12

Khadija Aux Cheveux Noirs de Fouad Laroui

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Fiche pour les élèves de 304 et 305 sur "Khadija aux cheveux noirs" de Fouad Laroui. Extrait de la collection "Etonnants classiques" en GF.

Citation preview

Mâraçi. En:}003,paraTt un quatri-ème rormatt [a'Fin trngiqae dc.ÿtrito*naAeTratela,satifaôumifieulittéraire.LestalentsdehuadLârouigor mult{pfesIromancier, il est aussijournaliste, chroniqueur et critique dans I'hebdoma-daire teune Afriquet lllntetligent2 - pour « partager [ses] enthousiasmes et[ses] colères I

" -, et nouvelliste - en 2001 et 2004 paraissent deux recueilsde récits brefs : le Moboul (sur rendez-vous) et Tu n'ars rien compris à

,Hrçsan lla, de*,qusls Soht ertraites les nouvelles qu pAËsantvo!ànrt;'. , '.,r','

, 'I Fouad Laisui écrit en français, pans*ee,r§çj§la pàrfait itrisàdek languê et l'ahsndance des références culturelles qülyiont li ettenten évidence I'influence considérable qu'ont eue sur l,auterr r"r.nnÉ* d.formation au lycée français de Casablanca. Mais sa terre natale et les vingtprsmières anrlées gulil y a passêer sont au cæu,r dë ses récits. llauteur yinsère des souvenirs personnels, nourrit la fiction dtléments autobiogra-phiques. Le narrateur de « Khadija aux cheveux noirs » « penché sur [ses]taq.arc!,et nn td,;.!prr§ :ef celut&rrJàyôu tiiffition de Dieu 1,jeune,Meiocaink*iliii*a'iiiqul{it5mê ava ,üeAÉif r.te Français gi §hmuelÂ{q{q. le À4â,rocâinij ,itir rürr+,; triple$q dêtitd; ip,, ,

resimnbleiii,à:FoAad laroui.lnternea'*]y êe l;ÿaütqr.:,Dêrrs « Unr'botte de menthe,, l,au-teur évoque aussi la disparition mystérieuse de son père postier, en 1969,dahiun Mâroe nü'rë§he larlqrrrür. po.liciÈrei; Ëouad Laroui avrit seule-nrentonqe ani*<i Ëtsije dis la mort, je mens encore,,ie m'*t ie irtr,ptu;dent. Disparition ne vaut pas mort, même si c'est pire. Du mien les pas s,en

âHèrènt üfi jou4 fe petit ghrçon en fut témoin » {$r40L,Fàlti1.lu,nlaicompris à Hassan ll» s1 6rrr o Nos pendus ne sont pas les leurs r, les nar-

rateurs, Marocaihs exilÉs'â Parîs,etdanr,là piovince anglaise du yorkshirc,

sont les doubles de l'auteur partagé entre le Maroc et l'Occident. Demême, la comparaison entre la iulture maghrEbine et la. cultur.e occiden.tale, qui se dessine dans n Nos pendus ne sont pas les hurs o, dans . llOuedet le Consul » et dans « Khadija aux cheveux noirs,, témoigne du va-et-vient permanent de Fouad Laroui entre les deux cultures, entre son paysnatal et l'Europe du Nord où ilvit et travaille.

Fouad Laroui occupe une place de choix dans le piyrrg" de la littéra-ture rnaghrébine francoplone, aupr!s dlauteurq.ç.q1iirne Tahar Ben Jeiloun,Abdellatif Lââbi, üriss Chraibi, Rach id o. r, 9 11i

ma nifeitef!ürJa'ùi ltt*,.aeslettres marocaines et rencontrent un large public en France. [histoire decette littérature eomrnence dès la fin du xxe sièçle et aud6ilutd*:$f ilecte r

le Maroc s'ouvre alors à I'Europe z, inspirant une littérature de voyageurs etdécrivains désireux de découvrir et de faire partager la culture de ce pays.

Fascinés par le Maroc, des auteurs comme pierre ioti et Maurice Le Glay,trânsctivént les expérienceç qu'ik ant ve,iuàs,âu.contact de,fa qiçiélgmarocainê. Cet engouement incite des écrivains mar ihçi,iiÉsinter liregard qu'ils portent sur leur propre société à un public français. On peutciter l'æuvre dAbdelkader Chatt - Mosoiques ternies (L9321-, cellesdAhm,ed Sefrior.ri - Le €hapelet d'ambre (1949), ta, CoifEi* lnd,wàilllet(1954)1ou encore celle de Driss Chrdrbt; Lepixté stltnpte (1SSS). ôans lesannêes 1960 et 1g70, lavie littôrâil.e rnttosâin".ss1,p§!$e,p:{r,lEgrevubr

2,loune$,@ç!{fiinçglgaqt: journat heMomadâiregui {intiire**et@i*irttcülrè!

3. Fouad Laroui, « Le Maroc comme fiction », art. cit.4. Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres (SGDL)-

5' Dans ufl artkle du i4on&:des.riurr6,du ezrnlr,f z ,,fo|,lèd r.alqtli,,fuæ ain irætépisode{kiüloufeux r..le suis la dernière personne i làwilyu.clet*iilèl7âyril1969. ll est sorti de la maison pour aller acheter lejournal, et nous ne l,avons plus

, revu,.lsni*tlaijqnraisparlil,personne"p,urs,q!.@trdjiale;;fn;ncé,;;.rÀ;ilrüh;

,,demes.srr.roll§ïdilprrrlssalent., i.:,--,r:,1,.:_,'.',,i,-

I

6 | fOued et le Consul et autres nouvellesI

7. Tahar Ben lellor,,/, ; universitaire, poète, romancier et essayiste marocain né en1944, à Fôs ; en X987;,il fêçoit le prix Goneoqrt pûur ssa Tom?n Lâ Ntlit lqcfte. DilstChraibi : romancier marocain né en 1926, auteur, outre Le passé simple des goucs(1956) et de ûîne (1.958). Ra chid O. : êcrivain marocain né en 1929, auteur de deuxrecueilsdenouvellesautobiographiquespubliésenFranceen t99SetL996,l!Enfantébloui et Plusieurs Vles.

2. Un décret de 1864 ouvre le Maroc au commerce étranger: la présence européennene fera que s'y renforcerjusqu'en 1912, date de l'insta;ration du protectorat fran-çais sur le pays (voir chronologie, p. 20).3, Pîcrre Loti et Mauricà Le:Çlay,auteürf rrêspëctivsrnànt de o Les trots dames de laKasbah " êt 1r lttoq mÀre dÊ,Moharid;». nôuVeller'i*cueilliêt dans lJn slècte de nou-v e I I es F ro n co - Mo g h ré b i n e s, Minerv e, 1992.

PrÉsentâthn l7

,,Fa,r1.q;uirer {1965[ sp*STes{r:9§6-t9?t} eilntégr.a/ (1971:tg7g} diffi,seesdans Ie pays. Abdellatif Laâbi, qui diri ge Souffles,guide de jeunes écrivainsvers une littérature militante qui combat le conformismer social et poli-tiql*e. Ler annêer ffi0et 1gg0 voient apparaitre une littératrrrê plur per-'sonn,ellc, comr,ne celle de Tahar,Ben Jelloun'; dsnt liæuvre ? iraite audéracinement, de.la double culture et dénonce toutes les forru, alopplstsion j, qlr,cellÈ de Fouad Lar,ùui. Fâi ,g1e'les langues usuelles(variantes régionales d'arabe parlé et de berbère)rr"t a., flrÀr"r;;i.;;la littérature marocaine recourt, aujourd,hui encore, à l,arabe c.lassiquet't Eurts ut *u, fra nia is. com me r. pi*.i r".riu*i, ;;i;, - l,n ;;;;ï,frân(âis et lê fâlt d?tre publié à paris fdontenil une'giand* libd'expression I ,.

Contes et nouvêl

,'.-i,.[**.tÊ4gq du préssnt volume sont des récits cpurts, qui appartiennent

âuëenle dê la nouvelle ou du conte. La notion de brièveté qui définit cesformes littéraires est fluctuante : de quelques tignes, quàtquu, p.g.,(" Une botte de menthe »), à une ou plusieurs dizaines de pages (" Un f,eude,le.rre rnarocainë

"). lVlals la densité ert une carâctérirtiqre .o*-rn.des.texies brefi. r"e nombre des personnag*, *ri rrmité,irespace et reie6ps,sàuvent resserrés, la narration ramaslée,Ains,;n*iriiiti :

cf,,f1q1f à't{arsan ll»,seuls deux personnâgÊs,lênàrr rett{ârnid,,*ren,,*t place dari.s le ,( petit café de Montmartfe,'dôUi[et et enfumé * del'histoire. Le texte « rloued et re consur , évoque quant à rui Ia courte ren-cqrrtre, ltl bôrd diun oued, d'un couple de Finlandais lse troii &erbèr,es,

Dans la nouvelle, la narration sê concentre souvent sur un moment sln.guller de ltexistence des personnager os sur un fait précls. Le réclt peutrelater un épisode:de crise (la disparition d'un père danr « Une botte dementhe rrl, être le lier.l d'une révélation (la mort d'une ancienne camaradede clarse dgns " K§4{;;q âuxchene.Ux noir.s,»l,donner à lire une prire deconscience {lg salitude,mrnme flêau,occidont*l Cila promisruité, sorte depoison,au Maghrelr d4ls " Nos pendus,le lont p*r !e:1eq rs,r) ou encorerapporlqr: u,né.a necdote $linventlmldlun, dieuid*n3.la nouvelle du mêmenom ou la recherche d'o Un peu de terre marocaine r).

Fouad Laroui se définit comm€ un « nouvelliste quiécrit des romans »

et justifie ainsi son goût pour la forme brève : * Ma première vision de lavie est une espèce de chaos. Elle se présente pour moi comme une suitede <aynètes 1, dlimprévur, d'inridents...{lest ce que jlairne raconte r plutôtque de prétendre à un plan où l'on,suiû un,perconnage pendant vingtans 2., Selon Denise Brahimi, la forme brève semble aussi convenir à ladrscri iorr du Magf reb'et du,Marne eh.particufler, dont la diversité

ls{ialqetculturelleestdiffieile,}raiifr.ou,à,eNpri Er,:mieUx,qufunr âI,au " long fleuve tranquille,, les nouvelles et les contes permettent d,enappréhender la richesse 3.

, 'Parrni les rêrlt: brefi de fsuad Larot:lriiôn pÊüt distinguei ceux qui

relèvent du conte et ceux qui s'apparentent à la nouvelle.Alors què les nou-vellestelleC «l0ued et le Conrul'» et rr,Un pqu de tenemàrocaine* ne'pré-sentent pas de narrateur interne à l'histoire, témoin ou confident, les

contes inscrivent en leur sein un personnage en train de dire son histoire à

un.o.ü pJusieurs anditeur*, Ctèst,lgcâs ditl§,i,U.ne,b,pttêdè menthà».où lenâ,r:Iâteur f4pporte,le récit deMgha,qui raeonte:lâ{ispàritio{l myiû*ieur*de son pè1e; De rnême; dlns " Det ÿeux pouf,ne plus trcir », Nagib, installéau Café de l'Univers, se met soudain à raconter r n Du temps que je vivais à

Tanger, il y avait là, dans les rues, une espèce de clochard quÙn appelait

?:,tË[!ntû1* würrq,(rsrr[loul iitrtËi;ri iî,iiiii{rs9o],r, Â,r; **r, 6s r. po*,. Çerco-urt),,(ette qveuglqntgoblenædetumü{ri0o}pârür{Ë0ûO}. ' -,

,.,," ,

,,, T, Fouad.Laroul «Le Maroc comme frction », art.iit.; voir au*gia&j;[.p,1§5.] .,:'': :': j: :' :: ' :

iS

I fOued et le Consul et autres nouvelles

1. §qynÈ*es : pçtites pjèce' en urè snule scàne, sourient crtr,liques,2. Ces deux citations de Fàuad Laroui sont extra ites du Mondi des livres,arl. cil.3. Denise Brahimi, préface de Un siècle de nouvetles maghrébines, Minerve, j.992.

.t *nfio" lp

Les nou.velles et les contes de touad Laroui sont une invitation auvoyage et à la découverrte du Maroc. fécrïvain ect fin observateur : l.aconnâissance qulil a d'autres pays etd,autres rræurs donne une grandelucidité à son regard.

Tout le Maroc est dans ses nouvelles : les oueds, le désert et l,« imrnen-sité poussiéreuse à perte de vue, (p.29), le « soleil de feu " (p. 27),les

I

10 llJOued

et le Consul et autres nouvelles

,plagâs- dê:€a;qbfanca ou,-drEl ardida, ies vilhs de Tanger et do OuJdfr

- ennemies du silence, « Empire[sJ du Sifflet, (p.63) quijamais ne se repo-sent... lly a surtout Casablanca, Casa pour les intimes, avec son lycée fran-

çais - décor de " Khadija aux cheveux noirs o et de o Jay ou l'invention de§ieu:1:i ag! ciaârna,,lt[rc +.o$ flêrran,prtrjq$iiass imâges de la Jeune(1t11-elf ne,Feneuvs r gollina dhrrfa,; qù:r$ gle,qtçe règne -, et la « ceco.

,plri:nie fan{a guê.I{p. 64l de:sàeirgüta1ion,dÉ*âr{oànée, .

. tou.j La.roui peint aussi la vie marocaine. Comme à Montmartre

r.dàlls.«,|-1qïs.rie1 ær*pris à lT*§sân:l],rr;;l*'c est yn liey, de grande

rgnviÿiglitê;DÉqor.:dans,",Une tgtlc,de rrienthe!,et dins,-i1:E!§yprrx pourne plus voir », il est le lieu où la parole se libère, où les souvenirs surgissent,où l'on philosophe, où lbn joue aux dames et où lbn regarde la télévision.,Pârfqis,thstla boutique dutailleur qui sesubrtltue Au càfé :.

jly, retror*vsiltdes . oisifs qui d'habitude [regardentJ le tailleur coudre des djellabas,,{p:.,If}pour ra(onterôt commenter ta vie du voisinagrl:tüâie.l*ionvivia-.titglê fUA,quetquef '*6,"',uneprE*l*cuitE'ütaiFante"Iaccueil et la,§§ * coutumielr -.rÿmbotisés pir une p"rtu 1oülool;o#e iientdent impossible une solitude salvatrice. C'est ce qui tue Douhour dont f his-toire est racontée dans o Nos pendus ne sont pas les leurs * : . [...] on ne

.|'erit e it j,+.rnâis; dà n s le vararme. Dix enfantq q ui, bÎàillaLilf tOüt",1â,sainte journée, une femme acariâtre, et ses parents qui occupaient un coinde la maison et ne se privaient pas de vouloir encore tout Àgenter. [...] La

moitié de la rue,c était sa famille et les autres, c'était tout comme. On ren-tlait trtuilpoui un oulipour un non et même poriiicn,au lultepour le plaisir de franchir un seuil " 1p. lS-fS1.

Fouad Laroui n'a pas un regard complaisant sur son payi natal , aurcqgrairÈ; jl e*.s.ôu.yent{fitique. Ainsi, il n'élude pas fà.pquùi*; i*CainCepar un vieux Berbère * édenté » dans « [Oued et le Consul », ou par le per-sonna6edeHti àihétos.1, Uesyeux.pôsr,r.+ep1üi,voir,"r",[*lc'étaltvra,il

rygnt,unpaqvp',liè1f {..].r,if r{lâvâ:it rne}Tr$,Ëàs,dr *miÈê,rur Is,dôr.tl:trainait danà fef,eafésiqn lui faiiàtt l'aumôned'un lit a+randwlcfi.dévoré des fourmis. ll buvait les fonds de verre o (p. 90.); o Ce ÿpe n'avait

ritpl*l,ftr.i,i fqrt,son,pqnta,lon;gorge,{t.n*afit*L[-] Pt detl lunenes,,.

Htipana 'r

(p. 89). Le décoi du café * que lfon retrouve dans « Tu n,as ri€ncompris à Halsân ll » et dans « Une botte de menthe ,, -s51 ,r.rice au récitdébité oralernent. Et les interventionr, le: interr.uptions,les çomrnentairesor: les questions des auditeurs confèrent au texte une grande vivaeité : lelecteur se retrouve destinataire au même titre que les autres interlocuteurrfictifs,

Par ailleurs, contrairement à la nouvelle, qui est le plul souvent d,ins-piration réalisten le conte s'êcarte de la reprêsentation du r"êel pour tendrevers le rnerveilleux ou la réflexion philosophique. si « Tu nlas rien cornpris:à Hassan ll » s'inscrit dans un rcntexte historiqr.rg donc réel, « Le Tyran etle Poète » prend place dans un univers fictif. tjabsence d,ancrage temporel,Ies noms imaginaires donnés aux pays comme âu tyrân apparentent ler{Éeit âu conte. cependant, le lecteur avisé fait le rapprocheme nt,avec l'his-toire politique du Maroc. ll s'agit alors d'un conte philorophique : le rêcitest au service dlune idée, d'une réflexion critique, souvent en matière dereligion, de politique ou de morale. On peut considérer . l_,Oued et leConsul», « De: yeux pour ne plus voir » et * Le Tyran et le poète » eommËdes sortes de fables qui diserrt l'arrogance et la bêtise occidentale:, r.naisaulsi la noirceur des hommes et la cruauté des tyrans.

Le Marocau cæur des récits

erelqidltr

Disons deux culs-de-lampe effroyabler reliés par du,fildefe6 reposant ;urlbreille à l'aide d'une petite cuillère, d'un côté, et de l'autre, à l'aide d'unélastique " (p. 93). Au Maroc, comme ailleurs, la misère côtoie la plus

grande richesse. Dans o Un peu de terre marocaine r, le récit de la quête

du fonctionnaire est prétexte à dire la diversité sociale du pays et son

inégalité : ily a le monde des paysans - qui circulent encore en carriole ou

à, dos de mule et dont les terres sont peu à petr confïsquées *, celui des

exclus qui vivent à la périphérie des villes, en autarcie dans des cabanes

miséreuses, et celui des riches dont les villas sont gardées par des bergers

allemands...

Le regard critique de Fouad Laroui se pose aussi sur la situation des

femmes, dont il dénonce la privation arbitraire de liberté à travers l'his-

toire de Khadua : « Khadija fumait cigarette sur cigarette et regardait lapluie tomber (ou le soleil luire) à travers les vitres, car son mari ne la lais-

sait plus sortir. Son mari allait jouer aux cartes avec les hommes, après

l'avoir enfermée; ou peut-être avait-il une autre femme; ou peut-être

allait-il s'enivrer dans les bars de la Corniche. son mari n était son mariqu'officiellement, dans les parchemins, dans les chroniques sans cærrr »

(p. 60). lJauteur traduit dans la fiction littéraire la réflexion critique qui

agite le Maroc sur la place de la femme dans la société1. Ce sont toutes les

femmes dont le statut est bafoué qui sont incarnées dans la figure fémi-nine en pleurs de . Tu n'as rien compris à Hassan ll, : . [...] cette femmeme dit quelque chose - je ne sais pas quoi - peut-être me parle-t-elle

dlellerrnême, peut Être me parle-t-elle de la moitiÉ du monde, si gouvent

rnÉplisÉei oppressêe r (p. 57).

[auteur s'intéresse aussi à la politique. Le conte « Le Tyran et le Poète »

est une condamnation des petits et grands despotes, de tous les « Cogneur

Massacre-Tue-Tue-Tue, - surnom Brotesque donné au ÿran - au pouvoir

abusif età.1? e.rüapté qalguinair.e,.Mait clest surtout la situaflon pollUquedu Â{arai qqi est éuoquêg dans ler no.uvellei. Dans « Tu n,as rlen comprlsà Hâssan ll », Hamid fait une sorte de plaidoyer du règne du père deMoharnr.tred V!,Mais gu'on ne s'y trornpe pas r le*allusiqn$ aux luttes, auxcomplots, aux condamnations à mort, aux années d'exil, aux prisons où lesdétenus croupissent, et ltvocation discrète de ministres cruels et zélésforment un tableau accablant du climat de peur et de violence qui régnaitau Maroc quand Hassan ll était au pouvoir. Et lorsque Hamid déclare« Hassan ll restera dans l'histoire du Maroc comme.Iun dei grands rois,(p. 57), il témoigne sans doute de l'aveuglement des masses, soumises àleur roi, convaincues par l'idée que le père de la Constitution marocaineest aussi le fondateur de la démocratie.

Enfin, la police n'est pas épargnée par les nouvelles. Dans. Un peu deterre marocains », lorsque « deux vilains gendarmes [...] moustachus,tres-saillants, neryeux » surgissent d'une * Jssp de couleur kaki » pour embar-quer le fonctionnaire zélé, on sait que « ce n'est pas de bon augure » (p. 72).De même, dans * Nos pendus ne sont pas les leurs o, l,auteur décrit laméfiance et la peur qui entourent l'arrivée brutale des policiers pourconstaiÈr le décês de Souhou :« {,,J:la po{iceâryiùa,et }es Êntâht*,s,enyo-lèrent, saisis d'effroi. Quelques bourrades, quelques gifles dans la massedrharnme,sfrayèrent un chemin à la,§ûreté nàtiànah, (p,3S).ta policeestaussi l'instrument de lutte et de répression menées par le pouvoir contrelbpposition, qui fait d'innocentes victimes et détruit la jeunesie. C est ceque dit à demi-mot la nouvelle * Une botte de menthe », qui évoque la dis-parition d'un père enlevé par une police de * la pire espèie , la secrète, lagrise, lélusive " (p. 41).

Fouad Laroui n'a pas son pareil pour dépeindre les maux d,une sociétér ge pa; ta rniiogy.nie, flarbitrail.e,,la,,vior{enct *t i:i"j*ti.u-

1. Cette rôflexiOn a abouti en janvier ?OO,t à l'âdoption d'un nouveau code de lafamille. La nouvelle moudawano,code du statut personnel, soustrait la femmemarocaine à la tutelle du çÊre ou du frère et à la polygamie,luiconfère la liberté de

choisir son époux et de demander le divorce sans perdre la garde de ses enfants,désormais placés sous la coresponsabilité des conjoints.Voir aussi €hronologie, p.23.

12 | fOued et le Consul et autres nouvellesI

frerenta i** ff

Du rire aux larrnes

Fouad Laroui ressemble â Figar,o qui s'exclame à l'acte l, scène rr duBarbier de ftévitlê r « Je rnÊ presse de rire de tout,de peur d,être obligÉ d'enpleurer. "

Iécrivain, qui aborde danr ses nouvelles des ssjets graves * la souf.france, la violence, l'exil, la mort *, donne uh ton souvent téger à ses récits.

ll sait user de toutes les formes,du comique et êxcëll€ dans les portrâits,qui, par leur exâgération, sont de vérltables caricatures r:dân§ * fÔued etle €snsul ", il y a eelui des Occidentaux pleins d'arroganre qui sttancent

" sur les routs§, elle, la belle dame à l'écharpe, lsadota réincarnée, Jui,

l'avênturier au long cours,l'intraitable des Traités » (p.27); dans « LeTyranet le Psète », il y a celui du derpote cruel qui se prend pour un génie de lapoésie et griffonne,sês eriyret - c'ert"à.dire deux motÉ - surrdu pâpicrhygiénique, celui du poÈtë,de cour, plein de peur et de flagorner.ie ?, guis'agenouille pour saluerson souverain et qui « saisit la main que i,Hommelui [tend] et la [baire], la couvrânt de larmes, et de morve, demândantgrâce à tout hasard » {p.r[5),« [faisant] pipi dans son se rouol » {p.d'l),celuienroredes courtisanr * sungques-du-haut, [...] grri [ontt subi lrablatisn ducerveâui pour mieux [.,.] servir [leur maître] » (p, 47] ! Les situationscocasseset les péripétier extrâvâgântes suscitentetfes aussi le rire,commeen témoigne la nouvelle « Un peu de terre marocaine», qui retrace lepériple d'un jeune fonctionnaire en quête d'une motte de terre marocainepour ufl diplomate qui partira sans attendre qu'il revienne !

lhumourrest soüvent au service de la critique; la'satire et *e srrcasmejne:ont jamais'loirt. Fouad [aroui égratigne joyeusement les feuilletonssentimentaux, les fÈ/e navelos qui se résument à quelques questionsprofondes - « Qtri rÉpouse qui ? Qui quitte qui ? Qui tue qui ? » * et qui ne

sont que dês rr mexirânêiler r, (p,gi[], autrnment dlt der hafltat türvltr lucontlnsnt sud:américain ! ll s'en prend à la presse anglalm qul Ëünllçifses unes àl'essentiel : le; «frarques d'un sportif prognathe of dt il ltmmfanorexique " (p.37)...

Le sorrique permet de rr-*eëx rr.itlquer nnais,il sert aussi à désamorcêrla gravité des situations et à masquer les douleurs. Dans la nouvelle « uncbotte de menthe ", le récit qui évoque la disparition d,un père parti ache-ter une botte de menthe et revenu six ans après comme si rien ne s'étaltpas$É est ponctué:de,commentaires qui suscitent le sourire : u RÊrordmondial de lenteur. - Planta lui-même la menthe et attendit ? » (p. a1). Demême, dans le conte . Le Tyran et le poète », le poète impuissant ayant fulson pâys.; torhrhe'de nombreux intelle*uels rnaroeajns fsrcÉs à fexil *csnclut lli-rnême lfaventure : « Vous save? poufquoije su* là, à elaquerdes dents:dans,ee froid pays, à mange.r des cothsnnailles et à boire del'eau nitrée ? C'est parce que je n'ai pas pu trouver de rime à Kalachni-kp:rr,.,l{p"tl},. I : :; .,r':,',,..:,,''i

Une réflexion :sur l'altéritér Quand on interroge Fouqdfarou,, url,q,con{êption qu'il a de I écritureet sur son rôle dtcrivain, il affirme sa position d'auteur engagé : u J,écrispour dénoncer des situations qui me choquent. pour dénicher la bêtisesous toutes ses forrnes. La méchanceté, la cruauté, le fanatisme, la sottiseme révulsent. [...] tdentité, tolérance, respect de l,individu : voilà troisvaleurs qui m'intéressent parce qu'elles sont malmenées ou malrompJitÈsd.an;nospâys du Maghreb et peut-être au!*i allleq*en Àfriqueet dans les pays arabes 1. ,

L.Caricature;dascrlptlon ou portfaitcomiqm etl ousatirique par t,accentuation decertains traits, ridicules ou déplaisants.2, Flogarneûe :flattdriË grpssiêre.re rvile et bas*.I Là tdtir" e5t une «ltique rnoqrreuse i fe sir&a§rne prt une moquerie insultante.

I

la I [Oued et le Consul et autres nouvelles

1,i.l#111s-n***{ne,iict[on;r,âfyf ,ciL;rol.rausiSq5iiet,p,].0i

Pre*entation{$

inoffensif,le plusruTbain,le rnoins san8uiRâire qui se fttJâmâh âbf,ttu rurl'espèce humaine " (p.88).

Ainsi, contrairenrent e Nagib qui, dans « Des yeux pour ne plus volt »

disait de Htipana, " Qu'est-ce qu'il perd à ne plus voir !e monde] ? , (p.97),

Fouad Laroui nous ouvre les yeux sur le Maroc, en peignant ses beautés etses drames, et nous incite à réfléchir à des valeurs trop souvent bafouées.

eresentati,on I ff

I

I 26 février : décès de Mohammed V.30 mars : traité de Fès instaurant le protectorat français auMaroc sur la partie non espagnolel.'

MohammedV devient le sultan2 du Maroc.

9 iuillet : naissance de Moulay Hassan, futur Hassan II, aupalais de Rabat.

Création de l'Istiqlal («parti,de I'indépendance», en arabe)qui lutte contre la présence française àu Maroc et qui serasoutenu par le sultan Mohammed V.

19 avril : discours de Thnger. Mohammed V revendiquel'indépendance du Maroc.

Tloubles politiques.: le gouve_rnement français encourage lare^bellion du Glaoui, pacha3 de Marrakech, contre Ie sui=tan.20 août : déposition de Mohammed V, qui part en exil avecses lils en Corse puis à Madagascar. '

20 août : soulèvement du Constantinois, en Àlgérie. pourconcentrer son action sur cette zone, la France.abandonne*le Maroc.16 novembre : retour triomphal d,exil de Mohammed V. Lavoie vers la négociation de lTndépendance du pays est ouverte.

2_mars : la France puis I'Espagne signent l,indépendance duMaroc sous Ia direction du iultan Mlhammed ÿ.

MohammedV devient roi du Maroc.

Scission de flstiqlàl : la tendance de gauche, conduite parMehdi Ben Barka, fonde un nouveau parti, I'UNFP (Unionnationale des forces populaires).

1. Depuis 1864, date du décret qui avait ouvert le Maroc aucommerce étrangeq Ia Grande.Bretâgne, I'Espagne et Ia France riva_Iisaienr pour s'appropier Ie pays. En 191d,I;Espagne obtient leprotectoràt sur la région rifaine, avecTêtouan pour capitale.2. Sultan: ici, équivalent de prince.3. Pacha: titre du gouvemeur d,une province.

le Consul et autres nouvelles

Mars : intronisation officielle de son fils alné, Moulay Hltmn,qui devient Hassan II.

Première Constitution du Maroc, d'apparence dômocrstlquo(suffrage universel direct, parlementaiiime, responeabillt6'dUgouvernement devant le parlement), mais qui, àans sesfondements, nie la séparation des pouvoirs. C'est le début dela n d6-o.r"rt" hassanienne ».

Des accords de coopération financière. économique ettechnique sont signés avec la France

!1 août : naissance du prince héritier Sidi Mohammed,futur Mohammed VI.Octobre : « Guerre des sables o entre le Maroc et l,Àlgérieindépendante (l'enjeu du conflit est Ia partie orientaiê duSahara que la France a anribuée à l'ÀlÀérie). Défaite del'Àlgérie à Tindouf.

Mars 1965 : émeutes de Casablanca contre le pouvoir,sévèrement réprimées. Le roi proclame l'état d;exception :il prend en main tous les pouvoirs.29 octobre : enlèvement et assâssinat à paris du dirigeantsocialiste de I'oppositon marocaine, Mehdi Ben Bar1a, tenupour responsâble des troubles qui ont mis en danger le trône,

|uillet : nouvelle Constitution qui renforce les pouvoirs du roiaux dépens de ceux du Premier ministre et du parlement.

10 fuillet : échec d'une tentâtive d'attentat militaire contre leroi au palais de Skhirat.

Mars : tentative de conciliation âvec les partis deI'opposition; une troisième Constitution amorce un retourvers une monarchie parlementaire.16 août : tentative d'attentat contre I'avion du souverain.Mohammed Oufkir, puissant ministre de la Défense, est tenupour responsable : il est «suicidé» et toute sa famille estemprisonnée.

Chronologie lzr

1::I:^T1T ' le roi appelle à__une «Marche verre», qui

moDrrtse des centaines de milliers de volontaires pendanttrois iours; il entend ainsirécupérer,

"r;;'à;Ë ffi;"anticoloniale et antifrân-quist"rl t" S"t "r"_ô""iàÀtu, "torcpossession espagnole. Début du .onRit

"u". Ë,

-'rnoependantistes sahraouis du Front polisario (rassemblantune importante partie de_la populatioo

""ià.friàî";, quirefusent cette mainmise. ls sont,.ut"ru, p"r'lüigérie deBoumédiène, favorable à l,instauratiàn-àLi, i*t ,"t raoui quiserait appelé à tomber sous son influence "t

q* lui offriraitainsi une façade sur t'Àtlantiqu". Un;;;;r;T;sin"urt tcreet interminable s'engage ttsi S-tSe»]

Hassen II tente de prolonger le climat d,union nationale créépar l'élan de Ia *Màrche vlrte, , levée de I" ;;";;",organisation d,élections générales

"t ,".onr"irr"n"" O"I'Istiqlal.

Difficultés financières du pays, saigné par un budget militairelouiours

plus.lgu$, pT Ia hausse aü prt- à, pelàTËet ra baisseoes revenus frés des ohosphates. La sécheresse catastrophiquede 1981 aggrâve la situatiôn.-Le zO ;uin à" fïm-ài"""nne",de violentes émeures à Casablanca liit , tË #;;Ëîes produitsde première necessité sont sévèrem;;trépril?,.;:*

-

Àttentat à I'encontre du roi. Regain de tension intérizure.octobre : la Chambre ae,,"preie"ta"irî.i'rr.ËàTor", r*élections législatives sont rep-oussé", "t

Airri.ri*i _"fle pouvoir d'exception que s'est il;g; Ë;:'*-"o Révolte du pain » dans plusieurs grandes villes, révélatricedes diffrcultés sociales du pays.

Hassan II fait discrètement raser le bagne de Thzmamart,prison siruée dans Ie désert de t,atfa, Ëi symUàîâË n O,rr"tede son règne.

Tlêv-e dans le conflit qui oppose Ie Maroc et le Front polisariosur Ie Sahara-Occidenial.

lrt§8

'i. gn «plan d'action pour I'intégration des femmes auiii développement» du pays - réflexion sur lÊ place et le rôlei t de la femme dans la société marocaine - suscite un violent,l: débat : la moudawana, le code du statut personnel qui s'inspire

'ii directement dela charûa,la loi islamique, en serait modi{iée.

14 mars : gouvernement d'alternance qui prépare lasuccession dynastique; Hassan II nomme à la têto dugouvernement un ancien ennemi de la monarchle, Iosocialiste ÀbderrahmanYoussoufi : mais I'USFP (Unlonsocialiste des forces populaires) sort affaiblie de cetteexpérience gouvernementale et le trône est confortê.

23 iuillet : mort du roi Hassan II; le pays est stâble moi§exsanguel. Àccession au trône de MohammedVL

fanvier : création de I'IER (Instance équité et réconciliation)par MohammedVl pour réconcilier le Maroc avec son passé.Sa mission est de clore le dossier des crimes d'État, des-disparitions et des détentions arbitraires qui ont jalonnéI'histoire du Maroc de 1956 à7999.Àdoption de la réfôrme du code de la famille. Une nouvellemoud.awana entre en vigueur.

Àoût : le Front Polisario, en guerre depuis 1975 contre leMaroc pour I'indépendance du Sahara-Occidental, Iibère lesquâtre cent quatre derniers prisonniers marocains qu'ildétenait. Cette décision coihcide avec la désignation d'unnouvel émissaire de I'ONU (Organisation des nations unies)dans la région, le Néerlandais PeterVan Walsum, chargé derésoudre le conflit. En retour, le Front Polisario appelle leMaroc à libérer plus de cent cinquante prisonniers sahraouis.

. ,..;::itl*nff.li

l, ' ifi:!iji

',,r1::.iilli :.:i::;t!!:

,,i,:ii;iii

,

':,j.ii,îi,*§H.Frr;

::liiilii;i;

ii:,i:il,rlr

7. Antifranquiste : contre I'Espagne dirigée alors par Ie généralFranco,

le Consul et autres nouvelles

7. Ensangue : au sens propre, vidé de son sang; au sens figurécomme ici, vidé de sa force, affaibli.

chronologie lzt

Khadiia aux cheveux noirs

Elle vcnait clu §ucl, cl'Agudir ou d'Essaouiral, ie ne sais plus.

Elle portoit un drÔlc clo mântcau, bien coupé mais un peu terne,

d'une cclulcur lndéfinissoblo, dnns les tons gris. Ses cheveux noilset lisses tombsicnt sur H08 épuulos. EIle avait le teint pâle, ce qui

n'est pas rere chez les hebltonts clu Soussz. Ses yeux étaient noirs.

Tranquilles. Et trist€e.Elle était belle, msis io no nt'en apercevais pas. Penché sur

mes Lagarde et Michardr|, jo touchais du doigt les gravures et

c'était Yseut la blondea qui incornait la beauté des femmes. Le

mercredi après-midi, i'allain ou oinéma L'Àrc et CatherineDeneuve me pétrifiait de so blondeur inaccessible. Ni chez

Homère ni chez Dante ni choa Zolat', nulle part on ne trouvait

7. Agadùr,Eecaoulra: portt do pêchc ct importantes stations balnéaires du

Maroc sur I'océan Atlantiquo.2, Souss Maaca Drûa t nom dc lo région administrative d'Àgadir et de

Ouarzazate,3. Lagarde et Mlchard,: manuols clo littéroture française (anthologie et his-

toire littéraire), best-sellere d'oprèe-gucrre écrits par deux professeurs, ÀndréLagarde et Lâurent Michard.4, Yseut (Iseult) ta blond.e: hôroinc lôgendaire du Moyen Âge; dans leroman Tfistan et Iseult, ellc cet cléohirée cntre sa passion fatale pour Tfistan et

sa loyauté envers son mari, le roi Marc.5. Homère, Dante et Zola : trois grands noms de la littérature occidentale.Homère: poète de l'Àntiquité grccque (x" siècle av. f.-C.) auquel on attribueI'Iliaile etl'Oilyssée, qui narrent les aventures d'Àchille et d'Ulysse. DarreAlighieri: poète italien (7265-7327), auteur de tra Dioine Comédie où l'aven-ture intellectuelle et spirituelle du poète est évoquée à travers l'allégorie d'unvoyage dans les trois règnes de I'au-delà, l'Enfer, le Purgatoire et le Parâdis.

I

58 | IJOued et le Consul et autres nouvelles

trace de la beauté berbèrel. le ne ool1ale per lütËfi1,ffi*plement. r ' '*st'f#l

On ne savait pas très bien qui elle étâit. Les intcmç1, ilhlEtnères, ne s'intéressaient pas trop à elle, parce qu'ollê nrâLlt't«marrante», à la différence des trois sæurs Bennis, par oxfirplü'Snous enchantaient par leur ioie de vivre, leurs chevzux clê|il $dvoletaient au vent et lzur pas dansant. La üe de Khadiia §omblfltêtre une histoire trouble. «Une ténébreuse affairer, me repétaie.lo'

tout heureux de voir Balzacz à Casablanca3.

Son père était un ivrogne (c'est ce qu'on disait), mais il étolt

riche (on en parlait tout bas), il était même, peut-être, proche du

Palaisa (on cessait tout à fait d'en parler). ]amais elle ne donnaltson vrai nom. Àu lycée, elle était inscrite sous un autre nom, celul

de sa mère ou de son oncle, qui sait.

Quant à son adresse... ]e sais simplement qu'elle habitait du

côté d'Ànfa5, chez les riches. nChez les Bennani et les Tbzi»,

comme on disait plaisamment, entre internes fils de rien, bour'siers6 de Ia République.

En classe, Khadiia s'asseyait droite et tendue sans jamais

bavarder. Elle répondait avec brièveté aux questions qu'on lulposait. Ses notes la classaient parmi les meilleurs élèves, msi§ ello

n'en faisait aucun cas. La plupart du temps, elle était penchêe sur

Emile Zola: écrivain naturaliste français (1840-1902), auteur du cyclo roma'nesque des Rougon-Macquart, Histoire naturelle et sociale d'una fàmllla loutle second Empire.!. Berbère: qualifie le pzuple autochtone de l'Àfrique du Nond; por oxomple,

les Kabyles et les Touaregs sont berbères.

2. IIne ténébreuse affaire est le titre d'un roman d'Honord do Bnlpnc

(1799-1850), auteur réaliste de La Comédia humaine.

3. Casablanca: capitale économique du Maroc, sih:lee 8u nord d'Àgacllr ot

d'Essaouira, sur la côte atlantique.4. Palais: par métonymie, le terme désigne le roi ou lo pouvolr prllltlquo.

5. Anla: colline résidentielle située en plein cæur de Carablanqa,

6. Boursiers: élèves ayant obtenu une bout§e, eldo dogtln6o à llnnncor lon

études des plus modestes.

(hrd[a aux chcveux nolrs I re

BE un livre, ses cheveux noirs cachant son visage. Elle avait à l,évi-dence ses instants déprimants, ses instincts destructeurs. Il suffi-sait de la regarder. Mais nous ne la regardions pas, nousregardions Catherine Kirshoff ou Maya Bennis qui riaient detoutes leurs dents, en enroulant une mèche de cheveux blonds

40 autour d'un doigt effilé.Parlbis, dans lo cour, i'étais frappé par l'idée que Khadiia vou-

lait mourir, c'était str, à tant fumer, à se remplir avec rage lesbronches de toutes les soletés du monde.

«ïh l'as déiè vue sourire, cette nana ?4s - Khadiia ? Non. Et toi ?

- Non. »

Puis les iours passèrent, les mois, les années.De Khadija, i'avais oublié iusqu'au nom. puis, de paris, j'en-

tendis parler d'elle à nouveâu, un iour qu,avec un groupe d'an-so ciens du lycée nous ressuscitions les f'antômes du passé. on disait

qu'elle était restée au pâys, qu'elle avait abandonné ses études(elle pourtant si douée), qu'elle s'était mariée.

Pendant ce temps, nous avions couru tant d,aventures dans lavieille Europe. Et d'autres &ventures encore, ailleurs. f'avais vendu

ss du phosphate aux Chinois, Hamid était devenu canadien, Raoufétait devenu fou.

Pendant ce temps, Khadiia fumait cigarette sur cigarette etregardait la pluie tomber (ou le soleil luire) à ffavers les vitres, carson mari ne Ia laissait plus sortir. Son mari allait iouer aux cartes

60 avec les hommes, après I'avoir enfermée; ou peut-être avait-il uneautre femme; ou peut-être allait-il s'enivrer dans les bars de laCornichel. Son mari n'était son mari qu'officiellement, dans lesparchemins, dans les chroniques sans cæur.

1. Cornùche : route surplombant Ia mer; désigne ici le boulevard de laCorniche, promenade attitrée des Casablancais.

I

60 lllOued et le Consul et autres nouvelles

Les lumières sur ra colline s'éteignaient unË I dftrr ffiræpour se désennuyer. fe suppose que le plus souvalt dh m*If,yeux mi-clos, à se demander où, quand, commênt lU *fgfravaient dérapé.

Elle pensait à moi, peut-être, ou à un autre. À une âutra vlüjPourquoi n'ai-je pas fait le geste ? Ce iour-là, dans le couf dU

lycée, elle s'était avancée vers moi pour m'embrasser et moi j,avahreculé. Pourtant, depuis quelques iours, quelques semaines défà,nous étions devenus très proches. EIle m'avait confié ses secrets,ce père nié et si présent, cet homme du Palais qu'on ne voyait plus,

|e lui avais parlé des livres que ie lisais. |e la fis presque sourire enlui racontant les amours de )acques1. Parfois je pensais à elle, pen.ché sur mon manuel de mathématiques, à l'étude du soir. Commei'étais interne, elle m'apporta un iour un grand sac rempli de nour.riture, des fruits, des biscuits... |e ne savais pas dire merci, àl'époque.Tout allait de soi, même un îlot de bonté dans la grisaille.|e pris le sac et lui parlai d'autre chose. Cette nuit-là, fe fis un cau-chemar. Les autres internes, cruelle engeancez, faisaient cercleautour de moi. Du sac, ils extrayaient divers oblets dont ils mebombardaient en riant et en criant : « Khadiia, c'est sa chérie, c'estsa petite caille!» |e hurlais, transi de honte: oNon!Non! |e loconnais à peine, ie ne Ia connais pas I» Le lendemain matin, ie prisle sac et le jetai par-dessus I'enceinte du lycée, dans Ia rue doBourgogne. Quand un peu plus tard elle s'approcha de moi pourme saluer, juste avant Ie début du cours, i'étais avec Saad I'egcrocet les frères Hadri, docteurs ès canularss, impitoyables moquours,

1. ÀIlusion à,lacques le Fataliste et son maîte, roman de Denis Didcrot (1718-1784), dans lequel facques promet de râconter à son maître l,hletoiro <Ic scsamours, sans iamais s'exécuter.2. Engeance: catégorie de personnes méprisables ou detestablee.3. Docteurs ès canulars: spéciâlistes en canulars (*docteup est le titre uni-versitaire, «§s», la contraction de «en les» - c'est-à-dire en matière de...).

Khadija aux cheveux noirs | 6t

cyniquesl, adolescents vieux comme le monde... Je me reculai,elle resta comme suspendue, légèrement penchée, son proiet debise mort-né. |e la toisai2 méchamment, sous l'æil rigolard deSaad et des Hadri, et lui tournai le dos. EIle pleura silencieuse-ment pendant tout le cours d'histoire.

Geste pour gesto.,, En voici un, quinze, vingt ans plus tard :

prendre quelque chose sur une étagère, une poudre grise, de lamort-oux-ratn ? LE maieon est silencieuse. Comme elle Ie serademain, et pour touo les jours à venir.

«TU te eouvlens de Khadiia ?

- Qui ? Ah oui, cÊlle qui était touiours triste. On était assezproches, à un certoin moment...

- Ttr n'es pas eu courent ? Elle s'est... n

Sa dernière pensée fut peut.être pour ce geste, dans la cour duIycée.

Pour moi, mon regret le plus vif fut d,avoir laissé à la cruautédes autres libre cours dans mon cæur. Parfois il m,est aussi arrivéde maudire Yseut la blonde d'avoir caché de ses cheveux d'orI'autre moitié du monde et toute sa diversité.

1, Cgniques: qui cherchent à choquer les principes morêux et l,opinioncommune, souvent par provocation.2. Toisai: regardai avec dédain et mépris.

I

62 lllOued

et le Consul et autres nouvelles