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À lire page 6 Journal de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France Mars 2006 - Numéro 141 Compagnon du Devoir Dans ce numéro... LE DEVENIR DES METIERS Sans métier, il n’y a pas de Compagnonnage. Or les métiers bougent, ils sont en perma- nence en mouvement. Il y a des métiers dont les effectifs sont à renouveler et pour lesquels des tensions sont prévisibles, des métiers en pleine transformation et pour lesquels il faut se procurer ou développer de nouvelles compétences, enfin des métiers en voie de disparition ou d’externalisation… Face à cela, trois attitudes sont possibles : la passivité (subir, au mieux s’adapter), la réac- tivité (développer des stratégies pour réagir au plus vite aux situations), la prospective (anticiper les changements). La première est dangereuse, en particulier quand les changements sont de plus en plus rapides ; la seconde est séduisante mais illu- soire quand les organisations sont anciennes et importantes ; seule, la troisième attitude est efficace. Mais est-il possible de savoir ce qui va bouger et vers où cela va bouger ? Pierre Dac disait : « La prévision est difficile surtout quand elle concerne l’avenir ». Plus sérieusement, Gaston Berger, le fondateur de la « prospective », écrivait : « L’avenir est moins à découvrir qu’à inventer ». Autrement dit, l’avenir ne se prédit pas, il n’est pas du domaine de la prophétie ou de la prévision, c’est quelque chose qui se construit dans le présent. Se donner les moyens d’être acteur du devenir de son métier, c’est la raison d’être du groupe de travail sur « le devenir des métiers ». Assurer une veille pour anticiper les effets à court et moyen termes de ce qui se passe aujourd’hui dans les métiers, tel est le sens de notre action au travers de ce groupe de travail. Un travail difficile, surtout pour nous « hommes de métier », car les effets ne sont pas toujours sensibles dans l’immédiat, les résultats du travail de prospective apparaissent souvent rétrospectivement… Mais un travail indispensable dès lors que nous sommes engagés dans la formation de jeunes qui devront vivre demain de leur métier et dès lors que notre institution repose sur la vie de chacun de nos métiers. Un travail qui a déjà porté ses fruits. Le bilan des sept années de vie de ce groupe, dont vous pourrez lire un extrait, montre une partie des résultats de cette démarche. Il reste encore beaucoup à faire, mais surtout à maintenir cette veille, à la développer au sein de chacun de nos corps de métiers afin de construire pour chacun d’eux un projet d’avenir. Jean-Claude Bellanger Manceau la Persévérance Compagnon passant Charpentier du Devoir Conseiller au Collège des Métiers GODIN Le devenir des métiers par Manceau la Persévérance ............................................................................................................................................................1 Bilan de sept années d’actions par Manceau la Persévérance ...........................................................................................................................................2 Séjour en Hollande par Rennais ....................................................................................................................................................................................................4 Hermione, un chantier de grande envergure par Angevin et Bugey la Tolérance ....................................................................................................6 Mosaïque – Des couleurs mauve, parme et violette par Henri le Provençal ..............................................................................................................9 Chaumier pendant une semaine par Alsacien ..................................................................................................................................................................... 10 Carnet du Tour de France ..............................................................................................................................................................................................................11 Une sortie moto vraiment réussie par L’équipe des motards ........................................................................................................................................11 Utopie ou paternalisme ? par D. Le Stanc ............................................................................................................................................................................... 13 S i ce nom évoque pour chacun de nous le poêle de son enfance, bien peu savent réellement qui était Jean Baptiste André Godin. Daniel Le Stanc est allé à sa rencontre et nous raconte... Éditorial Manceau la Persévérance À découvrir page 13 I l est de nos jours, en France, un chantier extraordinaire. Il se situe à Rochefort, en Charente Maritime, haut lieu de la marine à voile du temps de Louis XVI. Il s’agit de la reconstruction à l’identique d’une « frégate de 12 », plus exactement de la célèbre « Hermione » Retour sur le passé

Journal de l’Association ouvrière des Compagnons du ...59c.free.fr/publication/journal/141mars06.pdf · 2 compagnonnage et réfl exion L orsque le Compagnon Houdusse, le 12 septembre

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À lire page 6

Journal de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France

Mars 2006 - Numéro 141

Compagnon du Devoir

Dans ce numéro...

LE DEVENIR DES METIERS

Sans métier, il n’y a pas de Compagnonnage. Or les métiers bougent, ils sont en perma-nence en mouvement. Il y a des métiers dont les effectifs sont à renouveler et pour lesquels des tensions sont prévisibles, des métiers en pleine transformation et pour lesquels il faut se procurer ou développer de nouvelles compétences, enfin des métiers en voie de disparition ou d’externalisation…

Face à cela, trois attitudes sont possibles : la passivité (subir, au mieux s’adapter), la réac-tivité (développer des stratégies pour réagir au plus vite aux situations), la prospective (anticiper les changements).

La première est dangereuse, en particulier quand les changements sont de plus en plus rapides ; la seconde est séduisante mais illu-soire quand les organisations sont anciennes et importantes ; seule, la troisième attitude est efficace.

Mais est-il possible de savoir ce qui va bouger et vers où cela va bouger ?

Pierre Dac disait : « La prévision est difficile surtout quand elle concerne l’avenir ». Plus sérieusement, Gaston Berger, le fondateur de la « prospective », écrivait : « L’avenir est moins à découvrir qu’à inventer ». Autrement dit, l’avenir ne se prédit pas, il n’est pas du domaine de la prophétie ou de la prévision, c’est quelque chose qui se construit dans le présent.

Se donner les moyens d’être acteur du devenir de son métier, c’est la raison d’être du groupe de travail sur « le devenir des métiers ».

Assurer une veille pour anticiper les effets à court et moyen termes de ce qui se passe aujourd’hui dans les métiers, tel est le sens de notre action au travers de ce groupe de travail.

Un travail difficile, surtout pour nous « hommesde métier », car les effets ne sont pas toujours sensibles dans l’ immédiat, les résultats du travail de prospective apparaissent souvent rétrospectivement…

Mais un travail indispensable dès lors que nous sommes engagés dans la formation de jeunes qui devront vivre demain de leur métier et dès lors que notre institution repose sur la vie de chacun de nos métiers.

Un travail qui a déjà porté ses fruits. Le bilan des sept années de vie de ce groupe, dont vous pourrez lire un extrait, montre une partie des résultats de cette démarche. Il reste encore beaucoup à faire, mais surtout à maintenir cette veille, à la développer au sein de chacun de nos corps de métiers afin de construire pour chacun d’eux un projet d’avenir.

Jean-Claude BellangerManceau la PersévéranceCompagnon passant Charpentier du DevoirConseiller au Collège des Métiers

GODIN

Le devenir des métiers par Manceau la Persévérance ............................................................................................................................................................1Bilan de sept années d’actions par Manceau la Persévérance ...........................................................................................................................................2Séjour en Hollande par Rennais ....................................................................................................................................................................................................4Hermione, un chantier de grande envergure par Angevin et Bugey la Tolérance ....................................................................................................6Mosaïque – Des couleurs mauve, parme et violette par Henri le Provençal ..............................................................................................................9Chaumier pendant une semaine par Alsacien ..................................................................................................................................................................... 10Carnet du Tour de France ..............................................................................................................................................................................................................11Une sortie moto vraiment réussie par L’équipe des motards ........................................................................................................................................11Utopie ou paternalisme ? par D. Le Stanc ............................................................................................................................................................................... 13

S i ce nom évoque pour chacun de nous le poêle de son enfance,bien peu savent réellement qui était Jean Baptiste André Godin.Daniel Le Stanc est allé à sa rencontre et nous raconte...

ÉditorialManceau la Persévérance

À découvrir page 13

I l est de nos jours, en France, un chantier extraordinaire. Il se situe à Rochefort, en Charente Maritime, haut lieu de la marine à voile du temps de Louis XVI.

Il s’agit de la reconstruction à l’identique d’une « frégate de 12 », plus exactement de la célèbre « Hermione »

Retoursur le passé

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compagnonnage et réfl exion

L orsque le Compagnon Houdusse, le 12 septembre 1998, avait lancé le groupe de travail sur « le devenir

des métiers », i l avait sensibilisé les Compagnons présents à la nécessité de cette démarche.

Après un rappel de toutes les actions entreprises par les Compagnons du Devoir pour les métiers, il avait ajouté :

« Pourtant, ces actions ne suffi sent pas face aux transformations rapides qui s’opèrent sous nos yeux, sûrement plus profondes que celles qui se sont produites dans la seconde moitié du XIXe siècle, car si elles touchent les techniques, l’économie…, elles se réper-cutent aussi en profondeur sur nos sociétés, nos cultures… et se jouent à l’échelle de la planète et, cela, pour la première fois. Il s’agit bien d’une véritable mutation à laquelle peu d’individus sont préparés.

Il vaut mieux accompagner une évolution que la subir… C’est le sens de la réfl exion sur le devenir des métiers que nous engageons et cette mission incombe au Collège des Métiers. Une équipe de Compagnons est là et j’ose espérer qu’elle pourra travailler dans la durée pour les métiers et pour les hommes, en regardant en face cette mutation. »

Sept ans après,où en sommes-nous ?

Tout d’abord, il y a toujours une équipe de Compagnons qui s’attachent à cette réfl exion sur « le devenir des métiers », cette dernière s’est donc inscrite dans la durée. Cela, malgré des diffi cultés, celle de l’usure du temps et aussi celle liée à l’objet même du groupe de travail : « une réfl exion ».

Nous, Compagnons, nous aimons le concret, ce qui se voit et se mesure immédiatement. C’est ce que nous faisons et vivons chaque jour dans nos métiers. La réfl exion qui est plus abstraite, dont nous ne voyons pas toujours les eff ets, nous ennuie parfois, même si nous sommes persuadés de sa nécessité.

Entrer dans une démarche d’analyse, de réfl exion est pour nous plus diffi cile que d’entreprendre et de mesurer les résultats d’une action. Il est vrai que la réfl exion qui ne donne aucun résultat tangible est sans doute inutile, nous verrons que cette réfl exion a donné des résultats.

C’était là une réelle diffi culté qui a été surmontée puisque le groupe perdure.

La deuxième diffi culté concerne les résultats et les apports de cette réfl exion. Beaucoup de participants, à diff érents moments, ont fait part de leur intérêt pour les rencontres, les interventions et les visites qui avaient lieu lors de nos diff érents séminaires. Mais en même temps, ils exprimaient le regret d’en tirer profi t pour eux-mêmes sans voir comment ils pouvaient partager cela dans leurs corps de métiers et le transformer en résultats concrets pour

améliorer la formation des itinérants. Il y avait un malaise à l’idée de n’en profi ter que pour soi, alors que cette action coûtait à l’Association.

Ceci se comprend, mais je voudrais rassurer les Compagnons car il y a eu et il y aura encore des résultats concrets.

C’est sans doute cette absence de lisibilité dans les résultats qui a conduit parfois bon nombre de Compagnons dans les corps de métiers à ne pas voir l’intérêt de cette démarche, et même à la critiquer. Nous devons faire des eff orts sur ce point et mieux communiquer sur les résultats qui ressortent de notre groupe de travail.

Alors, les résultats quels sont-ils ?

Tout d’abord une évolution de nos mentalités. Si nous revendiquons nos traditions et surtout notre histoire, depuis quelques années nous sommes de plus en plus préoccupés de notre avenir. Cela se ressent dans les rencontres que j’ai eues avec les diff érents corps de métiers, cela se voit dans l’organisation des congrès et, pour un certain nombre d’entre eux, ce thème est un moment particulier. Je peux aussi constater que dans mes rencontres avec les délégués de métiers, c’est un sujet qui est vraiment présent. Nous sommes préoccupés de l’avenir pour les jeunes que nous

formons. C’est indispensable, c’est bien, et cela est dû en grande partie à l’ouverture que nous a permis cette démarche.

Ensuite, nous pouvons constater les conséquences directes de cette évolution dans les orientations prises par certains corps de métiers. Nous ferons témoigner tout à l’heure des responsables d’Instituts*sur les orientations prises dans certains métiers et cela montre clairement, je pense, la nécessité de cette réfl exion si l’on ne veut pas engager demain des jeunes dans des impasses ou des niches très restreintes, au risque de perdre le métier dans le Compagnonnage du Devoir.

La réfl exion sur « le devenir des métiers » nous a aussi aidés dans la mise en place des Instituts. Nous avions fait une expérience, bien avant la mise en place du groupe de travail, à Rodez, avec l’Institut

Bilan desept années d’actions

Manceau la Persévérance

Si nous revendiquons nos traditions et surtout notre histoire, depuis quelques années nous sommes de plus en plus préoccupés de notre avenir.

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de la Pierre. Celui-ci fut avant tout, et longtemps, un lieu de formation mais les Instituts ne devaient pas se résumer à cela. La démarche du devenir des métiers nous a aidés à préciser le sens de leur action et à voir que leur raison d’être devait être la préoccupation du métier et de son devenir.

Et l’on voit bien maintenant que les Instituts, s’ils sont des lieux de mémoire, ne sont pas seulement des conservatoires tournés vers le passé mais aussi des lieux d’ouverture où l’on essaie de se poser les bonnes questions pour que le métier vive demain et que le Compagnonnage soit toujours présent dans le métier.

Un autre point sur lequel la démarche du « devenir des métiers » a eu des conséquences concrètes et pratiques, est celui de la formation à la culture générale. La motion adoptée aux Assises Nationales de Troyes, sur proposition du groupe de travail sur le « devenir des métiers », a été à la base des évolutions que nous mettons en place en ce moment dans les villes, avec un développement de la formation en langue, une initiation à l’économie et à l’informatique, une sensibilisation au design, une formation au dessin à main levée, à l’histoire de l’art, etc.

Cette ouverture à des connaissances et des compé-tences nouvelles est le résultat de cette action.

La nécessité du voyage et de s’ouvrir à des expériences dans d’autres pays a été aussi renforcée par la démarche du « devenir des métiers ». Les rencontres que nous avons faites hors de nos frontières nous ont démontré l’intérêt de ces expériences qui ne sont pas que des « prises d’air », des « soupapes » ou bien encore « des moments pour décompresser » par rapport à la vie du Tour de France. Nous avons pu constater que ce sont de véritables expériences formatrices, mais aussi que nous pourrions en tirer un meilleur parti et que nous devons par conséquent revoir pour une part notre façon de faire. Aujourd’hui, nous travaillons à ces améliorations à partir de ce que nous avons vu et constaté sur place.

Ces déplacements ont été aussi l’occasion d’établir des relations et des partenariats que les corps de métiers sont en train de mettre en place. Les pre-miers résultats concrets l’ont été avec les maréchaux-ferrants et l’Irlande. Le délégué des Compagnons Maçons va se déplacer très prochainement à Barcelone en compagnie du Compagnon Frouin pour établir un partenariat avec l’Institut Gaudi. De même des échanges sont en préparation avec la Finlande ainsi que des actions de formation conti-nue. D’autres pistes sont restées pour l’instant en « stand-by » mais devront se concrétiser. Je pense en particulier au partenariat entre les métiers de la mécanique et le centre de formation de la marine que nous avons visité en Irlande, près de Cork.

Enfin, cette démarche nous a conduits à nous questionner de nouveau sur l’accueil de nouveaux métiers dans le Compagnonnage. Si, aujourd’hui, nous avons parmi nous des peintres, des électriciens, des jardiniers-paysagistes, c’est pour une part parce que nous nous sommes ensemble ouverts à des métiers que nous connaissions mal. Nos séminaires ont été l’occasion de ces découvertes et la motion qui a été proposée par le groupe de travail à Troyes a marqué une évolution et une volonté des Compagnons du Devoir d’être ouverts à cet accueil.

Sept années qui n’ont pas été inutiles, qui n’ont pas été du temps perdu, qui ont vu se mettre en place des évolutions importantes dans l’Association pour les métiers et les jeunes que nous formons.

Par rapport à ce que je viens de vous dire, le groupe « devenir des métiers » ne peut que poursuivre sa réf lexion dans les années à venir. Nous devons tous avoir à l’esprit de quoi demain sera fait et les modifi cations que cela peut apporter dans chacun de nos métiers. Vous devez être les représentants de votre corps de métier et donc vous intéresser aux évolutions techniques, économiques et sociales de votre métier. Nous attendons de vous que vous soyez toujours en éveil par rapport au devenir des métiers. L’ensemble de notre groupe doit être constitué

de Compagnons représentatifs de leurs corps de métiers respectifs car nous devons toujours être en éveil par rapport à chacun de nos métiers.

Le métier qui ne prend pas en main son devenir est un métier menacé de disparition. Certes, aujourd’hui, nous voyons cer t a i ns métiers qui sont plus investis que d’autres dans la réfl exion sur le devenir. Quand un métier ne rencontre pas de diffi cultés de travail, de personnel, i l peut se sent ir moins concerné.

Mais ce métier vit tout de même des évolutions. Quand la mécanisation se met en place petit à petit, le métier peut alors doucement se trouver en décalage par rapport à ce qu’il lui sera nécessaire de savoir demain. Aujourd’hui, il y a au sein de notre Association des métiers qui sont en pleine mutation et qui ne sont pas sensibles à la question de leur devenir. Quel danger pour demain !

Notre réfl exion concernant le devenir des métiers doit avant tout servir notre jeunesse. Nous ne devons pas nous tromper en matière de formation pour les jeunes qui sont aujourd’hui sur le « Tour de France ». Encore une fois, l’urgence de cette prise de conscience pour chacun d’entre nous est capitale. Cela doit être votre préoccupation dans votre métier.

Cette réfl exion, au niveau du métier et par métier, doit permettre d’avoir une vue générale en matière de connaissances techniques (les différents domaines du métier), mais aussi de connaissances plus générales, notamment les questions sociales, les besoins en matière de personnel, etc.

Pour nous aider à mettre cette démarche et cette réfl exion en place, nous avons organisé cette année trois rencontres :

celle-ci, près de Grenoble,une seconde en Hongrie, qui va nous permettre de voir l’état et les perspectives des métiers dans un pays nouvellement accueilli par l’Europe. Cela nous permettra de comparer avec notre propre approche des métiers et de considérer nos forces et faiblesses ainsi que les risques et les chances pour demain,nous étudierons la même chose en Tchéquie, un autre pays émergeant de l’Europe.

Ces déplacements et ces rencontres, en France et à l’étranger, doivent nous aider à appréhender notre devenir.

De plus, dans le cadre du « devenir des métiers », nous sommes amenés à constater les liens qui existent entre les métiers. Aussi, je vous demande de contribuer à la mise en place dans les régions d’actions inter-métiers. En eff et, nous voyons bien que des évolutions dans chacun de nos métiers -que ce soit dans l’alimentation, l’industrie, le bâtiment ou bien encore le transport- vont voir le jour dans les années à venir. Donc nous devons être prêts pour que nos Compagnons sédentaires et nos jeunes soient à la pointe de ces nouveautés. Nous devons aussi réussir à mettre en place des échanges entre les métiers car la sectorisation des métiers sera de moins en moins importante dans l’avenir. Il nous faudra travailler ensemble et avoir une connaissance de ce que l’autre métier fera avant ou après. L’échange entre les métiers ne peut se faire que si nous avons la capacité d’écouter l’autre ; nos Maisons de Compagnons doivent être des plateformes d’échange, d’écoute, d’information et de formation pour les métiers.

Jean-Claude BellangerManceau la PersévéranceCompagnon passant Charpentier du DevoirConseiller au Collège des Métiers

* Ce compte-rendu est tiré d’un livret intitulé « Le devenir des métiers – les 21 et 22 octobre 2005 - Grenoble » rédigé par les Compagnons du Devoir et que vous pouvez vous procurer auprès de la Librairie du Compagnonnage, 2 rue de Brosse, Paris (4e).

Lors de la rencontre du groupe « Devenir des Métiers » à Grenoble, les 21 et 22 octobre dernier, nous avons eu une présentation de l’Institut National de l’Energie Solaire (INES) ; Cet institut existe depuis peu de temps. Il fut créé à l’initiative de Monsieur Barnier et vit le jour en l’an 2000, soutenu par le département de Savoie, la région Rhône-Alpes et l’ADEME, avec la volonté de renforcer les activités de RDI SOLAIRE en France, de bâtir une plateforme de formation large en solaire et de démontrer les technologies solaires.

L’INES a aujourd’hui six grandes missions :

• devenir un centre d’excellence en énergie solaire en rassemblant une partie des acteurs majeurs actuels,

• supporter les fi lières solaires,• développer les outils et valider de

nouvelles méthodes de calcul et d’optimisation de systèmes,

• enseigner les technologies solaires,

• informer les acteurs des fi lières Bât iment et Industr ie des avantages du solaire,

• être un centre de ressources en matière d’énergie solaire.

L’INES fonctionne en trois grandes d iv is ions : un dépar tement « Recherche et Développement Industriel » (RDI) en partenariat avec le CEA , le CSTB et le CNRS ; un département « Education » qui

a pour but de promouvoir le solaire et de former les professionnels aux techniques du solaire photovoltaïque ou thermique ; et un département « Démonstrateur » qui a pour mission de mettre en situation et d’évaluer des produits et procédés issus du département RDI et d’être un lien de démonstration de la viabilité des systèmes solaires.

Cette présentation nous a permis de comprendre que nous avions des actions à mener entre nos Instituts de métiers et l’INES. Et lors-que la volonté d’avancer concrète-ment est là, les choses peuvent se faire très rapidement. En voici la démonstration…

Suite à ces journées, une rencon-tre est programmée fi n novembre 2005 entre l’INES et le Collège des Métiers afin de déterminer plus exactement quelles sont les pistes de travail que l’on peut avancer. Quelques jours de réfl exion sont utiles avant de pouvoir accueillir l’INES dans nos murs à Paris lors d’une réunion des responsables d’Instituts renforcés pour l’occasion du service du patrimoine. Les idées sont déjà plus claires et nous pou-vons soumettre quelques actions à réaliser en 2006 et d’autres à suivre.

La dernière réunion de travail a lieu le 1er février et nous permet de déterminer les besoins et les attentes de chacun pour réaliser en 2006 ces quelques projets :

• une journée ou une demi-journée de formation animée par l’INES pour nos formateurs plombiers , charpentiers et couvreurs afin de leur permettre d’appréhender les techniques du solaire et pouvoir ainsi mieux les retransmettre à nos jeunes apprentis, ceci dans le respect des particularités et des besoins de chaque métier,

• des petites conférences d’infor-mation, à destination de nos iti-nérants, de nos Sédentaires et de nos entreprises partenaires pour leur permettre de mieux cerner ce qu’est le solaire, en quoi il est effi cace et comment le proposer au particulier.

• des modules de formation à destination des plombiers ou des électriciens suivant la spécialité thermique ou photovoltaïque de chacun, avec un rythme original et en faisant intervenir de façon alternée l’INES, des couvreurs, des plombiers ou des électriciens. D’autre part, des modules de formation plus spécifi que pour les couvreurs.

Il nous reste encore à rencontrer le département RDI de l’INES afi n de mener à bien un autre projet, avec la participation du service du patrimoine de l’AOCDTF ainsi que de l’IMSGC, concernant la possibilité d’utiliser un ou plusieurs de nos sites pour équiper et /ou tester in situ des systèmes solaires afi n d’y observer les écarts dus aux diff érences de climat dans nos régions.

Thibault DubusBeauceron la SérénitéCOMPAGNON PLOMBIER DU DEVOIR

Un partenariat en marche

Sept années qui n’ont pas été inutiles, qui n’ont pas été du temps perdu, qui ont vu se mettre en place des évolutions importantes dans l’Association pour les métiers et les jeunes que nous formons.

voyage et découverte

J e m’appel le Jonathan Froc, dit Rennais . Je suis Aspirant Menuisier

et j’ai effectué mon apprentissage de menuiser ie au CFA de la Maison des Compagnons, à Brest. CAP et BEP en poche, je n’avais encore que dix-sept ans et n’étais pas prêt à partir sur le Tour de France, aussi j’ai suivi une année complémentaire à la Maison de Rennes, proche de chez moi.

M o n To u r d e F r a n c e a véritablement commencé à La Rochelle où je fus adopté. Puis je su is par t i pour Grenoble , plus exactement Saint-Egrève, situé à huit kilomètres, avant de rejoindre la campagne de Laguépie dépendant d’Albi, et la ville de Marseille. Peut-être la proximité de la mer y est-elle pour quelque chose mais à partir de cette ville m’est venue l ’envie de partir à l ’ ét ranger. Comme première étape hors de France, j’ai choisi les Pays-Bas. Avant de part ir pour l’aventure, j’ai dû préparer mon dossier administratif avec demande de passeport, certificat d’assurances, etc.

Les Compagnons m’ont trouvé une entreprise de menuiserie-agencement à Haarlem, vingt kilomètres de la capitale Amsterdam, au nord de la Hollande. J’y ai été très bien accueilli et tant la direction que les ouvriers m’ont adopté tout de suite. L’ambiance y est très conviviale, chaleureuse même. Mon contact avec l’Ancien Pieter Van Engelen m’a permis de bien m’intégrer. L’Ancien reste mon responsable et bien entendu mon interprète en cas de besoin. Pieter est un Compagnon Hollandais, venu travai l ler en France pendant son Tour et qui est resté à peu près sept ans chez nous. Par conséquent, il parle bien français, ce qui me permet de communiquer sans problème avec lui. Je ne suis pas le seul Aspirant au sein de cette entreprise. I l y a également Jacques Faure, dit Auvergnat. Il est là depuis quinze ans. Cela m’aide beaucoup à la fois dans le travail et dans la vie quotidienne. Souhaitant que je m’intègre et me sente chez moi à l ’entreprise, les responsables ont voulu que j’apprenne leur langue et je commence à bien me débrouiller.

Ici le travail est très intéressant. On fabrique des bureaux d’accueil pour des banques importantes, des bureaux et leurs rangements. Pour les hôpitaux on réalise des cloisons mélaminées avec du plomb pour les salles de radio et les salles d’opération. On travaille également pour les particuliers mais le travail du massif reste périodique. Pour ce dernier l ’entreprise n’est pas très bien équipée pourtant elle possède deux scies à panneaux numériques, une encolleuse de chant immense et une défonceuse numérique.

L’atelier est divisé en quatre groupes de quatre à six ouvriers chacun. Deux équipes fabriquent les t ravau x assez complexes et grands, la troisième travaille pour les particuliers et les hôpitaux tandis que la quatrième fait surtout des caisses, des bureaux et des rangements en séries. Il y a aussi un petit atelier « métal » qui occupe deux ouvriers. Toutes les structures

métalliques des piétements de bureaux sont fabriquées à l ’entreprise grâce à cet atelier. Deux manutentionnaires sont responsables des expéditions sur les divers chantiers. Enfin, six poseurs sont également employés à plein temps. Cette entreprise a des chantiers partout en Hollande mais aussi parfois à l’étranger.

Bien évidemment, je consacre mon temps libre à la découverte du pays. J’ai donc visité la capitale qui comme je vous l’ai dit plus haut est Amsterdam. Elle ne ressemble en rien à Paris, bien que l’eau y soit également présente. En fait, par ses canaux que l’on trouve partout en ville, elle ressemblerait plutôt à Venise. L’on y voit plein de petits bateaux

et nombreuses sont les navettes f luviales pour touristes. Beaucoup de rues piétonnes, souvent pavées, et des tramways, des vélos-taxis, des maisons en brique rouge et toutes ces rues qui se ressemblent par leurs habitations pratiquement identiques par la façade et la forme. Ces maisons ne sont pas larges mais hautes.

Séjour en HollandeRennais

Ce qui fait le charme de ce pays, ce sont tous ces gens quicirculent en vélo car il y a des pistes cyclables partout, en ville comme à la campagne.

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Ce qui fait le charme de ce pays, ce sont tous ces gens qui circulent en vélo car il y a des pistes cyclables partout, en ville comme à la campagne.

En fait, beaucoup d’aménagements sont prévus pour les vélos car une voiture en hollande coûte extrême-ment cher. Le prix de l’essence est de 1,40 euro le litre et les assurances ne sont pas données. Beaucoup de jeu-nes n’ont pas le permis de conduire et, lorsqu’ils l ’ont, i ls n’ont pas de voiture. D’ailleurs, en ville, le vélo est très pratique puisque son station-nement est gratuit et que l ’on peut s’arrêter devant le magasin où l ’on souhaite entrer.

L a c a m p a g n e e s t é g a l e m e n t dépaysante. Rivières et moulins à vent l ’habitent. Il faut savoir qu’en Hol la nde u ne g ra nde pa r t ie du territoire est située au-dessous du niveau de la mer, c'est donc une étendue artificielle de terre (polder) conquise sur la mer, d'abord par la construct ion de digues, puis par l 'assèchement du sol. Ce dernier, fert i le, ravit les agriculteurs. Les pe t i te s r iv ière s remplac ent le s barrières et les barbelés pour parquer

les moutons ou les vaches. Au printemps, la nature est superbe, les champs de tulipes et les f leurs de toutes les couleurs forment des tableaux que vous avez certainement souvent vus reproduits sur les toiles de peintres plus ou moins célèbres. Chaque année, à cette même époque, un défilé de chars décorés de f leurs est organisé dans la ville où je séjourne. C’est très beau.

Je n’ai aucun regret d’être parti à l’étranger, bien au contraire. Je trouve que c’est une expérience unique et riche en émotions. On y côtoie un savoir-vivre et un savoir-faire différents et l ’on se fait des amis à l ’entreprise et en-dehors. En fait, l ’on engrange des souvenirs que l ’on aura plaisir à évoquer au retour avec sa famille et plus tard avec ses enfants.

Je terminerai mon récit en remerciant l ’Ancien et l ’Aspirant ainsi que l ’entreprise de m’avoir si bien reçu et je dis également un grand merci aux Compagnons qui ont pris en compte mon désir de partir à l ’étranger, plus précisément aux Pays-Bas.

Jonathan Frocdit RennaisAspirant Menuisier

On fabrique des bureaux d’accueil pour des banques importantes, des bureaux et leurs rangements. Pour les hôpitaux on réalise des cloisons mélaminées avec du plomb pour les salles de radio et les salles d’opération. On travaille également pour les particuliers mais le travail du massif reste périodique.

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métiers et techniques

R appel historique

Avant de vous faire vivre à nos côtés la construction de l’Hermione, un rappel historique s’impose. En effet, il ne s’agit pas pour nous d’une simple construction mais plutôt de la reconstruction d’une frégate qui marqua l ’ histoire de la marine française.

Pour cela, i l nous faut remonter au XVIIIe siècle. Nous sommes encore sous l’Ancien Régime. A ce moment, la f lotte britannique opère le blocus des ports américains afin de faire plier les insurgés américains essayant de reconquérir leur indépendance. Georges Washington (planteur en Virginie) qui a participé quinze ans plus tôt à la lutte contre l ’ inf luence française comprend qu’il lui faut un allié doté d’une puissance maritime capable d’affronter la f lotte britannique.

Or, Louis XVI, roi de France, est à cette époque le seul souverain qui s’intéresse véritablement à la marine et qui en perçoit l’importance politique et géostratégique par rapport aux Amériques. La marine française a donc bonne réputation et c’est la raison pour laquelle Washington fait appel à Louis XVI qui lui-même charge le jeune marquis de La Fayette de cette mission secrète : aider les Américains.

Dès lors, la frégate est mise en chantier sur une cale de construction, à l’arsenal de Rochefort. Nous sommes en 1778. Ce navire de 65 mètres de long hors tout, doté d’une voilure de 1 500 m2, mesure réel lement 44,20 mètres de long sur 11 mètres au plus large. Il appartient à la catégorie des frégates dites légères (vitesse et maniabilité). De dimensions modestes par rappor t à cel les des vaisseaux qui comportent 80 ou 110 canons, l ’Hermione est équipée de 32 canons, 6 sur le pont du gaillard et 26 sur le pont de batterie, ces derniers tirant des boulets de 12 livres, d’où son nom de « frégate de 12 ».

Les rapports historiques rapportent comme données de construction une durée de onze mois de travail pour des centaines de charpentiers, forgerons, perceurs, cloueurs, calfateurs et … bagnards.

Pourquoi ce nom de baptême « Hermione ». Pour le décrypter, il nous faut nous tourner vers la mythologie grecque qui nous présente Hermione comme étant la fille de Ménélas et de Hélène, Hélène étant elle-même fille d’Océan, premier dieu des eaux. Par cette filiation, Hermione est donc la petite-fille d’Océan. Ce nom est par conséquent particulièrement bien choisi pour un navire qui va traverser l ’Océan atlantique pour se rendre aux Amériques.

10 mars 1780. La Fayette, âgé de 22 ans, se rend à Rochefort pour prendre possession de son navire et rallier Boston. Il y arrive le 27 avril 1780. Durant la période allant de mai 1780 à février 1782, l ’Hermione participe victorieusement à plusieurs batailles et l’on peut affirmer qu’à deux reprises la frégate représente la France à son plus haut niveau : fin avril 1780, lors de son arrivée à Boston et, le 7 juin 1780, au large de Long Island lors d’une bataille contre les Britanniques.

Revenue des Amériques, l ’Hermione couvre diverses missions : combats singuliers , en escadre ou en division, attaque du commerce ennemi, éclairage de l’escadre, liaison, transport, représentation. La notoriété de l’Hermione n’est plus à faire. Elle est « la meilleure frégate que le roi ait ».

Malheureusement tout a une fin et le 20 septembre 1793 lui est funeste. Ce jour-là, l’Hermione quitte

HermioneUn chantier de grande envergure

Angevin et Bugey la Tolérance

Les rapports historiques rapportent comme données de construction une durée de onze mois de travail pour des centaines de charpentiers, forgerons, perceurs, cloueurs, calfateurs et … bagnards.

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Présentation du chantier

La ligne de tins. C’est un ensemble de fortes pièces de bois sur lequel repose le bâtiment lors de sa construction. C’est la toute première étape.

La quille. Elle représente la colonne vertébrale de la frégate. Posée le 4 juillet 1997 en présence de nombreux Rochefortais, elle mesure 44,20 mètres de long pour une section de 32 x 38 centimètres et est doublée par la contre-quille, entaillée pour recevoir les varangues. Sous la quille se trouve la fausse quille qui assure sa protection.

L’arcasse. Elle constitue l’ensemble des pièces de bois courbes fixées sur le contre-étambot (1) fermant la carène à l’arrière du bâtiment. Haute de 7 mètres et large de 6,5 mètres, elle pèse 4,3 tonnes.

Les couples. Si la quille est la colonne vertébrale du bâtiment, les couples en sont les côtes. Un couple contient onze pièces de bois assemblées.

La carlingue. C’est la structure de bois formant la colonne vertébrale interne du navire.

Les baux. Sorte de solivage reliant les deux extrémités des couples. Ils sont assemblés en queue d’aronde dans les bauquières. Leur équerrage est maintenu par des courbes de baux.

Le bordage. Les bordées représentent la couverture de la coque. Elles sont en chêne. Celles-ci sont positionnées à claire-voie de façon à laisser travailler la première partie, la seconde partie sera ajoutée entre cette dernière.

Le tableau arrière. Au mois de mai 2003, une équipe de trois charpentiers a réalisé le traçage du tableau (ferme, cintre, corniche…), c’est-à-dire la partie arrière de la frégate. Ce tracé a été réalisé à l’échelle réelle du bateau, à partir de plans préalablement dessinés. A partir de ces tracés, les gabarits des pièces ont été réalisés dans des panneaux de contreplaqué. 700 heures de travail ont été nécessaires pour réaliser le traçage et la fabrication des gabarits.

Le calfatage. Le calfatage sert à assurer l’étanchéité entre les bordées. Pour le calfatage, on utilise du chanvre appelé fil d’étoupe. Plus les bordées sont larges, plus il y a de rangées de fil d’étoupe. Le diamètre du tissage dépend de la hauteur du joint. Le fil d’étoupe se met en boucle et pour le calfatage un pataras (sorte de burin avec une extrémité large et fine) est utilisé.

la Loire en direction de Brest pour escorter des barques chargées de canons. Longeant la côte, elle passe entre Le Croisic et le Plateau du Four (un haut-fond bien connu des pêcheurs). Une fausse manœuvre et l’Hermione s’échoue. Le commandant a le temps d’évacuer tous ses hommes et une bonne partie du matériel avant qu’elle ne coule. Ainsi s’achève la prestigieuse carrière d’une frégate qui aura vécu, combattu et honoré la France durant treize ans.

Seconde naissance de l’Hermione

Deux siècles plus tard et après la fermeture de l’arsenal de Colbert et sa corderie royale, il fallait redonner tout son sens à cet ensemble unique en Europe. Les Rochefortais ont donc souhaité reconstruire la « frégate de 12 » car la France n’a rien conservé de son patrimoine f lottant de l ’époque. Dans les années 1990 se créée l ’Association « Hermione-La Fayette » qui, épaulée du CRAIN (Centre de Recherche A rch itec t u r a l de l ’ I ndu s t r ie Naut ique), commence à étudier sérieusement le projet. Dès lors, une hiérarchie va se mettre en place :

• Maître d’ouvrage (le client) : l ’Association « Hermione-La Fayette ».

• Maître d’œuvre (ingénieurs, architectes, historiens, charpentiers de marine) : le CRAIN qui confie le poste d’architecte à Monsieur Ribadeau Dumas.

• Entreprises :- Ami SA, pour tout ce qui concerne l’exécution

de la ferronnerie (trois forgerons) ;- Genoud Alexandre, pour ce qui est de la

menuiserie, la construction des chaloupes, et sa femme pour la confection des voiles de ces dernières (deux menuisiers et une voilière) ;

- Asselin SA, désignée comme entreprise de construction charpente. Cette entreprise située à Thouars (dans les Deux-Sèvres) travaille essentiellement à la restauration de vieux bâtiments classés « monuments h i s tor ique s ». E l l e e s t donc à même d ’entreprendre une tel le reconstruction (entre huit et douze embauchés, puis entre dix et quinze intérimaires charpentiers de marine).

Le site de la construction de cette frégate se trouve à l ’endroit exact où il y a plus de deux cents ans s’activaient les ouvriers travaillant à l’arsenal de Rochefort.

Un coup d’œil sur le site. Juste à côté de la « porte du Soleil », se trouve la boutique Hermione accolée aux bureaux de l’administration. Entrant dans le parc de construction, le regard se porte sur les deux stands où se fabrique la chaloupe, puis sur la forge. Plus loin, dans un petit chalet, s’effectue la construction par un ouvrier historien embauché par Asselin SA de la maquette du bateau comme cela se faisait à l ’époque afin de pouvoir constater les éventuelles erreurs de reconstruction de la frégate grandeur nature. Au bord de la « forme de radoub », la frégate prend naissance (toute cette fosse est abritée par un parapluie : échafaudage destiné à protéger les travaux contre les intempéries). Le parc à bois de l’entreprise Asselin occupe quant à lui toute la partie Sud-Est. Il est destiné au stockage des diverses pièces de chêne dont certaines ont été sélectionnées depuis de nombreuses années. Y est adjoint un atelier provisoire sous bâche. Un peu plus loin, se trouve la Corderie Royale où se confectionnaient tous les cordages de bateaux. Ce long bâtiment a été restauré et fait partie de la visite de l’Hermione.

Deux siècles plus tard et après la fermeture de l’arsenal de Colbert et sa corderie royale, il fallait redonner tout son sens à cet ensemble unique en Europe. Les Rochefortais ont donc souhaité reconstruire la « frégate de 12 » car la France n’a rien conservé de son patrimoine fl ottant de l’époque.

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La fourrure de gouttière, une étape sympathique

La fourrure de gouttière est une forte pièce de construction qui forme la ceinture intérieure d’un navire, dans le sens de la longueur. Elle sert à relier les membrures aux baux et vient s’encastrer sur les queues d’aronde des extrémités des baux. Pour obtenir un assemblage optimal, elle est boulonnée aux membrures et aux serre-gouttières (2) et clouée à l’aide de clous en bronze dans les baux. Elle doit se raccorder au vaigrage (3) et aux bordées de pont avec un angle de calfatage. Le temps de taille prévu pour une fourrure de gouttière est estimé à trente heures pour un mètre.

Il faut savoir qu’en charpente navale, l’épure présente une certaine complexité, notamment pour le tracé des pièces de bois. En eff et, la fourrure de gouttière devant raccorder deux parties du bateau, il est plus judicieux de relever l’empreinte de la fourrure, en forme. La diffi culté de cette pièce est qu’elle raccorde des parties cintrées en plan et en élévation du bateau, qu’elle est aboutée avec des coupes à siffl et désaboutées et enfi n, comme nous l’avons dit précédemment, qu’elle vient s’encastrer sur les queues d’aronde des extrémités des baux.

Le relevé de l’empreinte. Le principe en est assez simple. Il s’agit de prendre l’empreinte de la pièce sur place en épousant la forme des deux plans de raccord réel. Pour cela, on représente le dessus de la masse capable (4) à l’aide d’un plan de cordeau puis on positionne les gabarits en contreplaqué sur chaque membrure. Le dessus des gabarits doit correspondre au plan de cordeau. Les gabarits seront alors ajustés pour épouser la forme des membrures et des baux. On repérera ensuite la section fi nie de la fourrure sur chaque gabarit afi n de défi nir les plans de taille sur chaque face de la masse capable.

Retranscription de l’empreinte dans la masse capable. La première étape consiste à raboter le dessus de la masse capable de façon à obtenir une surface plane et propre afi n de pouvoir tracer dessus à la fois la ligne de référence et les entraxes des gabarits pour pouvoir les repositionner sur cette masse capable. A partir des gabarits obtenus, on trace les fi lantes, des faces de la fourrure de gouttière jusqu’aux faces de la masse capable, de façon à obtenir des références de taille. Une fois tous les points tracés, il suffi t de les relier avec une latte en bois et de vérifi er l’harmonie des courbes.

Le taillage. Lorsque l’on aborde la partie taillage, la plus importante partie du travail est eff ectuée. Néanmoins, le taillage est une étape qui demande beaucoup d’eff orts. On utilise pour cela des tronçonneuses sur table pour les faces droites tandis que pour les faces courbes on dégrossit la matière également à l’aide d’une tronçonneuse sur table mais en plus l’on peaufi ne le travail à l’aide d’un rabot électrique droit ou à table ronde.

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Voici en quelques mots un aperçu de ce chantier tout à fait extraordinaire auquel nous avons participé ainsi que de nombreux autres Aspirants et Compagnons*. Ce fut une expérience professionnelle enrichissante de par le travail réalisé, la façon de l’aborder e t su r tout l ’a mpleu r du chantier et du projet. On ne peut qu’inviter tous les Pays et Coteries à aller visiter ce chantier et à avoir la chance de participer une fois dans leur vie à un travail de cette envergure.

Pierre-Yves GuyotAngevinAspirant Charpentier du Devoir

Hugues BarrasBugey la ToléranceCompagnon passant Charpentier du Devoir

1. Etambot : pièce de bois de même largeur que la quille et qui s’élève à l’arrière en faisant avec celle-ci un angle généralement obtus que l’on nomme quête.

2. Serre-gouttière : pièce de bois venant en applique contre la fourrure de gouttière au niveau du plancher de pont.

3. Vaigrage : bordée intérieure du bateau.4. Masse capable : pièce de bois brut utile à la pièce à tailler.

* Ont participé à un moment ou à un autre de la construction de l’Hermione, les Aspirants et Compagnons suivants : Julien Lavie et Julien André ; Julien Cantin, Laurent Delpech et Julien Nonin ; Hugues Barras et Pierre-Yves Guyot ; Fabrice Lallemand et Mathieu Mallet.

compagnon / réfl exion

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E n chacun de nous se trouvent ainsi mêlés, avec plus ou moins d’intensité, la générosité ou l’égoïsme, l’attention aux autres ou

l’indiff érence, l’amour ou la haine, la volonté ou la paresse.

C’est en relisant un courrier reçu il y a quelques années que j’ai mieux perçu nos fragilités humaines. Nous sommes tous attirés plus ou moins par l’entraide, la bonté, ou recroquevillés sur nos intérêts immédiats.

Chacun de nous est interpellé au cours de sa vie par des situations imprévisibles qui se présentent sur notre parcours. Nos diff érentes attitudes ressemblent à un nuancier où se mélangent nos réactions comme ces couleurs symboliques. Il est aisé alors d’apprécier le caractère de chacun face aux événements. Joie d’une rencontre, d’un héritage inattendu, d’une naissance ou choc brutal apporté par la maladie, un accident ou un deuil qui viennent modifier notre vie quotidienne, atteindre notre psychisme, changer notre comportement vis-à-vis de l’entourage familial ou professionnel.

Cet échange de correspondance que j’ai tenu à conserver est une véritable source de méditation.

Dans cette lettre, j’étais interpellé et, à travers moi, tout le Compagnonnage. La dame qui m’écrivait espérait sans doute trouver un soutien face au drame qu’elle vivait.

Son existence était soudainement fracturée par le décès de son mari, Compagnon du Devoir. J’avais dû écrire quelques mois auparavant un texte sur l’entraide fraternelle et le soutien aux plus jeunes, la solidarité entre les générations et nos diff érents métiers. Un beau programme que l’on nous propose depuis l’Adoption jusqu’à la Finition.

J’ai découvert dans ce courrier une certaine noblesse, mêlée de rancœur et de souffrance vécue. Son mariage, fêté avec tous les parents, amis, voisins, fut marqué par la présence des Compagnons et Aspirants du corps de métier de son jeune mari. L’assemblée avait remarqué ce groupe avec cannes et couleurs, comme il convient dans nos cérémonies, celle-ci marquant le départ de la grande aventure de leur vie de couple où l’avenir paraissait assuré par la création d’une entreprise prometteuse, grâce à de grands chantiers en cours dans leur région. Ce jeune patron avait engagé et dynamisé une équipe de Compagnons, la clientèle fortunée était sûre, il savait créer une ambiance tonique entre toutes les personnes concernées ; fonceur et lucide, il avait l’art et la manière de susciter l’enthousiasme chez ses collaborateurs et l’estime chez ses clients.

Atmosphère idéale, jusqu’à ce jour où l’on diagnostique, au cours d’une banale visite médicale du travail, la parution d’une maladie sournoise qui le paralyse peu à peu et détruit inéluctablement sa santé. Discret, ce meneur d’hommes n’en parle jamais et poursuit sa tâche au mépris des conseils médicaux. L’œuvre en cours nécessite toute son énergie ; non seulement il réussit tout ce qu’il entreprend mais il permet aux autres de réussir à leur tour.

Soudain, il doit s’aliter, être hospitalisé d’urgence cachant toujours son mal aux autres, ne voulant inquiéter personne. Au fi l des pages, son épouse me décrit ses angoisses et sa solitude, car si l’entreprise continue sans trop de diffi cultés, grâce à l’équipe responsable toujours aussi motivée, le silence des Compagnons auxquels elle a confi é ses craintes, lui devient incompréhensible.

Ce ne sera qu’aux obsèques qu’elle les retrouvera, tous, et même beaucoup plus nombreux qu’à son mariage. Dix années se seront écoulées depuis ce touchant témoignage d’amitié, de soutien aff ectif, mais hélas provisoire, car depuis ce jour, plus rien.

« Ma seule relation avec le Compagnonnage est votre journal » m’écrit-elle. « Je le lis, et le relis, faute de dialogue. La vie du Tour de France, les récits des chantiers d’aujourd’hui aux quatre coins du monde, me rappellent nos joies et nos soucis de jadis, lorsque nous évoquions avec les itinérants les aventures de chacun, au cours des nombreux repas pris chez nous le week-end avec les jeunes de notre corps de métier et, parfois même, avec leurs frères d’Adoption, pourtant de métiers diff érents.

Je sais qu’ils poursuivent leur route et qu’ainsi va la vie, mais, tout de même, les autres, ceux du bourg qui ont partagé l’aventure de l’entreprise naissante, savent-ils combien l’existence m’est devenue maussade, morose, sans aucun relief.

Oui, la bonne santé, la réussite, la célébrité apportent la considération de tous, petits et grands, citoyens de ce monde en marche où tout sourit aux audacieux, mais qu’advienne l’accident imprévisible et voilà leur famille coupée défi nitivement de toutes relations.

Si vos cérémonies d’initiation sont des temps forts de prise de conscience, comment expliquez-vous ces cassures défi nitives... Je ne sais si mon courrier trouvera un écho, mais j’ai cru comprendre, à la lecture de votre dernier journal, que ces vraies questions vous taraudent. Alors, j’ose cette lettre un peu égoïste et vous remercie d’y prêter attention. »

Cet échange de courrier a plus de quinze ans mais la question posée est toujours actuelle. Dans la mosaïque en cours où je me dois d’ajouter cette tesselle mauve au bon endroit, j’hésite à mon tour. Serions-nous à ce point aveugles pour ne pas voir l’essentiel dans nos vies ? Serions-nous tout à fait inconscients ? La routine, c’est vrai, tue parfois l’initiative. N’avons-nous pas dans nos traditions ce rappel aux participants des réunions de Chambres ou de Cayennes, lors de la clôture de chaque rencontre par l’avis du responsable corporatif : « Avant de fermer nos aff aires, exemptez-moi si je ne fais pas suivre la caisse à l’hôpital, ni à la prison vu qu’il n’y a point de Compagnon et, sauf avis contraire, clore les comptes vu qu’il n’y a pas d’aide à apporter aux veuves ni aux orphelins ». Formule qui varie selon les corps de métiers et nous rappelle l’origine des mutuelles ainsi que le souci permanent d’entraide dans le Compagnonnage. Ne serait-ce devenu qu’une simple formule routinière ? Avons-nous bien compris que l’aide n’est pas uniquement fi nancière ?

La réponse m’est venue d’un autre corps de métier. Voici les faits.

Nous apprécions tous, dans chaque Province, la boisson préférée de nos villes et de nos campagnes. De la bière d’Alsace au rosé de Provence, du petit blanc Lyonnais au pineau des Charentes, nous fêtons tous, sur le Tour comme à l’étranger, notre joie de vivre, en arrosant nos arrivées et nos départs avec ces dégustations plus ou moins alcoolisées. Comme pour le tabac, si la majorité d’entre nous refuse l’intoxication permanente, quelques-uns, faute de discipline et de volonté, se laissent emprisonnés par la dépendance, en dépit de l’inquiétude de leur famille et malgré les avertissements de leurs aînés et les conseils des Anciens.

L’accident devait arriver. Il avait, dit-on, le vin mauvais, devenait irritable, coléreux, voire agressif et brutal sans raison. Sa relation avec tous et chacun devenait impossible.

Un soir, suite à une rixe après avoir bu, il emprunta une voiture, au hasard, garée devant le bistroquet du village, il partit en trombe et causa un grave accident. Ce fait divers l’a conduit quelques mois en prison.

Pour son corps de métier, ce fut l’occasion d’une prise de conscience. Pouvait-on encore l’aider à se soigner ? La décision fut prise de lui écrire, chacun à tour de rôle selon une liste préétablie, afi n d’assurer un courrier chaque semaine provenant des itinérants des quatre coins de France, d’Europe et ... du monde, afi n qu’il soit soutenu par l’amitié des siens durant son séjour de détenu. Les gardiens, étonnés, n’ont jamais compris ce courrier permanent de provenances si diverses.

Un Compagnonnage qui se veut fraternel pouvait-il le condamner, le radier, l’exclure défi nitivement, ne devait-il pas l’aider à prendre conscience progressivement de sa déchéance, aff ermir sa volonté, afi n qu’il désire dès sa sortie suivre une cure de désintoxication que la prison avait en partie commencée.

Aujourd’hui, sa vie s’est transformée au point qu’il veille particulièrement à ce danger dès qu’il décèle chez un jeune un risque évident d’alcoolisme. Ainsi, l’entraide fraternelle peut résoudre bien des problèmes parmi nous mais comment expliquer ce mutisme vis-à-vis de l’épouse totalement ignorée depuis son veuvage ?

Sommes-nous intimidés par la souff rance au point de rester absents, craignant d’être maladroits, importuns, incapables de toutes marques de sympathie ?

J’espère par ce texte répondre discrètement à l’attente angoissée de ceux ou celles qui portent en silence le poids de l’absence défi nitive de leurs proches ou vivent une épreuve particulièrement pénible.

Dans un monde où, à en croire la publicité des assurances, tous les sinistres sont couverts, rien ne peut remplacer l’aff ection perdue d’un être cher, sauf peut-être l’attention discrète de ceux qui ont gardé le souvenir ineff açable d’un vécu partagé avec lui.

Henri LorenziHenri le ProvençalCompagnon Menuisier du Devoir

MosaïqueDes couleurs mauve, parme et violetteCouleurs qui symbolisent, me semble-t-il, nos caractères. Ce mélange de bleu, couleur froide par excellence, et de rouge, couleur chaude indiscutable, offre toute une palette de tons qui découlent de ce mélange plus ou moins dosé en rouge, voire rose avec le bleu azur et le bleu roi.

Henri le Provençal

métiers et techniques

CC e f ut u ne ex pér iencedifférente des autres, que j’aimerais vous conter. Mes

premiers mois en Hongrie se passèrent à Budapest, superbe ville dont je ne vous parlerai pas car d’autres l’ont déjà fait avec brio dans ce même journal. Pour moi, ce séjour dans la capitale hongroise m’a surtout permis de m’initier, au contact de « nos cousins » hongrois, à leur drôle de langue.

Mais le plus intéressant était à venir. Couvreur de mon état, j’ai eu la chance d’être contacté par le Compagnon Frouin qui m’alertait de l’existence d’un chaumier non loin de la frontière autrichienne. Comme vous vous en doutez, sans hésiter et accompagné de mon chef d’équipe et ami, je me suis aussitôt rendu sur place sans trop savoir d’ailleurs ce qu’allait être la suite des événements.

En fait, nous avons été très bien accueillis par le patron de cette petite entreprise qui avait été prévenu de notre visite. Très chaleureusement, nous avons discuté de son métier qui était pour cet homme de soixante ans toute sa vie. Il vivait ce qu’il racontait et le plus étrange, bien que n’étant pas parfaitement bilingue, je com-prenais tout ce qu’il disait. Véritable professionnel, il était fi er de nous le démontrer.

Grâce à ses champs, en propriété ou en location, il cultive sa matière première, le roseau, qu’il récolte à l’aide d’une énorme machine d’un coût impressionnant (16 000 000 de forints, environ 64 000 euros). Cette récolte occupe une vingtaine de personnes pendant trois mois (janvier, février, mars). Il s’agit de couper, ramasser et stocker ces tonnes de roseaux voués en partie à la consommation personnelle de notre chaumier et en partie à l’exportation. Mais, de tou-tes les façons, l’acheminement du roseau entre le champ où il est récolté et le toit qu’il ornera est unelongue étape.

Après avoir été coupés, les roseaux sont stockés à l’abri pendant un an pour leur permettre de sécher. Lorsqu’ils sont parfaitement secs, des ouvriers sans qualifi cation particulière sont chargés de les mettre en fagots de vingt centimètres de diamètre, après avoir éliminé ceux pourris ou trop petits. C’est une tâche pénible bien que la dextérité du geste arrive vite. Les fagots prêts peuvent ensuite servir aux couvreurs.

Après avoir reçu toutes ses explications et avoir regardé faire ses ouvriers, je me mets d’accord avec le patron pour passer quelque temps dans son entreprise. C’est ainsi que, le beau temps arrivant, je pars faire du chaume dans l’ouest de la Hongrie

pendant une semaine. Le premier jour, tout comme un apprenti, j’apprends les rudiments du métier : outillage, technologie et techniques du chaumier, le tout en hongrois ! Leurs gestes sont précis et je ne tarde pas à vouloir participer activement à la pose du chaume. Pour cela, plusieurs étapes sont à respecter afi n de ne pas compromettre le processus.

Tout d’abord, un gros liteau (40 x 40) et du fi l de fer sont indispensables. Sans l’aide d’un cordeau, nous nous alignons, munis de notre liteau, à l’horizontale, sur les derniers roseaux battus lors de l’opération précédente. Sur ceux-ci viennent se poser, allongées sur le rampant, des bottes de roseaux, espacées de un à deux centimètres les unes des autres. Un fer à béton viendra ensuite encercler l’extrémité des bottes (environ aux trois-quarts de leur longueur) afi n de fi xer le roseau.

A l’aide de deux outils complémentaires, nous faisons passer le fi l derrière le liteau situé trente centimètres plus bas. Cette opération délicate terminée, un petit nœud ayant les mêmes propriétés qu’un nœud coulissant maintient serrés les roseaux. Le cerclage peut alors être enlevé.

Cette étape est suivie d’une opération également délicate : battre le roseau afi n qu’il suive, avec beauté et élégance, le rampant. L’outil utilisé à cet effet est muni de crans portés vers l’avant et permet au couvreur de donner à chaque tige sa place défi nitive. L’épaisseur fi nale de la toiture est de vingt centimètres. Heureusement, quelques repères sur les outils permettent de juger de la précision des gestes. Cette phase du travail terminée, une autre rangée sera mise en place de la même manière.

Pour un mètre carré de toiture, dix fagots de deux mètres de haut et de vingt centimètres de diamètre seront nécessaires. Les faîtages sont tressés afi n de garantir une bonne étanchéité mais, pour que celle-ci soit parfaite, un polyane est prévu.

Les moyens de mise en œuvre sont faibles et nous n’avions qu’un échafaudage de fortune pour accéder à la toiture ainsi qu’un bastaing et une lisse. Bien que ces Hongrois soient frontaliers, le niveau de vie du milieu ouvrier reste très bas. Comparaison intéressante, un mètre carré de chaume en France vaut cent euros alors qu’il n’en vaut que trente en Hongrie ! Heureusement, bien que très rares, les chantiers à l’étranger permettent à cette petite entreprise de vivre confortablement.

Durant mon séjour d’une semaine à Ferdörakos, j’ai logé dans une pension au sein d’un tout petit village hongrois, néanmoins très imprégné de culture autrichienne. Les gens y étaient chaleureux et accueillants comme dans le reste de la Hongrie. En conclusion, un séjour très enrichissant tant au niveau de mes rencontres que du travail que j’ai pu faire.

Maxime GléeAlsacienAspirant Couvreur

Chaumierpendant une semaineAspirant sur le Tour de France devenu le Tour du Monde, j’ai eu, comme beaucoup de jeunesde l’Association ouvrière, l’occasion de passer un an à l’étranger, plus exactement en Hongrie.

Alsacien

Après avoir été coupés, les roseaux sont stockés à l’abri pendant un an pour leur permettre de sécher. Lorsqu’ils sont parfaitement secs, des ouvriers sans qualifi cation particulière sont chargés deles mettre en fagots de vingt centimètres de diamètre, après avoir éliminé ceux pourris ou trop petits.

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compagnonsdétente

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ADOPTIONSCompagnon du Devoir se fait un plaisir de présenter au Tour de France les Aspirants adoptés à :

Angoulême, le 3 décembre 2005Clément Maurin, Toulousain, Couvreur,Anan Skoles, Pondychérien, Couvreur.

Angers I, le 9 décembre 2005Florent Bluteau, dit Vendéen, Menuisier.

Tours I, le 17 décembre 2005Bruno Depiereux, Namurois, Charpentier,Nicolas Gendrot, Breton, Couvreur,Julien Lajambe, Bourguignon, Plombier.

Troyes, le 17 décembre 2005Xavier Burger, Alsacien, Charpentier,Grégor Le Garsmeur, Beauceron, Charpentier,Dimitri Malko, Dauphiné, Charpentier.

Nantes, le 13 janvier 2006Benjamin de Saint Riguier, Artésien, Couvreur.

Périgueux, le 13 janvier 2006Pablo Lattier, Dauphiné, Couvreur,Sébastien Foulogne, Normand, Couvreur.

Albi, le 14 janvier 2006Chritophe Fernandes, dit Albigeois, Maçon,Mathieu Prat, dit Albigeois, Maçon.

Angers I, le 14 janvier 2006Fabien Paris, Ardennais, Charpentier,Nicolas Piveteau, dit Manceau, Maçon,Maxime Proyart, dit Hainault, Maçon,Hervé Salinier, dit Périgord, Maçon.

Caen, le 14 janvier 2006Guillaume de Mullenheim, dit Ile-de-France, Tailleur de Pierre,Kévin Paris, Manceau, Couvreur.

Rouen, le 20 janvier 2006Marc Delecroix, dit Picard, Maçon,Geoff rey Vallat, Albigeois, Plombier.

Lille, le 21 janvier 2006Romain Dufay, Picard, Couvreur,Nicolas Morchoisne, dit Normand, Mécanicien.

Marseille, le 21 janvier 2006Martin Chevret, dit Bugey, Menuisier,Victor Deroulede, dit Flamand, Maçon,Martin Lelonge, dit Dauphiné, Serrurier.

Reims-Muizon, le 21 janvier 2006Cédric Bourgeois, dit Auvergnat, Mécanicien,Vincent Cuiret, dit Champagne, Chaudronnier,Aurélien Fourmet, dit Lorrain, Mécanicien,Jérémy Klein, dit Alsacien, Menuisier,Mickael Lennox, dit Wearsider, Chaudronnier,Jean-David Shiestel, dit Alsacien, Menuisier.

Tours-Littré, le 21 janvier 2006Cyril Constantin, dit Périgord, Maçon,Vivien Diot, dit Bourguignon, Chaudronnier,Sylvain Mazzariol, dit Landais, Maçon,Matthieu Pelletier, dit Vendéen, Maçon.

Carnet du Tour de France

compagnonscarnet

P our la seconde fois, en juillet dernier, une sortie moto était organisée. Elle réunissait quatorze personnes, âgées de 18 à 58 ans,

toutes passionnées de moto et avides de beaux paysages (et de quelques virages). Le frère d’un Compagnon avait été sollicité pour suivre l’aventure à bord de son camion dans lequel se trouvaient réunis les équipements de camping et les vivres. De l’apprenti au Compagnon, en passant par l’ami(e) et le parent, le groupe ainsi formé allait créer une bonne ambiance et de merveilleux moments d’échange.

C’est ainsi que sous le soleil de Bergerac et dans la bonne humeur, nous nous rendions tous chez Elizabeth et François Chaumont (respectivement Mère des Compagnons de Bordeaux et Compagnon Chaudronnier du Devoir), lieu de réunion avant notre départ. Là, nous profi tions de la piscine de leurs sympathiques voisins et terminions la journée par un magnifi que feu d’artifi ce, suivi d’un bon repas : paëlla maison (préparée par l’Ancien !).

Une bonne nuit de sommeil et un bon petit-déjeuner et nous voilà partis pour sillonner la vallée de la Dordogne, en passant par le Cingle de Trémolat et en faisant à l’heure du déjeuner une halte bien méritée à la Maison de Hautefort où la fraîcheur des lieux et le sympathique accueil des itinérants nous permettent de reprendre des forces. Durant l’après-midi, succession de magnifi ques paysages jusqu’à notre arrivée au camping de Brantôme. Chaleur et

fatigue aidant, l’appel de la piscine est à cet instant plus fort que tout le reste et conditionne une rapide installation. Un bon moment de détente, de fraîcheur et d’amusement pour notre petite bande de motards bien décidés à passer une bonne soirée. Quelques courageux se dévouent et remontent sur les motos afi n d’aller chercher de quoi faire un barbecue digne de ce nom ! Apéro, rigolade et discussions en tout genre donnent le ton de la soirée.

La journée suivante, même partage de bonnes choses : paysage, soleil, chaleur, virages, rires, jusqu’à notre arrivée au camping du Pont de l’Abbé d’Arnoult où nous sommes accueillis comme des rois ! Piscine, tables et chaises à notre disposition, et terrain de jeux à côté de notre emplacement. Détente et repos pour chacun. Les liens du groupe, de plus en plus forts, font que nous avons envie de profi ter au maximum de notre dernière soirée ensemble. Aussi, l’Océan étant proche, nous décidons de faire un repas de poisson : papillotes de saumon au barbecue (un vrai régal !). Après dégustation, les discussions se prolongent tard dans la nuit, chacun se remémorant les diff érents moments de cette escapade en moto, comme pour immortaliser cet instant de convivialité qui malheureusement touche à sa fi n…

Le lendemain matin, la nostalgie est au rendez-vous. Rangement du bivouac et au revoir interminable. Espoir aussi que cette expérience se renouvelle l’année prochaine, voire même avant.

Aujourd’hui, nous pouvons dire que cette seconde sortie moto a été une réussite. Elle sera bien sûr suivie d’une troisième édition au cours de laquelle, à la demande des participants, nous organiserons des visites de sites. En attendant, n’hésitez pas à nous contacter* pour proposer des étapes près de chez vous et pour participer à cette extraordinaire expérience !

L’équipe des motards

*Benoît Chaumont, Antonin Berthon et Yoan Rambault

Une sortie moto vraiment réussie

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DECESLe Coterie Vincent Monteil, La Célérité de Séoul, Compagnon passant Maçon du Devoir, nous a quittés. Lors de ses obsèques célébrées le 14 janvier 2006 à Marseille, un hommage lui était ainsi rendu :

Vincent,

Que tout est dur à dire et que c’est dur à vivre…La vie,Elle te fut si pénible que la mort t’a séduit. Pourtant, ton enfance fut douce, tout au chœur de ta mère.Et ta reconnaissance à l’endroit de ton père t’a fait choisir sa voie.Cette voie éclairée des enfants du Devoir.Mais du devoir de quoi ?La passion de (envers) ton père l’avait porté si haut.Tu as pensé, alors, que tu l’avais trahi.Bien plus encore, ta parole, ton honneur.Ou, avais-tu si peur ?

Tu nous laisses orphelins de toutes ces réponses :Silence !Tu en étais friand, de ces très longs silencesMéditant recueilli au plus profond de vieScrutant dans la nuit sombre de ton âme astraleEtais-tu messager, guide ou bien chercheur d’or ?De cet Or mystérieux dont ton corps regorgeaitEt qui donnait aux autres l’impression de puissanceDe connaissances occultes et de trésors enfouisEt ces racines humaines, extraites d’OrientNourrissaient le secret, écrivaient ta légendeFils de la Lumière, tu as remis tes ailesDéployées et portées par les courants d’air chaudEt les marais fumants de ton pays natal« Pays du matin calme », et pourtant !Tu nous manques déjà mais tu ne comprends pas.Ta vie était à toi, ta mission accompliePourquoi donc t’attarder, risquer de te corrompreTu as choisi ta mort…

Nouvelle initiation que tu devais savoir, bientôt.Or, quelle belle démonstration des connaissances ultimes.Tu as donné ta vie par honneur et sans gloireEt gardé le secret inviolable et sacréDe la vie éphémèreDe la mort insatiableTa conscience éclairée forgeait du pur métalTu étais de la trempe des esprits les plus fortsQue ta mère se rassure, tu es au dernier cercle

Tout à côté de Celle qui a perdu son fi lsElle sait toute sa souff ranceElle connut le martyreEt elle porte sur toi sa douceur magnétiqueTe montre l’Eternité

Tu fusionnes et tu volesEt veilles sur nos âmesA tout jamais meurtriesTu as gravé en nous ton regardEt ton calme.Tu as semé partoutUn peu de ta sagesseDemain, sans doute, Nous suivrons ton chemin…

D.N.le 9 janvier 2006

RemerciementsLe Compagnon Claude Monteil, La Fermeté de Salon-la-Tour, Compagnon passant Maçon du Devoir, son épouse Danièle, et leur fi lle Laure tiennent à remercier très chaleureusement nos Mères, le Conseil du Compagnonnage, les Compagnons et les Aspirants de tous les corps d’état, la corporation des maçons localement et nationalement, la communauté de la Maison des Compagnons de Marseille et leurs responsables et les nombreuses personnes extérieures au Compagnonnage, pour leur soutien et leur accompagnement dans la disparition de Vincent, leur fi ls etson frère.Les très nombreux témoignages de sympathie nous font chaud au cœur. Soyez tous gratifi és de notre amour de parents et de sœur.

3RemerciementsJean-Louis le Parisien et Frederike Gimalac ainsi que leurs fi lles, profondément touchés des marques de sympathie et d'aff ection qui leur ont été témoignées lors du décès de Sébastien, vous remercient chaleureusement de votre soutien fraternel.

compagnonscarnet

NAISSANCESNathalie et Laurent Lobjoit, Laurent le Languedoc, Compagnon Ebéniste du Devoir, sont heureux de faire part au Tour de France de la naissance de leur fils Théo, né à Québec le 2 septembre 2005.

Nous sommes partis à deux, un peu craintifs, un peu anxieux. Nous sommes rentrés à trois, le cœur

heureux et plein d’émoi avec dans nos bras notre fis Alexis, né le 13 novembre 2005. Sandrine Fricaud et Nicolas Borderieux, Forézien la Franchise, Compagnon Plombierdu Devoir.

Bonjour, je m’appelle Turquoise. Je suis née le 19 décembre 2005. Mes parents Lillia Jendoubi et Serge Joly,

La Générosité de Joncy, Compagnon Tailleur de Pierre du Devoir, ont ainsi reçu un beau cadeau de Noël.

Des petits pieds à croquer, une petite frimousse à embrasser, un petit garçon à câliner. Jules est né le 2 janvier 2006 pour le plus grand bonheur de ses parents Christine et Charles Volard, La Constance de Saint-Brévin les Pins,

Compagnon passant Maçon du Devoir, et de ses frères Alexandre et Clément.

Aurélien est fier de vous annoncer la naissance de son petit frère Ronan le 3 janvier 2006. Leurs parents Judith et Jean-Marie Aupée, La Fermeté de Mortagne-au-Perche, Compagnon passant Maçon du Devoir, en sont très heureux.

MARIAGESMademoiselle Isabelle Guibet et le Pays Yannick Estebe, Savoyard la Sagesse, Compagnon Boulanger du Devoir, sont heureux de faire part au Tour de France de leur mariage célébré le 2 juin 2005, à Montréal (Québec).

Mademoiselle Pureza Coronado-Roqué et le Pays David Candé, David l’Angevin, Compagnon Menuisier du Devoir, sont heureux de faire part au Tour de France de leur mariage célébré le samedi 3 décembre 2005, à la mairie de Mozé-sur-Louet (Maine et Loire).

RÉCEPTIONSLe corps de métier des Compagnons passants Maçons du Devoir est heureux de faire part au Tour de France de la Réception du Coterie Fabrice Merlet, La Fermeté d’Arthon-en-Retz, le 17 décembre 2005, à Toulouse, à l’occasion de la fête de Noël.

La fête de Noël fut l’occasion pour les Compagnons Menuisiers du Devoir de recevoir le 7 janvier 2006, à Strasbourg, les Pays Philippe Angenieux, Philippe le Forézien, Gabriel Couvrat, Gabriel le Languedoc et Kevin Lion, Kevin le Quimper et, à Toulouse, le Pays Jérôme Durand, Jérôme le Franc-Comtois.

Le corps d’état des Compagnons Forgerons, Maréchaux-Ferrants, Mécaniciens du Devoir est heureux de présenter au Tour de France deux nouveaux Compagnons reçus le 21 janvier 2006, à Paris, à l’occasion de la Saint-Eloi, à savoir David Bris, Rouergue la Sincérité, Compagnon Mécanicien du Devoir, et Bertrand Sonneville, Flamand la Constance, Compagnon Maréchal-Ferrant du Devoir.

suite

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compagnonnage et culture

C e poêle ne devait pas mesurer plus d’un mètre de haut mais diffusait pourtant du bien-être

à toute la famille. Pour moi, pas tellement plus grand que lui, il était aussi source de quelques craintes enfantines car j’étais chargé de son alimentation, rien de moins que cela ! Pour ce fa ire , plusieurs fois par jour, je devais soutirer sa pitance dans une soute à charbon située à la cave, lieu sombre et plutôt ef f raya nt . Je remonta is bien v ite , j ’ouvrais sa gueule rougeoyante et y jetais sa dose de boulets. I l portait fièrement son nom en façade, inscrit en lettre de fonte : g.o.d.i.n.

Nous en avions deux à la maison. Celui dont j’avais la charge était émaillé d’une belle couleur chocolat et se voulait utile et décoratif ; il trônait dans la salle à manger. Le second, plus fonctionnel, ne tentait que de réchauffer la grande chambre de la maison, la modestie de sa f inition lui permettant de passer inaperçu au premier coup d’œil.

Un nom qui dure

Devenu adolescent et élève d’un collège d’enseignement technique où j’avais pour mission d’acquérir les bases du beau métier qu’une conseillère d’orientation avait choisi pour moi, j’avais pour ami unique un certain Philippe, une nature ga ie et opt imiste. Ce joyeux luron répondait au nom de famille de Godin. Chaque matin, je lui lançais : « Alors, ça va, Godin ? », ce à quoi il ne manquait jamais de me répondre « Au poêle ! ».

Nous avions une culture commune…

Plus de trente années ont passé et je ne sais pourquoi, je n’ai jamais oublié ce nom. Et voilà qu’il a surgi du passé il y a quelques semaines, au hasard d’une exploration de la Thiérache, petite tâche verdoyante située au nord des plaines crayeuses et dénudées de Picardie et de Champagne. Nous traversions, mon épouse et moi, la petite ville de Guise, quand j ’aperçus à un carrefour un panneau qui indiquait cette singulière direction : « Familistère Godin ».

Bien sûr, ce nom m’évoqua tout de suite les poêles de mon enfance, mais décidés à ne rien manquer des églises fortifiées de Thiérache que nous venions tout exprès découvrir, nous continuâmes notre route. Le soir venu, décidé à en savoir davantage, je consultai le guide touristique à l’effigie du Bibendum. J’y appris que Godin, bien plus qu’une marque de poêles, avait été en fait une fabuleuse aventure humaine et industrielle ! Nous décidâmes alors de

consacrer au Familistère une prochaine journée de congé estivale. C’est aujourd’hui chose faite, et si j’entreprends maintenant de rapporter cette visite dans votre Journal, c’est qu’il m’a semblé qu’à plus d’un titre, l ’aventure Godin pouvait retenir l’attention des Compagnons du Devoir.

Une prospérité peu commune

Méthodique, notre guide commence ainsi son commentaire : « Jean Baptiste André Godin est né en 1817 non loin d’ici, à Esqueherie, dans l’Aisne. Dès l’âge de onze ans, il commence à apprendre le métier de serrurier dans l’atelier de son père, modeste artisan. Après sept années d’apprentissage, il entreprend en 1835 un Tour de France de deux années ».

J’interromps alors ce monologue afi n de connaître le surnom compagnonnique de J.B.A. Godin. Mais la charmante demoiselle ne le connaît pas, et c’est en consultant plus tard les nombreuses biographies qui lui ont été consacrées que je trouve les prémices d'une réponse : en fait, J.B.A.Godin n’a pas explicitement déclaré être Compagnon du Devoir : « C’est avec de semblables idées que je me mêlai à la masse ouvrière des villes et du Compagnonnage ». Il semblerait par contre qu’il ait accompagné un moment son cousin Jacques-Nicolas Moret, serrurier également, qui faisait alors son Tour de France, comme c’en était fréquemment l ’usage à cette époque dans le milieu ouvrier.

Ces deux années de voyage alertèrent fortement J.B.A. Godin sur le sort déplorable de la condition ouvrière : « Je voyais à nu les misères de l’ouvrier et ses besoins, et c’est au milieu de l’accablement que j’en éprouvais que, malgré mon peu de confi ance en ma propre capacité, je me disais encore : si un jour je m’élève au-dessus de la condition de l’ouvrier, je chercherai les moyens de lui rendre la vie plus supportable et plus douce, et de relever le travail de son abaissement. » (Solutions sociales, 1871).

Bien sûr, J.B.A. Godin était revenu de son « Tour de France » plus riche de sa culture professionnelle ; il avait pu notamment découvrir les techniques modernes de fonderie, en plein essor en ces années d’industrialisation. De retour à Esqueherie, il entreprit la fabrication à la forge de petits poêles en tôle, puis lui vint la géniale idée de remplacer la tôle par de la fonte. En 1840, il créait un premier atelier de fonderie où il employait deux ouvriers. Les poêles Godin étaient nés, ce fut un succès immédiat, et pour longtemps ! En 1846, il déplaçait l’atelier à Guise, au bord de l’Oise, et l’entreprise employait désormais 32 ouvriers. L’eff ectif passait ensuite à 300, puis à 700 ! Quarante ans après la création de son entreprise, il

employait 1 337 salariés… Un capitaine d’industrie était né, doublé d’un remarquable gestionnaire. C’est cette prospérité hors du commun qui donna à Jean Baptiste André Godin les moyens de réaliser son serment de jeunesse. Il entreprit la construction de son Familistère !

Utopieou paternalisme ?

Daniel Le Stanc

Le « Petit Godin », tel qu’il se présente toujours,150 ans après son concept original !

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Une idée de jeunesse

Mais d’où lui venait cette idée d’améliorer la condition ouvrière ? Curieux de nature, et regrettant d’avoir dû quitter l’école très jeune, J.B.A. Godin compensa sa soif de savoir en achetant des livres avec son argent de poche. C’est ainsi qu’il découvrit avec curiosité les philosophes du siècle des Lumières. De son Tour de France, il retint aussi quelques principes, notamment ceux de communauté, entraide et culture. La révolution de 1848 lui donna l’espoir de quelques changements économiques. Puis il devint un adepte des utopies socialistes de ses contemporains, notamment celles de Charles Fourier, dont il s’inspira en décidant, en 1856, d’expérimenter un modèle social inspiré de son « phalanstère » : un lieu de vie communautaire,

avec système d’instruction, de protection sociale et de loisirs. Il souhaitait améliorer les conditions matérielles de vie de ses ouvriers afi n d’élever leurs ambitions morales. A cette époque, la durée du travail était de douze heures par jour, six jours par semaine : cela ne laissait guère le loisir de s’activer à autre chose qu’à sa condition de salarié.

Le but de J.B.A. Godin était d’off rir aux ouvriers « l’équivalent de la richesse » grâce à l’habitat collectif. Après avoir beaucoup réfl échi et étudié les expériences en cours (corons, cités ouvrières, pavillons et même casernes) il en dessina lui-même les plans, s’inspirant du phalanstère de Charles Fourier (ce dernier s’était lui-même inspiré du château de Versailles et du palais des familles de Victor Calland). En 1859, à deux pas de l’usine, la

construction commença : il y investit sa fortune. J.B.A. Godin baptisa son projet du nom évocateur de Familistère.

Favoriser les rencontres, déjà !

Les grandes lignes du projet sont claires : l’architecture doit favoriser les rencontres, le partage et une hygiène de vie exceptionnelle pour l’époque.

L’ensemble des pavillons d’habitation collective compte 500 logements. Les trois premiers ensembles sont disposés autour d’une place centrale. Chaque pavillon est organisé dans un grand quadrilatère formant en son centre un vaste atrium couvert d’une imposante verrière. Cette cour intérieure est ventilée par une circulation d’air pénétrant depuis les ouvertures latérales d’accès au sous-sol, réparti par de nombreuses bouches d’aération disposées sur le sol de la cour et aspiré par dépression à la base de la verrière. De bas en haut, il faut que l’air et la lumière circulent !

Le pavillon comprend trois étages, distribués par quatre escaliers situés aux angles du quadrilatère. A chaque étage, équipé de points d’eau, de toilettes et de trappes à balayures, une coursive située sur le périmètre intérieur permet la répartition des portes d’entrée. Ces portes s’ouvrent sur un vestibule distribuant deux appartements. Chacun d’eux est partagé en un minimum de deux grandes pièces de 20 m2 et de 3 m de hauteur et, selon les besoins, jusqu’à 6 pièces. Les employés de l’usine sont logés non en fonction de leur situation sociale mais en fonction du nombre d’enfants qui composent la famille. Ainsi, un cadre sans enfant reçoit un logement de deux pièces et une famille nombreuse un logement de plusieurs pièces, adapté à ses besoins…

J.B.A. Godin n’a pas d’enfant mais occupe avec son épouse deux appartements de trois pièces, disposés en duplex ; cet écart au règlement est dû au fait qu’il y a installé des bureaux : seul et modeste luxe d’un grand capitaine d’industrie vivant parmi ses ouvriers !

Les familles qui emménagent au Familistère sont la plupart du temps issues de la campagne : elles doivent renoncer à l’élevage de leurs animaux habituels (poules, lapins, cochon, vache) mais, prémices des jardins ouvriers, disposent d’un petit espace de terre pour cultiver leurs légumes.

Il leur faut apprendre à habiter ensemble, chacune des familles étant censée devenir un exemple pour l’autre. Véritable place de village, la cour centrale et ses galeries sont des lieux de passage et de vie qui favorisent en permanence les rencontres et les échanges : « L’inf luence du rapprochement des habitations sur la sociabilité est un fait bien caractéristique, le niveau intellectuel s’élève et l’esprit de progrès se développe » (Solutions sociales). Cette proximité de chaque instant garantit l’ordre et

Les pavillons (central et aile droite), vus de nos jours à partir de la place

Maquette en plâtre du Familistère1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 15

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1 - Rivière Oise

2 - Potagers

3 - Economat : alimentation,

buvette, boulangerie,

casino, salle d’escrime

4 - Terrain de jeu de boules

5 - Ecole maternelle

6 - Théâtre

7 - Ecole primaire

8 - Pavillon de l’aile gauche

Visite du FamilistèreGuise se trouve à 180 km au nord-nord-est de Paris, à l’Ouest de Saint-Quentin.Accueil tous les après-midi du mardi au dimanche, de 14h30 à 16h00, également à 10h30 en juillet et août.Renseignements et réservation au 03 23 61 35 36www.familistere.com

9 - Place du Familistère

10 - Pavillon central

11 - Pavillon de l’aile droite

12 - Salle de gymnastique

13 - Buanderie et piscine

14 - Entrée des ateliers

15 - Nourricerie et pouponnat

16 - Parc, aménagé antérieurement

au Familistère

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le respect des règles établies, les contrevenants étant vite repérés et mis à l’amende : noms et infractions sont affi chés et selon la gravité, la peine peut aller jusqu’à l’exclusion !

Par exemple, est amendable celui qui, habitant au rez-de-chaussée, enjambe une fenêtre pour entrer et sortir de chez lui : la porte étant le passage normalisé d’une personne socialement éduquée… L’article 99 des statuts de la société du Familistère stipule que la qualité de membre peut être perdue pour « ivrognerie, malpropreté de la famille et du logement, actes d’improbité, absentéisme, indiscipline, désordre ou actes de violence, non-respect de l’obligation d’assurer l’instruction des enfants ».

Au-delà d’une solution au logement, le Familistère veut donc tendre à ce que l’ouvrier devienne un homme d’élite, vertueux et solidaire. J.B.A. Godin ne souhaite-t-il pas élever la condition sociale de ses ouvriers ! D’ailleurs, le Familistère est réservé à ceux d’entre eux qu’il juge les plus méritants, et avec le temps, les Familistèriens deviennent membres associés de l’entreprise : ainsi naît en 1880 une « association coopérative ouvrière de production », la Société du Familistère de Guise. Avec cette forme de société, les ouvriers ont un accès plus facile aux responsabilités, leur salaire s’améliore et ils ont une participation aux bénéfi ces.

Bientôt J.B.A. Godin met en place une consultation gratuite de médecine, puis organise une caisse d’assurances maladie et va même jusqu’à construire un bâtiment destiné à ses retraités !

En fait, il instaure une méritocratie fondée sur une démocratie élitiste. Vie sociale et travail ne font qu’un.

Services et innovations sociales

Côté Familistère, il instaure le premier mai 1867 une fête du travail qui valorise la population ouvrière ; les enfants y ont une bonne place et la famille est au cœur de ces réjouissances.

Et c’est parce qu’il envisage toute la famille de l’ouvrier et la condition féminine que J.B.A. Godin crée une nourricerie, une crèche, une pouponnière et

une école pour classes maternelles et primaires : les enfants étant ainsi pris en charge par le Familistère depuis leur naissance jusqu’à leur sortie de scolarité (obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans !), il permet aux mères de famille de travailler aux ateliers. Il confi e l’organisation de ces structures à sa seconde épouse, Marie Moret. Un centre d’apprentissage est même créé dans l’enceinte de l’usine.

J.B.A. Godin poursuit son programme de construction : un lavoir collectif avec eau chaude (industrielle, en provenance de la fonderie) et des essoreuses, matériel ultra-moderne pour l’époque ; puis une piscine couverte de 50 m2 afi n de permettre l’apprentissage de la natation, non seulement aux enfants mais aussi aux adultes (nombreuses furent les noyades en périodes de crue lorsque des ouvriers tentaient de traverser l’Oise qui sépare les bâtiments d’habitation des ateliers).

Des économats sont organisés dans des bâtiments spécifi ques. En échange de bons d’achat, les ouvriers peuvent s’y ravitailler en épicerie, boulangerie, boucherie, mercerie et combustible. Une buvette et une cantine y sont aussi proposées.

Poursuivant l’idée que les ouvriers peuvent s’élever par l’éducation et la culture, J.B.A. Godin leur met à disposition une bibliothèque de 6 000 volumes. La Librairie du Familistère diffuse Le DEVOIR « organe de l’association du Familistère » et des bro-chures de propagande sous le titre d’une collection intitulée « Etudes sociales » : Associations ouvriè-res ; L’hérédité de l’Etat ; Le désarmement européen ; La réforme électorale ; Le Familistère.

En 1868, J.B.A. Godin édifi e un théâtre de 600 places où, entre autres animations culturelles, des cours de morale sont proposés chaque dimanche, mais qui n’emportent pas le succès escompté…

Il fait élever un kiosque à musique où se produit la société de musique (créée en 1861, elle ne sera dissoute que 107 ans plus tard !). Peu à peu, le Familistère devient « une ville dans la ville ». Par contre, en raison de ses principes anticléricaux, aucun lieu de culte n’y voit le jour.

La condition féminine et la famille comptaient réellement parmi les préoccupations de J.B.A.

Godin. Fait remarquable pour cette époque, il acceptait au Familistère les foyers qui n’étaient pas unis par le mariage. Et les femmes pouvaient porter les cheveux courts !

J.B.A. Godin n’a en fait pas cherché à faire du logement social une fi n en soi, mais le Familistère était pour lui une clef des changements sociaux.

Quelques gouttes de mieux-être dans un océan de misère !

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, lors de l’implantation des cités industrielles, l’expérience de J.B.A. Godin a été reprise sous des formes diff érentes, qualifi ée à l’époque de paternaliste, sans avoir le sens péjoratif qu’on lui attribue aujourd’hui.

En eff et, ce paternalisme entrepreneurial pouvait prendre trois formes distinctes.

La première, le paternalisme « matériel », qui prenait en charge les diff érents aspects de la vie matérielle des ouvriers ; la deuxième, le paternalisme « politique », qui exerçait une mainmise sur tous les niveaux du pouvoir ; la troisième, le paternalisme

Atrium du pavillon central

Reproduction de la première de couvertured’« Etudes sociale n°5 »

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« moral » qui liait la qualité de la production à celles de l’honnêteté, de la tempérance (sexe ou alcool) et de la pratique d’une religion.

J.B.A. Godin s’est inscrit incontestablement dans la première forme, le paternalisme matériel, mais dans une large mesure également dans les deux autres, puisque d’une part il a exercé les fonctions de conseiller général, de maire et de député, et que d’autre part il usa tant des règles que sa morale laïque instituée au sein du Familistère fut dénoncée par Zola…

Mais l’aspect peut-être le plus extraordinaire de cette aventure sociale, c’est que J.B.A. Godin a réalisé son Familistère dans un environnement de pauvreté et de misère extrême, peignant ainsi son petit coin de ciel bleu au sein d’un univers de nuages lourds. Même teintée de paternalisme, la dimension sociale de J.B.A. Godin apparaît remarquablement en avance sur son temps. Car dans cette région humide, propice à la filature de la laine, la révolution industrielle mettait au travail dans des conditions lamentables -et souvent mortelles- enfants de six ans, femmes, hommes et vieillards. Selon la nature du sol où elle naissait, cette population essentiellement rurale fournissait aux patrons paternalistes une main-d’œuvre bon marché, soit pour filer la laine, soit pour extraire le charbon.

Produit de la mécanisation et de l’exploitation à outrance, leur condition ouvrière toute naissante permettait peu à peu à ces hommes de prendre conscience de leur misérable existence. Dans Germinal, Emile Zola décrit ce contexte social explosif en évoquant les mineurs : « Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s'ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. Aux rayons enf lammés de l'astre, par cette matinée de jeunesse, c'était de cette rumeur

que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre. » Et dans ce même temps, comme un navire invincible, le Familistère traversait un siècle de conf lits et de crises !

Le petit Godin chauff e toujours !

Imperturbablement, la fonderie Godin a continué sa production. Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’extraction du charbon a décliné, laissant place à de nouvelles énergies. Aujourd’hui, les poêles Godin sont toujours là, adaptés à leur temps. toujours fabriqués sous cette marque dans les ateliers de la première heure, à Guise. Mais sous le contrôle d’un groupe international, car paradoxalement, ce sont les événements de mai 1968 qui ont eu raison de la coopérative ouvrière de production née en 1880 !

Dans les années soixante-dix, les appartements ont été vendus en copropriété et en logements sociaux, puis réhabilités. Récemment, la municipalité de Guise a rouvert le théâtre. La piscine est actuellement en cours de restauration. L’école primaire du Familistère est devenue municipale depuis bien longtemps. Mais signe des temps, les enfants n’en sortent plus pour prendre la direction de la fonderie : ils partent vers un collège que Jean Baptiste André Godin n’a jamais construit, mais qu’il aurait vraisemblablement voulu fréquenter !

Daniel Le StancGraphiste

Un modèle contemporain parmi beaucoupd’autres produits par Godin : « L’Opale »

Journal mensuel de l’Association ouvrièredes Compagnons du Devoir du Tour de France

Reconnue d’utilité publiqueN°ISSN : 1240-1730

82, rue de l’Hôtel-de-Ville75180 Paris cedex 04

Téléphone : 01 44 78 22 50 Télécopie : 01 44 78 20 90

Site internet : www.compagnons-du-devoir.com

Michel GuisembertDirecteur de la publication

François BastienDirecteur de la rédaction

Copyright photosLes Compagnons du Devoir

Prix unitaire : 5 €

Abonnement annuel 2006Simple : 48,50 €Soutien : 100 €Étranger : 65 €

(chèque à l’ordre de Compagnon du Devoir)

Merci de penser à nous signaler tout changement d’adresse.

Impression :Graphi Imprimeur12450 La Primaube

Compagnon du Devoir

La piscine, actuellement en travauxde rénovation sera bientôt ouverte à la visite

L’école maternelle