Julien Benda - Le Bergsonisme ou une Philosophie de la mobilité

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  • 7/31/2019 Julien Benda - Le Bergsonisme ou une Philosophie de la mobilit

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    AVR 1 9 197A fIC'

    JULIEN BENDA

    Le Bemsonismeou

    fne Philosophie de la Mobilit

    Contentez- vous de croire, nevous mlez pas de connatre.

    {pire de Julien l'Apostat auxChrtiens.)

    DEUXIEME EDITION

    PARIS

    MERCYRE DE FRANCEXXVI, RVE DE COND, XXVI

    B\6U0-> ttave*^^^

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    ^^b>,^

    JUSTIFICATION DU TIRAGE

    1,618

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    Nous considrerons ici la philosophie deM. Bergson dans la prtention trs nette qu'ellea d'tre une doctrine, particulirement en celaqu'elle propose un biii-, qu'elle enseigne une m-ihode, qu'elle prsente des rsultais. Nous lais-serons de la considrer avec certains admi-rateurs modestes ou prudents, mais qui cer-tainement l-dessus n'ont point consult le

    Matre comme un simple excitateur d'idesexempt de prtention dogmatique, ou commel'humble expression d'une tendance , ou en-core comme une de ces uvres de littraturephilosophique dont on trahit les ides en les

    sparant du mouvement qui les porte. Aussibien n'est-ce comme rien de tout cela, mais biencomme une doctrine, et de quelle importance !rien moins qu'une re nouvelle de la Philo-

    1.

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    LE BERGSONISME

    Sophie , une rnovation intgrale des m-

    thodes de l'esprit , un remaniement complet

    du systme entier de la connaissance , quecette uvre est salue par un nombre de per-sonnes croissant de jour en jour, dont cer-

    taines sont prises au srieux (i).

    (1) Il ne faut pas que l'appareil littraire nous donne lechange sur la nature de l'uvre : il ne s'agit point ici,comme chez un Nietzsche ou un Renan, d'un mouvementmotionnel ou littraire au cours duquel se ti'ouvent, par

    occasion, des ides philosophiques; il s'agit d'ides philo-sophiques, sujet mme de l'uvre, qu'on arrange ensuiteen mouvement. Ce n'est point de la littrature qui contientde la philosophie, c'est de la philosophie sur quoi on a posde la littrature. Aussi bien les images ne sont-elles pointl'effet d'un primordial et imprieux besoin visionnaire,comme chez un Hugo ou une Noailles; elles sont l titrepdagogique, trs visiblement poses aprs coup et pour

    mieux faire comprendre une ide, comme chez un Taine,chez un Guyau ou un Jaurs.Il ne faut pas non plus que les restrictions que fait

    M. Bergson sur la porte de son uvre nous en dissimu-lent la prtention nettement dogmatique. A la diffrencedes systmes proprement dits, nous dit-il, dont chacun futl'uvre d'un homme de gnie et se prsenta comme un bloc, prendre ou laisser, cette philosophie ne pourra se con-

    stituer que par l'effort collectif progressif de bien despenseurs... Aussi le prsent essai ne vise-t-il pas rsoudretout d'un coup les plus grands problmes. 11 voudrait sim-plement dfinir la mthode et faire entrevoir sur quelquespoints essentiels la possibilit de l'appliquer. {Evolutioncratrice, Int., p. VII.) L'auteur entend donc dfinir une m-thode (pour rsoudre les plus grands problmes ) et pointdu tout philosopher en dilettante ou pancher son me :

    nous ne lui en faisons pas dire davantage. (Voira la fin duvolume la note A sur les ides et motions philosophiques.^

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    LE BUT

    Le but de cette philosophie est clair. Voici ce

    qu'on pourrait appeler l'expos des motifs : onreconnatra les expressions mmes de M. Berg-son. (Voir au surplus un vritable formulairedans Matire et mmoire, pp. 207 sqq, et dansYIntroduction la mtaphysique, pp. 26 sqq.) (1).

    1. Les tats , les choses toutes faites ,les phnomnes identiques eux-mmes pen-dant un certain temps, sont des fictions de l'Intel-ligence. La ralit est incessante mobilit (2).

    (1) C'est remarquer que ceux qui nous reprocheront demettre en forme une philosophie essentiellement infor-mulable n'arrtent pas d'en faire autant. Le Bergso-nisme, dit M. G. Rageot [Revue philosophique, juillet 1907),par sa nature mme est insaisissable. Seulement le mmeauteur, au moment o il dit cela, vient de consacrer dixpages exposer ce que c'est que \' volution cratrice. Le

    Bergsonisme ne se dclare insaisissable qu' ceux quile discutent.

    (2) On s'tonnera peut-tre de trouver souvent ici le con-

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    LE BERGSONISME

    2. Cette mobilit, la Science en tant qu'in-

    tellectuelle (rationalisme) ne l'atteint pas. Elle

    rapproche des tats , elle divise le tout fait

    en tout petits morceaux et n'atteint pas pour

    cela le se faisant . Spencer, par exemple, di-vise l'volu en fragments plus petits qui sont

    toujours de l'volu et croit avoir atteint le

    principe de l'volution , ce qui volue ! {Evo-lution cratrice, 177, 894, 898, passim.) Com-

    ment d'ailleurs la science intellectuelle atten-drait-elle la mobilit ? L'Intelligence n'est propre

    connatre que de l'immobile, que de l'arrt; lemobile n'est pas de son ressort, et avec des

    arrts combins l'infini on ne fera jamais de

    la mobilit.3. Atteindre la mobilit, tel est le but de la

    prsente philosophie (1).

    tenu de nombreuses pages de M. Bergson exprim enquelques lignes... M. Bergson dit la mme chose de trsnombreuses fois : il est professeur.

    (1) Nous retenons ici de l'uvre de M. Bergson ce parquoi elle veut tre une philosophie , c'est--dire un ensei-gnement d'ordre hautement gnral; nous laissons de ctpour l'instant des tudes d'ordre particulier, comme la tho-rie de l'intensit, la critique du paralllisme psycho-physio-logique ou la thorie de la slection des images. Aussibien n'est-ce pas ces tudes peu littraires, peu amu-santes , presque objectives qui font la gloire deM. Bergson ni son action. On peut se demander si telgrand pontife de la doctrine les a seulement lues. (Sur la cri-tique du paralllisme psycho-physiologique voir la note B.)

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    LE BUT

    Ce programme appelle tout de suite quelquesobservations :

    1 Du reproche fait aux rationalistes.

    Que les rationalistes n'aient point atteint le mou-vement d'volution en lui-mme , ni le prin-cipe de ce qui volue , etc., rien de plus vrai ;seulement, ce qui n'est pas moins vrai, et ce quel'on omet de dire, c'est qu'ils n'ont jamais pr-tendu l'atteindre ; bien mieux ! c'est que le rejetde ces sortes de spculations est l'essence mmede leur philosophie. (Qu'on trouve cette philo-

    sophie, en raison mme de ce rejet, pauvre,plate, insuffisante aux besoins de l'me, etc.,c'est une autre affaire. ) Demander raison Spencer du titre d' volutionnisrae qu'ildonne sa doctrine, l'accuser {Evolution cra-trice, p. SgS) d'avoir promis V volution , le devenir , qu'en effet il n'a point donns, c'est

    en bon polmiste (encore qu'un peu pais) pro-fiter de l'quivoque des mots et se plaire m-connatre le sens parfaitement net que l'auteurleur a donn et par la dfinition de son pro-gramme et par toute son uvre. Ce que Spencera voulu, ce qu'il a voulu exclusivement, c'est.

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    10 LE BERGSOXISME

    tant donn des tats successifs et diffrents,considrs franchement comme tats et posscomme effets d'une force qii^on n interrogerapas, caractriser les diffrences de ces tats.

    (Que la caractrisation qu'il en a donne soit

    inexacte, simpliste, arbitraire, etc., c'est encoreune autre question. Il faut prvoirions les d-placements de question avec nos adversaires.)Prtendre qu'il ait voulu donner une thorie dervolution en tant que mouvement, une thorie

    [v. crt., ibid.) o le changement devien-drait enfin la substance mme des choses

    ;pr-

    tendre mme que, sans l'avouer, sans se l'avouer,il l'ait subrepticement tent, c'est ce que ne sau-rait faire aucun lecteur honnte (i). On admireau contraire, quand on relit ce philosophe aprsles pointes de M. Bergson, sa cohsion avec soi-mme, soit sa fidlit la platitude qu'il annonceet son attention ne point dvier dans ce pensermtaphysique qu'il avait non peut-tre sansrsignation dcid de bannir. Quant ce qui

    (1) Qu'on prenne par exemple, dans les Principes de Biolo-gie, l'Essai d'une dfinition de la Vie et les chapitres sur laCroissance, sur le Dveloppement, sur l'Adaptation, sur laVariation et qu'on dise s'il s'y trouve autre chose qu'unevolont de caractriser les choses ayant chang; qu'on dises'il s'y trouve la moindre tentative d'atteindre les choses e/itrain de changer.

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    Il

    est de faire consister une thorie de T volutiondans une simple caractrisation de diffrencesd'tats, nous verrons plus loin si M. Bergson,dans la mesure o il a rendu compte de quelquechose touchant l'Evolution, a fait autre chose (i).

    Un autre reproche fait par M. Bergson auxvolutionnistes, c'est que ces philosophes, seproposant de montrer la formation de l'Intelli-gence, commencent par se la donner loiile for-

    me du fait qu'ils commencent par poser lemonde comme un ensemble d' objets , de choses , de faits , etc., bref de ces d-

    coupages qui ne sont prcisment rien autre

    que la manire de voir propre l'Intelligence

    [Ev. crai. ^ 200,897, p^issim). C'est exactementcomme si l'on disait d'une personne qui veutmontrer la foraiation de la langue franaise

    (D Pour ce que nous appelons la fldlit de Spencer laplatitude, voir par exemple (Premiers principes, 62) sa

    prudence se garer de la croyance que nous saurions ceque c'est que la Force. Uuanl ce qu'il y ait de la rsigna-tion chez ce philosophe dans son bannissement de la sp-culation mtaphysique, ce qui nous le fait croire c'est l'rao-tion de ses pages [Id., | 26) sur la ncessit de croire unAbsolu et sur l'existence d'une conscience indfinie... De-vant le dehors impassible des penseurs anglais, il faut tou-jours songer ce mot de Stuart Mill sur un de ses amis {M-moires,

    p.144) :

    Commela jdupart des

    Anglais qui poss-dent des sentiments, il v trouvait un embarras.

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    12 LE BERGSONISME

    qu'elle se donne cette langue toute forme dufait qu'elle s'exprime en franais. Laissons de

    ct pour l'instant l'affirmation que l'Intelligencene s'exprime que par objets , par choses

    toutes faites , par dcoupages , etc.. Ce qui

    est certain, c'est que l'Intelligence exprime toutdans la langue de l'Intelligence. Mais en quoiparler la langue de l'Intelligence, tre l'Intel-ligence, cela est-il se donner soi Intel-ligence l'Intelligence? En quoi parler fran-ais cela est-il se donner soi (je ne dis pas celui qui vous observe) le franais? Enquoi tre un il cela est-il se donner soi,il le phnomne de la vue ?.. . On croit rverdevant tant de confusion...

    Enfin, c'est remarquer que chaque fois queM. Bergson a l'occasion de dire que l'Intelli-gence ne donne les choses qu' travers sa struc-ture, il a l'air de le lui apprendre. Mais elle le

    sait, monsieur le Professeur; elle le sait depuistrois sicles ; elle n'arrte pas de le dire. Il fau-

    drait pourtant cesser de punir les gens en leurfaisant dire ce qu'ils n'ont pas dit, ou en ignorant

    ce qu'ils ont dit (i).

    (1) " Il n'est gure besoin de rappeler que les classiflca-

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    LE BUT 13

    2" D'une quivoque sur la mobilit . Est-cela Continuit, ou est-ce la Force ?

    M. Bergson promet la mobilit . Toutefoison se demande tout instant en le lisant cequ'il entend au juste par cette mobilit .

    Est-ce le phnomne pris dans son changementcontinu, dans sa variation infiniment petite par

    tions sont des conceptions subjectives auxquelles ne cor-respond aucune dmarcation absolue de la nature. Ce sontdes artifices l'aide desquels nous limitons et arrangeonsles matires soumises nos recherches, afin de faciliterl'uvre de l'esprit. (Spencer, Principes de Biologie, I,p. 71.) Et encore : Parce qu'un mot parl ou crit peuttre dtach de tous les autres, on a, par inadvertance,suppos que la chose signifie par un mot pouvait tredtache des choses signifies par les autres mots. (Pre-miers principes, | 39.) Tout le paragraphe n'est que le dve-loppement de r incommensurabilit du langage avec lerel, si chre M. Bergson.

    D'ailleurs les Bergsoniens jouent de malheur avec Spen-cer. La formule de Spencer, dit M. G. Sorel [Indpendance,1" juillet 1911), sur le passage de l'homogne l'htrogneist drive des ides que les biologistes se faisaient autrefoisur la simplicit du protoplasma ; une observation plusttentive a montr que la matire vivante va d'un mlangeont la composition est mal discernable un systme dearties facilement discernables. Autrement dit, n'est-ce

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    14 LE BERGSONISME

    opposition au phnomne pris dans sa variationtrs petite^ mais toujours dtermine, arrte?Ou bien est-ce le mouvement, pos comme Teffetindivis d'une /brce, comme la dtente indcom-posable d'une tension, et par opposition toute

    tentative de composer ce mouvement avec despoints de l'espace, avec des notions spatiales

    (rien alors d'infinitsimal dans cette 'mobi-lit ))) ? En un mot, est-ce la Continuit, ouest-ce la Force ? C'est videmment la Continuitqu'il vise, par exemple^ dans la dure en tantqu'il entend par l une connaissance de notremoi dans son changement ininterrompu ,dans son coulement , le progrs continu dupass qui ronge l'avenir et qu'il l'oppose la

    connaissance du moi dans ses changements dis-continus [Ev. crt., 2-5); c'est encore elle qu'il

    vise dans des passages de ce genre (/

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    LE BUT 16

    duit tout moment, continue, insensible, dans chaquetre vivant...

    ;

    c'est elle qu'il vise quand il reproche l'Intel-ligence {Id.^ p. 177) de ne pouvoir penser l'vo-lution au sens propre du mot, c'est--dire lacontinuit d'un changement qui serait mobititpure

    ; quand il propose comme exemple lascience le calcul infinitsimal, considr hors deses applications {Introduction la mtaphysique,

    p. 28) (i),etc., etc.; mais, non moinsvidemment,c'est la Force qu'il vise, dans la mme dure ,par exemple, quand il l'appelle tout momentune pousse , un ressort , une tension ;c'est la Force qu'il vise, hors de toute ided'infinitsimal et en tant seulement qu'elle estincomposableavec l'Espace, dans cette imagede la dure , de la mobilit pure (Int. la mtaphys., p. 6) :

    (1) La tche du philosophe, telle q\ie nous l'entendons,

    ressemble beaucoup celle du mathmaticien qui dtermineune fonction en partant de la diffrentielle. {Molire etmmoire, p. 204.) Qu'on ne nous reproche pas de citer icides passages d'ouvrages diffrents : la pense de Bergson,dit un de ses fidles, est une suite de variations heureuses sur un thme unique . (G. Rageot, loc. cil.) M. Glilouinaussi nous parle de 1' unit de la doctrine , et justement propos de l'ide de dure .

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    16 LE BERGSONISME

    Imaginons donc plutt un lastique infinimentpetit (i), contract, si c'tait possible, en un point ma-thmatique. Tirons-le progressivement de manire fairesortir du point une ligne quiira toujours s'agran-dissant. Fixons notre attention, non pas sur la ligneen tant que ligne, mais surVaction qui la trace. Con-sidrons que cette action, en dpit de sa dure, estindivisible si l'on suppose qu'elle s'accomplit sans ar-rt, que, si on intercale un arrt, on en fait deux ac-tions au lieu d'une et que chacune de ces actionssera l'indivisible dont nous parlons, que ce n'est pasl'action mouvante elle-mme qui est jamais divisible,mais la ligne immobile qu'elle dpose au-dessousd'elle comme une trace dans l'espace. Dgageons-nous enfin de l'espace qui sous-tend le mouvementpour ne tenir compte que du mouvement lui-mme,de l'acte de tension ou d'extension, enfin de la mobi-lit

    pure. Nous aurons cette fois une imageplus fi-

    dle du dveloppement de notre moi dans la dure;

    c'est encore la Force qu'il vise dans cette con-

    ception du mouvement {Ev. crt., p. 334; ^^^^aussi Int. la mtaphys., p. 19) :

    La vrit est que si la flche part du point A pourretomber au point B, son mouvement AB est aussi

    (1) Il est vident qu'ici infiniment petit veut dire trs

    petit . Il ne faut pas demander la proprit du style aux intuitifs : ils sont trop presss.

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    LE BUT 17

    simple, aussi indcomposable, en tant que mouve-ment, que la tension de l'arc qui la lance ;

    etc., etc. (i). Distinguer ces deux mobili-ts , quelque mpris qu'ait M. Bergson pourles ides claires et distinctes , offrait pour-

    tant quelque intrt, mme du point de vue dece philosophe : car cette mobiht , on va nousdemander de la saisir par l'Intuition ; or, si l'onest assez dispos trouver que la Force est ob-jet d'Intuition, par contre on rpugne singuli-rement accorder qu'il en soit de mme de laContinuit et qu'elle ne soit pas au contraire mi-nemment objet d'intellection. (Il est vrai quenous ne savons pas encore ce que c'est quel'Intuition.) Au surplus, comme la Science nerend compte des phnomnes de ceux de laVie, par exemple ni dans leur variation infi-niment petite ni dans la Force qu'ils manifes-

    (1) On peut dire que toute Vvolution cratrice (notam-ment les premires pages, sur la dure ) est une longueconfusion de ces deux mobilits . Au surplus, M. Bergsonle dit textuellement [Introd., p. VII) : dure relle signifie la fois continuit indivise et cration, comme si cesdeux ides(enadmettantqu'elles puissentcoexister) n'taientpas assez diffrentes pour qu'on ft tenu de nous direquand on prend l'une et quand on prend l'autre... D'ailleursle fait de pages entires o l'on ne sait pas de quoi on parleest un des traits de cette Philosophie. C'est une des causesde son succs.

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    18 LE BERGSONISME

    tent, la philosophie de M. Bergson, qu'elle rendecompte de Tune ou de l'autre, sera galementoriginale

    Il faut convenir que ce manquement distin-guer entre les ides de Force et de Continuitest pratiqu par des esprits bien moins lgers(plus lourds) que M. Bergson. Il est bien clairpourtant que l'ide de Force n'impli(|ue rien d'in-fmilsimal : l'ide de Force implique l'ide d'unecration^ soit de la production d'une certaine

    existence ; elle n'implique pas du tout que cetteexistence soit tenue, pour se produire, de pas-

    ser par tous les tats intermdiaires qui la spa-

    rent de la non-existence. 11 sufft de songer l'ide de Cration du monde pour voir commeride de Force est peu incompatible avec l'ide

    de soudainet. On peut mme soutenir que l'idede Force, en tant qu'elle est essentiellement lie l'ide e phnomne ou chose sensible, est essen-tiellement incompatible avec l'ide de change-ment infinitsimal ou changement insensible.

    Toutefois on dirait que M. Bergson a choisi plaisir les expressions les plus propres favori-

    ser la confusion de la Force et de la Continuit:

    I

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    LE BUT 19

    le u se faisant , par le verbe faire , exprimeride de Force, cependant que, par le participe

    prsent, il exprime l'ide de Continuit ; !' vo-lution cratrice pose par le mot cratrice l'ide de Force, cependant que par le mot vo-lution elle pose l'ide de Continuit.., Cephilosophe a le gnie de l'quivoque (i).

    3^ Du refus fait r Intelligence de connatrede la mobilit.

    L encore on peut se demander ce que veutdire au juste M. Bergson. Veut-il dire quel'Intelligence ne possde pas parmi ses cat-

    gories la catgorie du mobile? C'est ce qu'on estfond croire en lisant que l'Intelligence nepense que par objets , par >< choses , par faits , que de la mobilit mme notre intel-ligence se dtourne , etc.. Et alors on rpondqu'en vrit la catgorie de mouvement, d'action,d'nergie, d'indtermin, de diffrentielle (ou

    (1) Tout cela revient encore confondre le mouvement enstant qu'il signifie changement de A (distinct) en B (distinct)avec le mouvement en tant qu'il signifie fusion in-dis-tinction de A avec B. Le premier mouvement implique-cration (cration de B) ; le second au contraire, en tantqu'il veut voir B dans A, est essentiellement ngateur decration, de nouveaut.

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    20 LE BERGSONISME

    pure mobilit), a existe. Ou bien veut-il dire quel'Intelligence n'explique pas ce que cesl quela mobilit ( reproches Spencer et tousceux qui ne se mettent pas dans rinlrieiir de

    la mobilit) ? Mais alors on se demande pourquoi

    M. Bergson s'arrte en si bon chemin: est-cequ'il croit par hasard que l'Intelligence expliquece que cesl que l'immobilit (i) ? Au surplusDous touchons l une des croyances les plusintressantes de cette philosophie, par quoi elle

    est minemment expressive de son temps : c'estla croyance que l'immobile est moins mystrieuxque le mobile. Ou plutt, c'est la croyance que lemobile seul est mystrieux et que l'immobile, lui,est parfaitement comprhensible. Comme si lefait par lequel une chose s'efforce de se main-tenir identique elle-mme au lieu de cderau changement tait moins mystrieux quele fait par lequel elle change au lieu de rester

    (1) Il parat qu'il le croit : M. Bergson fait plus de cr-dit (qu'on ne pense) la connaissance scientifique : il admetmme que, sur certains points, en physique par exemple,la science atteint non pas des quivalences ou des conven-tions, mais le rel lui-mme. (A. Chaumeix, Revue hebdo-madaire, \" janvier 1910, p. 31.) Au fond, tout cela est unemanuvre : on accorde la Science sur le terrain physiquebien plus qu'elle ne demande afin de pouvoir sur le terrainvital lui refuser tout.

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    LE BUT 21

    la mme. Mais on ne fera jamais admettre a des instables.

    Remarquons ce propos combien la mta-physique, si attentive faire la distinction entre

    la chose qui change et ce qui fait quelle change,a nglig de faire la distinction symtrique entre

    la chose qui s'arrte et ce qui fait quelle s'arrte,

    disons entre Varrt et la puissance d'arrt. Il

    est clair que, cette distinction faite, \di puissance

    d'arrt aurait droit par rapport l'arrt autantde vnration que la puissance de changementpar rapport au changement. D'ailleurs, c'est bien

    cette puissance d'arrt, la puissance que vn-rent les nations qui ont institu (arrt) quelque

    chose ; c'est bien elle, en particulier, le Christoccidental : ^puissance d'institution, non de chan-gement.

    A propos de cette affirmation que l'Intelli-

    gence ne pense que par objets , par chosestoutes faites , que de la mobilit mme ellese dtourne , etc., disons que nous tenons l unautre des traits essentiels de cette Philosophie :

    l'affirmation gratuite. A tout instant on demeureinterdit devant des affirmations normes, dont

    2.

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    22 LE BERGSONISME

    la preuve elle seule exigerait des volumes, etqu'on vous jette l comme des choses videntes,comme des donnes du sens commun . Envoici quelques-unes :

    Posons en principe que l'Intelligence vise d'abord fabriquer {Ev. crt., p. 166).

    Si l'on passait en revue les facults intellectuelles,on verrait que l'intelligence ne se sent son aise,n'est tout fait chez elle que lorsqu'elle opre sur

    la matire brute, en particulier sur des solides[M., p. 167).

    On peut conjecturer qu'ils (l'Intelligence et l'Ins-tinct) commencrent par tre impliqus l'un dansFautre, que l'activit psychique originelle participa

    des deux la fois (/c/., p. i53).

    La premire grande scission qui dut s'effectuer(dans le mouvement de la vie) fut celle des deuxrgnes vgtal et animal, qui se trouvent ainsi trecomplmentaires l'un de l'autre (/c/., p. 276).

    Ces choses-l on conviendra qu'elles sontd'importance sont poses sans l ombre d'unepreuve. El cest sur elles que va reposer toutl'difice. Avez-vous vu, dans la dernire citation?

    le fait pos est dubitatif la premire grande

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    LE BUT 2$

    scission qui dut s'effectuer et sa cons-quence au moyen de ainsi )^ est devenuetout de suite une affirmation... C'est entendu;qu'il faut d'abord affirmer les choses sans savoir

    si elles sont vraies; que, sinon, Ton n'avance-rait jamais ; qu'il faut se jeter l'eau sans

    se demander si l'on sait nager, etc.. C'est gal,,on abuse : ruolution cratrice n'est qu'une

    longue noyade (i).

    Mais prcisons la croyance de M. Bergsoasur les rapports du mobile et de l'immobile.Cette croyance c'est que la connaissance dumobile porte en elle-mme celle de l'immobile :la mobilit tant connue, une simple dgrada-tion donne l'immobile : Il est si ais de pas-ser, par simple dgradation, du mouvement au

    (1) Remarquons que ces affirmations gratuites deviennenttout de suite chez les disciples des clioses dmontres : L'intellig-ence et la matire, qui sonl accordes dans leurgense simultane. ^G. Sorel, Reu. mlaphys. et morale,janv. 1911, p. 67.) Le philosophe de la vie a prcis dunemanire dfinitive le vritable rle de l'intelligence en nous.montrant qu'elle a son complment ncessaire dans l'ins-tinct. )> (G. Rageot, loc. cit., p. 80.) L'uolution cratricemet bien en relief le fait que la conscience unique s'est ma-nifeste par deux sortes de mentalits : l'intuition et l'in-telligence, dit une bergsonienne qui fonde sur ce fait une thorie des sexes. [Revue des ides, 1.5 octobre1910.) Nous assistons l la formation d'un dogme.

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    24 LE BERGSONISME

    ralentissement et Timmobilit [Int. la m-

    taphys., p. 20). Cela, c'est un des plus pursexemples de la puissance de M. Bergson oublier ce qu'il a pos. Qu'il soit facile de pas-

    ser du mouvement l'immobilit, rien de plusvrai

    pourla

    connaissancerationnelle

    du mou-vement, c'est--dire pour celle qui composeride de mouvement avec les ides de chan-gement effectu^ de temps coul, bref avecles ides de grandeurs mesurables : il lui suffit

    de donner l'une de ces grandeurs une valeurde plus en plus petite, et enfin nulle. Mais rien

    videmment de plus faux pour la connais-sance irrationnelle du mouvement. Que venez-vous en elTet parler de dgradation , de

    ralentissement , c'est--dire, en fin de compte,de mouvement ayant lieu en un temps moindre,vous qui avez justement fond votre ide de

    mouvement et avec quel fracas ! sur laproscription de l'ide de temps mesurable, sur

    la proscription de l'ide de quantit? C'est tou-jours la mme chose : vous ne voulez jamaiscomprendre qu'une fois que vous vous tes misdans l'Absolu, // faut y rester, et ce relatif que

    vous lchez d'une main, vous n'attendez qu' le

    rattraper de l'autre... Or vous qui connaissez

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    LE BUT 25

    le mouvement en tant que qualit, qui vous tes installs dans son intrieur , d'emble

    et en repoussant l'infirmit du Nombre, vousne pouvez plus le connatre qu'en tant que qua-lit: c'est--dire que ce que nous appelons, nous

    autres mchants relativistes ,

    un mouve-ment plus lent , ce ne peut tre pour vousque du mouvement ; un mouvement encoreplus lent , ce ne peut tre toujours que dumouvement ... Et quand il n'y a plus de mou-

    vement ? dites-vous. Eh bien, quand il n'y aplus de mouvement, votre comptence tombe etil vous faut vous installer dans une autre qualit (i).

    l\^ De la prtention cognitive de cette philosophie.

    Enfin remarquons bien, pour juger ce pro-gramme, qu'il prtend connatre. Il ne s'agit pasdu tout ici de croire au se faisant , il s'agit

    de le connatre. Pour ce quiest, par exemple,

    (1) Il est curieux de voir que cette superstition mtaphy-sique la connaissance du mouvement est l'omni-con-naissance a son quivalent dans la pense scientifique :c'est la croyance que la science de l'Energie vaut pourtoute espce de phnomne. Contre cette croyance, voirM. Emile Picard : Quelques rflexions sur la mcanique,p. 31.

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    26 LE BERGSONISME

    du moi en train de changer ( dure ), il nes'agit pas du tout de croire ce mouvement, del'adorer, de l'treindre d'une prhension mys-tique, d'une possession sombre et muette...; ils'agit de faire concider ce moi changeant avec

    le moi conscient , c'est--dire, aussi longtempsque les mots auront quelque sens, d'en avoirune certaine exprience^ une certaine reprsen-tation. Pour ce qui est du mouvement d'volu-tion , c'est bien autre chose : ici il s'agit bel et

    bien " expliquer, de trouver une signification, derendre compte. \}n\\\rt corameV Evolution cra-trice n'entend pas du tout tre un hymne d'ado-ration au mouvement de la vie, un succdan desEblouissements ou du Cur innombrable. Il en-

    tend essayer de dire ce que c'est que ce mouve-ment, ou du moins ce qu'il signifie. Ce qu'ilreproche aux autres, c'est de ne l'avoir point fait.

    Signification de l'Evolution, tel est le titre

    d'un des principaux chapitres (et ici on ne peut

    pas se mprendre sur le sens du mot volu-tion )... On peut dire que toute la thse deM. Bergson c'est que, si l'on n'a pas jusqu'icirendu compte du mouvement, ce n'est pas dutout, comme on le dit dans une orgueilleusemodestie , parce qu'il est inconnaissable ,

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    LE BUT 27

    c'est parce qu'on s'y est mal pris; et que touteson uvre c'estjustement denous dire commentil faut s'y prendre pour atteindre cette connais-

    sance. D'ailleurs ce ne peut tre que parcequ'il passe pour faire connatre ces choses mta-

    physiques (force, mouvance ou autres rali-ts ) que M. Bergson passe pour un novateur;car s'il passait simplement pour enseigner queces choses sont objets de croyance et non de con-naissance, de sympathie et non d'intellection^

    et qu'on n'accde cette sympathie qu'en dlais-sant les murs de la raison, nous doutons qu'ily ait encore des personnes assez ignorantes pourtrouver cela bien nouveau. Mais c'est en dou-tant de cela que certainement iious nous trom-

    pons (i).Il est trs curieux de voir l'effort de certains

    Bergsoniens pour ignorer de VEvolution cra"trice cette prtention dogmatique, laquelle appa-

    remment leur semble dure justifier : Si grand

    que puisse tre un philosophe, dit M. Sorel

    (1) On nous dit qu'on l'oubliait, vers 18'J0, cette part quichappe la raison, et qu'il fut singulirement salutaired'en rappeler l'existence... Qu'est-ce dire? Que c'est celal'uvre de M. Bergson ? Mais alors qu'on le dise, et qu'onentende aussi que ce n'est pas pour avoir rduit trois ouquatre Homais sorbonnards, voire mme toute la Sor-bonne, qu'on est un >< grand philosophe .

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    28 LE BERGSONISME

    [Bev. miaphy. et mor., janv. 1911), il ne sau-rait, mme quand il crit un livre dont l'in-fluence s'tendra loin dans l'avenir, se dtachertotalement de certaines manires de prsenterles choses qui sont reues de son temps, et ses

    lecteurs ont beaucoup de peine ne pas inter-prter les textes douteux dans un sens conforme leurs prjugs. On peut trouver dans VEvoUi-lion cratrice des passages qui permettraient de

    soutenir que M. Bergson a cru que la philoso-

    phie de la vie doit aboutir, aprs de longuesrecherches diriges avec sagacit, une sorte

    de dogmatique, qui se distinguerait de la science

    surtout par le fait qu'elle serait beaucoup moinsserre. Je citerai seulement deux fragments.

    L-dessus M. Sorel cite des passages qui nelaissent aucun doute sur la prtention dogma-tique du livre ; puis il ajoute : On pour-rait entendre ces passages en les appliquant

    une sorte de science; mais il convient d'inter-

    prter le dtail d'un tel livre, en vue de donneraux ides gnrales le plus d'originalit possible.C'est l'ide de mystre qui doit donc dirigerl'interprtation, car VEvolution cratrice est

    essentiellement un manifeste signifiant aux mo-

    dernes que la principale proccupation des phi-

    I

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    LE BUT -11 ' 'UIq^0^5

    ' " '0

    losophesdoit tre de rflchir sur les mystres

    de la vie. On voit comme M. Sorel a raisonet combien certains lecteurs ont de peine en

    effet ne pas interprter les textes (mme nondouteux) dans un sens conforme leurs prju-

    gs... Toutefois remarquez l'habilet de l'expres-sion v rflchir sur les mystres de la vie qui

    peut vouloir dire aussi bien se pencher religieu-

    semenl sur ces mystres que chercher les pn-trer. Mme dsir de nier la prtention scien-tiste du Bergsonisme chez M. Rageot {loc. cil.) : Cette philosophie ne se donne point pour ache-ve, mais, bien au contraire, pour inachevable,

    par essence et dfinition. Ce qui n'empche pasd'ailleurs que quatre lignes plus bas on nous dit

    qu'elle ne saurait se poser comme un cadredj tout fait (que dites-vous de dj ?) et

    que deux pages plus haut on dclare que lesdeux premiers chapitres de V Evolution cratriceconstituent comme une biologie gnrale . M.Chaumeix,lui, est un peu plus net : La facultde l'intuition nous fait connatre ce qui devient,ce qui se cre... {loc. cit., p. 82). Il est vrai quepour M. Chaumeix la facult de l'intuition est un pouvoir de la raison , ce qui doit bien sur-

    prendre M. Bergson... Quant ce

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    M. Bergson pense de ces jugements, nouscroyons savoir qu'en gnral il n'est pas content

    de ses admirateurs franais, qui tous, plus oumoins, le prennent [)Our un mtaphysicien et unpote plutt que pour un savant (i)

    ;qu'il dclare

    volontiers n'tre vraiment compris qu' l'tran-ger, notamment par certains no-vitalistes alle-mands qui inscrivent une de ses penses enpigraphe de leur revue prtention nettement

    scientiste.

    (1) Il y a pourtant des exceptions : ainsi M. Gillouin veutque la Biologie utilise dj quelques-unes des vues deM. Bergson . Toutefois, c'est l une nouvelle si tonnantequ'on ne peut se dfendre de dplorer que l'auteur en aitgard les preuves pour lui.

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    II. LA MTHODE: L'a INTUITION

    Quand le Talmud a cit sur lamme ligne des opinions qui s'ex-cluent absolument, il finit par cetteformule : Et toutes ces opinions

    sontparole

    devie.

    Renan.

    Comment atteindre la mobilit , le sefaisant ? En mourant au mode de con-naissance ordinaire, l'Intelligence, lequel n'estdonc bon qu' connatre du tout fait, et en nais-sant un autre mode de connaissance, sjDcia-lement adapt, lui, connatre du mouvementet, en particulier, de la Vie : l'Intuition.

    Qu'est-ce que c'est que cette Intuition ? Certescela n'est pas facile dire : seulement dansVlniroduciion la mtaphysique et dans Vvo-lulion cratrice on trouve jusqu' six chosesdiffrentes dsignes sous ce mme mot. Ilposait des dfinitions exactes, dit Fontenelle de

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    Leibniz, qui le privaient de l'agrable libertd'abuser des termes dans les occasions.

    M. Bergson entend ne pas se priver de l'agra-ble libert )>... Toutefois nous avons un critriumpour reconnatre la vraie Intuition, pour aller en

    toute bonne foi la pense de M. Bergson derrirel'incertitude de son criture : d'abord l'Intuitionannonce est d'une tout autre nature que Vln-telligence ( Intuition et Intelligence repr-

    sentent deux directions opposes du Travail

    Conscient , volut. crt. ^ p. 289); elle s'efforcede rompre avec les procds de l'Intelligence :concept, percept et mme image [Int. la mta-phys.

    , p. 6 sqq.) ; de plus, l'Intuition annonceest adapte connatre spcialement du mouve-

    ment ( l'Intelligence est accorde sur la ma-tire et l'Intuition sur la vie , volut. crt.

    p. 194; l'Intuition marche dans le sens mmede la vie, l'Intelligence va en sens inverse,

    id., p. 289; l'analyse opre toujours sur l'im-

    mobile, l'Intuition se place dans la mobilit, Int. lamtaphys., p. 19; etc.). Arms de cecritrium, passons en revue les diverses in-tuitions de M. Bergson (1).

    (1) Il est vrai que, par moments, on dit que le noyau del'intelligence ne dilTre pas radicalement du fluide qui l'en-

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    LA METHODE : L (( INTUITION 33

    Premire intuition. H y a d'abord la con-naissance absolutiste ou connaissance qui saisitl'objet e/i lui-mme au lieu de le comprendre parses rapports avec d'autres objets. C'est cette in-

    tuition ))-l qui est propose, par exemple, dans

    ces premires pages de VIntroduction la M-taphysique qui aboutissent cette dfinition :

    On appelle intuition cette espce de sympathieintellectuelle par laquelle on se transporte l'int-rieur d'un objet pour concider avec ce qu'il ad'unique et par consquent d'inexprimable. [Loc.cit., p. 3.)

    C'est le chimisme de Hegel. C'est Vintueri deDescartes, qui considre l'ide en la compre-nant toute entire la fois et non successive-ment . C'est surtout (d'ailleurs M. Bergsonconvient que cette intuition est depuis long-temps classe en philosophie) la claire connais-sance de Spinoza ou connaissance du troisimegenre, celle qui saisit la quatrime propor-

    veloppe , que l'intelligence se sent surtout son aise enprsence de la matire brute , et que M. Sorel [Indpen-dance, \" mai 1911) se borne dire maintenant que, pourappliquera la vie les procds du raisonnement scientifique,il faut prendre beaucoup de prcautions ... Il est clair quele Bergsonisme, pour parler avec M. Sorel, a peur de sabarbarie. Au surplus, il faut nous habituer avec les Berg-soniens ce qu'une affirmation n'exclue jamais son con-traire.

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    34 LE BERGSONISME

    tionnelle trois nombres donns dans le rapportmme de ces quatre nombres et non pas par l'ap-plication d'une rgle : cette connaissance peroit

    chaque chose non plus dans certains de ses attri-buts, mais dans son essence particulire {Ethi-que, II, 4o) ; non plus dans la succession de sesparties, mais dans leur indcomposable simul-tanit [id., II, 29); elle possde son objet. J'appelle claire connaissance, celle que nousobtenons, non par une conviction fonde sur leraisonnement, mais par le sentiment et la jouis-sance de la chose elle-mme. [Court trait,

    II, 2.) A la nettet prs, on croirait entendreM. Bergson. Or, cette intuition -l n'estcertainement point l'Intuition annonce: d'abord,

    elle ne rompt pas du tout avec les procds del'Intelligence, elle ne rompt pas du tout avecl'image, avec l'ide, avec la'reprsentation ; elle

    se contente de ne point les comparer avec d'au-tres ; elle est sympathie , elle est amour ,elle est auscultation , c'est entendu, maissympathie intellectuelle, amour intellectuel, aus-cultation intellectuelle ; de plus, en admettantqu'elle saisisse le se faisant , elle n'est en

    rien adapte le saisir spcialement, ei peut tout

    aussi bien saisir le tout fait ; car la chose

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    LA METHODE ! L INTUITION 35

    immobile comporte un absolu, un en soi-mme^indpendant de tout rapport avec les autres

    choses, tout aussi bien que la chose mobile;absolu ne veut pas du tout dire mobilit, c'estl encore une des grossires confusions de cette

    philosophie. Enfin, il y aurait encore une raisonpour que cette intuition ne ft pas celle qu'onnous promet, c'est Timpuissance essentielle oelle est d' expliquer (encore une fois, onveut expliquer le mouvement d'Evolu-tion , non l'aimer), en tant qu'expliquer nesaurait consister qu' exprimer une chose enfonction d'une autre chose ; et, de fait, on nevoit pas comment celui qui peroit un objet laVie, par exemple en lui-mme et hors de toutrapport avec un autre objet pourrait, sans sor-tir de ce mode de connaissance, faire autrechose que de s'abmer dans la contemplationsolitaire de cet objet et rpter ternellement

    et uniquement le nom d'amour qu'il lui auradonn: r lan vitale, par exemple (i). On ne

    (1) Dans l'intuition spinoziste, par exemple, on ne voitpas facilement comment la connaissance d'un objet dansson essence particulire concide, comme le veut Spinoza,avec la connaissance de cet objet dans son rapport Vordre universel. C'est l de ces obscurits qui ne dispa-

    raissent que sous les doigts de certains commentateurs,outrageusement clairs.

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    36 LE BERGSONISME

    voit mme pas enquoi, s'il lui [Aaii ensuite d'ex-pliquer, le fait de ce pralable commerce mys-tique servira son pouvoir explicateur. Les sec-taires de l'Intuition le soutiennent pourtant, et

    que l'Intuition est la base ncessaire de toute

    Intellection. Qui ne voit qu'ils se plaisent ici prendre pour Intuition VIntellection confuse, la-quelle n'est pas du tout le refus de percevoirl'objet dans son rapport d'autres choses, maisest ce moment fbrile et brouillon oi l'on es-saye des rapports qu'on sent inadquats et qui,

    si souvent en effet, prcde l'tablissement d'un

    rapport juste ?

    On ne dira jamais assez la parfaite strilitde cette connaissance absolutiste et par quel

    soufflet au bon sens des hommes prtentioncognitive osent s'en rclamer. Prenons ce sai-sissant manifeste de James {Exprience reli-gieuse, p- 8) :

    Il est probable qu'un crabe se sentirait indigne-ment outrag s'il entendait avec quelle dsinvolturenous le classons une fois pour tontes parmi les crus-tacs. Vous vous trompez tout fait, dirait-il ; jesuis moi-mme, moi-mme, vous dis-je, et rien d'autre.

    J'admets que vous tes arriv, en mourant

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    LA METHODE : L INTUITION 37

    touteespce de

    catgorie,

    concider ,

    sym-pathiser avec ce crabe en tant qu'il est lui-

    mme, LUI-MME et rien d'autre. Qu'est-ce quevous tirerez de l ? Qu'est-ce que vous pourrezfaire d'autre, sans sortir de cette communion, que

    de psalmodier : Je suis lui-mme, je suis lui-mme ? Comment de cet objet noncerez-vousquelque science car vous ne renoncez pas lascience, vous dites seulement qu elle est mal faitequi ne soit prcisment connatre cet objet entant qu'il est autre chose que lui-mme? Pre-nons encore ce cri d'un de vos sides (Ph. Millet,Temps du 8 aot 1911) : Le premier mrite deJames, comme celui de Bergson, aura t denous rendre un monde en chair et en os (en-

    tendez le monde lui-mme et non plus vu tra-vers les catgories que l'entendement braque

    sur le rel) (1). Admettons encore cela: vousavez rejet toutes les catgories, tous les clas-

    sements, toutes les notions abstraites , tous

    les points de vue , toutes les traductions

    (1) L'article entier est stupfiant. On y lit : On ne s'taitgure avis avant eux (James et Bergson) d'une solutionpourtant simple. Si l'univers est inintelligible, la faute enest peut-tre la raison humaine et non lunivers... Que dites-vous de : On ne s'tait jamais avis ? Commesi Kant n'avait pas exist. Ces philosophes ont vraiment unbon public.

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    38 LE BERGSONISME

    du rel, et vous tes all au monde avec votreseul amour, et vous l'avez treint lai-mme,

    dans sa ralit et non dans ses aspects^vous le possdez dans sa vie mme en cequ'elle a prcisment d'irrductible l'ide

    claire, vous communiez avec cette vie, vous vi-vez de cette vie, vous tes cette vie... Voil quiest fait... Et puis aprs?... Ce n'est pas unpome qu'on vous demande et que vous avezpromis, c'est une philosophie : ce n'est pas unsentiment du monde, c'est une exptication ; cen'est pas ceux qui adorent que vous venez rem-placer, c'est ceux qui expliquent, et parce qu'ils

    expliquent mal ... Et expliquez donc avecvotre monde en chair et en os , expliquezdonc sans catgories. On vous attend.

    Je sais bien ce que vous inventerez : Soit:notre absolu n'explique rien par lui-mme ;mais c'est lui qui nous conduira de bonnesexplications, de bonnes catgories... En-core un de vos bons tours. Votre absolu nevous conduira aucune catgorie, ni bonne nimauvaise ; s'il doit vous arriver de trouver unecatgorie, ce sera, non point par suite de votreabsolu, mais par rupture d'avec lui. Votre crabe^qui se connat en tant qu'il est lui-mme et

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    LA MTHODE '. l' INTUITION 39

    rien d'autre que lui-mme , ne sera jamaisconduit par l se connatre comme crustacou autre genre; il lui faudra pour cela, commevous dites, un coup de gnie . Cela, parcequ'il faut pour passer d'une totalit indcom-

    posable d'une exprience intgrale auxparties qui la composent un hiatus du mmegenre que celui-l, que vous ne cessez de d-noncer, qu'il faut pour passer des parties la totalit. Mais cette rciprocit-l, vous ne

    voulez jamais la voir : toujours parce que vousne voulez pas voir que, vous tant mis dansl'Absolu, // faut y rester. Mauvais amants del'Absolu, qui voulez toujours tricher avec lui et

    le rendre utile (i).

    (1) Cette tricherie inspire tout le livre de Matire et m-moire : On veut de la perception totale ou connaissancede l'objet dans la totalit infinie et indcomposable de seslments tirer, par limilalion, par restriction, par stection,la perception utile , comme si du fait qu'on dclare laperception totale capable de limitation on n'y rintroduisaitpas l'attribut de quantit, sur l'exclusion duquel on a prci-

    sment fond toute sa dfinition... Cette critique dpasseM. Bergson ; elle atteint en somme tous les mtaphj'siciens,lesquels tous, dfinissant leur infini par l'exclusion dela limitabiiit, la rintroduisent subrepticement, les uns enparlant de 1' individuation du Genre , les autres des d-terminations de la Substance , les autres de 1' incarna-tion de Dieu ... Il est vrai que la fidlit l'Infini et sonessentielle strilit demande beaucoup de courage: rien n'est

    plus affreux que ce mot de Spinoza : L'Homme n'tait pasncessaire...

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    40 LE BERGSONISME

    Deuxime intuition. Il y a encore Vinventionintellectuelle, soit rintelligence en tant qu'elle

    forme des concepts nouveaux, qu'elle invente descatgories nouvi lies, par opposition ce queM. Bergson parat prendre pour de ["inertie in-tellectuelle^ soit l'Intelligence en tant qu'elle

    classe ce qu'elle trouve dans d'anciennes cat-gories toutes faites. (Rien voir, n'est-ce pas?avec la prc*iente intuition.) Cette invention

    intellectuelle est, parat-il, particulirement n-

    cessaire pour comprendre la vie. Mais coutonsle brillant mtaphysicien :

    L'ide que non s pourrions avoir crer de toutespices, pour un objet nouveau, un nouveau concept,

    peut-tre unenouvelle

    mthode de penser, nousr-

    pugne profondment. L'histoire de la philosophie estl cependant, qui nous montre l'ternel conflit dessystmes, l'impos^sibilit de faire entrer dfinitive-ment le rel dans ces vtements de confection quesont nos conc

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    LA METHODE '. L INTUITION 41

    choses. Platon fut le premier riger en thorie queconnatre le rel consiste lui trouver son Ide, c'est--dire le faire entrer dans un cadre prexistant quiserait dj notre disposition, comme si nous pos-sdions implicitement la science universelle. Maiscette croyance est naturelle l'intelligence humaine,

    toujours proccupe de savoir sous quelle anciennerubrique elle cataloguera n'imporie quel objet nou-veau, et l'on pourrait dire, en un certain sens, quenous naissons tous platoniciens.

    Nulle part l'impuissance de cette mthode ne s'taleaussi manifestement que dans les thories de la vie.Si, en voluant dans la direction des Vertbrs en g-nral, de l'homme et de l'intelligence en particulier,la vie a d abandonner en route bien des lmentsincompatibles avec ce mode particulier d'organisa-tion et les confier, comme nous le montrerons, d'autres lignes de dveloppement, c'est la totalit deces lments que nous devrons rechercher et fondreavec l'intelligence proprement dite, pour ressaisirla vraie nature de l'activit vitale. Nous y seronssans doute aids, d'ailleurs, par la frange de repr-sentation confuse qui entoure notre reprsentationdistincte, je veux dire intellectuelle : que peut trecette frange inutile, en effet, sinon la partie du prin-cipe voluant qui ne s'est pas rtrcie la formespciale de notre organisation et qui a pass en con-trebande ? C'est donc l que nous devrons aller cher-cher des indications pour dilater la forme intellec-

    tuelle de notre pense; c'est l que nous puiserons

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    42 LE BERGSONISME

    l'lan ncessaire pour nous hausser au-dessus denous-mmes. {v. crt., p. 52.)

    Outre l'intrt qu'il prsente pour faire com-prendre ce second tat de grce ncessaire la

    connaissance de la Vie, nous avons tenu citerce long passage comme un exemple de la coh-rence de pense de M. Bergson. Dans le pre-mier alina, qu'oppose-t-on la mthode des catgories prexistantes ? L'Intelligence for-

    mant de nouvelles catgories. Et dans le secondalina, qu'oppose-t-on la mme mthodel Une frange de reprsentation confuse , une par-tie du principe voluant qui ne s'est pas rtrcie

    la forme spciale de notre organisation ;

    c'est--dire, sans qu'on nous ait prvenus et alorsque tout le mouvement comporte qu il s'agit de lamme chose, quelque chose d'absolument diff-rent. Car enfin qu'est-ce qu'une frange de re-prsentation confuse , qu'est-ce qu'une partie

    du principe voluant qui ne s'est pas rtrcie la forme spciale de notre organisation , qu'est-

    ce que tout cela, si peu queje comprenne ce quea veut dire (nous verrons plus loin que a veutdire l'Instinct par opposition l'Intelligence),

    qu'est-ce que tout cela a voir avec l'invention

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    LA. METHODE : L

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    44 LE BERGSONISME

    de timbale qui clatent de loin en loin dans la sym-phonie. Notre attention se fixe sur eux parce qu'ilsl'intressent davantage, mais chacun d'eux est portpar la masse fluide de notre existence psychologiquetout entire. Chacun d'eux n'est que le point le mieuxclair d'une zone mouvante qui comprend tout ce

    que nous sentons, pensons, voulons, tout ce quenous sommes enfin un moment donn. C'est cettezone entire qui constitue, en ralit, notre tat (i).

    Avez-vous vu le tour de passe-passe ? Notre

    moi qui tait d'abord un changement continu une pente douce , par opposition aux mar-ches d'un escalier est devenu la fin duparagraphe tout ce que nous sommes un momentdonn, ce qui est tout autre chose. La loi est

    (1) On pourra aussi admirer la tenue des images (sansparler de leur beaut) propos de cette chose qui devienttour tour les marches d'un escalier , des coups detimbale et des points mieux clairs ... Ailleurs (p. 233)la dure met des btons dans les roues , et (p. 232) ladduction est tout de suite au bout de son rouleau ...La rputation d' artiste faite M. Bergson dans les mi-lieux littraires est une chose curieuse : on dirait que lesgens de lettres sont si reconnaissants un philosophe de faire de la littrature que subitement ils suspendent ensa faveur tous leurs critriums d'art; et, de fait, on lesvoit admirer alors des choses qui de tout autre les trou-veraient pleins de mpris. Combien je sais d'admirateurs der art de M. Bergson qui depuis longtemps auraientfait justice de cette vilaine matire verbale, de cette ima-gerie d'occasion, de cette priode amorphe, aussi d-nue de belles courbes que de belles artes, s'il nes'agissait pas d'un philosophe.

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    LA MTHODE : l' INTUITION )) 45

    vidente : on prend l'ide que la plume amneet on lche celle qu'on prsentait. C'est rigou-reusement le prsent inclin sur l'avenir. Onavance par chutes successives. On produit parfausses couches successives. Ou encore (c'est la

    mme chose, mais a sonne mieux) partats

    naissants. Comme Debussy, comme Maeterlinck.C'est la vie , nous dit-on, dans son a inces-sante mobilit , dans son perptuel inach-

    vement , etc., etc.. Soit. Mais l'uvre de

    M. Bergson veut-elle tre la vie ou une pensesur la viel Une imitation de la vie ou une expli-cation de la vie? Il faudrait pourtant s'entendre.

    Il est vrai que c'est justement ce qu'on ne veutpas(i).

    Toutefois ce style mobile triomphe pourd'autres causes : il enchante les princes de l'obli-que, les clercs de la pirouette, tous ceux quien quelque mode s'affranchissent de l'identit...Cependant que l'exaspration de l'honnte lec-

    teur qui s'acharne trouver un sens ces flui-

    (1) La vraie ide de ceux qui dfendent ce style, c'estqu'une pense sur la mobilit doit tre une mobilit. Parncessit, dit M. Rageot [loc. cit.), ce mtaphysicien del'coulement universel ne peut procder qu'en artiste (entendez : sans rigueur ). C'est comme si l'on disaitqu'une pense sur le bleu doit tre bleue.

    8.

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    46 I E BERGSONISME

    dites emplit de gaiet ces affranchis. Mais

    revenons l'Intuition.

    Que cette invention de catgories ne soit pasencore l'intuition annonce, cela est vident: elle

    est en effet minemment intellectuelle, et ellen'est en rien adapte spcialement au mobile:

    on invente aussi des catgories pour l'immo-bile. Quant ce qu'il y ait automatismeintellectuel pousser les phnomnes qu'ontrouve dans des rubriques prexistantes , onpeut se demander si le fait de dcouvrir qu'unechose apparemment particulire rentre dansune catgorie dj connue n'est pas une inven-iion aussi bien que l'invention d'une catgorie ;si, en d'autres termes, la dcouverte d'une res-

    semblance n'est pas unfait

    d'activit mentalet d'invention tout autant que la dcouverte

    d'une dissemblance. Mais on ne fera jamais

    admettre a une tte romantique... Au surplus,quand on pense que c'est cette manie de pous-

    ser les faits dans des catgories prexistantes

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    LA METHODE : L INTUITION 47

    risation dilectrique, on sourit du reproche destrilit qu'enveloppent visiblement les mprisde M. Bergson. Et puis l'on se demande, lorsqu'ilvient dire que la dure est une action , cequ'il fait d'autre que de pousser ce qu'il trouve

    dans unecatgorie prexistante.

    Troisime INTUITION. Une autre intuitionde M. Bergson, c'est la facult de trouver un sens(ou de retrouver un sens prconu) un ensemblede faits, par opposition l'acceptation brute de

    ces faits ou l'opration de les rpartir mca-niquement sous quelques tiquettes. C'est lasignification de cette intuition-l qui ressort, par

    exemple, du passage suivant {Introduction tamtaphysique, p. 53. Voir aussi 1' ElTort intel-

    lectuel Ti), Revue philosophique, janvier 1902) :

    Disons-le pour conclure : cette facult n'a rien demystrieux. Il n'est personne parmi nous qui n'aiteu occasion de l'exercer dans une certaine mesure.Quiconque s'est essay la composition littraire,

    parexemple, sait bien que, lorsque le sujet a t lon-guement tudi, tous les documents recueillis, toutesles notes prises, il faut, pour aborder le travail decomposition lui-mme, quelque chose de plus, uneffort, souvent trs pnible, pour se placer tout d'uncoup au cur mme du sujet et pour aller cher-cher aussi profondment que possible une impul-

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    48 LE BERGSONISME

    sion laquelle il n'y aura plus ensuite qu' se laisseraller.

    Notons en passant que ce qu'on omet de direici c'est que, cette impulsion une fois trou-

    ve, il faut revenir sur ces documents recueil-lis , sur ces notes prises et n'en conserver

    que ce qui se rapporte cette impulsion. C'estvisiblement ce que ne fait pas M. Bergson, ni telcrivain bergsonien ,

    Cette intuition -l c'est, si l'on veut, lacomprhension subjective ou introduction d'unevue personnelle par opposition la froide et

    objective considration des faits ; c'est l'inven-

    tion d'une thorie (en tant qu'une thorie est

    invention, uvre d'art) par opposition auxnomenclatures, etc.. Rien encored'inintellectuel

    dans cette intuition ni de spcialement adapt

    la mobilit. Notons toutefois avant de la quitter

    que cette intuition est particulirement chre

    aux Bergsoniens conciliateurs : c'est elle qu'ilscitent pour vous assurer que le Bergsonisme n'estpoint barbare, que son intuition est minemment base d'intelleclion, qu'elle suppose une longue

    camaraderie pralable (voir la suite du pas-

    sage cit) avec la connaissance rationnelle, etc..

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    LA METHODE: L INTUITION

    Le malheur c'est qu'il y a une autre intuition,parfaitement inintellectuelle, celle-l, et quec'est celle-l qui est la vraie (i).

    QuATmMEINTUITION. Cette intuition, c'estl'instinct, c'est le vouloir, c'est l'action, en tant

    que l'instinct n'est point connaissance, en tantqu'il n'est point langage, en tant qu'il est la con-

    tinuation mme de la vie organique. Voici despassages dcisifs :

    C'est sur la forme mme de la vie, au contraire,qu'est moul l'instinct. Tandis que l'intelligencetraite toutes choses mcaniquement, l'instinct pro-cde, si l'on peut parler ainsi, organiquement. Si laconscience qui sommeille en lui se rveillait, s'ils'intriorisait en connaissance aulieu de s'extrioriser

    en action, si nous savions l'interroger, et s'il pouvaitrpondre, il nous livrerait les secrets les plus intimesde la vie. Car il ne fait que continuer le travail parlequel la vie organise la matire, tel point que nousne saurions dire, comme on l'a montr bien souvent,

    (1) II y a encore bien d'autres intuitions : il y a parexemple cette intuition (Ev. crt., p. 230) qui sent une pro-prit (du triangle isocle par exemple) au lieu qu'elle ladmontre. [Intuition que les savants ont classe en tant quetelle et comme mode d'information bien avant l'invitationde M. Bergson : cf. E. Borel, Bvue mtaphys. et morale,nov. 1907 ; F. Klein, Confrences sur les mathmatiques, VI.]Rien voir, n'est-ce pas ? avec la connaissance absolutiste,

    ni avec l'invention d'une catgorie, ni avec l'aperceptiond'un sens un ensemble de faits...

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    50 LE BERGSONISME

    O l'organisation finit et o l'instinct commence.Quand le petit poulet brise sa coquille d'un coupde bec, il agit par instinct, et pourtant il se borne suivre le mouvement qui l'a port travers la vieembryonnaire. {volut. crt., nature de l'instinct,

    P- 179-)

    Et encore :

    Quelle que soit la force qui se traduit dans lagense du systme nerveux de la Chenille, nous nel'atteignons, avec nos yeux et notre intelligence, que

    comme une juxtaposition de nerfs et de centres ner-veux. II est vrai que nous en atteignons ainsi toutl'effet extrieur. Le Sphex, lui, n'en saisit sans douteque peu de chose, juste ce qui l'intresse; du moinsle saisit-il du dedans, tout autrement que par un pro-cessus de connaissance, par une intuition (reue plu-tt que reprsente) (i)qui ressemble sans doute cequi s'appelle chez nous sympathie divinatrice. {Id.,ibid., p. 190.)

    Et encore :

    (1) Plutt joue que pense, dira-t-on encore (pp. 158,196). Et encore, en cet amour pour la chose vcue et nonpense : Il faut revivre l'existence du personnage qui vousoccupe... concider avec elle ; en tre non pas un spectateur,mais un acteur. [Essai sur les donnes immdiates de laconscience, p. 144.) Vous avez enfin compris que le tempsne demande pas tre vu mais vcu. (/(/., p. 146.) Nousne pensons pas le temps rel ; nous le vivons. (Ev. crai.,p. 50.)

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    L.V MTHODE: L INTUITION 51

    L'instinct est sympathie (i). Si cette sympathiepouvait tendre son objet et aussi rflchir sur elle-

    mme, elle nous donnerait la clef des oprationsvitales, de mme que l'intelligence, dveloppe etredresse, nous introduit dans la matire. Car, nousne saurions trop le rpter, Tintelligence et l'instinct

    sont tourns dans deux sens opposs, celle-l versla matire inerte, celui-ci vers la vie. L'intelligence,

    par l'intermdiaire de la science qui est son uvre,nous livrera de plus en plus compltement le secretdes oprations physiques; de la vie elle ne nousapporte, et ne prtend d'ailleurs nous apporter,

    qu'une traduction en termes d'inertie. Elle tournetout autour, prenant, du dehors, le plus grand nombrepossible de vues sur cet objet qu'elle attire chez elle,au lieu d'entrer chez lui. Mais c'est l'intrieurmme de la vie que nous conduirait Vinfuition, jeveux dire l'instinct devenu dsintress, conscient delui-mme, capable de rflchir sur son objet et del'largir indfiniment. (Id., ibid., p. 191.)

    Cette fois-ci nous y sommes. Cette intuition-lestbienrintuition annonce : elleest bien inintei-

    lectuelle;et elle est bien adapte au mouvement,bien adapte au seul mouvement, elle semoulesur la forme mme de la vie , elle est ^ com-mensurable avec la vie, elle concide avec

    la vie, bien mieux ! elle est la vie... Reste

    (1) On ne dit plus intellectuelle .

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    52 LE BERGSONISME

    savoir maintenant comment une chose peut tre la fois la vie et connaissance de la u/e. Car enfinon nous a promis une connaissance de la vieet l'Instinct n'est pas connaissance de la vie,

    M. Bergson en convient : s il s'intriorisait en

    connaissance, autrement dit il ne le fait pas j*

    si nous pouvions l'interroger e/ s'il pouvait r-pondre, autrement dit il ne le peut pas. C'estl le tour de passe-passe excuter. C'est l que,

    si l'on russit, on sera videmment un penseur

    peu banal. Alors on invente que l'Instinct seretourne sur lui-mme , qu'il se tord sur lui-mme , qu'il se renverse , qu'il se con-tracte , qu'il se convuls , qu'il se violente ...

    M. Bergson sent bien que a ne passe pas facile-ment... Cela ne peut durer, dit-il, que quelquesinstants ... C'est une lampe presque teintequi ne se ranime que de loin en loin. . . On com-prend que les amis de M. Bergson exigent qu'onl'entende au lieu de le lire : il est certain qu'on

    n'a pas de trop de toutes les ressources du gesteet de toutes les sductions de la voix pour fairepasser de pareilles histoires.

    C'est amusant de voir l'effort de certains fidlespour effacer du brviaire bergsonien cet articlede rinstinct-connaissance, lequel videmment

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    LA METHODE *. L INTUITION 53

    leur semble lourd porter. 11 (M. Pierre Las-serre) tait effray par le danger que prsente lavulgarisation d'une doctrine dans laquelle il

    croyait trouver, entre autres paradoxes, la thse

    suivante : faire de Tinstinct le vritable instru-

    ment de la connaissance la plus haute. (G. So-^EL, r Indpendance, i''mai 1911.) Que dites-vousde croyait trouver aprs ce que nous venonsde citer? Dcidment leBergsonisme a peur desa barbarie... M. Sorel, faisant ensuite une dis-

    tinction entre l'instinct de l'animal (qu'il trouvedivin) et ce que le langage courant appelle lesinstincts de l'homme, dclare : Bergson n'ajamais suppos que les instincts de l'hommepussent nous fournir laplus haute connaissance.

    Bergson le suppose donc pour l'instinct de l'ani-mal ? Nous n'en demandons pas davantage. (Sur une mprise touchant l'intuition bergso-nienne^ voir la note G.)

    Nous ne voudrions point quitter cette intui-tion sans montrer l'tat d'esprit extraordinairequi est au fond d'une telle conception. Au fondde cette intuition qui est connaissance de la vie

    parce qu'elle est la vie, qui est connaissance dumouvement parce quelle est mouvement, il y a

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    54 LE BERGSONISME

    en effet les deux croyances suivantes proprementstupfiantes :

    i"!! yad'abordla croyance que la connaissanceest une chose capable de solidit, de fluidit, demobilit, ces mots tant pris dans un sens propre.

    Car ce n'est pas une mobilit mtaphorique,mais bien quelque mobilit relle cette mobilit(concepts fluides , plastiques , etc..)

    n raison de laquelle la connaissance intuitivepeut devenir , peut tre ce mouvement ex-

    trieur qu'elle veut connatre ; c'est bien quelquesolidit relle cette solidit (concepts soli-

    des, percepts solides , figs , immo-biles , etc..) en raison de laquelle la connais-

    sance intellectuelle est inapte se mouler sur

    ce mouvement, concider avec lui. Com-ment autrement expliquer que ce soit la con-naissance du mouvement, et non une autre, quisoit tenue d'tre mobile ? Pourquoi pas aussibien la connaissance de n'importe quoi ? Allez

    au fond de tout cela et vous serez forc de re-connatre que la connaissance du mouvementemprunte sa mobilit au mouvement dontelle est la connaissance... On croira nous con-fondre en rpondant qu'au contraire ce qu'on

    a voulu dire c'est que c'est le mouvement ex-

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    LA METHODE I L INTUITION 55

    trieur qui, lui, n'a pas d'autre mobilit quecelle de la connaissance (le mouvement est d'ordre psychologique ) : comme si cela n'taitpas toujours affirmer seulement en sens in-verse une affreuse identit entre le mouvementmatriel et l'ternel mystre qu'est le mouve-ment )) de connatre (i).

    Disons ce propos que, quelle que soit notreapplication, nous n'arrivons pas comprendrece que c'est qu'un concept fluide. Nous com-

    prenons trs bien ce que c'est que le conceptd'une fluidit, le concept d'une chose en train

    de changer, d'une chose se faisant ; mais cela,c'est un concept parfaitement rigide, parfai-tement dfini ; le concept ! indfini est un

    concept parfaitement dfini ; concept de toutpoint semblable ceux qu'attaque M. Bergsonet dont, par surcrot, on n'avait pas attendu leBergsonisme pour faire un ample usage... Veut-on parler d'un concept complexe, c'est--dire

    de la substitution d'une srie nuance de con-

    (1) C'est proprement identifier l'ide du mouvement et lemouvement. Comme si Vide du mouvement, en tant qu'onpeut la dire mouvement (comme n'importe quelle ide) etfaute d'un meilleur mot, ressemblait ce mouvement dontelle est l'ide. C'est prendre proprement des mtaphorespour des ralits... Le matre de penser de M. Bergson,c'est Victor Hugo.

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    56 LE BERGSONISME

    cepts un concept unique et trop simple ? Maiscela, ce n'est jamais qu'une srie de concepts rigi-

    des, avec lesquels, fussent-ils en nombre infini,on ne fera jamais du mouvement . Sans comp-ter que, pour dnoncer les concepts trop simples

    et rappeler la complexit des choses, l encoreon n'avait pas attendu M. Bergson... Veut-ondire enfin un concept capable de signifier, selonles besoins, des choses diverses ? C'est ce qu'il

    semble quand on nous parle d'un concept sou-

    ple , plastique , toujours prt se moulersur les formes de l'intuition ; mais cela, c'estune quivoque, c'est--dire exactement le con-traire d'un concept... Aprs tout, c'est peut-trebien cela qu'on veut dire...

    2** La seconde croyance c'est que la connais-sance peut tre commensarable avec son objet.Car enfin, dire que la connaissance intellectuellede la vie est incommensurable la vie, c'estbien dire que la connaissance inintellectuelle ou

    intuitive lui est, elle, commensurable... On de-meure interdit devant cette connaissance quiprsente avec son objet quelque communaut denature. Invinciblement des refrains nous revien-nent de ceux qui au grand sicle nous apprirent penser : Le cercle est une chose; l'ide du

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    LA MTHODE : L INTUITION 57

    cercle est une autre chose, qui n'a pas de centreni de priphrie. Mais il ne s'agit pas d'ide,nous crie-t-on, il s'agit d'intuition. Eh bien, l,vraiment, nous croyons que Yintuition du cercle,elle nonplus, n'a pasdecentreni de priphrie (i).

    Oii cette extraordinaire croyance la com-mensurabilit de la connaissance avec son objet

    clate magnifiquement, c'est en ces mille pas-

    sages o M. Bergson refuse l'Intelligence deconnatre la vie parce quelle nest elle-mme

    qu'un produit partiel de la vie. Se reprsenterl'ensemble de la vie ne peut pas consister combiner entre elles des ides simples dposesen nous par la vie elle-mme au cours de sonvolution : comment la partie quivaudrait-elleau tout, le contenu au contenant, etc.. {v.crt., p. 53. Voir aussi p. 1 14, etpassim...) Oncroit rver. Qu'est-ce que c'est que cette relationde tout partie qu'on tablit entre la connais-

    (1) Il est vident qu'on n'chappe pas en rpondant queles objets n'existent pas en eux-mmes, qu'ils n'existentprcisment qu'en tant qu'ides, en tant qu'images, ditMatire et mmoire. Nous en serons quittes pour transposerla formule du mode raliste dans le mode idaliste : au lieude dire le cercle est une chose, l'ide du cercle est uneautre chose , nous dirons le cercle est une image, l'idedu cercle est une autre image . Que ce soit parmi leschoses ou parmi les images, il faudra bien que le cercle etl'ide du cercle soient d'ordre diffrent.

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    58 LE BERGSONISME

    sance de la vie et la vie ? Qu'est-ce que c'est quecette quivalence qu'on rclame entre l'une

    et l'autre comme entre une table et un mtre demenuisier? Et alors, quoi? L'Intelligence est quivalente aux phnomnes astronomiques,

    desquels M. Bergson lui permet de connatre?Elle est quivalente aux phnomnes phy-siques? Aux phnomnes chimiques? En vrit,nous avions dj Spencer pour croire que laconnaissance est une adaptation de l'interne

    l'externe.. . Mais que penser de ces catholiquesqui viennent se faire ondoyer par cet affreuxmatrialiste ?

    Enfin nous ferons remarquer que cette intui-tion qui est connaissance de la vie parce qu'elle

    est la vie, apporte dans ses plis l'affirmationsuivante : C'est en devenant la vie que l'oncomprend la vie (i). Nous ne nous arrteronspas dvelopper qu'aux termes de cette croyance

    c'est les apaches qui devraient faire les traits

    de biologie et les filles publiques les traits surl'amour; non plus qu' rappeler quel terneltonnement c'est de voir combien ceux-l qui

    (1) James le dit formellement {Exp. relig., p. 408) : Celui-l seul possde la vie que la vie possde. Qui nevoit qu'il y a l un affreux calembour sur le mot possder ?

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    LA METHODE : L INTUITION 59

    ont le plus exerc la vie la vie amoureuse,par exemple n'en ont gnralement rien com-pris et combien ceux qui en ont compris quelquechose (Spinoza, Stendhal, Balzac) l'ont relative-

    ment peu exerce (i). Nous ferons observer seu-

    lement quel attrait devait tre une telle philoso-phie pour une socit qui entend ne point fairel'effort de comprendre, jouir violemment de lavie, et toucher en mme temps les avantagesqui, quoi qu'elle en dise, continuent de s'attacher

    au renom de l'intellection... Toutefois le succsde ITntuitionisme tient des causes plus grosses.Il tient d'abord ce qu'il institue le primat dusentiment sur l'ide, du fminin sur le viril, dutrouble sur le svre, du musical sur le plas-

    tique. (De ce point de vue la gloire de M. Berg-son est le mme fait que celle de M. Bataille.)Il tient surtout ce qu'il proclame la suprioritdu vagissement sur la parole, du ttonnementsur la matrise, de l'esprit qui se cherche sur

    l'esprit qui se possde : on conoit que des

    (1) Plus prcisment : combien ceux qui ont comprisquelque chose l'amour se sont, en tant qu'ils s'appli-quaient le comprendre, abstenus de l'exercer. Soit cettevrit peu subtile, mais que toute l'esthtique modernenous conteste, que la comprhension d'un sentiment est,en tant que comprhension, extrieure l'exercice de cesentiment.

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    60 LE BERGSONISME

    docteurs brouillons, des bardes embourbs, despotesses mobiles, que tous les incapablesd'une pense possde se soient rus au triomphe

    d'une philosophie qui rige leur inquitude en

    sommet esthtique et leur jette en pture l'es-

    prit matre de lui. Tous ces gens-l n'avaientpour eux que des pontifes de ruelle ou desarchontes d'estaminet. Ils ont maintenant un philosophe ! Ils n'ont jamais t pareille

    fte.

    Nous ne saurions laisser cette intuition sansrelever le propos cent fois tenu par M. Bergsonque c'est par cette intuition que valent les grandsphilosophes, les Descartes, les Spinoza, les

    Leibniz, par les moments o ils dlaissrent enfaveur d'elle la pense conceptuelle, par ces pousses d'intuition qui font craquer tous leurs

    systmes , etc., etc.. Notons d'abord ce qu'il

    y a de comique vouloir que les auteurs des

    plus belles synthses qu'on ait encoie produitesvaillent par leurs digressions, par leurs inci-

    dentes, par leurs parenthses; que les auteursde magnifiques cathdrales vaillent par quelques

    couloirs ou quelques dgagements (ainsi cer-

    tains esthtes veulent que l'auteur des Matres

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    LA METHODE : L INTUITION 61

    Chanteurs et de la Ttralogie vaille par

    quelques mesures fugitives , o il oublia

    son systme ) ; et vouloir aussi que les pen-seurs les plus admirablement rflchis et les

    plus videmment conscients qu'on ait vus soientgrands par les moments o ils n'auraient passu ce qu'ils faisaient, par leurs moments d' ins-tinct (i). Admirons en tout cela le soin de cepetit homme de rduire les plus grands sataille; admirons le soin de cette femme de fmi-niser les plus virils (2). Toutefois prenonsquelques-unes de ces pousses d'intuition :

    les scholies d'un Spinoza, par exemple, ou ses

    (1) Bien mieux, soient grands par cette partie de leur

    pensequ'ils

    n'ont pas su exprimer. Car apprenez qu'aucunpenseur n'a su mettre la main surcequila vraiment vouludire. En ce point (o se ramasse la pense du philo-sophe) est quelque chose de si simple, de si extraordinai-rement simple que le philosophe n'a jamais russi ledire. (Bergson,

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    62 LE BERGSONISME

    lettres, ou les digressions d'un Descartes, oucelles d'un Leibniz, ou tout ce qu'on voudra deces philosophes qui fait craquer leurs sys-

    tmes. J'avoue que j'ai beau me mettre la tte l'envers, je ne vois pas en quoi il a fallu, pourtrouver

    ces choses-l, violenter la

    conscience, tordre le vouloir sur lui-mme, rompre avecle concept, rompre avec le percept, inverserla connaissance, mourir aux murs intellec-tuelles. Il me semble qu'il a fallu au contraire

    et tout simplement tre trs intelligent.Et alors on se demande si ce que M. Bergson

    appelle Intuition, ce n'est pas tout simplementl'Intelligence, en tant qu'elle est pntration,

    invention, cration, personnalit l'Intelligenceenfin

    , par opposition une espce de fonc-tionnement bureaucratique de l'esprit clas-sement de faits, dressage de fiches, applica-tions de rgles , ou encore une espce de r-ceptivit scolaire ou de purile constructivit,

    ou autres bas ouvrages qu'il plat aux Bergso-niens d'appeler Intelligence pour les besoins de

    est remarquable ici, c'est le dsir qu'on a qu'il le soit, c'estla joie qu'on a de le constater... Au fond de cette joie il y ala haine trs chrtienne de la possession de l'esprit parlui-mme, et la religion trs romantique de l'Inconscient.

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    LA METHODE : L INTUITION 68

    leur thse, mais qu'aucune personne autorise

    n'a jamais appel de ce nom. 11 est clair que sion appelle Intuition ce que nous appelons Intel-

    ligence et Intelligence ce que nous appelons

    sottise, le cas de l'Intelligence est mauvais...

    On nous dit que c'est ce fonctionnement bureau-cratique de l'esprit ce que les sociologues

    appellent l'Intelligence. Mais alors qu'on dise :

    M. Bergson a ruin ce que les sociologues ap-pellent l'Intelligence. Qu'on ne dise pas : il aruin l'Intelligence. On conviendra que c'estmoins grave (i).

    Plus gnralement, admirons cette manuvredes ennemis de l'Intelligence de bloquer l'In-telligence dans ses basses fonctions discursives

    et de dcrter qu'en ses formes suprieures elle

    n'est plus de Tlntelligence. Comme si l'Intel-ligence vive n'tait pas de l'Intelligence. Commesi le concept rf/rec? n'tait pas du concept. Commesi l'esprit intuitif n'tait pas de l'esprit ? Et

    (1) L'impression profonde la catastrophe intrieure produite par M. Bergson dans tant de cerveaux tienttrs souvent ce qu'ils avaient pralablement cette con-ception toute statique de l'Intelligence : il est clair quequand on a cru jusqu' vingt-cinq ans que toute l'In-telligence consiste raisonner, grouper et diviser, laparole de M. Bergson est une rvlation. Cela expliquerait

    pourquoi parmices rvls il

    ya tant de profesiseurs.

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    64 LE BERGSONISME

    qu'est-ce donc alors ?... Est-ce que nous allonstre dupes des mtaphores ? Est-ce que I'k Intel-ligence en action est une action ? Est-ce quele concept en mouvement est un mouve-ment? Est-ce que le sentiment de l'esprit est un sentiment?

    Enfin, remarquons la volont qu'ils ont deconfondre avec ce fonctionnement bureaucra-tique de l'esprit, avec cette mort de l'esprit, lapuissance synthtique de l'esprit. A tout ins-tant, l'on dit que les penseurs, en sortant deleurs systmes , reviennent par l la penseen action, la connaissance vive, l'intelligence

    en mouvement. On a bien soin de ne pas dis-tinguer entre les systmes ... Comme sitous les systmes taient des jeux de mandarin !Comme si les systmes d'un Spinoza, d'unComte ou d'un Wagner voire d'un Taine oud'un Brunetire n'taient pas, et en tant quesystmes, de la pense en action, de la crbra-

    tion vive, de l'intelligence pass/onne/Ze !Commesi pense vivante voulait dire pense courte !

    Comme si la formation d'un tre organis n'taitpas vie autant que celle d'un protozoaire!...Mais on ne fera jamais admettre a des pro-

    tozoaires.

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    LA MTHODE : L INTUITION ^^ 6S

    Et remarquons leur manie d'opposer la con-

    naissance vive la connaissance de l'abstrait.

    Comme si la connaissance vive d'une chose abs-traite, a n'existait pas. Comme s'il n'y avaitpas des esprits qui s'installent dans l'abs-

    trait au lieu de tourner autour , tout commed'autres font pour le concret, qui le vivent , qui

    en jouissent, qui s'unissent lui dans son tre

    indcomposable (i). Mais on ne fera jamais

    comprendre cela des visuels , des gens quela moindre abstraction ennuie, ces esprits

    fins qui ne sont que fins et ne peuvent avoir la

    patience de descendre jusqu'aux premiers prin-

    cipes des choses spculatives et d'imagination,

    qu'ils n'ont jamais vues dans le monde et dansl'usage .

    Enfin nous voudrions encore examiner deuxautres prtentions de l'Intuition. La premire,c'est la prtention qu'elle a, parce qu'elle con-

    natrait les choses dans leur mobilit , de

    (1) Quand on causait avec M. Hermite, jamais il n'vo-quait une image sensiile, et pourtant vous vous aperceviezbientt que les entits les plus abstraites taient pour luicomme des tres vivants. Il ne les voyait pas, mais il sen-tait qu'elles ne sont pas un simple assemblage artificiel, etqu'elles ont je ne sais quel principe d'unit interne. (H. PoiNCAR, la Valeur de la science, p. 32.)

    4.

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    les connatre dans leur ralit . La relati-vit de la connaissance ne serait donc pas dfi-nitive. .. N'eus rtablirions l'Intuition dans sapuret premire et nous reprendrions contactavec le rel... etc. Et encore: Les philoso-phies chappent la critique kantienne (c'est--dire cessent d'tre relativistes) dans la mesureo elles sont intuitives. Et encore : Est rela-tive la connaissance symbolique par conceptsprexistants qui va du fixe au mouvant, maisnon pas la connaissance intuitive qui s'installedans le mouvant et adopte la vie mme deschoses. Cette intuition atteint l'absolu. Cela,

    ce n'est pas l'un des moindres attraits de ladoctrine: on va toucher de l'Absolu!... Or, ad-mettons que vous tes arrivs connatre leschoses dans leur mobilit . Comment con-natrez-vous cette mobilit, sinon travers

    votre esprit (devenu Intuition, c'est entendu) ?

    En quoi la connatrez-vous comme ralit ?Et si notre Intelligence dforme la raliten l'immobilisant, qu'est-ce qui vous dit quevotre Intuition ne la dforme pas en la mo-bilisant? Que savez-vous de la ralit, que savez-vous des lignes intrieures de la structuredes choses , et par quelle grossire rification

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    LA METHODE : L (( INTUITION 67

    des concepts venez-vous lui essayer vos cat"gories mentales d'immobile ou de mobile ? Vousnous direz que c'est nous les ralistes, quiparaissons croire une ralit hors de la con-naissance ; que la ralit ne saurait tre qu'uneconnaissance. Soit ; mais alors pourquoi pluttla vtre que la ntre ?

    L'autre prtention , c'est que par l'Intuition l'ons'lve au-dessus de l'tat d'homme, on trans-cende la condition humaine. Ce qui revient dire (et d'ailleurs on le dit) que la connaissancehumaine, dans ce qu'elle a de proprement hu-main et dont elle est si fire Tlntelligence(en particulier le concept, le principe d'identit)est dans l'histoire de la Connaissance nonpas un terme suprieur, mais plutt un arrt,un accident, un recul (i), et que l'Hommes'lve, non pas en cultivant ce mode propre-ment humain, mais au contraire en en sortant eten accdant un mode qu'il partage avec lesautres espces (l'action du petit poulet qui brisesa coquille). Cela, c'est toute une table de valeurs,

    (1) On ne cesse dans cette Philosophie d'humilier l'Intel-ligence, qu'on veut voir lie exclusivement nos besoins pratiques , utilitaires , corporels , infrieurs ...C'est l'Intuition, parait-il, c'est 1" action qui est dsin-tresse .

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    toute une thorie du Surhomme. Peu neuveassurment, mais que M. Bergson, dans la morale qu'il prpare, saura certainementassaisonner d'images et habiller de semblantsscientifiques. On peut prdire le plus violent

    succs une morale qui compte comme clientsassurs tous ceux qui veulent humilier l'Homme,soit qu'ils veuillent l'asservir, soit qu'ils veuil-

    lent se venger de n'avoir pu atteindre cetteforme du connatre qui fait sa caractristique et

    son honneur (i).

    (1) Dans une rcente brochure {la Perception du changement, M. Bergson dclare qu'il existe au moins une classede ces privilgis qui se meuvent dans la perceptionpure, non souille par ces limitations , par ces dfor-mations qu'implique l'Intelligence : ce sont les artistes ;ceux-l ne s'occupent, parait-il, qu' largir leur per-ception, sans chercher s'lever au-dessus d'elle (loc.cit., p. 7 sqq)... On renonce discuter devant de tels propos.Comme si l'artiste n'tait pas par excellence celui qui d-forme sa perception (mme largie ) ; qui l'ordonne, quiy fait un choix, qui lui impose un sens ; comme si celuiqui donne sa perception telle quelle, sans ordre, sans choix,sans s'lever au-dessus d'elle , n'tait pas, de l'aveumme de ceux qui l'en louent, le contraire d'un artiste !...Plus loin {id., p. 13) on nous dit que l'artiste est celui quiperoit pour percevoir pour rien, pour le plaisir .Comme si celui-l n'tait pas un dilettante, c'est--dire exac-tement le contraire dun artiste !... C'est toujours la mmeimpuissance distinguer entre la fluidification de l'tre etl'acte crateur.

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    III. LESRESULTATS

    Mais laissons la mthode, ou plutt voyons-la dans ses rsultats. Aussi bien M. Bergson

    nousavertit

    que, prise en elle-mme, elle estincomprhensible et qu'il faut se dcider l'ap-pliquer sans la comprendre... {v. crai., pp. 211

    sqq.). Nous examinerons les deux principauxrsultats les deux principales connaissancesd'une mobilit qu'apporte M. Bergson:la perception du moi dans sa mobilit (ou du-re ) et la signification de l'Evolution .

    1" Perception du moi dans sa mobililou perception de la dure .

    Qu'est-ce que c'est que ce moi dans sa mobi-lit ou dure ? C'est, comme toujours avecM. Bergson, sous un seul et mme mot, deschoses fort diffrentes. Toutefois ces choses se

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    ramnent assez bien celles que nous avonsdistingues plus haut : la Force et la Continuit.

    La dure , c'est d'abord le moi en tantqu'il est une force, en tant qu'il est une actionet non pas une chose , une ralit irrduc-tible l'espace immobile , un ressort , une tension , une pousse , un dynamismeinterne , etc.. Que le moi soit une force,tout le monde l'accordera. C'est mme une vritpeuneuve. Leibniz l'a jete dans le monde savantet on peut dire que Maine de Biran l'a fait passerdans le domaine public. Mais