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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER La confusion mentale en cancérologie Delirium in patients with cancer I. Piollet Reçu le 30 septembre 2013 ; accepté le 17 novembre 2013 © Springer-Verlag France 2013 Résumé La confusion mentale (CM) est la complication neuropsychique la plus fréquente survenant chez les patients atteints de cancer. Signe singulier, car parfois spectaculaire, de vulnérabilité, elle est souvent associée à un taux élevé de morbidité et de mortalité et provoque une détresse impor- tante chez les patients, leurs proches et les soignants. Pour réduire cet impact, il apparaît essentiel daméliorer le dépis- tage et la précocité des démarches diagnostiques et thérapeu- tiques, la CM étant souvent sous-diagnostiquée et de ce fait traitée de façon inappropriée. Le traitement doit être étiolo- gique, symptomatique et environnemental, à adapter dans les phases palliatives. Mots clés Confusion · Complication neuropsychique · Diagnostic précoce · Traitement étiologique · Traitement symptomatique et environnemental Abstract Delirium is the most common neuropsychiatric complication seen in patients with cancer. Delirium is often a spectacular sign of vulnerability, although it is associated with significant morbidity and mortality as well as distress for patients, families and caregivers. Improved recognition and early treatment of delirium are key points in order to reduce its prevalence and negative outcomes, delirium being too often under-recognized and inappropriately treated. Treatment is an association of pharmacological and non- pharmacological interventions, to be adapted in the palliative care setting. Keywords Delirium · Neuropsychiatric complication · Early diagnostic · Pharmacological treatment · Non- pharmacological treatment La confusion mentale (CM) est la complication neuropsychi- que la plus fréquente observée chez des patients atteints de cancer, qui, de plus, augmente gravement leur vulnérabilité. Elle est, en effet, associée à un taux de morbidité et de mor- talité élevé [15]. Elle est souvent sous-diagnostiquée, et quand elle lest, ne fait pas toujours lobjet dun traitement adapté, alors quelle provoque une détresse intense chez les patients, leurs proches et les soignants [5]. L enjeu est dau- tant plus important que ce syndrome peut être réversible sil est traité conjointement de manière symptomatique et étiolo- gique. La CM doit faire lobjet dun diagnostic précoce et le traitement doit être considéré comme une urgence, même sil diffère dans ses objectifs et ses moyens en fonction de létape de la maladie. Depuis une dizaine dannées, un nom- bre croissant détudes a été consacré à ce sujet, permettant détablir un certain nombre de recommandations de bonnes pratiques cliniques, allant du dépistage aux différentes interventions thérapeutiques [5]. En France, un référentiel portant sur ce thème a fait lobjet dun travail de groupe, publié et diffusé conjointement sur les sites de la SFPO et de lAfsos [24]. Définitions La CM est un dysfonctionnement cérébral global, non spé- cifique, souvent transitoire et réversible, témoignant dune souffrance cérébrale secondaire à des processus organiques (en langue anglaise, on utilise le terme de delirium). Il sagit dun syndrome affectant plusieurs fonctions neuropsychi- ques, doù un polymorphisme clinique rendant difficile le diagnostic précoce et une évaluation fiable de lintensité des troubles. Le début est souvent brutal ou rapidement pro- gressif et lintensité des troubles très fluctuante et sensible aux conditions de lenvironnement, en particulier la stimula- tion [4]. On doit être alerté chez un patient présentant depuis peu : une modification dattitudes (arrachage de sondes, de perfu- sions), un regard perplexe, hagard, perdu, un refus de soin, dalimentation ou de boissons, des propos décousus, I. Piollet (*) Psychiatre, unité de psycho-oncologie, Institut Sainte-Catherine, 250, chemin de Baigne-Pieds CS 80005, F-84918 Avignon cedex 09, France e-mail : [email protected] Psycho-Oncol. (2013) 7:204-209 DOI 10.1007/s11839-013-0440-4

La confusion mentale en cancérologie; Delirium in patients with cancer;

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Page 1: La confusion mentale en cancérologie; Delirium in patients with cancer;

ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

La confusion mentale en cancérologie

Delirium in patients with cancer

I. Piollet

Reçu le 30 septembre 2013 ; accepté le 17 novembre 2013© Springer-Verlag France 2013

Résumé La confusion mentale (CM) est la complicationneuropsychique la plus fréquente survenant chez les patientsatteints de cancer. Signe singulier, car parfois spectaculaire,de vulnérabilité, elle est souvent associée à un taux élevé demorbidité et de mortalité et provoque une détresse impor-tante chez les patients, leurs proches et les soignants. Pourréduire cet impact, il apparaît essentiel d’améliorer le dépis-tage et la précocité des démarches diagnostiques et thérapeu-tiques, la CM étant souvent sous-diagnostiquée et de ce faittraitée de façon inappropriée. Le traitement doit être étiolo-gique, symptomatique et environnemental, à adapter dans lesphases palliatives.

Mots clés Confusion · Complication neuropsychique ·Diagnostic précoce · Traitement étiologique · Traitementsymptomatique et environnemental

Abstract Delirium is the most common neuropsychiatriccomplication seen in patients with cancer. Delirium is oftena spectacular sign of vulnerability, although it is associatedwith significant morbidity and mortality as well as distressfor patients, families and caregivers. Improved recognitionand early treatment of delirium are key points in order toreduce its prevalence and negative outcomes, delirium beingtoo often under-recognized and inappropriately treated.Treatment is an association of pharmacological and non-pharmacological interventions, to be adapted in the palliativecare setting.

Keywords Delirium · Neuropsychiatric complication ·Early diagnostic · Pharmacological treatment · Non-pharmacological treatment

La confusion mentale (CM) est la complication neuropsychi-que la plus fréquente observée chez des patients atteints decancer, qui, de plus, augmente gravement leur vulnérabilité.Elle est, en effet, associée à un taux de morbidité et de mor-talité élevé [15]. Elle est souvent sous-diagnostiquée, etquand elle l’est, ne fait pas toujours l’objet d’un traitementadapté, alors qu’elle provoque une détresse intense chez lespatients, leurs proches et les soignants [5]. L’enjeu est d’au-tant plus important que ce syndrome peut être réversible s’ilest traité conjointement de manière symptomatique et étiolo-gique. La CM doit faire l’objet d’un diagnostic précoce et letraitement doit être considéré comme une urgence, même s’ildiffère dans ses objectifs et ses moyens en fonction del’étape de la maladie. Depuis une dizaine d’années, un nom-bre croissant d’études a été consacré à ce sujet, permettantd’établir un certain nombre de recommandations de bonnespratiques cliniques, allant du dépistage aux différentesinterventions thérapeutiques [5]. En France, un référentielportant sur ce thème a fait l’objet d’un travail de groupe,publié et diffusé conjointement sur les sites de la SFPO etde l’Afsos [24].

Définitions

La CM est un dysfonctionnement cérébral global, non spé-cifique, souvent transitoire et réversible, témoignant d’unesouffrance cérébrale secondaire à des processus organiques(en langue anglaise, on utilise le terme de delirium). Il s’agitd’un syndrome affectant plusieurs fonctions neuropsychi-ques, d’où un polymorphisme clinique rendant difficile lediagnostic précoce et une évaluation fiable de l’intensitédes troubles. Le début est souvent brutal ou rapidement pro-gressif et l’intensité des troubles très fluctuante et sensibleaux conditions de l’environnement, en particulier la stimula-tion [4].

On doit être alerté chez un patient présentant depuis peu :une modification d’attitudes (arrachage de sondes, de perfu-sions…), un regard perplexe, hagard, perdu, un refus desoin, d’alimentation ou de boissons, des propos décousus,

I. Piollet (*)Psychiatre, unité de psycho-oncologie,Institut Sainte-Catherine,250, chemin de Baigne-Pieds CS 80005,F-84918 Avignon cedex 09, Francee-mail : [email protected]

Psycho-Oncol. (2013) 7:204-209DOI 10.1007/s11839-013-0440-4

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bizarres, inadaptés, voire incohérents, une inversion desrythmes veille–sommeil, une agitation nocturne, une agres-sivité, des cauchemars intenses, voire des hallucinations(même critiquées)… Tout cela met sur la piste d’un syn-drome confusionnel, dont le diagnostic reste à valider.

On peut décrire les principales catégories de symptômesselon les critères DSM-IV R du delirium ou de la CIM-10.On observe ainsi [19] :

• les troubles de la vigilance et de l’attention : il s’agit d’uneobnubilation de la conscience c’est-à-dire une diminutionde l’état de conscience de l’environnement, avec réduc-tion de la capacité à diriger, focaliser ou déplacer sonattention ;

• les troubles cognitifs : altération de la mémoire immédiateet des faits récents mais une certaine préservation de lamémoire des faits anciens ;

• les troubles du comportement qui se manifestent selontrois formes cliniques : la forme agitée (agitation, agressi-vité) ; la forme ralentie (apathie, somnolence) ; la formemixte (alternances parfois rapides et imprévisibles de laforme agitée à la forme ralentie) [21,26]. On repère sou-vent une augmentation du temps de réaction, une augmen-tation ou une diminution du flux verbal, une exagérationde la réaction de sursaut ;

• les troubles du sommeil : insomnie, voire perte totale dusommeil, inversion du cycle nycthéméral, aggravationnocturne des symptômes, cauchemars et onirisme pouvantpersister au réveil sous forme d’hallucinations, d’illu-sions, de fausses reconnaissances, de délire volontiers àthème de persécution.

Données épidémiologiques

La fréquence de ce syndrome est sous-estimée dans la pra-tique quotidienne en cancérologie : en effet, on évalue à un àdeux tiers les cas de CM sous-diagnostiquées, détectées tar-divement, voire non détectées [20]. Il concerne pourtant prèsde 80 % des patients en phase terminale de cancer, 8 à 40 %des patients hospitalisés en cancérologie [4] et 15 à 70 % despersonnes âgées en postopératoire [8].

La forme ralentie est la plus fréquemment rencontrée enparticulier dans le contexte de soins palliatifs, pouvantconcerner 50 à 86 % des cas [19], la forme agitée ne repré-sentant qu’une minorité des formes cliniques (13 à 46 % enphase palliative) mais il s’agit paradoxalement de la forme laplus souvent diagnostiquée, car la plus bruyante.

Quand on envisage la dimension pronostique, on consi-dère que la CM est toujours un facteur pronostique de gravitéet, dans un contexte de soins palliatifs, un facteur prédictif dedécès [7]. Enfin, on sait que le devenir des formes somno-lentes (les moins diagnostiquées) est plus sévère que celuides formes agitées.

Prévention

La prévention de la CM passe avant tout par un bon repéragedes facteurs de risque [18]. Ces facteurs sont listés dans leTableau 1.

Un certain nombre d’actions préventives peuvent êtremises en œuvre [12,17,25]. Il peut s’agir d’actions médica-les, comme l’incitation à la prudence dans les polymédica-tions, la surveillance des équilibres métaboliques ; maisaussi d’actions en soins infirmiers, telles que la mobilisation,l’hydratation, la transmission d’informations avec la famillenotamment pour les patients maintenus à domicile [3]. Laprévention passe aussi par la sollicitation des proches quipeuvent avoir un rôle important à jouer en termes de pré-sence, de stimulation ou sur la gestion du rythme de vie quo-tidienne. Cependant, l’évaluation de l’efficacité de cesactions préventives reste encore délicate [5].

Plusieurs essais de traitements médicamenteux préventifsont été réalisés avec de petites doses d’halopéridol, d’olan-zapine, de rispéridone ou encore de mélatonine. Une revueCochrane réalisée en 2007 révèle l’absence de résultat pro-bant, mais précisons que ces essais ne sont pas spécifiques àla cancérologie [5].

Dépistage

Les actions de dépistage permettent un diagnostic plus pré-coce et un moindre recours aux neuroleptiques [15]. Pour ce

Tableau 1 Facteurs de susceptibilité ou de risque.

Facteurs démographiques Âge supérieur à 65 ans, sexe masculin

Facteurs médicaux Polymédications (corticoïdes, opioïdes, BZD), comorbidités sévères (HTA, diabète),

évolutions métastatiques, douleur non contrôlée, déshydratation, période postopératoire

Facteurs psychopathologiques

et émotionnels

ATCD de confusion mentale, troubles cognitifs préexistants, troubles psychopathologiques

Émotions, conflits

Facteurs comportementaux

et de mode de vie

ATCD d’addictions, changement de lieux de soins, hospitalisation de longue durée,

inactivité, immobilité

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faire, tous les soignants devraient être impliqués, en particu-lier ceux du domicile. Des évaluations plus spécifiques peu-vent être organisées par exemple dans le cadre de consulta-tions gériatriques ou en soins intensifs postopératoires. Àdéfaut de cette systématisation, le dépistage doit au mini-mum concerner les populations à risque, à savoir les person-nes âgées, les patients en phase évoluée de leur maladie, lespatients recevant des traitements confusogènes ou en situa-tion de sevrage.

L’échelle de dépistage du delirium (EDD), validation enfrançais de la Nu-DESC, constitue un outil de dépistage inté-ressant et qui permet en outre d’évaluer l’intensité du troubleet ses fluctuations dans le temps [13]. Plusieurs autres échel-les de mesure de la CM ont été validées chez les patientsatteints de cancer, dont la Confusion Assessment Method(CAM) [16]. Cette dernière, plutôt présentée comme uneéchelle diagnostique et bien que non encore validée en fran-çais, est largement utilisée en France par les gériatres.

Démarche diagnostique

La précocité du diagnostic est fondamentale, surtout dans lesformes ralenties, plus difficiles à repérer ; et se justifie à plusd’un titre. Il s’agit d’une part de prendre en charge certainescauses aisément curables et qui relèvent d’une correction enurgence. Par ailleurs, le syndrome confusionnel peut engen-drer divers types de risque (fugue, chute, violence, suicide)et augmenter la prévalence et/ou l’intensité d’autres symp-tômes tels que la douleur [15], enfin il perturbe toutes lesrelations avec et autour du patient, susceptibles d’entraînerune souffrance intense du patient et de ses proches [4].

Le diagnostic précoce est difficile à poser, car il passe parla recherche de signes souvent discrets. Cela nécessite uninterrogatoire précis (orientation temporospatiale, mémori-sation immédiate, difficultés d’attention…) et une attentionportée aux changements de comportements récents, notam-ment à travers une modification du caractère, des troubles ducomportement (agitation) ou encore des troubles du sommeilavec cauchemars. Cette précocité diagnostique exige égale-ment un partage des observations entre l’ensemble des pro-fessionnels concernés et les proches du patient, du fait de lavariabilité importante des symptômes dans le temps. Lediagnostic et la prise en charge de la CM dépendent néces-sairement d’un travail interdisciplinaire [25].

Les difficultés diagnostiques sont d’autant plus grandesqu’il existe un certain nombre d’idées « reçues » sur laCM. Non, il ne s’agit pas d’un trouble psychiatrique, mêmesi la CM est associée à une expérience de souffrance psycho-logique souvent intense pour le patient et les proches et si lessymptômes sont influencés par le contexte émotionnel. Lessymptômes de la confusion sont certes de nature psychia-trique et les traitements recommandés communs à ceux des

psychoses, mais pour autant, le déterminisme en est totale-ment différent. Non, il ne s’agit pas non plus d’un problèmelié au vieillissement même si le grand âge et l’existenced’une démence représentent des facteurs de risque impor-tants. La CM survient brutalement, peut être réversible etn’est pas forcément associée à une détérioration organiquecérébrale définitive. Non, il ne s’agit pas d’un problème quiconcernerait exclusivement les médecins, même si la CMconstitue de fait une urgence médicale nécessitant un diag-nostic et une thérapeutique rapides. Étant donné la variabilitédes manifestations cliniques selon le moment et le contexte,le repérage et l’évaluation des symptômes doivent impliquertous les soignants, surtout ceux de proximité !

Traitements

Il s’agit d’abord de répondre à une urgence médicale etsoignante.

Objectifs thérapeutiques

Ils sont de plusieurs natures et doivent toujours être associés[15]. Ils diffèrent évidemment en fonction du stade de lamaladie [11].

Ils sont d’une part d’ordre étiologique. Il ne faut pasoublier que des facteurs de causalité immédiatement cura-bles peuvent entraîner la réversibilité du trouble confusion-nel. La CM constitue une souffrance cérébrale organique,même si on ne parvient pas toujours à en connaître la cause,l’élimination formelle de toute étiologie organique étantimpossible [14]. La recherche des causes somatiques cura-bles doit se faire de façon adaptée, en tenant compte de l’étatdu patient et du stade de la maladie, ce qui impose de savoirprioriser les bilans et les examens. Ils doivent être entrepris aminima lors des phases terminales de maladie [25] ou dansdes contextes complexes de plurifactorialité : par exemple,chez un patient présentant une tumeur cérébrale, une infec-tion générale, un traitement morphinique et corticoïde, et unglobe vésical, la recherche de causes supplémentaires peutêtre différée, en fonction de l’évolution clinique et de la faci-lité/faisabilité de la recherche étiologique. Il importe égale-ment de rechercher d’éventuels facteurs psychopatholo-giques aggravants (l’anxiété par exemple), à prendre encompte dans une optique de prise en charge globale.

Ils sont d’autre part d’ordre symptomatique et environne-mental. Leur but est de préserver au mieux la sécurité et leconfort du patient, de la famille et des soignants, en dimi-nuant la souffrance pour tous. La volonté d’aller dans le sensd’un rétablissement des fonctions cognitives est un garant dumaintien de la dignité du patient. Les objectifs de ces traite-ments consistent aussi à mieux prévenir un risque de mal-traitance, et l’on peut donner ici l’exemple de la contention

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physique inopinée. Rappelons les recommandations établiespar l’HAS au sujet de cette question de la contention phy-sique, qui doit toujours constituer une prescription médicaleet respecter des procédures précises que chaque établisse-ment a la charge d’établir. L’enjeu est aussi de préparer la« sortie de crise » en réduisant le traumatisme lié à l’épisodeconfusionnel lui-même. Soulignons enfin l’impact intéres-sant de cette prise en charge globale sur les dépenses desanté, susceptible d’éviter des réhospitalisations ou d’enréduire la durée.

Traitement étiologique

Il doit être entrepris d’autant plus que la CM est aiguë etinattendue. Une cause qui peut être rapidement curableassure la réversibilité du syndrome confusionnel [20]. C’estle cas de 50 % des épisodes confusionnels survenant dans lecadre d’une maladie évoluée, comme le cancer [6]. Toute-

fois, dans 50 % des cas, on ne trouve pas d’étiologie uni-voque mais plutôt l’intrication de plusieurs causes. Le traite-ment étiologique ne dispense pas du traitementsymptomatique et environnemental. On a déjà bien insistésur le fait qu’en phase palliative, d’autres démarches de soinspeuvent être entreprises.

Les principales étiologies à prendre en compte sont décri-tes dans le Tableau 2 et les examens complémentairesrecommandés dans le Tableau 3. Ils sont à hiérarchiser selonla clinique et le pronostic vital.

Traitement symptomatique

Quelle que soit la forme clinique de la confusion (agitée,ralentie ou mixte), les préconisations sont les mêmes [1] :

• en premier lieu, il est recommandé de « nettoyer la pan-carte », ce qui consiste à réévaluer si possible l’ensembledes prescriptions en tenant compte de la chronologie de

Tableau 2 Principales étiologies.

Causes métaboliques et nutritionnelles Troubles hydroélectrolytiques (Na, Ca, Ph, Mg), troubles du métabolisme

glucidique, insuffisances respiratoires, rénales, hépatiques, déficits

vitaminiques (B1, B12), troubles endocriniens, syndromes carcinoïdes

Tumeurs parenchymateuses ou méningées

Traitements médicamenteux symptomatiques Opioïdes, benzodiazépines, antidépresseurs, neuroleptiques, corticostéroïdes,

anticholinergiques, antiépileptiques, antihistaminiques, antifungiques,

quinolones

Traitements oncologiques Chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie : cyclosporine A, méthotrexate,

aracytine, 5-fluoro-uracil, cisplatine, vincristine, procarbazine, L-asparaginase,

agents alkylants, interférons, mitotane (vigilance de principe pour toute

nouvelle substance)

Infections du système nerveux Abcès, méningites, encéphalites, méningo-encéphalites

Infections systémiques « Sepsis »

Pathologies vasculaires du système nerveux Hématomes intra-, sous- et extracérébraux, hémorragies sous-arachnoïdiennes,

AVC ischémiques

Syndromes paranéoplasiques

Épilepsie

Rétention urinaire, fécalome

Tableau 3 Examens complémentaires recommandés à hiérarchiser selon la clinique et le pronostic vital.

NF Plaquettes Bilan de coagulation : TQ, TCA

Paramètres infection/inflammation : PCR, procalcitonine, VS, lactates,

hémocultures, CBU, radiographie thoracique

Dosages vitaminiques : B12, B1, acide folique

Gaz du sang : PO2, PCO2, PH Bilan endocrinien : cortisol, T4

Électrolytes : Na, K, Ca, Mg, PO4 Dosages médicamenteux : théophylline, digoxine,

antiépileptiques

Glycémie IRM ou TDM

Bilan rénal : urée, créatinine EEG

Bilan hépatique : bilirubine, ALAT, ASAT, TP, protidémie, ammoniémie Ponction lombaire

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leur installation mais aussi des fonctions hépatiques etrénales. Rappelons qu’en l’absence d’insuffisance méta-bolique, un traitement psychotrope ou antalgique anté-rieurement bien toléré n’a pas de raison de devenir confu-sogène. Cette mise à plat des prescriptions peut exiger ladiminution de la posologie ou la réalisation d’une rotationdes opioïdes, la diminution de la posologie des antidé-presseurs et hypnotiques, ainsi que des corticoïdes ;

• en parallèle, il est essentiel de surveiller hydratation etéquilibre nutritionnel ;

• enfin, un traitement médicamenteux est mis en route [15].Des neuroleptiques doivent être prescrits en premièreintention. La bonne efficacité de l’halopéridol, principale-ment dans les formes agitées, ainsi que sur l’onirisme etles hallucinations, est largement reconnue [4], de mêmeque celle de certains antipsychotiques atypiques (rispéri-done, olanzapine) [22]. Les benzodiazépines sont à évitersauf dans certaines situations symptomatiques particu-lières, comme le delirium tremens, le sevrage aux benzo-diazépines et les situations de phase terminale de la mala-die [19].

Les modalités de prescription sont bien argumentées dansla littérature et ont fait l’objet de recommandations [2,5].

Lorsque la voie orale est possible, il est préconisé d’utili-ser l’halopéridol en soluté buvable ou en comprimé à la doseinitiale de 0,5 à 2 mg en une à deux prises par jour. La doseest à moduler toutes les 12 heures en fonction de la clinique.La posologie moyenne se situe entre 1 et 10 mg par jour. Sila voie orale est impossible, il est préconisé d’utiliser l’halo-péridol en solution injectable, par voie intramusculaire, à ladose d’une demie à une ampoule, à répéter si besoin toutesles heures jusqu’au contrôle de l’agitation, sans dépasser ladose quotidienne de 20 mg. La voie IVSE est possible si ladose reste inférieure à 2 mg/24 h. Au-delà, le patient doit êtreplacé sous surveillance cardiologique intensive pour élimi-ner un TDR ou des torsades de pointes [23]. La voie sous-cutanée peut être utilisée dans un contexte palliatif (1–2 mg/24 h) [19].

Lorsque les symptômes sont contrôlés, il y a lieu d’effec-tuer un relais per os avec décroissance rapide des doses puisarrêt, pour éviter de pérenniser ce traitement. Dans les autressituations, l’avis du psychiatre est recommandé pour l’utili-sation de neuroleptiques associés, tels les phénothiazines (10à 50 mg/j), l’utilisation d’autres antipsychotiques, tels la ris-péridone (0,5 à 4 mg/j) ou l’olanzapine (2,5 à 10 mg/j), voirede méthylphénidate, dans certaines formes ralenties [9,10].

Ces préconisations thérapeutiques sont différentes en casde predelirium ou de delirium tremens liés au sevrage alcoo-lique, qui relèvent de l’utilisation de benzodiazépines etd’une vitaminothérapie, les neuroleptiques n’étant utilisésqu’en cas d’hallucinations majeures et résistantes.

Une préconisation thérapeutique différente peut se justi-fier en soins palliatifs, dans les confusions dites terminales,pouvant relever d’une sédation à l’aide de benzodiazépines(midazolam : 0,5 à 2 mg/h) [25].

Traitement environnemental

Il est de l’ordre du nursing de l’éducation et de l’information,dans le but d’agir sur l’environnement du patient et de sou-tenir les proches [5,15].

Les grandes orientations sont principalement :

• d’éviter la contention si possible, mais elle peut êtrenécessaire en cas de dangerosité. La contention doit tou-jours relever d’une prescription médicale ;

• de donner des repères : éclairage suffisant, ambiancecalme, noms des soignants, précision des lieux (lesdécrire, les nommer), temps (horloge, calendrier), rituelsannoncés (repas, visite médicale), maintien des audiopro-thèses et lunettes, objets familiers, présence de la famille ;

• de rassurer le patient et sa famille vis-à-vis de la peur dedevenir « fou », ce qui suppose d’expliquer les troubles etde légitimer les comportements ;

• de stimuler pendant la journée pour conforter le rythmenycthéméral.

Fin de la crise

La fin de l’épisode nécessite également une démarche desoin. La communication au décours de l’épisode de confu-sion est importante et doit être réalisée avec le patient maisaussi avec ses proches, le souvenir de l’épisode étant souventtraumatique pour tous [15]. On estime à 70 % les états confu-sionnels incomplètement résolus au moment de la sortied’hospitalisation du malade lorsqu’il est âgé de plus de65 ans !

Conclusion

La CM représente une complication majeure du cancer et deses traitements, surtout chez les patients âgés et hospitalisés.Une vigilance en termes de repérage chez les sujets à risque,une démarche diagnostique précoce et une prise en chargeadaptée sont essentielles pour améliorer la qualité de vie despatients et minimiser son impact sur la morbidité. Lesrecommandations thérapeutiques sont plutôt bien définies àl’heure actuelle, surtout pour les traitements symptomatiquesqui ont fait la preuve de leur efficacité. Il est en particulierrecommandé d’utiliser les médicaments antipsychotiquespour contrôler les symptômes de la CM, le gold standardrelevant toujours aujourd’hui du recours à petites dosesd’halopéridol sur des périodes courtes. Les soins non

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pharmacologiques sont recommandés lorsqu’ils sont faisa-bles, même si leur efficacité est jusque-là moins argumentéedans la littérature. La survenue d’une CM confronte souventà des problématiques complexes. En soins palliatifs, ellenécessite une intégration des recommandations de l’evidencebased medicine à des réflexions éthiques.

Conflit d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflitd’intérêt.

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