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© blogdroiteuropeen.com Working paper 2/2020 – La confiance dans l’Union dix ans après Lisbonne 1 Special Working Papers Series 2/2020 Sommaire I. L’apport paradoxal du Traité de Lisbonne pour la compréhension du principe de confiance mutuelle A. L’ignorance volontaire d’un principe essentiel B. La compréhension du fondement de la règle du principe C. La compréhension du fondement des exceptions du principe II. La fragilité du principe de confiance mutuelle : l’effectivité du contrôle juridictionnel en question A. L’affaire Puigdemont B. L’affaire Celmer Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’un numéro spécial des working papers du Blog droit européen et fait suite à la conférence organisée à l’Université Libre de Bruxelles les 28 et 29 mars 2019 intitulée « Le Traité de Lisbonne 10 an après : une Union à la croisée des chemins ? ». Cette conférence avait été organisée en coopération avec l’Institut d’études européennes et la Faculté de droit et de criminologie de l’ULB, l’Institut d’études européennes de l’Université Saint-Louis et Alliance Europa, avec le soutien du Fonds national belge de la recherche scientifique. Citation suggérée : M. Guiresse, « La confiance dans l’Union dix ans après Lisbonne : toujours une question de principe ? », in N. Brémand, C. Billet, L. Fromont et C. Warin (éd.), Le Traité de Lisbonne 10 ans après : une Union à la croisée des chemins ?, Blog droit européen, special Working Papers series, 2/2020, mai 2020. La confiance dans l’Union dix ans après Lisbonne : toujours une question de principe ? Par Marguerite Guiresse, doctorante à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

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Special  Working  Papers  Series  2/2020  

Sommaire

I.   L’apport paradoxal du Traité de Lisbonne pour la compréhension du principe de confiance mutuelle

A.   L’ignorance volontaire d’un principe essentiel B.   La compréhension du fondement de la règle du principe C.   La compréhension du fondement des exceptions du principe

II.   La fragilité du principe de confiance mutuelle : l’effectivité du contrôle juridictionnel en question

A.   L’affaire Puigdemont B.   L’affaire Celmer

 

 

 

 

Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’un numéro spécial des working papers du Blog droit européen et fait suite à la conférence organisée à l’Université Libre de Bruxelles les 28 et 29 mars 2019 intitulée « Le Traité de Lisbonne 10 an après : une Union à la croisée des chemins ? ». Cette conférence avait été organisée en coopération avec l’Institut d’études européennes et la Faculté de droit et de criminologie de l’ULB, l’Institut d’études européennes de l’Université Saint-Louis et Alliance Europa, avec le soutien du Fonds national belge de la recherche scientifique.

Citation  suggérée  :  M.  Guiresse,  «  La  confiance  dans  l’Union  dix  ans  après  Lisbonne  :  toujours  une  question  de  principe  ?  »,  in  N.  Brémand,  C.  Billet,  L.  Fromont  et  C.  Warin  (éd.),  Le  Traité  de  Lisbonne  10  ans  après  :  une  Union  à  la  croisée  des  chemins  ?,  Blog  droit  européen,  special  Working  Papers  series,  2/2020,  mai  2020.  

La   confiance   dans   l’Union   dix   ans   après   Lisbonne  :  toujours  une  question  de  principe  ?  Par Marguerite Guiresse, doctorante à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

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La célébration des dix ans du Traité de Lisbonne invite aux bilans des grandes dates. L’anniversaire offre l’occasion de partager quelques réflexions sur le principe de confiance mutuelle en droit de l’Union. Immédiatement cependant, une précision préalable s’avère indispensable à la compréhension des propos qui vont suivre.

D’abord le concept de principe de confiance mutuelle doit être distingué de la simple dénomination composite de « confiance mutuelle » très largement utilisée dans les actes du droit de l’Union. Celle-ci peut-être communément employée et vise alors fréquemment les relations entre acteurs économiques. Ensuite, et bien que tous deux soient évidemment éminemment liées, le principe de confiance mutuelle qui lie les États membres entre eux est à distinguer de celui de reconnaissance mutuelle1.

En droit de l’Union européenne, le principe de confiance mutuelle entre États membres de l’UE impose à chaque État membre lorsqu’il applique le droit de l’UE de présumer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, le respect par les autres États membres du droit de l’Union européenne et tout particulièrement le respect des droits fondamentaux. Chaque État membre bénéficie d’une présomption de respect des droits fondamentaux lors de la mise en œuvre des mécanismes de coopération européenne.

La présomption générale se traduit matériellement par deux obligations négatives pour l’autorité nationale appliquant le droit de l’Union. D’une part, l’autorité nationale compétente a l’interdiction d’exiger d’un autre État membre un niveau de protection plus élevé que celui assuré par l’Union2. D’autre part et sauf cas exceptionnels, il a l’interdiction de vérifier le respect effectif des droits fondamentaux par l’autre État membre dans le cas concret qui est soumis à son examen. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient préciser et encadrer les exceptions prévues par la seconde interdiction. Par exemple, la présomption de respect des droits fondamentaux peut être renversée et celui-ci contrôlé en cas de défaillances systémiques avérées des conditions d’accueil des demandeurs d’asile au sein d’un État3 ou en cas de risque réel de violation de l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants de personnes visées par un Mandat d’arrêt européen (MAE) aux fins d’exécution d’une condamnation4.

L’importance du principe de confiance mutuelle en droit de l’Union européenne a été proclamée par la Cour de justice dans le célèbre avis 2/135 en 2014. Argument majeur pour justifier l’avis négatif de la Cour sur le projet d’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), le principe protège l’autonomie de l’ordre juridique de

                                                                                                                         1 Le principe de confiance mutuelle fonde celui de reconnaissance mutuelle. Définit de manière simplifiée en

droit de l’Union, le principe de reconnaissance mutuelle est un principe méthode de construction européenne qui consiste à reconnaître dans un État membre une décision rendue dans un autre État membre, afin qu’elle produise ses effets sans la soumettre à une procédure juridique nationale particulière. Voy. G. TAUPIAC-NOUVEL, Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions répressives dans l’Union européenne, Paris, LGDJ, Fondation Varenne, collection des Thèses, 2011, 554 p.

2 Arrêts de la Cour du 29 janvier 2013, Radu, C-396/11, EU:C:2013:39 ; du 26 février 2013, Melloni, C-399/11, aff. C-399/11, EU:C:2013:107.

3 Arrêt de la Cour du 21 décembre 2011, N.S., C-411/10 et 493/10, EU:C:2011:865. 4 Ibid. ; arrêts de la Cour du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15 et C-659/15 (PPU),

EU:C:2016:198 ; du 19 mars 2019, Ibrahim, C-297/17, EU:C:2019:219. 5 Avis de la Cour de justice du 18 décembre 2014, 2/13, EU:C:2014:2454.

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l’Union par rapport à celui de la CEDH6. Surtout, il assure aujourd’hui le fonctionnement et la réalisation de l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice (ELSJ).

La jurisprudence sur le principe de confiance mutuelle a permis d’empêcher la mise en échec des instruments européens de coopération de cet espace. Par exemple, les jurisprudences Radu7, Melloni8, Aranyosi-Caldararu9 servent le maintien et le bon fonctionnement du Mandat d’arrêt européen10 (MAE)11. Autres exemples, les arrêts N. S.12, et CK13 poursuivent le même but en ce qui concerne le système Dublin14. La Cour a d’ailleurs expressément rappelé cette année, dans l’arrêt Ibrahim15, l’importance du principe pour ce dernier.

Si le principe de confiance mutuelle entre États membres s’appuie sur une jurisprudence ancienne et fournie16, il trouve également un ancrage en droit dérivé. Ce dernier constitue une véritable mine de références au principe. Les résultats d’une recherche terminologique effectuée sur la base de données EUR-Lex sont sans appel. Les actes législatifs regorgent de références, directes comme indirectes, à travers l’évocation d’une confiance mutuelle ou réciproque » entre États17. La majorité de celles-ci se trouvent dans les considérants ou les

                                                                                                                         6 Ibid. 7 Arrêt de la Cour du 29 janvier 2013, Radu, op. cit. 8 Arrêt de la Cour du 26 février 2013, Melloni, op. cit. 9 Arrêt de la Cour du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, op. cit. 10 Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux

procédures de remise entre États membres, En vigueur, J.O. L 190 du 18 juillet 2002, p. 1. 11 Par exemple en 2016, Aranyosi-Caldararu ouvre une exception au régime général d’automaticité des remises

du MAE au nom de la protection des droits fondamentaux. Cette solution sert évidemment le maintien du mécanisme de MAE. D’une part, le respect des droits fondamentaux préservé, la légitimité du MAE est sauvegardée. D’autre part, l’exception est très encadrée afin de préserver l’efficacité du mécanisme. Selon Aranyosi-Caldararu, reconnaître l’existence d’un cas exceptionnel justifiant une dérogation à l’interdiction de vérifier le respect effectif des droits fondamentaux par l’autre État membre exige un test strict. Il suppose une double appréciation du juge. Dans un premier temps, il lui faut apprécier abstraitement le risque de violation de l’interdiction de traitement inhumains ou dégradants en constant sur la base d’éléments objectifs, précis, fiables et dûment actualisés l’existence de défaillances ou généralisées, des défaillances touchant certains groupes de personnes ou encore des défaillances touchant certains centres de détentions. Puis dans un second temps, le juge d’exécution doit apprécier concrètement, dans le cas de l’espèce, le risque réel subis par l’individu visé par la procédure à l’aide de motifs sérieux et avérés.

12 Arrêt de la Cour du 21 décembre 2011, N.S., op. cit., points 78, 79 et 83. 13 Arrêt de la Cour du 16 février 2017, C.K. c. Slovénie, C-578/16 PPU, EU:C:2017:127. 14 Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de

détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, J.O. L 50 du 25 février 2003, p. 1 ; règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil européen du 26 juin 2013 dit règlement Dublin III, J.O. L 180 du 29 juin 2013, p. 31.

15 Arrêt de la Cour du 19 mars 2019, Ibrahim, op. cit., point 92 : « compte tenu de l’importance que le principe de confiance mutuelle revêt pour le système européen commun d’asile ».

16 « La confiance que doivent se témoigner les États membres » est évoquée dès 1977 par la Cour de justice qui la qualifie alors de « réciproque ». Elle est affirmée comme un « principe » dix ans plus tard, sous le vocable de « confiance mutuelle » : arrêts de la Cour du 25 janvier 1977, Bauhuis, C-46/76, EU:C:1977:6, points 22 et 38 ; du 11 mai 1989, Wurmser e.a., C-25/88, EU:C:1989:187. Après quoi le principe sera régulièrement invoqué dans le prétoire de la Cour. Au 1er janvier 2020, la confiance mutuelle liant les États membres est formellement énoncé en tant « principe » de confiance mutuelle dans 43 arrêts de la Cour depuis 2004 selon une recherche menée sur la base de données du site Curia.eu.

17 Les actes peuvent évoquer la nécessité d’instaurer « un climat de confiance » réciproque ou mutuelle. V. par exemple : directive 90/531/CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, J.O. L 297 du 29 octobre 1990, p. 1 ; directive 91/477/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes, J.O. L 256 du 13 septembre 1991, p. 51 ; décision 91/341/CEE du Conseil, du 20 juin 1991, portant adoption d'un programme d'action communautaire en matière de formation professionnelle

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annexes mais des références plus récentes et antérieures au Traité de Lisbonne se retrouvent même dans le dispositif de certains actes dont l’objectif déclaré est, d’ailleurs, de renforcer la « confiance mutuelle entre États membres »18.

Les actes pré-législatifs19 révèlent également l’engouement dont le principe de confiance mutuelle a fait l’objet de la part des institutions européennes et des États membres. Si la Commission européenne est la première à employer le concept dès 197920, le Conseil et le Parlement européen ont eux aussi adopté, parallèlement à leur travail de co-législateur, des positions21 ou des résolutions d’initiatives22 qui évoquent la confiance mutuelle entre les États membres. Les premiers concernés enfin, les États membres, ont directement invoqué la confiance mutuelle qui les lie23. D’abord en 2004, ils font de la confiance mutuelle l’un des objectifs principaux du programme de la Haye24 pour renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne. Puis, à travers le Conseil européen nouvellement institutionnalisé, ils réitéreront leur attachement à la confiance mutuelle entre États membres en 2010 avec le programme de Stockholm25.

Pourtant, il y a dix ans, le Traité de Lisbonne n’a pas retenu le projet d’inscrire le principe de confiance mutuelle dans les traités fondateurs de l’Union. En effet, dans le cadre de la rédaction du Traité établissant une constitution pour l’Europe (TECE), la Convention européenne de 2002-200326 élabore l’article I-42, § 1er, disposant sous son point b que « l’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice […] b) en favorisant la confiance mutuelle entre les autorités compétentes des États membres, (…) ». Avec cette inscription, le projet du TECE prévoit la consécration du principe en matière d’ELSJ dans les traités fondateurs.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           des fonctionnaires des douanes (programme Matthaeus), J.O. L 187 du 13 juillet 1991, p. 41 ; décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, J.O. L 190 du 18 juillet 2002, p. 1.

18 Voy. notamment articles 2 et 3 de la décision du Conseil du 12 février 2007 établissant, pour la période 2007-2013, dans le cadre du programme général Droits fondamentaux et justice, le programme spécifique Justice pénale, J.O. L 58 du 24 février 2007, p. 13.

19 Pour reprendre la typologie retenue sur la base de données officielle Eur-LEX « actes législatifs » et « actes pré-législatifs ».

20 Communication de la Commission, « Programme pluriannuel pour la réalisation de l'union douanière », J.O. C 84 du 31 mars 1979, p. 2.

21 Voy. notamment : position (UE) n ° 5/2013 du Conseil en première lecture en vue de l'adoption d'un règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride Adoptée par le Conseil le 6 juin 2013, Déclaration du Conseil, du Parlement européen et de la Commission, J.O. C 177E du 22 juin 2013, p. 1.

22 Voy. notamment la résolution du Parlement européen sur la promotion et la protection des droits fondamentaux : « le rôle des institutions nationales et européennes, y compris de l'Agence des droits fondamentaux », 2005/2007(INI), J.O. C 117E du 18 mai 2006, p. 242.

23 L’étude du droit matériel montre ainsi que les États membres ont eux-mêmes plusieurs fois invoqué ce principe, soit directement à travers le Conseil européen soit indirectement à travers le travail de co-législateur du Conseil.

24 Conclusions du Conseil européen des 17 et 18 juin 2004 ; Conclusions du Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004.

25 Le programme de Stockholm – une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, J.O. C 115 du 4 mai 2010, p. 1.

26 Convention constituée de représentants des parlements nationaux, du Parlement européen, de la Commission européenne et des gouvernements nationaux, chargée de préparer la réforme des traités européens avant la conférence intergouvernementale (CIG) de 2003-2004. L’objectif était de substituer un processus constituant ouvert et large aux négociations diplomatiques classiques.

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Après l’échec référendaire pour l’adoption du traité suite aux référendums néerlandais et français de 2005, le texte du TECE est globalement repris tel quel afin d’élaborer le Traité de Lisbonne. Les modifications apportées sont essentiellement d’ordre formel, visant simplification dans un souci de clarté. Pourtant, les États membres laissent de côté la référence à la confiance mutuelle qui les lierait. Aujourd’hui, le Traité de l’Union européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ne contiennent aucune référence à un principe de confiance mutuelle entre États membres.

Le principe de confiance mutuelle semble avoir été volontairement écarté par les États membres lors de la rédaction du Traité de Lisbonne. Sa non-inscription dans les traités fondateurs peut alors se lire comme une forme de désaveu – voire un rejet – de la part des premiers concernés, d’un principe dont l’importance n’a pourtant eu de cesse de croître et de se renforcer en droit de l’UE.

Un premier constat s’impose pourtant dix ans après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Paradoxalement, malgré l’apparent rejet du principe de confiance mutuelle qu’il marque, le Traité de Lisbonne permet par effet de ricochet sa clarification conceptuelle. Alors qu’il fournit des clés de compréhension du principe, il vient, in fine, le renforcer (I). Pour autant, un anniversaire décennal doit également être l’occasion de procéder à une sorte de bilan critique. Dix ans après le Traité de Lisbonne et alors que l’actualité politique et judiciaire révèle des difficultés de mise en œuvre du principe de confiance mutuelle entre États membres, le second constat qui s’impose est celui de la fragilité du principe (II).

I.   L’apport paradoxal du Traité de Lisbonne pour la compréhension du

principe de confiance mutuelle À défaut de fournir un fondement juridique dans les traités fondateurs précisant les implications majeures du principe (A), le Traité de Lisbonne clarifie les éléments sur lequel celui-ci se fonde. Il permet de mieux comprendre la raison d’être de la règle du principe (B) et le développement d’exceptions à celle-ci (C).

A.   L’ignorance volontaire d’un principe essentiel

Il y a dix ans, le Traité de Lisbonne marque le refus des rédacteurs d’inscrire dans les traités un principe de confiance mutuelle. Pourtant, celui-ci est déjà ancré en droit de l’Union. Son utilisation fréquente et ancienne au sein de la jurisprudence de la Cour de justice mais également dans des actes législatifs et préparatoires a été soulignée lors des propos introductifs.

Les États membres n’ignorent pas l’importance du principe de confiance mutuelle. Ils avalisent l’inscription d’une référence en droit primaire en signant le texte de la TECE. Celui-ci prévoit à l’article I-42, § 1er, b, relatif à l’ELSJ27 que « l’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice […] en favorisant la confiance mutuelle entre les autorités compétentes des États membres, en particulier sur la base de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires ». Après l’échec du projet du TECE, les représentants

                                                                                                                         27 V. notamment, H. LABAYLE, « L’espace de liberté, sécurité et justice dans la Constitution pour l’Europe », in

L. BURGORGUE-LARSEN, A. LEVADE et F. PICOD (dir.), Traité établissant une Constitution pour l’Europe, commentaire article par article, t. I, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 544 et s.

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des gouvernements qui reprennent la majorité des projets d’articles du TECE ne retiennent cependant pas l’article I-42, § 1er, b.

Il semble dès lors qu’avec le Traité de Lisbonne, les États membres refusent délibérément d’inscrire la confiance mutuelle dans les traités fondateurs de l’Union. Peut-être les États membres ont-ils été influencés par les discussions houleuses au sein de la convention28 ou la tendance à reléguer la confiance en second plan lors de la restitution des travaux du groupe de travail « Espace de liberté, Sécurité et Justice » 29. Peut-être ont-ils agi par prudence pour éviter d’avoir à ouvrir une boîte de Pandore. Lors des discussions, l’utilisation du concept a soulevé des questions sensibles comme par exemple l’extension de mécanisme d’évaluation par les pairs entre États membres30 ou l’harmonisation de procédure en matière pénale par l’établissement de garantis minimums des accusés31.

Il reste que le Traité de Lisbonne ignore un principe majeur au sein de l’Union européenne, tout particulièrement pour l’ELSJ. Lorsque la CJUE finit par constitutionnaliser le principe de confiance mutuelle entre États membres en 2014, elle rappelle qu’il appartient au « réseau structuré de principes, de règles et de relations juridiques mutuellement interdépendantes liant, réciproquement, l’Union elle-même et ses États membres, ainsi que ceux-ci entre eux »32 et qu’il « a, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale étant donné qu’il permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures »33.

L’occasion manquée que constitue le Traité de Lisbonne prive le principe de confiance mutuelle de base juridique claire au sein des traités fondateurs. À défaut, la règle et les exceptions du principe se développent progressivement grâce à la jurisprudence de la Cour de justice.

Pour rappel, le principe de confiance mutuelle pose une présomption générale qui impose à chaque État membre lorsqu’il applique le droit de l’UE, de présumer sauf dans des circonstances exceptionnelles, le respect par les autres États membres du droit de l’UE et tout

                                                                                                                         28 Au sein de la convention, des propositions d’amendements interrogent le projet d’article I-42 b) au regard de

cette confiance. Une majorité de proposition d’amendements de l’article I-41 TECE visent sa suppression. V. par exemple, la proposition d’amendement de M. Louis Michel, M. Karel de Gucht, M. Elio di Rupo, Mme Anne Van Lancker, membres de la Convention et M. Pierre Chevalier et Mme Marie Nagy, membres suppléants de la Convention. L’ensemble des propositions d’amendement est accessible sur le site de la Convention européenne : http://european-convention.europa.eu/docs/Treaty/pdf/31/ART31MichelFR.pdf.

29 Alors que le rapport final du groupe de travail publié par le secrétariat reconnaît à la confiance son caractère « vital dans un espace commun de liberté, de sécurité et de justice », celle-ci est reléguée au second plan au profit du principe de reconnaissance mutuelle lors de la présentation des points principaux du rapport du groupe de travail « Espace de liberté, Sécurité et Justice » à la Convention européenne, en session plénière. Voy. V. Fiche, « Un espace de Liberté, sécurité et justice cohérent, soumis aux principes de transparence et de contrôle démocratique », points n° 8, points principaux du rapport du Groupe de travail « Espace de liberté, Sécurité et Justice », présidence M. John Bruton, présenté à la Convention européenne les 5 et 6 décembre 2002, en session plénière, accessible sur http://european-convention.europa.eu/docs/meetings/8-FR.pdf.

30 Voy. par exemple, WD 029 - WG X - Comments by Ms Anne Van Lancker and Mr Iñigo Mendez de Vigo, members of the Convention, and Ms Elena Paciotti, alternate member of the Convention, on the draft final report (WD 018 - WG X), 26/11/2002, p. 11, accessible sur http://european-convention.europa.eu/docs/wd10/5672.pdf.

31 Voy. par exemple, WD 019 - WG X - Comments by Ms Ana Palacio, member of the Convention, on the Working document 05 “Possible ways for the Working Group”, 19 novembre 2002, accessible sur http://european-convention.europa.eu/docs/wd10/5155.pdf.

32 Avis de la Cour du 18 décembre 2014, avis 2/13, op. cit., point 167. 33 Ibid., point 191.

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particulièrement le respect des droits fondamentaux34. Si la présomption est générale, elle se traduit matériellement par deux obligations négatives précises, à la charge des autorités nationales. D’une part, lorsqu’elles mettent en œuvre le droit de l’Union celles-ci ont l’interdiction d’exiger d’un autre État membre un niveau de protection plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union35. D’autre part lorsque les autorités nationales compétentes appliquent le droit de l’Union dans un cas concret, sauf circonstances exceptionnelles progressivement précisées par la CJUE, elles ont l’interdiction de vérifier le respect effectif des droits fondamentaux par l’autre État membre36

Dégagé par la jurisprudence de la Cour de justice, le principe semble toutefois trouver sa raison d’être au sein même des textes fondateurs.

B.   La compréhension du fondement de la règle du principe

La clarification textuelle offerte par le Traité de Lisbonne permet de pleinement comprendre le raisonnement sur lequel se fonde la règle du principe, tel qu’elle est expliquée et justifiée par la Cour dans l’avis 2/1337.

La règle du principe, c’est-à-dire la présomption de respect des droits fondamentaux dont bénéficie chaque État membre grâce au principe de confiance mutuelle, s’explique et se justifie en vertu des articles 2, 7 et 49 du TUE et des articles 267, 258 à 260 TFUE.

L’article 2 TUE identifie les valeurs de l’Union parmi lesquelles l’État de droit et le respect des droits fondamentaux. Les États membres reconnaissent partager ces valeurs communes sur lesquelles l’Union se fonde. Le respect des valeurs de l’article 2 TUE par un État est une des conditions d’entrée dans l’Union. En vertu de l’article 49 TUE, l’adhésion d’un État candidat n’est acceptée qu’après contrôle et confirmation de ce respect par la Commission européenne. Tous les États qui deviennent membres de l’Union doivent respecter ces valeurs. Chacun doit respecter les droits fondamentaux.

La condition d’entrée au sein de l’UE du respect des droits fondamentaux par un État ne peut toutefois suffire à justifier à elle seule l’existence d’une présomption générale de respect des droits fondamentaux au bénéfice des États membres. Une telle présomption exige une garantie du fait que les États continuent de respecter les droits fondamentaux une fois devenus membres de l’Union.

Le Traité de Lisbonne a justement permis de clarifier l’existence d’un cadre juridique existant indispensable au maintien d’un principe posant une présomption de respect des droits fondamentaux entre États membres.

L’article 2 du TUE n’a pas qu’une simple valeur déclaratoire. Il est une disposition importante des traités fondateurs par laquelle les États s’obligent. Avec son inscription dans les traités,

                                                                                                                         34 Ibid. 35 Arrêts de la Cour du 29 janvier 2013, Radu, op. cit. ; du 26 février 2013, Melloni, op. cit. 36 Par exemple, la présomption de respect des droits fondamentaux peut être renversée et l’autorité nationale

peut procéder à un contrôle de respect effectif en cas de défaillances systémiques avérées des conditions d’accueil des demandeurs d’asile au sein d’un États. Voy. arrêt de la Cour du 21 décembre 2011, N.S., op. cit. C’est également possible en suivant un test permettant de vérifier le risque de violation de l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants de personnes visées par des mécanismes de coopération européenne. Voy. arrêt de la Cour du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, op. cit.

37 Avis de la Cour du 18 décembre 2014, avis 2/13, op.cit., points 167,168, 191, 194 et 258.

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les États membres ne reconnaissent pas seulement partager des valeurs communes comme le respect des droits fondamentaux lors de la signature des traités. Ils s’engagent à continuer à respecter ces valeurs une fois devenus membres de l’Union. En tant que droit de l’Union, l’article 2 TUE bénéficie d’un ensemble de garanties juridiques prévues par le TUE et le TFUE. Il bénéficie également d’un mécanisme de protection spécifique prévu à l’article 7 TUE afin de veiller à un respect continu et renforcé des valeurs de l’Union englobant le respect des droits fondamentaux.

D’une part, le respect du droit de l’Union et notamment le respect des droits fondamentaux que ce droit reconnaît est garanti par un contrôle juridictionnel complet de la Cour de justice. Le droit de l’UE offre un éventail complet de recours juridictionnel pour une protection étendue et renforcée. Par exemple, le recours préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE38 ou le recours en manquement des articles 258 à 260 TFUE39 permettent d’assurer le respect du droit que les États membres se sont engagés à respecter.

Les exemples jurisprudentiels en lien direct avec le principe de confiance mutuelle sont nombreux, nous nous limiterons à un. Un arrêt récent illustre bien à lui seul comment la CJUE veille au respect des valeurs communes auxquelles appartiennent les droits fondamentaux au nom du principe de confiance mutuelle à l’aide de son contrôle juridictionnel. Avec l’arrêt Associaçao Sindical40, la CJUE profite d’une question préjudicielle pour souligner à nouveau l’importance du respect de l’article 2 TUE pour le principe de confiance mutuelle. Dans le même temps, elle rappelle que la violation de l’article 2 TUE peut faire l’objet d’un recours en manquement tel que prévu par les articles 258, 259 et 260 TFUE.

D’autre part, l’article 7 TUE prévoit un mécanisme juridique spécifique placé entre les mains des décideurs politiques, les institutions européennes et États membres eux-mêmes. Si l’un des États membres porte atteinte ou risque de porter atteinte aux valeurs communes - par exemple, en ne respectant plus l’État de droit -, il peut faire l’objet de l’une des procédures du mécanisme prévu à l’article 7 TUE. La procédure de l’article 7, § 1er, TUE permet le constat par les pairs d’« un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 TUE ». Les procédures des paragraphes 2 et 3 permettent le constat voire la sanction de « l'existence d'une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article ».

Autrement dit, des instruments juridiques protègent le fondement sur lequel la présomption du principe de confiance se fonde et s’explique. Si les États membres reconnaissent partager des valeurs communes comme le respect des droits fondamentaux, ils se soumettent surtout à un dispositif de contrôle complet qui permet de garantir la permanence de ce respect. Ceci expliquerait et justifierait l’existence d’une présomption de respect des droits fondamentaux au bénéfice des États membres lors de la mise en œuvre du droit de l’Union.

La clarification des dispositions des traités ne permet pas seulement de comprendre la raison d’être de la règle du principe. Elle éclaire également le développement de ses exceptions.

                                                                                                                         38 Article 267 TFUE. 39 Articles 258, 259 et 260 TFUE. 40 Arrêt de la Cour du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C-64/16, EU:C:2018:117.

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C.   La compréhension du fondement des exceptions du principe

Depuis le Traité de Lisbonne, l’article 6 TUE rappelle l’exigence du respect des droits fondamentaux. Le droit de l’Union doit constamment prendre en compte et être respectueux des droits fondamentaux. En tant que droit de l’UE, l’application du principe de confiance mutuelle entre États membres doit se faire dans le respect de ces droits. Seul ce respect inconditionnel, légitime le principe et le renforce.

Les juges de la CJUE soulignent expressément cette réalité dans l’arrêt CK41. Ils affirment que la solution de l’arrêt CK respecte le principe de confiance mutuelle en s’assurant de la prise en compte de toutes les situations particulières et en s’opposant à une confiance aveugle. Elle participe même à son existence ou son maintien puisqu’elle renforce le respect des droits fondamentaux dans le cadre de l’UE42.

La multiplication d’exceptions jurisprudentielles à la règle du principe – l’obligation de présomption de respect des droits fondamentaux par un État membre – s’explique alors. Les juges de la CJUE le rappellent, la « confiance » n’est pas un concept absolu qui ne supporterait pas la nuance. « Confiance » n’est pas « foi » ; « confiance mutuelle » n’est pas « confiance aveugle »43.

En définitive et paradoxalement, si le Traité de Lisbonne constitue un refus d’inscription dans les traités fondateurs d’un principe de confiance mutuelle déjà ancré en droit de l’UE, il participe à son renforcement. Il renforce le concept en clarifiant le cadre dans lequel il s’insère. Il fournit de nombreuses réponses aux questions que suscitait le principe. Ces éclaircissements sont d’autant plus bienvenus que dix ans après Lisbonne, l’actualité politique et judiciaire force à un nouveau constat : celui de la fragilité du principe.

II.   La fragilité du principe de confiance mutuelle : l’effectivité du contrôle

juridictionnel en question Le contrôle juridictionnel est indispensable à tout principe juridique. La protection accordée par le juge qui en contrôle le respect est une garantie de son effectivité. En ce qui concerne le principe de confiance mutuelle, deux récentes affaires de MAE – Puigdemont (A) et Celmer (B) – interrogent à la fois la protection accordée par le juge national et celle accordée par le juge de la CJUE.

A.   L’affaire Puigdemont

L’affaire Puigdemont44 interroge l’effectivité de la protection offerte par le juge national pour garantir le respect et la bonne mise en œuvre du principe de confiance mutuelle. Les faits                                                                                                                          41 Arrêt de la Cour du 16 février 2017, C.K. c. Slovénie, op. cit. 42 Ibid., points 80 et 95. 43 K. LENAERTS, « La vie après l’avis : exploring the principle of mutual (yet not blind) trust », C.M.L.R., 2017,

p. 805 ; J.-C. BONICHOT et M. AUBERT, « Les limites du principe de confiance mutuelle dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : comment naviguer entre Charybde et Scylla », RUDH, 2016, vol. 22, n° 1-6, p. 3.

44 Voy. notamment, H. LABAYLE, « L’affaire Puigdemont et le mandat d’arrêt européen : chronique d’une faillite annoncée », Revue des affaires européennes, 2018, nº 3, p. 417 à 429 ; S. BRAUM, « L’affaire Carles Puigdemont : le droit pénal européen en crise de confiance », blog gdr-elsj, 15 juin 2018, accessible sur :

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d’espèce montrent que le juge national peut purement et simplement refuser de recourir au principe de confiance mutuelle lorsqu’il effectue un contrôle juridictionnel au sein de son prétoire.

Il convient de rappeler brièvement les faits de l’espèce. M. Puigdemont est le président catalan indépendantiste qui organise en 2017 un référendum d'autodétermination en Catalogne, malgré l’interdiction de la justice espagnole. Il quitte le territoire espagnol alors que le procureur général espagnol engage des poursuites pour sédition et rébellion. Il fait l’objet d’un MAE. Tour à tour saisis, les juges belges et allemands refusent l’exécution totale ou partielle du MAE au mépris des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles.

Les autorités judiciaires nationales d’exécution n’ont jamais posé de question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation à donner pour la bonne application des principes dans le cas d’espèce. Pourtant, la jurisprudence européenne antérieure dont ils ne pouvaient ignorer l’existence rendait un tel recours préjudiciel tout à fait envisageable et justifiable. Retirant le MAE, l’autorité judiciaire espagnole affirme d’ailleurs expressément son regret de ne pas avoir pu saisir la Cour sur la question du respect du principe de confiance mutuelle. Selon sa propre appréciation, les autorités judiciaires des autres États membres n’ont pas agi conformément à ce principe45. En tant qu’autorité judiciaire d’émission du MAE, il estime ne pas être compétent pour former un recours préjudiciel sur la base de l’article 267 TFUE concernant l’exécution du MAE.

De fait, la CJUE s’est vue « empêchée » dans son contrôle juridictionnel par l’abstention des juges nationaux belges et allemands. La Cour de justice n’a pu mener à bien sa mission de garantie du respect du droit de l’Union, nécessaire à l’effectivité du principe de confiance mutuelle.

En définitive, l’affaire Puigdemont révèle qu’au sein de son prétoire, le juge national peut d’une part, refuser d’appliquer le principe de confiance mutuelle entre États membres et, d’autre part, empêcher l’exercice du contrôle juridictionnel de la CJUE elle-même. Autrement dit, en pouvant refuser sa mise en œuvre et empêcher la protection directe de la Cour de justice, le juge national interroge l’effectivité du principe de confiance mutuelle.

L’exemple met en lumière un besoin de clarification sur le contrôle juridictionnel qui est ou doit être mené par les juges de l’ordre juridique de l’Union. À défaut d’informations ou d’obligations claires, le contrôle juridictionnel montre ses limites au niveau national. Il peut même empêcher le contrôle de la CJUE. Cette dernière en semble bien consciente et apporte sans cesse de nouveaux éclaircissements.

Par exemple, cinq jours après la décision du juge espagnol de retirer le MAE visant M. Puigdemont suite à la décision allemande, la CJUE précise dans une autre affaire que tant que le juge d’exécution n’a pas rendu sa décision sur le fond, les autorités judiciaires d’émission d’un MAE peuvent poser une question préjudicielle si elles estiment qu’elles pourraient être

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           http://www.gdr-elsj.eu/2018/06/15/informations-generales/laffaire-carles-puigdemont-le-droit-penal-europeen-en-crise-de-confiance/.

45 Voy. sur la dernière décision allemande : Tribunal Supremo, Sala de lo penal, 19 juillet 2018, n° 20907/2017, pp. 7 et 8. Communiqué de presse accessible sur http://www.poderjudicial.es/cgpj/es/Poder-Judicial/Tribunal-Supremo/Sala-de-prensa/Archivo-de-notas-de-prensa/El-juez-del-Tribunal-Supremo-Pablo-Llarena-rechaza-la-entrega-de-Carles-Puigdemont-solo-por-el-delito-de-malversacion.

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amenées à retirer le mandat en fonction des réponses46. Et ce, même si les questions portent sur les obligations de l’autorité judiciaire d’exécution puisque l’objectif est de respecter au mieux les droits fondamentaux de l’individu, objet d’un MAE qui risque dès lors avec son arrestation de connaître une atteinte à sa liberté individuelle.

L’efficacité du contrôle juridictionnel visant le principe de confiance mutuelle n’interroge pas qu’au niveau national. Lorsque la CJUE est saisie d’un recours préjudiciel, l’exercice de son propre contrôle juridictionnel peut également se révéler limité.

B.   L’affaire Celmer

En 2018, une seconde affaire interroge l’effectivité du contrôle juridictionnel dont bénéficie le principe de confiance mutuelle. L’affaire Celmer révèle le fait qu’au niveau européen, le juge de la CJUE se trouve confronté à des problèmes d’appréciation juridico-politique lors du contrôle juridictionnel de l’application du principe 47 . L’effectivité de la protection juridictionnelle offerte par la CJUE interroge alors.

En l’espèce, une juge irlandaise forme un recours préjudiciel afin de savoir si elle peut et/ou si elle doit, exécuter un MAE émis par la Pologne alors que cette dernière fait l’objet d’une procédure de l’article 7, § 1er, TUE48. En raison des réformes législatives qui porteraient atteinte à l’indépendance de la justice, la Commission européenne a enclenché la procédure après l’échec de la phase de dialogue. Elle invite ainsi le Conseil à constater qu’il existe un risque clair de violation grave de l’État de droit, valeur visée à l’article 2, par la Pologne 49.

                                                                                                                         46 Arrêt de la Cour du 25 juillet 2018, AY, C-268/17, ECLI:EU:C:2018:602, points 23 à 31. Après AY, l’arrêt

ML vient également fournir des précisions, cette fois sur le contrôle in concreto à mener selon la jurisprudence Aranyosi : arrêt de la Cour du 25 juillet 2018, ML, C-220/18 (PPU), EU:C:2018:58.

47 Le juge de la CJUE peut également se trouver confronté à un problème structurel. Sur ce point, il est possible de reprendre les propos de Brunessen Bertrand sur la justiciabilité du principe de subsidiarité pour les appliquer au principe de confiance mutuelle : B. BERTRAND, « Un principe politique saisi par le droit. La justiciabilité du principe de subsidiarité en droit de l’Union européenne », Rev. trim. dr. eur., 2012, vol. 48, n° 2, pp. 342, 346 et 347. Selon l’auteur, « la difficulté à laquelle se heurte le contrôle juridictionnel du principe est qu’il porte sur des éléments contingents qui le rendent trop aléatoires. Matériellement imprécis (…) », il serait par ailleurs « inefficace » car « structurellement conçu de manière à valider tout mesure au regard de la subsidiarité ». Surtout que « au-delà de la circularité, le raisonnement du juge est biaisé par la référence à l’alibi serait-on tenté d’écrire, à l’objectif du bon fonctionnement du marché intérieur. Là encore, il s’agit d’un objectif d’interprétation éprouvé dans la jurisprudence de la Cour de justice ». Le parallèle avec le principe de confiance mutuelle est tentant. D’un côté, l’objectif de l’instrument de reconnaissance mutuelle fondé sur la confiance mutuelle est le bon fonctionnement du marché intérieur ou de l’ELSJ. La non-exécution de l’instrument de reconnaissance mutuelle porterait nécessairement atteinte au bon fonctionnement et donc à la confiance mutuelle. De l’autre côté, le respect des droits fondamentaux par les États membres explique et justifie la confiance mutuelle qui fonde la reconnaissance mutuelle. L’existence d’une exception à la reconnaissance mutuelle pour la protection de ces droits ne fait que renfoncer cette confiance mutuelle. Voy. arrêt de la Cour du 16 février 2017, C.K. c. Slovénie, op. cit., point 80.

48 Irish High Court, 12 mars 2018, Minister for Justice and Equality v. Celmer, n° [2018] IEHC 119, point 42. Selon une traduction personnelle : « Le principal argument du requérant est que les récentes réformes législatives et les propositions de réformes législatives en Pologne créent un risque réel de déni de justice flagrant s'il est remis pour être jugé en Pologne. L’observation principale avancée est que ces changements sapent fondamentalement la base de confiance mutuelle qu’il existe entre les autorités judiciaires d'émission et d'exécution, de sorte que le fonctionnement du système du MAE est remis en question ».

49 Depuis le 22 décembre 2015, le Sejm (chambre basse du parlement polonais) a adopté des lois controversées concernant le fonctionnement du Tribunal constitutionnel ainsi que l'indépendance des juges. Plusieurs arrêts du Tribunal constitutionnel polonais déclarant leur inconstitutionnalité – le premier du 9 mars 2016 vise la loi

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Dès lors que l’indépendance de la justice polonaise est contestée, l’autorité judiciaire irlandaise se demande si l’État membre peut toujours bénéficier de la présomption de respect des droits fondamentaux. En effet, l’indépendance de la justice est une exigence de l’État de droit ; or, l’État de droit est une des valeurs communes fondant le principe de confiance mutuelle. Dès lors, si le fondement du principe n’est plus garanti, le principe peut-il toujours jouer avec la Pologne ? Autrement dit, bien que les exigences de fond et de forme prévues par la décision-cadre 2002 du MAE50 soient remplies, le juge irlandais peut-il toujours faire confiance à la justice polonaise51 et exécuter normalement un MAE ?

La juge irlandaise s’interroge sur les modalités du contrôle à effectuer afin d’évaluer, le cas échéant, le risque réel de déni flagrant de justice pouvant justifier une exception au principe. Elle cherche à savoir si le test prévu par la jurisprudence Aranyosi52 s’applique. Ce test impose un contrôle en deux étapes afin de vérifier de manière concrète et précise, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée court un risque réel de violation de l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants, réalisant ainsi la condition d’une « circonstance exceptionnelle ». D’abord, il faut procéder à appréciation in abstracto des « circonstances exceptionnelles » : il faut observer soit l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans les conditions de détention dans l’État membre d’émission du MAE, soit des défaillances touchant certains groupes de personnes, soit encore des défaillances touchant certains centres de détention dudit État. Ensuite, il convient d’apprécier in concreto, l’existence d’un risque réel de violation de l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants dont doit bénéficier l’individu visé par le MAE.

Dans l’affaire Celmer, selon le requérant, apprécier concrètement ce risque de violation de ses droits fondamentaux tel que l’exige la jurisprudence de la CJUE est impossible53. Puisque le risque d’atteinte à un droit fondamental vise l’indépendance de la justice polonaise dans son ensemble, sa preuve in concreto, à la charge du requérant serait difficile. Autrement dit, il ne pourrait prouver, seul, l’absence d’indépendance de la justice qui est établi au niveau systémique. Selon M. Celmer, apprécier ce risque de violation de ses droits fondamentaux selon le test Aranyosi serait même inutile dès lors que l‘indépendance de la justice polonaise est déjà contestée d’un point de vue institutionnel.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           adoptée le 22 décembre 2015 – n’ont pas encore été publiés au Journal officiel, de sorte qu'ils n'ont pas d'effet juridique.

50 Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, J.O. L 190 du 18 juillet 2002, p. 1.

51 Irish High Court, 12 mars 2018, Minister for Justice and Equality v. Celmer, op. cit., point 43 : « L'avocat soutient qu'il s'agit d'une affaire sans précédent. Il soutient que la question touche au cœur du fondement sur lequel toutes les affaires de MAE sont jugées. Il attire l'attention sur les critères, impliqués par des principes juridiques, que les tribunaux doivent utiliser pour apprécier le risque réel de violation des droits fondamentaux si une personne est remise à un autre État membre de l'Union européenne. L’avocat avance que ces critères reposent sur le principe de confiance mutuelle qui existe entre l'État d'émission et l'État d'exécution. Selon l'avocat, les circonstances actuelles signifient que l'on ne peut plus se fier à la présomption de la confiance mutuelle. En raison des changements législatifs intervenus en Pologne, le principe de confiance mutuelle n'étaient plus applicables et la validité des critères au regard des droits fondamentaux a été remise en question. Selon le défendeur, le moyen est particulièrement pertinent, car le ministre soutient que la remise ne devrait pas être interdite puisque le requérant n'a pas démontré un risque particulier pour lui » (notre traduction), accessible sur http://courts.ie/Judgments.nsf/09859e7a3f34669680256ef3004a27de/578dd3a9a33247a38025824f0057e747?OpenDocument.

52 Arrêt de la Cour du 5 avril 2016, Aranyosi-Caldarau, op. cit. 53 Irish High Court, 12 mars 2018, Minister for Justice and Equality v. Celmer, op.cit.

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Avec l’arrêt LM54, la réponse de la CJUE peut paraître décevante. Certes, la Cour reconnaît l’importance de l’indépendance de la justice dont le risque d’atteinte peut justifier, au même titre que le droit à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants, une exception du principe de confiance mutuelle. Cependant, ce faisant, l’arrêt s’inscrit exclusivement dans la logique de sa jurisprudence précédente.

D’une part, la Cour maintient sa jurisprudence antérieure stricte. Elle exige à nouveau un double contrôle du risque d’atteinte. Le risque de violation du droit au procès équitable doit être apprécié abstraitement et concrètement, c’est-à-dire pour le requérant dans le cas de l’espèce. La Cour de justice ne tient ainsi pas compte de la contestation de la charge de la preuve par le requérant devant le juge irlandais. À nouveau, la Cour de justice renvoie au juge national le devoir d’apprécier, dans le cas concret, le risque réel de violation du droit du requérant à un procès équitable.

D’autre part, la Cour de justice ne se prononce pas sur la violation ou non du fondement du principe de confiance mutuelle et/ou, sur l’effectivité actuelle ou non de la confiance mutuelle entre les États membres et la Pologne comme l’y interrogeait pourtant la juge irlandaise. La CJUE est confrontée à la dimension politique de la question. La procédure de l’article 7 enclenchée par la Commission est encore en cours. Elle est entre les mains du Conseil. La Cour refuse de se prononcer avant sous peine de vider cette « arme nucléaire »55 de toute sa substance.

La CJUE semble consciente des failles de la protection jurisprudentielle actuellement offerte. Elle a semblé à de nombreuses reprises appeler de ses vœux l’exercice d’un recours en manquement56. La Commission européenne a répondu présente57 permettant à la Cour de condamner la Pologne pour manquement au droit de l’Union, en se fondant pour la première fois sur l’article 2 TUE58.

L’importance du contrôle juridictionnel du principe de confiance mutuelle est claire. Le principe de confiance mutuelle s’avère bien fragile sans un contrôle juridictionnel effectif et efficace de la part de l’ensemble des juges de l’Union. D’autant plus que paradoxalement, la politique peut constituer une de ses faiblesses.

En arrière-plan des affaires judiciaires précédemment évoquées se perçoit le problème de la bataille politique qui se joue sur la scène européenne. Le soutien constant de la Hongrie a soutenu la Pologne n’a pas empêché la condamnation de l’État dans le cadre de la procédure en manquement devant la CJUE59. En revanche, l’opposition affichée de l’alliance de Višegrad60 à voir la procédure de l’article 7 TUE aboutir se révèle plus problématique.

                                                                                                                         54 Arrêt de la Cour du 25 juillet 2018, LM, C-216/18 (PPU), EU:C:2018:586. 55 F. SUDRE, « La Communauté européenne et les droits fondamentaux après le Traité d'Amsterdam : Vers un

nouveau système européen de protection des droits de l'homme ? », J.C.P. - La Semaine juridique édition générale, 1998, n° 1-2, p. 16 ; D. KOCHENOV, « Busting the myths nuclear: A commentary on Article 7 TEU », EUI Working Paper LAW, 2017/10, 21 p.

56 Arrêts de la Cour du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, op.cit. ; de la Cour du 19 mars 2019, Ibrahim, op. cit.

57 Recours introduit le 2 octobre 2018, Commission c. République de Pologne dans l’affaire C-619/18. 58 Arrêt de la Cour du 24 juin 2019, Commission c. Pologne, C-619/18, EU:C:2019:531. 59 Ibid. 60 La mise en œuvre du mécanisme de l’article 7 TUE s’est trouvée confrontée à un obstacle politique

inattendu : l’alliance de Višegrad. Le groupe informel réunissant quatre pays d’Europe centrale – la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie – a affirmé s’opposer à la mise en œuvre de la procédure de sanction à l’encontre de deux de leur membre, la Pologne et la Hongrie. S’ils n’ont pu

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Working paper 2/2020 – La confiance dans l’Union dix ans après Lisbonne

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Special  Working  Papers  Series  2/2020  

L’article 7 TUE est supposé être la garantie ultime de la confiance mutuelle entre États membres au sein de l’Union. Il garantit la permanence du partage de valeurs sur laquelle celle-ci se fonde. Cependant si en tant que minorité de blocage un groupe d’États membres alliés peut systématiquement empêcher la mise en œuvre complète de la protection offerte par le mécanisme de l’article 7 TUE, ce dernier devient inapplicable. L’instrument spécifique de garantie du partage continue des valeurs communes semble inutilisable. Fragilisé, le fondement matériel du principe de confiance mutuelle entre États membres avancé par la CJUE dans l’avis 2/13 devient discutable. Nécessairement par ricochet, le principe lui-même s’en trouverait affaibli.

En réalité, l’actualité judiciaire, et l’actualité politique qui transparaît en fond, interrogent plus largement la construction européenne. La confiance mutuelle qui y est invoquée comme principe justificateur est-elle suffisamment traitée comme tel par ceux qui l’invoquent ? Dès lors qu’elle est invoquée comme un principe du droit de l’UE par les institutions et les États membres afin d’obliger les autorités nationales à « ne pas faire » ; elle les engage eux-mêmes.

Les décideurs politiques doivent prendre les mesures nécessaires au maintien et au renforcement de la confiance mutuelle. Il ne faut pas oublier que la confiance est un don fragile, confiance n’est pas foi. Il ne faut pas non plus oublier que parler de confiance, c’est déjà reconnaître qu’il en manque61. À l’heure du Brexit et des clivages conceptuels entre États de l’Est et États de l’Ouest, il convient de se mettre d’accord sur la forme que doit prendre le projet d’intégration pour redéfinir la confiance au sein de l’UE et entre ses membres 62.

En définitive dix ans après Lisbonne, la véritable question que le principe de confiance mutuelle pose est celle du projet européen que les États membres souhaitent ou non poursuivre. Dans ce débat sur l’avenir de l’Union, il semble que la question de la confiance mutuelle n’est plus une simple question de principe. Il semble surtout que la réponse se trouve entre les mains des États membres.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           empêcher l’enclenchement des procédures, ils pourraient faire en sorte qu’elles n’aboutissement sur aucune sanction puisque qu’un vote au sein du Conseil ou du Conseil européen est systématiquement exigé.

61 E. BROUWER et D. GERARD (ed.), « Mapping mutual trust: understanding and framing the role of mutual trust in EU Law », European University Institute, Max Weber Programme, EUI Working Paper MWP, 2016/13, p. 13.

62 A. WILLEMS, « Mutual trust as term of art in EU criminal law: revealing its hybrid Character », European Journal of Legal Studies, 2016, vol. 9, n°1, pp. 234 à 241.