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Langues et cité Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques Juin 2007 Numéro 9 Langues La langue (r)romani Romani ou rromani ? Le romani présente deux phonèmes R vibrants, l'un roulé bref qui s'écrit r, l'autre long (qui peut être aussi rétroflexe ou grasseyé) qui s'écrit rr. Il se trouve que ce son figure à l'initiale des mots Rrom, rromani. Certaines langues comme le roumain intègrent cet ethnonyme avec le rr double, d'autres, comme le français, sont plus réticentes à accepter des graphies inhabituelles à l'oeil et qui ne correspondent pas, dans ces langues, à un phonème particulier. Actuellement l'usage de Rom, romani reste majoritaire en français, mais celui de Rrom, rromani tend à se développer, en particulier dans la littérature spécialisée. Romani est l'adjectif correspondant au substantif Rom. Pendant longtemps l'origine des Roms a donné lieu à des spécu- lations plus ou moins fantaisistes. Aujourd'hui, leur origine indienne n'est plus contestée. Leur langue, le romani, est une langue indo-européenne, étroitement apparentée aux langues du nord de l'Inde comme l'hindi, le penjabi ou le népalais. La diffé- rence entre ces langues et le romani est comparable à celle qui existe entre l'italien et le français. Depuis qu'ils sont apparus en Europe, au début du XV e siècle, les Roms incarnent la figure de l'étranger. Leur langue, leur organi- sation sociale, leurs traditions, leurs modes de vie : de nombreux traits les distinguent des autres, les gadjé. Aujourd'hui les préju- gés n'ont pas disparu : le stéréotype du voleur de poules a laissé la place à celui du marginal. Après les persécutions dont ils ont été victimes, qui ont culminé avec le génocide perpétré par les nazis, et face aux bouleversements qu'ont connus les sociétés européennes au XX e siècle, les Roms sont amenés à s'interroger sur leur identité afin de continuer à être Roms tout en participant pleinement à la vie de la Cité. Ce numéro de Langues et cité voudrait contribuer à une meilleure compréhension entre les Roms et les gadjé. La langue romani p. 2 Chez les sintés p. 3 Témoignage p. 5 Dialectes-langues p. 6 Lire le rromani p. 7 Chez le médecin p. 8 Métier d’interprète p. 9 Littérature rom p. 10 Langues O’ - Cned p. 12 Matériel pédagogique p. 13 Une histoire sociale p. 14 Parutions p. 15 et cité

Juin 2007 Numéro 9 Langues et cité - Académie de Créteilcasnav.ac-creteil.fr/IMG/pdf/lc_9_rromani_def.pdf · 2017-06-13 · cas, le mot de la langue envi-ronnante pour une notion

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Langues et cité Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques

Juin 2007Numéro 9

Langues

La langue (r)romaniRomani ou rromani ? Le romani présente deux phonèmes Rvibrants, l'un roulé bref qui s'écrit r, l'autre long (qui peut êtreaussi rétroflexe ou grasseyé) qui s'écrit rr. Il se trouve que ce sonfigure à l'initiale des mots Rrom, rromani. Certaines langues

comme le roumain intègrent cet ethnonyme avec le rr double,d'autres, comme le français, sont plus réticentes à accepter desgraphies inhabituelles à l'oeil et qui ne correspondent pas, dansces langues, à un phonème particulier. Actuellement l'usage deRom, romani reste majoritaire en français, mais celui de Rrom,rromani tend à se développer, en particulier dans la littératurespécialisée. Romani est l'adjectif correspondant au substantifRom.Pendant longtemps l'origine des Roms a donné lieu à des spécu-lations plus ou moins fantaisistes. Aujourd'hui, leur origineindienne n'est plus contestée. Leur langue, le romani, est unelangue indo-européenne, étroitement apparentée aux langues dunord de l'Inde comme l'hindi, le penjabi ou le népalais. La diffé-rence entre ces langues et le romani est comparable à celle quiexiste entre l'italien et le français.Depuis qu'ils sont apparus en Europe, au début du XVe siècle, lesRoms incarnent la figure de l'étranger. Leur langue, leur organi-sation sociale, leurs traditions, leurs modes de vie : de nombreuxtraits les distinguent des autres, les gadjé. Aujourd'hui les préju-gés n'ont pas disparu : le stéréotype du voleur de poules a laisséla place à celui du marginal. Après les persécutions dont ils ontété victimes, qui ont culminé avec le génocide perpétré par lesnazis, et face aux bouleversements qu'ont connus les sociétéseuropéennes au XXe siècle, les Roms sont amenés à s'interrogersur leur identité afin de continuer à être Roms tout en participantpleinement à la vie de la Cité.Ce numéro de Langues et cité voudrait contribuer à une meilleurecompréhension entre les Roms et les gadjé.

La langue romani p. 2

Chez les sintés p. 3

Témoignage p. 5

Dialectes-langues p. 6

Lire le rromani p. 7

Chez le médecin p. 8

Métier d’interprète p. 9

Littérature rom p. 10

Langues O’ - Cned p. 12

Matériel pédagogique p. 13

Une histoire sociale p. 14

Parutions p. 15

et cité

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Le rromani, héritage des Rroms,Sintés et Kalés, est aussi patrimoineindivis de la diversité culturelle fran-

çaise et européenne en même tempsqu'un lien avec les civilisations indiennesantiques. C'est sans doute la plus mécon-nue des langues de l'hexagone, peut-êtredu fait de la confusion entre, d'une part,notre demi-million de Rroms, Sintés etKalés - tous d'origine indienne - et, d'au-tre part, les Gens du voyage, d'origines etdonc d'héritages linguistiques très variés(français, germanique ou autre). LesRroms mobiles appartiennent à ces deuxensembles à la fois. Pourtant la mobiliténe caractérise pas en propre les Rroms,Sintés et Kalés : en France seuls 15 à 20%d'entre eux suivent un tel mode de vie(chiffre plus bas encore [3%] au plan euro-péen). Ils ne représentent donc qu'unepartie des Gens du voyage.Plongeant ses racines dans le vieil-indien(dont le sanscrit est la subtilissime formelittéraire), le rromani a quitté l'Inde en1018 au moment de la déportation desancêtres des Rroms de leur cité d'origine,Kannauj dans la moyenne vallée duGange, par le sultan afghan Mahmoud deGhazni. Alors que les langues d'immigra-tion disparaissent en général en 3 ou 4générations, le rromani reste vivant aubout d'un millénaire.Ses locuteurs sont estimés à 160 000 enFrance, avec bien sûr ceux qui sont « visi-bles », mais aussi ceux perçus commeimmigrés grecs, yougoslaves, turcs et au-tres. En fait la situation française est laplus complexe d'Europe : à une premièrepopulation « bohémienne » et/ou manou-che (dite valstiko) arrivée en France vers1420, se sont ajoutés les Kalés ou Gitans« remontés » de la péninsule ibérique oùils avaient dû par force abandonner l'usage du rromani. Après 1870, arriventde nouveaux contingents de Sintés (ditsgackene) et au 19e siècle les Rroms del'est (parfois qualifiés abusivement de

« vlax », mot qui signifie simplement« latins » ou « étrangers » pour lesGermains ; c'est le même mot queWelsch désignant les Français). Cettecomplexité explique les fréquents malen-tendus sur la population rromani et salangue. On confond souvent avec le rro-mani le kaló des Gitans, qui ne contientplus guère que quelques dizaines de motsindiens sur un fond d'espagnol ou decatalan. Le sintó a, lui, un lexique et unegrammaire très germanisés au nord et ita-lianisés au sud. En outre, ses locuteurs sereconnaissent moins sous le nom de« Rroms », que sous ceux de « Sinté » ou« Manouches » - rrom ne signifie que« époux, homme marié » dans leurs idio-mes, même s'ils désignent leur languesous le nom de romènes.La différenciation rrom/sinto/kalo cor-respond en gros à une répartition d'est enouest, que l'on peut schématiser commesuit :

La langue rromani : indienne,européenne et françaiseLucie PRESBER,Université de Paris IIIJeannne GAMONET,Inalco

OUEST <<<<< EST

nom du

groupe

Kalo Sinto, Manus Rrom

nom de la

langue

chipi kali romènes,

ròmnepen

rromani

« époux » [e]rromé rom rrom

« familier au

groupe, à

nous »

[e]rromano romèno rromano,

amarutno

pays péninsule

ibérique

pays germa-

niques, Italie,

France

pays slaves,

Hongrie,

Roumanie,

Balkans

proportion en

France

20% 20% 60%

signature par la France de la Charte euro-péenne des langues régionales ou minori-taires, ont classé le rromani parmi leslangues « non territorialisées de France »(aux côtés du yiddish, du berbère, de l'a-rabe maghrébin et de l’arménien occiden-tal). En effet les Rroms de Frances'estiment pleinement citoyens françaiset en même temps membres à partentière du peuple mondial des Rroms.Leur langue est largement enseignée enRoumanie (16 000 élèves par an dans lesécoles), mais aussi à Paris, à l'Inalco.Certains Sintés ou Rroms ont eu long-temps peur de la voir diffuser hors de lacommunauté et parmi les policiers.Pourtant les polices n'ont plus pour voca-tion de persécuter les Rroms. De pluselles disposent dans tous les pays deRroms et Sintés qui, avec des motivationsdiverses, l'aident dans leurs investiga-tions. Le danger encouru à cause de l'enseignement du rromani est doncnégligeable à côté de l'appui que lareconnaissance lui apporte. Merci doncaux vrais républicains qui soutiennent unelangue si paradoxale, relevant de la pro-blématique des « petites » langues etpourtant d'extension européenne avecplus de locuteurs que bien des languesofficielles de l'Union européenne ; unelangue chargée d'archaïsmes remontantau sanscrit, et qui pourtant débute sur lascène de la vie moderne.

Chacune des trois branches utilise sonpropre nom de groupe pour se nommer etpar extension désigner l'ensemble de lapopulation rromani. Si le mot romanicheln'était pas devenu si péjoratif en français,il aurait eu vocation à dénommer l'ensem-ble des trois groupes car il ne signifie enfait rien d'autre que « peuple rrom » (rro-mani sel).Les rapports Carcassonne et Cerquiglini,rédigés en 1999 dans la perspective de la

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La la

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La littérature « tsiganolo-gique » foisonne deconsidérations alarman-

tes sur la complexité des dia-lectes des Rroms, Sintés etKalés. Le profane a en effetsouvent du mal à s’y retrouver,mais tel est le cas pour biend’autres langues.Il est essentiel de distinguertrois types de parlers : parlersrromani proprement dits, deloin majoritaires puisqu’ilsreprésentent près de 90% del’ensemble de la populationconsidérée, parlers des Sintésqui se sont éloignés progressi-vement du rromani initial parinfluence de plus en plus fortedes langues germaniques aunord (en Autriche, Allemagne,Alsace) ou de l’italien au sudet enfin les parlers des Kalés(plus connus sous le nom deGitans – ce sont les Rroms dela péninsule ibérique), quisont le résultat du phéno-mène de paggardisationexposé dans l’article suivant.Ces derniers parlers, leskalés, représentent entre 6 et 8% de l’ensemble du peu-ple rrom et les parlers desSintés moins de 4% – où lesSintés du nord, appelés plussouvent Manouches (« êtreshumains ») en français, sontlargement majoritaires.En France les proportionssont un peu différentes et l’onpeut les estimer respective-ment à 50%, 25% et 25%.Les parlers rroms ont divergédans leur évolution bien moinspar séparation naturelle in-terne que par manque d’évolu-tion du vocabulaire au fur et àmesure de la modernisationde la vie. Dans la plupart descas, le mot de la langue envi-ronnante pour une notion nou-velle a été intégré sur place aurromani, alors qu’en mêmetemps une partie du vocabu-laire hérité était perdu pourles raisons les plus diverses(tabous, calques ou autrestypes d’influences, mais aussirencontre de pays très diffé-

Phonétique et phonologie :

Le système phonologique dusinto (nord et sud) se distin-gue peu du système rromani,sinon qu’il a neutralisé l’oppo-sition r [r] = rr [diverses réali-sations selon le dialecte] enfaveur de [r] – devenu souvent[x] en France. L’aspiration,trait indien bien gardé en rro-mani dans la série sourde,disparait en sinto (nord etsud) : ph > p, th > t, ch > cet kh > k. Le sinto est issu desformes les plus archaïques derromani (région carpatico-nor-dique pour le sinto du nord,moins défini pour celui dusud) et ne présente doncjamais la mutation de en[ ]ni de ch en [ ] que l’on a parexemple en lovari ou kelderaside France. Au fonds vocaliques’ajoutent des voyelles d’em-prunt comme [ü]. Enfin le -vfinal évolue en -p en sinto dunord (gav « village » > gap)sauf en finale verbale où ildevient -w à l’indicatif (rr.kamav « je veux » > kamaw,mais subjonctif te kamap« que je veuille » ; rr. sov« dors ! » > sop « id. »).L’aphérèse est courante : rr.akhor « noix » > kor « id. »,amen « nous > me « id. » Les habitudes articulatoires,même non contrastives entermes de phonologie (aper-ture, nasalité, etc.), c’est-à-dire l’accent, rendent certainsénoncés difficilement intelligi-bles. L’accent tonique re-monte souvent dans le mot :rr. sapanò « mouillé » >sàpeno « id. »

Morphologie du nomLes pluriels se forment d’unemanière proche du rromani :masc. jaro « œuf » pl. jaremais niglo « hérisson », pl.nigli, tandis que les mots enconsonne restent plus sou-vent invariables en sinto qu’enrromani : kor « noix » pl. koraà côté de graj « cheval » pl.graj, vast « main » pl. vast,

rents des réalités asiatiques –flore, faune, coutumes, etc.) –sans parler de l’impressiond’inadéquation du rromaniaux exigences, souventposées comme incontourna-bles, de la pensée urbaineoccidentale et conduisant à lanégligence de la languematernelle. Pourtant la com-préhension mutuelle ne pré-sente guère de difficulté entrelocuteurs de rromani de di-verses origines, tant qu’onn’aborde pas évidemment desdomaines comme l’adminis-tration, la mécanique ou au-tres sujets exigeant deslexiques spécialisés du mondemoderne – même si la termi-nologie la plus récente, inter-nationale (informatique, poli-tique, sciences dures, – voirecertaines sciences humaines),facilite la communicationdans ces domaines. Il faut évi-demment qu’en plus les locu-teurs en présence possèdentbien leur parler maternel – eton trouve des bons locuteursdans toutes les générations -et qu’ils acceptent aussi l’u-sage de mots étrangers (cen’est pas toujours le cas avecles puristes qui réfutent d’utili-ser des mots pourtanttransparents comme repu-blìka, karburatòri ou antilòpa…ou pis encore, des termesplus rares comme trombofle-bìta, favèla ou izoglòsa, voiredes noms propres qui ne leursont pas familiers). Cettejalousie est coutumière debien d’autres langues dépré-ciées.Au contraire, l’intercompré-hension entre les locuteurs derromani et de sinto est nette-ment plus difficile, souventimpossible, même si en fait lesinto du sud, d’influenceromane (et souvent dit « pié-montais »), est plus proche durromani que le sinto du nord,d’influence germanique.Tous les domaines de la lan-gue présentent des divergen-ces :

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4 bal « cheveu » pl. bal, et on aaussi des pluriels en -e : naj« doigt » pl. naje (inconnus durromani). Au féminin le mo-dèle est celui du rromani : kiri« fourmi » pl. kira, tusni « bou-te i l l e » p l . tusna , p i sum« puce » pl. pisuma mais lepluriel des emprunts en -a sefait en -i (-e en rromani) :pùska « fusil », pl. pùski.En principe le nom du sinto abien deux cas comme en rro-mani, un direct et un oblique,sur lequel comme en rromanis’accolent les cinq postposi-tions : cas direct bakro « mou-ton », obl. bakres, d’oùbakres-qro [-kro] « dumouton », bakres-qe « pour lemouton », bakre-re « avec lemouton », etc. Toutefois, ellessont de plus en plus rempla-cées par des préposition alle-mandes : o bakre-re devenantmit o bakro « id. », o bakres-qro cédant la place à fun obakro « id. » et Les pronomscumulent parfois postpositionet préposition : mit men-çar[-tsar] « avec nous-avec ».L’ancien ablatif indien en -al,déjà vestigial en rromani(dural « de loin », kheral « dela maison ») a disparu en sintoet l’ancien locatif s’est égale-ment raréfié : khere « à la mai-son », divese « de jour ». Ilforme cependant certainesexpressions del sune « il rêve »(donne en-rêve)».L’adjectif présente en gros lamême flexion qu’en rromani :bàxtelo «heureux» (rromanibaxtalo), fém. bàxteli, pl. desdeux genres bàxtele. Quant àl’article défini, il est indéclina-ble en cas : masc. o, fém. e etpl. des deux genres o. Lesdémonstratifs ont en généralune forme pleine et une ouplusieurs formes courtes, parexemple kaja « cette », formescourtes kaj, kej, ke, ki.Le numéral ne se distingueguère de celui du rromani,sauf les dizaines à partir de 50 : pasel (litt. « demi-cent » ;cf. rr. pan vardes), 60 trin bis

(litt. « trois-vingt » ; cf. rr.sovardes), 70 sov bis ti des(litt. « trois-vingt-dix » ; cf. rr.eftavardes), 80 star bis(litt.« quatre-vingt » ; cf. rr.oxtovardes) et 90 star bis tides (litt. « quatre-vingt-dix » ;cf. rr. eniavardes - var signifie« fois »).

Morphologie du verbeLa copule est très proche decelle du rromani desCarpates : sing. 1re. pers. hum« je suis » ; 2e pers. hal, 3e

pers. hi ; pl. 1re pers. ham ; 2e

pers. han ; 3e pers. hi (cf. rro-mani des Carpates hom, hal,hi[n], ham, hen/han, hi[n] –avec une variante plusancienne en s- : som, sal,etc.). L’imparfait de la copulese forme en ajoutant un -s :hums « j’étais », hals, etc. Lacopule n’a pas de passé sim-ple. Quant au subjonctif (ouconjonctif) il se forme par leverbe supplétif vel « devenir »(rr. ovel) : te vap bàxtelo « queje sois heureux » (rr. te ovavbaxtalo).À la troisième personne, ilexiste une copule spécifiquehi lo, fém. hi la, pl. des deuxgenres hi le : hi la tarni « elleest jeune » – qui se rencontreaussi dans les Carpates et lesparlers de type kelderas.Comme en rromani du nord(Russie et pays baltes), leverbe a une forme courte etune forme pleine en -a – sansvéritable différence, au pré-sent-futur (la forme longueserait préférée lorsque leverbe n’a pas de complément,mais la règle est souple) :sing. 1re pers. sivòva « jecouds » (courte : sivo ; cf. rr.sivav[a]) ; 2e pers. sivèhe(sive ; cf. rr. sives[a]) ; 3e

pers. sivèla (sivel ; cf. rr.sivel[a]) ; pl. 1re pers. sivàha(siva ; cf. rr. sivas[a]) ; 2e et3e pers. sivèna (siven ; cf. rr.siven[a]). À côté de cetteconjugaison en « e », il enexiste une autre en « a »,comme en rromani : xàva « je

mange » (courte xo ; cf. rr.xav[a]), etc.Le sinto a un imparfait, qui seforme en ajoutant un -s à laforme courte du présent-futur,correspondant au -as du rromani : sing. 1re pers. sivos« je cousais » (cf. rr. sivàvas,dial. cerhar sivos ) ; 2e pers.sives (cf. rr. sivèsas); 3e pers.sivels (cf. rr. sivèlas), etc. Le passé simple est égale-ment proche de celui du rromani quant à ses terminai-sons (ce sont comme en rro-mani les mêmes que celles dela copule au présent) mais leformant de passé l ou dmanque le plus souvent ensinto : sing. 1re pers. kamum« j’ai voulu, j’ai aimé » (cf. rr.kamlum ; 2e pers. kamal (cf.rr. kamlan, Carpates kamlal) ;3e pers. kamas (cf. rr. kamlas)etc. Le -s suffixé fait du passéun plus-que-parfait : kamums« j’avais voulu » (cf. rr. kamlu-mas).

SyntaxeEn sinto du nord, le trait syn-taxique le plus saillant est laprésence de particules péri-verbales correspondant auxparticules séparables de l’alle-mand, mais ce trait est aussiconnu des parlers de Hongrieet de certains pays slaves. Quant au fameux ordre desmots il est davantage régi parl’expressivité que par desrègles syntaxiques strictes.

VocabulaireLe vocabulaire est pour plusdes deux tiers emprunté à l’al-lemand (avec une douzained’emprunts alsaciens) maisles mots les plus fréquentsrestent indiens, si bien quecette proportion est diminuéede moitié en termes de fré-quence dans les textes. Onrelève la présence de certainshellénismes qui avaientdisparu de la plupart des aut-res parlers rromani, commepar exemple zervo « gauche »,paxùno « menton », kukùna

« maïs » (gr. « pomme depin » ; sans parler des motsprésents dans tout le rro-mani : xoli « fiel », drom« route », amòni « enclume »et plus de 200 autres) ouencore le suffixe adjectival -tiko – par exemple vàlstiko« français » (< Walsch + tiko),kortiko rukh « noyer » (< kor« noix » ; cf. rr. akhor « id. »,akhorin « noyer ») – ce suffixeest très répandu en rromanidu nord (Russie, Finlande,etc.).Un autre trait important duvocabulaire est la lexicalisa-tion de formes d’apparte-nance en véritables nomsd’agents : piel « il boit », piben« boisson », pimasqro « bu-veur » (et pimasqri « ciga-rette »), sal « il rit », saben « lerire », samasqro « plaisantin »,mas « viande », masesqro« boucher » et cette structure,marginale en rromani, est trèsdéveloppée dans les parlersdes Romanichals des Iles bri-tanniques.On constate que la différenceentre le rromani et le sinton’est pas négligeable et c’estla raison pour laquelle cer-tains jeunes Sintés souhaitentacquérir une forme de rro-mani proche de leur parlerd’origine (par exemple àcaractère carpatique mar-qué), mais en continuité avecl’ensemble des autres parlersplutôt que de tenter de réap-prendre le strict parler deleurs aïeux.

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Témoignage« GODI-ILO-CHIB » (« sagesse-bonté-diplomatie » – le triangle gitan)

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Jean SARGUERA,Président du Centre Culturel Gitan,Pavillon-sous-Bois

Nous les Gitans, nous avonstoujours été les frères detoute la population, sans

regarder les origines. C’est le cœurqui compte. Nous ne nous distinguonspas, en vérité, des Rroms et desManouches ou Sintés, et pour nouschacun de ces noms a la même valeurque les deux autres... Quand noussommes entre Rroms, nous disonstous que nous sommes Rroms et s’iln’y a que des Gitans d’Espagne, alorsc’est plutôt le mot Gitan que nous uti-lisons – pour parler de nous bien sûr,mais aussi pour parler des Rroms etdes Sintés. Il ne faut pas faire deséparation. D’un autre côté, dansnotre héritage nous sommes diffé-rents de nombreux gadjés, mais nousavons aussi beaucoup en commun,avec certains gadjés, telle chose,avec d’autres, telle autre chose. Notreculture est méditerranéenne, maiselle a en plus beaucoup d’élémentsindiens, que nous commençons àmieux comprendre. Le malheur de labranche gitane du peuple rrom, c’estqu’en Espagne notre langue étaitconsidérée comme langue du diableet que, quand un Gitan était pris à par-ler rromani, il avait les oreilles cou-pées en pointe como un mono –« comme un singe ». Il est normal queles parents aient alors cessé de parlerla langue maternelle à leurs enfants ;quand ces enfants grandissaient, ilsapprenaient des dizaines et des dizai-nes de mots de rromani, mais sans lagrammaire et c’est une grammaireespagnole ou catalane qui était utili-sée, de telle sorte qu’à l’oreille lesautres gens avaient l’impression quec’était de l’espagnol ou du catalansans pourtant en comprendre le sens.Et cet espagnol à nous, ou ce catalan,et notre français bien sûr, c’est aussinotre héritage.

Cette manière de parler, qu’on appellekalo ou chipi kali, a été transmise degénération en génération, un peucomme un langage secret et un peucomme un jeu aussi, parce que pourun enfant, c’est toujours une grandefierté de savoir tous les mots sur les-quels les oncles l’interrogent. Il y a euaussi des proverbes entiers qui ontété transmis et même des prières etun Évangile, traduit en kalo par le bri-tannique George Borrow, mais ontrouve une grande part d’artificiel là-dedans ; dans la vie, le kalo est utiliséde manière bien plus subtile entreGitans. Certains mots sont même pas-sés dans l’espagnol et on en entenddans les chants flamencos – mais lesvraies coplas, à la différence des tex-tes inventés par les gadjés, ont un motde kalo ou deux pour 20 ou 30 d’espa-gnol.Maintenant, nous avons beaucoupplus de contacts avec les autresRroms, surtout en France et en parti-culier au Conseil de l’Europe àStrasbourg où je représente la com-munauté gitane de France avec uneManouche d’Arles. C’est toujours unegrande émotion pour nous d’entendreutiliser par ces Rroms qui parlent rro-mani des mots que j’ai entendus dansla bouche de nos anciens, des motsqu’on croyait oubliés et qui en faitsont bien vivants pour des millions deRroms d’Europe. Actuellement, tous les Gitans ne sontpas d’accord sur l’avenir de notrekalo, qui contient bien sûr des motsrroms (y compris des mots de grec,roumain et serbe – ce qui prouve quenous sommes venus en Europe par lesBalkans, avec les autres Rroms etSintés), mais aussi certains élémentsparticuliers dont nous ignoronsencore l’origine. Il y a aussi à l’inversechez nous des mots qui ont étéoubliés de tous les autres… Une choseest sûre, il n’y a aucun Gitan qui vou-drait voir disparaitre ce lien que nousavons avec tout le peuple rrom ; il y a

des tentatives, en Espagne, dereconstituer le kalo d’il y a deux outrois cents ans et de recommencer àle parler. Une grammaire a été publiéeà Málaga par jeune Gitan, JoséAntonio Platón García en 2002, maiselle a surtout une valeur de docu-ment. Le même livre contenaitd’ailleurs aussi une grammaire du rro-mani européen par Nicolás GiménezGonzález de Madrid – qui a appris, lui,à bien parler cette langue. Un autremouvement, autour de la UniónRomaní Española avec Juan de Dios etChimo Bustamente, a essayé de com-pléter le kalo avec des mots de rro-mani pris dans les dictionnaires et ilsont même traduit la Constitutionespagnole dans ce romano-kalo, puisils ont publié des rapports, des arti-cles et même un petit livre pourapprendre. En fait, si un Gitan veutapprendre, il préfère apprendre direc-tement le rromani européen qu’unkalo ou même un romano-kalo, car letravail à fournir est le même et avecce rromani il a bien plus de possibili-tés dans tous les domaines. Bien sûr,nous préférons tous que la forme derromani choisie soit la plus prochepossible de nos mots de kalo : il nefaut pas que l’un aille sans l’autre.Nos anciens nous ont laissé des motspleins de leur vie, de leur expérience,de leurs souffrances et de leurs joies.Ces mots sont un trésor pour nous,que nous ne voulons pas séparer dutrésor du rromani, langue des Gitansde l’Europe entière.

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Le fait de vivre en implantation diffu-se, voire dans la mobilité, est en finde compte un réel atout humain, car

il défie les tentations de repli. Certesdans le cas d’itinérance, le rejet par lesautres est hélas bien présent jour aprèsjour, mais plus généralement pour lesmembres de peuples « sans territoirecompact », comme les Rroms, l’osmoselinguistique et culturelle est le mode devie par excellence. On constate sur le ter-rain que les gens les plus ouverts sontceux qui ont gardé l’usage de leur langueancestrale, au contraire d’autres qui ten-dent à compenser la perte de ce fonde-ment majeur d’identité par d’autres plusexclusifs : les religions par exemple. Lepropre des langues et des cultures est depouvoir se cumuler, s’interpénétrer ets’enrichir, au contraire des confessions.Un Manouche de Sélestat se sent entière-ment sinto – et de plus en plus rrom, toutà fait alsacien – avec toutes les subtilitésculturelles que cela implique, complète-ment français et républicain, mais égale-ment européen. On peut dire la mêmechose d’un Rrom d’Occitanie ou d’unGitan de Catalogne. Il n’est pas rare queles Rroms de France, souvent travaillanten PME, parlent aussi des langues régio-nales : alsacien, occitan, catalan surtout,plus rarement breton ou corse, en plus dufrançais et de leur parler rrom. À cetterichesse peut s’ajouter la langue d’unpays de séjour précédent : grec, serbe,russe ou roumain.C’est aussi pour cela que l’on observechez les Rroms des passages fréquentsd’une langue à l’autre, car certaines sem-blent prédisposées à tel ou tel mode d’ex-pression. L’important est la maitrise deces diverses langues et les divers« mélanges » et « alternances de codes »peuvent être de natures radicalementopposées : stratégies stylistiques choi-sies, ils sont une richesse évidente par lesdivers angles de regard qu’ils offrent surla réalité et ce que nous en percevons ; aucontraire, s’ils résultent d’une compéten-ce insuffisante, ils sont l’antichambre dela disparition pour la langue en positionminoritaire.Il est grand temps de revisiter la diglossieet son fatalisme, pour promouvoir unesociolinguistique de la complémentarité àla place de celle de la lutte des langues,qui ne fait que transposer en elles l’idéo-logie de la compétition et les conflitssociaux ou politiques, soit au niveau dufiltre d’analyse, soit plus sûrement par

une réelle implication des langueselles-mêmes dans les rivalités existantde fait. L’affrontement n’est possibleque si chaque langue est réservée àtel groupe. Or, le plurilinguisme desRroms, le jeu entre langues et dialec-tes, est le contre-modèle le plus salu-taire qui soit, ouvrant tous les hori-zons à chaque langue tout en jouantde sa tonalité propre.Il existe un proverbe rrom : « trois lan-gues, [c’est] trois maisons ». Onpense à trois pays pour y vivre, maisun sens plus profond se dégage, c’estqu’en chaque langue on a une autrevie. De l’une à l’autre, le gros œuvreest certes le même, mais combien dedifférences dans tout l’arrangement,du plus simple au plus élaboré, tantdes maisons que des langues que l’onhabite ! Et l’on peut y inviter les au-tres. Rien de communautariste encela si chaque langue est perçuecomme le bien de tous – et non lachasse gardée d’un groupe spéci-fique. On objecte souvent que toute lapopulation ne la pratique pas, maisc’est aussi la situation d’un art, d’unsport ou d’une technique. Et quel estle parent qui ne souhaiterait pastransmettre à ses enfants un tel patri-moine, tout comme une bâtisse ouune œuvre d’art ? Pourtant, les lan-gues minoritaires sont sous-estimées.Face au big-bang sémantique de nossociétés urbaines, elles semblentavoir pris un retard qui les condamne.On oublie que ce modèle dit modernen’a pas vocation à écraser tous lesautres et que l’âme humaine, si bienexprimée dans ces langues à l’expé-rience millénaire, n’a pas changé dansson essence. Toutes les sagessesdevraient donc être les bienvenues. Il serait vain de se contenter de dispo-sitions légales et de cours facultatifsdu samedi pour renforcer la diversité,car c’est la pratique à la maison, parun usage riche, qui est décisive pourla survie. Or, ce n’est possible que s’ily a reconnaissance, valorisation, pres-tige, exigeant certes adaptation lexi-cale à la vie moderne, mais aussi etsurtout de puissantes campagnesd’encouragement à cultiver ce patri-moine au foyer et dans le quartier. La« tolérance » ne suffit plus, l’implica-tion active est indispensable. Ladémangeaison de l’unité linguistique,de « l’homogénéisation » chère à

« Elle est bien à plaindre la nation qui n’a qu’une langue et qu’une pensée » (Saint Étienne, premier roi de Hongrie 969-1038)

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Miloševic, est obsolète, comme la peurd’éclatement – dès lors que l’on dépassel’enfermement, et donc le morcellement,territorial, dès lors aussi que l’on renvoiele spectre du communautarisme auxmirages de ceux qui l’ont inventé depuisleur bureau. « Le territoire d’une langue,rappelle fort à propos Cerquiglini, est lecerveau de ceux qui la parlent. » Quenous sommes loin des territoires, descommunautarismes et des oppositionsoiseuses entre les États-nations et lesnations ethnoculturelles. La leçon rroma-ni, c’est la double appartenance dansl’harmonie de deux loyautés convergeantvers leur plus grand dénominateur com-mun : l’humanité vue de deux ou plusieursangles. C’est la conjugaison d’une appar-tenance linguistique et culturelle spéci-fique, transeuropéenne en l’espèce, avecl’amour d’un pays et de son identité, défi-

Comment lire le rromani

nie par un vécu commun de peines, deluttes et de joies, par des réalités géogra-phiques, économiques, sociales et prag-matiques qui marquent un héritageunique. Pour la France, c’est aussi lesceau de certaines options dans lesidées, qui demandent positionnement etnon pas forcément adhésion, comme lavolonté de promouvoir le droit contre latyrannie, le respect de l’autre contre l’as-servissement, même s’il y a bien des fauxpas et des lacunes, même s’il reste desconfiscations ethniques à déconstruire.L’expérience polyphonique des Rromsmontre, comme le disait Yannis Ritsos,que « c’est pour unir les humains et nonpour les séparer que nous chantons etdansons ».Garantir à une société le pluralisme desparlers, certes, mais surtout celui de lapensée, contre l’uniformité mécanique,

doit au plus vite être compris comme unenjeu de richesse, y compris de profitéconomique – et à ce titre attirer l’in-vestissement, financier et politique.L’entreprise ne doit pas être isolée pour lerromani, mais s’articuler avec les multi-ples autres langues de notre pays, y com-pris l’arabe de France et le tamazight, etau-delà avec la promotion du français auniveau mondial. À quand des concoursrécompensant chaque « citoyen qui enri-chit son pays de n langues » ?Avec sa situation linguistique et sonhéritage historique si particuliers, laFrance peut être un modèle, elle qui com-mence à comprendre la nécessité dedégager la langue et la culture du carcande l’État-nation comme du piège commu-nautaire.

1. LETTRES QUI SE PRONONCENT COMME EN FRANÇAIS : a, b, d, f, g (comme dans « gogo »), i, k, l, m, n, o, p, r (roulé), s (comme dans « saucisse ») ; t, v et z.

2. LETTRES ÉCRITES COMME EN FRANÇAIS mais avec une prononciation un peu différence : c [ts] comme dans « tsar », « tsigane », « tsé-tsé »; e toujours prononcé comme [é] (ou [è]),jamais comme un « e muet » ; h toujours soufflé comme en anglais ou allemand ; j toujours comme [y] ou [ï] comme dans « yaourt » ou « Maya » ;u toujours [ou] et x toujours comme ch allemand dans Achtung ou comme la jota espagnole.

3. LETTRES PARTICULIÈRES :s = [ch] comme dans « chat, chose, chéri »c = [tch] comme dans « Tchad, tchapati, tchèque » z = [j] comme dans « journée, jambe, jeune »

= [dj] comme dans « Djibouti, Djakarta »ch = [tch] suivi d'une aspiration : chavo « fils » = tchHavo

Dans certains parlers (Cerhàri, Curàri, Colàri, Lovari, Machàri, Kelderàri notamment), est prononcé comme un [j] très doux et ch comme un [ch]très doux ; malgré tout l'écriture reste la même.ph = [p] suivi d'une aspiration : phuv « terre » = pHouv', pherel = pHerel (dans ce mot ne pas oublier l'aspiration, car sinon c'est un autre mot :perel « il tombe »).kh = [k] suivi d'une aspiration : khil « beurre » = kHil', khoro « cruche » = kHoro (dans ce mot ne pas oublier l'aspiration, car sinon c'est un autremot : koro « bracelet »)th = [t] suivi d'une aspiration : thuv « fumée » = tHouv', thav « fil » = tHav' (dans ce mot ne pas oublier l'aspiration, car sinon c'est un autre mot :tav « fais la cuisine ! »).Voyelles dites « préyotisées » :a = [ya], e = [yé], i = [yi], o = [yo], u = [you].

se prononce [d] après n : manusen e « dans/chez les humains » = manouchènndéet [t] en toute autre position : la e « en elle, chez elle » = làté

q se prononce [g] après n : manusenqe « pour les humains » = manouchènnghéet [k] en toute autre position : kasqe « pour qui » = kàské

ç se prononce [ts] après n : manusença « avec les humains » = manouchènntsaet [s] en toute autre position : tuça « avec toi » = toùsa

Ne pas tenir compte des trémas sur ä, ë et ï car ils sont négligés dans la prononciation standard (ce sont des marques du dialecte baltique) ;prononcer comme s'il y avait a, e et i respectivement.

ACCENT TONIQUE :- Il tombe sur la dernière syllabe du mot, sauf dans deux cas :- S'il est noté par un accent grave, il est sur la voyelle indiquée par cet accent grave.- Si la dernière syllabe d'un mot (ou aussi l'avant dernière dans certains dialectes), commence l'une des lettres q, ç ou , il est sur la voyellesituée devant cette lettre. Dans les textos et les courriels, on utilise y pour , 8 pour , s, c et z sans l'accent et le circonflexe (â) au lieu de l'in-flexe (a); on peut ne pas marquer l'accent tonique.

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Croire qu’un mot signi-fie la même chosedans deux langues dif-

férentes est un leurre : lacoïncidence parfaite n’existepas ; il y a toujours un arrière-plan de polysémie, de conno-tations, de pièges tendus parla culture, même si ce sontdes mots qui semblent uni-voques : « mère, nuit, cheval,manger », apparemment sim-ples, n’ont pas d’équivalentparfait.

Il est des domaines moins« dangereux » pour un traduc-teur, les maths : le nombre

sera toujours . Mais lamédecine ? Le domaine ducorps, du ressenti, de la souf-france, du symptôme est flou,variable. C’est celui de l’inti-me, du soi. Exprimer son malest subjectif, propice auxhésitations, métaphores,occultations. C’est déjà diffi-cile pour un patient d’une cul-ture A locuteur d’une langue Xdevant un médecin issu de lamême culture parlant lamême langue. Mais si inter-vient un tiers de langue Y etde culture B devant un méde-cin de langue Z et de culture Bou C, quel obstacle !

Les Rroms sont plurilingues(même les migrants ayantoublié le rromani en ont deconfuses réminiscences).Hors de la communauté ilsparlent la langue du pays« d’accueil ». Mais le rromaniest la langue du Rrom, mêmeémaillée d’emprunts obligatoi-res venus par la société ditemoderne (le rromani, langueindienne, est entré en Europeau 13e siècle). La plupart desmigrants le parlent en famille.Intervient la culture. Les

façons de nommer un symp-tôme et les tabous appartien-nent à l’intime : faire interve-nir un interprète gadjo, non-rrom, parlant la langue « domi-nante », roumain pour lesRroms roumains, etc. peutdevenir catastrophique.

La traduction d’un accidentsimple (chute, brûlure domes-tique) cause un dommage pré-cis, ne met pas en jeu nuan-ces ou arrière-plans culturels,interdits, pratiques tradition-nelles. Mais une pathologieimplique un substrat psycho-logique et social, elle a besoind’être décrite par un traduc-teur qui possède plus qu’unchamp lexical fermé : le peu-ple rrom a une histoire com-plexe, sa langue est subtile etriche.

Un mal à l’estomac peut êtresignalé pour exprimer unesouffrance d’une autrenature : le patient commencela consultation en évoquantdes ennuis insignifiants, puisun mal qui peut amener à unautre : il ne va pas directe-ment au but. Sa demandechemine du plus banal au plusgrave, surtout quant aux orga-nes internes, plus impurs queles os : un lumbago n’entraîneaucune honte, souffrir du foieest difficile à « avouer ».

L’habituel dukhal mo sero « j’aimal à la tête » signale souventun autre mal, une panique,loin d’être une demande deparacétamol. Pour remonterdu signifié au signifiant il fautparler rromani, sinon le passa-ge du ressenti du patient tra-duit en langue dominantesubit une grave distorsion,d’autant plus que l’interprète

gadjo peut faire peur : il parlela langue du dominant.Les problèmes intimes sontévidemment les plus délicatsà traduire. La femme rrom,très pudique (être examinéepar un gynécologue est uneagression) ressent comme unviol furtif le fait d’être touchéepar un homme qui n’est passon mari – et ce n’est pas unequestion de religion. Unerromni s’est sauvée en pleu-rant dans le couloir d’un hôpi-tal apercevant un gynécolo-gue, et l’infirmière a qualifiésa conduite de « primitive »même si les Françaises quichoisissent une gynécologuene sont pas traitées de « pri-mitives » !

Et en ce qui concerne le dici-ble, un gadjo connait-il les« ex p r e s s i o n s - r e l a i s » ?Toutes les réponses donnéespar exemple en gynécologiesont à décrypter. La naissan-ce est exprimée de façon biai-sée : il est né est parfoisinconvenant, on le remplacepar il a été fait, convenabledans un dialecte, non dans unautre : il évoque la concep-tion, ou par il a été trouvé, ce qui signifie « l’enfant appa-rait ». Quant aux mots dési-gnant les organes considérés,ils sont remplacés par despériphrases comme tele : « enbas ».

La mort elle aussi est entou-rée de coutumes opaques etl’initiative des Hôpitaux deParis de former son personnelaux implications linguistiqueset donc ethnopsychologiquesdes grands moments de la vieet de la mort est à saluer.Unerromani a un jour dit à uneinterprète en rromani : « Tu

fais des fautes en parlant,mais j’aime mieux que tum’accompagnes plutôt qu’uneRoumaine, car nous, noussommes phandle (liées) ».

Si la politique ou une ONGempêchent un Rrom, ou toutautre héritier d’une culturespécifique, d’être assisté danssa langue, lui imposant unelangue dominante, c’est plusqu’une méprise, c’est dumépris, un acte de racisme.

Le Rrom, le médecin et l’interprèteJeanne GAMONET,Inalco

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Voici plus de trois ans que j’exerce lemétier d’interprète de langue romaniauprès de la police et de la justice, et jeconstate que la vision que j’en avais audépart était erronée et sommaire : pourmoi, le rôle d’un interprète se résumait àune traduction « mot à mot » des messa-ges échangés. Et puis, au fur et à mesuredu temps, je me suis rendu compte quece rôle, loin de se limiter à traduire le plusfidèlement possible des mots ou des tex-tes, impose également une approchepsychologique très importante.

Il permet d’apporter une meilleure com-préhension entre les acteurs du systèmede l’État, la justice, les magistrats, lespoliciers et mes compatriotes victimes oumis en cause, ainsi que leurs avocats,donc de favoriser l’application d’une jus-tice équitable, fondée sur une bonneconnaissance tant des faits que de la loiet parfois de la tradition. Dans la traditiondes Roms il n’y a pas de rôle prévu pourla délinquance, bien sûr, mais parfois l’obéissances aux aînés ou les dettesd’honneur peuvent entrer en contradic-tion avec certaines règles juridiques.Inversement, certains auteurs de délits,dont des Roms sont victimes ou auteurs,peuvent invoquer une prétendue « tradi-tion » pour couvrir leur méfait et il fautdécrypter ce langage, surtout si les inté-ressés ne parlent pas français.

Il y a des cas, et ce n’est pas rare, où l’ex-pression en romani est plus « sincère »,que dans la langue du pays d’où vient l’in-téressé, même s’ils la parlent bien, du faitque dans la langue de la majorité ils ontune phraséologie assez stéréotypée et ilsn’ont pas la subtilité qu’il faut pour expri-mer un vrai vécu. On a vu des requérantsroms déboutés de leur demande de pro-tection après des récits caricaturaux enserbe ou en albanais, car leur avocat n’a-vait pas sur quoi plaider, mais qui grâce àl’interprète en romani donnaient des faitsvéridiques à l’appui de leur demande.

Inversement, d’autres, avec une histoirepréfabriquée en langue majoritaire, serévèlent incapables de maintenir cetteversion lors de l’interrogatoire en romanià la Commission des Recours. Des impos-teurs peuvent donc être identifiés ainsi. Ilfaut souligner que la France est le premierpays à avoir reconnu aux Roms le droit àun interprète dans leur langue maternelle.Il y a près de dix interprètes en romanidans la région parisienne. Nous arrivonsassez vite à pouvoir interpréter pour tousles groupes de Rroms.

Il y a aussi le cas où des gens très simplesne comprennent pas des questions tropabstraites (comparaisons inhabituellespour leur culture, suppositions subtiles,etc.) et le code de déontologie reconnaità l’interprète le droit d’utiliser ses propresexpressions pour accéder au message del’intéressé – mais ceci est vrai pour tousles peuples. Il y a aussi les personnes quicommettent un délit pour obtenir quelquechose à quoi ils ont droit normalement,mais qu’ils n’ont pu obtenir par ignoranceou incompréhension de la manière deprocéder. J’ai vu aussi des Roms victimesde délits pour la même raison, et incapa-bles de comprendre comment ils avaientété dupés (notamment dans des contratsfrauduleux), ce qui bien sûr risque de serégler par la violence.C’est en fin de compte un métier qui medonne une double satisfaction :

D’une part il permet aux Roms que j’as-siste de mieux comprendre les faits etdonc d’avoir confiance en la justice dupays qui les accueille par l’assuranced’une traduction fidèle de leur propos oude leurs écrits. D’autre part, les représen-tants de l’État peuvent par ce truchementleur expliquer la gravité des faits qui leursont reprochés ou la portée des préjudi-ces qu’ils ont subis pour aboutir à uneréponse pénale ou civile adaptée. Si teln’était pas le cas, il n’y aurait guère desens à appliquer une justice incomprise.

L’interprète a donc deux obligations.D’une part, maitriser parfaitement tant lalangue maternelle que le français, maisaussi les cultures et les mentalitésrespectives – souvent aussi connaitre lecontexte social d’origine des intéressés,ceci afin d’appréhender toutes les diffi-cultés rencontrées par l’une ou l’autredes parties et dissiper d’éventuels malen-tendus qui pourraient nuire à la Justice.D’autre part, il doit respecter une neutra-lité et une impartialité sans faille pourmériter le respect et la confiance de tous.Le métier d’interprète apporte donc unegrande satisfaction sur le plan personnelet humain, car il construit les conditionsd’exercice du droit et de la justice, sansquoi le Droit et la Justice ne seraient quedes mots. Il me permet en outre d’appor-ter l’aide nécessaire à mes compatriotesles plus vulnérables, qu’ils soient auteursou victimes de méfaits.

LE MÉTIER D’INTERPRÈTE ENROMANIVioleta MUSIC-ALLIOT,interprète jurée

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Kujtim PACAKU,écrivain et journaliste(Prizren, Cossovie1)

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En 2000-2001, j’ai suivi en Sorbonneun cours de langue et littératurefrançaise et à l’INALCO la même

année un cours de langue et littératurerromani. Quel contraste, quelles surpri-ses ! Le rromani est ma langue mater-nelle, dans laquelle j’écris et publiedepuis des années – et pourtant la littéra-ture rromani a été pour moi davantageune découverte que les œuvres de languefrançaise, déjà accessibles en albanais,serbe et turc à Prizren. Bien sûr je connaissais les lila (« feuillesde papier ») des jeunes poètes deCossovie et Macédoine, ces ébauchespoétiques en rromani, tapées au carboneet qui circulaient en guise de publicationsentre Prishtina, Prizren et Skopje dans lesannées Tito. Certaines délicieusescomme une fleur sauvage, d’autres trèsconventionnelles en plastique un peu

Comment j’ai connde mon peuple

grossier, beaucoup éphémères, quelquesunes ensuite consignées dans des revuesou des anthologies. Il y avait à cetteépoque une soif d’expression que les ten-sions et les conflits ont anéantie sans l’étancher. Je connaissais aussi les grandsauteurs de Belgrade comme Rajko Duric,Slobodan Berberski, Jovan Nikolic, cetteavant-garde dont nous recevions àPrizren, admiratifs, les échos énigma-tiques. Et puis il y avait le théâtre, avecquelques pièces très populaires, avec desintrigues de tous les jours, si bien que lepublic était aussi artiste que les acteursdans la représentation. Depuis il y a eud’autres pièces, comme Kosovo monamour, de Jovan Nikolic et Ruzdija Sejdic,drame paru avec traduction française en2002.Mais c’est à l’Inalco que j’ai découvert lesbalbutiements des premiers auteurs en

Russie entre les deux guerres :N. A. Pankovo, Alexandre Germano,Mihail Bezliudski, Ivan Ivanovic Rom-Lebedev, Nina Dudarova – plus tard VanoHrustalio et Mikolaï Satkievic. Chacunavait sa propre dose d’imagination, deréalisme socialiste, de réserve, d’humour,de lyrisme, de nostalgie, de pudeur et dedidactisme. Eux aussi avaient lancé unthéâtre, le fameux théâtre Romen deMoscou. Hélas, on n’y a joué qu’uneseule pièce dans notre langue avant depasser au russe et aux stéréotypes… Maisc’est avec émotion que je lisais les vieillesphotocopies soviétiques en copiant lesmeilleurs passages pour les rapporterdans mon pays. Je rêve toujours de lespublier aussi bien ici à Prizren qu’à Paris,la poésie bien sûr, mais aussi la prose, quin’a pas vieilli. J’ai pu trouver à Paris destextes de la mystérieuse Gina Ranjicic,

pourrait faire un film très réussi. Un peucomparable, mais dans une société trèsdifférente, celle des nobles de Lettonie,est le long poème intitulé Bimbarus, deKarlis Rudevics : un Rrom à la table desseigneurs de ce petit pays. Je crois que detoute l’Europe, c’est en Lettonie et àPrizren que les Rroms ont été le mieuxaccueillis parmi les grandes familles loca-les. En France aussi au début, mais celan’a pas duré.Il faudrait aussi parler de la poésie ou dela mémoire militante, comme les vers deRajko Duric consacrés au génocide naziou aux atrocités de la guerre enYougoslavie. Lui écrivait de son exil enAllemagne, moi j’avais écrit sous les bom-bes à Prizren en 1999… La satire est peucultivée en rromani, mais mon ami Gimi

Furtuna de Tirana a bien su brocarderquelques « philanthropophages » dansses vers d’apparence enfantine.Un autre ami très cher doit être men-tionné ici, c’est Santino Spinelli, aux poè-mes si difficiles dans son parler desAbruzzes ; il faut souvent lire plusieursfois et parfois la traduction italienne estplus claire, mais j’aime la saveur de sonparler à la fois si lointain et si proche.Pour mieux comprendre, je ferme lesyeux et je pense à sa musique, elle aussitrès étrange. Santino est aussi l’organisa-teur depuis dix ans du Concours annuelmondial de littérature rromani et il publieles plus belles pièces qui gagnent leconcours. Nous lui devons tous beau-coup.Une anecdote me vient à l’esprit : j’ai vu

à Paris la première anthologie de poésierromani - modeste (la moitié d’une revuelittéraire), et cette anthologie était publiéedans une langue dont j’ignorais alors jus-qu’à l’existence, en langue occitane !Il y a un lieu important où nous avons faitdes lectures, c’est le Cirque Romanèsdont Alexandre, le chef, est aussi un desplus authentiques poètes de notre littéra-ture, même s’il écrit en français. On a pudire de lui qu’il écrit en rromani avec desmots français… Il existe une traductiondans notre langue de son « Peuple de pro-meneurs » et nous aimerions en avoir deses poèmes aussi. Et puis il y a la prose, qui est très enraci-née dans le quotidien. Elle avait déjàdonné de belles pages en URSS avecPankovo ou Rom-Lebedev. De nos jours

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onnu la littérature

prétendue poétesse de Belgrade vers1880, qui s’est révélée être un faux fabri-qué par un érudit slovaque.En fait, la première poétesse rromni (àpart Dudarova, très réal-soc, en Russie) aété une Polonaise, Papùsa – BronislawaWajs de son nom polonais. Elle a étédécouverte après guerre par un enquê-teur qui rassemblait des informations surles atrocités des nazis, alors qu’elleimprovisait oralement ses textes pour lespartager avec les oiseaux, les torrents, lesarbres des forêts. Nous lui avons consa-cré des soirées de lecture au Centre cul-turel polonais de Paris, avec des débatssur sa vie si complexe entre sa familletrès patriote (les Wajs ont organisé desséries de concerts bénévoles de harpepour financer la reconstruction deVarsovie), les menées de divers carriéris-tes du Parti, la réprobation des anciens, la

jalousie des jeunes, le racisme des pay-sans… un sujet en or pour une pièce dethéâtre.J’ai découvert aussi à Paris les auteurs de Hongrie : surtout Rostas-Farkas,Marakata et Choli, avec leur style de fac-ture très classique et sage, mais portantsouvent des coups inattendus. Je me suisretrouvé dans leur amour de leur paysnatal et dans leur admiration pour lesgrands écrivains de leur pays, qu’ilsaiment traduire en rromani. Dans la fac-ture classique un autre poète a excellé,c’est Leksa Manus – nom de plumed’Alexandre Belugin. Il venait de mourir etnous avons organisé d’inoubliables soi-rées de ses poèmes, avec également sestraductions d’œuvres de Lettonie – sonpays natal, de Russie et des passages desa magnifique version rromani duRamayana. Des amis m’ont donné il y a

peu des textes de lui que nous neconnaissions pas à l’époque, ainsi quedes poèmes d’un Rrom de Biélorussie,Waldemart Kalinin, lui aussi trop peuconnu malgré des traductions en anglais.Exilé à Londres, il chante avec déchire-ment la nostalgie de sa patrie de blan-cheur et de glace.Le panorama des auteurs en rromani neserait pas complet sans rendre honneur àMiloš de Suède [Wladyslaw Jakowicz],auteur d’un long poème en 12 chants, onpeut dire en douze bijoux : Tari et Zerfi.C’est une intrigue d’amours malheureu-ses avec une peinture exceptionnelle dupetit monde de Rroms nomades et seslois, ses coutumes, ses conflits, son hon-neur bien ou mal compris, mais aussi sesliens avec la nature, les villageois – toutcela sans tomber dans les stéréotypes.Encore un chef-d’œuvre méconnu… qui

citons Tera Fabianová, de Prague avecses récits limpides, très vrais sans êtrecaricaturaux, comme aussi ceux d’AliKrasnic, qui a si bien dépeint la sociétédes Rroms cossovars, leurs soucis, leurlabeur, leur sens de l’honneur et de lasolidarité – parfois aussi leur entêtementpour des valeurs dépassées, tout celaavec une nostalgie lourde, mais sincère.Mais ces dernières années ne lui don-nent-elle pas raison ?Il est vrai que bien des Rroms ont écritdans la langue officielle de leur pays – quiest aussi leur langue : en France il y aMaximoff, auteur de plus de dix romans etquelques poèmes. Certains de ses textesexistent en manuscrit en rromani, de samain, mais il est à craindre que la plupartsoient perdus. Le plus souvent il écrivait

directement en français sans rien tra-duire. Ces dernières années on a vuparaitre les souvenirs de Lick, égalementen français comme les écrit de Steinbachou le théâtre de Hogon. C’est dans la tra-duction française que j’ai apprécié leHongrois Lakatos, mais combien d’au-teurs Rroms, qui ont écrit dans d’autreslangues, restent pour moi inaccessibles,comme Baltzar en finnois ou Budai-Deleanu en roumain (seuls quelques pas-sages d’une œuvre qui sembleimpressionnante ont été traduits dansune étude de Duric et Courthiade).Parti pour découvrir la littérature fran-çaise, c’est celle de mon peuple que j’airencontrée à Paris : bibliothèques, cor-respondance, visites, photocopies, archi-ves, lectures publiques m’ont dévoilé un

patrimoine insoupçonné et encore hélastrop bien caché. C’est mon rêve, depuisque nous avons un site internet d’agencede presse en rromani à Prizren, d’étendresa vocation à communiquer notre héri-tage et notre création à travers ce site,par la voix vivante à écouter en rromani etdans les autres langues d’Europe pourque la musique littéraire des Rroms soitmieux représentée dans le monde del’esprit. Je vois tous les jours comment lethéâtre donne la vie aux textes, je rêve dela même vie pour tout ce qui est écrit.

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Il est bien connu que leslangues indo-aryennes, ori-ginaires du sanskrit et par-

lées dans le Nord de l’Inde,sont d’origine indo-euro-péenne. Bien connu aussi queleurs représentants modernesse sont éloignés du modèlesanskrit au point de n’avoir,dans leur structure, plusgrand-chose d’européen, s’é-tant indianisées au contactdes langues dravidiennes,tibéto-birmanes, austriques.Le rromani fait exception, etne serait-ce qu’à ce titremérite de faire l’objet d’unepromotion spéciale enEurope où il est du reste lan-gue maternelle pour dixmillions d’Européens del’Union (et deux autresmillions hors Union). C’est eneffet il y a près de dix siècles(à partir du 11e siècle) que descommunautés indiennes dunord du pays ont commencéd’émigrer vers l’Europe et leurlangue, à l’origine un rameaudu groupe rajasthani-kanauji,très proche parente du braj ouhindi occidental, s’est, aucours de siècles de contactavec les parlers européens,profondément modifiée, tantsur le plan phonétique (pertede l’opposition dentales/rétroflexes) que syntaxique etmorphologique (début d’ac-quisition de prépositions,verbe en position médiane etnon finale).Langue donc autant euro-

LERROMANIAUXLANGUESO’Annie MONTAUT,Inalco1

péenne qu’indienne, le rro-mani est utilisé au Conseil del’Europe et dans diversesorganisations et gouverne-ments comme langue de tra-vail, notamment en Hongrie etRoumanie. Cette forte pré-sence institutionnelle cor-respond à une vitalitéculturelle importante, et origi-nale : le rromani reste eneffet le vecteur d’une culturelargement orale (ethnotextes,contes et chants), tout enayant à la fois une riche litté-rature écrite avec ses pério-diques et ses auteurs, et unusage de plus en plus affirmédans la politique et les Droitsde l’Homme. C’est cette cul-ture que de nombreux étu-diants souhaitent approcherou approfondir à travers lalangue et les études de rro-mani, qu’ils se destinent auxmétiers de la communicationet du social (interprètes,enseignants, travailleurssociaux) ou à des disciplinescomme la politologie, la musi-cologie, l’ethnologie, ouencore souhaitent simple-ment connaitre l’univers durromani à des fins personnel-les : nombreux sont en effetles Rroms qui souhaitentdépasser le niveau de leurparler local pour appréhenderle rromani dans sa dimensioneuropéenne et mondiale. Cepublic est depuis longtempsaccueilli à l’Institut nationaldes langues et civilisationsorientales, qui prépare l’accèsdu rromani à la licence natio-nale (dès l’an prochain) etultérieurement au mastereuropéen.

Environ 10 millions deRroms, Sinté et Kalésont citoyens de l’Union

Européenne. Les « Gens duvoyage », particulièrementnombreux en France et enGrande-Bretagne, sont com-posés de populations itinéran-tes, pour une part d’origineautochtone et, pour l’autrepart, de certains groupes deRroms, Sinté et Kalé ; ils sontpar suite souvent assimilésglobalement aux Rroms, Sintéet Kalé pourtant sédentairesdans leur majorité en France.Le constat d’un manque deconnaissances sur ces popu-lations a incité les institutionseuropéennes à mettre enplace des actions de forma-tion à l’attention de la com-munauté éducative, maiségalement à l’égard des popu-lations concernées pour leurpermettre d’accéder à leurpropre Histoire. Ainsi laCommunauté Européenne(Résolution du 22 mai 1989)prévoyait la mise en place dela « formation continue etcomplémentaire adaptée pourles enseignants travaillantavec des enfants de Tsiganeset de voyageurs. » et « la priseen compte de l’histoire, de laculture et de la langue desTsiganes et des voyageurs… »dans les matériels pédago-giques. En 2000, le Conseil del’Europe recommandait deprévoir l’introduction « d’unenseignement spécifiquedans les programmes prépa-rant les futurs enseignantsafin que ceux-ci acquièrentles connaissances et une for-mation leur permettant demieux comprendre les éco-liers roms/tsiganes » ainsique « l’histoire et la culture

Le CNED et la langue rromaniElisabeth CLANET,Cned 2

des Roms dans les matérielspédagogiques ».Le Centre national d’éduca-tion à distance mène, depuis1991, des actions en faveur dela scolarisation des Enfants duvoyage. En 1995, était publiéà l’attention des élèves lemodule « Cultures du Voyage »permettant la découverte deleur propre Histoire ainsi quecelle des autres communau-tés. Cet enseignement estd’un grand intérêt égalementpour les Rroms, Sinté et Kalésédentaires.Le Cned s’est égalementengagé dans la formation desenseignants en éditantrécemment un DVD-vidéo« Rroms et Gens du voyage »,document qui peut intéressertous les publics. Depuis quelques années, deslinguistes, à l’instar de ce quis’est fait pour le français oul’allemand à l’époque de laRenaissance, se sont engagésdans un processus visant àassurer à la langue rromani unstatut de langue européennemoderne tant dans les diversdomaines littéraires et artis-tiques que dans ceux de lacommunication. La perspec-tive pour le Cned de permet-tre, au travers de projetseuropéens, son enseignementet sa diffusion à distances’inscrit dans un processusd’une meilleure reconnais-sance de ces publics et à leurréelle intégration commecitoyens européens.

1 Institut national des langues et civi-lisations orientales, 2 rue de Lille75343 Paris.

2 Cned (Centre national d’enseigne-ment à distance)- 60 bd du Lycée - 92171 Vanves Cedex , Tél. 01 46 48 2474, http://www.campus-electron-ique.tm.fr/gensduvoyage/

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13Le matériel pédagogique enrromaniMarcel COURTHIADE, Inalco1

Àl'heure actuelle, la langue rromaniest transmise essentiellementdans la famille, ce qui concerne en

France un peu moins de deux cent millelocuteurs. L'Inalco à Paris dispense jus-qu'à la licence (le niveau master est enpréparation) un cours de langue et civili-sation rromani, avec solide introduction àla culture indienne, et plusieurs courspolycopiés peuvent être obtenus, audépartement Asie du Sud. Il y a fort peude véritables méthodes accessibles aupublic français alors même que les Étatsde l'Union européenne sont de plus enplus nombreux à reconnaitre le rromanilangue minoritaire. La Roumanie joue unrôle de pionnier, puisque la langue y estintroduite sur l'ensemble du pays dans lesystème scolaire depuis 1991, et qu'ac-tuellement plus de 16 000 élèves y béné-ficient d'un enseignement de langue etculture rromani. Dans d'autres États, lerromani a été intégré au programme sco-laire à différents niveaux, souvent grâce àdes initiatives locales, du jardin d'enfantsà l'université. Néanmoins, il est fréquentque les enfants rroms ne puissent accé-der à l'enseignement scolaire en rromani,du fait que les gouverments et les ensei-gnants ignorent souvent l'existence d'unmatériel pédagogique, et les demandesd'enseignement de cette langue sontalors rejetées. Certains États vont jusqu'àrefuser de reconnaitre le rromani pour lemême motif. En fait, les meilleursmanuels accessibles actuellement sonten roumain mais, dans la mesure où ilscontiennent surtout du rromani et sontabondamment illustrés, ils peuvent êtreutilisés en France - tout particulièrementavec les enfants d'origine roumaine; onpeut les obtenir au Ministère roumain del'éducation et de la recherche (sectiondes minorités - strada Général Berthelot,30 - Bucuresti sector 1). Il serait souhaita-ble malgré tout de pouvoir disposer d'a-daptations en langue française.

1 Institut national des langues et civilisations orientales

Manuels scolaires :KURTIÀDE, Marcel. Sirpustik AmareChibaqiri [« Abécédaire de notre lan-gue »]. Toulouse : CRDP. (ISBN 2-86565-074-X) - accompagné de manuels del'instituteur en 12 langues, disponible auCRDP ou sur internet www.rromani.org).MARKUS, Olga. I rromani chib vas-o jèkhtobers [« la langue rromani pour la pre-mière année » - un livre et un cahier] et Irromani chib vas-o dùjto bers [« la languerromani pour la deuxième année » - unlivre et un cahier] Ed. Es Print '98,Bucarest, 2005.ZATREANU, Mihaela. 2001. ABC AnglutnoLil [premier ABC]. Ed. Academprint,Bucuresti, 2001 (ISBN 973-99850-1-7).SARAU, Gheorghe et Camelia STANESCU.Limba si literatura rromani [langue et litté-rature rromani]. Bucarest, 2005-2006 (unlivre pour chacune des 4 premièresannées ; ISBN 973-649-192-7, 973-649-185-4, 973-649-193-5 et 973-649-247-8).Il existe aussi des livres d'arithmétiquepour le primaire.

Compléments de lecture :SARAU, Gheorghe. Limba si literatura rro-mani (manual pentru clasa a IX-a).Bucarest, 2006 (ISBN 973-649-248-6).DJURIC, Rajko. 1999. Rromane GaraduneLava. Roma Találós Kérdések. RromaniRiddles. [devinettes traditionnelles desRroms de Serbie, traduites en anglais etdans les quatre dialectes rroms deHongrie, un commentaire ethnologiquepar Rajko Djuric, très nombreuses illustra-tions en couleur]. Ed. Cigány Ház,Budapest, 1999 (ISBN 963-03-9429-4) -une adaptation française est en prépara-tion.COURTHIADE, Marcel. 2006. Sagesse ethumour du peuple rrom - proverbes bilin-gues rromani-français [1 600 proverbesrroms avec traduction française et 50illustrations en noir et blanc].L'Harmattan, Paris, 2006 (ISBN 2-296-02271-5).

Pour les tout petits :HILL, Eric. 0 Rukun al and-i skòla.Interface, Paris, 1994 (ISBN 2-9507850-1-8).HILL, Eric. ¿Kaj si o Rukun Amaro?Interface, Paris, 1994 (ISBN 2-9507850-2-6).HILL, Eric. I Bari Lavenqi Pustik eRukunesqiri, Spot's Big Book of Words, Legrand livre des mots de Spot [imagier tri-lingue] Interface, Paris, 1995 (ISBN 2-9507850-3-4).

Apprentissage adultes :SARAU, Gheorghe. Curs de limba rromaní.Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 2000 (ISBN 973-35-0988-4).PACAKU, Kujtim. Lavustikorri [guide deconversation plurilingue, dont le françaiset l'anglais]. Ed. Iniciativa-6. Prizren,2004.

Références :DJURIC, Rajko. Grammaire de la languerromani [bilingue]. Paris (sous presse).COURTHIADE, Marcel. Murri angluni rro-mane chibaqi evroputni lavustik [« monpremier dictionnaire européen de la lan-gue rromani », dict. plurilingue (dont lefrançais, l'anglais et l'espagnol) pour l'en-seignement secondaire - 500 illustra-tions]. Cigány Ház, Budapest, 2007.COURTHIADE, Marcel. Lava lacharne[lexique multilingue des articulateurs dephrases avec exemples en rromani] Paris(sous presse).VALET, Joseph. Vocabulaire desManouches d'Auvergne. Clermont-Fd(chez l'auteur), 1986.

Il existe aussi des recueils littéraires bilin-gues (poésie, anthologies etc.).

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Pour une histoire sociale des languesde France

La publication d’une listedes « langues deFrance », dans un rap-

port officiel aux ministres del’éducation nationale et de laculture, par BernardCerquiglini, en 1999, eut pourconséquence une nouvelleperception des réalités lin-guistiques complexes du pays.D’une conception de monolin-guisme absolu, héritée, aumoins comme idéal, de laRévolution, on passe à unevision multilingue qui fait de laFrance le pays qui compte leplus de langues en Europeoccidentale. C’est dans cettemouvance qu’est l’idée delancer un projet qui tenteraitde décrire les comportementslangagiers des habitants de laFrance à travers l’histoire. Ceprojet devait innover sur plusd’un point : si, au départ, les « histoires des langues »étaient des compromis entredes grammaires historiques,décrivant les changementsinternes des langues au coursdu temps, et des histoires deleurs usages et des politiquesqui entendaient les promou-voir ou au contraire les com-battre ou les marginaliser, onconnait depuis un certaintemps, surtout dans le mondeanglo-saxon, des « histoiressociales » qui tentent de seconcentrer sur les change-ments externes : emploi,règlementation, politique etles conséquences de cesmesures. Jusqu’à présent, ces

Georg KREMNITZ,Université de Vienne

histoires sociales prennentcomme point d’observationune langue spécifique, consi-dérant les relations entrelocuteurs de langues différen-tes plutôt comme des pertur-bations de ce modèle. Unehistoire sociale des languesde France a un autre point dedépart : elle prend en comptela multitude des langues quiont été employées et quicontinuent à être employéessur le sol de la France. Elle nepart plus du primat d’une lan-gue, mais de celui de la ren-contre des différentes formesde la communication. Il s’agit,d’une part, de l’évolution de lacommunication à l’intérieurdes différents groupes, maisen même temps des rapportsde communication que leslocuteurs de formes linguis-tiques différentes établissententre eux et avec la languedominante, le français. Il nes’agit pas d’une simple évoca-tion des données sociolinguis-tiques des langues à traversl’histoire, mais plutôt de don-ner à voir – dans la mesure dupossible – une architecturetrès complexe de la communi-cation (ou des communica-tions) dans son évolution. Yentrent non seulement les for-mes de l’emploi et du travailsur les langues, mais égale-ment les discours et lesappréciations, les conscien-ces linguistiques des locu-teurs, etc.

Cette saisie des questionsimplique un double regard,vers le général et vers le parti-culier : l’ouvrage (en plusieursvolumes) qui sera l’aboutisse-ment des travaux comporteranon seulement des chapitresconsacrés aux différentes lan-gues, mais également unepartie importante de ques-tions transversales, dépassantla problématique propres àchaque langue et rendantcompte d’évolutions plusgénérales, d’influences mu-tuelles, de dynamiques qui sesont créées, des rencontresde pratiques et de traditionscommunicatives parfois insoli-tes. Un élément important ensera également la discussionet la définition des termesemployés.

À l’issue d’un premier col-loque, tenu à Paris le 30 sep-tembre et le 1er octobre 2004avec le soutien de la DGLFLF,un collectif d’universitaires etde chercheurs s’est forméafin de piloter le projet. Le col-lectif est rapidement tombéd’accord pour distinguer troisgroupes de « langues de laFrance » : les langues autoch-tones traditionnelles, présen-tes sur le sol de la Francemétropolitaine « depuis tou-jours » (ce sont en gros leslangues qu’en France onappelle aujourd’hui « régiona-les »), les langues des DOM etdes TOM, et les langues del’immigration. Ce dernier

groupe comporte deux sous-groupes, d’une part les lan-gues ayant pris suffisammentsouche en France pour êtreintégrées dans la listeCerquiglini (ces langues n’onten général pas d’assise« régionale »), d’autre part leslangues de l’immigration qui,en général pour des raisonspolitiques, n’ont pas été inté-grées dans la liste des « lan-gues de France », mais qui ontjoué un rôle important dansl’évolution de la communica-tion (il s’agit de languescomme l’italien ou l’espagnol,mais il peut aussi être ques-tion de langues de commu-nautés plus petites et/ourécentes comme le chinois oudes langues africaines quel’on peut entendre dans lesrues de certaines villes fran-çaises). Il s’agit de tenircompte de la réalité communi-cative actuelle sans dépasserles possibilités d’une recher-che sérieuse.

L’ambition du projet est decontribuer à renouveler lavision de la communication enFrance et d’inciter à comblerles lacunes de la recherchequ’il mettra en évidence.

Actualité

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15Parutions :Anne JUDGE, Linguistic Policies and the Survivalof Regional Languages in France and Britain,Coll. Palgrave Studies in Minority Languagesand Communities, Palgrave Macmillan (w.palgrave.com), 2007, 265 p.

Cet ouvrage (en anglais) traite de ce que leslangues régionales de France ont en communavec le gallois, le gaélique écossais, l'irlandaiset le cornique. Il pose également le problèmede savoir si le cornique existe encore, ainsique celui du statut du scots et de l'importancepolitique actuelle de l'ulster scots. L'ouvrageexamine tout d'abord comment l'émergencede l'anglais en Grande-Bretagne et du françaisen France ont provoqué le recul des languesrégionales. Chaque langue est examinée dansle contexte des politiques linguistiques adop-tées par la Grande-Bretagne et la France, à lafois historiquement et du point de vue desefforts actuels faits pour la sauver. Une appro-che comparative met en relief des similitudesinattendues entre les politiques adoptées dansces deux pays, en dépit d'un discours qui peutdifférer de manière considérable. Ceci devraitfaire réfléchir ceux qui sont impliqués dansleur réhabilitation ou qui travaillent dans uncontexte en rapport avec les langues régiona-les, que ce soit dans le domaine de l'éduca-tion, de la culture, du tourisme, del'administration ou de la politique).Comprendre la nature des problèmes impli-qués est également essentiel pour compren-dre les revendications linguistiques auxquellesdoivent faire face aujourd'hui les gouvernantsde ces deux pays, en particulier dans lecontexte de la décentralisation en France etde la devolution en Grande-Bretagne.

Alain VIAUT (dir.), Variable territoriale et promo-tion des langues minoritaires, Maisons dessciences de l'homme d'Aquitaine, Bordeaux,2007, 488 p.

La sociolinguistique propose des notions etdes approches pour l'étude des caractéris-tiques internes et externes des langues mino-ritaires. Les enjeux dont elles sont porteusesdans la société expliquent que d'autres disci-plines en font aussi leur objet d'étude : ledroit, les sciences politiques, l'histoire et lagéographie sont ainsi également représentéesdans cet ouvrage collectif. Des spécialistes,acteurs de l'aménagement linguistique, fontégalement part de leurs connaissances et deleur expérience professionnelle dans cedomaine. Le fait linguistique minoritaire. Lefait linguistique, conditionné par des limitespolitiques, administratives, historiques, cultu-relles, linguistiques - anciennes ou récentes -stables ou mouvantes -, constitue le filconducteur de ce livre.

Michel BRAUDEAU, Pierre ENCREVÉ, Conver-sations sur la langue française, NRF Gallimard,2007, 208 p.

Depuis plus d'un millénaire, au fil des siècles,s'est formée « la langue française », dont l'usage ne s'est jamais limité au seul territoirede la France. Langue officielle, langue de la lit-térature, langue de l'école, mais aussi languedes locuteurs ordinaires, largement plurilin-gues, en France, en Wallonie, en Suisseromande, au Luxembourg, au Québec, elle estaujourd'hui la langue maternelle de quatre-vingts millions de personnes. Quand la Francedominait l'Europe, le français s'imposait auxaristocrates, aux diplomates, aux intellectuels.Comme la France, le français, au XXe siècle, aperdu beaucoup de son empire. Sous sa formeétatique, administrative, juridique ou judi-ciaire, il est souvent obscur aux Français eux-mêmes ; son orthographe n'est maitrisée quepar une minorité de ceux qui l'écrivent ; lafable de sa « clarté » ne convainc plus per-sonne. Pour autant, concurrencée par l'an-glais, bientôt par l'espagnol ou le chinois, lalangue française est-elle en danger de mortprochaine ? Certainement pas. Elle n'a jamaisété autant parlée ni écrite, en France et dansle monde. Elle est diverse, multiple, ellechange et s'enrichit sans cesse. L'ensemblefrancophone manifeste une créativité promet-teuse. De Du Bellay à Proust et au-delà, il n'estd'autre défense et illustration de la languefrançaise que de favoriser la « vie vertigineuseet perpétuelle » que cache son « apparenteimmobilité ». Son futur dépend de notre désiret de notre liberté.

« Autour des Conversations sur la langue fran-çaise de Pierre Encrevé et Michel Braudeau »,Le débat, n° 144, mars-avril 2007, pp. 143-192.

Réactions à l'ouvrage de P. Encrevé et M.Braudeau par : Alain Bentolila, Jean-Marie-Borzeix, Jean-Claude Chevalier, Éric Orsenna ;réponses de P. Encrevé et M. Braudeau ; arti-cles d’Henriette Walter et Paul Bogaards.

Martin-Dietrich GLESSGEN, Linguistiqueromane : domaines et méthodes en linguistiquefrançaise et romane, Armand Colin, Paris,2007, 480p.

La « Romania », autrement dit la famille deslangues romanes, constitue un laboratoired'observation linguistique remarquable tantpar la richesse de ses composantes et deleurs interactions que par l'abondance et lavaleur des travaux qui lui ont été consacrés.L'analyse liminaire de cinquante manuels delinguistique romane parus entre 1831 et 2005en français, allemand, italien, espagnol etanglais ouvre sur quatre parties de syn-thèse : 1. les différentes langues romanes etleur variation à l’heure actuelle ; 2. les structu-

res et l'histoire interne des grands domaines(phonétique, grammaire, lexique) ; 3. les fac-teurs évolutifs de l'histoire externe à traversdeux millénaires de transformations (espace,contacts linguistiques, facteurs politiques etsocioculturels, culture de l'écrit et variationlinguistique) ; 4. les éléments de méthode,mettant en relief la philologie et l'histoire de ladiscipline, conçue comme une réflexion detype méthodologique. Ce livre intègre lasomme protéiforme des apports antérieurs etse signale par une clarté pédagogique et uneouverture de perspectives véritablement inédi-tes. Il sensibilisera le lecteur à l'utilité de la lin-guistique historique et comparative pour laréflexion sur notre identité et, plus générale-ment, à l'importance de la langue et du patri-moine écrit et oral pour la compréhension denotre monde.

Denis COSTAOUEC et Françoise GUERIN, Syntaxefonctionnelle : théorie et exercices, Pressesuniversitaire de Rennes, 2007, 322 p.

Ce manuel est un ouvrage d'initiation qui asso-cie étroitement exposé de la théorie et exerci-ces de découverte portant sur une grandevariété de langues. Son objectif est d'exposerclairement une démarche d'analyse des faitsde syntaxe : de former et pas seulement d'in-former.

Joan-Claudi SÈRRAS, Tot en un : lexic occitan-francés, français-occitan (lengadocian), IEO-Edicions, Puylaurens, 2007, 784 p.

De présentation compacte et d'un prixmodique, ce nouveau dictionnaire occitan-français et français-occitan comprend quelque60 000 entrées.

Union latine, III Seminário Interamericanosobre a gestão das línguas. As políticas dasAmericas en un mundo multipolar (Acats) / IIIe

Séminaire inter-américain sur la gestion deslangues. Les politiques linguistiques au sein desAmériques dans un monde multipolaire (Actes),Edicões Galo Branco, Rio de Janeiro, 2006,300 p.

Les Actes de ce troisième séminaire inter-américain sur la gestion des langues, qui s'esttenu à Rio de Janeiro en mai 2006, aborde lesthèmes suivants : 1. Diversité linguistique etculturelle dans les Amériques. 2. Politique etenseignement des langues. 3. Normalisationlinguistique et citoyenneté. 4. Le multilin-guisme dans les organisations gouvernemen-tales, supranationales et internationales. 5.Politiques éditoriales et technologies pour ladiffusion des langues. Articles en portugais,espagnol, français.

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Orientation bibliographique AUZIAS (Claire), Les Funambules de l'Histoire. Les Tsiganes entre préhistoire et modernité, Éditions La digitale, 2002.AUZIAS (Claire), Samudaripen, le génocide des Tsiganes, Éditions L'esprit frappeur, 2004.COURTHIADE (Marcel), Phonologie des parlers rrom et diasystème graphique de la langue rromani, thèse, Université de Paris III, 1994.COURTHIADE (Marcel), « Structure dialectale de la langue romani ». Interface n° 31, 1998, pp. 9-14.COURTHIADE (Marcel), « Le rromani, langue et littérature » In : B. Cerquiglini (dir.), Les langues de France, PUF, Paris, 2003, pp. 229-242.COURTHIADE (sous la dir. de), « La littérature des Rroms, Sintés et Kalés » numéro spécial de Missives, Paris, n° 225, mars 2002.COURTHIADE (Marcel), " Politique linguistique d'une minorité nationale à implantation dispersée dans de nombreux États : le cas de la langue rromani "In : L.-J. Calvet et P. Griolet éds., Impérialismes linguistiques hier et aujourd'hui. Inalco/Édisud. Aix-en-Pce, 2005, pp. 241-269.GARO (Morgan), « La langue rromani au cœur du processus d'affirmation de la nation rrom » In : Hérodote n° 105, 2002, pp. 154-165.HOULIAT (Bernard) & Antoine SCHNECK, Tsiganes en Roumanie, Éd. du Rouergue, 1999.LIEGEOIS (Jean-Pierre), Roms en Europe, Éditions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 2007.MOUTOUH (Hugues), Les Tsiganes, coll. Domino, Flammarion, Paris, 2000.ROTHEA (Xavier), France, pays des droits des Roms ? Gitans, « Bohémiens », « gens du voyage », Tsiganes... face aux pouvoirs publics depuis le XIXe siècle,Carobella ex-natura, 2003 .SIGOT (J.), Ces barbelés oubliés par l'histoire. Un camp pour les Tsiganes... et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945), Éditions Wallada, Bordeaux , 1994.WILLIAMS (Patrick), « La langue tsigane : romani / romanes », in B. Cerquiglini (dir.), Les langues de France, PUF, Paris, 2003, pp. 243-254.Quatre numéros spéciaux de la revue « Études tsiganes » : La littérature des Tsiganes 9/1997 ; Langue et culture I (approche sociale) : n°16/2003 ;Langue et culture II (approche linguistique) : n°22/2005.

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Ce numéro est dédié à la mémoire de Marie Morgane