la croix du sud

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    De I'appropriation-exproprfation du dire au "gommage" deI'alterite dans La croix du sud de Joseph Ngoue

    (D e la apropriacion-expropriacion de la palabra a la "negacion" de la alteridad en LaCroix du sud d e J os ep h Ngoue)(From the appropriation-expropriation of the speech to the "rubbing" of the other in LaCroix du sud o f Jo se ph Ngoue)

    Jean-Benoit Tsofack

    D epartement de Langues Etrangeres Appliquees. Faculte des Lettres et Sciences Humaines,Universite de Dschang. BP 49 D schang-C am eroun, T el: (+237) 777 1686. Fax: (+237) 3451673. Courriels : [email protected] / [email protected] [1132-3310 (2004)13, 249-268]

    ResumeC et article vise ,1 montrer que Ie racisme, qui est l e them e structurateur de La Croix du sud(1997), nest pas seulement Ie fait d 'un discours tenu sur les races (valorisation oud evalo risation d 'u ne race). II est aussi et surtout un fait d'appropriation, d 'expropriation et deconfrontation des paroles conduisant d 'une part it la denegation de I'au tre par un discoursschizophrene et coprolatique et d'autre part, it I'elahoration d 'un discours de la resistance etde la prophetic fonde sur une redistribution des places.M ots-cles : Parole. R eprise enonciative. A ppropriation. Legitim ation. R acism e,ResumenEI propos ito de este articu lo es demostrar que el racismo, que es el tema estructurador de LaCroix du sud (1997), no solo es un discurso sobre las razas (valorizacicn 0 desvalorizacion deuna raza). Es tambien y sobre todo un heche de apropiacion de la Palabra que conduce a lanegaci6n del otro mediante un discurso esquizofrenico y coprolatico. Igualmente, conduce al a e laborac ion de un discurso de l a res is tencia y de l a p ro feci a que exigc una redistribuci6n delo s ro le s.Palahlas clave: D iscurso. E nunciacion. A propiaci6n. Legitim acion. R acism o.AbstractThe main purpose of this article is to show that the racism , which is the fundamental theme inLa Croix du sud (1997), is not only the effect of language centred on races (valorisation ordevalorization of a race). It is, above all, the effect of appropriation, expropriation and clashof speeches geared towards the denial of the other through a schizophrenic discourse and, onthe other hand, the development of a speech of resistance and prophecy based on areassessm ent of roles.K eyw ords: Speech. Enonciation. A ppropriation. L egitim ation. R acism .

    mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]
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    De tous les modes de communication interpersonnelle, le discours' estcelui qui offre a un sujet de parole la possibilite de se dire soi-rneme et de direl 'autre en tant que partie prenante de I'interaction verbale. Toute enonciationetant, comme Ie dit Benveniste, une allocution par laqueIIe le sujet inscrit sapresence et sa parole, mais aussi la parole ou la presence de I'autre (I'autre endiscours). On Ie sait en effet, chaque discours est ainsi pris dans la logique d'uninterdiscours (Maingueneau, 2002: 41) qui fait qu'il ne prend veritablementsens qu'a linterieur d'un univers d'autres discours a travers lequel il do it sefrayer un chemin.

    La Croix du sud de Joseph Ngoue (1997) est sans nul doute un univers desdiscours sur les races, de confrontation des memes face aux autres, maisbeaucoup plus un univers ou les uns et les autres se positionnent socialement parles paroles. En effet, riche, puissant et honore, Ie personnage central, WilfriedHotterman mime une vie bourgeoise dans une ville raciste du sud. II participecomme il peut a la defense de la cosa nostra Blanche jusqu'au jour ou il estpreuve que du sang noir coule dans ses veines. Pour les siens, cette revelation(une parole) est consideree comme une trahison (une autre parole) que seul I'exilJU la mort peuvent expier. II tombera done, crible de balles par une maininvisible.

    Notre propos dans cet article est de montrer que le racisme, qui est ainsile theme structurateur de La Croix du sud n'est pas seulement le fait d'undiscours tenu sur les races (valorisation ou devalorisation d'une race), mais aussiet surtout un fait de textualisation des paroles qui s'affrontent, s'approprient ous'exproprient. Ce qui aboutit ainsi successivement au "desengagernent" du je

    I Le mot discours est ici 11prendre dans le sens de tout ce qui est expression verbale d'unindividu dans un cadre situationnel donne. Un discours conversationnel peut se definir enterme de nornbre de participants (dialogal / monologal) et du nombre d'intentionsargumentatives non complementaires (dialogique / monologique).250 Francofonta, 13,2004,249-268

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    (Rojtman, 1980: 90), au "gommage" de I'autre, et done it I'echec de lactecommunicatif ou it lemergence d'une espece de monophonie resultant d'unevoix homogeneisante (Delamotte-Legrand, 1999).

    Dans ce cas, Ie racisme est sans nul doute un regard discriminatif etoblique sur les paroles des uns et des autres : d' abord celie du Noir pour luidenier son existence et lui gammer sa personne comme partenaire discursif, doul'emergence sur les "places discursives" d'un sujet egocentrique et schizophrenequi s'octroie une position institutionnelle par un "ethos" redondant. Ensuite,celie du Blanc pour contrarier et conjurer cette "corporalite" envahissante, par laconvocation d'autres instances de paroles purificatrices et regulatrices del'equilibrer symbolique dans le systerne de places.

    Notre approche se veut semiopragmatique, en ce sens qu'elle identifie etsemiotise les differentes structures textuelles de la reprise enonciative en rapportavec les differentes instances de proferation et de legitimation d'une part, etd'autre part avec le programme de lecture du texte. II s'agira d'abord, dans unepremiere partie, de montrer que la legitimation du discours raciste chez Ie Blancse manifeste par la reprise systematique du discours du Noir au niveau desformes syntaxiques, ce qui aboutit it lemergence d'un sujet egocentrique etschizophrene (le Blanc) d'une part, et d'autre part d'un sujet resigne et exproprieou d'une alterite deniee que l'on ravale en objet du dire.

    Ensuite dans une seconde partie, on montrera que, pour renverser,contrarier et conjurer I'ordre des choses, Ie Noir convoque d'autres instances deparoles plus regulatrices de I'equilibre syrnbolique dans Ie systeme de places, cequi aboutit a l'emergence d'un discours conjectural et scatologique ou Ie rire fouet Ie fou rire sont des strategies de legitimation.

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    1. Les "memes" face aux "autres" ou Palterite denieeLa Croix du sud se presente de maniere globale comme un espace de

    confrontation des "memes" (Blancs) et des "autres" (Noirs), mais aussi Ie lieud'une confrontation des paroles dont l'une legitimante cherche a excIure I'autredu champ d!scursif en la reprenant systernatiquement, a travers des formessyntaxiques variees,

    1.1. Une syntaxe de Ia subordinationLe discours de la confrontation dans La Croix du Sud est Ie fait d'une

    parole discriminativement distribuee et assumee qui resulte d'un "actephonetique" (Austin, 1970 : 108) certes, mais il est aussi et surtout Ib fait d'unestructure discursive ("acte rherique") qui se cristallise au niveau des formessyntaxiques. La reprise enonciative comme strategie de 1a mise a distance (ecart)de lautre suppose un dedoublement des instances enonciatives, D'abord unenonciateur E qui reprend un acte denonciation accompli par un autreenonciateur e, ce qui donne deux enonces E1 et el fonctionnant sur Ie modehierarchique (E (e)) et (E1(el)). Le discours de la reprise ou disc oursraconte (Rojtman, 1980: 91) est done une forme de subordination de la parolequi propose, outre une disposition syntaxique particuliere, sa proprestructuration du champ sernantique. II interpose un narrateur-relais et sepresente sur Ie modele d'une proposition subordonnee completive introduite parun verbe de communication de type assertif ou injonctif ou autre marqueurinterrogatif.

    Ainsi, pour dissuader Judith de ces ambitions dernesurees qui la hantentdepuis sa tendre enfance, Wilfried laisse entendre: J'ai souvent entendu lajeunesse bra iller cette ritournelle que I'dge mur ne modele plus et dont rit favieillesse (Ngoue, 1997: 14). Et c'est Ie fils du Notaire qui enterine et conforte

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    la superiorite de la race Blanche dans une replique significative pour repreciserles choses et montrer la vanite de ses succes scolaires: J'ai voulu [ ... ] rappeler asa fille [Judith] que la race importe plus que les succes scolaires (Jd . : 47).Lorsque la ville sombre dans une effervescence nocturne sans precedent, Hansrend compte a Suzanne des mobiles d'une telle agitation en ces termes : On nousa informes que les Blancs voulaient, cette nuit meme, laver un affront, chdtierun coupable (Jd . : 46).

    La parole regard ante (Iegitimante) peut rneme se resumer en uneenonciation impersonnelle qui reprend un discours anterieur, comme Iedemontre cette declaration de Wilfried : Etait-il ecrit de toute eternite que mangrand-perc aimerait une negresse ] (Id . : 28).

    La parole discriminee est Ie plus souvent montree, tenue it distance(heterogeneite constitutive) dans un enonce englobant repris par un verbe dedeclaration. Karmis qui refuse de voir en la superiorite de la race Blanche un faiteternel rappelle sa precarite it Wilfried en ces termes : Qui vous a dit quel'histoire lie date que d'hier, qu'elle est contemporaine de son support abstraitet malleable qu 'est l'ecriture ? (Jd. : 35). Plus loin il rencherit : Heureusementque nous savons [...] que now; sommes responsables de l'univers (Ibid.).

    Cette parole peut merne encore se resumer en une expression performativeexplic it e (Austin, 1970: 82) qui repose sur un verbe perforrnatif. Laconfrontation verbale entre Karmis et Axel est resurnee par ce dernier en cestermes : IJ [Karmis] m 'a plutot donne l'impression de se moquer de tout. Etmeme it a profere ties menaces eontre moi (Id. : 30). Proferer une menacepourrait se traduire par une phrase complexe de type je x que y (je dis que:mefies-toi ou je dis que: je vais te tuer) ou une phrase simple de type je xtmefies-toi ou je vais te fuel') qui rendent explicite la nature de l'action qui setrouve effectuee par l 'enonciation (Austin, 1970: 89). La menace ou I'injure

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    constituent, sur Ie plan de I'Interaction verbale, une menace serieuse pour les"faces" des uns et des autres. Elles valorisent Ja "face positive" (orgueil, amourpropre) du Blanc tout en devalorisant la "face negative" du Noir (blesser sonorgueil, violer son intirnite), en lui faisant "perdre la face".

    Ainsi done, la syntaxe de la subordination comme mode de verbalisationdu discours de la discrimination et du racisme dans La Croix du Sud marque larealite d'un effacement du sujet (S 1, Ie Noir) au profit d'un enonciateur (S2)(Blanc) qui s'approprie la parole de l'autre, et s'intcrpose comme mediateuressentiel du discours. Celui-ci voudrait rester le seul maitre de la parole, du jeulangagier et du jeu social (en reduisant les autres au silence), comme I 'affirmed'ailleurs Ie Messager :

    Nous sommes des batisseurs venus unifier l'histoire et orientervers lcs fins quc nos ancetrcs lui ont assignes des Ies premiersmatins [...]. Pour dominer le rn on de , il n'es: pas un obstacle quenous ne brisions, pas un traitre que nous ne supprimions, pas uncorps etranger qu'a In longue nous n'expu\sions. (Ngoue, 1997:67)

    La logique du "face a face" aboutit le plus souvent a la disparitionphysique du Noir (Ia mort de Karmis ct Wilfried et les Cadavres des notres dontparle Pala (56), ou a sa denegation traduite par la tentative de musellement, dereduction au silence. Wilfried reconnait cette situation lorsquil affirme :

    Tant que l'oppresseur cmpeche I'opprime dacceder il laconscience de soi, tant qu'ille gave de complexes imaginnires,tant qu'il elargit sans cesse Ie fosse qui Ie separe de lui, ildemeure Ie maitre. jusqu'a ce que survienne une autrecontingence capable d'inverser les rapports etablis. (/d. : 68)

    Cette situation qui engendre un univers chaotique et un compJexe desuperiorite (de I'oppresseur a l'opprime) donne lieu a une image envahissante et

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    encombrante d'un "Je" sur la scene sociale qui se transforme en sujetschizophrene et egocentrique, un veritable monstre absurde.

    1.2. Ethos, corpora lite et narcissismePar ethos, on entend l'image de soi que le locuteur construit dans son

    discours pour exercer une influence sur l'autre, et la position (institutionnelle)qu'il s'octroie pour marquer son rapport it un pouvoir (Charaudeau etMaingueneau, 2002: 238-239), Cela conduit inevitablernent it I'emergenced'une corporalite, c'est-a-dire a une valorisation excessive de sa position(physique et sociale) et de son corps investis de valeurs socialement designees.II se donne une identite it la mesure du monde qu'il est cense faire surgir dansson en once (Id : 80-81),

    Nous avons rei eve que l'expropriation de la parole au Nair donnait lieu itline image redondante d'un moi Blanc qui impose sa presence par Ie fait de laprise de parole, et valorise it I' exces sa face p;sitive2 par une nette ten dance itI'auto-citation et it I' auto-affirmation. Cela se justifie d'ailleurs par I'elanpaternaliste it se poser comme Ie centre du monde: L 'histoire, c 'est nous(Ngoue, 1997 : 50), precise Ie Messager pour justifier les crimes racistes et lesmassacres perpetres sur les peuples du Sud, avant de conclure : Que le sang detous les hommes de couleur retombe sur nos tetes (Ibid.).

    Cette ten dance au rep!i sur soi et sur la race chez le Blanc raciste semanifeste aussi it travers une redondance de l'auto designation, com me c'est Iecas des expressions telles que j 'ai souhaite que '" , Wilfried (ld. : 6), j'ai

    2 Pour Brown et Levinson, tout etre social en fait possede deux/aces: une face negative (lesterritoires du moil et une face positive (ensemble d'imagcs valorisantes que lcs sujetseonstruisent et se font d'eux-mernes), Tout aete denonciation peut constituer une menacepour une ou plusieurs de ces faces. Un ordre par exernple valorise la face positive du loeuteurtout en devalorisant celie de l'interlocuteur.

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    rappele que... , Ie Fils du Notaire (Id. : 47), nous n 'admettrons pas que ... , IeMessager (ld. : 60) ... qui posent l'affirmation comme seul discours. Affinnerquelque chose, en fait, c'est renvoyer l'enonciation a sa propre personne, a un Jequi, comme Ie pense Maingueneau (1990) ne refere pas a celui qui parle commepersonne du monde, mais i t I'enonciateur merne en tant qa'il est enonciateur(Id. : 16).

    La Croix du Sud se presente de maniere generale comme I'affirmationd'un discours social (politique?) implicite qui se traduit par cette phrasesentencieuse du Messager premonitoire de Ia situation chaotique qu'engendreraIe supplice de Wilfried :Par rna bouche, le cercle d'Erneraude a parle (Ngoue,1997 : 61). Cette declaration resume ainsi la philosophie raciale maintenue etentretenue par Ie cercle d'Emeraude qui doit veiller sur la purete et la cloturespatiale de Ia race Blanche. Wilfried, malgre ses caracteristiques phenotypiques(il porte dans ses veines un sang noir) doit expier un peche originel (assumer songenotype), celui de Ia jouissance de privileges reserves a notre [Blancs] race(ld. : 50). Pour Le Messager d'ailleurs,

    [... ] Hotterrnan doit comparaitre devant Ie cercLed' Emeraude-Gare aux traitres qui ont refuse de denoncer un trattre [ ... J . Lesdieux ant scif Une aussi belle nuit merite un spectaclegrandiose- Qu'on ecraseLavermineet que disparaisse les races inferieures,(Ibid.)

    L'Inferiorite decrite de Larace Noire est traduite par une structuresyntaxique symbolique, une polyptote sur fond de calernbour : Ces etrangesetrangers (ld. : 52) dont Ie caracterisant adjectival pose un rapport disjonctif etcontrast if entre les deux races. Ce rapport est d'ailleurs traduit par cettedeclaration du Notaire : Les Noirs ont beau se montrer differents, vous [Blancs]ne voyez en eux que le negre en general, uneforce brute, une irrationalite pure(Ibid.). Le ccntraste est une fois de plus re laye par une autre parole256 Francofonla, 13, 20Q4, 249268

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    anathematisante: ils I 'ont dit, je suis un negre (Id. ; 24) qui fait que I'existencedu Nair et son statut comme esclave ne soient plus une contingence, mais plutotune necessite, ainsi que le montre aussi ce tour paradoxal presente sous unelogique chiasmatique contingence necessaire et necessite contingente (Ibid.).Cette parole relayee par le Blanc consacre ainsi l'eclatement des normes socialesdans cet univers ou une race inferieure ne saurait donner la vie a un etreintelligent (Jd . : 60) etou paradoxalement le soleil se leve 11droite et se couche agauche, le jour nail de la nuit (Id. : 40).

    Cet univers demagcgique et coprolatique fait d'appropriation etd'expropriation conduit ineluctablement au "desengagement" d'un sujet social,le Noir reduit au silence et en en objet du discours,

    1.3. Entre aphonic et expropriation, une communication impossible?Si dans la perspective pragmatique le propre d'un acte de parole est de

    viser la reaction de I'autre (interlocuteur), de creer un equilibre symbolique dufait de I'echange verbal, il ya lieu de dire qu'il y a dans La Croix du Sud unerupture du contrat de parole et du circuit de l'echange, dans la mesure au des ledepart il y a expropriation d'un dire. On Ie sait, la communication apparaitcom me une activite contractuelle et cooperative, et c'est dans la parole echangeeque le sujet se reconnait et se definit par rapport it autrui. Maingueneau dirad'ailleurs que la proferation d'un acte de parole definit necessairement unrapport de "places" de part et d'autre, une demande de reconnaissance de laplace que chacun s y voit assigner (Maingueneau, 1990 : 9).

    Wilfried dans son entretien avec Karrnis ne tarde pas, dentree de jeu, aattribuer a cc dernier sa "place" dans Ie corps social et la hierarchic de l'echangeverbal: Savez-vous que vous n 'etes pas Blanc? (Ngoue, 1997 : 32), La reponseest alors inexorable et suppose que le Noir accepte le 'j'e(u)" et reconnait la

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    place qui est la sienne : Je le sais au mains autant que vous (Ibid.), pouvait-ildeclarer en substance. Toute parole qui s'ecarterait de ce cadre normatif tracepar la societe raciste se doit d'etre corrigee et rectifiee. Le Messager ne Ie cachepas, lorsqu'il dit a Wilfried : Retirez ces mots qui insultent a la memoire despionniers de la civilisation de I 'universe I (Id. : 7). De merne, lorsque la veritableidentite de Wilfried est revelee au cimetiere, on peut entendre: ce n 'etait gu 'unnegre ?, ilprend la place d'un Blanc (Ibid.), comme pour dire que Ie rapport deplace est prealablernent etabli et hierarchise, La distribution de paroles dansI'echange Iangagier est done, comme Ie dit Delamotte-Legrand (1999 : 277), undes rnoyens essentiels de percevoir le traitement de I'autre dans le discours.Donner ou prendre la parole en mont rant Ill.place que I'on se donne a soi (lacorporalite) indiquent sirnultanement et reciproquement la place que I'on donnea I'autre.

    Si Karmis et Wilfried ont ete assasslnes, c'est parce qu'Ils ont ose violerdes espaces qui leur etaient formellement interdits (espace social et espacegeographique, rnais aussi espace de la parole). Leur crime, c'est d'avoir tente unrapprochement et une cohabitation impossibles entre les deux races. S'ils ant etecondarnnes sans possibi lite de defense, c 'est la preuve ev idente qu'unecommunication entre Blancs et Noirs, meme si elle est possible, reste tout dememe malheureuse. Les "memes" seront toujours les memes, les "autres" lesautres et les "memes" toujours face aux "autres". Aux yeux du Blanc, la vie et laparole de I'autre ne comptent pas, et Ie Messager Ie justifie en ces terrnes :Lorsque les lois son! claires et les fautes evidentes. on n 'a pas besoin d'entendrele coupable (Ngoue, 1997 : 58). Le processus de "gommage" atteint ainsi sonacme, dans cette societe O U les paroles sont autant hierarchisees que les hommes.On dira done qu'i l y a dans ce type de proces, denegation ou neantisation deI'autre, bref, gommage de I'alterite.~25~g~------------------~F-ra-nC-D~fu-n\-a.-1-3,-2-00-4-.2-4-9-~-68-----------------------

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    L'echec de la parole est sans conteste, et pour preuve, la condamnationpuis l'execution de Wilfried et Karmis ont ete faites sans voies de recours: Iecercle d'Emeraude a decide; la sentence sera executee et le jeu assure (Jd :67). L'interrogation de type rhetorique du Notaire face a cette situation restemalheureusement sans reponse immediate, mais presage de la suite desevenements ;Accepterons-nous cette parodie dejustice ? (Jd ; 60).

    L' echec de la parole passe aussi par la multiplication des interrnediairesqui contraint le Noir a un discours relaye, a une enonciation delocutive, voireimpersonnelle (non assumee) : ils I'ont dit, je suis un negre (Jd.: 24).L'utilisation du on et de la structure impersonnelle comme strategic discursiveest revelatrice. Karmis qui, repondant a l'appel de son maitre Wilfried dit on ditque vous m 'appelez (Jd . : 31) se refugie derriere cette structure (Ie delocute)pour refuser la prise en charge de son discours. Dire on en fait, c'est choisir pourcertaines raisons, de supprimer toute reference personnelle, posant ainsi encreux un sujet et/ou un objet d'enonciation (Bouguerra, 1998 : 239). Celasuppose un echec de l'acte allocutif, en ce sens que les principes de cooperationet d'exhaustivite chers ala theorie conversationnelle sont violes,

    En fait, pourquoi le locuteur designe-il l'autre par l'indefini on? Ignore-t-il reellement son nom? Est-il dans I'irnpossibilite de nommer ou refuse-t-il pourcertaines raisons de nommer? II y a volonte deliberee d'occulter ['agent (Id. :254), de denier I'autre. Benveniste (1966 : 235) dira d'ailleurs que on exprime lamarque merne de la non-personne (personne non allocutive). II se refere, commerencherit Maingueneau (2002 : 11I), a des etres qui ne sont pas doues de parole,mais qui sont traites comme des subjeotivites.

    Mais si Ie Noir se refugie derriere ces formes de depersonnalisation, c'estune strategic (discours) de la resistance qui permet de programmer la mort dusysterne, en convoquant en plus d'autres instances de parole qui font tenir a

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    distance le discours raciste, comme un corps etranger, des paroles tenues soussurveillance (Herschberg-Pierrot, 1993 : 103) en quelque sorte.

    2. L'heterogeneite "montree" comme strategic du discours de la resistanceL' heterogeneite montree (Authier-Revuz, 1982) correspond, de maniere

    generate, a la presence localisable d'un discours "autre" dans Ie fil du texte. Cediscours "autre" convoque it la suite du rapport de force chaotique entre les"memes" et les "autres" constitue une veritable strategic du discours de laresistance. Celui-ci contribue it I' elaboration d'une rhetorique de la derision etde la nuance.

    2. 1. Une rhetorlque de la derision et de Ia propheticLa citation est, dans La Croix du Sud, l'une des strategies de legitimation

    d'un discours de la derision fonde sur la prophetic. Elle consiste a reprendre undiscours social cons acre (universel) pour contrarier I'ordre etabli.

    Ainsi, pour preciser la vanite d'une conception dualiste et adversative desraces sur laqueIJe les Blancs fondent leur societe raciale, Ie Notaire emprunteaux philosophes une phrase it portee universelle : Ai'eux et bisateux, chacun les apar myriade qu 'on ne saurait demembrer, ni riche et pauvre, rois et esclavesbarbares et Hellenes- [...] Noirs et Blancs, jaunes et rouges ont en dix mille loisleur tour dans la lignee de n'importe qui (Ngoue, 1997 : 21). Ceci apparaitcomme un argument dautorite permettant it tourner en bourrique le systemesocial impose par la pigmentation de la peau. La materialisation des frontieresdiscursives par les guillemets participe de ce vaste projet, et, Ie discours deniedans ce cas constitue dans I 'enonce un cmps etranger, un objet montre [...] tenua distance au sens allan tient a bout de bras un objet que l'on regarde et queI 'on montre (Authier-Revuz (1981) citee dans Herschberg-Pierrot, 1993 : 101).260 Francofonia, 13, 2004, 249-268

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    Dans certains cas, c'est par une enonciation proverbiale ou maximale,c'est-a-dire, une phrase qui se donne comme universelle et qui est prise encharge par une voix universelle du sens commun (Dominicy, 1994: 123), que leNoir elabore des conjectures et la resistance, Karmis annonce, de cette maniere,la fin imminente et tragique du systeme qu'il recuse et vomit: Qu 'on ldcheI'echelle ou mieux qu'on l'abatte !plus haut grimpe le chimpanze et plusretentit sa chute quand surgit I 'arbaletrier it I 'ceil sur (Ngoue, 1997: 33). Lastructure antiphrastique et paradoxale de cette maxime marque cette volonte dechangement qui se traduirait par une inversion des roles sociaux. II assombrit Ietableau par une autre replique : Y a-t-if pire calamite pour un oiseau qui reved'espaces infinis que de replier ses ailes, son vol a peine pris ? (Jd. : 36).

    Plus interessant encore, est Ie langage prophetique des etoiles, ces indicesspontanes dont parle Louis Prieto (1975: 15) a travers lesquels it chaque instanttout est assez neuf pour qui sail discerner et dechiffrer les signes (Ngoue, 1997:45). Cette parole semiolcgique empruntee a la nature (et non plus aux homrnes)est batie sur le futur, Ie prospectif.

    A travers elle, iI est fort aise de percevoir la liberte qui, cornme unfirmament, se profile a I'horizon de ce Sud (geographique ou metonymique)comme Ie revele cette replique metaphorique du Notaire, appele a decoder lesetats du ciel : Quelque chose comme une luminescence autour du sac a charbon(Jd : 54). Ce sac a charbon ne tardera d'ailleurs premonitoirernent pas adisparaitre au profit d'une Croix du Sud fibre, fremissante, comme ivre d 'elle-meme (ld. : 88). Cet avenir est du reste perceptible dans I'utilisation par Judithd'un futur categorique a valeur performative dans une declaration testamentaire:Je transformerai le monde, je le jure, je vous soulagerai taus, je le jure. Jesupprimerai cette misere, je le jure. Je changeral le Sud, c 'est un serment. (Jd. :37). La valeur semantique et cathartique des verbes d'action (transformerai,

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    soulagerai, supprimerai et changerai) participe de ce vaste projet et, avec larepetition de l'expression performativeje lejure marquent la volonte d'arrimerIe dire auJaire, de joindre !'acte a la parole, ce qui est d'ailleurs couronne parI'expression c 'est un serment. II s'agit d'un engagement a changer I'ordre deschoses, afin quemerge une societe O U etre Noir ne serait plus qu'unecontingence dans fa necessite comme Ie declare fort a propos I'un despersonnages de I'ceuvre militant pour la liberte,

    Le langage des signes dans La Croix du Sud est un discours veritablernentcache et code qui, comme Ie titre, constitue un veritable programme de lecture.

    2. 2. La croix du sud: nne syllepse intertextuelleLe titre La Croix du Sud est a lui seu! tout un programme de lecture qui

    permet de legitirner la prophetic comme strategic du discours de la resistance.On Ie sait d 'ailleurs, Ie titre est Ie signe par lequel le livre s 'ouvre (fonctionaperitive) au lecteur, tout en precisant son horizon d'attentes. C'est une parolemuette et prospective qui fonctionne ici a un double titre cornme une syllepseintertextuelle (Riffaterre, 1979: 496), puisqu'il renvoie a un univers dereference doublement connote, grace a la presence significative et symboliquedes deux lexemes "croix" et "sud".La croix du Sud au sens propre en effet, est un groupe de quatre etoilespar lequel on peut s'orienter et reperer Ie Sud geographique (point cardinal). Auplan toponymique, Ie Sud est une espece de metonymic spatiale qui permet dedesigner aujourd'hui tous les pays pauvres ou opprimes du monde. Un regard duc6te de I'histoire montre que chaque fois qu'il y a eu conflit racial ou violationdes droits de I'Hornme, on a parle de Sud (Amerique du Sud, Afrique du Sud ...).Le terme a fini par designer tout espace O U regne I'injustice, la pauvrete, laguerre, la famine, bref, la souffrance des peuples. La dialectique du Nord

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    (richesse, bonheur) et du Sud (pauvrete, guerre, misere, .. ) tout comme celle du"haut" (puissance, autorite, hierarchic ... ) et du "bas" (soumission, mendicite,esclavage ... ) evoquee plus haut, prend ainsi tout son sens et sa fonctionsymbolique du pouvoir: on se souvient ainsi des couples oppositionnels etadversatifs Tanga Nord et Tanga Sud de Ville cruelle de Mongo Beti, pays duNord pays du Sud, Amerique du Nord Amerique du Sud, Afrique du NordAfrique Subsaharienne, la position haute du Blanc et la position basse du Noirdans le rituel langagier etc.). L'un des personnages de l'ceuvre evoque sonunivers en general comme un espace carceral a u Sans Ie fouet, fa prison, latorture et la mort, le Sud vivrait encore it I 'age des cavernes (Ngoue, 1997 : 67),En plus, Wilfried et Karmis sont sacrifies au nom d'une superiorite naturelledes freres du Nord.

    Au plan serniologique, il s'agit d'une etoile (ou groupe detoiles) et doneun "signe" (un langage) qui permet de lire et de sonder l'avenir, ainsi que Iemontre cette declaration du Notaire: Sur un monde transforme, la Croix du Sudregne sans partage jusqu'a ee que l'aurore diffuse dans l'espaee ces lueurscrepusculaires qui/anent les etoiles (Jd. : 88). Le seme de la noirceur contenudans crepusculaires connote la race Noire et Ie seme de brillance contenu danslueurs la race Blanche. Mais ce qui est saisissant, c'est la nature des rapportsvehiculee par le tour oxymorique lueurs crepusculaires dont le caractereantithetique (paradoxal) donne sur un tout autre plan la preuve d'unecohabitation impossible entre Blanes et Noirs. Neanrnoins, I'espoir suscite par lemouvement revolutionnair e des partisans conduits par Tinhaden a la fin deI'ceuvre presage d'une fin heureuse que le Notaire, philosophe et visionnaireentrevoit dans un present categorique : les temps nouveaux s'annoncent, Uss01l1 deja presents (Ibid). La locution adverbiale deja inscrit ainsi comme plushaut la realite dans Ie reve, Ie present dans le futuro

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    Quant au vocable croix, il est, dans son sens figure, le signe (symbole) dudeuil, du malheur, de la souffrance, bref, de la trahison (on se rappelle Ie cheminde croix de Jesus, de sa souffrance sur la croix). On ne doit pas perdre de vue lavaleur fonctionnelle de lacroix qui est, dans l'reuvre, a la fois une arme (Iesassaillants qui ont lapide Karmis etaient annes de croix) et une penitence (unsupplice). Ce corps qui brulait sur deux poutres croisees (Jd. : 64) dont parleWilfried rappel Ie Ie supplice extreme, la peine capitale qu'a subie Jesus sur sacroix (il est mort pour sauver les hommes). L'espace dans I'oeuvre estessentiellement marque par Ie deuil, la mort, Ie macabre et la souffrance (Ia mortde Karmis et Wilfried).

    Mais si Ia derision passe par un discours prophetique, elle se traduitaussi, du point de vue de I'interaction verbale, par Ie silence qui devient ainsiune arrne pour inverser la hierarchic des valeurs et Ie rapport du pouvoir.

    2.3. Une rhetorique du silence et dela nuanceNous I'avons vu, la legitimation de la parole raciste consiste en une

    strategie dufaire taire (DeJarnotte-Legrand, 1999: 280) qui fait du silence lastrategic d'une parole legitimee et Iegitimante, Mais ce silence est vitetransforme en une force, une arme, un pouvoir (celui du silence et de la non-violence) qui, aux mains du Noir permet de cornbattre l'adverslte. II se reveleainsi comme arme efficace pour renverser I'ordre des choses et tourner I'autreen bourrique. La decision la plus heureuse et la plus salutaire des Noirs a la finde I'ceuvre, c'est de pouvoir opposer a la violence son contraire. Malgre cetechec apparent qui semble se traduire par la mort des heros (Karmis et Wilfried),il convient de voir au-dela, une espece de "happy end", une victoire en quelquesorte.

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    Le silence ici (la non-violence) devient un choix, une strategic, bref, unearme efficace aux mains de l'opprime qui en fait une strategic de la resistance(du fou rire), un refus de s'engager dans l'interaction tout en niant a I'autre sonstatut de dominant (Ie pouvoir change ainsi de main). La mort des heros apparaitcomme la graine germinale et prernonitoire d'un monde nouveau ou regneront lapaix et la fraternite universelles et ou s'erigera enfin IHomme depouille de tousles oripeaux des societes injustes et opprimantes comme en donnent la preuveces aveux testarnentaires de Wilfried 1 1 I'excipit du texte : Je meurs pour quechacun, bien au chaud dans ce cocon irforme qu'est la race, retrouve sasecurite et le calme plat de la vie quotidienne (Ngoue, 1997: 69).

    Si Ie silence reste significatif du point de vue de la parole, il est tout aussistrategique sur Ie plan narratif. L'ceuvre precede de maniere globale par desellipses narratives, des vides et des blancs qui font que certains evenements sontpasses sous silence comme Ie sort de Pala, d'Axel et de Suzanne. Le suspense dela fin de la piece, contrairement aux denouements des tragedies c1assiquessignifie qu'il s'agit plutot pour le lecteur et la posterite, d'un donne 11penser, unephilosophie (plus qu'un donne a voir). La liberation de tous les Sud du mondepassera par la mise sur pied d'une philosoph ie, d'une facon d'etre et de voir quierigeront enfin une parole nouvelle (neuve ?) somme toute legitime et tout aussilegitimante,

    ConclusionNous avons, tout au long de cet article monte que la reprise enonciative

    dans La Croix du Sud est non seulement une technique de l'expression, un faitstylistique, mais aussi un projet et une strategic de lecture: les parolesdiscrirninees, appropriees, expropriees ou survalorisees des uns et des autrespouvant aboutir a une denegation de I'autre, et donc a une communication

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    malheureuse qui caracterise la hierarchie sociale fondee sur un partage inegal dela parole et des roles sociaux. Le racisme dans La Croix du Sud n'est passeulement un fait de discours (politi que ou social) mais aussi et surtout un fait deparoles, un regard discriminatif et oblique sur ia parole de I'autre qui aboutit aun echec de I'acte communicatif et a l'elaboration d'une veritable rhetorique dusilence.

    L'heterogeneite constitutive de I'acte de parole chez Joseph Ngoue fait dela reprise enonciative non plus seulement une simple technique scripturale (unfait de style), mais aussi une strategic de legitimation d'un discours discriminatifet schizophrene, et d'autre part, d'un discours de la resistance O U la prophetie, lanuance, le silence et Ie fou rire deviennent des valeurs nouveIlement consacrees.Et comme le dit par ailleurs Maingueneau (1990 : 166 ), I 'ceuvre donne a voir unmonde a travers la matiere de son enonciation et c 'est par sa maniere de direqu 'elle presuppose pragmatiquement un univers, celui-la meme qu 'ilfait surgira travers son enonciatton.

    Nous ne pretendons neanmoins pas avoir epuise lees) sens de l'ceuvre de 1.Ngoue, nous avons suggere une piste de lecture, en rendant compte des possiblesinterpretatifs (Charaudeau, 1983: 17) qui font que la lecture deviennefinalement une indiscretion savante tenant a la fois de la table d'ecoutes et de lasalle de torture (Genette (1966) cite dans Anne Maurel, 1994 : 12).

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