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formation | synthèse 16 La basidiobolomycose : des placards sous-cutanés tropicaux Un champignon des reptiles Il s’agit d’un champignon zygomycète, saprophyte des plantes tropicales et du sol, mais aussi de l’intestin des reptiles (en particulier caméléons, gros lézards, tortues), des batraciens et des insectes où il se multiplie, ces animaux étant considérés comme des « réservoirs ». Les pro-sporanges situés sur le sol sont avalés par des insectes, qui sont ingérés à leur tour par des reptiles et des batraciens où les sporanges deviennent des spores qui se multiplient. Elles sont éliminées avec les excrétas de ces animaux et sont ingérées par les insectes coprophages. Les chiens et les chevaux peuvent être atteints, alors que les kangourous et les wallabies sont considérés comme des por- teurs asymptomatiques. Une mycose sous-cutanée L’homme s’infeste par voie transcutanée, à l’occasion de microtraumatismes (piqûres d’insectes ou blessures par des épines) et éventuellement par voie buccale, avec des aliments souillés par des spores. Cette affection est donc relativement plus fréquente en milieu rural d’Asie (Chine, Inde, Thaïlande), d’Amérique du Sud (Brésil, Colombie) et surtout d’Afrique et tout particulièrement au Cameroun, au Kenya, au Nigeria et en Ouganda. Plusieurs centaines de cas ont été répertoriés dans ces pays. Les formes cutanées surviennent plus particulière- ment chez l’adolescent et les formes systémiques chez les sujets âgés de plus de 40 ans. La basidiobolomycose débute à bas bruit, par un nodule sous-cutané, situé le plus souvent à la racine des membres ou au niveau lombaire. Elle évolue par pous- sées, sans provoquer de gêne fonction- nelle importante pour aboutir à la formation de placards dermo- hypodermiques bien limités, indolores, de consistance ferme et localisés aux épaules, aux fesses, aux cuisses (figure 1) et au tronc. Ces placards adhèrent à la peau qui garde un aspect normal ou peut devenir œdématiée, mais ne sont pas adhérents aux plans profonds. Ces œdèmes ne prennent pas le godet. Des adénopa- thies périphériques sont possibles. Mais l’état général est bien conservé. Ces lésions peuvent poser un problème de diagnostic avec une cellulite, un phlegmon ou encore un érysipèle. Une forme digestive Dans certains cas, le champignon peut disséminer par voie vasculaire ou lymphatique et atteindre la sphère digestive. Il se manifeste alors sous forme d’une tuméfaction doulou- reuse abdominale (figure 2) et provoque des troubles digestifs : constipation ou diarrhées glairo-sanglantes avec une fièvre, un amaigrissement et une altération de l’état général. Cette forme digestive a été décrite aux États-Unis, au Brésil, en Afrique (Nigeria) et au Koweït. L’atteinte digestive peut faire égarer vers le diagnostic de maladie de Crohn. Une atteinte pulmonaire (dyspnée, douleurs thoraciques) est possible, ainsi qu’une sinusite. Une guérison spontanée peut survenir, avec des séquelles, mais en cas d’atteinte systémique, l’évolution est le plus souvent fatale. Un diagnostic anatomo-pathologique L’examen direct du prélèvement cutané recherche les hyphes courts et larges, mais ils sont rares et difficiles à retrouver à l’état frais. Le diagnostic est suspecté essentiellement sur l’examen anatomo-pathologique d’une biopsie cutanée qui met en évidence la présence de filaments mycéliens irréguliers, non septés, de 5 à 15 microns de large, dans un granulome dermo- hypodermique avec des éosinophiles et des cellules géantes | Figure 2. Basidiobolomycose abdominale. | Figure 1. Basidiobolomycose de la cuisse. OptionBio | mercredi 29 janvier 2014 | n° 501 La basidiobolomycose est une mycose profonde, décrite en 1956 en Indonésie, due à Basidiobolus ranarum, Eidam 1886 (ou B. meristoporus), qui atteint essentiellement les jeunes en milieu rural tropical. Elle fait partie des entomophthoromycoses, ou zygomycoses tropicales.

La basidiobolomycose : des placards sous-cutanés tropicaux

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Page 1: La basidiobolomycose : des placards sous-cutanés tropicaux

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La basidiobolomycose : des placards sous-cutanés tropicaux

Un champignon des reptilesIl s’agit d’un champignon zygomycète, saprophyte des plantes tropicales et du sol, mais aussi de l’intestin des reptiles (en particulier caméléons, gros lézards, tortues), des batraciens et des insectes où il se multiplie, ces animaux étant considérés comme des « réservoirs ». Les pro-sporanges situés sur le sol sont avalés par des insectes, qui sont ingérés à leur tour par des reptiles et des batraciens où les sporanges deviennent des spores qui se multiplient. Elles sont éliminées avec les excrétas de ces animaux et sont ingérées par les insectes coprophages. Les chiens et les chevaux peuvent être atteints, alors que les kangourous et les wallabies sont considérés comme des por-teurs asymptomatiques.

Une mycose sous-cutanéeL’homme s’infeste par voie transcutanée, à l’occasion de microtraumatismes (piqûres d’insectes ou blessures par des épines) et éventuellement par voie buccale, avec des aliments souillés par des spores. Cette affection est donc relativement plus fréquente en milieu rural d’Asie (Chine, Inde, Thaïlande), d’Amérique du Sud (Brésil, Colombie) et surtout d’Afrique et tout particulièrement au Cameroun, au Kenya, au Nigeria et en Ouganda. Plusieurs centaines de cas ont été répertoriés dans ces pays. Les formes cutanées surviennent plus particulière-ment chez l’adolescent et les formes systémiques chez les

sujets âgés de plus de 40 ans.La basidiobolomycose débute à bas bruit, par un nodule sous-cutané, situé le plus souvent à la racine des membres ou au niveau lombaire. Elle évolue par pous-sées, sans provoquer de gêne fonction-nelle importante pour aboutir à la formation de placards dermo-hypodermiques bien limités, indolores, de consistance ferme et localisés aux épaules, aux fesses, aux cuisses (figure 1) et au tronc.

Ces placards adhèrent à la peau qui garde un aspect normal ou peut devenir œdématiée, mais ne sont pas adhérents aux plans profonds. Ces œdèmes ne prennent pas le godet. Des adénopa-thies périphériques sont possibles. Mais l’état général est bien conservé. Ces lésions peuvent poser un problème de diagnostic avec une cellulite, un phlegmon ou encore un érysipèle.

Une forme digestiveDans certains cas, le champignon peut disséminer par voie vasculaire ou lymphatique et atteindre la sphère digestive. Il se manifeste alors sous forme d’une tuméfaction doulou-reuse abdominale (figure 2) et provoque des troubles digestifs : constipation ou diarrhées glairo-sanglantes avec une fièvre, un amaigrissement et une altération de l’état général. Cette forme digestive a été décrite aux États-Unis, au Brésil, en Afrique (Nigeria) et au Koweït. L’atteinte digestive peut faire égarer vers le diagnostic de maladie de Crohn.Une atteinte pulmonaire (dyspnée, douleurs thoraciques) est possible, ainsi qu’une sinusite. Une guérison spontanée peut survenir, avec des séquelles, mais en cas d’atteinte systémique, l’évolution est le plus souvent fatale.

Un diagnostic anatomo-pathologiqueL’examen direct du prélèvement cutané recherche les hyphes courts et larges, mais ils sont rares et difficiles à retrouver à l’état frais. Le diagnostic est suspecté essentiellement sur l’examen anatomo-pathologique d’une biopsie cutanée qui met en évidence la présence de filaments mycéliens irréguliers, non septés, de 5 à 15 microns de large, dans un granulome dermo-hypodermique avec des éosinophiles et des cellules géantes

| Figure 2. Basidiobolomycose abdominale.

| Figure 1. Basidiobolomycose de la cuisse.

OptionBio | mercredi 29 janvier 2014 | n° 501

La basidiobolomycose est une mycose profonde, décrite en 1956 en Indonésie, due à Basidiobolus ranarum, Eidam 1886 (ou B. meristoporus), qui atteint essentiellement les jeunes en milieu rural tropical. Elle fait partie des entomophthoromycoses, ou zygomycoses tropicales.

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| Figure 3. Biopsie : filaments de Basidiobolus.

| Figure 5. Culture : spores de Basidiobolus.

| Figure 4. Phénomène de Splendore-Hoeppli.

| Figure 6. Culture : sporanges de Basidiobolus.

OptionBio | mercredi 29 janvier 2014 | n° 501 17

(figure 3). Un phénomène de Splendore-Hoeppli (manchon de cellules éosinophiles autour des filaments) est parfois retrouvé (figure 4).La confirmation est apportée par la mise en culture d’une biopsie sur milieu de Sabouraud, ce qui permet d’identifier le champignon responsable, Basidiobolus ranarum, Eidam 1886. En cas d’atteinte urogénitale, le champignon peut être retrouvé dans les urines. Un sérodiagnostic est possible par immunofluorescence (non dispo-nible en France). Le diagnostic différentiel peut se poser avec une tumeur maligne, un ulcère de Buruli, une conidiobolomycose (de localisation faciale), ou pour les formes gastro-intestinales, une maladie de Crohn ou encore un cancer du côlon.

La culture pousse assez vite, en 4 jours, sur milieu de Sabouraud (sans chloramphénicol ni cycloheximide) en donnant un aspect en verre dépoli, blanchâtre à brun, plane avec des plis saillants radiaires et le verso a une couleur crème. On observe souvent des petites colonies satellites. Au microscope, on voit un mycélium large, non septé mais qui devient septé en vieillissant, avec des conidies sphériques de 20 à 40 microns (figure 5) et des zygos-pores à membranes épaisses de 40 à 50 microns (figure 6).

Un traitement longLe traitement a été basé pendant longtemps sur l’iodure de potassium ou le triméthoprime-sulfaméthoxazole, qui entraînait une guérison en 2 à 9 mois, mais de façon inconstante. Les dérivés azolés (kétoconazole, fluconazole, itraconazole) se sont montrés efficaces et sans récidive. L’exérèse chirurgicale des lésions est possible mais avec un risque de récidive.Aussi, devant un jeune homme originaire d’une zone tropicale rurale, et présentant un placard cutané infiltré, faut-il savoir évoquer une basidiobolomycose et demander une biopsie avec mise en culture du prélèvement. |

Déclaration d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation

avec cet article.

PATRICE BOUREEa,b, ANDRE PAUGAMb

a Consultation des maladies tropicalesInstitut Alfred-Fournier, Paris.

b Laboratoire de parasitologie, Hôpital Cochin, Paris.

Sources- Kombate K, et coll. Basidiobolomycose : revue générale. Med Santé Trop 1222:145-52.

- Gordon CL, et al. Entomophthoromycosis caused by Basidiobolus ranarum in tropical

northern Australia. Pathology 2012;44(4):375-9.

Iconographie : www.doctorfungus.org