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LA REVUE DES BIBLIOTHÈ QUES  J A N V I E R - F É V R I E R 2 0 1 4 BIMESTRIEL LE MÉTIER DE BIBLIOTHÉCAIRE EN FÉ DÉRA TION WALLONIE- BRUXELLES 184

L184

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  • L A R E V U E D E S B I B L I O T H Q U E S

    J A N V I E R - F V R I E R 2 0 1 4 B I M E S T R I E L

    LE MTIER DE BIBLIOTHCAIRE EN FDRATION WALLONIE-BRUXELLES

    184

  • 1

  • 1 D I T O R I A L

    1

    Des bibliotheques tous publics pour dessiner le monde futur

    D es changements importants sont visibles dans les bibliothques publiques depuis une dizaine dannes. Le dcret du 30 avril 2009 relatif au dveloppement de pratiques de lecture, adopt mon initiative, y a contribu.

    Ce dcret a suscit des volutions importantes voire mme

    radicales dans lapproche du ncessaire dploiement de la lec-

    ture et de lcriture, dans lapprhension du dveloppement

    de leurs pratiques au cur de nos villes et de nos communes.

    Si chaque bibliothque affirme la singularit de son action

    avec la population quelle dessert directement, je peux obser-

    ver certaines tendances qui me rjouissent.

    Les bibliothques se sont ouvertes des publics qui leur

    taient peu habituels prcdemment. Elles ont aussi compris

    que susciter lapptit de lire et dcrire impliquait de propo-

    ser des actions diverses, adaptes des publics diffrents aux

    attentes varies. Des partenariats se construisent progressi-

    vement, par exemple avec des groupes daction locaux, des

    CPAS, des centres de jeunes, des crches, des centres cultu-

    rels, des centres cratifs, des services de cohsion sociale ou

    encore avec des prisons. Tous ces liens constituent des syner-

    gies durables et fortes dans lesquelles les comptences des

    bibliothques publiques sont de plus en plus valorises et

    reconnues.

    On connaissait dj tout le travail men dans les biblio-

    thques, depuis le dbut du XXIe sicle, pour viter ce quil est

    convenu dappeler la fracture numrique et ses effets dexclu-

    sion. Ce travail dinformation, de formation, danalyse critique

    des sources et daccompagnement se poursuit sans discon-

    tinuit. De plus, des bibliothques amnent leurs publics

    utiliser les rseaux sociaux, les facilits dInternet pour crer

    des contenus (avec des citoyens de leur territoire) et surtout

    pour les changer.

    Je retiens aussi toutes les activits hors les murs qui sont

    ralises aujourdhui. Tant et si bien que cette expression sera

    bientt obsolte, si elle ne lest dj. Car le point dancrage

    des bibliothcaires et de leurs animateurs nest plus constitu

    par les locaux de la bibliothque et leur contenu, mais par

    le territoire et sa population. Les ressources documentaires

    des bibliothques sont de plus en plus considres comme un

    moyen daccomplir une mission de dveloppement culturel,

    intellectuel, citoyen, et non comme une fin en soi.

    Les bibliothques publiques ont galement pris en compte

    la question de lapprentissage et de lappropriation du fran-

    ais pour les personnes illettres ou qui ne pratiquent pas le

    franais, notamment en synergie avec les associations ddu-

    cation permanente.

    Le rseau des bibliothques locales et itinrantes remplit

    une mission de service public dimportance fondamentale

    puisquelle vise une des composantes de base de nos pra-

    tiques citoyennes et dmocratiques : lcrit. charge pour

    les professionnels et leurs partenaires de construire cette

    mission et les services qui la concrtisent en respectant des

    principes de libert et dgalit.

    Le renouvellement du travail mener avec les enfants et les

    adolescents en ge scolaire et les collaborations nouer avec

    linstitution scolaire constituent encore un dfi rencontrer.

    Comme ces jeunes constituent plus de quarante pour-cent de

    la population qui frquente les bibliothques, il ne saurait en

    tre autrement.

    Je veille ce que ce travail progresse travers plusieurs pro-

    jets. Je soutiens limplantation de classes-lecture et la diss-

    mination de cette action. Avec mon collgue Jean-Claude

    Marcourt, ministre en charge de lenseignement suprieur, je

    soutiens galement la rflexion sur la formation des matres

    lapprentissage de la lecture et de lcriture en relation avec les

    bibliothques. Le 13 fvrier prochain, nous ferons le point ce

    sujet, lors dun colloque organis au Parlement de la Fdration

    Wallonie-Bruxelles qui rassemblera bibliothcaires, animateurs,

    enseignants, formateurs et responsables communaux. Il sagira

    dun moment important pour baliser cette nouvelle volution.

    Je veux enfin souligner la structuration relle du rseau public

    de la lecture, bnficiant dune attention soutenue des opra-

    teurs dappui qui, eux aussi, ont rvis fortement leur rle et

    lont adapt. Cest dans ce cadre mutualis que se construit

    un rservoir important de ressources partages et de projets

    communs en devenir, de services mutualiss, de partage de

    travail et de complmentarits.

    Puisse laction des bibliothques, de leurs personnels, de

    leurs usagers et participants, tre un ferment visible des

    changements qui permettent aux citoyens de se former, de

    senculturer . Puissent les professionnels et les citoyens

    dvelopper leur travail en commun, dessiner ensemble leur

    place et leurs relations dans un monde o linformation est

    multiple, abondante, redondante. Puissent-ils dvelopper en-

    core davantage lorganisation de rencontres avec dautres, le

    partage du plaisir et de leffort de lire et dcrire, de dcrire

    et danalyser le monde, de le transformer par la circulation de

    lcrit. Bref, de produire de la culture. F a d i l a L a a n a n ministre de la Culture , de l Audiovisuel ,

    de la Sant et de l gal it des chances

  • 21 DITORIAL

    Des bibliothques tous publics

    pour dessiner le monde futur

    par Fadila Laanan

    4 INTERNET

    La communication numrique de la bibliothque

    par Philippe Allard

    9 SOCIT

    9 - Environnement. mois ! Et moi ?

    par Michel Bougard

    14 - Rire et sourire

    par Vinciane Strale

    17 - Moi mon colon, celle que jprfre,

    cest la guerre de 14-18

    par Pol Charles

    24 - Lart autrement

    par Lara de Mrode

    28 - Alfred Wallace, lautre inventeur

    de la thorie de lvolution

    par Jean-Franois Feg

    Lectures n18432e anne Janvier-Fvrier 2014Ne parat pas en juillet-aotISSN 0251-7388

    Photo de couv :La Bibliothque communale Herg Etterbeek Photo Rino Noviello

    29 AVENTURE

    Dsesprance, vasion

    par Jacques Crickillon

    33 DOSSIER

    Le mtier de bibliothcaire

    en Fdration Wallonie-Bruxelles

    118 JEUNESSE

    118 - Je ne retournerai plus lcole

    par Michel Defourny

    121 - Des romans chez Didier Jeunesse

    par Maggy Rayet

    125 - Chlo Perarnau et Fanny Dreyer,

    jeunes talents

    130 - Festival des illustrateurs jeunesse 2013

    Moulins

    133 - Humour et littrature de jeunesse

    par Isabelle Decuyper

    B I M E S T R I E L

    S O M M A I R ERR

  • 3137 BD

    Grandeur et dcadence

    par Franz Van Cauwenbergh

    142 JEU

    Salon de Essen 2013

    par Pascal Deru

    147 BRVE

    Fureur de Lire 2013 et 2014

    148 POCHE

    par Marie-Angle Dehaye

    155 RECENSION

    176 RDACTION DE LECTURES

    29

    125

    J A N V I E R - F V R I E R 2 0 1 4

    Bibliothque de Berchem-Sainte-Agathe tienne Bernard

    33 D O S S I E RLE MTIER DE BIBLIOTHCAIRE EN FDRATION WALLONIE-BRUXELLES

  • 4 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    I N T E R N E T

    La communication numrique de la bibliothque ne se rsume pas un site web

    Un site web, cest sans doute une vitrine mais

    une vitrine qui doit tre anime. Cest un outil dchange et de

    transaction avec le lecteur. Et la communication

    numrique de la bibliothque doit aussi se

    dcliner sur les rseaux sociaux...

    Les plus beaux sites web de bibliothques

    La tendance est aux classements, aux tops .

    Sauf que sil est facile de trouver des classe-

    ments des plus belles bibliothques (btiments)

    du monde, il nen est pas de mme des sites

    web des bibliothques ! Pas de classement dans

    le monde francophone donc, mais on essaiera

    nanmoins ici de reprer quelques articles

    amricains partir desquels tirer quelques en-

    seignements : 20 Great Public Library Websites1,

    Top 10 Public Library Websites 20122.

    par Philippe ALLARDjournaliste

    1 In Blog mattanderson.org (www.mattanderson.org/

    blog/2013/02/11/20-great-public-library-websites/).

    2 In The cloudy librarian (emilysingley.net/top-10

    public-library-websites-2012/).

    Bibliothque Adresse CMS RWD

    Arlington Public Library library.arlingtonva.us Wordpress Non

    Birmingham Public Library www.bplonline.org Non affi ch Non

    Brantford Public Library brantford.library.on.ca Non affi ch Non

    Carnegie Library of Pittsburgh www.carnegielibrary.org Non affi ch Non

    Cleveland Public Library www.cpl.org DotNetNuke Non

    Columbus Metropolitan Library www.columbuslibrary.org Drupal Non

    Daniel Boone Regional Library www.dbrl.org Drupal Non

    Iowa City Public Library www.icpl.org Non affi ch Non

    Lawrence Public Library www.lawrence.lib.ks.us/ Wordpress Oui

    Los Angeles Public Library www.lapl.org Drupal Non

    McAllen Public Library www.mcallenlibrary.net Sitefi nity Non

    Monterey Public Library www.monterey.org/library/Home.aspx DotNetNuke Oui

    Multnomah County Library www.multcolib.org Drupal Oui

    New York Public Library www.nypl.org Drupal Oui

    Oak Park Public Library www.oppl.org Drupal Non

    Princeton Public Library princetonlibrary.org Drupal Non

    Salt Lake City Public Library www.slcpl.org Non affi ch Non

    Scottsdale Public Library www.scottsdalelibrary.org Non affi ch Non

    St. Louis County Library slcl.org Drupal Non

    Steamboat Springs Public Library www.steamboatlibrary.org Drupal Non

    Topeka and Shawnee County Public Library www.tscpl.org Wordpress Non

    William F. Laman Public Library www.lamanlibrary.org Non affi ch Non

  • 5Lectures 184, janvier-fvrier 2014 5

    3 La Carnegie Library of Pittsburgh propose plusieurs blogs et podcasts (www.carnegielibrary.org/books/blogs.cfm). 4 Wikipdia (fr.wikipedia.org/wiki/Portail_web). 5 Dans certaines communes, la bibliothque est prsente sur le web travers un sous-site du site communal (biliotheque.nimes.fr). 6 Citons AFI, Aquabrowser, Archimed, Decalog, Ex Libris, Koha, Infor, Innovative, Vubis Smart, Worldcat. 7 La bibliothque de Princeton (www.princetonlibrary.org/connect/contact/ask) permet de prendre rendez-vous pour une consultation, de poser des questions par mail ou mme de chatter partir du site de la bibliothque. Le Chat with a Librarian (www.lawrence.lib.ks.us/contact-us/chat-with-a-librarian/) la bibliothque de Lawrence. 8 Par la voie numrique, on peut accder des documents prcieux comme la Bibliothque Valenciennes (bibliotheque.valenciennes.fr/fr/bibliotheque-de-valenciennes/patrimoine/patrimoine-en-ligne/manuscrits-a-feuilleter-en-ligne.html) qui permet de feuilleter en ligne ses plus beaux manuscrits enlumins du IXe au XVIe sicle. 9 Comt de Saint-Louis (2012.slcl.org). 10 Le site des Bibliothques de Brest comprend un organigramme (sans schma) avec les noms et coordonnes des contacts.

    11 Les questions sur le rseau des mdiathques de Montpellier (mediatheque.montpellier-agglo.com/le-reseau/web-tv-114121.khtml?RH=1159291833487). 12 Ressources en ligne dans Lire au Havre (lireauhavre.fr/fr/ressources). Lille (www.bm-lille.fr/index.php?id=207&L=1), ces ressources sont accessibles via le compte lecteur ou via la plateforme du service en ligne.

    I N T E R N E T

    Quels sont les lments mis en valeur dans

    les sites ainsi slectionns ? La recherche dans

    le catalogue, les services de la librairie, lutili-

    sation des rseaux sociaux, la mise en valeur

    des nouvelles acquisitions, lutilisation mobile,

    lexistence dun blog3, loffre de livres num-

    riques (ebooks), lattention porte au jeune

    public.

    Le blog du cloudy librarian insiste sur

    lutilisabilit (usability) savoir la facilit

    de navigation (par exemple la possibilit de

    revenir sur le site de la bibliothque lorsquon

    est dans le catalogue), le caractre compr-

    hensible de linformation (pas de jargon), la

    facilit de recherche, lattractivit (grce au

    webdesign).

    Site ou portail

    Parce quun site est beau et anim doit-il ab-

    solument se prsenter comme un portail ?

    Un portail web (de langlais Web portal)

    est un site web qui offre une porte dentre

    commune un large ventail de ressources

    et de services accessibles sur lInternet et

    centrs sur un domaine dintrt ou une

    communaut particulire. Les ressources

    et services dont laccs est ainsi rassembl

    peuvent tre des sites ou des pages web, des

    forums de discussion, des adresses de cour-

    rier lectronique, espaces de publication,

    moteur de recherche, etc. [] Un site portail

    institutionnel est un portail web servant de

    voie daccs vers les diffrents sites dun or-

    ganisme. [] Le site portail permet de redi-

    riger linternaute vers le site de lorganisme

    qui correspond le mieux ses attentes en

    fonction de son profil 4.

    Il ne faudrait donc pas confondre un site mo-

    derne5, riche avec un portail. Il sera par contre

    question dun portail lorsquun site municipal

    sert de porte dentre aux sites ou pages web

    des bibliothques communales ou lorsquun

    site de bibliothque donne accs un service

    tel quun catalogue en ligne.

    Par OPAC (Online Public Access Catalogue), on

    dsigne littralement un catalogue en accs

    public en ligne. Si ce catalogue est accessible

    via le web et non plus uniquement depuis les

    locaux de la bibliothque on le qualifiera de

    webOPAC (ou de webpac)6.

    Des informations de base

    Une srie dinformations lies la biblio-

    thque, son administration, son fonctionne-

    ment quotidien doivent tre mises en ligne. Il

    sagit de :

    - ladresse ;

    - la localisation avec un plan dynamique

    dans lequel peuvent figurer les autres bi-

    bliothques, avec les moyens daccs ;

    - les horaires ;

    - les moyens de contact (tlphone, ven-

    tuellement fax, le courrier lectronique via

    un ou plusieurs e-mails ou formulaires)7 ;

    - les services proposs (bibliothque, espace

    public numrique, bibliothque mobile,) ;

    - lorganisation de la bibliothque ;

    - la prsentation des fonds8 ;

    - les rgles de prt et de fonctionnement

    (rglement intrieur, reproduction de

    documents) ;

    - une foire aux questions (FAQ).

    Des rubriques peuvent tre cres pour dis-

    tinguer des publics (enfants, adolescents,

    adultes).

    Des bibliothques racontent leur histoire, celle

    des lieux, publient leur rapport annuel9, pr-

    sentent leur vision et les membres du per-

    sonnel10. Toutes les prsentations et explica-

    tions ne sont pas ncessairement textuelles ;

    elles peuvent aussi tre proposes sous forme

    vido11.

    Des liens relient la bibliothque la commune

    puisque parmi les liens utiles peuvent figu-

    rer les liens vers le site communal, lagenda

    culturel communal, des sites de rfrence. Des

    ressources en ligne12 peuvent aussi tre pro-

    poses. Elles peuvent aussi tre accessibles

    via des sites de partage. Des bibliothques

    donnent accs une offre de presse en ligne

    propose aux abonns.

    Des informations renouveles

    Linformation sur les documents ne consiste

    pas seulement en une prsentation gn-

    rale des fonds. Dans les diffrentes rubriques

    (selon la nature du document, son genre, son

    public) sont mis en valeur les nouveauts, des

    recommandations des bibliothcaires (ou des

    lecteurs), un livre du jour (Book of the Day)

  • 6 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    exposition, elle peut lannoncer, couvrir le ver-

    nissage (avec des photos par exemple), rap-

    peler des vnements qui sintgrent dans le

    programme comme des confrences, avertir

    quelle sera prochainement termine Il faut

    soi-mme se manifester. Un auteur vient la

    bibliothque ? Il faut le faire savoir sur mon

    mur facebookien... sans oublier celui de

    son diteur ou de ses fans. Cest un spcialiste

    dans un domaine dtermin (science-fiction),

    ny a-t-il pas des pages de fans de ce genre sur

    lesquels intervenir ? Il ne sagit pas seulement

    de diffuser ses propres messages mais aussi de

    partager les messages susceptibles dint-

    resser les lecteurs.

    Facebook ne se limite pas du texte et il faut

    donc pouvoir attirer lattention avec des pho-

    tos et des vidos susceptibles dtre vues et

    partages.

    Il ne faut pas non plus ngliger les mdias

    sociaux plus visuels comme Pinterest16. Le

    recours la vido et aux sites de partage peut

    simaginer pour annoncer une activit (une

    bande-annonce ou trailer) et la couvrir, par

    exemple en diffusant une confrence ou une

    interview du confrencier.

    La possibilit pour le lecteur de commenter

    un ouvrage ou de ragir lapprciation dun

    bibliothcaire favorise les changes lecteurs-

    bibliothque et entre lecteurs.

    Dans un registre davantage de diffusion, une

    bibliothque peut proposer labonnement

    une lettre dinformation.

    Des outils de recherche

    La recherche dans un catalogue peut tre

    simple ou avance. La recherche peut tre

    affine en tenant compte de la localisation

    (dans quelle bibliothque doit se trouver le

    document ?), des termes de la recherche

    (avec hyperboolens), le champ dans lequel

    doit se porter la requte (titre, auteur, sujet,

    diteur, indice CDU, ISBN, ISSN ou ISMN,

    type de document ou support, type de no-

    tice, genre littraire), de mots-cls intgrs

    dans un thesaurus... Le systme peut ven-

    tuellement stocker le nombre de rsultats

    (notices) par page (liste) et les prfrences

    de lutilisateur en ce qui concerne le mode

    de recherche.

    ou un livre mis sous les projecteurs (In the

    Spotlight).

    Les activits venir (upcoming events) telles

    que les confrences et dbats, rencontres

    avec des auteurs, animations pour enfants,

    doivent tre prsentes et les annonces les

    plus proches devraient apparatre en page

    daccueil.

    Un blog (ou un Tumblr) permet de mettre en

    ligne des informations gnralement courtes

    sur un ton diffrent de la prose officielle de

    la bibliothque. Cest l que les bibliothcaires

    utilisent le je pour mettre en vidence des

    trouvailles.

    Des images

    Le site dune bibliothque se doit dtre visuel.

    La tendance est aujourdhui au diaporama

    (slideshow) en page daccueil. On peut y faire

    figurer des images illustrant les diffrentes ac-

    tivits de la bibliothque. On utilise un mode

    carrousel pour mettre en valeur des couver-

    tures de livres.

    Une animation permanente

    Pour quun site vive, son contenu doit tre

    renouvel. Il sagit bien videmment de lan-

    nonce dactivits de type confrences, ren-

    contres, ateliers,... Des contenus peuvent

    aussi tre renouvels aisment et automati-

    quement en intgrant des contenus achemi-

    ns via des fils RSS.

    Une interaction

    Il faut interagir avec le public. Cette interac-

    tion consiste aussi rpondre au courrier

    lectronique (des formulaires en ligne peuvent

    favoriser cet change) et ragir, si besoin est,

    des commentaires sur le blog de la biblio-

    thque ou dans les rseaux sociaux. Certains

    sites incitent poser une question aux biblio-

    thcaires, ventuellement via chat.

    La prsence de la bibliothque sur des r-

    seaux sociaux13 comme Facebook14, Twitter,

    Google+15 lui permet dattirer lattention sur

    son activit. Par exemple, si elle accueille une

    13 Les bibliothques de Brest par exemple sont actives sur Facebook

    (www.facebook.com/bibliobrest), Twitter (twitter.com/bibliobrest),

    galement DaiyMotion (www.dailymotion.com/bibliobrest).

    14 Page Facebook des

    Mdiathques Municipales Saint-tienne (www.facebook.com/

    mediathequesmunicipales.saintetienne).

    15 Bib2strasbourg sur Google+ (plus.google.

    com/u/0/105145113610088370470/posts).

    16 Comme la Lawrence Public

    Library (http://www.pinterest.com/lawrencelibrary/).

    I N T E R N E T

  • 7Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    pour permettre de noter un titre emprunt, de

    le recommander, de recevoir des recomman-

    dations personnalises.

    Au regard du dcret

    En Fdration Wallonie-Bruxelles, un tel por-

    tail saccorde avec le dcret du 30 avril 2009

    qui vise dans son article Ier favoriser laccs

    au savoir et la culture par la mise dispo-

    sition de ressources documentaires et cultu-

    relles sur tous supports, matriels et immat-

    riels de mme qu permettre leurs utilisations

    multiples par le plus grand nombre .

    Le portail peut favoriser les pratiques de lec-

    ture18 dautant plus que certaines sont num-

    riques. Par pratiques de lecture, on entend

    en effet toutes formes de lecture sur tous

    supports concernant diffrents types dcrits

    ou de documents tels que notamment, livres

    fonctionnels et non fictionnels, revues, maga-

    zines, journaux, courriels, pages web, blogs,

    forums, cdroms, dvd, e-books ou weblivre,

    jeux qui permettent aux lecteurs des pratiques

    dchanges avec dautres afin de reconstruire

    le sens dun contenu .

    Par ailleurs, on rappellera que, lors de la recon-

    naissance de la bibliothque, une attention est

    porte sur la qualit des stratgies de visibilit

    et de marketing de la bibliothque.

    Les catalogues peuvent diffrer dans leur

    manire dafficher les premiers rsultats (avec

    vignettes plus ou moins importantes chez

    Iguana par exemple, avec des menus dploys

    chez AFI), den favoriser le tri via une recherche

    facettes17 et, finalement, de prsenter le

    rsultat final de la recherche (avec la dispo-

    nibilit de louvrage). Les possibilits offertes

    par les webopac actuels sont sans doute as-

    sez similaires. Certains webopac prsentent

    des petits plus dont chacun valuera lutilit :

    Decalog propose de sauvegarder la recherche,

    de lintgrer dans un fil RSS, de limprimer,

    dobtenir un lien permanent vers la fiche du

    document, Iguana encourage le partage de

    cette fiche sur les rseaux sociaux, Innovative

    permet dajouter un commentaire ou un tag

    (tiquette ou mot-cl).

    La diffrence peut rsider dans le design adap-

    t au web et son intgration dans le portail

    de la bibliothque. Autrement dit, le mme

    outil avec les mmes fonctionnalits peut ap-

    paratre comme dsuet ou tendance selon le

    style quon aura bien voulu lui donner.

    Des accs peuvent tre rservs aux membres

    (via nom dutilisateur, indication dun code

    barres, dun pin ou carte didentit lec-

    tronique) pour accder certaines fonction-

    nalits du catalogue comme demander un

    ouvrage, examiner ses anciennes recherches,

    sauvegarder des listes douvrages favoris, ou

    17 La recherche facettes (ou recherche facette, ou navigation facettes) est une technique en recherche dinformation correspondant une mthodologie daccs linformation base sur une classification facettes. Elle donne aux utilisateurs les moyens de filtrer une collection de donnes en choisissant un ou plusieurs critres (des facettes comme, par exemple, le type de ressource, la langue, la priode de publication, le genre,... ou, encore, la disponibilit). Il nest donc pas tant question de recherche que de filtrage (une recherche brute, taxonomique, pouvant tre utilise en complment). Source : Wikipdia (fr.wikipedia.org/wiki/Recherche__facettes).

    18 La matire principalement traite par les bibliothques aujourdhui nest pas le livre, mais bien lcrit, sous toutes ses formes. Cf. Construction dun plan de dveloppement de la lecture local, CESEP.

    I N T E R N E T

  • 8 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    Quelle solution choisir ?

    Une solution consiste opter pour un CMS

    (content management system ou systme

    de gestion de contenu) permettant dasso-

    cier toutes les briques permettant de

    construire le portail souhait. Cest ainsi que

    les bibliothques amricaines distingues plus

    haut, ont souvent eu recours Drupal, une

    solution libre.

    Une autre solution consiste utiliser une

    plateforme cl en main comme Iguana19.

    Celle-ci offre effectivement la possibilit de

    rassembler en un seul site un catalogue et des

    pages web ce qui permet den faire un espace

    attractif et vivant avec des informations moins

    raides que dans la prsentation usuelle

    dactivits (on sait y ajouter des liens vers des

    livres). Iguana permet aussi lintgration des

    flux des rseaux sociaux, la possibilit de par-

    tage via les rseaux sociaux, la possibilit de

    faire de cette page un vritable centre dinfor-

    mation (vers des applications, des journaux

    et revues, bases de donnes). Linconvnient

    rside dans le caractre propritaire de la solu-

    tion. Autrement dit, lutilisateur en est cap-

    tif . Il faut donc mettre en balance avantages

    et inconvnients en terme de cots, dassis-

    tance, de dveloppements, dautonomie ou

    dindpendance

    Dans un cas comme dans lautre, il faut que

    le portail soit beau et quil volue graphi-

    quement en fonction des tendances (les sites

    sont de plus en plus purs) et des exigences (le

    responsive web design pour une utilisation avec

    des appareils mobiles). Mais ce qui fera le suc-

    cs dun tel portail, cest le travail permanent

    denrichissement et danimation. Pas seule-

    ment sur le portail dailleurs puisque le travail

    sur les mdias sociaux doit aller de pair. Do

    un besoin en professionnels curieux capables de

    semparer de ces nouveaux usages. 19 www.infor.fr/bibliotheques/

    solutions/iguana/

    I N T E R N E T

  • S O C I T

    9Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    par Michel BOUGARD

    chimiste, historien des sciences,

    professeur honoraire lUniversit

    de Mons-Hainaut (UMH)

    Biodiversit menace, rchauffement de lat-

    mosphre terrestre, pollution Il y a comme un

    air de catastrophisme depuis le dbut du XXIe

    sicle. Si chacun saccorde sur lvolution sen-

    sible du climat et les consquences que cela

    entrane dj, il y a encore de nombreux dbats

    sur les causes de ce rchauffement et le monde

    politique ne saccorde pas sur les solutions

    mettre en place. Ces derniers mois, plusieurs ou-

    vrages sont venus clairer ces questions denvi-

    ronnement en proposant des analyses originales

    et des pistes pouvant mener des amliorations.

    Nous sommes entrs dans lanthropocne

    voquons dabord la nouvelle collection du

    Seuil : Anthropocne . Plusieurs scientifi ques

    estiment que la Terre est entre dans une nou-

    velle poque gologique quils nomment an-

    thropocne. Pour eux, les activits humaines

    ont maintenant un impact si important et

    dynamique sur lenvironnement global quelles

    entrent en rivalit avec les grandes forces de

    la nature dans le fonctionnement du systme

    Terre. Trois premiers ouvrages sont sortis lau-

    tomne 2013 dans cette collection qui entend

    discuter des enjeux cologiques globaux et de

    lavenir de notre plante.

    Dans Lvnement Anthropocne, deux histo-

    riens, Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste

    Fressoz, font lanalyse historique de lappari-

    tion de cette re nouvelle dans laquelle les ac-

    tions humaines seraient devenues une vritable

    force gophysique agissant sur notre plante, y

    provoquant une crise cologique profonde. Les

    traces de notre ge urbain (notamment nos

    dchets chimiques et nuclaires) vont impr-

    gner la structure terrestre pendant des mill-

    naires. Les auteurs souhaitent que science et

    histoire puissent dialoguer afi n de dresser

    un inventaire cologique qui pourrait conduire

    une vritable prise de conscience environne-

    mentale afi n dagir politiquement pour mettre

    fi n ce quils nomment un modle de dve-

    loppement devenu insoutenable .

    Le deuxime livre de cette collection (Les ap-

    prentis sorciers du climat) nous est propos par

    Clive Hamilton, essayiste, conomiste et phi-

    losophe australien, spcialiste des enjeux envi-

    ronnementaux. Lauteur considre demble

    que la hausse globale de la temprature sur la

    Terre entranera des vnements mtorolo-

    giques extrmes et des souffrances humaines

    diffi ciles apprcier. Malgr lchec rpt des

    ngociations internationales sur le climat, cer-

    tains chercheurs ont rfl chi des technologies

    (on parle de go-ingnierie) qui permettraient

    de refroidir la plante sans changer notre mo-

    dle de dveloppement, ni notre consomma-

    tion. Pour rparer le climat , certains nh-

    sitent pas songer modifi er la composition

    chimique des ocans, imaginer la capture du

    gaz carbonique de notre atmosphre pour le

    stocker en un endroit jug moins dangereux,

    de pulvriser du soufre dans la haute atmos-

    phre, etc. La question que pose C. Hamilton

    est claire : ces gocrates (ingnieurs, scien-

    tifi ques et hommes daffaires) ont-ils le droit

    de jouer aux apprentis sorciers en essayant de

    rgler le thermostat de notre plante ?

    Hamilton analyse alors les enjeux cono-

    miques de cette go-ingnierie. Et ce nest bien

    entendu pas un hasard sil constate que der-

    rire ces projets, on trouve plusieurs grandes

    compagnies ptrolires et des magnats de lin-

    formatique comme Bill Gates. Le philosophe

    australien nhsite dailleurs pas parler de

    corruption morale guettant les chercheurs

    tents daccepter le soutien fi nancier de ceux

    qui utilisent encore largement les combustibles

    fossiles et qui, par leurs dons , chercheraient

    en quelque sorte se soustraire leurs obli-

    gations. Malheureusement, les dfenseurs de la

    go-ingnierie sont aujourdhui les matres du

    monde et ils ont pour meilleurs soutiens les d-

    fenseurs du libre march qui voient dans de tels

    projets le meilleur moyen de sauver la crois-

    sance tout en jouant les sauveurs de la plante.

    Changer radicalement nos modes de vie

    Faudrait-il donc dfi nitivement dsesprer ?

    Ce nest pas lavis dAndr Cicolella, chimiste

    et toxicologue (cest lui qui fut au dpart de

    la disparition du bisphnol A dans les biberons

    des nourrissons), qui, dans Toxique plante, ap-

    porte un exemple prcis de laction toxique

    des activits humaines, mais aussi des remdes

    Environnement. mois ! Et moi ?

  • S O C I T

    10 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    Unis (mais aussi le reste du monde) peuvent

    se passer compltement de ptrole, de charbon

    et du nuclaire dici 2050, condition que les

    entreprises concernes soient motives par

    des incitants (le profi t) et encourages par une

    lgislation adapte. Il ne sagit pas de dcou-

    vrir un nouveau feu , mais plutt de revoir

    compltement les pratiques actuelles autour

    de six grands dfi s. Dabord, il faudrait trans-

    former lindustrie automobile (des moteurs de

    plus en plus sobres et, court terme, le tout

    lectrique). Ensuite il conviendrait de rduire

    de faon drastique les distances quon parcourt

    ainsi que le poids et le volume des marchan-

    dises transportes. Il faudrait aussi construire

    des immeubles totalement isols, acclrer

    les conomies dnergie dans lindustrie et

    encourager la cognration. Sans oublier de

    faire baisser au maximum le cot des nergies

    renouvelables et modifi er la rglementation

    et les modles opratoires des fournisseurs

    dnergie.

    cologie et conomie

    Dans une autre perspective lie lconomie,

    il faut lire Le capital vert. Une nouvelle pers-

    pective de croissance par Christian De Perthuis

    et Pierre-Andr Jouvet. Les auteurs sont tous

    deux professeurs dconomie dans des univer-

    sits parisiennes et spcialistes dune nouvelle

    discipline : lconomie du climat. Leur ouvrage

    prend le contre-pied de lapproche politique

    actuelle voulant une reprise rapide de la crois-

    sance au mpris des consquences cologiques.

    Les auteurs tentent dexpliquer que la sortie

    de la crise peut au contraire tre amorce par

    une nouvelle vague dinvestissements et din-

    novations reposant sur un rapport diffrent

    de lhomme au capital naturel. Pour eux, il ne

    faudrait plus considrer la nature comme un

    stock limit de ressources (dont lpuisement

    menace la croissance), mais il faut plutt voir

    dans la nature une sorte de systme rguler.

    Ainsi, la stabilit du climat et de la biodiversit

    ne peut rester gratuite si on veut maintenir la

    possibilit dune croissance. Bien document,

    voil un livre qui entend remettre lcologie au

    cur de la politique conomique.

    Pour proposer le contrepoint du livre prc-

    dent, il y a le petit ouvrage de Fabrice Flippo,

    Michelle Dobr et Marion Michot aux ditions

    Lchappe : La face cache du numrique.

    quon pourrait y apporter. Selon lui, il y a au-

    jourdhui une pidmie de maladies chroniques

    (maladies cardio-vasculaires, cancers) lie

    notre environnement (pollution de lair et de

    leau) et nos conditions de vie (alimentation,

    stress, habitat). Mais A. Cicolella nous pr-

    vient : les lobbies industriels freinent tant quils

    peuvent cette reconnaissance en intervenant

    tant au niveau politique que dans les lieux dex-

    pertise. Et pourtant la crise est mondiale : on

    meurt plus de ces maladies chroniques que par

    des maladies infectieuses. La dcouverte des

    perturbateurs endocriniens est venue aggraver

    ce constat. Ainsi le bisphnol A est dabord une

    hormone de synthse qui, de mdicament rat,

    est devenu une matire plastique succs. Si

    lauteur fait un constat svre et alarmant de

    ce quil faut bien appeler une catastrophe sani-

    taire, il nest nullement pessimiste car il y a,

    selon lui, des solutions. A. Cicolella voque ainsi

    ce qui pourrait tre une vritable rvolution de

    la sant. Une des pistes est lagro-cologie, de

    mme que la chimie verte dont lobjectif

    serait la dcontamination de lenvironnement.

    Ce sont en tout cas l des dfi s qui imposent

    des innovations intgrant la protection de la

    sant ( loppos des pratiques actuelles o

    la question de limpact sanitaire est nie). Le

    message dA. Cicolella est clair : il faut repen-

    ser notre faon de consommer, de nous dpla-

    cer, de communiquer, de produire et dutiliser

    lnergie. Cest videmment plus facile crire

    qu raliser mais lauteur veut rester lucide en

    jouant la carte de la mobilisation de la socit

    civile afi n de faire merger le nouveau modle

    de socit cologiquement et socialement

    responsable.

    Cest bien l le projet qui alimente les r-

    fl exions du Rocky Mountain Institute, un centre

    de recherche amricain sur lnergie qui fut

    cr en 1982. Son prsident et directeur

    scientifi que est le physicien Amory B. Lovins,

    crateur du concept ngaWatt prnant la

    transition vers leffi cacit nergtique et les

    nergies renouvelables. Lovins et ses collabora-

    teurs proposent aux ditions Rue de lchiquier

    un gros ouvrage (Rinventer le feu) qui pr-

    sente plusieurs moyens concrets de parvenir

    un tel basculement dans les activits les plus

    nergivores (comme le transport, le btiment,

    lindustrie et la production dlectricit). Lide

    matresse de ces chercheurs est que les tats-

  • S O C I T

    11Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    cosystmes face la monte des change-

    ments environnementaux. On explicite dabord

    les concepts et les approches en rapport avec

    ladaptation aux changements climatiques :

    les scnarios socio-conomiques associs aux

    gaz effet de serre, les incertitudes lies aux

    modles climatiques, les dynamiques de la

    biodiversit et la conservation des ressources

    biologiques, les vulnrabilits et les capacits

    dadaptation des sociosystmes. Ensuite est

    aborde ladaptation au changement clima-

    tique des principaux biotopes au regard de

    leurs usages par lhomme. Enfi n, la dernire

    partie du livre traite des dfi s de ladaptation

    aux nouveaux climats pour leau et la qualit

    des sols, pour la lutte contre leffet de serre et

    la production dnergie partir de la biomasse.

    Cest un ouvrage dense qui offre plusieurs

    pistes avec diverses fi nalits : agir pour la scu-

    rit et la sant publique, rduire les ingalits

    devant les risques, limiter les cots, tirer parti

    des bnfi ces potentiels et prserver le patri-

    moine naturel.

    On vient dvoquer la biodiversit. Deux ou-

    vrages quelque peu diffrents abordent ce su-

    jet. voquons dabord celui dAlexandra Liarsou

    (Biodiversit - Entre nature et culture) dit

    aux ditions Le sang de la Terre. Archologue,

    ethnologue et prhistorienne la Sorbonne,

    lauteure nous rappelle quelques points essen-

    tiels quand on se pique de parler dcologie.

    Elle prcise demble que ce fut dabord une

    science complexe, limite quelques spcia-

    listes, touchant la fois les sciences naturelles

    et humaines. Ces cologues taient plei-

    nement conscients que lapproche rduction-

    niste (si effi cace par ailleurs dans certains

    domaines scientifi ques) se rvlait quasiment

    impraticable vu la complexit des situations et

    leurs interactions. Quand le monde politique

    sempara de lcologie, il ne sencombra gure

    de ces diffi cults rencontres par la discipline

    scientifi que ponyme, et ce fut trs vite un fl o-

    rilge de discours simplifi cateurs. La question

    de la conservation de la nature se traita alors

    de faon manichenne, les mauvais contre

    les bons, les premiers tant les tres humains

    saccageant la nature, et les bons tant ceux

    qui laissaient la nature sauto-organiser. A.

    Liarsou tudie les interactions entre les soci-

    ts humaines et les autres socits animales, et

    sa critique des discours, structures et politiques

    Limpact environnemental des nouvelles tech-

    nologies. Il sagit l de rfl chir aux vritables

    impacts environnementaux du numrique. Car

    il y a des consquences cologiques directes de

    linfrastructure des techniques de linformation

    et de la communication (TIC). Avec un souci

    dobjectivit, les auteurs examinent aussi les

    arguments de ceux qui prtendent que lusage

    des TIC peut se substituer dautres usages

    moins cologiques (une vidoconfrence

    est en effet moins polluante quun trajet en

    avion). Dans une autre partie de louvrage, les

    auteurs analysent le comportement des divers

    acteurs qui dterminent lvolution du sec-

    teur, en constatant que lenvironnement reste

    un facteur marginal dans la prise de dcision

    collective.

    Toujours dans une perspective o conomie et

    environnement ont partie lie, il faut signaler

    lessai dApoli Bertrand Kameni (Minerais stra-

    tgiques. Enjeux africains) qui a remport le

    prix de la recherche universitaire dcern par

    Le Monde. Lauteur dmontre dans cet ouvrage

    que le dclenchement, la poursuite et la fr-

    quence des confl its en Afrique sarticulent

    constamment avec la conjecture conomique

    et les avances technologiques internatio-

    nales. Derrire une faade ethnicoculturelle

    se cachent en ralit des enjeux industriels

    majeurs pour le contrle des minerais strat-

    giques. Ainsi le besoin en tain (pour rempla-

    cer le plomb, jug trs polluant) a dclench la

    recherche en cassitrite (minerai dtain) trs

    abondante au Congo. Et cela a provoqu un

    regain des hostilits ds 2003, avec une inten-

    sifi cation des combats partir de dcembre

    2006, cet vnement concidant parfaitement

    avec laugmentation du cours mondial de

    ltain. Kameni pose ainsi les fondements de

    la nouvelle stratgie de scurit mondiale en

    suggrant une gouvernance mondiale de ces

    ressources stratgiques si on veut assurer la

    scurit en Afrique et la paix dans le monde.

    Dbats autour de la biodiversit

    Dans un ouvrage collectif (Sadapter au chan-

    gement climatique) coordonn par Jean-

    Franois Soussana (directeur scientifi que du

    secteur environnement lInstitut natio-

    nal de la recherche agronomique - INRA), vous

    trouverez plusieurs tudes qui tentent dexpli-

    quer comment prserver la biodiversit et les

  • S O C I T

    12 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    de la gestion de la biodiversit est difi ante.

    Pour lauteure, lidologie du dveloppement

    durable et de la biodiversit oppose les espces

    autochtones (forcment prserver) et alloch-

    tones (ncessairement combattre). Avec un

    paradoxe : lhomme serait la fois celui qui

    nuirait lenvironnement, et celui qui devrait

    juger des dgts commis et les rparer. Il nest

    gure sage dtre juge et partie, et le constat

    dA. Liarsou est sans appel : lhistoire de len-

    vironnement rvle bien des cueils que ren-

    contre invitablement toute planifi cation co-

    logique. Au travers de deux analyses (celles de

    la rintroduction du castor et du couple carpe-

    tanche), lauteure montre que lhomme est une

    espce parmi les autres, favorisant et dfavo-

    risant dautres tres vivants selon les circons-

    tances et les activits. Il convient donc dabord

    de comprendre la complexit des structures

    cologiques pour mieux se rendre compte que

    les consquences de certaines dcisions co-

    logiques sont toujours trs diffi ciles valuer.

    Lautre livre (La biodiversit : une chance - Nous

    avons un plan B) a t crit par Sandrine Blier

    et Gilles Luneau (lune est spcialiste en droit

    de lenvironnement et dpute europenne,

    lautre est rdacteur en chef de Global Magazine

    et spcialiste en matire de globalisation des

    changes). Les auteurs nous rappellent que

    pour la premire fois dans lhistoire, lhumain

    est la fois la cause et la victime dune crise de

    la biodiversit, celle-ci ne se limitant pas une

    liste despces animales et vgtales, mais en-

    globant aussi les changes continuels que nous

    avons avec ces milieux vivants. travers des

    changes souvent passionns, les deux spcia-

    listes entendent nous interpeller sur limpor-

    tance de faire de la prservation de la biodiver-

    sit un engagement quotidien. Et ces changes

    nont rien de dsesprant. Mlant analyse

    politique, clairage historique et exemples

    concrets dactions positives (dans lesprit de

    la collection Domaine du possible dActes

    Sud), dinitiatives originales et innovantes, pour

    trouver des solutions au drglement colo-

    gique, lexclusion sociale ou lexploitation

    sans limites des ressources naturelles.

    Et nous ? Que pouvons-nous faire ?

    Pour terminer, on voquera la traduction du

    clbre ouvrage de Ba Johnson (Zro dchet),

    Franaise vivant aujourdhui aux tats-Unis.

    Cet ouvrage percutant nous propose den

    arriver supprimer quasiment tous les dchets

    dun mnage. Aprs avoir compris que le recy-

    clage ntait pas la solution miracle la crise

    environnementale, B. Johnson et son mari ont

    peu peu compltement chang leur mode

    de vie et de consommation. Lauteure est bien

    entendu consciente que ce que nous consom-

    mons infl ue directement sur notre environne-

    ment, notre conomie et notre sant. Pour elle,

    il faut dsencombrer et moins recycler, en

    respectant cinq rgles de base : refuser ce dont

    on na pas besoin, rduire ce dont nous avons

    besoin, rutiliser ce que nous consommons,

    recycler ce que nous ne pouvons ni refuser,

    ni rduire, ni rutiliser, et enfi n, composter le

    reste ! Ce nest bien sr pas un ouvrage scienti-

    fi que, mais une sorte de manuel pratique bas

    sur une exprience personnelle russie, avec

    des dizaines de trucs et astuces. Remarquons

    que tout cela nest pas toujours transposable,

    mais chacun y trouvera lun ou lautre moyen

    de rduire ses dchets en acceptant des alter-

    natives simples dans sa vie quotidienne.

    Plusieurs autres ouvrages ont t rcemment

    publis sur cette problmatique de lenviron-

    nement, analysant les nouvelles sources de

    pollution (en Chine en particulier) mais aussi

    les solutions qui commencent tre proposes,

    tant au plan international quau quotidien. Au-

    del de lmoi justifi par la dgradation vi-

    dente de notre environnement, il y a donc une

    vague despoir qui apparat. Simple frmisse-

    ment aujourdhui, elle peut devenir une rvo-

    lution salvatrice demain si lhumanit prend

    vraiment conscience de limpact du prsent sur

    son avenir. BONNEUIL, Christophe, et FRESSOZ, Jean-BaptisteLvnement Anthropocne. -Paris : Seuil, 2013. - 320 p. ; 19 cm. - (Anthropocne). - ISBN 978-2-02-113500-8 (Br.) : 18,00 .

    HAMILTON, CliveLes apprentis sorciers du climat / traduit de langlais par Cyril Le Roy. -Paris : Seuil, 2013. - 352 p. ; 19 cm. - (Anthropocne). - ISBN 978-2-02-112026-4 (Br.) : 19,50 .

    CICOLELLA, AndrToxique plante. -Paris : Seuil, 2013. - 320 p. ; 19 cm. -

  • S O C I T

    13Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    (Anthropocne). - ISBN 978-2-02-106145-1 (Br.) : 19,00 .

    LOVINS, Amory B.Rinventer le feu / traduit de langlais par Agns El Kam. -Paris : Rue de lchiquier, 2013. - 676 p. ; ill. ; 20 cm. - ISBN 978-2-917770-51-1 (Br.) : 29,00 .

    DE PERTHUIS, Christian et JOUVET, Pierre-AndrLe capital vert. Une nouvelle perspective de croissance. -Paris : Odile Jacob, 2013. - 288 p. ; 22 cm. - ISBN 978-2-7381-2919-2 (Br.) : 24,90 .

    FLIPO, Fabrice, DOBR, Michelle, et MICHOT, MarionLa face cache du numrique. Limpact environnemental des nouvelles technologies -Montreuil : Lchappe, 2013. - 138 p. ; 18,5 cm. - (Pour en fi nir avec). - ISBN 978-2-9158-3077-4 (Br.) : 12,00 .

    KAMENI, Apoli BertrandMinerais stratgiques. Enjeux africains. -Paris : Presses Universitaires de France, 2013. -

    244 p. ; ill. ; 24 cm. - (Partage du savoir) ISBN 978-2-7381-2919-2 (Br.) : 22,00 .

    SOUSSANA, Jean-Franois (sous la directionde)Sadapter au changement climatique. -Paris : Quae, 2013. - 284 p. ; ill. ; 24 cm. - (Synthses) ISBN 978-2-7592-2016-8 (Br.) : 43,25 .

    LIARSOU, AlexandraBiodiversit - Entre nature et culture. -Paris : Le sang de la Terre, 2013. - 288 p. ; 22,5 cm. - ISBN 978-2-8698-5296-9 (Br.) : 13,50 .

    BLIER, Sandrine, et LUNEAU, GillesLa biodiversit : une chance - Nous avons un plan B ! -Arles : Actes Sud, 2013. - 190 p. ; 19 cm. - (Domaine du possible) ISBN 978-2-330-02580-9 (Br.) : 20,00 .

    JOHNSON, BaZro dchet / traduit de langlais par Laure Motet. -Paris : Les Arnes, 2013. - 400 p. ; 19 cm. - ISBN 978-2-35204-257-0 (Br.) : 17,00 .

  • S O C I T

    14 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    Rire et sourire

    par Vinciane STRALE

    sociologue

    Notre raction face aux faits ou situations

    drles seront de rire ou de sourire, voire mme

    de rire aux clats ou de sourire en grinant un

    peu des dents. Les registres de lhumour sont

    divers, nuancs et faire rire ou sourire renvoie

    des ressorts divers. Parmi les ouvrages consid-

    rs comme drles, tous ne le sont pas vraiment.

    Accueillons donc ceux qui le sont rellement.

    Le srieux et lhumour

    Rire des travers dautrui a souvent t une forme

    dhumour et cest dautant plus vrai que ceux

    dont on rit sont connus. Ainsi, Alain Battagion

    nous rgale avec Ridicules. Les dossiers inavous

    des grands personnages de lHistoire. Cest une

    manire particulire de parcourir les sicles que

    de sarrter, comme le fait lauteur, aux pisodes

    drles. Par exemple, un chef viking, Rollon, refuse

    de baiser le pied de son nouveau roi. Il dlgue

    la tche lun de ses offi ciers. Celui-ci accepte

    de baiser le pied royal, mais non de sincliner. Il

    lve donc le pied du roi pour le baiser et envoie

    terre Charles III le Simple qui reoit au sol lhom-

    mage attendu. Des histoires drles de ce genre

    o la cocasserie se mle lironie des situations,

    Alain Battagion nous en fait connatre un bon

    nombre. De quoi rconcilier les plus rcalcitrants

    avec lhistoire tout court.

    Dans Le bonheur au travail. Regards croiss de

    dessinateurs de presse et dexperts du travail,

    un collectif inhabituel parcourt les questions

    lies au travail, lemploi et aux entreprises.

    Travailler est aujourdhui une activit trs

    encadre, mais pas toujours pour le bonheur

    des travailleurs. Les mthodes actuelles de

    management font peser de lourdes contraintes

    et suscitent souvent une inscurit qui mine

    ceux qui travaillent. 30% dentre eux dsirent

    quitter leur emploi, mais sont inquiets lide

    de se retrouver sans emploi du tout. La plu-

    part ne se reconnaissent pas dans leur travail

    qui na plus vraiment de signifi cation, sinon

    fi nancire. Ces diffi cults, ces vcus complexes

    sont ici explors et analyss par des experts

    du travail. Manque de reconnaissance, confl its

    dthique, perte de qualit du travail, rgne du

    court terme, restructurations, dlocalisations,

    prcarisations et autres problmes, les sala-

    ris sont frquemment malmens durant leur

    vie professionnelle. En miroir des analyses, les

    dessinateurs de presse jettent un regard caus-

    tique et souvent froce sur les situations que

    vivent les travailleurs, mais cest un humour

    le plus souvent grinant que le leur. Ces situa-

    tions, analyses ou caricatures, sont celles

    que connaissent des millions dhommes et

    de femmes. Au terme de la lecture de cet ou-

    vrage, notre approche des questions actuelles

    du travail sera diffrente et nous rappellera

    lurgence quil y a repenser ces activits qui

    sont une part si importante de la vie de nos

    contemporains.

    Humour et roman

    Bien quil ne soit plus aussi pris que prc-

    demment, lhumour anglais est nanmoins l-

    gendaire. Cest avec un rel bonheur quon lira

    un ouvrage reprsentatif du genre, La dernire

    conqute du major Pettigrew dHelen Simonson.

    Un major retrait et veuf vit dans un village de

    la campagne anglaise. Contre toute attente, il

    va tomber sous le charme dune picire pakis-

    tanaise qui lui livre son th. Entre la modeste

    trangre et lex-militaire aux ides tradition-

    nelles va natre une vritable idylle. Cependant,

    les prjugs des villageois sont aussi virulents

    que ceux du neveu pakistanais qui a dcid de

    reprendre lpicerie de sa tante. Par ailleurs, le

    fi ls du major entend bien contrler la vie de son

    pre et multiplie les oppositions la majorit

    de ses dcisions. Verres au club, parcours de golf,

    promenades en bord de mer, discussions autour

    dune tasse de th, la vie du major Pettigrew va

    se trouver bouleverse par la rencontre avec sa

    nouvelle amie et dstabiliser ses habitudes. Au

    milieu de pripties inattendues et quelquefois

    cocasses, limperturbable major et son amie

    vont dvelopper leur relation dans des situa-

    tions pour le moins compliques. Le lecteur ap-

    prciera le dcalage entre les personnages, leurs

    ractions et les normes bien tablies rgnant

    dans un village anglais.

    Le clan Kabakoff sest install Memphis aprs

    avoir quitt lUkraine natale. Yankel va consacrer

    sa vie ltude de la Torah. Il laisse la respon-

    sabilit du Grand Bazar Kabakoff son pouse.

    Mose, leur fi ls, soccupera des Presses Kabakoff.

    Parmi les enfants, Itchy est le mouton noir . Il

    mdite et accomplit souvent quelques mauvais

  • S O C I T

    15Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    coups. Cette famille de loosers traverse lexis-

    tence avec une ardeur intrpide et connat bien

    des tribulations que nous suivons dans La fabu-

    leuse histoire du clan Kabakoff. Entre culture yid-

    dish et vie amricaine, Steve Stern, conteur inta-

    rissable, inventeur dhistoires imprvisibles, nous

    raconte avec une drlerie et une verve jamais

    dmenties lpope burlesque des Kabakoff.

    Lon Robillard lve des cochons dans le Perche.

    Il a 51 ans et vit avec sa mre. Il est aussi un

    internaute zl. Il rpond tous les courriels,

    spams et autres messages imprvus quil reoit.

    Dans ces courriels - authentiques - les perspec-

    tives de gains fi nanciers, dhritage inattendu

    et autres promesses allchantes sont lgions et

    largent - notamment - stimule toujours len-

    thousiaste Lon. Le courrier reu vient dAfrique

    et, sil y rpond scrupuleusement, ses rponses

    trahissent une bonne foi nave, mais aussi une

    malice indfi nissable. Riche pouse improbable,

    matre vaudou peu crdible, affairistes intres-

    ss, la collection de cyberescrocs avec lesquels

    correspond notre hros est diversifi e. Dans Les

    milliards de dollars de Lon Robillard, Vincent

    Malone nous dcrit les arnaques invraisem-

    blables qui guettent linternaute imprudent. Les

    changes surralistes entre les correspondants

    nous font dcouvrir des histoires incroyables et

    aussi incroyablement drles.

    La drlerie comme but avou : les BD

    Ce nest pas pour rien que les Anglo-Saxons ont

    appel les premires bandes dessines Comics,

    une des veines du genre tant le comique de si-

    tuations ou de personnages. Ct francophone,

    dcouvrons ce que nous donnent voir Edgar

    Kosma et Pierre Lecrenier dans un album qui

    sintitule simplement Le Belge. Aprs une intro-

    duction de sa majest le roi des Belges , les

    pages qui se succdent prcisent qui est le Belge.

    Bien sr, il aime la bire et les frites. Il est plein de

    bonnes rsolutions, mais un peu passif. Il passe

    des vacances la mer ou en Ardenne. Cest au

    fond quelquun comme tout le monde, le Belge,

    mme quand il nest pas vraiment belge. Cest

    dans Le Vif / LExpress que sont parues dabord

    ces planches. Avec un dessin pur et un style un

    peu minimaliste, cest un regard ironique et sou-

    riant qui nous fait voir et comprendre ce quest

    le Belge.

    Entre situations et personnages, on accueillera

    avec un sourire parfois un peu aigre-doux, voire

    doux-amer Mres anonymes, de Gwendoline

    Raisson et Magali Le Huche. Les mres ano-

    nymes , linstar des alcooliques anonymes, se

    runissent rgulirement pour changer et par-

    tager leurs expriences et apporter chacune le

    soutien du groupe. Des angoisses prnatales au

    baby blues, des pressions sociales sur les mres

    limpression dtre dpasse par les vne-

    ments, le vcu des jeunes mamans est dissqu

    avec une ironie souvent acide. Les dessins sobres

    et effi caces de Magali Le Huche desservent

    parfaitement les dialogues et situations de cet

    ouvrage. La maternit telle que la dcrivent les

    auteures est loin de limage dpinal, cest du

    vcu avec toutes ses contraintes. La drlerie ici

    se joue sur le dcalage entre la maternit idale

    et les ralits souvent diffi ciles. On y trouve

    bien sr des histoires de couple, mais aussi des

    squences sur la solitude, les incertitudes, la

    fatigue et la dprime, la monoparentalit, les

    images fausses dune certaine presse people.

    Esprons que cet excellent premier tome verra

    dautres lui succder.

    Classique parfait, les vieilles dames de Faizant

    restent rsolument drles. Aussi quand parat

    lalbum Les vieilles dames. Lintgrale, on re-

    trouve avec un sourire ces odieuses bourgeoises

    qui maltraitent leur entourage. Leur embonpoint

    perch sur des hauts talons, elles traversent la

    vie en tyrans inconscients, mais aussi nafs.

    Ouvrage organis selon des thmatiques, la pre-

    mire rubrique est celle de lamour, registre de

    choix. Les autres thmes sont aussi allchants :

    leur mari, les animaux, les cartes, la peinture,

    la musique, la mdecine, leurs amies, etc. Ces

    vieilles dames qui ont fait rire les lecteurs de

    Paris-Match pendant des dcennies ont gard

    toute leur drlerie. Ne boudons pas notre plaisir

    et dgustons cette intgrale.

    Chez nous comme ltranger, un person-

    nage devenu une vritable icne est le chat

    de Philippe Geluck. Le dernier opus paru, La

    bible selon le chat, est un dlice. Notre hros y

    est devenu rien moins que dieu et les situations

    quil traverse sont remarquablement irrvren-

    cieuses. Dieu le chat nest pas vraiment dans le

    droit fi l de lorthodoxie religieuse. Dans les t-

    nbres de la Gense, il ne trouve pas linterrup-

    teur et ensuite est en pleine interrogation pro-

    pos de sa cration. Disons que quelques liberts

    sont prises avec le texte biblique. Dieu le chat a

    des tats dme, il souffre de la solitude jusqu

  • S O C I T

    16 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    ce quun mouton imprvu vienne lui apporter une

    prsence. Dieu a des dboires avec certaines des

    cratures, dont la femme ou les dinosaures. Mais

    heureusement, partager une bonne bouteille avec

    son ami le mouton, a remonte le moral. Adam

    et ve sont cause de soucis et leurs descendants

    galement. On laura compris, cette bible est un

    peu hors normes, mais, part les esprits grin-

    cheux, elle rjouira bien des lecteurs.

    Faire rire et sourire, tel tait lobjectif des ou-

    vrages prsents. Les registres utiliss sont, on

    la vu, bien diffrents. Lhumour peut se retrouver

    en miroir de textes des plus srieux. Le comique

    peut scrire et/ou se dessiner. Romans ou BD,

    les deux genres peuvent se prter la drlerie,

    mais pourquoi, si souvent, rencontre-t-on lopi-

    nion que les livres drles ne sont pas srieux ?

    Comme si rire et sourire ntait pas important !

    Que certains se limitent aux seules lectures

    srieuses , cest un choix. Mais lhumour peut

    tre aussi parlant et signifi catif que des textes

    explicatifs et austres. Les lecteurs qui rient et

    sourient dans leurs lectures apprhendent au-

    trement les ralits. Par ailleurs, ils connaissent

    des moments heureux et ce seul fait nest pas

    ngligeable. BATTAGION, Alain Ridicules. Les dossiers inavous des grands personnages de lHistoire. - Paris : First, 2013. - 267 p. ; 23 cm. - (First Histoire). - ISBN 978-2-7540-5317-4 (Br.) : 22,70 .

    PRUNIER-POULMARE, Sophie (sous la direction de)Le bonheur au travail ? Regards croiss de dessinateurs de presse et dexperts du travail. -Paris : Le Cherche Midi, 2013. - 175 p. ; 24 cm. - ISBN 978-2- 7491-3173-3 (Br.) : 17,00 .

    SIMONSON, Helen La dernire conqute du major Pettigrew / traduit de langlais. - Paris : 10/18, 2013. - 541. ; 18 cm. - ISBN 978-2-264-05884-3 (Br.) : 8,36 .

    STERN, Steve La fabuleuse histoire du clan Kabakoff / traduit de langlais (tats-Unis). - Paris : Autrement, 2013. - 254 p. ; 22 cm. - (Littratures). - ISBN 978-2-7467-3526-2 (Br.) : 18,00 .

    MALONE, Vincent Les milliards de dollars de Lon Robillard. - Paris : Versilio, 2013. - 259 p. ; 24 cm. - ISBN 978-2-3613-2082-9 (Br.) : 16,70 .

    KOSMA, Edgar, et LECRENIER, Pierre Le Belge. -Paris : Delcourt, 2013. - 96 p. ; 24 cm. - ISBN 978-2-7560-4775-1 (Rel.) : 16,00 .

    RAISSON, Gwendoline, et LE HUCHE, Magali Mres anonymes. -Paris : Dargaud, 2013. - 125 p. ; 27 cm. - ISBN 978-2205-06934-1 (Br.) : 17,05 .

    FAIZANT, Jacques Les vieilles dames. Lintgrale. -Paris : Michel Lafon, 2013. - 285 p. ; 31 cm. - ISBN 978-2-7499-2042-9 (Rel.) : 24,95 .

    GELUCK Philippe & DIEU La bible selon le chat, Livre premier, Livre second. -Bruxelles, Casterman, 2013. - 96 p. ; 15 cm. - (Boitage). - ISBN 978-2-203-07710-2 (Rel.) : 14,95 .

  • 17Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    S O C I T

    Moi mon colon, celle que jprfre, cest la guerre de 14-18 (Brassens)

    par Pol CHARLES

    docteur en philosophie et lettres

    Un passionnant cours dhistoire

    Professeur mrite de la Sorbonne, Antoine

    Prost prside le comit scientifi que de la Mission

    Centenaire 2014. Le spcialiste du confl it publia

    en 2005, La Grande Guerre explique mon petit-

    fi ls, rdit lidentique dans le prsent ouvrage

    et ravigot par une iconographie riche et varie :

    photos, croquis, tableaux, documents militaires,

    cartes postales, affi ches de propagande, cartes

    de ravitaillement, etc.

    Mais cest lexpos historique en onze chapitres

    qui retient surtout lattention, en raison de la

    prcision et de la clart pdagogique du dia-

    logue entre un enfant et son grand-pre, o se

    trouvent poses les bonnes questions : sur les

    causes du confl it, les tapes de la mobilisation, la

    vie et la mort des poilus, la bataille de la Marne,

    lconomie de guerre, le rle des femmes, len-

    tre en guerre des USA, la survenue dune paix

    grosse du confl it venir.

    Bonnes questions. Encore fallait-il y apporter des

    rponses pertinentes. Le lecteur savoue combl.

    Comment on mobilise une arme de plusieurs

    millions dhommes, les rassemblant au son du

    tocsin et des cloches des glises ; comment

    la campagne fi lles et pouses terminent les r-

    coltes ; comment les recrues peu informes ne

    savent gure pourquoi la guerre a clat ; com-

    ment elles dfi lent en pantalons rouges qui leur

    donnent fi re allure mais que les mitrailleuses

    allemandes vont reprer de loin ; comment

    lAutriche voulait rgler son compte la petite

    Serbie et sauterait sur loccasion de lattentat de

    Sarajevo ; comment la guerre senliserait dans

    les tranches pour ne plus ressembler en rien

    ce que les gnraux avaient imagin ; comment

    lartillerie tua beaucoup plus que les attaques

    de linfanterie ; comment les Allemands ont

    rpondu au blocus conomique par la guerre

    sous-marine qui provoqua lentre en guerre

    des Amricains ; comment lchec du Chemin

    des Dames a suscit des mutineries dont les

    Allemands ont t informs trop tard ; comment

    larrive de Lnine au pouvoir entrane la signa-

    ture de la paix entre la Russie et lAllemagne ;

    comment les tentatives de Ludendorff pour

    percer dfi nitivement le front franco-anglais

    ont chou ; comment lempereur Guillaume

    parti, ses gnraux demandrent larmistice ;

    comment lAllemagne voulut au plus tt effa-

    cer lhumiliation du trait de Versailles. Et un

    constat fi nal : en 1920, lEurope ntait plus le

    centre du monde.

    Adieu la vie / Adieu lamour / Adieu toutes

    les femmes , Chanson de Craonne

    On loublie souvent, la Grande Guerre fut la pre-

    mire guerre mondiale : de la Nouvelle-Zlande

    la Baltique en passant par lAfrique noire. Aussi

    les auteurs Loez et Offenstadt, dans La Grande

    Guerre - Carnet du Centenaire, ont-ils voulu

    raconter dans quelle mesure cette guerre fut

    grande : montrer les lieux dont la guerre a pris

    possession et quelle a marqus, les portraits de

    ceux qui ont travers le confl it et dont les des-

    tins cumuls fi nissent par dessiner une histoire

    propre, les mots et les objets crs ou faonns

    par le confl it. Nous voulions aussi faire entendre

    plus directement les voix [], et non pas les plus

    autorises. Tout ceci complt par une slec-

    tion iconographique o abondent les images

    rares ou indites, et organis en 9 chapitres : le

    rcit dune guerre interminable, les lieux quelle

    concerna, les femmes et les hommes qui y

    furent plongs, le vocabulaire spcifi que quelle

    produisit, les objets invents, les tmoignages

    de lpoque, les approches divergentes des his-

    toriens, les traces de la guerre, les uvres artis-

    tiques quelle suscita.

    La boucherie dbute Charleroi (21-23 aot) :

    40 000 morts. La violence ne connat pas de

    frontires : en avril 15, lempire ottoman dporte

    les Armniens : un million de victimes. De quoi

    entretenir le culte des morts - la Tour de lYser

    hrose sept Flamands - ; de quoi provoquer

    mutineries et critiques de la guerre - la Chanson

    de Craonne ; et Abel Ferry peut sindigner : Il

    ny a pas une note, pas un document, pas une

    sanction prise pour viter le gaspillage terrifi ant

    fait partout de vies humaines Fin juin 17,

    des fantassins se mutinent : Les soussigns

    sous-offi ciers caporaux et soldats vous prient de

    soumettre au Colonel du 298e Rgiment dInfan-

    terie leur intention bien dtermine de ne plus

    retourner aux tranches

    On rencontre des personnages dont le des-

    tin sinverse ou se confi rme : Gring pilote de

  • S O C I T

    18 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    chasse mrite avant de devenir le dauphin

    dHitler ; Darnand cit sept fois lordre du jour

    futur chef de la Milice ; George Patton crit sa

    femme en octobre 18 : La paix semble pos-

    sible mais jespre plutt que non car jaimerais

    encore faire quelques combats.

    La guerre lgue un langage. Bourrage de

    crnes auquel excelle lacadmicien Lavedan :

    Le soldat franais rit partout. [] Le rire des

    tranches, cest un rire exceptionnel, merveil-

    leux. Il apaise la faim, il trompe la soif. En

    1930 la Loterie nationale viendra en aide aux

    gueules casses , qui contribueront crer

    le Loto en 1976.

    La Grande Guerre na cess de rsonner dans

    lart et la littrature. Pguy rencontre rapide-

    ment une mort conforme son idal : Heureux

    ceux qui sont morts pour la terre charnelle ,

    et Camille Saint-Sans incarne le nationalisme

    musical, do le mot assassin de Ravel : Si, au

    lieu de cela, il avait tourn des obus, la musique

    y aurait peut-tre gagn. Quand la peinture

    clbre les sentiers de la gloire qui ne mnent

    qu la tombe , le War Offi ce londonien lin-

    terdit dexposition, et les noires visions dOtto

    Dix seront condamnes par les nazis : art

    dgnr !

    Entres dans la folie

    Dans Du front lasile 1914-1918, Stphane

    Tison et Herv Guillemain, deux universitaires,

    spcialistes lun de lhistoire de la Grande

    Guerre, lautre de celle des pratiques mdicales,

    ont dpouill les archives indites de la 4e r-

    gion militaire (Alenon, Mayenne, Le Mans), pro-

    venant des hpitaux de campagne, des centres

    neurologiques du front, des asiles et des conseils

    de guerre. Ils en ont exhum les dossiers de

    quelque dizaines dhommes (pour tous les bel-

    ligrants, on compte en centaines de milliers !),

    indemnes en apparence mais psychotiques,

    mlancoliques, cafardeux, dlirants, idiots, trem-

    bleurs, paralyss, fugueurs Autant de blesss

    lme au sujet desquels, avec la loi de 1919

    sur les pensions et son application en faveur de

    nombreux alins interns, ltat reconnaissait

    que la guerre pouvait rendre fou puisquil fal-

    lait, pour en bnfi cier, tablir clairement le lien

    entre lvnement et la pathologie.

    En quatre chapitres (entres dans la folie, lieux

    de prise en charge, comprendre la folie en temps

    de guerre - soit dresser ltat des savoirs mdi-

    caux de lpoque et les querelles dcoles qui les

    divisaient -, la guerre et aprs ?) mthodiques,

    prcis, sobres mais souvent dchirants, voici le

    panorama affl igeant des horreurs de la der des

    ders .

    Les frayeurs des poilus rcemment mobiliss :

    la peur dtre atteints physiquement, dtre

    dmembrs ; la peur dtre pris par lennemi ;

    la peur dtre punis par les autorits. Et chaque

    fois, au bout du compte : la mort. Ceux qui

    sont souffl s par lexplosion dobus sont laisss

    dans un tat de dmence provoqu par la com-

    motion crbrale. Le cafard svre conduit la

    psychose : les soldats cafardeux prsentent des

    signes physiques dpuisement : essouffl ement

    au cours des marches, drglement digestif, mal

    de tte matinal, palpitations, perte dapptence.

    Ceux-ci se conjuguent une anxit diffuse qui

    se traduit notamment par la multiplication des

    mauvais pressentiments. Lincorporation de

    dbiles est rapidement rendue ncessaire par

    les hcatombes et des mdecins bourrs dhu-

    mour noir laborent une grille dvaluation

    des pathologies susceptibles de faire merveille

    au front (sic). Rdiges par des dlirants, on lit

    des lettres jointes leurs dossiers mdicaux ;

    sy multiplient les dlires tactiques : tel troufi on

    sidentifi e son gnral et propose ltat-

    major de percer de longues galeries dans les car-

    rires de Champagne pour atteindre le sol alle-

    mand et ainsi faire sauter dun seul coup tous les

    Allemands depuis Reims jusqu Berlin. Hlas,

    mme le retour la paix ne permettra pas tou-

    jours de gurir de la guerre

    Psychiatre et photographe

    Avant 1914, Frantz Adam est mdecin psy-

    chiatre lasile de Charenton. Il servira quatre

    ans comme mdecin militaire au 23e rgiment

    dinfanterie et ne se sparera jamais de son

    Kodak Vest Pocket, appareil souffl et pratique

    en raison de sa lgret - en 1917, il cotait 55

    francs quand la solde dun mdecin aide-major

    slevait 220 francs/mois (1,50 franc pour le

    pioupiou !). On dcouvre ses photos dans Ce que

    jai vu de la Grande Guerre.

    Catholique dorigine alsacienne, le doct. Adam

    est un vibrant patriote, qui ne se privera cepen-

    dant pas de stigmatiser les massacres inutiles

    la Nivelle (Chemin des Dames 1917) ; aprs la

    guerre, en Alsace, il se signalera par ses efforts

    en vue dhumaniser les asiles et livrera ses

  • S O C I T

    19Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    rfl exions sur la mdecine de guerre. Ses pho-

    tos couvrent presque toute la dure du confl it

    sur le front ouest (Vosges, Somme, Argonne,

    Champagne, Verdun, Lorraine, Mont Kemmel) ;

    le prsentateur de louvrage en a slectionn

    147, lgendes grce aux souvenirs dAdam et

    au journal de son rgiment.

    Ce qui frappe en priorit, cest lempathie

    du photographe : certes lgard des blesss

    (mme si les clichs restent assez avares de pra-

    tiques de soins) et des morts (bon nombre de

    tombes htives, photographies pour tre mon-

    tres aux familles), lgard des compagnons de

    tranche (nulle suffi sance du grad envers les

    hommes de troupe), lgard mme de lenne-

    mi (dans ses commentaires, sil arrive Adam

    dcrire Boches , il se reprend aussitt) ; les

    lgendes des photos insistent sur lesprit de

    corps et la camaraderie, qui sexpriment lors de

    baignades printanires ou de soires assez arro-

    ses ( Le soir, il y a un peu de vent dans les

    voiles ; le soldat dpense sa monnaie, qui saurait

    len blmer ? ) Lagacement pointe lors dune

    remise de la croix de guerre un amput : ces

    vieux militaires [] qui vous embrassent, vous

    appellent mon brave [] me fatiguent.

    Quelques images dures ne nous sont pas par-

    gnes : le crne momifi dun Allemand merge

    du terrain ventr par une offensive. En contre-

    point, des clichs anecdotiques : soldats indiens,

    cossais en kilt, fanfare anglaise, poilu posant

    devant une guirlande de rats excuts (cha-

    cun rapporte un sou). Lhumour ne perd pas ses

    droits : Une jeune religieuse est bien malheu-

    reuse davoir me montrer la fesse dans laquelle

    elle a reu un clat dobus ; je peux cependant lui

    arracher un sourire en lui disant avoir appris au

    catchisme que rien narrive sans la permission

    du bon Dieu.

    Vu Ypres

    Sous la houlette de Piet Chielens, lquipe scien-

    tifi que du muse In Flanders Fields dYpres a,

    pour La grande Guerre 14-18, slectionn 175

    documents visuels (dont une centaine din-

    dits) provenant des archives de particuliers et

    appartenant la collection du muse : photos

    prives prises par les soldats eux-mmes ou,

    destines au public, prises par des photographes

    de presse. Un dernier groupe de documents est

    compos de clichs techniques, soit ariens, soit

    mdicaux.

    Disons tout de suite que plusieurs de ces der-

    niers sont insoutenables : la vue de fi llettes d-

    membres et calcines lors dun bombardement

    arien sur la cte belge provoque rpulsion et

    indignation ; tait-il indispensable de les retenir

    quand les horreurs des guerres, des fascismes, des

    intgrismes, des rvolutions et des colonisations

    survenues depuis un sicle nous ont submergs

    jusqu la nause pour les uns, hlas jusqu lac-

    coutumance et la rsignation pour les autres ?

    Disons encore que la consultation des documents

    est pour le moins inconfortable ; au lieu davoir

    sous les yeux des documents lgends, le lecteur

    est contraint de se reporter aux deux dernires

    pages du volume, o la formulation des lgendes

    est parfois curieuse : Des brancardiers retirent

    un offi cier bless par une malheureuse balle. /

    Le roi Albert et le prince Charles qui est ins-

    truit. / Un gros lot de prisonniers capturs.

    Ce quon retient nanmoins : des chars antdi-

    luviens pigs par les dunes et les barbels ; un

    leurre casqu mergeant de la tranche ; linhu-

    mation Lierre dun cadavre momifi ; les inon-

    dations de lYser ; lexplosion dun obus ct

    dun soldat rparant son vlo ; des unijambistes

    allemands faisant la gymnastique dans un hpi-

    tal berlinois.

    La reproduction sous luniforme

    des hirarchies du monde civil

    Tous unis dans la tranche ? 1914-1918, les in-

    tellectuels rencontrent le peuple est sign par

    Nicolas Mariot. Le point dinterrogation du titre

    laissait prsager la conclusion de lenqute :

    Quel que soit lindicateur retenu, la hirarchie

    militaire parat refl ter celle du monde social.

    Les postes doffi cier sont largement rservs

    aux classes moyennes et suprieures ; larme

    organise le maintien au front dune domesti-

    cit militaire travers le statut dordonnance ;

    la grille des soldes apparat plus ingalitaire que

    celle des salaires.

    Lauteur, sociologue et historien, a traqu dans

    les correspondances, carnets et tmoignages

    laisss par ces intellectuels combattants toutes

    les mentions, jusquaux plus infi mes et apparem-

    ment anodines, qui racontent ltat des rapports

    sociaux dans les tranches. Mariot a retenu

    42 tmoins, dont Apollinaire, F. Lger, Duhamel,

    Elie Faure, Pergaud, Genevoix, Alain, Dorgels,

    Isaac (du fameux duo dhistoriens Malet-Isaac),

    Teilhard de Chardin.

  • S O C I T

    20 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    Le fruit de lectures scrupuleuses est une thse

    de doctorat ; cela nchappera pas au lecteur,

    accabl par la surabondance de citations, le ca-

    ractre redondant qui est trop souvent le propre

    de ce genre de travaux. Nen retenons quun

    exemple. Dans le chapitre Une domesticit

    militaire se trouvent rassembls les extraits

    de correspondances o les offi ciers voquent

    leurs ordonnances peu prs dans les mmes

    termes : paternalisme du galonn manifest par

    les attentions portes celui quil faut bien ap-

    peler son valet - monnaie glisse dans la main,

    partage de colis reus, reliefs de repas, etc. Et dy

    consacrer 13 pages grand format

    Ah, si louvrage avait t rduit disons de moi-

    ti ! Cet t passionnant, car les thmatiques

    sont originales : lintello souffre-douleur, les

    embusqus, le regret du temps davant, la rsi-

    gnation, lhorreur de la violence gratuite, la rsi-

    gnation, les peu dgourdis, le poids du sac dos,

    la promiscuit, les odeurs

    Soyons de bon compte pour voquer ce qui sus-

    cite lintrt. Popotes doffi ciers qui shonorent

    de leurs cuisiniers de marque. Risques encourus

    pour aller chercher les cadavres de grads, ceux

    des troufi ons peuvent attendre. Poilus balayeurs

    installant des petites claies charmantes pour

    que mes godasses ne se mouillent point.

    Admonestation de Dorgels sa mre : je te

    demanderai de ne plus menvoyer de homard

    amricaine []. Il empestait la cassonade. Solde

    de sous-lieutenant 147 fois plus leve que celle

    du soldat. Colre du philosophe Wittgenstein

    excrant les soldats qui lentourent : stupidit,

    insolence, mchancet. Dsespoir du normalien

    rduit ltat de terrassier. Campagne effrne

    du peintre Lger pour sembusquer ; eh bien,

    cest rat. Absence didal patriotique dplore

    chez le soldat ordinaire - ah, on est loin de la

    dissertation du professeur Carrire : Mourir au

    champ dhonneur est coup sr une belle fi n,

    surtout pour un soldat qui se bat pour une belle

    cause comme cest notre cas.

    Des vies de martyrs

    Professeur mrite dhistoire contemporaine,

    E. Baratay a consacr de nombreux ouvrages

    lhistoire des animaux, dont Lanimal en politique.

    Btes de somme, Et lhomme cra lanimal. On

    nest donc pas surpris, dans Btes de tranches -

    Des vcus oublis, de le voir adopter un point de

    vue novateur sur la Grande Guerre en sefforant

    de faire comprendre, laide de lthologie, ce

    quont t les expriences guerrires des animaux,

    diffrentes selon leur origine, leur histoire propre,

    les rapports que les hommes entretiennent avec

    eux. Cest la fois mouvant et passionnant.

    La traction hippomobile tant largement majo-

    ritaire, onze millions dquids furent mobiliss

    par les belligrants. Le stress des chevaux est

    dintensit diffrente selon quils ont t accou-

    tums travailler en groupe ou seuls ; le trans-

    port en chemin de fer perturbe des btes par

    nature craintives, dont le pouls sacclre, qui

    roulent des yeux effars et tremblent de tous

    leurs membres - et que dire des chevaux amri-

    cains et britanniques ballotts dans lAtlantique

    et la Manche !

    Les pigeons voyageurs se trouvent aussi rquisi-

    tionns comme messagers, surtout en Belgique,

    terre de colombophilie ; eux nprouvent pas le

    stress de la sparation puisquils sont laisss en

    couple, voire en famille, pour assurer ensuite leurs

    retours. Des chiens se rvlent parfois dton-

    nants volontaires, comme ce fox intress par les

    exercices de ses congnres au dressage ; il ny

    tient plus, bondit au-dessus de la barrire et se

    joint eux. Des chiens sanitaires sont entrans

    pour aller rechercher exclusivement les blesss

    en uniforme franais. Dautres deviennent for-

    mateurs, excds par les bvues des bleus, et

    prchent dexemple. Lhistorien tient montrer

    la diffrence des rgimes imposs aux cabots

    des deux cts de la Manche ; les Franais les

    logent et les nourrissent mal, ce qui scandalise

    les Britanniques qui engagent une arme de vt-

    rinaires au sein dune socit de protection ani-

    male ; les oprations sy droulent sous anesth-

    sie, au contraire des interventions vif pratiques

    tant par les Allemands que par les Franais.

    On voque encore les oiseaux et les rats charo-

    gnards, les mascottes (le hrisson de Cendrars), la

    prolifration des poux, et les profi teurs de guerre :

    les mouches qui nont pourtant pas que des

    inconvnients [] puisque leurs larves pondues

    dans les pansements des blesss cicatrisent les

    plaies en mangeant les chairs mortes et le pus

    Pour le commerce, la guerre prsente

    beaucoup davantages, mme aprs. ,

    Au revoir l-haut

    Ah, les critiques Avant la loterie du Goncourt,

    ils se refi laient lpithte : jubilatoire - une

    seule occurrence dans le roman. Nempche, ils

  • S O C I T

    21Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    nen dmordraient pas : le roman Au revoir l-

    haut de Pierre Lemaitre tait jubilatoire ! Certes,

    certes, mais

    quelques jours de larmistice, les gars

    ntaient plus trs presss daller chatouiller

    les Boches, la seule manire de les pousser

    lassaut, ctait de les foutre en ptard, o donc

    tait Pradelle lorsque les deux gars se sont fait

    tirer dans le dos ? Limmonde crapule : le lieu-

    tenant dAulnay-Pradelle.

    Et Lemaitre de tirer les fi celles ; vous me direz, un

    faiseur de polars, a doit savoir y faire. Ajoutez-y,

    cest moins frquent, une dgaine de la phrase

    volontiers la Louis Aragon, un embrouillamini

    dintrigues rocambolesques dont le lecteur se de-

    mande comment Lemaitre va se dpatouiller pour

    que le mme lecteur en redemande, et des person-

    nages, oh, des personnages poustoufl ants, tenez,

    ce Merlin o lon devine, cest voulu, le Cripure du

    dchirant Sang noir de Guilloux, ses normes pa-

    luches et son dentier qui fait tsitt tsitt tandis quil

    entreprend la tourne des cimetires militaires.

    Cest quil sen passe de belles, et de pas rago-

    tantes, dans les cimetires militaires : le Pradelle

    a la haute main sur la juteuse fabrication de cer-

    cueils (si on en bricole de 1,30 m de long, on

    peut toujours casser du fmur ou de la nuque

    pour y fourrer un bonhomme de 1,80 m), il em-

    ploie aux exhumations et inhumations une fl o-

    pe de coolies chinois analphabtes, allez vous

    tonner si le pioupiou X est identifi Y, on ne

    vous dit pas le pastis.

    Sans dfl orer lintrigue, haletante, sans cesse

    relance, que dire ? On lit successivement :

    Albert Maillard, soldat, vient de mourir ,

    englouti dans un trou dobus pour sy retrouver

    nez nez avec une tte de canasson putrfi e ;

    ensuite : Il [Edouard] ne dessinerait jamais

    plus . Deux mensonges ! En prime : substitu-

    tion didentit, gueule casse (la gorge ciel

    ouvert / Les chairs, replies, composaient de

    gros coussins dun blanc laiteux. [] On aurait

    dit un contorsionniste capable davaler entire-

    ment ses joues et sa mchoire infrieure, et in-

    capable de faire le chemin inverse. ), on se sou-

    tient coups de morphine, deux survivants aux

    antipodes sociales lun de lautre, deux arnaques,

    celle de Pradelle et la mystifi cation style Pieds

    Nickels mitonne par Albert et douard en vue

    de lrection de monuments patriotiques. Enfi n,

    pour couronner le tout, une histoire ddipe

    inverse, le pre tue le fi ls.

    Tout cela en valait-il la peine ?

    Mais que stait-il pass Verdun en 1916 ?

    Personne navait remport la bataille de position,

    la bataille dattrition stait acheve sur une par-

    tie nulle, et les Franais avaient gagn la bataille

    du prestige parce quils avaient su remporter sans

    aide extrieure une bataille dfensive sur leur

    propre sol. Dans Verdun, Paul Jankowski, histo-

    rien amricain, dfend sur le sujet une thse que

    daucuns trouveront iconoclaste ; tout le moins,

    elle va lencontre des ides reues.

    Lesquelles ? Verdun serait lune des batailles

    qui ont fait la France. Un mythe entretenu par

    lHistoire : le 21 fvrier 1916, 1 200 canons alle-

    mands pilonnent les dfenseurs de Verdun - un

    million dobus en 24 heures - ; ainsi dbute une

    bataille de dix mois ensanglants par 300 000

    morts, o saffrontent le droit, ct franais, et

    la force, ct allemand, en une nouvelle version

    des Thermopyles ; bataille lentame de laquelle

    Falkenhayn, chef suprme de larme allemande,

    annonce son intention de saigner blanc (ce

    quon appelle guerre dattrition) son adversaire ;

    bataille o sillustre Ptain en stratge de la

    guerre dfensive : Verdun, on ne passe pas !

    La mythifi cation et la clbrit de Verdun inter-

    pellent, observe lhistorien. Il ne sagit en rien

    dune bataille dcisive, lissue de laquelle un

    camp perd la main, et au point de vue politique,

    elle neut aucun effet notable. La ville ne prsen-

    tant gure non plus de valeur symbolique, pour-

    quoi un tel acharnement la dfendre, et pour-

    quoi, si lintention allemande tait de saigner

    mort les forces franaises, ne pas engager plus de

    divisions ?

    Trs fi nement, et de manire solidement argu-

    mente, lhistorien distingue les trois piges

    dans lesquels se sont englus les adversaires :

    ceux de loffensive, du prestige, de lusure. Pige

    de loffensive : aucun des belligrants ne put

    jamais russir Verdun une perce dcisive, un

    encerclement de ladversaire ou une attaque

    denvergure sur les fl ancs. Pige du prestige :

    personne ne devait donner limpression davoir

    perdu la face, et la conqute de quelques arpents,

    perdus, repris et reperdus, tait cense soutenir

    le moral des fronts et de lintrieur : Les poilus

    avaient sauv la France et contribu sa gloire

    universelle Pige de lusure : un ancien com-

    battant voqua, aprs la guerre, son arrive

    Verdun : Nous savions davance que nous ne se-

    rions relevs quaprs avoir perdu 75 % de notre

  • S O C I T

    22 Lectures 184, janvier-fvrier 2014

    effectif. Ctait le tarif, et ce fut en effet le tarif.

    Dans lautre camp, un gnral de linfanterie

    bavaroise se plaindrait dun excs de cadavres

    et de membres pars, car cela mettait en pril la

    sant et le moral de ses hommes .

    Pareil carnage manifestait-il la haine que se

    vouaient de