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Iiarrir W Bwing, Warhiwlon, D. C. DR. PAUL SABAT~ER

La chimie moderne et Marcelin Berthelot

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Page 1: La chimie moderne et Marcelin Berthelot

Iiarrir W Bwing, Warhiwlon, D. C.

DR. PAUL SABAT~ER

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VOL. 3, NO. 10 LA CKIMIE MODERNE ET MARCELIN BERTRELOT 1099

LA CHIMIE MODERNE ET MARCELIN BERTHELOT* PAUL SABATIER, MEMBRE DE L'INSTITUT, DOYEN DE LA FACULT& DES SCIENCES DE

Tornouse Dans un an, en Octobre, 1927, nous c616brerons le centenaire de la -

naissance de Marcelin Berthelot. Je suis un de ses plus anciens 6l&es, et je remplirai un pieux devoir en venant aujourd'hui dans cette assemblk de personnes devouks A la science chimique, rappeler hrievement l'oeuwe de cet illustre mattre et son rdle decisif dans l'edification de la chimie moderne.

Cette oeuvre a &t& immense, et loin de se restreindre A un chapitre de la chimie, elle en interesse toutes les branches, oh elle a laisse des empreintes ineffa~ables.

Ses recherches sur les conditions d'etherification des alcools par les acides sont demeurees classiques; elles ont, pour la premiere fois, d6fini les relations qui, dans les rhctions chim- iques, existent entre la vitesse des re- actions et la masse des facteurs reagis- sants.

I1 a vu l'importauce capitale des de- gagements ou absorptions de chaleur, qui accompagnent les ph6nomenes chimiques. Un nouveau chapitre de la chimie, la thermochimie, lui doit nou seulement la creation de methhdes de mesures, ainsi qu'un nomhre immense de resultats precis, mais aussi la preuve des relations 6troites aui existent entre le sens des reactions et le sigue ou la Dn PAUL SA~ATIER grandeur des phenom6nes calorifiques, et sur lesquelles le principe du travail maximum, peut, tout au moins dans certaines conditions, procurer de pdcieuses indications.

Devrais-je rappeler les belles recherches du maltre sur les actions chim- iques de l16tincelle, de l'effluve, et celles si importantes de chimie agricole qui l'ont amen6 d6couvrir dans la terre vegetale nue le r61e incessant des microorgauismes fixateurs d'azote.

Mais l'oeuvre capitale de Marcelin Berthelot, celle qui l'a definitivement class6 parmi les grands chimistes du dix-neuvieme siecle, c'est son oeuvre en chimie organique, oh par la definition des fonctions fondamentales,

* Address delivered before the meeting of the American ChemicalSa'iety a t Philadelphia on September 6, 1926. See editorial note, page 1095.

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fonctions alcool, aldehyde, acide, etc., et surtout par une succession ad- mirable de synthbes, il a fait disparaftre la bardre qui, avant h i , parais- sait isoler B jamais la chimie organique.

Vers 1860, celle-ci constituait, dans la chimie, un chapitre special tr&s distinct. C'etait, comme l'indique son nom, qui est demeurb, lachimie des corps issus des organismes vivants, v6getaux ou animaux. Seul le travail mysterieux de la vie paraissait capable de les produire B partir des elements qui les constituent, carbone, hydroghe, oxygPne, azote. Les sucres, l'amidon, les matisres grasses, les acides, tels que l'adde succinique, l'acide tartrique, les substances plus complexes telles que les albuminoides, rkultaient exclusivement du labeur des cellules vivantes, et pouvaient d'ailleurs soit par de nouvelles interventions vitales, comme les fesmeuta- tious, soit par le jeu des forces chimiques, subir de nombreuses transfor- mations et engendrer ainsi un grand nombre de substances nouvelles. Mais leur origine commune paraissait necessairement like B la vie.

Un mur qui semblait infranchissable sbarait les deux chimies, celle de la vie et celle de la matihe miu6rale non vivante, et, devant ce mur, s'etaient brisk les efforts des chimistes. I1 est vrai que, vers 1830, Woehler avait prepare de toutes pihces par voie puremeut minhle , I'urde, semblable i celle que produisent les animaux. Kolbe, quelques ann6es plus tard, avait obtenu synth&tiquement, sans intervention de la vie, l'acide acetique, identique B celui que procure l'oxydation de l'alcool ordinaire. Mais on pouvait objecter que l'uree, que l'aade acktique lui-meme, sont des produits de destruction incomplete des substances organiques, B la manihe de l'anhydride carbouique, de l'ammoniaque, et ne constituaient que des exceptions trop peu nombreuses pour supprimer la barrihe entre les deux chimies. Neanmoins c'etaient, dans la muraille, des fissures qui semblaient thoigner qu'elle n'etait pas in&ranlable. De 1856 B 1870, l'oeuvre de Berthelot devait la renverser.

Les hydrocarbures etaient tous, avant cette $oque, d'origine organique. Le formhe, gaz nature1 d6gagk par les houillPres ou par la vase des marais, 6tait prepar6 aulaboratoire B partir de l'acktate de calcium; l'6thylPne &ait obtenu B partir de l'alcool.

L'ac&tyl&ne etait B peu pr&s inconnu. Le benzhe formait l'un des produits de la distillation au rouge de la matihre organique complexe qu'est la houille.

Berthelot montra que l'hydroghe passant autour des charbons de l'arc voltaique, se combme directement au carbone en donnant de l'acetylPne, facile B caractkiser et B recueillir par le compose solide rouge qu'il donne avec le chlorure cuivreux, et d'oa l'actiou d'un acide le regknhe. Cet ac6tylPne chauE6 avec de l'hydroghne, donne de l'6thyl&ne, puis B temp6ra- ture plus haute, de Yethane et du form6ue.

Mais, chautle seul au rouge sombre, il se condense avec une forte dim-

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inution de volume, e t donne, par le fait de cette condensation, du benzene, du styrolhe, de la naphtaline, de l'anthrachne, cette magnifique synth6se produisant aiusi du premier coup A partir de l'ac6tylene synth6tiqne quatre hydrocarbures t r h importants.

Ce resultat a 6t6 ohtenu par Berthelot sur quelques centimhtres cubes d'ac&tylene, chauff6s dans une cloche courbe, et il a fallu toute l'habiiet6 exp6rimentale du maftre pour arriver A definir dans ces conditions la vraie nature de la reaction. Quand j'etais son p r6para te au Coll6ge de France, je l'ai vu repeter cette exp6rience dam son cours, e t dam la goutte de liquide qui avait 6t6 ainsi produite, mettre en 6vidence successive- ment, sans aucun doute possible, le benzhne, le styrolene, et m@me la naphtaline. La reaction a d'ailleurs 6t6 depuis lors realis6e en grand, quand on a pu pr6parer facilement l'ac6tyl&ne, et on a v6rifi6 exactement les resultats anuonc6s par Berthelot.

Une autre synthhe capitale a 6t6 celle de l'alcool ordinaire, que l'on ne savait autrefois produire que par la fermentation des liquides suu6s. Pour cette formation, la force witale semblait devoir iutervenir A deux reprises, production du sucre dans les v&g&taux, d6doublement du sucre par la l e d r e vivante. Berthelot s'adressa A l'un des hydrocarbures syn- thetiques qu'il avait pr6par6. I,'&thylhne, agit6 longtemps avec de l'acide snlfurique concentre, est absorb&, et le liquide obteuu, distille avec de l'eau, fournit de l'alcool, ahsolument identique A l'alcool de fermentation.

Ces synthbes fondamentales ne demeurerent pas isol&s. Berthelot multiplia ses conqu@tes dans ce champ insoup~onn6 de la neation purement chiiique des compos&s organiques. Le m6thaue prepad synth6tique- ment, soit comme il a 6t6 rappel6 plus haut, en chauffaut au rouge vif un melange d'6thylhne et d'hydroghe, soit par action de l'hydroghe sulfur6 sur le sulfure de carbone et le cuivre, fournit par action du chlore, le chlorure de methyle, dont la saponification directe, a men6 Berthelot A l'alcool methylique identique A celui qui existe dam l'alcool de bois. L'oxydation de cet alcool methylique conduit A l'acide formique, semhlable A celui que s6crhteut les fourmis rouges ou les poils d'orties, et dont Berthelot realisa directement la synthese, A l'6tat de sel, en absorbant l'oxyde de carbone par les alcalis.

L'activite optique elle-mhme, qui etait dam l'esprit du grand Louis Pasteur, un apanage des composes d'origine vitale, devait &re A son tow reconnue comme capable d'etre engendree par voie de synthhe sous la forme de racemique, association de poids 6gaux de corps dextrogyre et l6vogyre. C'est un eleve de Berthelot, JungEeisch, qui, sur ses conseils, a pu realiser pour la premihe fois la synthhe totale de l'acide tartrique racemique, capable d'etre dedouble, sans aucune intervention vitale, en ses constituants actifs, dont le droit existe dans le jus de raisin.

La cloison etanche qni separait jadis la chimie minerale de la chimie

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organique n'existe plus; le nombre immense de syntheses organiques qui ont ete accomplies depuis ce moment permet de conclure B la possibilite tbeorique de toutes les syntheses.

Plus puissante et plus feconde que la nature vivante, la chimie pourra certaiuement, non seulement reproduire synth6tiquement toutes les matiPres organiques issues de la vie, mais encore engendrer uu nombre incalculable de corps que la nature n'a jamais produit.

Comme l'ecrivait Berthelot, en terminant son be1 ouvrage sur la Synthdse Chimigue: "Nous pouvons pretendre, sans sortir du cercle des esperances Egitimes, a concevoir les types generaux de toutes les substances possibles et a les rcaliser. Nous pouvons, dis-je, pretendre B former de nouveau toutes les matieres que se sont developpees depuis l'origine des choses,

les former dans les memes conditions, en vertu des memes lois que la nature fait concourir A leur formation."

Telle a &t& l'oeuvre de Marcelin Berthelot. Experimentateur d'une habilete prodigieuse, qui a fait l'admiration

de tous ses &l&ves, observateur d'une sfirete impeccable, il possedait au plus haut degrC cette divination B peu pres infaillible du sens reel des re- actions et de la vraie nature des produits qu'elles foumisseut, ce sens que l'on peut appeler le genie du chimiste.

Son nom demeurera comme un des plus grands, dans la chimie et dans la science universelle.