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Germanica 26 (2000) Philosophie et littérature dans les pays de langue allemande au xxe siècle ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Florence Bancaud-Maenen Kafka et Kierkegaard : Frères de sang ou penseurs contraires ? ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Florence Bancaud-Maenen, « Kafka et Kierkegaard : Frères de sang ou penseurs contraires ? », Germanica [En ligne], 26 | 2000, mis en ligne le 07 mars 2014, consulté le 26 mai 2015. URL : http://germanica.revues.org/2412 Éditeur : Université de Lille 3 http://germanica.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://germanica.revues.org/2412 Document généré automatiquement le 26 mai 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Tous droits réservés

Kafka Et Kierkegaard Freres de Sang Ou Penseurs Contraires

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Revista Germanica 2412 26 KafkaKierkegaard

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  • Germanica26 (2000)Philosophie et littrature dans les pays de langue allemande au xxe sicle

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    Florence Bancaud-Maenen

    Kafka et Kierkegaard: Frres de sangou penseurs contraires?................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueFlorence Bancaud-Maenen, Kafka et Kierkegaard: Frres de sang ou penseurs contraires?, Germanica [Enligne], 26|2000, mis en ligne le 07 mars 2014, consult le 26 mai 2015. URL: http://germanica.revues.org/2412

    diteur : Universit de Lille 3http://germanica.revues.orghttp://www.revues.org

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    Florence Bancaud-Maenen

    Kafka et Kierkegaard: Frres de sang oupenseurs contraires?Pagination de ldition papier : p. 101-113

    1 Si les nombreux lecteurs des romans de Kafka sont conscients de linfluence de Dickens,Flaubert, Kleist et Dostoevski sur son uvre narrative, moindres sont ceux qui, ayantconsult son Journal, ont dcouvert limportance de la pense de Kierkegaard dans ses textesautobiographiques, ses aphorismes, voire ses rcits et romans.

    2 Certes, la relation livresque que noue Kafka avec le penseur danois n soixante-dix ans avantlui, en 1813, et mort en 1855, mais dont les uvres ne furent traduites qu partir de 1900,est assez tardive. Kafka ne dcouvre Kierkegaard quen 1913, alors que sa vocation littrairea dj t confirme par Le Verdict et La Mtamorphose et quil ne lui reste que vingt et uneannes vivre. Le 21aot, il note ainsi dans son Journal:

    Jai reu aujourdhui Le Livre du juge de Kierkegaard. Comme je le pressentais, son cas est trssemblable au mien, en dpit de diffrences essentielles, il est situ pour le moins du mme ctdu monde. Il me confirme comme un ami1.

    3 Cette premire note tmoigne dj de toute lambigut qui caractrise lattitude de Kafka face Kierkegaard et son uvre: un sentiment daffinit indniable se mle une volont dedistance dj vidente. La premire approche de luvre de Kierkegaard est suscite par unami de Kafka, Willy Haas; elle se limite au Livre du Juge, un choix dextraits du Journal de1833-1855. Ds 1917, Kafka se penche plus intensment sur son uvre et consulte le livre deMonrad dat de 1909 et consacr la vie et luvre du danois ainsi que louvrage de RegineSchegel intitul Sren Kierkegaard et son rapport avec elle. lautomne 1918, il lit Ou bienou bien, puis Crainte et Tremblement (1843), quil prtera son ami Robert Klopstock en1921. En 1922 enfin, Kafka tudie Les Stades sur le chemin de la vie et relit Ou bien ou Biencomme il le mentionne dans une des dernires notes du Journal date du 18dcembre.

    4 Nanmoins, son attitude volue au cours de ces neuf annes: jusquen 1917, la critique deKafka envers Kierkegaard est toujours positive. De 1917 1921, elle se fait plus ngative etKafka exprime une incomprhension et une distance croissantes envers le philosophe danois;enfin, la troisime priode se caractrise par la critique indirecte de Kierkegaard traversla figure dAbraham, par rapport auquel Kafka dveloppe son propre concept de morale, delimite et de choix existentiel.

    5 La premire phase de critique positive concide avec la rencontre et la rupture de Kafka avecFelice. Elle est place sous le signe de langoisse, du vertige des possibles et du questionnementsur le mariage.

    6 Si Kafka reconnat Kierkegaard comme un frre de sang, cest non seulement parce quilpartage sa peur du mariage, mais aussi sa mlancolie et son profond sentiment de culpabilitli au poids dun pre tout puissant. Le pre de Kierkegaard, autodidacte fru de philosophieet de thologie, a donn ses enfants une ducation trs svre mtine dun luthranismetrs austre qui a trs tt imprgn dans lme de Sren langoisse et le sentiment du pch.Hermann Kafka, lui, a fait peser sur ses enfants son autorit, son gosme et son mpris pourla vocation littraire du jeune Franz. Dans les deux cas, la figure paternelle incarne donc la loi,linstance jugeante qui semble dnier au fils toute libert de choix existentiel et prdtermineson angoisse des possibles.

    7 Le second vecteur de cette angoisse est, chez Kafka comme Kierkegaard, le problme dumariage. Kafka rencontre Felice Bauer le 13aot 1912 et lui demande sa main mi-juin1913.Fin mai1914, il fte ses fianailles officielles, mais ds le 12juillet, rompt avec elle. Toutefois,aprs leurs retrouvailles Bodenbach en janvier1915, dbut juillet1917, ils se fiancent denouveau Prague. Mais, dans la nuit du 9 au 10aot, aprs que sa tuberculose sest dclare,Kafka rompt dfinitivement avec la jeune femme. Le mariage est galement impossible pour

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    Kierkegaard, qui, aprs une douloureuse anne de fianailles avec Regine Olsen, une trs jeunefille de dix-sept ans, brise en 1841 son engagement. Il ne cessera pourtant, comme Kafka,de revenir sur la lgitimit esthtique et thique du mariage : cest l pour lui un contratprocdant dune harmonie intime fonde sur la volont de maintenir linstant magique delamour romantique de la premire rencontre. Il note ainsi dans Ou Bien ou bien:

    Tu vois donc quel est le but que je me suis assign montrer que lamour romantique peut treconcili avec le mariage et exister en lui, oui, que le mariage en est la vraie transfiguration2.

    8 Si Kierkegaard souligne que lamour ou la passion sont la substance du mariage, il affirmetoutefois quil comporte un lment thique et religieux en lui que lamour ne possde pas;et pour cette raison le mariage est bas sur la rsignation, lamour ne lest pas3. Le mariageconstitue en effet une cole du caractre: tant ainsi une harmonie intime, le mariagepossde naturellement sa tlologie en lui-mme4. Cependant, lennemi essentiel du mariagenest pas lgosme inn des individus, mais le temps, dont il doit faire son alli pour pouvoirdurer: Lamour conjugal trouve donc son ennemi dans le temps, sa victoire dans le temps,son ternit dans le temps5. Une telle conception suppose que le mariage puisse surmonterle poids de lhabitude et fasse du devoir un ami, quil devienne donc historique et thique encombinant soumission la dure et respect du contrat conjugal. Il suppose donc lquilibreentre deux des trois stades principaux distingus par Kierkegaard dans Les Stades sur le cheminde la vie (1845), le stade esthtique et le stade thique qui prfigurent le troisime stade,religieux et que Kierkegaard dfinit ainsi: Lesthtique dans un homme est-ce par quoi ilest immdiatement ce quil est; lthique est-ce par quoi il devient ce quil devient6.

    9 Le stade esthtique est donc celui de la vie dans linstant tandis que le stade thique supposelancrage dans la dure et le stade religieux le choix de lternit. Le mariage permet desubstituer au culte de la jouissance et du plaisir dans linstant, que symbolise le Don Juan duJournal du sducteur attach viter tout attachement une profession, un ami ou unefemme, le sens de la responsabilit et du devoir.

    10 Sil recourt dautres termes en opposant mariage et littrature, Kafka pose une alternativesemblable celle de Kierkegaard, puisquil oppose au solipsisme de lcrivain la communautdu mariage. Mi janvier 1918 alors que, le 24novembre 1917, il a crit Max Brod avoirconsacr quelques instants un livre de Kierkegaard , il part du thme du mariage de sonami pour largir sa rflexion aux rapports entre mariage et littrature: Je naffirme pas quetu as pous ta femme au nom de la littrature, mais que tu las fait malgr la littrature7.Dans le Journal galement, il ne cesse dvoquer son tiraillement entre sa vocation littraireet son dsir de mariage et de famille. Tandis que Kierkegaard affirme dans Ou bien ou bien:marie-toi, tu le regretteras; ne te marie pas, tu le regretteras galement8, Kafka note dansses carnets:

    Sans anctres, sans mariage, sans descendants, avec un violent dsir danctres, de mariage, dedescendants9.Je nai pas pu me marier; cette poque, tout en moi sest rvolt contre le mariage, si fort quejaie aim F.Cest principalement le dsir de prserver mon travail littraire qui men a empch,car je croyais ce travail menac par le mariage10.

    11 Mais cest sans doute cette lettre Felice qui rsume le mieux le dchirement existentiel delcrivain pragois tiraill entre sa vocation littraire et son aspiration fonder une famille:

    [] Il y avait et il y a toujours en moi deux tres qui se combattent. Lun est presque commetu voudrais lavoir []. Mais lautre ne pense qu son travail. [] Le premier est dpendantdu second; jamais, jamais pour des raisons intrieures, il ne serait en mesure de labattre [].Quand [l] es autres se marient, ils sont presque rassasis, et le mariage ne reprsente pour eux quela dernire et belle grosse bouche. Pas pour moi: je ne suis pas rassasi []. Jai une telle faimde mon travail quelle me fait perdre tout ressort11.

    12 Mi-janvier1918, Kafka voque nouveau linaptitude de Brod au mariage, mais ce sont encoreses propres doutes qui transparaissent dans cette affirmation qui oppose moins lthique ducontrat lesthtique de la jouissance que la limitation une femme unique louverture la diversit du monde:

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    De mme, par exemple, que tu as pous ta femme, et avec elle et par-del elle la littrature, demme, [] et par-del elle la Palestine [], un vrai poux [], devrait certes pouser le mondeen la personne de sa femme, condition quil ne voie pas le monde pouser au-del de sa femme,mais sa femme travers le monde12.

    13 travers le problme du mariage, cest donc le problme de lengagement, de la vocationindividuelle que posent Kierkegaard et Kafka: Kierkegaard, par sa rupture avec Regine Olsen,a choisi de renoncer au stade thique pour se trouver plac entre le stade esthtique et religieux.Cest finalement ce dernier quil choisit en dveloppant le paradoxe de la pense chrtienne eten opposant au solipsisme du sujet esthtique vivant dans linstant lternit, la transcendancedivine et la puissance de la foi. Quant Kafka, il se trouve plac devant lalternative entre lemode de vie thique fond sur le mariage et la limitation au stade esthtique de la crationlittraire. Mais choisir lui semble chose impossible, comme en tmoigne cette note de 1916:

    Abandonne cette erreur insense qui consiste tablir des comparaisons entre toi et Flaubert,Kierkegaard ou Grillparzer. Cest l une attitude absolument purile. [] Flaubert et Kierkegaardsavaient exactement o ils en taient, ils avaient des intentions claires, ne calculaient pas etagissaient. Tandis que dans ton cas, il sagit dune perptuelle succession de calculs, dunflottement monstrueux qui dure depuis quatre ans13.

    14 Kafka, dont la vie est hsitation devant la naissance14, semble donc pris par langoissekierkegaardienne lie au vertige de lindividu auquel soffre une pluralit de possibilitscontradictoires. Dans Le Concept de langoisse (1844), Kierkegaard a dmontr que cettelibert inhrente tout individu est en mme temps lorigine de la culpabilit et du pch:Le possible de la libert sannonce dans langoisse. [] Lindividu, dans son angoisse nonpas dtre coupable, mais de passer pour ltre, devient coupable15. Cest exactement l lesentiment de Joseph K, sorte de double littraire de Kafka, dont le procs est essentiellementle processus dintriorisation dune culpabilit impose de lextrieur, mais jamais avre etdont la faute consiste prcisment ne pas sengager dans lexistence par peur de faire le mal, sexclure de la loi qui rgit la communaut humaine. JosephK., qui reconnat la fin du Procssa culpabilit, exprime sa faute en ces termes: Jai toujours voulu dans le monde menervingt choses la fois, et, pour comble, dans un dessein qui ntait pas toujours louable. Ctaitun tort16. Un autre nom pour cette angoisse des possibles est latermoiement illimitque le peintre voque devant JosephK17. Il consiste en une prolongation infinie du procs delaccus, sauv ainsi tant de la condamnation que de lacquittement, mais dont ni la libert, nilinnocence ne peuvent tre reconnues. Transpos au niveau existentiel, cet atermoiementillimit figure lhsitation continuelle de Kafka entre les trois ples de la loi individuellede la cration, de la loi morale du mariage et de la foi religieuse. Il est cristallis dans laparabole Devant la loi que labb conte JosephK dans la cathdrale: un homme reste desannes durant plant devant la porte de la Loi, garde par une sentinelle qui, lheure de lamort de lhomme, lui dclare: Personne que toi navait le droit dentrer ici, car cette entrentait faite que pour toi18. Cest dans la conclusion de labb que linfluence de la pensede Kierkegaard sur les notions de libert et de culpabilit kafkennes est la plus palpable:

    Lhomme libre est suprieur lhomme li. Or lhomme qui est venu est libre, il peut aller o illui plat; il ny a que lentre de la Loi qui lui soit dfendue []. Sil sassied [] ct de laporte et passe sa vie cet endroit, il le fait volontairement. []. La sentinelle reste infrieure ensavoir lhomme, car lhomme voit lclat qui brille travers la porte de la Loi19.

    15 Tandis que Kierkegaard a opt pour le stade religieux, Kafka, tel cet homme conscient, maiscoupable de navoir su user de sa libert autrement que dans le vertige des possibles, demeuredonc devant la porte, exclu dun monde dont il se sent tranger puisquil a commis la fautede refuser le mariage qui lui aurait permis de sintgrer la communaut des hommes. Maisil est tout aussi loign de la transcendance divine. Il reste donc condamn la solitude et la mlancolie dsespre de lesthticien dcrit dans Ou bien ou bien, dans les Stades etdveloppe dans La Maladie la mort, autre nom pour le pch ou la maladie du dsespoirli la conscience du fini et la qute de linaccessible infini divin. Lhomme tant tendu enpermanence entre le fini quil reprsente et linfini auquel il aspire, il ne peut vivre que dans la

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    souffrance, lautoconsomption et la douloureuse conscience de ntre ni totalement lui-mme,ni Dieu, lAutre absolu auquel il aspire, mais auquel cest un pch que de vouloir sidentifier:

    Le moi est la synthse consciente dinfini et de fini [] et dont la tche est de devenir soi, cequelle ne peut quen se rapportant Dieu. [] Le dveloppement doit donc consister sloignerinfiniment de soi en rendant le moi infini, et revenir infiniment soi en rendant le moi fini.[] Si donc le moi ne devient pas lui-mme, il nest pas lui-mme; mais ne pas tre soi, cestjustement le dsespoir20.

    16 Si Kierkegaard tente donc de surmonter ce dsespoir existentiel en optant pour le stadereligieux, Kafka, tout comme Joseph K. et lhomme devant la Loi, demeurent des tresdsesprs parce que victimes de leur libert et leur conscience de la limite qui les spare delinfini.

    17 Cest pourquoi, bien quil ait eu trs tt la conscience dune affinit avec la vie du penseurdanois, partir de 1917-1918, Kafka fait montre dune distanciation croissante par rapport sa pense. Toutefois, lambigut de ses propos envers Kierkegaard est encore flagrante:

    Kierkegaard est une toile, mais au-dessus dune contre qui mest presque inaccessible, je merjouis que tu tapprtes le lire, je ne connais que Crainte et Tremblement21.

    18 Dbut mars 1918, Kafka voque galement sa ressemblance physique avec lui [qui] amaintenant presque compltement disparu22. Il ajoute plus loin une note qui tmoigne de sonintrt constant pour le caractre de lhomme:

    Ni ici, ni l, on ne peut dire quil soit seulement ngatif. Dans Crainte et Tremblement parexemple [], sa positivit va jusquau monstrueux []. Lhomme ordinaire (avec lequel du reste,bizarrement, il savait si bien sentretenir), il ne le voit pas et peint son monstrueux Abraham dansles nuages. Mais ce nest pas une raison pour le juger ngatif []. Et puis, qui dira tout ce quily avait dans sa mlancolie23.

    19 Fin mars de la mme anne, une autre lettre Max Brod tmoigne encore de linfluence desconcepts kierkegaardiens sur la pense et luvre de Kafka:

    Tu voques sa profondeur de rflexion et tu sens apparemment comme moi quon ne peut passe soustraire au pouvoir de sa terminologie, de ses dcouvertes conceptuelles. Par exemple, leconcept de dialectique chez lui, ou encore cette classification en chevaliers de linfini etchevaliers de la foi, ou encore son concept de mouvement. Celui-l peut vous porter enligne droite jusquau bonheur de la connaissance et mme un coup daile plus loin24.

    20 Nanmoins, fin 1918, aprs la seconde rupture avec Felice, Kafka devient plus premptoire etcassant dans ses propos sur Ou bien ou bien, quil vient de lire:

    Jai commenc [] lire Ou bien ou bien, dans un tat particulirement indigent, et maintenantje reois, envoys par Oskar, les derniers livres de Buber. Livres atroces, odieux, tous les troisensemble. Ils sont justes et prcis et, surtout Ou bien ou bien, crits avec la plume la plus acre[], mais ils sont dsesprer []. Leur abomination me grandit entre les mains25.

    21 Ds lors, ses propos tmoignent dune volont doubli de la pense de Kierkegaard que lonpourrait interprter comme un vritable refoulement associ son renoncement Felice:

    Il se peut que je me sois vraiment gar dans Kierkegaard. []. Le problme de la ralisationde son mariage est son affaire essentielle, son affaire quil porte continuellement jusqu saconscience; jai vu cela dans Ou bien ou bien, dans Crainte et tremblement, dans la Rptition.[], mais, bien que Kierkegaard me soit en ce moment dune manire ou dune autre toujoursprsent lesprit, je lai vritablement oubli, tant je vagabonde ailleurs, sans toutefois jamaisperdre entirement contact avec sa pense []. Nempche que je ne puis toujours pas lire lepremier livre de Ou bien ou bien sans rpugnance26.

    22 Si le problme du mariage ne hante plus Kafka cette date, cest quil la surmont en letransposant sous forme de fictions telles Le Verdict, o le pre de Georg Bendemann dnie son fils le droit dpouser Frieda Brandenfeld, sorte de double littraire de Felice Bauer. Enoutre, sans avoir dpass lalternative entre le stade esthtique et thique, il apprhende cesdeux modes de vie diffremment. Il noppose plus en effet lindividualisme crateur au contratthique du mariage, mais le moi et le monde. Cest un rapport authentique au monde quil

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    tente ds lors de restaurer, mais quil ne peut atteindre que par la cration littraire, associantainsi les modes esthtique et thique dans sa qute de vrit et de puret.

    23 On assiste alors une troisime phase de critique indirecte, mais plus nuance et ironique, oKafka se concentre essentiellement sur Crainte et tremblement (1843). Kierkegaard y analysele problme de la suspension de lthique au profit du commandement divin travers la figuredAbraham somm par Dieu de lui sacrifier son fils unique, Isaac, donc de faire prvaloir lecommandement divin sur lamour paternel. Il dclare en effet Isaac: Stupide! crois-tu doncque je suis ton pre? Je suis un idoltre []. Je fais mon bon plaisir, justifiant ensuite devantDieu sa trahison: il vaut mieux quil me croie un monstre que de perdre la foi en toi27.

    24 Abraham reprsente pour Kierkegaard le chevalier de la foi quil oppose au chevalier de larsignation, au hros tragique qui renonce son individualit pour se vouer la loi moralegnrale, tandis quAbraham agit individuellement, en vertu de labsurde:

    Le chevalier de la foi est le seul heureux, lhritier direct du monde fini, tandis que le chevalier dela rsignation est un tranger vagabond. [] Abraham, par foi, agit en vertu de labsurde, car cestlabsurde quil soit comme individu au-dessus du gnral []. Le hros tragique renonce lui-mme pour exprimer le gnral; le chevalier de la foi renonce au gnral pour devenir lindividu28.

    25 Si Kierkegaard affirme ainsi que labsolue vocation de lhomme est religieuse, que lhommene peut avoir de sens quen et par Dieu, Kafka part du principe que lincommensurabilit de lafoi isole lhomme du monde et lentrane au mpris du monde. Or, Kafka affirme quil ny aquun combat possible, celui entre lhomme et le monde, et que lhomme se doit de seconderle monde, tel lcrivain qui le fait surgir en exorcisant ses images intrieures:

    Vivre signifie: tre au milieu de la vie; voir la vie avec le regard dans lequel je lai cre [].

    26 Il nest pas ncessaire que tu sortes de ta maison; reste ta table et coute. [] Le mondeviendra soffrir toi pour que tu le dmasques, il ne peut faire autrement, extasi, il se tordradevant toi29.

    27 Il oppose ainsi la singularit de lindividu isol des hommes par la foi la ncessit de rpondre lappel du monde, mme si la fusion totale avec ce dernier demeure utopique. Les mtaphoresde la cuirasse, de la prison ou du labyrinthe, constantes dans le Journal et luvre narrativede Kafka, figurent cette impossibilit dadvenir au monde et autrui, tant les obstacles sontinsurmontables. Le premier est la loi inhrente au monde qui suppose le sacrifice de lindividu:

    Disposer librement dun monde tout en ayant le mpris de ses lois. Lacte qui impose la loi.Bonheur de cette fidlit la loi. Mais il nest pas possible de nimposer au monde que la loi [].Ce ne serait pas l une loi mais un acte arbitraire, sditieux, une condamnation de soi-mme30.

    28 Si Kafka soppose lAbraham de Kierkegaard, cest quil reprsente un sublime que Kafkarejette en utilisant des images triviales et grotesques qui insistent sur le double cart dAbrahamnon seulement par rapport une transcendance divine juge inaccessible, mais surtout parrapport au monde humain. Il met ainsi en scne un Abraham englu dans un monde sensibledont il ne peut se dptrer:

    Je pourrais concevoir un autre Abraham [] qui serait prt rpondre lexigence du sacrificesur le champ, avec lempressement dun garon de caf, et pourtant narriverait pas accomplirle sacrifice parce quil ne pourrait pas quitter sa maison31.

    29 Dans la suite de cette lettre, aux accents parodiques et blasphmatoires, Kafka fait mmedAbraham une figure grotesque, un Don Quichotte absurde et crasseux:

    Il craint non de partir avec son fils en tant quAbraham sans doute, mais en cours de route, dese transformer en Don Quichotte. Le monde aurait t pouvant jadis par Abraham sil lavaitregard agir; mais celui-l craint qu sa vue, le monde ne crve de rire. Or, ce nest pas le ridiculeen soi quil craint [], cest que le ridicule ne le rende encore plus vieux et plus repoussant, quilne rende son fils encore plus crasseux, encore plus indigne dtre vraiment appel. Un Abrahamqui se prsente sans tre appel! Cest comme si, la fin de lanne, le meilleur lve de la classedevait solennellement recevoir un prix et que [] le plus mauvais lve, ayant mal entendu, sorttde son banc crasseux du dernier rang, tandis que la classe entire clate de rire32.

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    30 Comme le souligne fort justement Ralf Goebel33, le rapport absolu de lindividu Abraham Dieu est ici invers en un rapport de dpendance sociale (celle du garon de caf) ou enune hirarchie apprhende selon des critres sociaux ou intellectuels (la salet, le dernierde la classe) et manifeste par une servilit et une dpendance excessives. Kafka souligneainsi lillusion de croire un fondement divin de lexistence. Dans le Journal, il constatela pauvret sprituelle dAbraham qui ne comprend pas lincommunicabilit du paradoxeopposant le gnral et le particulier et qui, se trouvant la charnire entre un monde transitoirequil rejette et une inaccessible transcendance, est condamn limmobilit:

    Ce monde transitoire ne suffit pas la prvoyance dAbraham, cest pourquoi il dcide dmigreret de se transporter avec lui dans lternit. Mais soit que la porte de sortie, soit que la portedentre soit trop troite, il ne parvient pas faire passer la voiture de dmnagement. Il attribuecela la faiblesse de sa voix de commandement. Cest l le tourment de sa vie34.

    31 LAbraham de Kafka tend donc non vers le divin, mais vers la diversit du monde:

    Abraham est pris dans lillusion suivante: il ne peut pas supporter la monotonie du monde. Or,comme lon sait, le monde est prodigieusement divers []. Naturellement Abraham sait celaaussi. Sil se plaint de la monotonie du monde, cest donc quil se plaint en ralit de ne pas seconfondre assez intimement avec la diversit du monde. Donc, en ralit, quil prend un tremplinpour sauter dans le monde35.

    32 Or cette fusion, quoique toujours postule, est impossible dans le monde. Lhomme y estcondamn une errance labyrinthique comme Karl Rossmann dans les rues de New-Yorkdans Le Disparu, comme Joseph K.dans les couloirs du tribunal du Procs ou comme K.quierre sur les chemins dserts du chteau dont il reste perptuellement exclu. La faute, laculpabilit dont parle Kierkegaard dans La Maladie la mort, est mme souvent inscrite dansla chair de lhomme, marquant ainsi sa finitude et sa faute de vouloir atteindre une formedinfini impalpable : ainsi la pomme qui marque lempreinte de la loi paternelle dans LaMtamorphose, la loi thique inscrite dans la chair du condamn dans La Colonie pnitentiaire,la blessure rose du malade du Mdecin de Campagne, la cicatrice du singe de Communication une acadmie ou la condamnation du sujet mort par son pre dans Le Verdict, ou par lasocit gardienne de la Loi dans Le Procs.

    33 De mme, le K. du Chteau en restera toujours exclu, puisquil nobtiendra jamaislautorisation de voir Klamm, son seigneur, que Max Brod a interprt comme allgorie de lagrce divine laquelle aspire le protagoniste, mais que la plupart des critiques, sappuyant surla signification de ce mot en tchque lillusion analysent plus volontiers comme figure delinaccessible transcendance. Cette opacit du monde aussi inaccessible au sujet que linfinidivin est figure par labsolue absence de repres du paysage qui entoure le chteau, dont nullelumire nmane larrive de K:

    Il tait tard lorsque K.arriva. Une neige paisse couvrait le village. La colline tait cache par labrume et par la nuit, nul rayon de lumire nindiquait le grand chteau36.

    34 Dans le Journal de 1922, on retrouve cette image dun chemin sombre et solitaire figurant ledsespoir existentiel de lhomme sans Dieu:

    Ma situation dans ce monde est terrible, je suis ici seul Spindelmhle, et par surcrot, dans unchemin abandonn o, dans le noir, on glisse constamment sur la neige, un chemin absurde, sansbut terrestre37.

    35 Si Kafka sest loign de Kierkegaard ds 1917-1918, ne sest-il donc pas avant tout loign delui-mme? Comme le note fort justement Bert Nagel, ce dialogue critique avec Kierkegaardest en partie aussi un dialogue critique de Kafka avec Kafka. Kafka veut se librer deKierkegaard comme il veut se librer de lui-mme38. Le sentiment quil partage avecKierkegaard est toujours la mlancolie, le dsespoir de ne pouvoir accder linfini divinassoci au sentiment du pch de ne pouvoir, en sa qualit dhomme, souvrir aux infinispossibles du monde. Ds 1917, au moment du plus fort rejet de Kierkegaard, Kafka na de faitcess dvoquer sa qute du divin dans des notations proches de la supplication:

    Prends-moi dans tes bras, cest labme.

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    Prends-moi, prends-moi, tissu de folie et de douleur39.

    36 Si Kafka diffre de Kierkegaard, cest donc que son espoir et sa foi ne sont pas aussi forts quechez le penseur danois. Tandis que Kierkegaard met laccent sur le possible, le franchissementde la limite entre lhumain et le divin, Kafka, lui, se persuade de limpossibilit de cedpassement. Ses aphorismes Lui tmoignent du dsespoir de cette qute et de son sentimentdtre prisonnier du fini du monde humain tout en aspirant un infini divin douloureusementproche et loign la fois:

    Il se serait accommod dune prison. Finir en prisonnier, ce serait un but de vie. Mais ctait unecage. Indiffrent, souverain, le bruit du monde tait l comme chez lui et passait flots traversla grille, en vrit le prisonnier tait libre [].Il se sent prisonnier sur cette terre, il est ltroit. []. Mais si on lui demande ce quil voudraitvraiment, il ne peut pas rpondre, car [] il na aucune ide de la libert40.

    37 Limage de la prison illustre bien cette ide dobstacle existentiel au dpassement de la limiteentre le sujet et le monde et entre le monde et Dieu. Mais lobstacle tient moins la complexitdu monde ou linaccessibilit du divin qu langoisse intrieure du sujet qui nprouve salibert que dans lincapacit de choisir et de sengager.

    38 Mais tout nest pas encore dit. Lultime note du Journal fait surgir, en un sursaut dsespr, lemonde tant cherch, comme si, lheure de la mort de Kafka, la porte du gardien de la Loi duProcs souvrait brusquement, comme si le chteau sclairait enfin, apaisant la mlancolieet langoisse kafkennes : Aveu, aveu sans restriction, porte qui souvre brusquement, lintrieur apparat le monde dont jusque-l le reflet terni restait dehors41. La mort sembleainsi abolir langoisse, la mlancolie, la dchirure qui plaait Kafka entre le solipsisme delesthte, louverture la loi du monde et laspiration linfini divin. Kafka semble ainsi, lheure de son dernier souffle, rejoindre Kierkegaard, franchir la limite, ouvrir la porte quile sparait du dernier stade religieux. Les frres de sang se sont donc retrouvs. Kafka adpass les obstacles sur son chemin pour atteindre un but qui, mme sil demeure ltat depostulat ou dutopie, lui offre la nourriture existentielle qui manquait si cruellement au jeneurdun Artiste de la faim, autre double littraire de Kafka, dont la contradiction existentiellepourrait se rsumer ainsi: Il ny a quun but, pas de chemin. Ce que nous nommons cheminest hsitation42.

    Notes

    1 . Journal, 21aot 1913, Paris, Gallimard, Bibliothque de la Pliade, 1984, p.307.2 . Kierkegaard, Ou bien ou Bien, La lgitimit esthtique du mariage, Paris, Gallimard, 1943, p.370.3 . Op. cit., p.373.4 . Op. cit., p.393.5 . Op. cit., p.450.6 . Op. cit., Lquilibre entre lesthtique et lthique, p.479.7 . Lettre Max Brod, mi-fin janvier1918, Paris, Gallimard, Bibliothque de la Pliade, 1984, p.875.8 . Ou bien ou Bien, Laffont, p.45.9 . Journal, janvier1922, p.524.10 . Journal, mars1914, p.342.11 . Lettre Felice, fin octobre, dbut novembre1914, Paris, Gallimard, 1989, p.653-656.12 . Lettre Max Brod, mi janvier1918, p.869.13 . Journal, 27aot 1916, p.425-426.14 . Journal, 24janvier 1922, p.527.15 . Kierkegaard, Le Concept de langoisse, Paris, Gallimard, 1835, p.79-80.16 . Kafka, Le Procs, Paris, Gallimard, Biblibliothque de la Pliade, 1976, chapitreX, p.464.17 . Op. cit., chapitreVII, p.403.18 . Op. cit., chapitreIX, p.455.19 . Op. cit., chapitreIX, p.458-459.

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    20 . Kierkegaard, La Maladie la mort, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1993, p.1220.21 . Lettre Oskar Baum, octobre-novembre1917, p.829.22 . Lettre Max Brod dbut mars1918, p.888.23 . Op. cit., p.888.24 . Lettre Max Brod, fin mars1918, p.891.25 . Lettre Brod mi-fin janvier1918, p.875.26 . Lettre Max Brod, dbut mars1918, p.888.27 . Crainte et tremblement, Paris, Aubier, s.d., p.10-11.28 . Op. cit., p.75, 84 et121.29 . Journal, fvrier-dcembre1918, p.476 et485.30 . Journal, p.516.31 . Lettre de juin1921 Klopstock, p.1082.32 . Op. cit., p.1082-1083.33 . Ralf J.Goelbel, Kritik und Revision, Kafkas Rezeption mythologischer, biblischer und historischerTraditionen, Frankfurt, Peter Lang, 1986, p.97.34 . Journal, fvrier-dcembre1918, p.485-486.35 . Journal, 1918, p.486.36 . Le Chteau, chapitreI, LArrive, Paris, Gallimard, 1976, p.493.37 . Journal, 29janvier 1922, p.531.38 . Bert Nagel, Kafka und die Weltliteratur, Mnchen, Winkler, 1983, p.279.39 . Journal, juillet1916, p.417.40 . Aphorismes Lui, Journal, p.493.41 . Journal, 1923, p.552.42 . Op. cit., 17septembre 1920, p.503.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Florence Bancaud-Maenen, Kafka et Kierkegaard: Frres de sang ou penseurs contraires?,Germanica [En ligne], 26|2000, mis en ligne le 07 mars 2014, consult le 26 mai 2015. URL: http://germanica.revues.org/2412

    Rfrence papier

    Florence Bancaud-Maenen, Kafka et Kierkegaard: Frres de sang ou penseurs contraires?,Germanica, 26|2000, 101-113.

    propos de lauteur

    Florence Bancaud-MaenenUniversit de Rouen

    Droits dauteur

    Tous droits rservs

    Rsums

    La relation souvent mconnue que Kafka noue avec Sren Kierkegaard partir de 1913et jusqu' sa mort, est ambigu parce que double. Leur affinit est d'abord existentielle,lie au problme du mariage, du pre, d'une mlancolie et d'une angoisse constantes. Mais

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    plus problmatique est leur rapport intellectuel : si Kafka semble fortement influenc parl'anthropologie kierkegaardienne qui distingue trois stades de dveloppement de l'homme,le stade esthtique, thique et religieux, ainsi que par ses concepts de limite, d'angoissecomme vertige des possibles et de dsespoir comme maladie mortelle, des diffrences notablesopposent les deux penseurs. Kierkegaard opte, aprs sa rupture avec Regine Olsen, pour lestade religieux, tandis que Kafka s'en tient jusqu'en 1917 au stade esthtique en assumant saseule vocation littraire. Il semble toutefois, entre1917 et1918, pencher vers le stade thiqueen tentant de restaurer un rapport authentique avec le monde et en se dmarquant de l'optionreligieuse de Kierkegaard qu'il interprte comme mpris de ce monde. A la fin de sa vie,Kafka semble pourtant se rapprocher nouveau du penseur danois en exprimant son aspirationdsespre la transcendance tout en affirmant l'impossibilit d'accder totalement au stadereligieux. L'histoire de ce dialogue entre deux penses se donne donc comme le rcit durefoulement de la problmatique du mariage, comme l'expression de la fascination kafkennepour la limite ainsi que d'une qute mystique incessante, quoique souvent dnie par Kafka,dont la philosophie et l'existence de Kierkegaard permettent a contrario de percevoir bien descontradictions constitutives de son tre et de son uvre.

    Blutsverwandte oder gegenstzliche Denker?Die oft verkannte Beziehung, die Kafka mit Sren Kierkegaard ab 1913 bis zu seinemTod anknpft, ist zweideutig, weil zwiespltig. Ihre Affinitt ist zunchst existentiellerNatur und mit der Problematik der Heirat, des Vaters und der stndigen Melancholie undAngst verbunden. Problematischer ist doch ihr geistiges Verhltnis : Kafka scheint durchdie Kierkegaardsche Anthropologie tief beeeinflut worden zu sein welche drei Stadienmenschlicher Entwicklung, das sthetische, ethische und religise Stadium, unterscheidet ,so wie durch seine Begriffe der Grenze, der Angst als Schwindel vor den Mglichkeiten, undder Verzweiflung als Krankheit zum Tode. Doch werden beide Denker durch wesentlicheUnterschiede getrennt. Nach dem Bruch mit Regine Olsen whlt Kierkegaard das religiseStadium, whrend Kafka bis 1917 beim sthetischen Stadium verharrt, indem er seine einzigeliterarische Berufung auf sich nimmt. Doch scheint er zwischen 1917 und 1918 eine Neigungzum ethischen Stadium zu verspren, indem er versucht, einen authentischen Bezug zur Weltwiederherzustellen und sich von der religisen Wahl Kierkegaards zu distanzieren, welche erals Weltverachtung interpretiert. Gegen Ende seines Lebens scheint sich Kafka dem dnischenDenker doch wieder zu nhern, indem er seine verzweifelte Hoffnung auf die Transzendenzuert, wobei er die Unmglichkeit behauptet, das religise Stadium vllig erreichen zuknnen. So erweist sich die Geschichte dieses Dialogs zwischen zwei Denkweisen als derBericht der Verdrngung der Heiratsproblematik, als Ausdruck der kafkaschen Faszinationfr die Grenze und einer stndigen, doch von Kafka oft geleugneten mystischen Suche.So erlauben es Kierkeegaards Philosophie und Existenz, viele Kafkas Wesen und Werkinnewohnende Widersprche a contrario aufzudecken.