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La Cause des vaches - exultet.net · 6 Sous le hangar lugubre ceint de miradors électroniques avec, au-dessus, le ciel qui pleure, les vaches sont captives. Je les ai connues libres,

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LaCausedesvaches

Dumêmeauteur(Sélection)

L’Hommeauxsemellesdeswing,menteriesbiographiques,Privat,1984.Nouvelleédition,RégineDeforges,1992.NouvelleéditionFayard,2004.

L’OsdeDionysos,roman,Eché,1987.RégineDeforges,1989.LeLivredepoche,1991.NouvelleéditionPauvert,1999.

L’Angequiaimaitlapluie,AlbinMichel,1994.

Flammes,roman,Fayard,1999.LeLivredePoche,2003.

Gargantaur,roman,Fayard,2001.

Soror,roman,Fayard,2003.

DictionnaireamoureuxduTourdeFrance,Plon,2007.

Corridabasta!,pamphlet,RobertLaffont,2009.

Lesoleilm’aoublié,roman,RobertLaffont,2010.

Diane,etautresstoriesenshort,nouvelles,RobertLaffont,2012.

ClaudeNougaro,leparcoursducœurbattant,Hors-Collection,2014.

MadameRichardson,suivideQuaidesBribes,nouvelles,RobertLaffont,2015.

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d’escalier.6. « J’y repense. Titine…Doyenne incontestable du troupeau. Plus vachequ’elle… Impossible. La reine des laitières. Comme c’est bête, je negrimperaiplussursondos.Quelledouceur…Chacunnotretournousnoushissions, cow-boys un peu trop pépères pour faire de vieux os dans lemétier.Laissant filer de ses naseauxun long fil debave.D’ailleurs elle estmorte,Titine.Tuée.Froidementabattue,commetantd’autresdesessœurs.Sansparolesdernièresderrière l’oreille,sanscaresses.Allez,avance!Maiscommentqu’ils leurparlent,cesgens-là.»PascalCommère,«Vaches,unedernièrefois»,inLaVache,ÉditionsFavre,1998.

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Souslehangarlugubreceintdemiradorsélectroniquesavec,au-dessus,lecielquipleure,lesvachessontcaptives.

Jelesaiconnueslibres,danslesruesd’Aureilhan.Touslesmatins,lesvachesdesfermesvoisinesrejoignaientlespâturagesen passant devant chez moi. Je sortais chaque fois pour lesregarder.Lepaysansuivait letroupeau,surunvélodefermeetdefemme,leguidondansunemain, l’aiguillondansl’autre, lebéret vissé sur la tête, en roue libre. Elles avançaient silentementqu’iln’avaitpasàpédaler.Ilserelançaitdetempsentemps, en appuyant sur le sol de la pointe du pied. Le chientrottinait à ses côtés, le nez dans l’herbe du fossé, pissant detempsen tempscontre lespylônesenboisqu’EDFn’avaitpasencore remplacés par des pylônes en ciment, et au sommetdesquelslesagentsdevanteffectueruneréparationsehissaientàl’aidedemâchoiresd’acierfixéesàleursbrodequins.Ah,lepaslent des vaches, le peloton des museaux, le gruppetto decroupes, les queues se balançant comme le pendule d’unguérisseur. Elles étaient les reines de la piste, le matin enquittant l’étable, lesoireny retournant.Lavoiturequiarrivaitensensinverse,segaraitaussitôt,sansklaxonner.Lechauffeurnemanifestait aucune impatience, veillait simplement à releversavitreafind’empêcherl’entréeintempestivedanssonhabitacled’une queue ou d’un essaim de mouches. Les vachesd’Aureilhan avaient la priorité, et c’était ainsi dans tous lesvillagesdesplainesdel’Adour.

Les Vanderdendur de l’agrobusiness se moquent etm’accusent de célébrer le passé.Mais qui parle du passé ? Il

n’estpas iciquestiondupassémaisde temps,dephilosophie,duregardquel’onportesurlesbêtes,ducomportementquidoitêtreceluidel’hommeàleurendroit.Ils’agitdeconstaterqu’ilexiste deux types d’humains : ceux qui respectent les bêtes etceuxquilesmartyrisent.

Le soir, elles rentraient à l’étable, en empruntant lamêmerue, le chien courant devant le troupeau, le paysan toujoursderrière, s’arrêtantquandunevaches’immobilisaitpourpisser.Je constatais à chaque jet la justesse de la comparaison àlaquellelespaysansavaientrecoursquandlapluielesobligeaitàrestersouslagrangeentirantsurleursmégotsnoircis:ilpleutcommevachequipisse.Lesvachesontsouslaqueue,unbecàpression. Et le Manneken-Pis, c’est que dalle à côté. Il n’aaucune raison d’être fier, le morveux bruxellois ! La pisseheurtaitlesolencrépitantcommedesbilles.Lapisseruisselaitsur le goudron, prenait la forme d’un petit lac que le soleilciblait. L’urine séchait, et le goudron de la rue s’ornait dedessins, de cartes de géographie aux contours scintillants etrosés. À Aureilhan, dans la plaine de l’Adour, il y avait lescartesdegéographiequel’instituteursuspendaitautableaunoirde la classe, et celles que les vaches dessinaient avec lacomplicité du soleil sur le goudron lisse des rues. Et je meperdaisdanslacontemplationdesunesetdesautres.Lesvachesm’onttoujoursfaitrêver.

Lavache,ayantpissé,retrouvaitsaplacedanslepelotonet,commesescopines,sanscesserd’avancer,semettaitàchier.Lesbousesexplosaientaucontactdusolcommedesbombesàeau,etprenaient illico leur formeronde,d’unvolumepareilàceluid’une galette des rois à la frangipane. Dès que le troupeaus’éloignait,on sortait en tirantderrièrenous, accrochéesàuneficelle,lescaissesàmerde.Nousramassionslesbousesàl’aided’une pelle dotée d’un manche court. Et nous livrions nos

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n’étaitpasunpartenairefiable.Ilsontdoncdécidédesepasserd’elle. Zappons la terre, et enfermons les animaux sous deshangars ! Encageons-les, alignons-les en veillant à perdre lemoins de place possible. Et branchons-les à desmachines quileur pompent jusqu’à la dernière goutte de lait. Le rendementsera d’enfer, et le profit énorme. Et le malheur des animauxassuré.

Aprèsavoirchoisilemodèleallemand,ilsadopteront,sicen’estdéjàfait,lemodèleencorepluscruel,encoreplusfoudesboostersdevaches.Lesboostersdevachesportentdesblousesblanches, et leurs yeux fixent en permanence l’écran de leursordinateurs sur lequel chiffres, courbes, graphiques etpourcentages se disputent la vedette. Ces gens-là ont constatéque les vaches sont toutes de fieffées feignasses.Balançant laqueue,broutantet ruminant, rêvantmuseauauvent, lesvachesne donnent qu’une quantitémesquine, chichesque de lait.Cesgens-làontprisleschosesenmain,afinquelesvachespassentdudonà la surproduction.Après les avoir écornées, encagées,alignées, entravées, ils les ont génétiquement modifiées,chargées, gavées de substances diverses, bourrées de médocs.Résultat:lavachevaillanteetbranchéepisse,chaquejour,desbriques et des briques d’un breuvage blanchâtre et homologuéquedesmanutentionnairessous-payésempilentsurlesétagèresréfrigéréesdeshypermarchés.

14.«LevirusSchmallenberg,quiportelenomdelavilleallemandeoùilaétédétectépourlapremièrefoisennovembre2011,touche51exploitationsen Allemagne, principalement dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, selon l’institut Friedrich-Lœffer » (www.novissen.com,Argumentaire12janvier2012).

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Les vaches sont-elles sacrées ?À cette questionMonsieurDescartes,ilyabellelurette,arépondunon.Nourri,commejelesuis,aulolosurréaliste,j’aibienenviedelegifler,MonsieurDescartes,puisqu’ilestmort15!Maisjel’épargne,carÉlisabethdeFontenay,laseulephilosophefrançaisequisachelaverlepisdes vaches et étriller un cheval, rappelle qu’il est un grandpenseur, et qu’il a libéré l’homme de croyances qu’il estimait«absurdes»et«dangereuses».Descartesalibérél’homme,etl’homme, libéré, s’est aussitôt acharné sur les bêtes. Qui nesont,auxyeuxdugrandphilosophe,quedes«machines».Desmachinesrichesdemécanismesdivers,maisévidemmentprivéesd’âme, de sensibilité et de pensée16. Des machines donc, desmachines dont on peut disposer comme on l’entend. LesVanderdendurdel’agrobusinesssontdespatronscartésiens.Lesvachessontpoureuxdesmachines.Desmachinesàfric.

Les vaches sont-elles sacrées ? Elles le sont, loin de nosronds-points et de nos galeriesmarchandes, sur les terres quen’a jamais arpentéesMonsieur Descartes, en Inde. Gandhi, lemecsansgras,ledit:ilfautrespecter«MèreVache»,carelleest toutes lesvies faiblesdumondequ’il fautprotégerpartoutdanslemonde.

Lesvachessont-ellessacrées?Ellesl’ontété,enÉgypte,dutempsdeladéesseducielHathorquiavaituncorpsdevampetunetêtedevache.Leventredelavacheétait,encetemps-là,lavoûte céleste. Le ciel était en peau de vache. C’était un cielchaud,maternel,protecteur,etsirésistantqueriennepouvaitletrouer,contrairementàlacouched’ozone.

Les vaches sont-elles sacrées ? Elles le sont en Afriquenoire, chez ces éleveurs qui ne les abattent jamais, ne lesmangentjamais,ettraitentlelaitqu’ellesdonnentavecrespect,enévitantdelerenverser«carlemondeestnéd’unegouttedelait17».

Les vaches sont-elles sacrées ? Ayant été un petit garçonagenouillé dans l’église d’Aureilhan, éclairée par la lumièreveloutée que les vitraux versaient sur nos mains jointes, jerépondsoui.

Je répondsoui,car j’aivuMonsieur lecurébénir lebétaildans les fermes, et leur parler du paradis.18 Il entrait dansl’étable, s’approchait des vaches, les hommes retiraient leurbéret, les femmes essuyaient leurs mains à leur tablier mauveavantdelesjoindre.Lesvachescontinuaientdemâcherdufoin,deruminer.Certainesd’entreelleslevaientlatête,latournaientdans sa direction, le regardaient longuement avec leurs yeuxpareils à des coccinelles géantes.Levant samain, exécutant lesigne de la croix, coupant de ses doigts serrés la pénombrerosée, il les bénissait, en disant quelques mots, des mots quiétaientlessiens,quiétaientlesnôtres.Illesavaitramasséssouslesarbres,surleschemins,danslacour,surlebrasdelapompegelée.Cesmotsgascons19,lesvoici:

Qu’ètzdabnosautisQu’èmdabvosautisSuslaterranostaPerlavolentatdeDiu

QueseratzdabnosautisQueseramdabvosautisAuceù

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planétaire que le chant up, top etmainstream : « cac cac cac40»!

Etdemêmequ’onretireleurscornesauxvaches,auxpoulesonretireleursbecs!Dansl’agrobusiness,productionrimeavecincarcérationetmutilation.Désormaistoutestlogettes,pipettes,doses,graphiques,chiffres,pourcentages,matricules.

Et moi je me souviens avoir vécu avec des bêtes dans unpaysoùlesmotsavaientdroitdecité.

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T’as 17 ans, t’as jamais vu une vache de ta vie, hormis cejour de mars où t’as visité, en traînant les pieds, le Salon del’agriculture, porte de Versailles. Personne, au lycée, ne t’ajamaisparlédeRosaBonheur,deRogerVitrac.Quantaucuréqui, en gascon, bénissait les vaches, t’esmort de rire.Assis àunetableduColombusCaféoùtuviensd’engloutiruneportionde cheesecake, tu te demandes bien ce que nous avons encommun.Tuteledemandesd’autantplusqueleretouraupassé,medis-tu,c’estpastontruc,trèspeupourtoi.

Mais qui a parlé de retour au passé ?Ne te tromperais-tupas, et surmon compte, et surmesmots ? Je ne cachepas derétroviseurssousmespaupières.Jen’aijamaiscoiffédevantunecaméralemoindrebéret.Jen’aijamaisporténivestenipantalonenvelourscôtelé,jamaisparlédu«bonvieuxtemps»,unepipeà la main, en regardant par la fenêtre les champs de blé. J’aitoujours refusé dansmes livres d’alimenter lamachine àmotsmorts, d’agiter sous les yeux des lecteurs ces guirlandes deproverbes, de maximes, d’adages, riches de cette « sagessed’antan».Une«sagesse»danslaquelle,soitditenpassant,lasoumissiondisputelavedetteàlamisogynie.Ets’ilm’arrive,letempsd’unepage,deregrettercequidisparaît,c’estpourmieuxcélébrer,danslapagesuivante,cequiapparaît.

Je remarque, posé sur la table devant toi, ton manuel demathématiques. T’es en S, et les sciences te passionnent plusque les divagations anciennes de Saint François d’Assise àproposdesanimaux,ma«sœurlacoccinelle»,etmon«frèrelehibou».Maissais-tuquelascience–l’éthologienotamment–

donneraisonaumecd’Assise?L’éthologierépètecequ’iladit:les animaux sont vraiment nos frères, vraiment nos sœurs.L’hommed’aujourd’huiestdoncceluiquiconnaît lemieuxlesanimaux. Et pourtant c’est lui, héritier de Saint François etcontemporaindeKonradLorenzetd’IrènePepperberg,quileurinflige, dans les élevages industriels, les souffrances les plusatroces.

Jeneteproposepasunretouraupassé–ceseraitabsurde,çapueraitlamort–,maisunrecoursaupassé.Lepassédontjeparle est juste une arme pour l’avenir, du matos pour desbarricades. Je me souviens d’un paysan, à Aureilhan, dont letroupeaudevachespaissaitàl’oréedubois.Parmielles,ilyenavait une qui se tenait souvent à l’écart des autres, et qui, aumoment de rentrer à l’étable, prenait, non la direction de laferme,maiscelledelaforêt.Decettevache,ildisaitqu’elleétaitpoète. Tu vois, moi qui combats la dictature des dictons, j’aigardédansuncoindematêtelemotdecepaysan:lepoèteestunevache.Unevachequivaailleurs,tourneledosautroupeauet danse sur les aiguillages. Je te raconte cette histoire, je teparle de ce qu’elle dit à l’heure où suivre le troupeau est nonseulementobligatoire,mais loué commeun idéal, à l’heureoùchacunestsommédemettresespasdanslespasdesautresetdepasserainsiàcôtédesafêteintime.Àl’heureoùtoutestlaidetland–Euroland,Bricoland,Autoland,Hobbyland,Parcoland…–, à l’heure des rappels à l’ordre, elle constitue un appel à ladésertion.Onestàl’opposé,tuenconviendras,delanostalgiedu bon vieux temps, et autres jérémiades. Je le redis : lanostalgie,oui,maisdel’avenir!

Je ne te propose pas, avec mes pages et mes souvenirsd’Aureilhan, d’habiter une maison d’autrefois, d’empiler desrondinsdeboisautourdetoniPad,nid’allumerunfeudecamp.Je t’invite simplement à regarder, en songeant aux vaches, la

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révolte37 ! Ah, les hommes, mon Dieu, les hommes ! Il estdevenudeplusenplusdifficiledeleurparler,prisonniersqu’ilssont,deshorlogesetdespréjugés,duCAC40etdesclichés,descascades de « Like » et des chapelets de « Poke », otagesépanouisdessurfacestactiles.

Lesbêtesmedonneraientsansdoutelaforcedem’approcherd’eux car elles activent, attisent en moi ce qu’il y a demeilleur38. Les vaches, j’en suis sûr, m’aideraient à reboiserl’âmehumaine.Lespaysagesaussi.Maisilsontdisparu.

Et c’est ainsi, qu’en Picardie, l’agrobusiness œuvre aurenforcement de l’universelle barbarie, bêtes incarcérées etmutilées,hommesratatinés,terresouillée.

Pauvres vaches, martyrisées, désanimalisées,électroniquement surveillées, cernées d’écrans, captives,entravées, et qui n’auront jamais l’opportunité demettre fin àleur souffrance en se tirant une balle dans la bouche, de sesuicidercommefontlesdauphins39.

37.«Aufonddemarévoltecontrelesforts,jetrouveduplusloinqu’ilmesouvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes. J’aurais voulu quel’animalsevengeât,quelechienmordîtceluiquil’assommaitdecoups,quele cheval saignant sous le fouet renversât son bourreau ; mais toujours labête muette subit son sort avec la résignation des races domptées. Quellepitié que la bête ! Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux,laissantsetraînerausoleillamoitiésupérieure,lesyeuxhorriblementsortis,lesbrastremblants,cherchantàs’enfouirsouslaterre,jusqu’àl’oiedontoncloue les pattes, jusqu’au cheval qu’on fait épuiser par les sangsues oufouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le suppliceinfligé par l’homme. Et plus l’homme est féroce envers la bête, plus il estrampantdevantleshommesquiledominent»,LouiseMichel,Mémoires,F.Roy,LibraireÉditeur,Paris,1886.

38. «Mais quand je rencontre, parmy les opinions les plus moderées, lesdiscours qui essayent à montrer la prochaine ressemblance de nous auxanimaux, et combien ils ont de part à nos plus grands privileges, et aveccombiendevraysemblanceonnouslesapparie,certes,j’enrabatsbeaucoupdenostrepresomption,etmedemetsvolontiersdecette royauté imaginairequ’onnousdonnesurlesautrescreatures.Quandtoutcelaenseroitdedire,siya-iluncertainrespectquinousattache,etungénéraldevoird’humanité,nonauxbestesseulementquiontvieetsentiment,misauxarbresmesmesetauxplantes.Nousdevons la justiceauxhommes,et lagraceet labenignitéauxautrescreaturesquienpeuventestrecapables.Ilyaquelquecommerceentre elles et nous, et quelque obligation mutuelle », Montaigne, Essais,LivreII,ChapitreXI,«Delacruauté»,LaPléiade.39. « Richard O’Barry, un expert en comportement animal qui est aussidresseur, jure avoir vu un dauphin choisir de se tuer sous ses yeux. Ledauphinenquestions’appelaitKathy:elleétait,danslesannées1960,l’unedesvedettesdelasérietéléviséeFlipperledauphinquej’adoraisenfant.ÀencroireO’Barry,Kathy le regardadroitdans lesyeux, se laissacouler aufonddesonbassinetcessaderespirer."L’industrieduspectacled’animauxdressésneveutpasquelesgenscroientlesdauphinscapablesdesesuicider,déclara-t-ilàTime en2010,mais ce sontdes créatures conscientes avecuncerveauplusgrosqueceluideshumains.Sileurviedevientinsoutenable,ilss’arrêtent toutsimplementde respirer.C’estdusuicide"»,BarbaraJ.King,Le chagrin des animaux, Éditions de Fallois. L’auteur qui est professeurd’anthropologie au Collège William and Mary aux États-Unis raconteégalementdanssonlivrel’histoiredecetteourse,captiveenChinedansune« usine à bile » (on prête à la bile d’ours des vertusmédicinales), qui, enaoût 2011, a étouffé son ourson avant de se tuer en se jetant la tête lapremière contre un mur. Else Poulsen consacre quelques pages àl’épouvantable vie des ours noirs dans les usines à bile dans son ouvrageSmilingbears :AZookeeperExplores theBehaviorandEmotionalLifeofBears,Vancouver,GreystoneBooks,2009.

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Etpendantque jecrie,que j’écris,que j’éructe,quedisentlesjournaux?

Ilsdisentqu’àMont-d’Origny,dans l’Aisne,un incendiearavagé une porcherie dans laquelle 400 porcs étaientemprisonnés. 300 truies ont péri, brûlées vives ou asphyxiéespar les fumées toxiques. Quelques porcs ont échappé auxflammes.Qu’a-t-onfaitd’eux?Lesa-t-onrassurés?Leura-t-onrépété à l’oreille en leur caressant le front : C’est fini, c’estfini…?Lesa-t-onconfiésàdesvétérinaires?Lesvétérinairesont-ilspanséleursplaies?Non,touslesporcsrescapésontétéeuthanasiés.

Ilsdisentqu’unincendiearavagéuneporcherieàTaponnat-Fleurignac, en Charente. 800 porcs n’ont pu être secourus etsontmortsbrûlésvifs,ouasphyxiésparlesfuméestoxiques.

Et toutes cesbêtes, ces truies cernéespar les flammes, cesmâlesconfiésauxmainsgantéesdesbourreauxontvulepiègeserefermersureux,lamortvenir,atroce.Leslarmesenvahissentmesyeux.EtlesVanderdendurdel’agrobusinessrient!Pleurersur un cochon, faut être con, ricanent-ils, aussi con qu’uncochon. Z’avez tout faux, un cochon, c’est pas con. C’est unêtresensible,quelqu’und’intelligent,lecochon.Jelislespoètessouvent, et, de temps en temps, j’écoute les scientifiques. Ilsdisent quoi lesmecs en blanc des labos ?Que nous avons, lecochon et nous, 95 % d’ADN en commun. Le cochon, ilreconnaît son imagedans lemiroir.Le cochon, c’est unevraiebêteauxjeuxvidéo,plusfortquelechienet lechimpanzé.Lecochonjouantàsonjeuvidéopréféré,jelevois,jevoislascène.

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Çasortdudedansd’elle,c’estsaviandequiparle,çalesstimuleàmort.Laisseront-ellesleurssœursmourirdanscetteenceinte?Laisseront-elles les tueursmassacrer leurs enfants, ces enfantsarrachésdeleurspisjusteaprèslanaissance,cesenfantsqu’ilsontprivésde ferpourque leurchair soitblanche?Lenonestgénéral,etl’attaqueimminente.

C’est d’abord les cochons. Ils courent, groin brandi, truffeau ras du ciment, foncent vers le grillage, leurs dents sont despincescoupantes.Lesgrognantesmâchoiresviennentàboutdesfilsd’acier,l’ouvertureestimmense,letroupeaupeutpasser.

C’est le troupeau qui passe, sabots, cornes, buée, et longlasso des queues. La bâtisse est privée de hublots, debarbacanes, la mort est son odeur. Devant, y’a les camions,parfaitement rangés, blancs et frigorifiques. Devant, tout estnickel,onpeutphotographier,sortirsacaméra.Derrière,onnevoit rien, y’a personne là-bas. Là-bas, y’a pas la presse, lesmicrosn’entrentpas.

Derrière, où nul ne va, il y a les bétaillères, et toutes sontrempliesdutremblementdesbêtes.Ellessontentasséesdanslesremorques sales. Des pattes sont brisées, y’a des cœurs quis’arrêtent, des entraillesqui cèdent.Derrière les ridellesonnevoit que des yeux, tous sont épouvantés. Le temps pour leschauffeurs d’allumer leur mégot, les vaches sont sur eux. Lescochons déverrouillent les portes. Au fur et à mesure que lesbêtesdescendent,lepelotondesvachesleslèchechaudementàla façon des ourses. Plus personne ne tremble, l’épouvante acessé,lesveauxtètentlespisdesvachesimmobiles.Ilssegaventdelait,engrangentdelaforce,dessouvenirsreviennent,quandilsvenaientdenaître,quand ilsétaientheureux. Ilsne téterontplus,dansl’enceintesordide,lesdoigtsdel’égorgeur.

Lesbétaillèresayantétévidées,lesveauxayanttété,ilfautsansplustarderentrerdanslabâtisse.Etquepartentenfumée

les chaînes, lemétal, les alarmes, lagueulenoiredescouloirs,l’aiguillonélectrique,letapisroulant,lespinces,lecouteau,lebox de contention, l’ensanglanteur merlin. Et c’est ce qui sepasse,etc’estphénoménal!Lescrisnesontplusceuxdesbêtesquel’onpousseversleposteoùlamortlesattend.Lescrisquel’on entend sont ceux des tueurs, des sacrificateurs qui voientfondre sur eux, non des bêtes tremblantes et se chiant dessus,mais un Caterpillar de chair, une herse de cornes, des sabotsmitrailleurs. Ils sont terrorisés, épouvantés, grotesques. Ni lesdieux, ni les flics ne leur viendront en aide. Ils sont seuls,démunis,sansdéfense,impuissants,pareilsauxanimaux.

Les cornes sont sur eux, les poussent devant elles, lesobligentàmonterdansuncamiontoutblancettoutfrigorifique.Que le camion démarre, et que ce joli monde, à la diableembarqué, promptement débité, sans hallali et sans trompette,finissecongelédansl’aludesbarquettes.

Le calme est revenu, l’herbe repousse drue, les 4×4arrogantsontpassél’armeàgauche,iln’yaplusd’autos.Seulsdemeurent des trains. Ils frissonnent, secouant leurs wagonscomme s’ils avaient froid. Couchées dans les prés, mâ-chouillant, ruminant, les vaches les regardent, songent autortillard dont parlaient leurs aïeules quand elles étaientgénisses.

Lesoleilfaitduskisurleclocherpatient.C’estlarécréationdanslacourdel’école.Lalumièrebleutéeàlamarellejoue.Unemaîtresse brune écrit au tableau noir avec une craie blanche.Assisescôteàcôtesurleplumierluisant,lacigaleetlafourmiregardentlesdoigtsfinsdonnernaissanceauxmots.Etlesmots,lesvoici:

Lesoir?NousreprendronslarouteBlanchequicourt

Flânantcommeuntroupeauquibroute,Toutàl’entour

Lesbonsvergersàl’herbebleue,Auxpommierstors!

CommeonlessenttouteunelieueLeursparfumsforts!

NousregagneronslevillageAucielmi-noir;EtçasentiralelaitageDansl’airdusoir;

Çasentiral’étable,pleineDefumierschaudsPleined’unlentrythmed’haleine,Etdegrandsdos

Blanchissantsousquelqueslumières;Et,toutlà-bas,Unevachefientera,fière,Àchaquepas…

C’est beau, s’extasie la fourmi. C’est Rimbaud, précise lacigale.Elleaura,cettefois,lederniermot.

Achevéd’imprimerparXXXXXX,enXXXXX2016N°d’imprimeur:

Dépôtlégal:XXXXXXX2016

ImpriméenFrance