une « mise en danger » que d'ailleurs je ne revendique pas. Et, c’est également la première fois que le processus est renduvisible (par le début du film, comme une quête), clin d’œil aussi à tout processus de création : alors que tout semble simple etépuré en haut de l’iceberg, une fois dans l’exposition...

Ellen BrunoSKY BURIALEtats-Unis, 2005, 12’

Les rites funéraires définis-sent, on le sait, l’humanité.Mais le respect des morts nes’entend pas également sur laplanète. À l’inhumation, certaines cultures préfèrent

d’autres départs. D’autres envols. Au Tibet, par exemple, monastère de Drigung, des funérailles célestes sont célébrées,appelées jhator. En place de fossoyeur, des anges sont chargés d’emporterles corps des défunts. Des anges ? Des créatures du ciel, pluôt. Mais voyez.

Anna Abrahams DESERT 79°. 3 JOURNEYS BEYONDTHE KNOWN WORLD - Pays-Bas, 2010, 19’

«Deuxième volet d’une trilogie sur la dimension culturelle du paysage européeen, Desert 79° porte son regard par-delà les limites du monde connu. Trois explorateurs polaires et leurs reportages balbutiants, filmés dans diverses nuances de blanc: leGrec Pythéas, le premier à avoir décrit l’océanArctique (330 avant J.C.); l’Amiral John Ross, qui arencontré les seuls habitants de cet univers glacé surune côte inconnue de l’océan Arctique (1819); suite àune avarie de son ballon dirigeable en route vers lepôle Nord, l’inventeur suédois Andrée se lance dansun long périple à pied sur la calotte glaciaire (1897).»

Lea HartlaubBENSBERG SEPTEMBER 2009 - Allemagne, 2010, 12'

Pourquoi cette station ? Par ailleurs vous insistez surl’idée d’enregistrement. Les gens ne sont pas présents àl’écran, mais vous maintenez une forme de présencehumaine. Pourquoi ? Pour moi, cette présence est univer-selle et essentielle. La station, bâtie comme une simplepetite maison de famille, représente en fait une sorte delivre ouvert sur nous-mêmes, sur nos penchants, notrefaçon de chercher à comprendre, contrôler et protéger,notre relation au monde qui nous entoure, notre façon derechercher, documenter, enregistrer, notre rapport autemps… Chaque image - qu’il s’agisse d’un instrument, d’un relevécartographique, de dossiers, ou de l’abri de feuilles d’uncrapaud dans une canalisation d’eau - constitue une trace,une preuve de l’activité humaine. Nous faisons des plans,des découvertes, nous affirmons que telle ou telle chosenous appartient, nous nommons et rebaptisons, nousinterprétons le paysage, nous utilisons la science et lesmachines pour parvenir à la perfection technologique, oudes matériaux comme le papier pour graver la présence pal-pable de ce qui ne serait sinon qu’un moment éphémère. Denombreuses relations en découlent.En fond sonore, on entend des gens travailler à l’étage ; ilssont là, mais les décrire en tant qu’individus n’est pas cequi importe à mes yeux. Ne pas les montrer eux, mais plu-

tôt leurs créations, permet de raconter une autre histoire,un peu comme si l’on reculait pour avoir une vision pluslarge.

Pourriez-vous nous éclairer sur le choix de ce que vousappelez « Seize images semblables à des tableaux » ?Dans la station, l’espace est très restreint. Je l’ai d’abordexploré moi-même, sur place. Lors de ma deuxième visite,j’ai commencé à prendre des photos, puis en discutant avecles scientifiques, mes impressions se sont nourries d’indi-ces. Il m’arrivait de trouver une histoire et d’observer alorsquelque chose de nouveau, ou de simplement faire unerecherche sur ce que j’avais vu. Comme si les fils formaientpeu à peu un filet. Je faisais des nœuds lorsque c’étaitnécessaire. Certaines choses se sont offertes naturelle-ment, comme la vallée au pied de la station. À chaque foisque je passais devant, je la percevais d’une façon différente,comme c’est souvent le cas avec les paysages. Cela me fai-sait penser à un dessin d’enfant représentant un coucherde soleil ou un lever de soleil, deux collines qui se chevau-chent en partie avec quelque chose derrière : le mondeentier qui s’offre à notre regard. Plus tard, j’ai trouvé le sis-mogramme du tremblement de terre au Cap Finisterre,l’histoire de son nom, et le lien entre les deux était fait.Chaque cadrage était décidé avant le tournage, bien réflé-chi en fonction du regard du spectateur, et de commentcelui-ci allait pouvoir se déplacer d’image en image, ou à l’in-térieur d’une même image.

Peut-on dire que, d’une certaine façon, ces appareilsenregistreurs sont une métaphore du cinéma ? Peut-êtreque le cinéma, en tant que somme de tout ce qui a un jourété jugé digne d’être enregistré, peut être vu comme unemanifestation de plus de la tendance des hommes à vouloirconserver une trace de ce qui va bientôt disparaître. Maispeut-on dire qu’il en va de même pour un instrument scien-tifique programmé et dirigé par un être humain en quêted’un sentiment de complétude ?

Natacha Muslera France, 2009, 39’

Pourquoi Ramallah ? Grâce aux Instants Vidéos à Marseille, j'aiété invitée avec plusieurs artistes et critiques français, notam-ment Julien Blaine, Jean-Paul Fargier, Pascal Lièvre, au premierfestival d'art vidéo en Palestine, à Ramallah, en mai 2009.C’était organisé en grande partie par des artistes et intellec-tuels palestiniens : Fondation Quatan, Galerie Al Mahatta.

Vous avez collecté de nombreuses heures d'enregistre-ments lors de votre séjour. Envisagiez-vous alors d'en fairela matière d'un film ? Je viens de la musique, j'ai un rapportimmédiat aux sons, je pratique une écoute obstinée depuisvingt ans. A l'inverse, j'ai des déficiences du côté oeil, je suistrès lente. J'accumule un réservoir d'images et de sons. C'estdans cet esprit que j'ai enregistré et pris des photos à Ramallahet Jérusalem. Quelques mois après cette incursion, MarcMercier m'a demandé de présenter une performance à partir del'expérience palestinienne. Je lui ai proposé un film : partir d'unmatériel extrêmement pauvre, quatre photos, sept heures d'en-registrements audio avec un dictaphone mono de piètre qua-lité.

Pourquoi mêler ces paroles au texte de Mahmoud AbouHashhash ? Il manquait quelque chose, une tension néces-saire déclinée par une autre voix, une autre perception. J'avaisdéjà voulu titrer le film Ramallah mon amour pour diverses rai-sons, lorsque Marc Mercier m'a parlé du livre “Ramallah monamour”. J'ai choisi quelques pages parlant d'amour, de désir,d'errance et du sentiment d'impuissance sous l'occupationisraélienne. Il fallait que cette voix chuchote, soit d'une autrenature et qualité que les voix enregistrées en prise direct fai-tes en Palestine. Elle crée une dépression au niveau del'oreille, il faut aller la chercher, car elle se cache derrière lafenêtre, dans les rideaux, ou parle en creux.

Pour les autres voix il s’agissait de zoomer, de suivre son iden-tité, qu'elle se mette à exister visuellement alors qu'elle n'ap-paraît pas. Les plans d'ensemble font apparaître plusieursniveaux de bruits, d'actes de paroles, certains audibles d'autrespas. Le plan rapproché sonore correspond à un personnageprécis : le guide touristique qui nous fait visiter Jérusalem,Ramallah, dans sa voiture, chez lui. Kaïs Bakri représentaitpour nous un porte parole, celui d'une génération entière. Ilincarne avec sa voix les contradictions, les intelligences, lesmeurtrissures, les déceptions.

Pourquoi cet écran noir ? Les images fixes ? Il s'agit d'uneimage qui monte pendant la moitié du film. Après, ne subsis-tent que des fragments de noir. Une image qui viendrait dufond de l'histoire. Puis l'icône et l'image martyre. Substituerl'aspect symbolique par une perception purement optique.L'arrêt sur image, plutôt que des images fixes, montre ungeste de régression, assez primaire. Recommencer le proces-sus (Blow up), agrandir, retourner en arrière : afin de décelerquelque chose ? Que s'est il passé ? Qu'avons-nous perdu enroute ? Qu'est-ce qui nous échappe ?

Empêchements. Des commentaires sur le titre ? Le titre, j'ai voulu queça soit quelque chose d'assez neutre, en même temps ça dit clairementce dont il s'agit, je pensais au mot Américain "impeachement", un jour jesuis passé dans une rue de la zone industrielle, et dans une sorte de ren-foncement il y avait un type avec son salon et un lit, quelque jours aprèsil n'y avait plus rien, juste un rocher à la place, j'avais pensé assez naïve-ment à l'époque que j'aurais eu le temps de faire sa connaissance, (...),

il y a eu deux autres choses comme çaqui m'ont marqué, j'ai photographié lerocher, ce n'est pas la place vide qui amarqué la présence du type, c'est le faitqu'on ait fait en sorte qu'il disparaisse ; lapreuve d'un crime on a envie de dire,c'est les moyens ou pour qu'il dispa-raisse ou pour qu'il ne revienne pas, pasle crime en lui-même justement, puisquele crime en lui-même ne laisse pas detrace, d'ailleurs la règle en Seine Saint-Denis, c'est de nier, nier qu'il y a euexpulsion, nier que des gens étaient là,

nier l'illégalité des expulsions, 90% des expulsions à Saint-Denis sontillégales, je me suis dit alors qu'il faudrait faire une sorte de recension, deça, presque un herbier, de leur façon à eux dans les faits de combattrela pauvreté, de montrer qu'en fait le département était devenu une zonede guerre,

Des photographies au départ, un film aujourd'hui : pourquoi cedéplacement ? Les photographies, au bout d'un certain temps, assezvite on se rend compte que la photo c'est de l'ordre de la culture, que lacinéma apporte et une sorte d'expérience directe et que ça peut enleverce côté culturel, que ça peut devenir quelque chose d'agressif, oui, jesavais que la violence serait du côté du cinéma, je ne sais pas l'expliquer,je savais aussi que la preuve des choses serait du côté de la vidéo, quela photo d'une façon ou d'une autre ne servirait qu'à embellir les choses,

Le film se poursuit : un empêchement à le conclure ? Le film n'a pasde fin, sans que personne ne le sache, nous venons de vivre la plusgrande chasse aux métèques depuis 60 ans, (près de 2000 personnes(sinon plus) expulsées rien qu'à Saint-Denis en 1 mois), le film, c'est unénorme travail documentaire, et les expulsions qu'il y a eu là, depuis unesemaine, quinze jours, un mois, c'est absolument du jamais vu, alors jeme conduis comme une sorte d'agence de presse, ce n'est pas que lefilm n'a pas de fin, c'est que la guerre aux pauvres continue commejamais.

Charles de Zohiloff EMPECHEMENTS

France, 2010, 47’

Andrés Duque PARALELO10- Espagne, 2005, 26’

À Barcelone, quartier Paral.lel, unrituel étrange, énigmatique : unefemme, philippine apprend-on(pays où passe le 10e parallèle),s’adonne à un rituel dont on nesaura rien, sinon son lien verticalavec le soleil, dispositions ésotériques au sol, à l’aide d’accessoires de géométrie,équerres et autres instruments.Nous voilà face à ces gestes, àconstruire notre propre monde et les liens possibles entre l’ici etl’invisible, entre elle et nous.

Page 4: Journal 1 05 - FIDMarseille

EXPOSITIONS FIDMARSEILLE : Commissaires de l'exposition et textes : Nicolas Feodoroff et Jean-Pierre Rehm. Documentation et entretiens : Nicolas Feodoroff. Graphisme :Caroline Brusset. Illustrations : DR. Montage des expositions : Wilfrid Wilbert, Fabien Artal. Merci aux artistes, au FRAC Provence-Alpes-Côte d'Azur, au [mac] musée d'artcontemporain de Marseille, à la galerie Porte-Avion, à Sixpackfilm, à Eye Film Institute, à Paul-Emmanuel Odin, François Billaud et Laure Maternati de La Compagnie, àJean-Louis Connan, directeur de L'Ecole Supérieure des beaux-arts de Marseille et de la galerie Montgrand. Impression : Soulié

FIDMarseille 14 allée Léon Gambetta - 13001 MarseilleTél : 04 95 04 44 90

www.fidmarseille.org

Laura Huertas Millan SIN DEJAR HUELLA - France, 2009, 3’

Pouvez vous revenir sur l'origine de Sin DejarHuella? A l'origine de Sin Dejar Huella, il y a un "faitdivers" : un homme abattu d'une balle par accident àBogota, lors d'une fusillade. Les témoins de l'évène-ment s'évertuent à en nettoyer toutes les traces. Cettehistoire excédait la simple anecdote, je l'ai abordéecomme une sorte de fable sur l'histoire de la Colombie,volontairement amnésique. Sans laisser de Tracecherche une sorte de transcription originaire et mythi-que.

La voix occupe une part importante dans vosvidéos. La voix fait office de gros plan, mais un grosplan qui refuse l'excès de visibilité et donc sa banalisa-tion. M’intéressent aussi les teintes accordées aux voixvia les instruments d'enregistrement : téléphone,magnétoscope, mauvais micro. La voix, déformée ouau contraire éclaircie, installe une dialectique avecl'image, la contredit, s'y oppose. Et en même tempselle fait office de liant, elle accorde à l'espace vidéo-graphique un statut charnel.

Pourquoi ce lieu de tournage ? Ce lieu, c’est le jar-din tropical de la ville de Paris. Je travaillais à l'époquesur le constat d'un traumatisme originaire nié par lasociété colombienne : le génocide indigène. J'ai com-mencé à en chercher les traces à partir de ma positiond'exilée, et j'en suis venue à m'intéresser à des lieuxtrès marqués par l'impérialisme occidental, comme lejardin d'acclimatation ou le jardin tropical de la ville deParis. Ce qui m'a frappée, c'est que ces lieux étaientsouvent utilisés comme décors pour les photographies« exotisantes » de l'époque. Je disposais d'un autrecôté du récit enregistré au téléphone, qui m'a sembléêtre en lien avec ce traumatisme originaire d'une exter-mination dont on a effacé toutes les traces. C’est unpaysage très urbain,et une forêt qui devient le lieu desfantasmagories, des âmes errantes, une jungle.

Le “bullerengue” ? Le bullerengue est un chant tradi-tionnel de la côte atlantique colombienne, hérité despremiers esclaves rebelles, les cimarrones. Il s'agitd'une forme musicale métisse : africaine, indigène etespagnole racontant des gestes quotidiens, apparem-ment banals, qui portent en filigrane une mémoire col-lective. Je voulais que ce chant boucle l'histoire racon-tée par la voix au téléphone, en proposant une sorte derésolution, de dépassement. En contrepoint de ce récitd'effacement des traces, c'est un témoin historique quis'avance vers nous, un chant, élément culturel stricte-ment dépendant du corps qui l'énonce. Ainsi une formeancestrale devient cri, instantané dans le corps d'unefemme.

Liliane Giraudon,

Akram ZaatariLES ARABES AIMENT LES CHATS

Maroc, 2009, 8’

Si chaque image qu’on tourne est signi-ficative d’autre chose, un titre dit ce qu’il ditet ne le dit pas. Trouver un titre pour un filmmuet c’est donner au titre une valeur de pre-mier carton. Akram et moi ne trouvions pas

ce premier carton. Nous traînions dans Tanger. Un garçon que nous devions filmernous avait posé un lapin. Poser un lapin n’est pas manger du lapin.Akram qui arrivait de Beyrouth avait tout de suite donné le ton « Heureusement,nous, la guerre nous a sauvés du tourisme ». Le scénario serait tardif. Postérieur au tournage. Une inversion. Si informer c’est étymologiquement donner une forme le titre devait informer sur laforme « cinépoème » (Le poème a perdu sa bande son. Il n’informe personne. Lescouleurs ont foutu le camp vers la mer. Le poème porte une djellaba blanche. Il tra-verse le petit socco et se fait servir un verre de lait au café central. ) Nous passons beaucoup de temps dans les cafés. A regarder passer des corps (la corporéité populaire sera l’héroïne du film). Akram memontre que l’inactuel renvoie au plus actuel. Au sur–actuel.Le maudit lendemain de ce monde meil-leur, nous y voilà ! (« comment appelle-t-on quelqu’un qui ne mange jamais deviande ? un pauvre »)… Un matin, retour àl’inactuel : j’interroge Akram sur la beautéet le nombre de chats dans la ville.Il me répond « les arabes aiment les

chats ».Je lui dis « tu as trouvé notre titre, ce sera

« les arabes aiment les chats ».Aimer les chats n’implique pas nécessaire-ment manger du chat. Les arabes ? c’est qui les arabes ? Et le désir ? c’est quoi le désir ?

Lilianne Giraudon

MariagiovannaNuzzi ONTOLOGY.HOW TO MAKE THE ETHICS

REACT WITH THE EXERCISE OF POLITICS ?

Italie, 2009, 39’

Peut-on revenir sur l’origine du projet ? Lefilm et le tournage sont liés aux événementsqui ont affecté deux Palestiniens, G. et Y.,lorsqu’à cause de leur engagement politique,ils se sont trouvés pris dans la machine sécu-ritaire du régime, plongés dans des procédu-res délicates d’identification et de mise à l’in-dex. Aux yeux de la loi, les vies de G. et Y.étaient comme dépourvues d’existence réelle.Pour l’avocat chargé de leur soi-disant procès,la seule façon de remédier à ce manque étaitde concrétiser leur existence en lui offrant unereprésentation médiatique, fondée principale-ment sur l’image. La prise de conscience de ceproblème, son développement irréfutable, ontété les vrais moteurs de la recherche et doncdu film. La seconde étape du projet, consistaità comprendre quelles étaient les implicationsde l’espace, ici l’émirat de Dubaï, dans l’his-toire et le processus de création du film, àplus ou moins grande échelle.

Que signifie la seconde partie du titre : ActeII, Scène 4, Témoin 2 ? Un rejet instinctif de

la norme journalistiquecontemporaine m’apoussé à réfléchir davan-tage à l’extension quidécoule de la projectiondu temps réel sur l’imagedu récit, lorsqu’il s’agitde représenter le coursentier d’une vie. Étantdonné les questions quise sont posées pendantla réalisation du film etqui se posent encoreaujourd’hui, j’imaginequ’il serait trompeur de

mentionner uniquement la responsabilité(comme l’ont d’ailleurs fait de nombreusespersonnes pendant toute la phase de recher-che), qu’elle soit politique ou éthique.Trompeur en effet, car l’idée de responsabilitécréerait une distance quantitative entre lesévénements et la réalisation du film. Or, cettedifférence, plutôt que distance, est davantagequalitative. Le titre fait avant tout référence audécoupage temporel que l’on trouve au théâ-tre. Toute la recherche s’est concentréecomme en une pièce en deux actes, chacuncomposé de quatre scènes ; le film constituele deuxième acte. Chaque scène en appelleune autre, mais elles ne se suivent pas néces-sairement. Pourtant, pour chaque partie, ycompris dans le film, un index suggère qu’ilexiste un espace vide… dehors.

Comment s’est effectué le passage entre letémoignage de G. et le texte entendu dansle film ? En assonance avec les images, la voixoff tente de relier les situations et les événe-ments survenus dans la zone de transit del’Aéroport international de Dubaï (où G. et Y.ont été retenus pendant huit mois) à la struc-ture même de la ville. On a fait la transitionlittéralement en imaginant comment le témoi-gnage de G., à la lumière du contexte légal etpolitique, pouvait s’entrelacer dans le filmavec d’autres voix, comme celles de Y., A. et K.,qui sans être les protagonistes du film, sont

pourtant indispensables, car ils font partieintégrante de l’histoire et ils nous rappellentl’espace extérieur à l’aéroport, dont la zone detransit devient un exemple concentré, unmodèle réduit.

Et qu’en est-il du nom que portent ces dif-férents « personnages » : A., G., K., Y. ? Lesdésigner par une simple lettre, un caractèrecodé, était une des façons que nous avions dedévelopper et d’étendre ce qui continuait derelever de l’individuel ou du particulier dansun espace commun. Il s’agissait de laisser uneimage émerger naturellement des différenteshistoires singulières qui se croisaient, de sui-vre les affects autant que les forces en pré-sence, plutôt que de vouloir à tout prix donnerforme aux personnages. On peut y voir unchoix stratégique, mais ce n’est pas une formefacile de défense.

Parlez-nous du son, et plus particulière-ment de la voix. Dans la dernière séquence,en particulier. Dans la dernière séquence, ilfait écho à la séquence d’ouverture. C’estcomme si le film vibrait dans un espace-temps suivant un dessin cartographique, dontle matériau serait l’écran noir et le son. Lapremière séquence, Cartography of a passage,est en fait le moment où l’on entre dans l’aé-roport : on entre vers le départ ; la séquencefinale, Traces of permanence, est le temps quis’écoule avant le départ pour une arrivée pos-sible. La bande sonore est composée de bri-bes de son enregistrées pendant le séjourforcé de G. et Y. à l’aéroport, lorsqu’on les ainstallés dans l’ancien salle d’attented’Emirates Airlines. Dans le film, les juxtapo-sitions de voix, de sons et d’images ne sontpas directes, il existe une correspondance enléger décalage, et dans ce sens elle est déci-sive, en particulier pour la voix off, à traverslaquelle se déroule le passé.

« Pendant la semaine oùLilianne et moi avons travaillé,elle a pris des notes sur son cahier,des choses qu'elle a rencontrées,dont une phrase que j'ai dite, queles Arabes aiment les chats... enfait en poesie, il s'agit quelquefois de décontextualiser les choses,et ça devient évidemment plusambigu, plus intrigant aussi. »Akram Zaatari

Akram Zaatari / Les Laboratoires d'Aubervilliers

Sans titre, 2007. Akram Zaatari. Bobines utilisées pour réaliser des émissions de radio personnelles, et d’autres enregistrements. Enregistréesentre 1979 et 1982.

Sans titre, 2007. Akram Zaatari. Cassette audio Maxell, portant l’inscription « le bombardement de Beyrouth et le départ des forces palestiniennes ». Enregistrée en 1982.

Juan Daniel REMINISCENCIAS (WORK IN PROGRESS) - Pérou, 2010, 85’

De quoi sont faits nos souvenirs, alors que nous sommes capturés dès le berceau par des images ritualisant nos existen-ces ? Juan Daniel / cobaye a perdu la mémoire après un acci-dent de sandboarding. Choc amnésique que seul le visionnagede ses vidéos de famille semble atténuer, suscitant des rêves.Vidéos que Juan Daniel / cinéaste nous livre ici, dressant unportrait caustique de nos univers familiers mondialisés.

Christophe

Berdagueret Marie

Péjus

TRAUMATHÈQUE - France, 2002/2010 - www.cbmp.fr

Traumathèque (archives) 2002/2010... Dispositif d'enregistrement et de stockage des traumas par l’intermédiaire de cassettesvidéos.

TOUTES LES FAÇONS DE FERMER UNE BOÎTE EN CARTONClaude Closky, 198916 cartons d'emballage disposés au solChaque caisse : 40 x 60 cmDimensions variables selon le lieu d'expositionCollection FRAC Provence-Alpes-Côte-d'AzurPhoto : Marc Domage / Détail

Friedl Vom GröllerDELPHINE DE OLIVEIRA - Autriche, 2009, 3’

Friedl vomG r ö l l e rdont onconnaît letravail decinéaste etde photo-g r a p h e ,adepte de

la forme courte et fidèle à la belle matérialité du noiret blanc 16 mm, nous propose un portrait paradoxal.Qui est Delphine de Oliveira ? Celle qui apparaît surl’écran, pas d’autre enquête. Des images d’elle, cellesd’un avant indéterminé, puis d’un maintenant, serépondent. Quelques plans, un sourire, des instantscaptés, de beaux gestes esquissés, Delphine deOliveira nous restera inaccessible. Sauf un visage, unregard, face caméra.