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  • 1Dabord, ils nieront la choseEnsuite, ils la minimiserontEnfin, ils diront que cela se savaitdepuis longtemps.

    Alexandre von Humboldt

    COMIT DE RDACTION :ivan verheyden, rdacteur en chefpatrick ferryn, secrtaire de rdactionjacques gossart, jean-claude mahieuAVEC LA COLLABORATION DE :jean-marc blot, jean-claude berck, jacques bury,michel dethier, jean faucounau, danielle fitzenz,marcelle gerday, josiane misson, jacques scornauxCHANGES AVEC LES REVUES :archaeoastronomy (john b. carlson, tats-unis)fortean times (bob rickard, grande-bretagne)griffith observer (edwin c. krupp, tats-unis)neara (roslyn strong, tats-unis)pre-columbiana (stephen c. jett, tats-unis)science frontiers (william r. corliss, tats-unis)MAQUETTE DE GRARD DEUQUET

    Au sommaireentre mythologie et archologie : les origines de la chine, Jacques Gossart

    I. de la chine lgendaire la chine historique les premiers historiens, les premires uvres . . X les belles histoires de loncle guo . . . . . . . . . . . X une prhistoire qui se dvoile. . . . . . . . . . . . . . X le creuset du nolithique . . . . . . . . . . . . . . . . . X

    II. les xia, pres fondateurs et les shang, presfondeurs

    les xia entrent dans lhistoire . . . . . . . . . . . . . . X le miracle shang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X les dessous des pyramides. . . . . . . . . . . . . . . . . X

    les cousins damrique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . X

    III. sciences et techniques des premierschinois

    lebi, ses frres et ses cousins . . . . . . . . . . . . . . . X lastronomie, science trs vnrable . . . . . . . . . X le jade immortel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X bronzes dici ou dailleurs ? . . . . . . . . . . . . . . . X de la divination lcriture . . . . . . . . . . . . . . . X

    IV. un autre regard X

  • 2a la recherche

    de kadath

    LE TEMPS DES SYNTHSESIl y a plusieurs annes dj que KADATH a dans ses cartons un vaste projet, savoir la ralisation de dossiersde synthse, bass sur des articles relatifs un mme thme parus dans la revue. Lobjectif est la fois simpleet ambitieux : il sagit de donner au lecteur une vision densemble du thme considr, qui na le plus sou-vent t abord que dans le cadre darticles ponctuels sur un aspect particulier. Pour reprendre une imageaussi cule quexplicite, le but est de passer de ltude prcise de certains arbres une description plus syn-thtique, sinon de la fort tout entire, du moins dune partie significative de celle-ci. On pourrait mobjecterque ce type dentreprise a un petit got de rchauff. Naurions-nous plus rien de neuf dire, quil nous faillealler fouiller nos archives pour faire du neuf avec du vieux ? Bien sr, nous nen sommes pas l, tant senfaut. Si cette ide de synthse a germ au sein de notre comit de rdaction, cest parce quelle rpond unrel besoin. Elle permet tout dabord ceux de nos lecteurs la majorit vrai dire qui ne disposent pas dela collection complte de KADATH, davoir au moins un aperu des sujets traits. En soi, cest dj une raisonlargement suffisante. Mais il y a plus ; car en dix, vingt ou parfois trente ans, les choses voluent, les dcou-vertes saccumulent, de nouveaux lments viennent complter ou modifier la perception que lon avait lpoque. Ces dossiers de synthse sont donc aussi une excellente occasion dactualiser des sujets abords un moment ou un autre de la vie de KADATH, parfois dans les tout premiers numros, et dlaisss par lasuite pour diverses raisons. Il ne sagit donc pas dune simple reprise de textes anciens plus ou moins rsu-ms, mais dune vritable mise jour qui tient compte de lvolution des connaissances dans le domaineconsidr, cest--dire des nouvelles dcouvertes et des nouvelles hypothses labores depuis la parutiondu dernier article. Plusieurs dossiers de ce type ont ainsi t publis dans la revue. Que lon songe entre au-tres au cahier Pyramides chinoises paru dans le numro 98, ou encore au dossier Glozel du numro 96,bel exemple (ceci en toute modestie puisque jen suis lauteur) dun sujet la fois rsum et recadr en fonc-tion des nouvelles dcouvertes.

    Mme sil nest pas que cela, ce spcial Origines de la Chine relve donc galement de cet exercice desynthse. En effet, en dehors du thme principal, savoir les premiers temps de la civilisation chinoise exa-mins du double point de vue de larchologie et des lgendes, on y abordera un certain nombre de sujetsdj traits dans KADATH, en rapport avec les premiers pas de cette civilisation. En vrit, je naurais pumen dispenser mme si je lavais voulu. Car comment parler des dbuts de la Chine sans revenir sur desnigmes telles le fameux disque bi ou certaines connaissances techniques et scientifiques ? Mais nonobstantcette fonction synthtique, ce numro na certainement pas pour ambition dtre exhaustif, et sa nature re-lve plutt de lessai. Dailleurs, dans certains cas, des sujets ayant fait lobjet dans le pass de longs articles,ne sont ici voqus quen tant qulments de dmonstration. Je ne peux donc que convier le lecteur lire ou relire les articles consacrs la Chine, dont lintgrale est reprise en encadr ci-aprs. Par ailleurs, il fauttre lucide : partir du moment o lon admet que la subjectivit nest jamais absente dun travail caractrescientifique, et ce en dpit des efforts de son auteur pour tendre limpartialit, on doit considrer que, quelquen soit le sujet, les synthses peuvent prendre une coloration diffrente de celle des textes de dpart. Cestcertainement vrai aussi pour le prsent dossier, chacun gotant les saveurs de la Chine sa faon. Commepourrait le dire quelque vieux sage entre deux gorges de th, le riz du soir na pas le mme got dans labouche dun lettr de Beijing ou dans celle dun paysan de Yangshuo.

    JACQUES GOSSART

  • 3Articles sur la Chine parus dans KADATH.

    Sont regroups dans ce tableau tous les articles parus dans la revue, relatifs la Chine au sens trslarge, ainsi que des textes portant sur dautres sujets mais qui font rfrence la Chine dans le corpsde la dmonstration. Ces titres sont par ailleurs repris dans la bibliographie gnrale en fin denumro.

    Illustrations de couverture : lEmpereur Jaune Huang Di et une statuette nolithique en jade (culturede Longshan).

    N Titre

    12Les boucles du gnral Chou-Chu Quelques anciennes thories sur lorigine de la Chine Les ultimes demeures des Fils du Ciel

    13 Races extracontinentales en Msoamrique Le disque pi : jade astronomique

    15 Bayan-Khara Uula : le chien qui se mord la queue

    17 Jade et immortalit dans lEmpire du Milieu Mgalithes oublis de Core

    20 Encore un jade astronomique inconnu : le tou-Kuei

    23 Enqute sur les contacts transpacifiques (1)

    25Le fragment M-160 : la boussole olmque avant les Chinois ? Enqute sur les contactstranspacifiques (2)

    27 Mystrieux Tibet (1)

    28 Mystrieux Tibet (2)

    31 Le long voyage du caduce

    38 La Thalande avant lhistoire

    52 Le fong-shui : tellurisme et gographie sacre

    57 Uranologie : la dcouverte dune Chine archi-millnaire

    61Le disque p : jade astronomique (rdition n 13) Des disques p vraiment astronomi-ques ? En cause : les textes, ltymologie et la gomtrie

    74Le lapin dans la mythologie mexicaine et ailleurs Le lapin msoamricain sur la lune :une influence de la Chine des Han ?

    76 Faut-il largir lhorizon culturel olmque ?

    86 Contacts transpacifiques au travers des crits chinois

    92 La dynastie chinoise des Shang et lnigme des origines olmques

    96 Un peuple en kilt sous les sables dAsie centrale : les momies drmchi

    98 La pyramide blanche au cur de la Chine Les demeures dternit des Fils du Ciel

    101 Dossier Contacts transocaniques, un tat de la question. Ltat actuel des preuves

  • Entre mythologie et archologie :les origines de la Chine

    I. DE LA CHINE LGENDAIRE LACHINE HISTORIQUE

    Vers lest coule le grand fleuve dont les ondes ont emport tant de hros de lancien monde. (Su Shi, pote du XIe sicle)

    Lorsquon parle de lhistoire de la Chine, cest g-nralement pour voquer, et parfois invoquer, lesgrands personnages et les clbres dynasties quiont marqu la civilisation de cet immense pays.Laozi (Lao Tseu) et Kongfuzi (Confucius) ; le pre-mier empereur Qin Shi Huang Di et son arme deterre cuite ; la puissante dynastie des Han ; l-poque fastueuse des Tang ; les Ming et la Cit in-terdite ; le dernier empereur Xuantong, plus connusous le nom de Puyi ; la Longue Marche des trou-pes de Mao Zedong. Certes, cest cela lhistoire dela Chine ; mais ce nest pas que cela. A lpoque deKongfuzi, la civilisation chinoise a dj un longpass derrire elle. Mais lorsquon se penche surces premiers temps de la Chine, on se heurte uncertain nombre de difficults qui vont croissant mesure que lon remonte le temps. La dynastie desZhou est encore assez bien connue ; celle desShang lest dj moins. Les choses vraiment s-rieuses commencent avec la dynastie prcdentedite des Xia car, petit petit, on quitte le domainede lhistoire pour celui du mythe. On retrouve cer-tes le nom des Xia dans de nombreux textes, quilsagisse de contes populaires ou de travaux dhis-toriographes. Mais se pose alors la question :quelle est la part de ralit historique de ces tex-tes ? Quest-ce qui relve de la fable ou du rcit defiction des fins philosophiques ? Dun point devue archologique, nous sommes la fin du Noli-thique. Les fouilles ont certes fait grandement pro-gresser les connaissances relatives cette priode.Encore faut-il pouvoir mettre en parallle toutes

    les donnes disponibles : dabord les tmoins ob-jectifs que sont les produits des fouilles, ensuiteles rcits mythologiques et enfin les uvres dehistoriographes. Cest en comparant tous ces l-ments selon une mthode maintenant familireaux lecteurs de KADATH, en les mettant en pers-pective les uns par rapport aux autres, que lonpeut esprer reconstituer, au moins partiellement,ce qui sest pass au tout dbut de lhistoire de laChine. On pourra mobjecter que cette problma-tique nest pas propre ltude de lhistoire chi-noise. Lorigine de toutes les grandes civilisationsse dissimule pareillement derrire lcran des my-thes et des lgendes. Mais pour qui sintresse deprs laube des civilisations anciennes et plusprcisment aux mystres qui y sont lis, la diff-rence saute immdiatement aux yeux : alors queles ouvrages contemporains consacrs aux pre-miers temps de lEgypte ou de certaines civilisa-tions prcolombiennes sont nombreux, peu dechoses sont dites sur les problmes lis aux dbutsde la civilisation chinoise. Il faut bien ladmettre :les mystres chinois ne retiennent gure latten-tion des chasseurs dnigmes archologiques, toutoccups quils sont tudier les pyramides de Gi-zeh, les pistes de Nazca ou les statues de lle dePques. Il va de soi quil ny a nulle critique danscette remarque. Jai moi-mme pass suffisam-ment de temps tourner autour de la Grande Pyra-mide pour me dispenser de tout jugement quant auchoix dun sujet dtude. Je constate simplementla carence en matire de recherches dans le do-

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    reactivationarcheologique

  • maine chinois, pourtant riche en sujets qui fchentet divisent les spcialistes, quil sagisse de lori-gine de la civilisation chinoise la plus longue ci-vilisation continue au monde (1) , de ses vastesconnaissances scientifiques ou des inventions sur-prenantes qui lui sont attribues. Cest presque legrand silence radio. Je le rpte, dans le domainequi est celui de notre revue, peu de choses ont tdites sur ces sujets si ce nest dans KADATH vi-demment.

    Nous voici donc sur le point de partir la dcou-verte des origines de la Chine. Je dis bien des ori-gines et non de lorigine. Pourquoi ce pluriel ?Dabord parce que, nous le verrons, la constitutionde la civilisation que lon appellera chinoise nesest pas faite partir dun seul et unique noyau.Origines plurielles donc, qui navaient gure tperues par les premires gnrations de sinolo-gues. Ensuite, ltude de cette civilisation nais-sante passe ncessairement par lexamen de sescomposants les plus caractristiques, dont chaque fois il convient de rechercher la prove-nance. Car lorigine de lcriture nest pas lamme que celle du bronze ; le travail du jade et laculture du riz nont pas vu le jour dans le mmevillage ; les coutumes tribales pr-dynastiques dif-frent dune culture lautre. Origines plurielles laussi. Fort bien mais en dfinitive, quest-ceque la Chine ? Gographiquement parlant, o laChine commence-t-elle ? O finit-elle ? Pour safrontire orientale, nous navons gure de pro-blme : elle est et a toujours t limite par lo-can Pacifique, et plus prcisment par la merJaune et la mer de Chine. Pour ses autres fronti-res, la rponse varie selon les poques. Les limitesde lespace chinois, et plus spcialement de lem-pire chinois, se sont considrablement dplacesau cours de lhistoire, poussant certaines po-ques jusquen Asie centrale (en passant par le Ti-bet, si controvers aujourdhui en tant que partiede la Chine), et incluant pendant de longues prio-des des pays aujourdhui indpendants tels le Viet-nam ou la Core, pour ne pas parler du Japon, pro-fondment influenc par son grand voisin dont ila, entre autres emprunts, adopt lcriture. Il y a laChine et puis, bien sr, il y a les Chinois. Ici aus-si, la dfinition de ce que sont les Chinois est trsloigne du monolithisme que lon imagine enOccident. Car sur ce territoire immense vivent etont toujours vcu des groupes humains trs diff-rents dans leur genre de vie et leur culture, groupesque lon ne peut mieux caractriser que par leurlangue : Turco-Mongols, Tibto-Birmans, Co-rens, Japonais, Khmers, Malais et, bien sr, Chi-nois proprement dits ou Han, dont lunit linguis-tique nest dailleurs pas si vidente. Dslorigine, la Chine est donc constitue dune mo-saque de peuples qui voluent dans un constant

    contexte dchanges et de conqutes pacifiquesautant que guerrires.Je dois, pour en terminer avec ce prologue, diredeux mots de la transcription des mots chinois.Bien quil nexiste plus quun seul systme offi-ciellement reconnu au niveau international le pi-nyin , on trouve encore dans de nombreux livres,mme rcents, des transcriptions bases sur dau-tres systmes. Cette situation ne simplifie pas leschoses pour qui entreprend un travail de compa-raison avec, par exemple, les articles dj parusdans KADATH. Quant moi, je me suis conformaux seules rgles du pinyin, car il et t vraimenttrs fastidieux de mlanger les systmes en fonc-tion de lusage (sauf dans les rfrences bibliogra-phiques et les citations videmment, o jai res-pect la transcription utilise, et dans certainesappellations courantes comme Opra de Pkin).Il et t encore plus fastidieux de donner chaque fois toutes les transcriptions possibles. Ilfaudra donc que mes lecteurs fassent le louable ef-fort de se souvenir que Beijing est la ville de P-kin, que les Xia sont ailleurs nomms Hsia etque Sima Qian, Se-ma Tsien, Ssu-ma Chien etSseu-Ma Tsien ne sont quune seule et mme per-sonne.

    Les premiers historiens, les premires u-vres. Jai encore vu le temps o les historiographeslaissaient des blancs [par souci de noter seule-ment la vrit] et o ceux qui possdaient des che-vaux, les prtaient Aujourdhui les choses ontbien chang ! (Kongfuzi)

    Il ny a pas si longtemps, les ouvrages consacrsaux origines de la Chine faisaient dbuter lhis-toire officielle de ce pays la dynastie des Shang,apparue vers le milieu du deuxime millnaireavant notre re. On parlait bien dune dynastie an-trieure aux Shang, celle des Xia, mais cette der-nire tait presque unanimement considrecomme mythique. Ce nest plus le cas aujourdhui,et les Xia peuvent dsormais tre reconnus, sinoncomme les premiers Chinois, du moins commeceux qui ont commenc rassembler en un toutcohrent les lments de ce qui constitue la civili-sation chinoise. Ltude de cette dynastie consti-tuera donc un lment important de cet essai sur

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    (1) Civilisation continue certes, mais loppos de li-mage frquente dune Chine immuable et ferme surelle-mme. Au contraire, son histoire est faite dvolu-tions et douvertures, spcialement vers louest ducontinent. De plus, les dynasties se succdent et ne seressemblent pas. Ainsi, lempire aristocratique des Tangnest pas comparable celui des Song, davantage axsur lconomie.

  • les origines de la Chine. Ceci tant dit, je ne sau-rais me limiter au seul sujet des Xia. Il est videnten effet que ceux-ci sont les hritiers de tout ce quiles a prcds, cest--dire dune bonne partie dela prhistoire et plus prcisment du Nolithique,avec ce que cela suppose davances dans les do-maines scientifique, technologique et philoso-phique. Quant la priode suivante, qui voit lav-nement de la dynastie des Shang, elle recle elleaussi quelques solides nigmes qui mritent toutenotre attention de chercheurs de mystres. Cest cette poque en effet quapparaissent au grandjour quelques-uns des principaux piliers de la civi-lisation chinoise ancienne, tels le bronze et lcri-ture. Inventions combien importantes, et mmebouleversantes dans tous les sens du terme.

    Si les Chinois ont pu garder vivant leur pass,cest certainement grce lcriture, un des l-ments fondateurs de leur civilisation. Par ailleurs,lcriture nest et na jamais t un simple outil detravail lusage des intellectuels et des fonction-naires : elle dpasse cette dimension humaine parses vertus, et il convient de traiter les caractresavec respect. Cest ainsi par exemple quautrefois,les documents crits ntaient pas simplement je-ts aprs usage, car cet t leur manquer d-gards. Si lon voulait sen dbarrasser, on lesconfiait un incinrateur spcial appel four papier. Et si, lheure actuelle, il peut sembler aupremier abord que cet aspect sacr de lcriture aitdisparu, on doit bien constater quen ralit il nenest rien. Ainsi, lamour de la calligraphie est tou-jours vivant, et les matres en la matire sont en-core lobjet du plus grand respect (2). En fait, pourle lettr chinois du XXIe sicle, il nexiste sansdoute pas de meilleure manire dhonorer lami oule visiteur important que de lui offrir une calli-graphie de sa main, comme le fit voici quelquesannes Jiang Zeming, le prsident chinois dalors,au grand amoureux de la Chine quest JacquesChirac. Ceci tant, et comme dans dautres partiesdu monde, la Chine a, dans les temps les plus an-ciens, dabord vhicul oralement les lgendes surses origines. Il est bon de le signaler, les sorciersfurent parmi les vecteurs les plus efficaces de pr-servation de cette tradition orale, la mythologieconstituant leur fonds de commerce en matire deconnaissances. Ultrieurement (cest--dire versle Xe sicle avant notre re), ces rcits ont tconsigns par crit, dune part dans des textesclassiques, plus tard compils, comments, r-crits et parfois rinvents par des rudits ; dautrepart dans les romans et pices de thtre de la litt-rature populaire. Il faut toutefois mettre un bmol ce que je viens de dire, car nous ne possdons pasautant de documents que ce que nous aurions puesprer. Beaucoup ont t dtruits lors de lautoda-f organis par lempereur Qin Shi Huang Di (ou

    plus exactement par son premier ministre Li Si) en213 avant J.-C. A cette destruction massive, il fautencore ajouter les nombreuses disparitions surve-nues durant la priode de troubles qui suivit la finde la dynastie des Han, aux IIIe et IVe sicles denotre re. Ensuite, le travail de recherche sur lesmythologies les plus anciennes se trouve encorecompliqu du fait de laction des confucianistes,lesquels rcuprrent les anciens mythes, les retra-vaillant et les dulcorant au profit dune doctrinedEtat dont la toute-puissance tait le fondementde lorganisation de lEmpire dans tous ses as-pects. Cette habitude de rinterprter les textesnest dailleurs pas lapanage des seuls confucia-nistes. Certains auteurs ont ainsi rcrit des passa-ges de mythologie, soit par incomprhension, soitpour satisfaire la pense du moment.Dans lordre chronologique, celui que lon peutconsidrer comme le premier historien de la Chineest Han Feizi (environ 280 234 avant notre re).Il est surtout connu comme le chef de file et le plusgrand penseur de lcole des Lgistes. A ce titre, ilest lauteur dun grand nombre dessais carac-tre politique, mais aussi historique. On trouvedj, dans ses crits sur le pass de la Chine, unesorte de dmarche archologique qui vise tablirune chronologie des poteries en fonction de leuraspect : Quand Yao gouverna le monde, les peu-plades mangrent dans des rcipients en argile etburent dans des gobelets en argile. Yu inventaquant lui des vases rituels dont il peignit lint-rieur en noir et lextrieur en rouge. Les peuplesYin [] gravrent leurs ustensiles domestiques etincisrent leurs jarres vin. Dautres passages,nettement plus pittoresques, font presque penser certains ouvrages de vulgarisation daujourdhui,qui font la part belle aux potins, histoires de curet secrets dalcve. Ainsi cette anecdote bien re-prsentative dun certain humour chinois, men-tionne par Lisa Bresner dans son charmant et sa-

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    (2) En toute premire approximation, on a tendance mettre sur le mme pied, sinon confondre, criture etcalligraphie. En ralit, ce nest pas tout fait la mmechose, dans la mesure o la calligraphie est un art visantau dveloppement intrieur de celui qui le pratique. Ilfaut noter encore que la calligraphie napparat pas enmme temps que lcriture, tant sen faut : elle ne se d-veloppera vraiment qu partir de la fin de la dynastiedes Han (vers le IIe sicle de notre re), alors que lcri-ture plonge ses racines dans la prhistoire. Mais toutesdeux sont bien sacres puisquelles dpassent lesimple usage profane. Et comme en outre, une des sour-ces dinspiration des calligraphes tait et demeure l-criture antique, il est finalement prfrable de ne pas tra-cer de frontire trop marque entre deux domaines aussiindissociablement unis, dautant que lcriture chinoiseest indubitablement marque par lesthtisme, en dehorsmme de toute ambition calligraphique.

  • voureux petit livre Tuiles intactes et jadesbriss : Le roi de Chu chrissait sa concubineCheng Xiu. Mais une autre fut achete et, quand leroi let possde, il dlaissa Cheng Xiu et prodi-gua toutes ses faveurs la nouvelle venue. Aucours dune promenade, o les deux concubinesparlaient seule seule, Cheng Xiu dit : Tu es nou-velle ici et peut-tre ne connais-tu pas les gots denotre Seigneur. Ce quil prfre par-dessus tout,cest quand il voit une femme mettre sa main de-vant son nez et sa bouche. Ds que tu croiseras leroi, noublie pas ! Couvre-toi le bas du visage et tuverras comme il va taimer davantage ! La nou-velle concubine remercia Cheng Xiu et suivit sonconseil. Ds quelle voyait le roi, elle mettait samain devant son nez et sa bouche. Le roi sen ton-na et interrogea Cheng Xiu sur la manie de sa nou-velle concubine. Elle ne supporte pas votre mau-vaise haleine ! dit Cheng Xiu. Le roi furieuxordonna ses soldats de semparer de leffronte.Et tandis quon coupait le nez de la concubineavec un sabre, Cheng Xiu retrouva les bonnes gr-ces du roi. Contemporain de Li Si, le ministre dupremier empereur Qin Shi Huang Di, Han Feiziaura une influence dterminante sur la pense po-litique de son poque mais, accus de trahir les in-trts du pays, il sera finalement contraint ausuicide.Le deuxime historien, de loin le plus important etabsolument incontournable, est Sima Qian. Nous

    allons nous y attarder un peu plus que strictementncessaire, car il est manifeste que lOccidentconnat encore trs peu ce personnage consid-rable, bien moins en tout cas quun Kongfuzi parexemple, abondamment cit jusque dans les rubri-ques bien-tre des journaux de mode et rf-rence absolue ds lors que lon veut faire montredantique sagesse Je ne voulais ds lors pas ra-ter cette occasion de dresser un bref portrait deSima Qian et de son uvre. Lhomme dabord. Ilnat en 145 ou 135 avant notre re dans la provincedu Shanxi. La date de sa mort nest pas plus cer-taine que celle de sa naissance et on la situe vers 86avant J.-C. Quant la cause de son dcs, toutesles hypothses restent dactualit : excution, sui-cide ou, plus simplement, mort naturelle. Au dcsde son pre Sima Tan, Grand Astrologue ayant, ce titre, accs aux archives royales, Sima Qianhrite, en 110 avant notre re, de la fonction deGrand Secrtaire (cest--dire quil devient direc-teur du Grand Secrtariat) auprs de Wu Di, empe-reur de la dynastie des Han antrieurs. Entre autresralisations, il entreprendra une rorganisation ducalendrier en tant quastronome officiel. En 98avant J.-C., la suite de dboires avec la familleimpriale (une sombre histoire de gnral dchudont il a laudace de prendre la dfense et locca-sion de laquelle on suppose quil ose critiquerlimprialisme de Wu Di), il se retrouve en prisonet est condamn au terrible chtiment de la castra-tion. Il est ensuite rintgr dans ses fonctions, cequi lui permet de recueillir, dans les archives dupalais, la matire dun livre dhistoire, synthsedes deux mille ans qui lont prcd bauche parson pre, et connu aujourdhui sous le titre de Shi ji (Mmoires de lhistorien ou Mmoi-res historiques). Toutefois, lorigine, ce nestpas Shi ji que Sima Qian avait choisi pour nom-mer son uvre, mais bien Tai shi gong shu (ouji), uvre du Grand Secrtaire. Finalement, letitre Shi ji nest que labrviation du titre completde lauteur, adopte probablement sous les Sui,vers le VIe sicle aprs J.-C. Pour magistrale qu-elle soit, cette synthse a malgr tout ses limites,la documentation dont dispose Sima Qian tantmoins abondante que ce quelle aurait pu tre, enraison de lautodaf de Qin Shi Huang Di (lesTsin se dbarrassrent de lancienne graphie etbrlrent les crits de posie et dhistoire. Ainsifurent disperss les tableaux et les archives gravsjadis sur les planches de jade, prcise SimaQian). Cest la raison pour laquelle les deux milleans antrieurs au premier empereur occupentmoins de la moiti du Shi ji. Encore faut-il relativi-ser, les archives royales tant videmment ce quise fait de mieux en matire de documentation l-poque. Il serait toutefois injuste de penser quelouvrage nest quune uvre de compilation. Ce-

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    Figure 1. Plus de 8 sicles sparent le pome de ZhaoMengfu (au-dessus) et cette moderne calligraphie

    trace sur le sable.

  • lui que lon appelle parfois le Grand Secrtairechtr est aussi un homme de terrain, qui parcourtune bonne partie de la Chine et visite nombre demonuments anciens. Il donne dailleurs des dtailsassez prcis sur ses deux voyages : Ds lge dedix ans, il [Sima Qian] rcita les textes classiquesconservs en criture ancienne. A partir de lgede vingt ans, il voyagea au sud du [Yangzi] Kianget de la Houai, monta Kouei-ki, chercha la grottede Yu, eut un regard pour les Kieou-yi [groupe deneuf cimes semblables] flotta sur la Yuan et laSiang, traversa en tournant au nord, la Wen et laSseu, assista des leons dans la capitale [ou :chefs-lieux] de Tsi et de Lou [] observa les ves-tiges spirituels laisss par Confucius, sinitia auxrites campagnards du tir [] et, aprs avoir ren-contr quelques obstacles [] rentra par les paysde Leang et de Tchou [] Il partit en mission lOuest, dans les pays au sud de Pa et de Chou,toucha au sud Kiong, Ts et Kouen-ming, puissen revint pour faire rapport sur sa mission.(Traduction Dzo Ching-Chuan.) De quelle mis-sion sagit-il ? A vrai dire, on nen sait trop rien,tout au moins en ce qui concerne le premier de sesdeux voyages. Certaines sources affirment quilaurait reu lordre de recueillir les chroniquesdanciens fodaux. Par contre, la raison dudeuxime voyage est bien connue : il part dans lesnouveaux territoires du sud-ouest, jusqu Kun-ming (Yunnan), en tant que pacificateur. Quoi qu-il en soit, on peut tre sr dune chose : dans sajeunesse, notre grand historien de la Chine par-court le pays en long et en large Shandong,Jiangsu, Anhui, Zhejiang, Hunan, Henan et y faitample moisson de traditions anciennes. Mais onpeut encore se poser une question : dans quellemesure le texte dont nous disposons aujourdhuiest-il conforme ce que Sima Qian a crit ? Il fauten effet avoir lesprit que ldition originale duShi ji aurait t, si lon en croit Sima Qianlui-mme, limite deux exemplaires, rdigs surbambou probablement. Au fil des sicles, ce textea t copi et recopi dabord, imprim ensuite,chaque dynastie y allant de sa ou de ses ditions.Mais au final, les spcialistes saccordent penserque la conservation du texte a t relativementbonne, et que nous pouvons donc nous y fier dansune mesure raisonnable.

    Exceptionnelle, luvre de Sima Qian sera pour-tant presque ignore du vivant de lauteur.Peut-tre ce manque de reconnaissance est-il li lesprit dindpendance dont fit toujours preuve leGrand Secrtaire ? Ainsi quil le reconnatlui-mme : Plutt que lassentiment de mille bnioui-oui, le non ! non ! honnte dun seul lettr !(Traduction Etiemble.) Voil qui dnote un sacrcaractre et explique peut-tre lattitude assez im-prudente qui lui valut le chtiment que lon sait

    Mais finalement, le Shi ji finira par sinscrire dfi-nitivement dans le patrimoine culturel de laChine : ce fut, et cest encore, le plus clbre livredhistoire chinois. Il a inspir les historiographesqui lont suivi au point que lhistoire de chaquedynastie, des Han aux Ming, a t consigne sur lemodle du Shi ji. Mme les Qing, dernire dy-nastie impriale, auront trs probablement euxaussi leurs annales sur le mme modle, puisqu-une quipe de spcialistes est actuellement oc-cupe leur rdaction. Les Mmoires de lhisto-rien ont galement t lorigine de nombreusesuvres littraires, et on en retrouve des passagesdans des romans et des pices de thtre (dont cer-taines pices de lOpra de Pkin), passages quisont encore tudis par les coliers aujourdhui.Maintenant, il convient de prciser certaines cho-ses importantes. Dabord, Sima Qian a une visionrsolument historique des rcits mythologiques ; ilessaie de retrouver le fait derrire la lgende, re-coupant les donnes littraires par ses observa-tions de terrain. Comme il lcrit un ami : Jairamass dans mes filets toutes les traditions dis-perses et presque perdues dans ce monde ; retracpar o est ne chaque nouvelle dynastie ; examin

    8Figure 2. Sima Qian, le plus clbre historiographe de

    la Chine.

  • son origine aussi bien que sa fin ; observ la splen-deur aussi bien que la dcadence, et jug tout parles faits vcus. Cette attitude critique et objectivele pousse dailleurs msestimer quelque peu lesrcits lgendaires les plus fameux, ne trouvant parexemple rien dducatif lhistoire du clbreHuang Di, lEmpereur Jaune. Ensuite, en crivantson Shi ji, Sima Qian a un objectif plus large quecelui de lhistorien au sens o nous lenten-dons (un sens dailleurs quelque peu idalis dansla mesure o aucun historien ne peut sabstrairetotalement, ni de sa personnalit et de ses opi-nions, ni du contexte social dans lequel il vit).Sima Qian quant lui tente, en pleine connais-sance de cause et en accord avec la mentalit chi-noise, de donner, par le biais de lHistoire, une ex-plication totale du monde, qui combine nonseulement des faits historiques, mais aussi des l-ments de philosophie et des fresques romanes-ques. Cette dmarche sinscrit par ailleurs dans lavie pratique, le pass tant, pour le Chinois, unguide dont il faut sinspirer au prsent, dans un es-prit de pit traditionaliste selon lexpression deMarcel Granet, dans lespoir de rendre plus aiguet plus pure [] la conscience dun idal quelhistoire ne saurait expliquer, car il prexiste lhistoire. Aujourdhui encore, les jeunes enfantsqui apprennent lire nonnent des phrases tellesque Connais le prsent, connais le pass. Pour seconvaincre de la ralit de cette approche, il fautparcourir luvre de Sima Qian pour lire des pas-sages tout fait significatifs, comme par exemple :Il est galement dit dans le Classique des po-mes : Celui qui soutient les autres prospre ; celuiqui saline les autres scroule. Ou encore, rap-portant les propos dun certain Gongsun Yang :Lorsque je lui [ savoir le duc Xiao IVe sicleavant notre re] ai parl du tao des empereurs etdes rois en faisant des comparaisons avec les troisdynasties qui ont rgn jusquici [cest--dire lesXia, les Shang et les Zhou] il ma dit que ctaittrop long, quil ne pouvait pas attendre [] il nepourra pas tre lgal des fondateurs de dynas-ties. Ces deux courts extraits sont reprsentatifsdu double rle de Sima Qian, la fois historien etphilosophe forcment un peu moralisateur.Comme le rsume trs bien P. Ryckmans, le Shi jiest une uvre la fois de vision et de science, si-multanment compilation encyclopdique et puis-sante pope, mditation de philosophe, fresque,roman, drame. Globalement, cette dmarche demise en ordre de la mythologie est typique duconfucianisme. Elle sinscrit parfaitement dans lesvues dune doctrine dEtat qui vise lunifica-tion tous azimuts : unification de lempire et deson histoire, mais aussi de lcriture, des poids etmesures et mme de lcartement des roues de

    char. Vaste programme que cette unification, tou-jours en cours aujourdhui.

    Disons pour terminer un mot de la forme du Shi ji.Luvre, qui retrace lhistoire de la Chine depuisle mythique Empereur Jaune Huang Di, comportecent trente chapitres (soit 526.500 mots ou carac-tres, prcise mme lauteur !) et est organise encinq parties, plus une postface. La premire (ben-ji) regroupe les annales de la cour impriale, dy-nastie par dynastie. La deuxime (nianbiao) com-prend des listes chronologiques, tableaux rcapi-tulatifs servant de rfrences. Dans la troisime(shu), Sima Qian traite des diffrents aspects de lacivilisation, depuis les principes qui rgissent lesinstitutions jusqu des renseignements dordretechnique dans diffrentes disciplines aussi diver-ses que les rites, lconomie, lastronomie, les ca-naux dirrigation et la musique. La quatrimepartie du Shi ji (Shi jia) aborde lhistoire des Etatsfodaux et des familles nobles. Enfin, la cin-quime et dernire partie (Lie zhuan) est originale un double titre. Dune part, Sima Qian y voquedes pays trangers, ce qui constitue une innovationpour un lettr. Dautre part, on y trouve une galeriede portraits dhommes remarquables ; portraitscertes plutt que biographies, lauteur donnantsur la vie de ses personnages des coups de projec-teur en fonction dun thme aborder. Mais mmesil ne traite pas de la vie entire de ses hros, SimaQian rompt dlibrment avec la tradition litt-raire chinoise en mettant ainsi en avant des indivi-dus. Novateur, Sima Qian lest jusque dans sonstyle, caractris par des phrases simples et direc-tes, bien loin des sophistications formelles alors enusage. Prcisons pour terminer que, ct de cetteuvre formidable que constitue le Shi ji, SimaQian est galement connu mais seulement desspcialistes par une correspondance qui vientcomplter nos connaissances sur celui qui de-meure le plus grand historien de la Chine.

    Pour important quil soit, le Shi ji nest pas notreseule source dinformation : nous disposons denombreux autres ouvrages importants, quoiqueparfois contradictoires, qui concernent plus spci-fiquement les premiers temps de la Chine. Le pre-mier est le Zhushu jinian (Annales sur bam-bou). Il fut dcouvert en 281 aprs J.-C. par unpilleur de tombes, dans une spulture royale Weide la priode des Royaumes Combattants (475 221 avant notre re). La date de cette dcouvertetant postrieure de plus de trois sicles la rdac-tion du Shi ji, Sima Qian na pu en avoir connais-sance, tout au moins sous cette forme. En effet,lanalyse de cet imposant ensemble de textes surbambou montre quil sagirait dune reconstitu-tion assez maladroite de luvre originale perduedans des circonstances et une poque inconnues.Le deuxime livre est le Shu jing (Chou king

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  • dans lancienne transcription) ou Livre de lhis-toire. Cet ouvrage quil ne faut pas confondreavec le Shi jing (Classique des pomes, Cheking dans lancienne transcription), un recueil depomes sur le thme de la vie rurale cet ouvragedonc constitue par ailleurs lun des classiquesdont ltude tait obligatoire pour les lettrs qui seprsentaient aux examens impriaux. Commebeaucoup dautres, le Shu jing fut victime de lau-todaf de Qin Shi Huang Di. Une partie en fut re-trouve mais, selon les spcialistes, les chapitrestraitant des plus anciennes poques sont des apo-cryphes crits au IIIe sicle avant J.-C., quoique latradition parle dune compilation de textes anti-ques par Kongfuzi. Celui-ci les aurait rassemblsen un premier document de base connu sous lesimple nom de Shu . On ne peut certes accorderune foi aveugle la tradition mais il me parat toutaussi outrancier de rejeter toute valeur historique ce texte, sans doute retouch, mais dont le fondpeut avoir pour source de trs anciennes traditionsorales ; traditions qui, comme on le sait par desexemples dautres cultures, sont bien plus fiablesque ce que certains affirment un peu inconsidr-ment. Finalement et cette opinion est partagepar plusieurs spcialistes chinois le Shu doit trelu pour ce quil est, cest--dire un recueil de don-nes historiques, amnag en fonction dun idal transmettre. Il nest donc pas prendre au pied dela lettre mais doit tre interprt dans ses aspectshistoriques, gographiques et sociologiques. Auniveau de la forme, le Shu est organis en cent cha-pitres. On y trouve peu de rcits, par ailleurs trsbrefs, mais quantit de dialogues et de harangues,ainsi que de nombreuses rfrences au Ciel et laLoi du Ciel, lments fondamentaux de lantiquereligion chinoise. Un autre ouvrage intressantpour notre propos est celui de Mengzi (Mencius),philosophe qui vcut au IVe sicle avant notre reet fut le disciple le plus fameux de Kongfuzi. Cestdans le Mengzi que lon trouve lhistoire de Shun,hros confucen dune Antiquit idalise. (Nousferons connaissance plus loin avec ce person-nage.) Il convient aussi de mentionner le ShanHai jing , ou Livre des monts et des mers,uvre anonyme de dix-huit textes trs riches dansle domaine de la mythologie. Cet ouvrage fut com-pos probablement par des sorciers dont jai ditplus haut limportance dans la prservation des r-cits mythiques durant lpoque des RoyaumesCombattants et annot entre autres par Guo Pu(276-324 aprs J.-C.). On estime que cet ouvrageest trs proche de la version originelle des mythesqui y sont traits. Enfin, pour en terminer avec laquestion des sources, il ne faudrait pas oublier dementionner la littrature populaire, prsente sousforme de romans, de pices de thtre et de balla-des, et rdige en une langue vulgaire qui sop-

    pose au chinois classique des lettrs. Et parmicette riche littrature, je citerai plus particulire-ment luvre des potes Tao Yuanming (365-427)et Tang Li He (790-816), ainsi que le clbre ro-man Voyage louest de Wu Chengen et cer-tains personnages de lopra chinois.

    Les belles histoires de loncle Guo.Vous lavez rencontr en rve, au bord du lac delOuest de Hangzhou, la trs noblissime et ma-gnifique cit de Marco Polo. Ctait laube etvous vouliez profiter de la fracheur. Du paysageaussi, avec ses brumes sur leau et ses saules gra-cieux. Vous avez parl. En quelle langue ? Celana gure dimportance dans les rves. Vous avezsympathis et aujourdhui, il vous a emmen dansune maison de th inconnue des touristes. L, au-tour dune thire fumante de dlicat Puits duDragon, il a commenc vous raconter des lgen-des de son pays. De celles qui voquent la nais-sance de lhomme et de la civilisation chinoise

    Comme cest gnralement le cas dans cette sortede matire, ltude de la mythologie chinoise nestpas de tout repos. En dpit des efforts des historio-graphes Sima Qian en tte pour ordonner unembrouillamini de personnages et de faits qui par-fois se compltent et souvent se contredisent, ilnest vraiment pas facile davoir une vision clairesur le sujet. Ceci est dautant plus vrai que, parrapport dautres mythologies, ltude des mytheschinois est relativement peu avance et le travailreste considrable pour les chercheurs. En Chinecomme ailleurs, les mythes (ou rcits sacrs,shen hua) ont volu en fonction du temps, descirconstances, des croyances apportes par des va-gues successives denvahisseurs, essentiellementdes pasteurs venus de louest et du nord-ouest. Ilsensuit que certains dieux ou hros napparais-sent que dans certaines rgions. Dautres person-nages voient leur fonction changer au fil du tempset selon lendroit, et cela pour la simple raison quelorganisation du panthon chinois est base sur lafonction, et non pas sur la personne. Ainsi, lorsqu-il priait le dieu X des rcoltes, le paysan chinoissadressait, non pas X en tant quindividu, maisplutt celui qui occupait le poste de dieu des r-coltes ce moment-l. Enfin, les sources littrai-res disponibles prsentent des diffrences parfoissensibles, quoique limpression densemble soitcelle dune relative homognit quant au fond.Compte tenu de cette complexit, jai slectionn avec une part de subjectivit que je ne renie pas quelques mythes caractristiques dont le thmecentral est lorigine ; origine du monde, delhomme et du monde chinois. Mais avant de nouslancer dans les rcits, prcisons deux choses. Pre-mirement, dans la plupart des cas, les mythes decration ne font intervenir aucune divinit ; rien

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  • faire donc avec un quelconque Dieu qui aurait fa-onn ex nihilo le monde ou les hommes un mo-ment dtermin. A dire vrai, ces notions de divini-t cratrice et de dbut des temps sont trangres lantique pense chinoise. Deuximement, lhu-manit dont il va tre question est chinoisevidemment, excluant les minorits vivant auxmarches de lempire et, plus gnralement, lestrangers. Ainsi par exemple, lopinion communeattribuait-elle aux Miao une origine canine

    Commenons par le commencement : la crationdu monde et de lhumanit. Je viens de le prciser,cette notion de cration nest pas vraiment chi-noise mais on trouve toutefois des rcits sur cethme. Une histoire assez rpandue, qui fait pen-ser au mythe indien de Purusha, explique qu lo-rigine, le Chaos se prsentait sous la forme dunuf. De cet uf naquit un humain demi-dieu, lenain Pan Gu (Antiquit Enroule), encore hono-r aujourdhui, entre autres Guilin (Guangxi) oil est vnr dans son propre temple. Il grandit tantet tant quil finit par sparer le Ciel et la Terre. A lamort de Pan Gu, son corps donna naissance auxlments du monde : les mers et les terres, la Luneet le Soleil, le vent et le tonnerre. Cest de lui aussique sortirent les montagnes sacres ; ainsi sa ttedevint-elle le mont de lEst (Tai Shan) et ses pieds,le mont de lOuest (Hua Shan). Quant aux treshumains, ils naquirent, non du corps de Pan Gu,mais de ses puces. Une origine bien peu glo-rieuse pour les prtendus rois de la cration ! L-lment principal de cette histoire est la sparationdu Ciel et de la Terre. Il est caractristique des r-cits de cration, comme en tmoigne cette autre l-gende qui fait intervenir Zhuan Xu, un dieu r-gnant sur le pivot cleste et qui commande sesdeux petits-fils de soutenir, lun le Ciel, lautre laTerre. Dautres rcits font intervenir le yin et leyang mergeant dune soupe primitive pourdonner naissance la terre plate et la vote c-leste ronde soutenue par des montagnes, ainsi qu-aux dix mille tres, expression qui englobelensemble des cratures vivantes. Terminons parune lgende dont les hros sont des humainscomme vous et moi si lon peut dire. Cette histoiremet en scne un couple originel qui habitait ausommet du mont du Cheval Noir. Ce premierhomme et cette premire femme voulaient se ma-rier pour avoir des enfants et ainsi, assurer la des-cendance de la race humaine. Mais ils hsitaient,tant frre et sur. Finalement, ils dcidrent defaire rouler deux meules de pierre depuis le som-met de la montagne. Et si, larrive, les deuxblocs avaient fusionn, ce serait un signe autori-sant leur mariage. Par une belle nuit largementclaire par la lune, ils firent ainsi quils lavaientrsolu ; les deux meules dvalrent toute la penteet, effectivement, elles se fondirent en un seul

    bloc, montrant clairement que lunion du frre etde la sur ntait pas interdite. Comme dans tou-tes les belles histoires qui se terminent bien, ils eu-rent beaucoup denfants : lhumanit tait ne.Penchons-nous maintenant sur la naissance de laChine. Selon une tradition qui remonte au moinsaux Han, cette naissance se situe lpoque detrois souverains appels les Trois Augustes. Lepremier se nomme Fu Xi (Victime Prostre),parfois appel Feng (vent). Cest lEmpereur delEst, un des cinq Empereurs Clestes et, commela plupart des dieux et des hros de la mythologiechinoise, il passe pour avoir invent quantit dechoses, commencer par les huit trigrammes, qu-il aurait dcouverts sur la carapace dune tortue(3). On lui attribue aussi la paternit des rites dumariage et du rgime matrimonial, ainsi que de latechnique de fabrication des filets de chasse et depche au moyen de ficelles ; une ide qui lui vintde lobservation dune toile daraigne. Il inventagalement la musique, dont lharmonie reproduitcelle du cosmos. Le deuxime est N Wa, sur etpouse de Fu Xi. Ces deux personnages semblentavoir connu les mmes hsitations sunir que lecouple originel dont jai racont lhistoire. Dans

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    Figure 3. Le demi-dieu Pan Gu, qui spara le Ciel et laTerre et dont le cadavre donna naissance aux lments

    du monde.

    (3) Les trigrammes (ba gua) sont constitus de la combi-naison par trois de traits pleins yang () et discontinusyin (- -), formant de la sorte les huit lments qui serontla base des hexagrammes utiliss dans le toujours c-lbre Yi jing, le Livre des mutations.

  • leur cas, le Ciel marqua son accord en runissant,non pas deux meules de pierre, mais deux colon-nes de fume (ce qui, soit dit passant, me paratquand mme plus facile raliser). N Wa est lamre des premiers humains puisquelle a crlhumanit : dabord les nobles comme il se doit,au dpart de la terre du fleuve Jaune, ensuite lemenu peuple, partir de boue. Elle est aussi la pre-mire avoir endigu un dluge, thme gnrale-ment trait dans les histoires de Yao et de Yu leGrand, comme nous le verrons ultrieurement.Pour vaincre ce dluge, N Wa rpara le Ciel quistait croul et endigua les fleuves en crue.Accessoirement, elle aurait galement invent l-criture et, si Fu Xi a fix les rites du mariage, cest son pouse que revient le mrite davoir eu lidedu mariage lui-mme et davoir invent la fonc-tion, si importante en Chine, dentremetteuse. Letroisime Auguste est Shen Nong, pre de lagri-culture et matre du feu, dont on dit quil dcouvritle th et un systme de comptage laide de nudssur des cordes. Il serait galement lauteur du Shen Nong Ben Cao , considr comme la biblede la phytothrapie. Cette lointaine poque estcelle dun ge heureux o rgne la Vertu. Cestaussi le temps de la mise en ordre du monde dontlinvention du calendrier par des sages qui nesont pas encore tout fait humaniss. Ainsi, Fu Xiet N Wa ont une tte humaine sur un corps de ser-pent et il sunissent en senlaant par la queue. D-tail curieux qui mrite dtre rapport compte tenudes analogies qui peuvent tre faites avec les my-thes dautres parties du monde : Du Setchouanprovient une pierre grave, dpoque Han [] surlaquelle deux cratures mi-humaines mi-serpenti-nes lvent le disque solaire portant le corbeau etle disque de la lune avec le livre accroupi sous lecassia. Ce sont les reprsentations de Fou-Hi et deNiu-Koua [] Il est curieux de les rapprocher[dun] bas-relief mexicain [] o le lapin est as-soci aux inventeurs mexicains du comput dutemps. (Dorsinfang-Smets) (4).

    Les successeurs des Trois Augustes sont les CinqSouverains (5). Cest avec eux que Sima Qian d-bute son Shi ji. Les Cinq Souverains sont surtoutconnus par le premier dentre eux : Huang Di, ouEmpereur Jaune (dont le portrait figure en couver-ture). Empereur Cleste Central, il est gnrale-ment considr comme le fondateur de la civilisa-tion chinoise. A ce titre, il unifia les tribus vivantdans la rgion du fleuve Jaune, et on lui attribue denombreuses inventions de premire importance :lcriture, la roue, la boussole, les chars et les ba-teaux, les armes, la fonte des mtaux, llevagedes vers soie et le filage de la soie. On dit aussiquil corrigea le calendrier et quil fit construire unobservatoire pour tudier les toiles. A dire vrai,cette foisonnante activit cratrice ne doit pas sur-

    prendre. Car si les grands souverains mythiques dela Chine passent pour avoir t les inventeurs deslments qui caractrisent la civilisation chinoise,ce ntait pas vraiment leur rle de mettre la main la pte, ou parfois au feu. Les vritables inventeurs

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    Figure 4. Fu Xi, le premier des Trois Augustes, prsenteles trigrammes dont il serait linventeur.

    (4) Dune manire gnrale, les Chinois associent le la-pin la mort et lau-del, la lune et la rsurrectionainsi que, dans le mme ordre dide, aux drogues dim-mortalit prpares par les sages alchimistes taostes.Ceci tant, le lapin (ou le livre) est prsent dans denombreuses mythologies : au Mexique et en Chinedonc, mais aussi au Tibet, au Japon, en Amrique duNord cest le fameux Grand Lapin des Algonquins et mme chez les Boschimans. Certaines thoriesavancent dailleurs que le lapin lunaire msoamricainserait une importation de la Chine des Han (Wicke).

    (5) Ce nest videmment pas par hasard si les premierssouverains de la Chine sont cinq. Ce chiffre fait rf-rence lancienne thorie des cinq lments. Sans en-trer dans des dtails qui nous mneraient trop loin, di-sons que cette thorie suppose une organisation dumonde base sur une classification et une distribution delexistant en cinq lments. Ces derniers sont leau, lefeu, le bois, le mtal et la terre. Mais plutt que des subs-tances, ces mal nomms lments (xing) sont des for-ces luvre dans un univers en perptuel changement.Rapporte lhistoire des Cinq Souverains, la thoriedes cinq lments implique que chacun de ces rois pos-sdait une Vertu particulire et quensemble, ils consti-tuaient un cycle parfait des Cinq Vertus lmentaires(Granet).

  • sont leurs ministres, la fonction des rois tant din-carner la Vertu (de) et, par leur prsence agissante,de permettre que les choses se ralisent en har-monie avec le Ciel. Par parenthse, et pour dire unmot de cette mystrieuse Vertu des rois, on na ja-mais pu trouver une traduction satisfaisante lanotion de de, traduction propos de laquelle lesrudits nont cess de se chamailler. Brivement,on peut la dfinir comme un pouvoir qui se mani-feste dans des ralisations. Pour les confucianis-tes, ce pouvoir est accord au roi par le Ciel, dansle cadre dune sorte de contrat appel mandat c-leste (tian ming) partir des Zhou (1050 221avant notre re). Et, comme tous les contrats, il estrsiliable ; autrement dit, le Ciel peut rvoquer lemandat cleste si le roi manque ses devoirs cequi est arriv dailleurs trs rgulirement tout aulong de lhistoire chinoise.

    Esprit universel, Huang Di encouragea aussi bienlagriculture et lartisanat que les arts et la littra-ture. On dit quil composa un trait de sagesse.Comme la plupart des grands personnages mythi-ques, le futur premier roi de la Chine ne naquit pascomme le commun des mortels : sa mre le conutalors quelle tait encore vierge, trois mois avantson mariage avec le fils du chef du clan, et le bbne vint au monde quau bout de douze mois, parune nuit dorage. On dit mme que la foudre taittombe la porte de la maison familiale. Il fut pr-coce en tout. Ainsi, il pronona ses premiers motsau bout de quelques jours ; huit ans, il matrisaitla science des armes ; quatorze ans, il conduisaitles guerriers de son clan ; de quoi rendre jalouxnimporte quels parents. Encore jeune homme, ilfut admis dans la confrrie des chamans et domptaun ours lors de son initiation. Cet exploit lui valutle nom de You Xiong, le Matre des Ours.Ensuite, You Xiong eut combattre un adversaireredoutable, la fois son oppos et son compl-ment. Cet ennemi, dnomm Chi You (Trs Far-ceur), tait le chef des tribus nomades du sud. Ilest dcrit comme ayant une tte de bronze, des ai-les et des sabots de buffle, des cornes, quatre yeuxet six ou huit mains ; et pour ne rien arranger, il senourrissait de cailloux. Ctait un barbare sangui-naire qui, avec laide de ses quatre-vingt-un frres,mettait le pays feu et sang, et on le surnommaitle Matre des Loups. Cest au cours dune de sesrazzias que Chi You tua le pre de You Xiong.Alors, le Matre des Ours devint le chef du clan,que certains textes appellent le clan des Ji et quitait li la tribu des Jiang par le sang. Ces clansvcurent tout dabord dans le bassin de la Wei(Wei He), avant de se dplacer vers lest, le longdu fleuve Jaune, et de sinstaller dans les rgionscorrespondant aux provinces du Shanxi, du Henanet du Hebei. Devenu le chef du clan, le Matre desOurs constitua une puissante arme et, assist par

    des ours quil avait dresss, il entreprit une guerrelongue et froce contre son ennemi, lequel rsistalongtemps grce notamment ses pouvoirs magi-ques. Mais You Xiong ntait pas seulement ungrand guerrier, ctait aussi un sorcier aux vastespouvoirs. Il entreprit, nous dit la lgende, unedanse chevele qui le mit au contact des esprits.Mais toujours incapable de vaincre Chi You, il im-plora le secours de lEmpereur de Jade dans sonPalais cleste. Alors, le Matre du Ciel remit YouXiong un manuel de stratgie et le premier Yi jing(ou Livre des mutations), ainsi quune pierre-ai-mant. Mais selon certaines sources, notre hrosaurait acquis son pouvoir en faisant descendre duciel Nu Ba, la desse de la scheresse, qui ntaitautre que sa propre fille, et qui neutralisa larmede pluie de Chi You. De plus, You Xiong entra enpossession darmes faites en cuivre rouge, ce quiconstitua pour ses armes un avantage dcisif.Grce ces prsents, You Xiong vainquit aismentson ennemi et le fit dcapiter. Toutefois, la carrirede Chi You ne sarrta pas l. Mont au Ciel, il futvnr comme dieu de la guerre et inventeur desarmes en mtal, armes grce auxquelles il dominales autres dieux.

    Ouvrons ici une parenthse. Certains de mes lec-teurs parmi les plus hardis ne manqueront pas d-tablir des parallles avec dautres mythes, dansdautres parties du monde. Il est vrai que lhistoirede lEmpereur Jaune est comparable celle debeaucoup de dieux et de hros civilisateurs. Sinous prenons (par exemple mais pas par hasard) lecas de lOsiris gyptien, celui-ci peut tre rappro-ch de Huang Di puisque, comme lEmpereurJaune, il doit affronter Seth, un personnage qui est loppos de ses valeurs civilisatrices. De mme,Chi You et Seth sont les chefs de tribus nomadesvenant de lextrieur barbare, cest--dire dusud pour le premier, du dsert pour le second. Toutcomme Seth (au dpart une divinit non d-pourvue de qualits, ainsi que je lai montr dansmon article consacr lOsireion gyptien), ChiYou est considr, dans les plus anciennes tradi-tions, comme un dieu certes rvolt mais pluttpositif et mme comme un hros. Mais, toutcomme Seth, sa rputation se dtriore au fil dutemps jusqu devenir un personnage odieux, en-nemi de lordre. Les concordances sont donc rel-les mais la comparaison sarrte l. Car si lonvoulait poursuivre en ce sens, il faudrait admettrela possibilit de contacts entre certaines culturesnolithiques gyptiennes et chinoises ce quecertains nont pas manqu de faire, videmment.Cette hypothse est pour le moins ose, comptetenu de la distance entre les deux mondes. Et pour-tant il ne faut pas perdre de vue que, si les Chi-nois vcurent des moments de repli qui ne favori-saient gure les contacts avec lextrieur, ils

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  • tablirent rgulirement des relations avec despeuples parfois lointains, et ce ds le Nolithique.(Cette ouverture aux cultures trangres retiendradailleurs notre attention lorsque nous aborderonsla question de linvention du bronze.) Car sil estexact de dire que la Chine tait relativement pro-tge par ses frontires naturelles ocan lest etau sud-est, dsert au nord, montagnes louest ilexistait des couloirs de passage emprunts ds lesplus hautes poques, notamment vers louest. Ilntait donc pas tonnant de trouver, au sein despopulations des villes chinoises, des lmentstrangers, non pas de passage mais qui y rsidaientet sy livraient au commerce. Les Chinois furentaussi, et cest un fait assez peu connu, de grandsvoyageurs, trs actifs par exemple sous les Yuande Qubilai, poque o ils poussaient pour raisonscommerciales leurs bateaux jusquen Egypte.Sous les Ming, le Grand Amiral Zheng He(1371-1433), un des plus clbres parmi les hardismarins de lEmpire, organisa une srie dexpdi-tions qui le menrent jusque dans le Deccan, dansle sud de lInde et Madagascar. On dit aussi (etquoique cette hypothse ne soit gure taye) quilcontourna le Cap de Bonne Esprance et atteignitles Carabes. Mieux encore : on peut penser quedes Chinois foulrent le sol de lAmrique. Cettehypothse ne date pas dhier puisque, vers 1642,un certain Hugo de Groot voquait dj une ori-gine chinoise pour les Pruviens. Plus prs denous, Alexander von Wuthenau a constitu unecollection fameuse dtranges statuettes prove-nant principalement dAmrique centrale. Ces sta-tuettes reprsentent des femmes et des hommesnon indiens, issus dhorizons trs diffrents puis-quon identifie sans aucun doute possible des gensde races blanche, noire et jaune, ces derniers tantappels au Mexique du nom trs vocateur deChinescos. Une des plus remarquables de cesreprsentations dAsiatiques est une statuette d-couverte en 1865 au Prou, parmi des objets pr-colombiens. Le personnage est assis sur unetortue autour de laquelle sont enrouls des ser-pents. Dans chaque main, il tient une tablette ins-crite [] il y est crit Wu Tang Shan, soit le montWu Tang [] Le type de caractres ainsi que lenom [du dieu dont il est question sur la tablette]rattachent cette statuette en bronze la dynastiedes Han (Ferryn 1975, 3). Les deux exemplessuivants sont plus proches des poques qui virentla naissance des mythes. Cest dabord la possibletraverse du Pacifique par une expdition Shang :de srieux indices laissent penser que des repr-sentants de cette dynastie abordrent le sol amri-cain au XIe sicle avant notre re. Nous en reparle-rons lorsque nous aborderons cette priode. Cestensuite la prsence archologique de larachidesud-amricaine en Chine nolithique aux environs

    de 2000 avant J.-C. (Jett). Mais quoiquon puisseen fin de compte penser de la capacit des Chinois naviguer jusquen Amrique, il est clair quilssinscrivent, tout autant que les autres peuples,dans un vaste rseau de relations inter-culturellesqui exista ds le Nolithique. Dernier exemple en-fin, le tmoignage dHrodote qui, comme on lesait, mentionne dans son Histoire lexistencedes Hyperborens. Selon certains, lHyperborene serait pas rechercher dans lExtrme Nordatlantique comme on le pense gnralement, mais lest : ces mystrieux Hyperborens seraient enfait les Chinois, dont le Pre de lHistoire auraitentendu parler par des voyageurs entretenant avecla Chine des contacts peut-tre commerciaux.Quoique je ne puisse dvelopper ici une thoriequi sort de notre sujet, je ferai quand mme remar-quer, lappui de cette hypothse, quHrodotementionne les Hyperborens qui stendent versla mer (de Chine ?) dans le mme Livre qua-trime que les Scythes et les Mdes ; nous sommesdonc bien l en Asie. Ds lors, si aucune dcou-verte ne nous permet daffirmer quil y eut effecti-vement des contacts entre les Nolithiques gyp-tien et chinois, rien ne nous permet non plusdexclure dfinitivement cette hypothse. Pourexpliquer les tranges corrlations entre mytholo-gies aussi loignes gographiquement, on a pudire aussi que ces mythes prenaient leur racinecommune dans un noyau issu de la plus lointaineprhistoire. Dans la mme veine, certaines tho-ries soutiennent aujourdhui que toutes les languesparles sur terre ont une origine commune etmme que toute lhumanit descend dun uniquepetit groupe de sept femmes. Bref, dans ces do-maines o nous connaissons si peu, il convient derester la fois prudents et modestes, quelles quesoient nos convictions.

    Fermons maintenant cette longue parenthse et re-venons You Xiong. Aprs sa victoire, il prit letitre de Fils du Ciel. Mais on peut tre un hros, onnen est pas moins homme. Ainsi, You Xiong semaria et eut beaucoup denfants, vingt-cinq pourtre prcis. Enfin, les nombreux peuples qui s-taient rangs sous sa bannire lappelrent HuangDi, que nous traduisons par Empereur Jaune.Arrtons-nous un instant sur la signification de cenom, si important dans lhistoire chinoise et qui ainspir le premier empereur de la Chine unifieQin Shi Huang Di. Le mot huang, qui signifiejaune, voque la couleur symbolique de ll-ment terre de la rgion du Huang He ou fleuveJaune. Il est intressant dinsister ici sur limpor-tance de cette couleur jaune dans la civilisationchinoise ; une couleur due au limon charri par leHuang He lors de sa traverse du plateau de loess.Outre quelle est intgre au nom de lempereurfondateur, on la retrouve au cur de nombreuses

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  • traditions importantes, comme par exemple lutili-sation de la couleur jaune par le seul souverain et,dune manire gnrale, dans des termes lis aupouvoir comme les dits impriaux, dnommshuang bang. Ltymologie du mot di est plus diffi-cile cerner. A lorigine, cest--dire sous lesShang, di (ou shang di) dsigne un sacrifice im-portant li au culte des anctres. Progressivement,il voquera lide dune divinit suprieure mas-culine, garante de lordre sur terre, tant du point devue des lments naturels que des actes politiques.Dans le cas qui nous occupe, ce mot di que noustraduisons par empereur dsigne donc le protec-teur de la terre jaune habite par les premiersChinois, le garant de lordre et de lharmonie surterre. Dailleurs, Huang Di ntait pas seulementun homme, car il vivait une poque o le Ciel etla Terre ntaient pas encore des domaines sparset, de ce fait, il tait la fois un dieu en tant quesouverain cleste, et un humain comme roi ter-restre. Il est parfois dcrit comme ayant quatre vi-sages ; une particularit qui peut tre interprtede deux faons. Comme personnage mytholo-gique, elle lui permettait de regarder dans lesquatre directions. En tant que personnage histo-rique cest videmment la vision des confucia-nistes , ces quatre visages symbolisent les quatresages et dvous ministres qui le secondaient.Huang Di fut un souverain exemplaire, non seule-ment par les bienfaits de la civilisation quil ap-porta son peuple, mais galement par sa manirede gouverner. Ecoutons ce quen dit Liezi (Lietseu dans la bibliographie), qui est considr, avecLaozi et Zhuangzi, comme un des trois auteursmajeurs du taosme philosophique. Liezi voquelEmpereur Jaune dans le Livre second de son ou-vrage, connu en franais sous le nom de Vraiclassique du vide parfait . On y dcouvre que lesouverain prouva dabord de grandes difficults gouverner son peuple : il constatait avec cha-grin que le dsordre rgnait dans lempire ; il fai-sait des efforts, puisait son intelligence et son sa-voir en sappliquant diriger le peuple, mais sachair tait comme dessche et noirtre, son metait comme gare et hbte. Une nuit, HuangDi fit un rve qui le conduisit dans un pays lointaino lon ne peut parvenir quen esprit. La viedans cette contre tait idale, car en ce royaume,il nest point de chefs, tout se droule desoi-mme. Le peuple est sans dsirs, tout sy d-roule spontanment [] Houang ti, son rveil,comprit et se ressaisit [] Vingt-huit nouvellesannes scoulrent et lempire vivait dans le bonordre [] Houang ti sleva enfin vers les cieux,et son peuple le pleura pendant plus de deux centsans. Ce que lEmpereur Jaune avait compris, c-tait que pour bien gouverner, il fallait que les cho-ses se fassent delles-mmes, sans intervention du

    monarque, ou tout au moins des interventions mi-nimes. Cest le principe taoste bien connu delagir dans le non-agir (ou mieux : dans lenon-intervenir). Ceci tant, on peut prendre cetexte de Liezi au pied de la lettre et penser quil apris lEmpereur Jaune comme modle. Mais lonpeut aussi estimer avec quelque raison que lau-teur a purement et simplement invent cet pisodede la vie de Huang Di pour mieux faire com-prendre et illustrer un certain art de vivre Etdailleurs, il nest pas prouv que Liezi ait relle-ment exist. Modle dans lart de gouverner,Huang Di est galement un exemple dans le do-maine de la philosophie taoste. Ainsi Zhuangzi(Tchouang-tseu dans la biliographie) met-il lem-pereur Jaune en scne dans la clbre histoire de laperle perdue (chapitre XII). Ayant gar sa pr-cieuse perle noire au cours dune promenade,Huang Di envoya successivement le dieu qui saittout et le dieu qui distingue tout sa recherche,mais ceux-ci rentrrent bredouilles. En dsespoirde cause, lEmpereur Jaune demanda au dieusans image de chercher son tour et, au grandtonnement du souverain , ce trois imepersonnage retrouva le joyau, dmontrant par lapratique cette ide trs taoste selon laquelle leDao (symbolis par la perle noire) ne peut tretrouv quen ne le cherchant pas.

    A la fois dieu et homme, Huang Di ne pouvait pasachever sa vie terrestre comme un simple tre hu-main. Lorsquil atteignit lge trs respectable decent dix ans, il prpara une pilule dimmortalit,runit ses ministres et son entourage, absorba lapilule et fut aussitt emport sur le dos dun dra-gon jaune videmment (ce qui nest quandmme pas courant, le dragon tant traditionnelle-ment bleu ou vert). Parvenu au ciel, il y devint ceque nous pourrions assimiler un saint, occupantde multiples fonctions. Entre autres, il tait le pa-tron des sectes taostes et, dans la mouvance de cesdernires, des techniques sotriques, de la mde-cine (on lui attribue la paternit du clbre trait Huang Di Nei Jing Su Wen ), de lalchimie ain-si que des techniques sexuelles (techniques qui serattachent, faut-il le rappeler, lalchimie int-rieure, et sont donc bien loignes des modernesrecettes coquines dites du Tao). Outre ses appar-tements clestes, Huang Di avait galement unedemeure terrestre, mais pas nimporte o : sa capi-tale se situait dans les monts Kunlun (ouest de laChine), o il occupait un splendide palais. AprslEmpereur Jaune se succdrent quatre (sept se-lon certaines sources) autres souverains, parmilesquels Yao dont il est dit quil apparaissaitcomme le soleil et mme comme un dompteur desoleils. Par exemple, dans une lgende lie aurgne de Yao, il existait dix soleils qui se levaientchaque jour tour de rle. Mais un jour, les dix so-

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  • leils montrent en mme temps dans le ciel et lachaleur quils dgageaient tait telle que les hom-mes menaaient den prir. Alors Yao demandalaide du dieu chasseur Yi lArcher lequel, grce son arc vermillon, abattit neuf de ces soleils. Dansune autre version, cest Yao lui-mme qui abattitles neuf soleils, la suite de quoi il rgnra laterre brle grce aux proprits magiques dunarbre sacr. Outre cette caractristique solaire,Yao est prsent comme le premier roi dans le Shujing, et non pas Huang Di. Il est encore dit que Yaofut un bon roi, sage et attentif son peuple. Cestsous son rgne que sabattit sur le pays un dlugequi est connu dans les annales sous le nom de d-luge de Yao. Lre des Cinq Souverains se ter-mine avec le roi Shun, en faveur duquel Yao abdi-qua. Mais une autre version raconte au contraireque Yao fut forc dabdiquer par son ministreShun, lequel sempara du pouvoir. Tout commeYao, Shun est considr comme lexemple parfaitdu souverain vertueux, bon et juste, et il tient unegrande place en tant que reprsentant de lAge

    dor vant par lcole confucenne de Mengzi.Entre autres faits remarquables, Shun dompta lesflots et standardisa les poids et mesures. Mais sur-tout, il est prsent comme le parangon de la pitfiliale. Ainsi, confront la haine de sa famille, il yrpondit non par la violence, mais par uneconduite exemplaire qui eut finalement raison delopposition des siens. Shun eut pour ministre uncertain Yu le Grand, en faveur duquel il abdiqua son tour. Mais ceci est une autre histoire, celle desTrois Dynasties Royales : Xia, Shang et Zhou.Nous y reviendrons au moment daborder lhis-toire des Xia.

    Une prhistoire qui se dvoile. Les premiers peuples qui habitrent la Chinenen occuprent dabord que la partie septentrio-nale, qui consiste dans ce que renferme aujourd-hui la province de Chen-si ; ils taient si grossierset si barbares quils tenaient beaucoup plus de labte que de lhomme [] ils ne vivaient que desfruits que leur fournissait la terre, ou de la chaircrue des animaux quils tuaient, dont ils navaientpas horreur de boire le sang, et ils se garantis-saient de la froidure en se revtant de leur peau,sans autre apprt que celui de la nature. (Tong-kien kang-mou, traduction Pre de Mailla)

    Les Chinois ont toujours eu la passion des sites an-ciens, ds avant notre re et sous toutes les dynas-ties. A ces poques, on ne parlait videmment pasdarchologie : si lon excepte les dcouvertes for-tuites des paysans, la grande majorit des objetsfurent mis au jour par les pilleurs de tombes. Etsans aller jusqu dire que la profession de violeurde spulture tait honorable, il faut remarquer qu-il sagissait dune activit assez courante et enquelque sorte communment admise. Dailleurs,et comme on peut le lire par exemple dans le Shui hu zhuan de Shi Naian ( Au bord deleau , clbre roman-fleuve dont laction se d-roule au XIIe sicle, la fin de la dynastie des Songdu Nord, 960-1126 aprs J.-C.), de nombreux vo-leurs opraient pratiquement au grand jour, en sa-chetant une maison proximit dune tombe pourpouvoir la fouiller plus commodment ! Toutefois,ne nous y trompons pas : les riches acheteurs dan-tiquits ntaient pas seulement des collection-neurs dobjets curieux, ils avaient aussi le dsirsincre de dcouvrir leur pass et de le mettre envaleur, pass quils considraient comme un gedor, dautant plus idalis lorsquils vivaient une poque de troubles. Cest ainsi que certainsamateurs passionns sont rests clbres, tel MiFu au XIe sicle de notre re. Et parfois, cette re-cherche dantiquits fut porte un niveau offi-ciel, comme en tmoignent les catalogues qui fu-rent constitus sous les Song du Nord, le plusclbre dentre eux tant le Kaogu Tu (Illustra-

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    Figure 5. Sur cette reprsentation date de la dynastieQing, le roi Shun (le personnage isol en haut gauche)procde une divination sur carapace de tortue encompagnie de ses ministres. Parmi ceux-ci se tient Yu leGrand, tenant un rouleau la main. A la gauche de Yu,un devin sapprte exposer au feu une carapace de

    tortue pose sur la table.

  • tions pour ltude de lAntiquit), ouvrage monu-mental en dix volumes labor par L Dalin. Cest cette poque galement que le site dAnyang,lancienne capitale des Shang, fut sond surlordre de lempereur Huizong, les pices mises aujour rejoignant les collections du monarque. Cecitant dit, il ne faudrait pas croire que cet amour dela Chine ancienne ait disparu aujourdhui. Mmeau temps de Mao Zedong, le respect pour le passchinois ne sest jamais dmenti. Cest Maolui-mme qui disait que le pass sert de guide auprsent ; on la vu, Sima Qian ne pensait pas au-trement. Cette situation ambigu mlant pillage etarchologie a commenc voluer la charniredes XIXe et XXe sicles, avec les travaux degrands prcurseurs tels Edouard Chavannes(1865-1918), sinologue et traducteur de SimaQian, Victor Segalen (1878-1919), pote, mdecinet dcouvreur du mausole de Huo Qubing, un c-lbre gnral des Han, sans oublier des explora-teurs comme Sven Hedin et Aurel Stein qui ont ar-pent en tous sens lextrme ouest de la Chine. Lesannes 20 constituent un tournant dans la re-cherche archologique, avec les travaux de sa-vants exceptionnels comme Pierre Theilard deChardin (1881-1955) et surtout Johan GunnarAndersson (1874-1960). Ce dernier peut treconsidr comme le fondateur de larchologieprhistorique chinoise. On lui doit en effet la d-couverte, et surtout linterprtation, de Yangshao,le premier site prhistorique dcouvert en Chine.Cest lui aussi qui met au jour, en 1922, le site deZhoukoudian, do sera exhum le clbreHomme de Pkin. Cest enfin le mme Anderssonqui forme les premiers archologues chinois, dontLi Ji, pre de larchologie nationale et un des fon-dateurs, en 1928, de lAcademia Sinica, Institutdhistoire et de philosophie. Cette clbre aca-dmie a jou un rle de premier plan dans le dve-loppement de larchologie nationale, entre autresen organisant de nombreuses campagnes de fouil-les Anyang, capitale des Shang. Les dcenniessuivantes marquent le pas dans le dveloppementdes recherches. Certes, ces dernires nont jamaist compltement abandonnes, mais elles vontsouffrir des vnements qui se droulent alors enChine. Cest dabord la guerre sino-japonaise, du-rant laquelle quelques travaux mineurs sont mensen Mandchourie par les Japonais. Cest ensuite laguerre civile, qui voit nombre de grands cerveauxfuir Taiwan, le qui accueillera galement uneAcademia Sinica en exil. Ce sont enfin les annesde repli et dinterprtation marxiste de lhistoire etla fondation, en 1950, de lInstitut darchologiede lAcadmie des sciences afin de remplacerlAcademia Sinica. Toutefois, partir des annes60 et surtout 70, les dcouvertes exceptionnellesvont senchaner, la plus clbre tant videmmentla mise au jour de la clbre arme en terre cuite de

    Qin Shi Huang Di. Dautre part, les connaissancessur la prhistoire et spcialement sur le Noli-thique progressent pas de gant. Non seule-ment les dcouvertes de sites se multiplient, maisil devient possible, grce laccumulation desconnaissances sur les diffrentes cultures prhis-toriques, de dresser des schmas de plus en plusprcis de lvolution de ces cultures et des rap-ports qui les unissent. A lheure actuelle, la coop-ration internationale a repris, et la longue histoirede la civilisation chinoise se dgage chaque jourplus nettement des brumes de la lgende.

    Que peut-on dire aujourdhui de la prhistoire chi-noise ? Pour rpondre cette question, nous allonsparcourir cette trs longue priode et tenter dedresser un panorama des cultures qui, au fil desmillnaires, donneront peu peu ses caractristi-ques la civilisation chinoise. Premire constata-tion : toute lhistoire du pays est marque par ladistinction entre la Chine du Nord et celle du Sud.On verra par ailleurs que le Nord est le mieuxconnu, avec des sites plus nombreux ; ce qui nen-lve rien lintrt et limportance des culturesdu Sud. Mais commenons par le dbut, avec lePalolithique infrieur. Les plus anciens vestigesdoccupation humaine datent de la fin du Plisto-cne infrieur et sont attribus Homo erectus.Sagit-il des tout premiers occupants du pays ? Onla longtemps cru, partant de lhypothse que ceshommes faisaient partie du vaste mouvement mi-gratoire qui, parti dAfrique et ignorant momenta-nment lEurope, traversa tout le continent asia-tique jusquen cette rgion qui deviendra la Chine.Mais cette thorie classique du grand anctreafricain est aujourdhui battue en brche par dercentes dcouvertes, commencer par celle faite Longguppo, dans la rgion des Trois-Gorges(bassin du Yangzi, au sud de Chongqing). Les ar-chologues y ont en effet mis au jour une cultureoriginale attribue un nouvel Homo erectusconnu sous le nom dhomme de Wushan (Homowushanensis), dont lge est estim 1,9 milliondannes. Outre une mchoire et quelques dents,le site a livr des outils sur clats, denticuls, desgalets plats servant sans doute de grattoirs, ainsique des tranchoirs de toutes tailles. Plus lest, lesite de Renzidong (Anhui, louest de Shanghai),est quant lui dat de 2,2 2,6 millions danneset on y a dcouvert ce qui pourrait tre une bou-cherie prhistorique. Selon le professeur HuangWanpo, linventeur du site en 1995, la Chine au-rait t atteinte trs tt, il y a trois ou quatre mil-lions dannes, par des australopithques africainsqui auraient volu sur place. Quant lHomoerectus chinois, il serait bien n en Chine et seraitle vritable anctre des Chinois. Quoique les d-couvertes de Longguppo et Renzidong confirmentun peu plus chaque jour cette hypothse, la com-

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  • munaut scientifique na pas encore pleinementadmis ce qui constitue un vritable bouleverse-ment dans nos connaissances des dbuts de lhu-manit. Plus fort encore : cet Homo erectus chi-nois a peut-tre lui-mme colonis dautres terres.Certains prhistoriens de renom, tels Henry deLumley et Yves Coppens, admettent en effet lapossibilit quil ait pu pousser jusquen Am-rique, ainsi quen tmoignent des traces de pas d-couverts au Mexique, dats dun million dannes(Dethier 1993 ; Coppens). Mais nonobstant cesdcouvertes sensationnelles, le Palolithique inf-rieur reste trs mal connu. Globalement, il est ca-ractris par une industrie lithique sur clats avecgrattoirs, pointes triangulaires et galets amnags.Pour La Chine du nord, citons le site de Xihoudu,dans la province du Shanxi, dat de 1,8 milliondannes. Il sagit dune culture atypique, qui nepeut tre rattache aucun autre site chinois. Vientensuite le site de Lantian, au Hebei, mieux connuet qui nous a laiss une industrie lithique assez pri-mitive, faite de grands clats et de pointes. Pour laChine du Sud, retenons le site de Yuanmou, dansle Yunnan, lgrement postrieur ceux du Nord,et dat de 1,6 1,7 million dannes. Les connais-sances que nous avons du Plistocne moyen sontmeilleures. Ainsi, en Chine du Nord, il faut avanttout retenir le site de Zhoukoudian (gisement 1),dans la banlieue sud-ouest de Beijing, dcouverten 1922 par Johan Gunnar Andersson. Lendroit at fouill rgulirement partir de 1927 et on en aexhum, outre les fragments du crne du clbreHomme de Pkin (Sinanthropus pekinensis) en1929, prs de 200.000 outils en pierre, stalantsur une priode de 300.000 ans. Les fouilles ontdautre part permis de constater que lHomme dePkin, qui vcut il y a 400.000 500.000 ans, avaitlusage du feu (6). Parmi les autres sites, mention-nons les noms de Kehe et Nanhaiyu (Shanxi),Gongwangling (Shaanxi), et enfin Jinniushan(Liaoning). Lanalyse des outils recueillis sur cessites permet dtablir des relations entre eux etavec les cultures prcdentes. Ainsi, lindustrie deKehe serait issue de Lantian et Jinniushan se ratta-cherait Zhoukoudian. Il ne sagit donc pas dha-bitats isols et indpendants les uns des autres : ilssont au contraire les maillons dune chane volu-tive qui va se poursuivre aux priodes suivantes.En Chine du Sud, citons la grotte de Guanyin(Guizhou) et le site de Shilongtou (Hubei). Peu in-fluencs par le Nord, ils sont caractriss par uneindustrie lithique faite de grands clats.

    Le Palolithique moyen voit, comme partout, l-mergence de lHomme de Neandertal. Ainsi quelon pouvait sy attendre, les cultures de cette p-riode sont les hritires des prcdentes. On y re-trouve en effet de nombreuses caractristiques duPalolithique infrieur : outils sur clats, pointes et

    galets amnags. Parmi la vingtaine desites recenss, signalons, pour le Nord, legisement 15 de Zhoukoudian, Dali (Shaanxi) quiserait le plus ancien et Xujiayao (Shanxi), vieux de60.000 30.000 ans. Fouill de 1974 1977,Xujiayao est dune grande importance pour cettepriode, compte tenu de labondance du matrielmis au jour, soit plus de 14.000 instruments enpierre et en os, souvent de petite taille. Pour leSud, toujours plus pauvre, on trouve entre autresles s i tes de Tongzi (Guizhou) et Maba(Guangdong).

    Ainsi quailleurs dans le monde, le Palolithiquesuprieur voit apparatre lHomo sapiens sapiens,ici de type mongolode. Pour expliquer ce type ra-cial particulier, une certaine thorie fait intervenirdes mtissages entre les Sapiens venus de louestet les descendants des populations locales. Cest cette poque galement que se met en place unedes grandes composantes du paysage de la Chinedu Nord, savoir les dpts de loess qui marque-ront si fort la civilisation chinoise. Les sites princi-paux sappellent Zhoukoudian (au niveau 15, dansla Grotte suprieure) et Xujiayao. On y trouveune industrie proto-microlithique, caractrise parles premires techniques de polissage et de perfo-ration dobjets en pierre et en os, dont des aiguilles chas dune trs grande finesse. (Une des plus re-marquables de ces aiguilles, trouve Zhoukou-dian, est longue de 82 mm, avec un diamtre va-riant entre 3,1 et 3,3 mm !) Cest sur ce mme sitequa t mise au jour, cette fois dans la Grotte in-frieure, une tombe contenant les restes de deux

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    (6) LHomme de Pkin est aussi lHomme invisible. Eneffet, les prcieux restes ont mystrieusement disparudurant la Seconde Guerre mondiale, alors quils taientvacus de Beijing par larme amricaine. On a vi-demment souponn les Japonais de lavoir enlev et,depuis lors, on la vainement cherch aux quatre coinsde la plante. Il se pourrait toutefois que les archolo-gues chinois soient actuellement sur une piste qui pour-raient les mener retrouver ce clbre anctre.

    Figure 6. Le site de Dragon Bone Hill, Zhoukoudian,lieu de dcouverte de lHomme de Pkin.

  • femmes et dun homme. Les dpouilles, recouver-tes docre rouge, taient entoures dobjets fun-raires, doutils et dornements. Lapparente simili-tude de tra i tement funraire entre cesreprsentants des deux sexes plaide en faveurdune galit entre hommes et femmes. Et je mepermets ici une lgre digression en signalant quececi va dans le sens des plus rcentes dcouvertesen matire dorganisation sociale prhistorique : ildevient de plus en plus vident que la guerre dessexes nexistait pas au Palolithique. Mme silsavaient sans doute leurs activits spcifiques,hommes et femmes taient socialement considrssur un pied dgalit, et pouvaient pareillement ac-cder aux tches les plus nobles. Une dcouvertetoute rcente confirme ce point de vue : lanalysedes mains ngatives imprimes sur les parois deplusieurs grottes a permis de constater que lesmains en question appartenaient aux deux sexes(ceci grce lindice de Manning, qui diffrenciehommes et femmes par le rapport entre la longueurde lindex et de lannulaire). Concrtement, celasignifie que, les productions artistiques palolithi-ques tant de nature chamanique, les pratiques dechamanisme taient accessibles tant aux femmesquaux hommes. Pour en revenir notre sujet, ilest intressant de constater, au-del de la simplenumration des sites et de leurs caractristiques,la continuit des cultures entre 27.000 et 14.500avant notre re. Ainsi, tant Shiy (Shanxi,-27.000) que Xiaonanhai (Henan, -22.200) et Xia-chuan (Shanxi, -22.000 -14.500) ont dveloppun usage presque gnralis des microlithes. Lereste du pays par contre montre ici son indpen-dance relative, la tradition du microlithe tantmoins forte, comme on a pu le constater en fouil-lant les sites situs notamment au Sichuan, auGuizhou et au Tibet. Enfin, le Msolithique est es-sentiellement prsent en Chine du Nord, avec dif-frentes cultures microlithes, surtout dans leNord-Est, en Mongolie intrieure et au Xinjiang.Il faut par ailleurs noter que lindustrie microli-thique a perdur au-del du Msolithique, puisqu-on la retrouve au Nolithique et sous les premi-res dynasties jusquau dbut de notre re.

    Le creuset du Nolithique. Ah ! ils dsherbent, ah ! ils dfrichent ! Leurscharrues ouvrent le sol. Des milliers de couplesdessouchent, les uns dans les terrains bas, les au-tres dans les terrains levs [] Pourquoi a-t-onarrach la brousse pineuse ? Pour que nous puis-sions planter notre millet. (Shi jing)Si nous avons parcouru assez rapidement le Palo-lithique et le Msolithique, nous allons par contreinsister un peu plus sur le Nolithique. En effet,cest cette priode charnire que nat vritable-ment la culture chinoise, avec lapparition duncertain nombre dlments caractristiques. Cest

    dabord la distinction entre deux agricultures : aunord, le millet, le bl et lorge ; au sud, le riz. Cestensuite lopposition entre deux modes de vie :celle du Chinois agriculteur et sdentaire de lint-rieur du pays et celle du nomade non chinois de lapriphrie. Ce sont enfin des objets et des prati-ques, tels les jades, les premiers laques et lutilisa-tion des os ports au feu des fins divinatoires.Cest aussi au Nolithique quil faut se rfrerpour tenter de faire la part des choses entre ce quiest lgendaire et ce qui pourrait avoir un fonds his-torique, dans les donnes de la tradition littrairequi nous sont parvenues, et entre autres dans le Shiji de Sima Qian. La connaissance du Nolithiquechinois a considrablement volu au cours desdernires dcennies. Initialement, on pensait quele Nolithique tait n et stait dvelopp exclusi-vement autour du bassin du Huang He (ou fleuveJaune). Aujourdhui, on admet quil a exist plu-sieurs foyers distincts. Mais, disons-le encore unefois, ils taient interdpendants pour la plupart.Ces foyers, constitus de peuplades typiquementchinoises mais aussi plus ou moins nomades, setrouvent, non seulement dans le Nord, dans le bas-sin du Huang He, mais galement dans le Sud, lelong de la cte orientale ainsi que dans la valle duYangzi Jiang (ou fleuve Bleu lequel, soit dit enpassant, ne charrie pas la moindre trace de bleu et quen Chine on appelle Chang Jiang). Mais celanenlve rien limportance du bassin du fleuveJaune. Ainsi, les premiers Etats chinois se sontconstitus prs du Huang He et de son affluent laWei. Comme je lai dj signal propos deHuang Di, lEmpereur Jaune, un des caractresmajeurs de cet environnement originel, savoir lacouleur jaune du fleuve, se retrouvera en tant quesymbole du pouvoir tout au long de lhistoirechinoise.

    La naissance, Peiligang et Cishan.Selon les dernires dcouvertes, les sites nolithi-ques les plus anciens apparaissent progressive-ment en Chine du Sud-Est entre 10.000 et 5000avant J.-C. (sites de Xianrendong, Zengpiyan etWengyuan, respectivement situs au Jiangxi, auGuangxi et au Guangdong). Outre une industrie li-thique sur galets, on trouve l un outillage en co-quillage et en os, ainsi quune cramique cordeencore grossire vers 5000 avant notre re.(Comme nous le verrons, la technique fruste deces premiers potiers voluera au fil des siclesvers une matrise de plus en plus grande jusquatteindre une virtuosit jamais gale dans dau-tres civilisations.) Mais, bien que nous soyons auNolithique, on na pas de preuve de lexistencedune quelconque agriculture ni dlevage : la po-pulation vit vraisemblablement encore exclusive-ment de chasse, de pche et de cueillette. Dans le

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  • Nord, le Nolithique le plus ancien est dat du VIe

    millnaire. Ce sont les cultures de Peiligang (He-nan) et Cishan (Hebei). Ici par contre, on trouveles traces les plus anciennes dune culture du mil-let, ainsi que le confirme lexistence doutils enpierre servant lagriculture : meules, houes etfaucilles. Llevage nest pas en reste, avec la do-mestication du porc, du chien et du poulet. La c-ramique fait son apparition, mais elle est grossire,avec des cuelles, des jarres et des plats dcorsdimpressions cordes, de motifs gomtriques etde mamelons en relief. Dune manire gnrale, denombreuses cramiques prfigurent les ralisationsdu Yangshao ancien, un des sites principaux duNolithique chinois. Il se pourrait toutefois quecette vision dun Nolithique ancien assez pauvreen termes de culture soit en train dvoluer. Cette

    remise en cause fait suite la dcouverte rcentedes ruines de Dadiwan (province du Gansu), datespour linstant de quelque 6000 ans. On y a en effetmis au jour des poteries colores ainsi que 240 mai-sons et un lieu sacrificiel ; et tandis que lAgenceChine nouvelle annonait que la civilisation chi-noise prend un coup de vieux, les archologues encharge du site nhsitent pas parler de la dcou-verte dune civilisation avance dans ce coin ex-centr du domaine chinois.

    Yangshao.Cest encore en Chine du Nord qua t mise aujour la culture de Yangshao. Dans lhistoire desdcouvertes archologiques chinoises, cette cul-ture est en quelque sorte emblmatique puisquecest la premire avoir t reconnue avec, en

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    Figure 7. Les principaux sites nolithiques de Chine.

  • 1921, la dcouverte, par J. G. Andersson, du siteponyme situ au Henan. Depuis lors, un bon mil-lier de sites de type Yangshao ont t localiss, s-talant entre 5100 et 2700 environ, et sur une sur-face considrable, recouvrant de vastes tenduesdu bassin du fleuve Jaune, et principalement auShaanxi, au Shanxi, au Henan et au Hebei. Bienentendu, cette culture nest pas uniforme du dbut la fin, et elle varie selon les rgions. On distingueainsi deux horizons, eux-mmes subdiviss enphases. Globalement, le Yangshao se caractrisepar la culture du millet et du chou chinois (le plusancien lgume connu en Chine du Nord), par ladomestication du porc, du chien et peut-tre desbovids, et par la production de cramiques pein-tes, dabord de motifs assez peu nombreux, puisde plus en plus diversifis. Certains de ces motifssont remarquables comme par exemple, des mar-ques peintes ou graves qui sont parfois interpr-tes comme les signes dune criture primitive.Parmi les sites les plus remarquables du Yangshao,nous retiendrons le nom de Banpo (prs de lac-tuelle Xian, province du Shaanxi), qui appartientau Yangshao ancien et est dat de 4800 3600avant notre re. Outre une poterie au dcor parti-culier constitu dun masque humain associ despoissons, Banpo est un bel exemple de villagenolithique chinois, et les archologues y ont re-cueilli nombre de donnes intressantes sur lor-ganisation de ce type de communaut agricole. Levillage, qui stendait sur une surface de 50.000m2, tait compos, dune part, dune grande mai-son carre destine accueillir les activits publi-ques et, dautre part, des habitations proprementdites, plus petites, rondes et semi-enterres (figure8, gauche). Ce complexe dhabitations tait com-plt par des caves servant dentrepts communset il tait protg par un foss profond de cinq sixmtres. A ct du quartier dhabitation, Banpocomprenait encore deux autres secteurs : le four poteries lest et le cimetire au nord. Plus tard, auYangshao final, les maisons seront mitoyennes etconstruites en surface. Signalons aussi que cestdu Yangshao que sont dats les plus anciens ins-truments de musique chinois. Il sagit docarinasou sifflets en terre un trou. Une autre caractris-tique intressante de la culture de Yangshao est laplace qui y est rserve la femme. Lexamen destombes montre en effet quil est de coutume den-terrer les femmes en place centrale dans des spul-tures communes. De plus, Banpo par exemple,on remarque que les objets funraires accompa-gnant les dpouilles des femmes sont gnrale-ment plus nombreux que ceux rservs aux hom-mes. Par contre, dans dautre