18
L e vieillissement attendu de la population conduit à faire de l’isolement et la solitude des personnes âgées un enjeu de société. Plusieurs Organisations Non Gouvernementales – l’Association des Cités du Secours Catholique, la Croix Rouge Française, la Fédération de l’Entraide Protestante, le Fonds Social Juif Unifié, les Religieuses dans les Professions de Santé, le Secours Catholique, la Société de Saint-Vincent de Paul et les Petits Frères des Pauvres- ont souhaité créer un collectif spécifique dédié à cette problématique, pour mieux l’analyser et rechercher des réponses concrètes adaptées aux besoins et aux attentes des personnes âgées. Dans ce rapport, le collectif « Combattre la solitude », en s’appuyant notamment sur une enquête réalisée auprès d’environ 5000 personnes âgées comportant des entretiens individuels de plus d’une heure, présente différents éléments visant à mieux appréhender la solitude et l’isolement des personnes âgées. Les résultats de ce travail témoignent de l’intérêt de poursuivre les travaux du collectif, notamment pour définir un indicateur composite d’isolement et de solitude, à l’instar de ce qui a pu être réalisé dans d’autres pays. La question des solidarités familiales est également abordée dans le souci d’éviter toute idée reçue dans ce domaine et de leur accorder la place qu’elles méritent. Enfin, les stratégies proposées par le collectif tiennent compte des actions menées par les pouvoirs publics dans ce domaine, des initiatives publiques et privées et surtout du regard des personnes âgées interrogées sur l’environnement et les solidarités existantes et souhaitées. Les résultats de ce travail témoignent de l’intérêt de poursuivre les travaux du collectif, notamment pour définir un indicateur composite d’isolement et de solitude Isolement et vie relationnelle Le collectif “Combattre la solitude” ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE CROIX ROUGE FRANÇAISE FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE 1 Synthèse du Rapport général par Anne-Carole Bensadon

Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

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Page 1: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Le vieillissement attendu de la population conduit à fairede l’isolement et la solitude des personnes âgées un enjeu

de société. Plusieurs Organisations Non Gouvernementales –l’Association des Cités du Secours Catholique, la Croix RougeFrançaise, la Fédération de l’Entraide Protestante, le Fonds SocialJuif Unifié, les Religieuses dans les Professions de Santé, le SecoursCatholique, la Société de Saint-Vincent de Paul et les Petits Frèresdes Pauvres- ont souhaité créer un collectif spécifique dédié à cetteproblématique, pour mieux l’analyser et rechercher des réponsesconcrètes adaptées aux besoins et aux attentes des personnes âgées.

Dans ce rapport, le collectif « Combattre la solitude », ens’appuyant notamment sur une enquête réalisée auprès d’environ5000 personnes âgées comportant des entretiens individuels de plusd’une heure, présente différents éléments visant à mieuxappréhender la solitude et l’isolement des personnes âgées.Les résultats de ce travail témoignent de l’intérêt de poursuivre lestravaux du collectif, notamment pour définir un indicateur composited’isolement et de solitude, à l’instar de ce qui a pu être réalisé dansd’autres pays. La question des solidarités familiales est égalementabordée dans le souci d’éviter toute idée reçue dans ce domaineet de leur accorder la place qu’elles méritent. Enfin, les stratégiesproposées par le collectif tiennent compte des actions menéespar les pouvoirs publics dans ce domaine, des initiatives publiqueset privées et surtout du regard des personnes âgées interrogéessur l’environnement et les solidarités existantes et souhaitées.

Les résultatsde ce travailtémoignentde l’intérêt

de poursuivreles travaux

du collectif,notammentpour définir

un indicateurcomposite

d’isolementet de solitude

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

1Synthèse du Rapport généralpar Anne-Carole BensadonNous avons tenté de mieux comprendre

l’isolement et la solitude des personnes âgéeset de mener les questionnements auprès d’ellesen prenant le temps de l’échange. Le choix n’est

pas celui de la représentativité mais celui del’attention à la parole de l’autre. Cette écoute est

souhaitée par les personnes âgées qui insistentsur les valeurs « d’attention », « de

compréhension », « de respect », « d’écoute ».Dans le contexte familial, l’âge n’apparaît pas

comme le seul critère d’identification despersonnes or le regard porté sur les personnes

âgées ne semble pas le même selon qu’ellesfont parti ou non du cercle familial. Le

changement de regard sur les personnes âgées,indispensable à la mise en œuvre de stratégies

opérationnelles efficaces pour lutter contrel’isolement et la solitude est l’affaire de tous. La

solidarité ne peut se concevoir comme un donunilatéral, c’est dans l’échange qu’elle trouve

tout son sens et son efficacité. Ces valeursfédératrices pourraient favoriser la constructiond’une éthique collective permettant ainsi que laréponse vienne de tous. C'est dans ce contexteque le bénévolat organisé, animé et formé par

les ONG apportera sa pleine contribution.

7. Garder l’accès à un système éducatif

Dans le domaine éducatif, tout se passe comme siavec l’âge de la retraite, l’accès à l’éducation,présente tout au long du parcours de vies’interrompait « naturellement ». Ce lien del’éducation tout public avec la période dite « active »amène à la création de réseaux d’échanges desavoirs spécifiques, du type université du 3e âge,accréditant l’idée que seule une action éducativespécifique peut convenir à un public plus âgé. Ils’agit certes d’un progrès puisque des échangesfructueux sont possibles dans ce cadre. Néanmoins,cette construction de réponses par tranche d’âge estun des exemples de la difficulté à considérer lacapacité des personnes âgées à produire tout aulong de leur vie, de même que le fait que laValidation des acquis de l’expérience ne s’adressepas aux personnes âgées pour qualifier le sens deleur production. Différentes initiatives valorisentdésormais l’expérience des personnes âgées quipeuvent raconter leurs métiers passés à des enfantsdans des écoles, mais ce type d’échange n’est pasencore assez diffusé, pas assez valorisé.

Page 2: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Collectif “Combattre la solitude” Synthèse du Rapport général

Alors même que la baisse de la mortalité diffèrel’entrée dans le veuvage, la proportion de personneshabitant seules est trois fois plus forte qu’en 1962 dufait de la diminution des cohabitations intergéné-rationnelles. L’isolement résidentiel constitue ainsile mode de vie le plus courant chez les personnes deplus de 60 ans. Les écarts d’espérance de vie entrehommes et femmes contribuent à une société où, leplus souvent, « les femmes vieillissent seules, leshommes vieillissent à deux ». Une femme sur cinqâgée de 75 ans et plus vit en couple ce qui est le casde 2 hommes sur 3 aux mêmes tranches d’âges.

Mais l’isolement social ne coïncide pas forcément aveccet isolement résidentiel et les résultats de l’enquêtecorroborent les données de la littérature surl’accroissement de l’isolement social avec notammentl’avancée en âge, un niveau socio-économique faible etdes problèmes de santé ou de handicaps.

L’analyse de l’enquête « Isolement et vie relationnelledes personnes âgées » montre comment de cetisolement peut naître un sentiment de solitude,parfois à l’origine d’une souffrance. Cela oriente lespistes d’action contre la solitude vers un repéragedes paramètres à l’origine de l’isolement pourprévenir la solitude. Il faut toutefois noter quel’enquête, axée autour des déterminants del’isolement, contribue à forger ces résultats, alorsqu’il est possible de retrouver des situations où lefait de vivre seul aggrave la solitude et provoque desmécanismes d’isolement.

Les différents mécanismes à la base de la solitudeont fait l’objet de nombreuses études. RS Weiss diffé-rencie la solitude résultant d’un isolement affectifavec souvent la perte d’un être cher de la solitude liéeà l’isolement social. L’analyse multicritères de l’en-quête permet de mettre en évidence un groupe depersonnes qui sont isolées et se sentent très souventseules. Elles n’ont pas ou plus de conjoint, ont desproblèmes de santé invalidants et sortent peu de chezelles. D’après les données, les personnes âgées de79 à 83 ans connaissent les plus grands change-ments dans leur trajectoire de vie.

Outre l’avancée en âge, la perte d’un être cher (enparticulier du conjoint) et les problèmes de santé, onretrouve au travers de la littérature, des expériencesinternationales, comme de l’enquête « Isolement etvie relationnelle », différents facteurs qui semblentêtre à l’origine de la solitude et notamment : ◗ le manque d’estime de soi, ◗ le fait de ne pouvoir compter sur quelqu’un

en cas de besoin,◗ l’éloignement de la famille,◗ un faible niveau de ressources.

Il faut souligner que le fait de ne pouvoir sortir dechez soi apparaît comme un des mécanismesessentiels favorisant la solitude.

L’enquête donnait la parole aux personnes âgées surce qu’elles considéraient comme les raisons de lasolitude au travers de différentes réponses possibles.La perte d’un être cher est le plus souvent citée(37,5 %), puis l’éloignement de la famille (30,7 %),la maladie et /ou le handicap (27,5 %), l’incom-préhension et le manquer d’écoute (16,9 %).

Les changements multiples qui ont affecté la familletant sur le plan démographique qu’économiqueet culturel n’ont pourtant pas ôté à la famille sonrôle de référence comme lieu de relation entre lesgénérations.

L’analyse des données de l’enquête « Isolement etvie relationnelle » témoigne du caractère particulierdes relations avec la famille. La possibilité dedemander des services aux voisins ou aux amispermet d’atténuer le sentiment de solitude maismoins que si on peut compter sur la famille. Onretrouve, s’agissant des relations familiales,l’importance du manque de liens véritablementintimes et de l’absence de relations émotionnellesétroites, décrit par RS Weiss comme un desmécanismes à la base de la solitude.

Les propos recueillis lors de l’enquête ne donnentpas de légitimité pour exprimer les attentes del’ensemble des personnes âgées. Il y a autant deréponses que de personnes ce qui impose deproposer des solutions qui prennent en comptel’individuel au sein même de solutions collectives.

1. Prendre en compte la diversité des solitudes

Toutes les solitudes ne sont pas équivalentes etl’évaluation globale des personnes âgées doit donnertoute sa place à l’isolement.

2. Passer du « faire pour » ou « faire avec »

La richesse de l’analyse qualitative témoigne du rôlemajeur que les personnes âgées souhaitent jouerdans le choix de leur mode de vie. Croire dans leurcapacité à bouger les choses évite de se borner àmettre en place un processus d’assistance émanantde l’extérieur et force à construire, avec lesintéressés, des réponses appropriées.

3. Renforcer la coordination au niveau individuel :« les gestionnaires de cas »

Des liens complexes existent entre santé despersonnes âgées, isolement et solitude. Lesprogrammes d’actions mis en place dans cedomaine par les pouvoirs publics constituentcertainement des atouts pour mieux prendre encharge les personnes âgées. Toutefois, levieillissement attendu de la population amènenotamment à envisager un renforcement descoordinations. Le “ gestionnaire de cas ” est intégrédans un tissu de proximité. Il joue un rôle decoordination mais également de veille et permet derendre la prévention effective au niveau de lapersonne âgée elle- même. Il peut être capable dedéceler un changement d’Etat qui nécessite de faireappel à tel professionnel de santé mais surtout a dela personne une vision globale qui tient compte de lasituation réelle dans laquelle elle se trouve à unmoment donné et des évolutions de ces situations.Son positionnement vis-à-vis des différentsintervenants potentiels facilite la synergie entre cesdifférents acteurs au service de la personne etconstitue très probablement un atout dans laprévention et la lutte contre l’isolement.

4. Amplifier les relations de voisinage

Les témoignages recueillis lors de l’enquête« isolement et vie relationnelle » ainsi que lalittérature montrent que les personnes âgéesdéveloppent déjà elles-mêmes des stratégies pouramplifier les relations de voisinage. « (…) J’écoute lavoisine et je fais exprès de sortir sur le pallier enmême temps qu’elle. En immeuble, c’est bien parcequ’on est obligé de se parler. Il faut prendre le

temps de rencontrer les gens. C’est très long detisser des liens (…) »Le recours aux différents modes de voisinagepourrait faire l’objet de mécanismes catalyseurs, ceque demandent très clairement les personnesinterrogées. L’opération « immeubles en fêtes – lafête des voisins » constitue un exemple tout à faitintéressant dans ce domaine. Cette expérience qui arassemblé plus de 4 500 000 participants, selon lespromoteurs, montre l’importance de l’initiative privéedans ce domaine mais également tout l’intérêt dusoutien de telles manifestations par les pouvoirspublics. Les collectivités territoriales, conseilsgénéraux et mairies ont certainement un rôle majeurà jouer du fait de leur légitimité et de la confiancequ’ils suscitent, favorisant ainsi la participation à cetype de rencontre. L’autre élément à souligner est lecaractère ouvert de ce type d’échange qui n’apparaîtpas réservé à une classe d’âge donnée et ne fédèrepas les personnes autour d’une activité qu’ellesseraient obligées de pratiquer. Le seul critère retenuest celui du lieu géographique. La dimensionterritoriale apparaît avec donc primordiale.

5. Renforcer le capital social

Le capital social peut être défini très schéma-tiquement comme l’ensemble des relations socialesdont dispose un individu. Ce capital se construit tourau long de la vie et témoigne là encore del’importance de la prévention, y compris dans cedomaine. Porter attention au capital social,favoriser, par des actions concrètes vers des publicsd’âges divers, les situations qui permettent àl’ensemble des personnes d’accumuler, tout au longde la vie ce capital social constitue certainement unatout pour lutter contre l’isolement. Il semble queles européens qui ont davantage de capital humainet de capital économique aient davantage de capitalsocial. Le capital humain auquel il est fait référencese constitue à partir des expériences de la vie et del’éducation. Cette composante mérite donc uneattention particulière sur laquelle nous reviendrons

6. Promouvoir l’échange intergénérationnel

Diverses études insistent sur le rôle d’Internetcomme outil susceptible de faciliter les liens entreles générations. Au cours d’un séminaire derecherche, des intervenants ont souligné quel’avancée en âge ne détériore pas l’espéranced’emploi des Nouvelles Technologies del’Informations de la Communication et que les aînéspeuvent apprendre à condition d’en voir l’intérêt. Lesexpériences présentées confortent dans l’idée dedévelopper le plus possible des projets globaux etnon destinés uniquement aux personnes âgées,comme si elles ne pouvaient avoir accès aux mêmestypes de savoirs que le reste de la population. Outrela mixité générationnelle et l’occasion de rencontresdiversifiées, ils sont en eux-mêmes porteurs d’unmessage de refus de toute ségrégation liée à l’âgequi va au-delà de la simple intention.

SOLITUDE ET ISOLEMENT

SOLIDARITÉS FAMILIALES

DES PERSONNES AGÉESSTRATÉGIES ET PISTES PROPOSÉES

POUR COMBATTRE L’ISOLEMENT

ET LA SOLITUDE

•••

Page 3: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Collectif “Combattre la solitude” Synthèse du Rapport général

Alors même que la baisse de la mortalité diffèrel’entrée dans le veuvage, la proportion de personneshabitant seules est trois fois plus forte qu’en 1962 dufait de la diminution des cohabitations intergéné-rationnelles. L’isolement résidentiel constitue ainsile mode de vie le plus courant chez les personnes deplus de 60 ans. Les écarts d’espérance de vie entrehommes et femmes contribuent à une société où, leplus souvent, « les femmes vieillissent seules, leshommes vieillissent à deux ». Une femme sur cinqâgée de 75 ans et plus vit en couple ce qui est le casde 2 hommes sur 3 aux mêmes tranches d’âges.

Mais l’isolement social ne coïncide pas forcément aveccet isolement résidentiel et les résultats de l’enquêtecorroborent les données de la littérature surl’accroissement de l’isolement social avec notammentl’avancée en âge, un niveau socio-économique faible etdes problèmes de santé ou de handicaps.

L’analyse de l’enquête « Isolement et vie relationnelledes personnes âgées » montre comment de cetisolement peut naître un sentiment de solitude,parfois à l’origine d’une souffrance. Cela oriente lespistes d’action contre la solitude vers un repéragedes paramètres à l’origine de l’isolement pourprévenir la solitude. Il faut toutefois noter quel’enquête, axée autour des déterminants del’isolement, contribue à forger ces résultats, alorsqu’il est possible de retrouver des situations où lefait de vivre seul aggrave la solitude et provoque desmécanismes d’isolement.

Les différents mécanismes à la base de la solitudeont fait l’objet de nombreuses études. RS Weiss diffé-rencie la solitude résultant d’un isolement affectifavec souvent la perte d’un être cher de la solitude liéeà l’isolement social. L’analyse multicritères de l’en-quête permet de mettre en évidence un groupe depersonnes qui sont isolées et se sentent très souventseules. Elles n’ont pas ou plus de conjoint, ont desproblèmes de santé invalidants et sortent peu de chezelles. D’après les données, les personnes âgées de79 à 83 ans connaissent les plus grands change-ments dans leur trajectoire de vie.

Outre l’avancée en âge, la perte d’un être cher (enparticulier du conjoint) et les problèmes de santé, onretrouve au travers de la littérature, des expériencesinternationales, comme de l’enquête « Isolement etvie relationnelle », différents facteurs qui semblentêtre à l’origine de la solitude et notamment : ◗ le manque d’estime de soi, ◗ le fait de ne pouvoir compter sur quelqu’un

en cas de besoin,◗ l’éloignement de la famille,◗ un faible niveau de ressources.

Il faut souligner que le fait de ne pouvoir sortir dechez soi apparaît comme un des mécanismesessentiels favorisant la solitude.

L’enquête donnait la parole aux personnes âgées surce qu’elles considéraient comme les raisons de lasolitude au travers de différentes réponses possibles.La perte d’un être cher est le plus souvent citée(37,5 %), puis l’éloignement de la famille (30,7 %),la maladie et /ou le handicap (27,5 %), l’incom-préhension et le manquer d’écoute (16,9 %).

Les changements multiples qui ont affecté la familletant sur le plan démographique qu’économiqueet culturel n’ont pourtant pas ôté à la famille sonrôle de référence comme lieu de relation entre lesgénérations.

L’analyse des données de l’enquête « Isolement etvie relationnelle » témoigne du caractère particulierdes relations avec la famille. La possibilité dedemander des services aux voisins ou aux amispermet d’atténuer le sentiment de solitude maismoins que si on peut compter sur la famille. Onretrouve, s’agissant des relations familiales,l’importance du manque de liens véritablementintimes et de l’absence de relations émotionnellesétroites, décrit par RS Weiss comme un desmécanismes à la base de la solitude.

Les propos recueillis lors de l’enquête ne donnentpas de légitimité pour exprimer les attentes del’ensemble des personnes âgées. Il y a autant deréponses que de personnes ce qui impose deproposer des solutions qui prennent en comptel’individuel au sein même de solutions collectives.

1. Prendre en compte la diversité des solitudes

Toutes les solitudes ne sont pas équivalentes etl’évaluation globale des personnes âgées doit donnertoute sa place à l’isolement.

2. Passer du « faire pour » ou « faire avec »

La richesse de l’analyse qualitative témoigne du rôlemajeur que les personnes âgées souhaitent jouerdans le choix de leur mode de vie. Croire dans leurcapacité à bouger les choses évite de se borner àmettre en place un processus d’assistance émanantde l’extérieur et force à construire, avec lesintéressés, des réponses appropriées.

3. Renforcer la coordination au niveau individuel :« les gestionnaires de cas »

Des liens complexes existent entre santé despersonnes âgées, isolement et solitude. Lesprogrammes d’actions mis en place dans cedomaine par les pouvoirs publics constituentcertainement des atouts pour mieux prendre encharge les personnes âgées. Toutefois, levieillissement attendu de la population amènenotamment à envisager un renforcement descoordinations. Le “ gestionnaire de cas ” est intégrédans un tissu de proximité. Il joue un rôle decoordination mais également de veille et permet derendre la prévention effective au niveau de lapersonne âgée elle- même. Il peut être capable dedéceler un changement d’Etat qui nécessite de faireappel à tel professionnel de santé mais surtout a dela personne une vision globale qui tient compte de lasituation réelle dans laquelle elle se trouve à unmoment donné et des évolutions de ces situations.Son positionnement vis-à-vis des différentsintervenants potentiels facilite la synergie entre cesdifférents acteurs au service de la personne etconstitue très probablement un atout dans laprévention et la lutte contre l’isolement.

4. Amplifier les relations de voisinage

Les témoignages recueillis lors de l’enquête« isolement et vie relationnelle » ainsi que lalittérature montrent que les personnes âgéesdéveloppent déjà elles-mêmes des stratégies pouramplifier les relations de voisinage. « (…) J’écoute lavoisine et je fais exprès de sortir sur le pallier enmême temps qu’elle. En immeuble, c’est bien parcequ’on est obligé de se parler. Il faut prendre le

temps de rencontrer les gens. C’est très long detisser des liens (…) »Le recours aux différents modes de voisinagepourrait faire l’objet de mécanismes catalyseurs, ceque demandent très clairement les personnesinterrogées. L’opération « immeubles en fêtes – lafête des voisins » constitue un exemple tout à faitintéressant dans ce domaine. Cette expérience qui arassemblé plus de 4 500 000 participants, selon lespromoteurs, montre l’importance de l’initiative privéedans ce domaine mais également tout l’intérêt dusoutien de telles manifestations par les pouvoirspublics. Les collectivités territoriales, conseilsgénéraux et mairies ont certainement un rôle majeurà jouer du fait de leur légitimité et de la confiancequ’ils suscitent, favorisant ainsi la participation à cetype de rencontre. L’autre élément à souligner est lecaractère ouvert de ce type d’échange qui n’apparaîtpas réservé à une classe d’âge donnée et ne fédèrepas les personnes autour d’une activité qu’ellesseraient obligées de pratiquer. Le seul critère retenuest celui du lieu géographique. La dimensionterritoriale apparaît avec donc primordiale.

5. Renforcer le capital social

Le capital social peut être défini très schéma-tiquement comme l’ensemble des relations socialesdont dispose un individu. Ce capital se construit tourau long de la vie et témoigne là encore del’importance de la prévention, y compris dans cedomaine. Porter attention au capital social,favoriser, par des actions concrètes vers des publicsd’âges divers, les situations qui permettent àl’ensemble des personnes d’accumuler, tout au longde la vie ce capital social constitue certainement unatout pour lutter contre l’isolement. Il semble queles européens qui ont davantage de capital humainet de capital économique aient davantage de capitalsocial. Le capital humain auquel il est fait référencese constitue à partir des expériences de la vie et del’éducation. Cette composante mérite donc uneattention particulière sur laquelle nous reviendrons

6. Promouvoir l’échange intergénérationnel

Diverses études insistent sur le rôle d’Internetcomme outil susceptible de faciliter les liens entreles générations. Au cours d’un séminaire derecherche, des intervenants ont souligné quel’avancée en âge ne détériore pas l’espéranced’emploi des Nouvelles Technologies del’Informations de la Communication et que les aînéspeuvent apprendre à condition d’en voir l’intérêt. Lesexpériences présentées confortent dans l’idée dedévelopper le plus possible des projets globaux etnon destinés uniquement aux personnes âgées,comme si elles ne pouvaient avoir accès aux mêmestypes de savoirs que le reste de la population. Outrela mixité générationnelle et l’occasion de rencontresdiversifiées, ils sont en eux-mêmes porteurs d’unmessage de refus de toute ségrégation liée à l’âgequi va au-delà de la simple intention.

SOLITUDE ET ISOLEMENT

SOLIDARITÉS FAMILIALES

DES PERSONNES AGÉESSTRATÉGIES ET PISTES PROPOSÉES

POUR COMBATTRE L’ISOLEMENT

ET LA SOLITUDE

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Page 4: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Le vieillissement attendu de la population conduit à fairede l’isolement et la solitude des personnes âgées un enjeu

de société. Plusieurs Organisations Non Gouvernementales –l’Association des Cités du Secours Catholique, la Croix RougeFrançaise, la Fédération de l’Entraide Protestante, le Fonds SocialJuif Unifié, les Religieuses dans les Professions de Santé, le SecoursCatholique, la Société de Saint-Vincent de Paul et les Petits Frèresdes Pauvres- ont souhaité créer un collectif spécifique dédié à cetteproblématique, pour mieux l’analyser et rechercher des réponsesconcrètes adaptées aux besoins et aux attentes des personnes âgées.

Dans ce rapport, le collectif « Combattre la solitude », ens’appuyant notamment sur une enquête réalisée auprès d’environ5000 personnes âgées comportant des entretiens individuels de plusd’une heure, présente différents éléments visant à mieuxappréhender la solitude et l’isolement des personnes âgées.Les résultats de ce travail témoignent de l’intérêt de poursuivre lestravaux du collectif, notamment pour définir un indicateur composited’isolement et de solitude, à l’instar de ce qui a pu être réalisé dansd’autres pays. La question des solidarités familiales est égalementabordée dans le souci d’éviter toute idée reçue dans ce domaineet de leur accorder la place qu’elles méritent. Enfin, les stratégiesproposées par le collectif tiennent compte des actions menéespar les pouvoirs publics dans ce domaine, des initiatives publiqueset privées et surtout du regard des personnes âgées interrogéessur l’environnement et les solidarités existantes et souhaitées.

Les résultatsde ce travailtémoignentde l’intérêt

de poursuivreles travaux

du collectif,notammentpour définir

un indicateurcomposite

d’isolementet de solitude

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

1Synthèse du Rapport généralpar Anne-Carole BensadonNous avons tenté de mieux comprendre

l’isolement et la solitude des personnes âgéeset de mener les questionnements auprès d’ellesen prenant le temps de l’échange. Le choix n’est

pas celui de la représentativité mais celui del’attention à la parole de l’autre. Cette écoute est

souhaitée par les personnes âgées qui insistentsur les valeurs « d’attention », « de

compréhension », « de respect », « d’écoute ».Dans le contexte familial, l’âge n’apparaît pas

comme le seul critère d’identification despersonnes or le regard porté sur les personnes

âgées ne semble pas le même selon qu’ellesfont parti ou non du cercle familial. Le

changement de regard sur les personnes âgées,indispensable à la mise en œuvre de stratégies

opérationnelles efficaces pour lutter contrel’isolement et la solitude est l’affaire de tous. La

solidarité ne peut se concevoir comme un donunilatéral, c’est dans l’échange qu’elle trouve

tout son sens et son efficacité. Ces valeursfédératrices pourraient favoriser la constructiond’une éthique collective permettant ainsi que laréponse vienne de tous. C'est dans ce contexteque le bénévolat organisé, animé et formé par

les ONG apportera sa pleine contribution.

7. Garder l’accès à un système éducatif

Dans le domaine éducatif, tout se passe comme siavec l’âge de la retraite, l’accès à l’éducation,présente tout au long du parcours de vies’interrompait « naturellement ». Ce lien del’éducation tout public avec la période dite « active »amène à la création de réseaux d’échanges desavoirs spécifiques, du type université du 3e âge,accréditant l’idée que seule une action éducativespécifique peut convenir à un public plus âgé. Ils’agit certes d’un progrès puisque des échangesfructueux sont possibles dans ce cadre. Néanmoins,cette construction de réponses par tranche d’âge estun des exemples de la difficulté à considérer lacapacité des personnes âgées à produire tout aulong de leur vie, de même que le fait que laValidation des acquis de l’expérience ne s’adressepas aux personnes âgées pour qualifier le sens deleur production. Différentes initiatives valorisentdésormais l’expérience des personnes âgées quipeuvent raconter leurs métiers passés à des enfantsdans des écoles, mais ce type d’échange n’est pasencore assez diffusé, pas assez valorisé.

Page 5: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Nombreuses sont les études sur la solitude des personnes âgées.L’épisode de la canicule de 2003 a brutalement réveillé l’opinion

sur cette réalité. D’autre part, l’allongement de la durée de la vieet le vieillissement des classes d’âge nombreuses de l’après-guerre faitaujourd’hui de ce sujet une question de société centrale. L’intérêt de cetteenquête est d’avoir été initiée par un collectif d’associations qui toutesrencontrent ou côtoient des personnes âgées, soit dans leurs accueils,soit à domicile, soit dans les structures qu’elles gèrent (maisons de retraite,foyers,…). Leur connaissance de cette population et leur expérience desdifficultés qu’elle rencontre ont permis d’adapter au mieux le questionnaire.En outre, l’enquête a d’emblée été conçue comme une action contre la solitude :les bénévoles qui l’ont menée ne sont pas des enquêteurs professionnelsni des observateurs, mais des personnes de proximité qui ont pris le tempsde parler de solitude avec les personnes âgées, le questionnaire servantde guide d’entretien. L’enquête a été menée de novembre 2005 à janvier 2006auprès de 4 989 personnes de 60 ans et plus. 46 % d’entre elles étaientconnues de l’une ou l’autre des associations membres du collectif, 32 %ont été rencontrées à l’occasion de l’enquête, 22 % enfin sont des bénévoles.Cet échantillon correspond à la connaissance de terrain des associationset touche en particulier des publics qui échappent aux enquêtes habituelles(personnes sans domicile, personnes vivant en établissement). La grandevariété des situations étudiées permet d’affiner la connaissance sur ce sujetet surtout devrait conduire à imaginer des formes d’action et d’interventionmieux adaptées que ce qui existe aujourd’hui, à partir des souhaitsexprimés par les personnes elles-mêmes.

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

2Analyse statistiquepar France Souêtre-Rollin

et Dominique Saint-Macary

Fréquenter un lieu de rassemblementou appartenir à un groupe réduit l’isolementet le sentiment de solitudeÀ côté de ces contacts personnels et identifiants, lesrelations possibles pour les personnes âgées sont cellesqu’offre l’environnement social, sous la forme de groupes,clubs, associations, lieux de rassemblements… Plus de lamoitié des personnes interrogées sont membres d’ungroupe ou d’un club et plus du tiers fréquente souvent unlieu de rassemblement ouvert à tous. Si elles n’échappentpas totalement à la solitude, elles l’éprouvent beaucoupmoins souvent que celles qui n’ont pas ces habitudes.

À âge égal, les femmes participent plus souvent que leshommes à des activités collectives : à titre d’exemple,70 % des femmes de 60 à 78 ans contre 56 % deshommes de la même tranche d’âge font partie d’ungroupe, club ou autre. En outre, de façon générale, lesfemmes « aiment voir du monde » (57 %) davantageque les hommes (47 %). Mais la fréquentation d’ungroupe ou club décroît fortement avec l’âge, passant de66 % pour les 60 - 78 ans à 46 % pour les 79 - 83 ans et37 % pour les plus âgés. La perte d’autonomie physiqueisole et expose au sentiment de solitude.

Avoir une famille nombreuse et présente atténuebeaucoup le sentiment de solitudePlus de neuf personnes âgées sur dix disent avoir de lafamille, en dehors des personnes qui vivent avec elles ; untiers d’entre elles se sentent seules souvent ou trèssouvent, contre plus de la moitié de celles qui n’ont pas defamille. Plus encore que l’existence d’une famille, c’est lenombre de personnes la composant qui est déterminantpour la vitalité relationnelle : chez ceux qui n’ont qu’un oudeux parents (15,5 % des personnes interrogées), lesentiment de solitude est trois fois plus fréquent que chezceux dont la famille compte au moins une dizaine depersonnes (36,1 % des personnes interrogées). En effet,plus la famille est nombreuse, plus les occasions decontacts le sont aussi. Mais avec l’âge, le nombre deparents diminue : ainsi 23 % des plus de 84 ans ont desfamilles ne comptant qu’une ou deux personnes, contre18 % des 79-83 ans et 14 % des 60-78 ans.

Parmi toutes les relations que les personnes sontsusceptibles d’entretenir, la famille joue un rôle à partcar on peut presque tout demander à quelqu’un de safamille : contacts, visites, échanges sur tous les sujets ycompris intimes, mais aussi services et dépannages.Le graphique ci-dessous illustre cette prééminence de lafamille par rapport aux bénévoles : dans plus de la moitiédes cas, c’est à la famille que s’adressent les personnesinterrogées pour un service ou une relation de confiance ;les bénévoles sont beaucoup moins souvent sollicités ;les amis et les voisins, non représentés ici, sont dans dessituations intermédiaires.

Études statistiquesLes femmes vieillissent seules, les hommes vieillissent à deux.Un bilan européen. INED - Population & Sociétés n° 419 janvier 2006Vivre seul, sentiment de solitude et isolement relationnel. Jean-Louis Pan Ké Shon. INSEE Première n° 678, octobre 1999Isolement relationnel et mal-être. Jean-Louis Pan Ké Shon.INSEE Première n° 931, novembre 2003Le sentiment de solitude chez les personnes âgées de 60 ans etplus. P. Croutte. CREDOC – Collection des Rapports n°R147,juillet 1994.La famille, pilier des identités. INSEE Première n°937, décembre 2003.Refaire sa vie de couple est plus fréquent pour les hommes,INSEE Première n°797, Juillet 2001. Source : enquête surl’histoire familiale.L’enquête Handicap Invalidité Dépendance (HID, INSEE 1999) adonné lieu à de nombreuses publications de la DREES (Directionde la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiquesdu Ministère de la Santé et des Solidarités).

Composition de l’échantillon

1. Par âge et sexe

Non réponse Homme Femme Total

Non réponse 5 58 67 130

Jusqu'à 65 ans 12 233 586 831

de 66 à 72 ans 19 254 763 1036

de 73 à 78 ans 13 201 801 1015

de 79 à 83 ans 9 114 654 777

de 84 à 89 ans 12 87 653 752

90 et plus 9 52 387 448

Total 79 999 3911 4989

2. Par lieux de vie

Non réponse 16

Maison particulière 2349

Appartement dans un immeuble 1715

Logement en collectivité 849dont Hôtel, pension : 30

Foyer, résidence : 345Maison de retraite : 416

Chez des proches 35

Sans domicile stable 25

Total 4989

LES RELATIONS INDIVIDUELLES

ET LES RELATIONS DE GROUPE

AIDENT À COMBATTRE LA SOLITUDE

Relations avec la famille et avec les bénévoles :à qui peut-on s’adresser pour…

Lecture : pour faire leurs courses, 62,9 % des personnes interrogéespeuvent s’adresser à une personne de leur famille et 23,9 % à un bénévole.

Page 6: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Collectif “Combattre la solitude” Analyse statistique

Dans cette étude, nous distinguons classiquement deuxsituations :◗ l’isolement, situation objective. On peut l'observer et

la décrire à travers plusieurs critères factuels telsque : vivre seul ou peu entouré, avoir peu ou pas derelations ni même de contacts…

◗ la solitude ou plutôt le sentiment de solitude,situation subjective. Nous l'avons appréhendée àtravers la question: « Vous arrive-t-il de vous sentirseul, très souvent, souvent, de temps en temps,jamais ou presque ». En invitant à estimer lafréquence et non l'intensité du sentiment, on afavorisé une meilleure objectivité des réponses.

Notre enquête met en évidence la configurationde trois profils d'isolement/solitude :◗ Un premier groupe souffre peu de solitude : ce sont des

personnes parmi les moins âgées, vivant souvent encouple, sans enfant au foyer, habitant une maison parti-culière, n’ayant pas de problème financier, fréquentantdes lieux de rassemblement ou faisant partie d’un grou-pe, club ou autre, n’ayant pas de problème de santé etsortant régulièrement de chez elles. Ce sont typiquementde jeunes retraités actifs parmi lesquels les bénévolessont nombreux. Ils ont une vie relationnelle plutôt richeet ne souffrent pas de solitude.

◗ Un groupe rassemble les personnes les plus âgées :elles n’ont pas ou plus de conjoint(e), elles ont desproblèmes de santé invalidants et sortent peu de chezelles. Elles ne fréquentent en particulier jamais oupresque un lieu de rassemblement. Ces personnes ontune vie relationnelle réduite, elles sont effectivementisolées et elles se sentent très souvent seules.

◗ Un troisième groupe est constitué de personnesrelativement jeunes, comme celles du premier groupe,mais qui se sentent très souvent seules, comme cellesdu second groupe : ce sont des personnes ayant degraves difficultés économiques, au chômage ou sansdomicile stable, parfois étrangères, sans ressources ouavec de faibles ressources. N’ayant le plus souventpersonne à qui faire confiance ou faire appel, elles sontréellement isolées et elles éprouvent fréquemment lesentiment de solitude.

Dans chaque situation de solitude, il y a clairementcorrespondance entre ce qui est ressenti - la solitude - etla réalité - l’isolement : les personnes qui se sententseules sont effectivement le plus souvent isolées. Selonle dictionnaire, la solitude est un « retrait du monde » eten ce sens, nous parlerons d’ « exclusion relationnelle ».À côté d’une population « de référence » où le sentimentde solitude est peu fréquent, représentée par legroupe �, l’exclusion relationnelle prend deux formestrès différentes (qui peuvent éventuellement secumuler) : l’exclusion relationnelle à caractèreéconomique représentée par le groupe � et l’exclusionrelationnelle liée à l’âge, représentée par le groupe �.

Explication de la carte ci-dessousL'analyse multicritères traite simultanément les réponsesdes personnes à plusieurs questions de l'enquête (ici,24 questions particulièrement significatives). Elle permet deprojeter ces réponses sur une seule carte. La position desréponses sur la carte délimite des ensembles et courantscohérents. Ici par exemple, sur un axe nord-ouest/sud-est (souligné enorange), on repère, en une trajectoire continue, la réductiond'autonomie qui accompagne le vieillissement progressif : à lasuccession des tranches d'âge est constamment associéel'aggravation des difficultés de la vie et des problèmes de santé.Dans une représentation graphique de ce type, lescaractéristiques les plus significatives d'un profil sont cellesqui figurent loin du centre de la carte; à l’inverse, celles quisont regroupées au centre sont peu discriminantes,certaines étant quasiment neutres c'est-à-dire communes àdes profils différents. C'est ici le cas de la réponse "Doit faireattention" s'agissant des ressources financières. Les personnes elles-mêmes se situent par rapport à cesaxes et à ces espaces en fonction de leurs réponses. Par lacorrespondance de leurs réponses individuelles, ellesconstituent pour l'observateur des groupes définis par lescaractéristiques qu'elles partagent. On peut alors parler detypes ou de profils.

Le groupe � : l’exclusion relationnelle à caractèreéconomiqueCe type de solitude n’est pas propre aux personnesâgées ; en effet les personnes de plus de 60 ans qui sonten difficulté financière sont relativement rares : dansnotre échantillon, à partir de 65 ans, 10 à 12 %seulement des personnes interrogées disent avoir dumal à s’en sortir et il est exceptionnel qu’elles fassentdes dettes ou soient sans ressources. Chez lespersonnes de 60 à 65 ans, ces difficultés sont deux foisplus fréquentes. La pauvreté des personnes âgées a étébien réduite dans les années soixante. Elle n’a pourtantpas été totalement éradiquée et, selon les associations,semble aujourd’hui en augmentation. Le sentiment desolitude qui atteint ces personnes est aigu. L’évolutiondémographique actuelle, avec les incertitudes quipèsent sur les retraites, pourrait donner une nouvelleampleur à ce problème. Une nouvelle pauvreté pourraitnaître aussi de l’impossibilité pour un grand nombre depersonnes âgées d’accéder à des services destinés àleur faciliter la vie, mais d’un coût trop élevé pour elles.

Le groupe � : l’exclusion relationnelle liée à l’âgeBeaucoup plus fréquente dans notre échantillon et plusau coeur du sujet de l’enquête, l’exclusion liée à l’âge.Peu à peu et inéluctablement, le vieillissement isole dedifférentes façons qui concourent toutes au mêmerésultat : avec la perte du conjoint et des proches, avecl'apparition et la croissance des problèmes de santé, laperte d’autonomie et la réduction progressive de la vierelationnelle dressent autour des personnes âgées unmur de clôture et de solitude.

Une étude fine permet de déterminer qu’il existe unetranche d’âge « charnière » qui va de 79 à 83 ans : avant79 ans, on est encore le plus souvent dans la jeunesse del’âge ; après 83 ans, on entre progressivement dans legrand âge. C’est pendant cette période intermédiaire quese produisent les plus grands changements, parmi

lesquels dans de nombreux cas le décès du conjoint ;c'est aussi à ce moment de la vie que s'altèrent la vitalitéet l'intégrité physique : difficultés pour voir, entendre, sedéplacer, perte d’autonomie. Parfois légères au début,ces détériorations sont cependant irréversibles etdeviennent de plus en plus handicapantes.

La solitude apparaît ainsi comme une « souffranceajoutée » : à la douleur morale de perdre son conjoint,aux douleurs physiques qui deviennent plus présentes,à l’épreuve de la perte d’autonomie s’ajoute lasouffrance de se sentir seul sans pouvoir toujours yremédier par soi-même.

Hommes et femmes ne traversent pas ces trois étapesde façon identique : à âge égal, en particulier, leshommes vivent bien plus souvent en couple que lesfemmes. Ce fait n’est pas propre à notre échantillon,toutes les études le montrent : les hommes seremettent en couple bien plus souvent que les femmeslorsque leur union se trouve rompue, y compris à unâge relativement avancé. Le fait de vivre seul ou encouple jouant un très grand rôle dans la fréquence dusentiment de solitude, celle-ci est plus grande chez lesfemmes très âgées que chez les hommes très âgés.Mais si l’on compare les hommes et les femmes d’âgeégal et de même situation matrimoniale, cettedifférence n’existe plus : hommes et femmes sont aussiexposés à souffrir de solitude les uns que les autres.

L’impossibilité de sortir de chez soi expose fortementau sentiment de solitude : l’autonomie de déplacementest la source d’une liberté parce qu’elle offre lapossibilité de maîtriser l’isolement de fait. Certainespersonnes qui ne peuvent pas sortir de chez elles lepourraient cependant si leur logement ou leurenvironnement ne présentaient pas des obstacles : unimmeuble sans ascenseur, par exemple, enferme petità petit les personnes à mobilité réduite chez elles. Demême l’absence de bancs dans les rues limitefortement leur périmètre de sortie et donc leurspossibilités de contacts. Et cette limitation imposée àune autonomie défendue coûte que coûte ne peutqu’accentuer la frustration et le sentiment de solitude.

1. Dans les problèmes physiques, nous ne tenons pas compte du « mauvais moral ».

79-83 ans, l’âge charnière

Vivent seuls Ont au moins Ne sortent pas Se sentent seuls souvent(par opposition à « en couple ») un problème physique1 régulièrement ou très souvent

60 à 65 ans 63,7 % 42,1 % 16,6 % 31,4 %66 à 72 ans 68,4 % 45,4 % 18,8 % 28,2 %73 à 78 ans 82,3 % 57,3 % 28,7 % 33,5 %79 à 83 ans 89,8 % 70,9 % 42,6 % 39,1 %84 à 89 ans 94,2 % 79,1 % 52,4 % 43 %90 et plus 95,6 % 88,6 % 69,8 % 44 %

LES PERSONNES QUI SE SENTENT SEULES

LES TROIS ÉTAPES DU VIEILLISSEMENT

SONT, LE PLUS SOUVENT,

RÉELLEMENT ISOLÉES

Cartographiedes caractéristiques

Page 7: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Collectif “Combattre la solitude” Analyse statistique

Dans cette étude, nous distinguons classiquement deuxsituations :◗ l’isolement, situation objective. On peut l'observer et

la décrire à travers plusieurs critères factuels telsque : vivre seul ou peu entouré, avoir peu ou pas derelations ni même de contacts…

◗ la solitude ou plutôt le sentiment de solitude,situation subjective. Nous l'avons appréhendée àtravers la question: « Vous arrive-t-il de vous sentirseul, très souvent, souvent, de temps en temps,jamais ou presque ». En invitant à estimer lafréquence et non l'intensité du sentiment, on afavorisé une meilleure objectivité des réponses.

Notre enquête met en évidence la configurationde trois profils d'isolement/solitude :◗ Un premier groupe souffre peu de solitude : ce sont des

personnes parmi les moins âgées, vivant souvent encouple, sans enfant au foyer, habitant une maison parti-culière, n’ayant pas de problème financier, fréquentantdes lieux de rassemblement ou faisant partie d’un grou-pe, club ou autre, n’ayant pas de problème de santé etsortant régulièrement de chez elles. Ce sont typiquementde jeunes retraités actifs parmi lesquels les bénévolessont nombreux. Ils ont une vie relationnelle plutôt richeet ne souffrent pas de solitude.

◗ Un groupe rassemble les personnes les plus âgées :elles n’ont pas ou plus de conjoint(e), elles ont desproblèmes de santé invalidants et sortent peu de chezelles. Elles ne fréquentent en particulier jamais oupresque un lieu de rassemblement. Ces personnes ontune vie relationnelle réduite, elles sont effectivementisolées et elles se sentent très souvent seules.

◗ Un troisième groupe est constitué de personnesrelativement jeunes, comme celles du premier groupe,mais qui se sentent très souvent seules, comme cellesdu second groupe : ce sont des personnes ayant degraves difficultés économiques, au chômage ou sansdomicile stable, parfois étrangères, sans ressources ouavec de faibles ressources. N’ayant le plus souventpersonne à qui faire confiance ou faire appel, elles sontréellement isolées et elles éprouvent fréquemment lesentiment de solitude.

Dans chaque situation de solitude, il y a clairementcorrespondance entre ce qui est ressenti - la solitude - etla réalité - l’isolement : les personnes qui se sententseules sont effectivement le plus souvent isolées. Selonle dictionnaire, la solitude est un « retrait du monde » eten ce sens, nous parlerons d’ « exclusion relationnelle ».À côté d’une population « de référence » où le sentimentde solitude est peu fréquent, représentée par legroupe �, l’exclusion relationnelle prend deux formestrès différentes (qui peuvent éventuellement secumuler) : l’exclusion relationnelle à caractèreéconomique représentée par le groupe � et l’exclusionrelationnelle liée à l’âge, représentée par le groupe �.

Explication de la carte ci-dessousL'analyse multicritères traite simultanément les réponsesdes personnes à plusieurs questions de l'enquête (ici,24 questions particulièrement significatives). Elle permet deprojeter ces réponses sur une seule carte. La position desréponses sur la carte délimite des ensembles et courantscohérents. Ici par exemple, sur un axe nord-ouest/sud-est (souligné enorange), on repère, en une trajectoire continue, la réductiond'autonomie qui accompagne le vieillissement progressif : à lasuccession des tranches d'âge est constamment associéel'aggravation des difficultés de la vie et des problèmes de santé.Dans une représentation graphique de ce type, lescaractéristiques les plus significatives d'un profil sont cellesqui figurent loin du centre de la carte; à l’inverse, celles quisont regroupées au centre sont peu discriminantes,certaines étant quasiment neutres c'est-à-dire communes àdes profils différents. C'est ici le cas de la réponse "Doit faireattention" s'agissant des ressources financières. Les personnes elles-mêmes se situent par rapport à cesaxes et à ces espaces en fonction de leurs réponses. Par lacorrespondance de leurs réponses individuelles, ellesconstituent pour l'observateur des groupes définis par lescaractéristiques qu'elles partagent. On peut alors parler detypes ou de profils.

Le groupe � : l’exclusion relationnelle à caractèreéconomiqueCe type de solitude n’est pas propre aux personnesâgées ; en effet les personnes de plus de 60 ans qui sonten difficulté financière sont relativement rares : dansnotre échantillon, à partir de 65 ans, 10 à 12 %seulement des personnes interrogées disent avoir dumal à s’en sortir et il est exceptionnel qu’elles fassentdes dettes ou soient sans ressources. Chez lespersonnes de 60 à 65 ans, ces difficultés sont deux foisplus fréquentes. La pauvreté des personnes âgées a étébien réduite dans les années soixante. Elle n’a pourtantpas été totalement éradiquée et, selon les associations,semble aujourd’hui en augmentation. Le sentiment desolitude qui atteint ces personnes est aigu. L’évolutiondémographique actuelle, avec les incertitudes quipèsent sur les retraites, pourrait donner une nouvelleampleur à ce problème. Une nouvelle pauvreté pourraitnaître aussi de l’impossibilité pour un grand nombre depersonnes âgées d’accéder à des services destinés àleur faciliter la vie, mais d’un coût trop élevé pour elles.

Le groupe � : l’exclusion relationnelle liée à l’âgeBeaucoup plus fréquente dans notre échantillon et plusau coeur du sujet de l’enquête, l’exclusion liée à l’âge.Peu à peu et inéluctablement, le vieillissement isole dedifférentes façons qui concourent toutes au mêmerésultat : avec la perte du conjoint et des proches, avecl'apparition et la croissance des problèmes de santé, laperte d’autonomie et la réduction progressive de la vierelationnelle dressent autour des personnes âgées unmur de clôture et de solitude.

Une étude fine permet de déterminer qu’il existe unetranche d’âge « charnière » qui va de 79 à 83 ans : avant79 ans, on est encore le plus souvent dans la jeunesse del’âge ; après 83 ans, on entre progressivement dans legrand âge. C’est pendant cette période intermédiaire quese produisent les plus grands changements, parmi

lesquels dans de nombreux cas le décès du conjoint ;c'est aussi à ce moment de la vie que s'altèrent la vitalitéet l'intégrité physique : difficultés pour voir, entendre, sedéplacer, perte d’autonomie. Parfois légères au début,ces détériorations sont cependant irréversibles etdeviennent de plus en plus handicapantes.

La solitude apparaît ainsi comme une « souffranceajoutée » : à la douleur morale de perdre son conjoint,aux douleurs physiques qui deviennent plus présentes,à l’épreuve de la perte d’autonomie s’ajoute lasouffrance de se sentir seul sans pouvoir toujours yremédier par soi-même.

Hommes et femmes ne traversent pas ces trois étapesde façon identique : à âge égal, en particulier, leshommes vivent bien plus souvent en couple que lesfemmes. Ce fait n’est pas propre à notre échantillon,toutes les études le montrent : les hommes seremettent en couple bien plus souvent que les femmeslorsque leur union se trouve rompue, y compris à unâge relativement avancé. Le fait de vivre seul ou encouple jouant un très grand rôle dans la fréquence dusentiment de solitude, celle-ci est plus grande chez lesfemmes très âgées que chez les hommes très âgés.Mais si l’on compare les hommes et les femmes d’âgeégal et de même situation matrimoniale, cettedifférence n’existe plus : hommes et femmes sont aussiexposés à souffrir de solitude les uns que les autres.

L’impossibilité de sortir de chez soi expose fortementau sentiment de solitude : l’autonomie de déplacementest la source d’une liberté parce qu’elle offre lapossibilité de maîtriser l’isolement de fait. Certainespersonnes qui ne peuvent pas sortir de chez elles lepourraient cependant si leur logement ou leurenvironnement ne présentaient pas des obstacles : unimmeuble sans ascenseur, par exemple, enferme petità petit les personnes à mobilité réduite chez elles. Demême l’absence de bancs dans les rues limitefortement leur périmètre de sortie et donc leurspossibilités de contacts. Et cette limitation imposée àune autonomie défendue coûte que coûte ne peutqu’accentuer la frustration et le sentiment de solitude.

1. Dans les problèmes physiques, nous ne tenons pas compte du « mauvais moral ».

79-83 ans, l’âge charnière

Vivent seuls Ont au moins Ne sortent pas Se sentent seuls souvent(par opposition à « en couple ») un problème physique1 régulièrement ou très souvent

60 à 65 ans 63,7 % 42,1 % 16,6 % 31,4 %66 à 72 ans 68,4 % 45,4 % 18,8 % 28,2 %73 à 78 ans 82,3 % 57,3 % 28,7 % 33,5 %79 à 83 ans 89,8 % 70,9 % 42,6 % 39,1 %84 à 89 ans 94,2 % 79,1 % 52,4 % 43 %90 et plus 95,6 % 88,6 % 69,8 % 44 %

LES PERSONNES QUI SE SENTENT SEULES

LES TROIS ÉTAPES DU VIEILLISSEMENT

SONT, LE PLUS SOUVENT,

RÉELLEMENT ISOLÉES

Cartographiedes caractéristiques

Page 8: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Nombreuses sont les études sur la solitude des personnes âgées.L’épisode de la canicule de 2003 a brutalement réveillé l’opinion

sur cette réalité. D’autre part, l’allongement de la durée de la vieet le vieillissement des classes d’âge nombreuses de l’après-guerre faitaujourd’hui de ce sujet une question de société centrale. L’intérêt de cetteenquête est d’avoir été initiée par un collectif d’associations qui toutesrencontrent ou côtoient des personnes âgées, soit dans leurs accueils,soit à domicile, soit dans les structures qu’elles gèrent (maisons de retraite,foyers,…). Leur connaissance de cette population et leur expérience desdifficultés qu’elle rencontre ont permis d’adapter au mieux le questionnaire.En outre, l’enquête a d’emblée été conçue comme une action contre la solitude :les bénévoles qui l’ont menée ne sont pas des enquêteurs professionnelsni des observateurs, mais des personnes de proximité qui ont pris le tempsde parler de solitude avec les personnes âgées, le questionnaire servantde guide d’entretien. L’enquête a été menée de novembre 2005 à janvier 2006auprès de 4 989 personnes de 60 ans et plus. 46 % d’entre elles étaientconnues de l’une ou l’autre des associations membres du collectif, 32 %ont été rencontrées à l’occasion de l’enquête, 22 % enfin sont des bénévoles.Cet échantillon correspond à la connaissance de terrain des associationset touche en particulier des publics qui échappent aux enquêtes habituelles(personnes sans domicile, personnes vivant en établissement). La grandevariété des situations étudiées permet d’affiner la connaissance sur ce sujetet surtout devrait conduire à imaginer des formes d’action et d’interventionmieux adaptées que ce qui existe aujourd’hui, à partir des souhaitsexprimés par les personnes elles-mêmes.

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

2Analyse statistiquepar France Souêtre-Rollin

et Dominique Saint-Macary

Fréquenter un lieu de rassemblementou appartenir à un groupe réduit l’isolementet le sentiment de solitudeÀ côté de ces contacts personnels et identifiants, lesrelations possibles pour les personnes âgées sont cellesqu’offre l’environnement social, sous la forme de groupes,clubs, associations, lieux de rassemblements… Plus de lamoitié des personnes interrogées sont membres d’ungroupe ou d’un club et plus du tiers fréquente souvent unlieu de rassemblement ouvert à tous. Si elles n’échappentpas totalement à la solitude, elles l’éprouvent beaucoupmoins souvent que celles qui n’ont pas ces habitudes.

À âge égal, les femmes participent plus souvent que leshommes à des activités collectives : à titre d’exemple,70 % des femmes de 60 à 78 ans contre 56 % deshommes de la même tranche d’âge font partie d’ungroupe, club ou autre. En outre, de façon générale, lesfemmes « aiment voir du monde » (57 %) davantageque les hommes (47 %). Mais la fréquentation d’ungroupe ou club décroît fortement avec l’âge, passant de66 % pour les 60 - 78 ans à 46 % pour les 79 - 83 ans et37 % pour les plus âgés. La perte d’autonomie physiqueisole et expose au sentiment de solitude.

Avoir une famille nombreuse et présente atténuebeaucoup le sentiment de solitudePlus de neuf personnes âgées sur dix disent avoir de lafamille, en dehors des personnes qui vivent avec elles ; untiers d’entre elles se sentent seules souvent ou trèssouvent, contre plus de la moitié de celles qui n’ont pas defamille. Plus encore que l’existence d’une famille, c’est lenombre de personnes la composant qui est déterminantpour la vitalité relationnelle : chez ceux qui n’ont qu’un oudeux parents (15,5 % des personnes interrogées), lesentiment de solitude est trois fois plus fréquent que chezceux dont la famille compte au moins une dizaine depersonnes (36,1 % des personnes interrogées). En effet,plus la famille est nombreuse, plus les occasions decontacts le sont aussi. Mais avec l’âge, le nombre deparents diminue : ainsi 23 % des plus de 84 ans ont desfamilles ne comptant qu’une ou deux personnes, contre18 % des 79-83 ans et 14 % des 60-78 ans.

Parmi toutes les relations que les personnes sontsusceptibles d’entretenir, la famille joue un rôle à partcar on peut presque tout demander à quelqu’un de safamille : contacts, visites, échanges sur tous les sujets ycompris intimes, mais aussi services et dépannages.Le graphique ci-dessous illustre cette prééminence de lafamille par rapport aux bénévoles : dans plus de la moitiédes cas, c’est à la famille que s’adressent les personnesinterrogées pour un service ou une relation de confiance ;les bénévoles sont beaucoup moins souvent sollicités ;les amis et les voisins, non représentés ici, sont dans dessituations intermédiaires.

Études statistiquesLes femmes vieillissent seules, les hommes vieillissent à deux.Un bilan européen. INED - Population & Sociétés n° 419 janvier 2006Vivre seul, sentiment de solitude et isolement relationnel. Jean-Louis Pan Ké Shon. INSEE Première n° 678, octobre 1999Isolement relationnel et mal-être. Jean-Louis Pan Ké Shon.INSEE Première n° 931, novembre 2003Le sentiment de solitude chez les personnes âgées de 60 ans etplus. P. Croutte. CREDOC – Collection des Rapports n°R147,juillet 1994.La famille, pilier des identités. INSEE Première n°937, décembre 2003.Refaire sa vie de couple est plus fréquent pour les hommes,INSEE Première n°797, Juillet 2001. Source : enquête surl’histoire familiale.L’enquête Handicap Invalidité Dépendance (HID, INSEE 1999) adonné lieu à de nombreuses publications de la DREES (Directionde la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiquesdu Ministère de la Santé et des Solidarités).

Composition de l’échantillon

1. Par âge et sexe

Non réponse Homme Femme Total

Non réponse 5 58 67 130

Jusqu'à 65 ans 12 233 586 831

de 66 à 72 ans 19 254 763 1036

de 73 à 78 ans 13 201 801 1015

de 79 à 83 ans 9 114 654 777

de 84 à 89 ans 12 87 653 752

90 et plus 9 52 387 448

Total 79 999 3911 4989

2. Par lieux de vie

Non réponse 16

Maison particulière 2349

Appartement dans un immeuble 1715

Logement en collectivité 849dont Hôtel, pension : 30

Foyer, résidence : 345Maison de retraite : 416

Chez des proches 35

Sans domicile stable 25

Total 4989

LES RELATIONS INDIVIDUELLES

ET LES RELATIONS DE GROUPE

AIDENT À COMBATTRE LA SOLITUDE

Relations avec la famille et avec les bénévoles :à qui peut-on s’adresser pour…

Lecture : pour faire leurs courses, 62,9 % des personnes interrogéespeuvent s’adresser à une personne de leur famille et 23,9 % à un bénévole.

Page 9: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Dans notre société qui prend de l’âge,le sujet du vieillissement est devenu

récurrent. Sans nul doute, le phénomène de lacanicule en 2003 a contribué à l’inscription d’unproblème nouveau sur la scène publique, celuide l’isolement des personnes âgées. Le collectifCombattre la solitude, composé de plusieurs ONGet associations de solidarité, a engagé unéchange avec près de 5000 personnes de 60 anset plus sur ce thème. Les éléments de cettesynthèse, qui constituent l’approche qualitativede leurs réponses, se veulent contributifsdu repérage des besoins, d’une meilleureappréhension des expériences d’isolementet de solitude, pour mieux en prévenir lesconséquences néfastes sur la qualité de vie.Il apparaît que parler de son isolement, c’estavant tout parler de soi, de ses rapports aumonde, des vicissitudes qui peuvent naîtreet perdurer. Notamment, les discours sontempreints de solitude, sentiment de souffrancequi apparaît au détour de multiplesdysfonctionnements sociopolitiquesalors mis en exergue.

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

LES PERSONNES ÂGÉES ENVISAGENT

DE MEILLEURS LENDEMAINS

Dans une vision prospective, les personnes âgéesproposent des actions. Nous retiendrons :◗ Inverser la tendance actuelle pour « aller vers

les personnes seules et non attendre qu’ellesviennent demander de l’aide » ;

◗ Agir rapidement, régulièrement et ensemble« J’ai appelé…mais on m’a rappelé troissemaines après, je n’avais plus besoin de rien » ;« Les services de la mairie pourraient venirrégulièrement dans l’hôtel pour parler aux gens,écouter leurs besoins, leur permettre de renoueravec leurs proches, se coordonner avec lesassociations pour leur permettre des activités » ;

◗ Former et informer : « Former les gens quitravaillent autour de nous » ; « Informer sur toutce qui existe » ;

◗ Offrir chaque jour et à chaque période de l’annéedes réponses possibles : « l’été, les périodes defêtes (Noël, Pâques), c’est plus difficiles, tout estfermé » ; « il existe beaucoup de choses, mais ilfaut des choses pour le dimanche. Il arrive que cejour là, on cause à personne, même pas de visites,c’est mortel… » ;

◗ Favoriser les rencontres entre les âges : « Créerdes lieux de rencontres où se mélangent lesjeunes et les vieux, et permettent aux acteursprésents d’échanger leurs expériences et dedécouvrir leurs compétences respectives » ;

◗ Associer le développement des transportsadaptés et un accompagnement humain adéquat :« Mettre plus de transports adaptés auxpersonnes âgées… » ; « avec des bénévoles quinous accompagnent » ;

◗ Garantir un logement décent : « Offrir deslogements moins chers pour avoir autre chose quequatre murs où on devient malade de la tête » ;

◗ Aménager le territoire : « mettre des bancs dansles rues pour s’asseoir », « faciliter lescommerces de proximité » ;

◗ Garantir l’accès à la vie sociale pour les personnesà mobilité réduite : « La mairie propose desactivités, mais pour les personnes valides » ;

◗ Garantir un meilleur niveau de vie :« l’accessibilité des actions aux personnes àrevenus modestes ».

De manière générale, il convient de « faire prendreconnaissance au plus grand nombre que lasolitude existe, et ensuite agir… Parler etconcrétiser dans des actes ».

Pourrons-nous relever ce défi ?

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

3Analyse des entretienspar Marika Richetto

Page 10: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Face à leur vécu négatif de l’image stigmatisée dela personne âgée, du sentiment « de rejet » ou de« n’être plus qu’un malade » ou « qu’un dossier »,les personnes nous ramènent à ce qu’est pour ellesl’essentiel : la considération humaine. En effet, leshommes et les femmes rencontrés posent lesvaleurs démocratiques « d’attention », « desolidarité », « de justice », « de compréhension »,« de liberté », « de respect », et « d’écoute »comme garantes principales du bien vieillir. En outre, les personnes âgées expriment que « lacommunication est le principal atout pour romprela solitude » et que la société doit permettre àchacun la possibilité de s’impliquer dans desrelations et de s’affirmer dans ce qu’il a d’unique.

Les témoignages montrent combien il convientd’agir dans une dimension socio-politique globale.Dans des contextes de vie où l’isolement est unfait, la santé et la situation économique fragilisées,où le logement n’offre plus les repères et ladécence nécessaire, où l’accès à l’espace publicn’est pas garanti, le désir de s’impliquer et des’intégrer socialement reste indemne. Or, êtreisolé et souffrir de solitude ne permet pas de« vivre normalement, avec les autres, comme lesautres ». Les personnes isolées n’ont pas lesmoyens nécessaires pour accéder à la vieextérieure, s’y ajuster et finalement composer avecelle. Certaines d’entre elles qualifient même leurquotidien de « survie ».Les réponses actuelles ne restaurent quepartiellement la qualité de vie. En outre, le manquede moyens, tant humain que financier, commel’inexistence des conditions requises pour accéder àla vie sociale sont mis en lumière.

« Vivre décemment », « avoir un logement dignede ce nom », « accéder aux soins », « êtreconsidéré », « ne pas être obligés de se priver »,« accéder aux services publics », sont autant dedemandes des personnes interrogées. Du fait deleur isolement, cela risque de mettre à mall’exercice de leur citoyenneté. Les priorités que sedonnent les systèmes de protection sociale et lasolidarité nationale elle-même ne satisfont pastoujours « L’accès de tous aux droits de tous, par lamobilisation de tous » (Rapport Economique etsocial, 2003). Dès lors, elles ressentent commefragile leur accès aux droits sociaux. Sans que celasoit précisément dit, la citoyenneté même apparaîtremise en question.

DES VALEURS HUMAINES ESSENTIELLES

UN PROJET DE VIE À CONCRÉTISER

LA VIE SOCIALE AU DEHORS

DES DEMANDES QUI REMETTENT

EN QUESTION LE STATUT DE CITOYEN

Les récits de vie recueillis montrent que lespersonnes en situation d’isolement luttent auquotidien pour atténuer, voire en annihiler les effets.Notons à ce propos que, quels que soit lesfondements et la forme de ce combat, les personnesse positionnent toujours, à un moment donné, commeactives dans ces agissements.

Deux enjeux principaux de cette lutte quotidiennesont notés :◗ S’affirmer comme personne non vieille, au sens

stigmatisant du terme : les personnes ne sesentent pas vieilles et ne veulent pas le devenir.L’une d’entre elles nous dit « je ne suis pas vieille,je ne m’en rends pas compte. C’est quand lesautres me disent que j’ai du courage à mon âge.Alors, là, je me sens vieille, mais c’est à causedes autres. Alors je continue d’avancer, pour leurmontrer que ça peut aller ».

◗ Sauvegarder une part d’autonomie, mêmerestreinte, et la signifier. Cela revient à choisircette part de liberté, dans la mesure de sespossibilités, pour continuer en partie à gérer sonquotidien : « Mes courses, je ne peux plus, maison me les fait, mais c’est moi qui fais la liste »,« J’ai une personne qui vient pour me faire leménage. Ben, au départ, je lui ai expliquécomment faire pour qu’elle sache meshabitudes. Elle sait que si elle fait bien, ça va,sinon, je lui répète comment il faut faire ».

À travers les témoignages, divers types de luttesont repérables.L’un se traduit par l’anticipation. En connaissance desrisques et par un fort besoin d’être sécurisé, des per-sonnes prévoient un palliatif ou un soutien possible pourdes problèmes pouvant subvenir. Les personnes quiappréhendent ainsi leur combat décident de cesser uneactivité, avant même qu’une rupture s’impose à elles.Le second pourrait se nommer la lutte libératrice,paradoxale en ce sens qu’elle est sous-tendue par larecherche de la mort, ressource ultime pour pallierune peine profonde (décès d’un conjoint notam-ment). Des personnes préservent le minimum vitalpour ne pas souffrir (physiologiquement), mais selaissent socialement partir peu à peu : « je mange,parce qu’il faut manger, mais tout le reste, je lerefuse ; ce que je veux, c’est rejoindre mon mari, ilm’attend et moi aussi ». Enfin, des personnes font preuve de créativité dans leurmanière de lutter. Elles connaissent leurs besoins, etcréent peu à peu, seules ou avec de l’aide, un petitréseau, « un système D » qui permet de les satisfaire :« Je me rends compte que je suis isolé, mais j’apprendsà vivre avec. Quand j’ai un problème, j’accepte dedemander de l’aide, ou de dire oui si on m’en propose.Maintenant, j’ai plusieurs personnes à qui demander del’aide. C’est quand même parfois difficile ».

Malgré la restriction certaine du réseau social, l’échangeapparaît toujours comme une garantie. D’abord, il s’agitd’accepter de s’impliquer dans un échange, sansforcément avoir le besoin de recevoir, en vue de lerendre pérenne : « Je dis toujours oui, quand on medemande, même si je n’ai pas besoin spécialement,pour qu’on revienne me demander. Le jour où j’auraivraiment besoin, ils seront là comme ça ». Les personnes montrent une certaine maîtrise del’échange. C’est leur manière à elle de s’affirmerencore autonome : « J’ai peu de chose à donner,mais quand même. J’ai peu de personne autour demoi, mais si je demande à cette personne, c’estque je veux que ce soit elle qui m’aide. Et puis jedonne ce que j’ai à qui je veux ». Enfin, l’intégration dans une structure de soutien constitueune base essentielle à la mise en œuvre du processus delutte. La recherche de réseaux de soutien, la sollicitationou l’acceptation du premier contact, la réception d’uneréponse rapide, la perception d’être considéré au point dedésirer y retourner ou revoir quelqu’un, sont quelquesunes des modalités qui garantissent la continuité ducombat et l’émergence de ses apports.

Entamer un processus de lutte contre l’isolement nesaurait se réduire à la manière de le conduire. Qu’est-ce qui motive finalement cette volonté de resterdebout ? « J’aime la vie, même si c’est difficile, j’aimela vie, je me lève le matin et je dis merci d’être envie ». À travers les témoignages, on apprend qu’il n’ya pas de réponse unique pour rester en vie et sebattre. C’est, entre autre, « se sentir important pourquelqu’un, à défaut d’être utile », c’est « savoir qu’unévènement est prévu ou qu’il peut arriver », c’est lapossibilité d’échanger, c’est « choisir » dans un paneld’activités proposées pour ne pas tomber dans lepiège de la consommation, c’est avoir le soutiennécessaire mais non destructeur d’autonomie. S’il est une chose essentielle à retenir de cespropos, c’est bien que les personnes s’affirment là, àdes degrés divers, comme autonomes : ellesréussissent à entretenir des parts de liberté engérant les choses autrement ». Certes, « je ne peuxplus faire grand-chose, mais je tiens bon pour qu’onme laisse faire ce que je veux ». Il s’agit donc bienplus d’entendre et prendre en compte leurspossibilités de gérer leur vie que de définir pourelles des domaines d’autonomie préconstruits. Celarevient, pour l’entourage solidaire à connaître cesdomaines insoupçonnés d’autonomie et à déployerles conditions requises pour leur exercice.

UNE LUTTE NÉCESSAIRE

POUR VAINCRE LA SOLITUDE

DIVERSES MANIÈRES DE MENER

SA LUTTE CONTRE L’ISOLEMENT

MISE EN ŒUVRE DU PROCESSUS

DE LUTTE CONTRE L’ISOLEMENTDES ENJEUX CLAIREMENT POSÉS :

REFUS DE LA VIEILLESSE

ET SAUVEGARDE DE L’AUTONOMIE

Collectif “Combattre la solitude” Analyse des entretiens

Page 11: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Face à leur vécu négatif de l’image stigmatisée dela personne âgée, du sentiment « de rejet » ou de« n’être plus qu’un malade » ou « qu’un dossier »,les personnes nous ramènent à ce qu’est pour ellesl’essentiel : la considération humaine. En effet, leshommes et les femmes rencontrés posent lesvaleurs démocratiques « d’attention », « desolidarité », « de justice », « de compréhension »,« de liberté », « de respect », et « d’écoute »comme garantes principales du bien vieillir. En outre, les personnes âgées expriment que « lacommunication est le principal atout pour romprela solitude » et que la société doit permettre àchacun la possibilité de s’impliquer dans desrelations et de s’affirmer dans ce qu’il a d’unique.

Les témoignages montrent combien il convientd’agir dans une dimension socio-politique globale.Dans des contextes de vie où l’isolement est unfait, la santé et la situation économique fragilisées,où le logement n’offre plus les repères et ladécence nécessaire, où l’accès à l’espace publicn’est pas garanti, le désir de s’impliquer et des’intégrer socialement reste indemne. Or, êtreisolé et souffrir de solitude ne permet pas de« vivre normalement, avec les autres, comme lesautres ». Les personnes isolées n’ont pas lesmoyens nécessaires pour accéder à la vieextérieure, s’y ajuster et finalement composer avecelle. Certaines d’entre elles qualifient même leurquotidien de « survie ».Les réponses actuelles ne restaurent quepartiellement la qualité de vie. En outre, le manquede moyens, tant humain que financier, commel’inexistence des conditions requises pour accéder àla vie sociale sont mis en lumière.

« Vivre décemment », « avoir un logement dignede ce nom », « accéder aux soins », « êtreconsidéré », « ne pas être obligés de se priver »,« accéder aux services publics », sont autant dedemandes des personnes interrogées. Du fait deleur isolement, cela risque de mettre à mall’exercice de leur citoyenneté. Les priorités que sedonnent les systèmes de protection sociale et lasolidarité nationale elle-même ne satisfont pastoujours « L’accès de tous aux droits de tous, par lamobilisation de tous » (Rapport Economique etsocial, 2003). Dès lors, elles ressentent commefragile leur accès aux droits sociaux. Sans que celasoit précisément dit, la citoyenneté même apparaîtremise en question.

DES VALEURS HUMAINES ESSENTIELLES

UN PROJET DE VIE À CONCRÉTISER

LA VIE SOCIALE AU DEHORS

DES DEMANDES QUI REMETTENT

EN QUESTION LE STATUT DE CITOYEN

Les récits de vie recueillis montrent que lespersonnes en situation d’isolement luttent auquotidien pour atténuer, voire en annihiler les effets.Notons à ce propos que, quels que soit lesfondements et la forme de ce combat, les personnesse positionnent toujours, à un moment donné, commeactives dans ces agissements.

Deux enjeux principaux de cette lutte quotidiennesont notés :◗ S’affirmer comme personne non vieille, au sens

stigmatisant du terme : les personnes ne sesentent pas vieilles et ne veulent pas le devenir.L’une d’entre elles nous dit « je ne suis pas vieille,je ne m’en rends pas compte. C’est quand lesautres me disent que j’ai du courage à mon âge.Alors, là, je me sens vieille, mais c’est à causedes autres. Alors je continue d’avancer, pour leurmontrer que ça peut aller ».

◗ Sauvegarder une part d’autonomie, mêmerestreinte, et la signifier. Cela revient à choisircette part de liberté, dans la mesure de sespossibilités, pour continuer en partie à gérer sonquotidien : « Mes courses, je ne peux plus, maison me les fait, mais c’est moi qui fais la liste »,« J’ai une personne qui vient pour me faire leménage. Ben, au départ, je lui ai expliquécomment faire pour qu’elle sache meshabitudes. Elle sait que si elle fait bien, ça va,sinon, je lui répète comment il faut faire ».

À travers les témoignages, divers types de luttesont repérables.L’un se traduit par l’anticipation. En connaissance desrisques et par un fort besoin d’être sécurisé, des per-sonnes prévoient un palliatif ou un soutien possible pourdes problèmes pouvant subvenir. Les personnes quiappréhendent ainsi leur combat décident de cesser uneactivité, avant même qu’une rupture s’impose à elles.Le second pourrait se nommer la lutte libératrice,paradoxale en ce sens qu’elle est sous-tendue par larecherche de la mort, ressource ultime pour pallierune peine profonde (décès d’un conjoint notam-ment). Des personnes préservent le minimum vitalpour ne pas souffrir (physiologiquement), mais selaissent socialement partir peu à peu : « je mange,parce qu’il faut manger, mais tout le reste, je lerefuse ; ce que je veux, c’est rejoindre mon mari, ilm’attend et moi aussi ». Enfin, des personnes font preuve de créativité dans leurmanière de lutter. Elles connaissent leurs besoins, etcréent peu à peu, seules ou avec de l’aide, un petitréseau, « un système D » qui permet de les satisfaire :« Je me rends compte que je suis isolé, mais j’apprendsà vivre avec. Quand j’ai un problème, j’accepte dedemander de l’aide, ou de dire oui si on m’en propose.Maintenant, j’ai plusieurs personnes à qui demander del’aide. C’est quand même parfois difficile ».

Malgré la restriction certaine du réseau social, l’échangeapparaît toujours comme une garantie. D’abord, il s’agitd’accepter de s’impliquer dans un échange, sansforcément avoir le besoin de recevoir, en vue de lerendre pérenne : « Je dis toujours oui, quand on medemande, même si je n’ai pas besoin spécialement,pour qu’on revienne me demander. Le jour où j’auraivraiment besoin, ils seront là comme ça ». Les personnes montrent une certaine maîtrise del’échange. C’est leur manière à elle de s’affirmerencore autonome : « J’ai peu de chose à donner,mais quand même. J’ai peu de personne autour demoi, mais si je demande à cette personne, c’estque je veux que ce soit elle qui m’aide. Et puis jedonne ce que j’ai à qui je veux ». Enfin, l’intégration dans une structure de soutien constitueune base essentielle à la mise en œuvre du processus delutte. La recherche de réseaux de soutien, la sollicitationou l’acceptation du premier contact, la réception d’uneréponse rapide, la perception d’être considéré au point dedésirer y retourner ou revoir quelqu’un, sont quelquesunes des modalités qui garantissent la continuité ducombat et l’émergence de ses apports.

Entamer un processus de lutte contre l’isolement nesaurait se réduire à la manière de le conduire. Qu’est-ce qui motive finalement cette volonté de resterdebout ? « J’aime la vie, même si c’est difficile, j’aimela vie, je me lève le matin et je dis merci d’être envie ». À travers les témoignages, on apprend qu’il n’ya pas de réponse unique pour rester en vie et sebattre. C’est, entre autre, « se sentir important pourquelqu’un, à défaut d’être utile », c’est « savoir qu’unévènement est prévu ou qu’il peut arriver », c’est lapossibilité d’échanger, c’est « choisir » dans un paneld’activités proposées pour ne pas tomber dans lepiège de la consommation, c’est avoir le soutiennécessaire mais non destructeur d’autonomie. S’il est une chose essentielle à retenir de cespropos, c’est bien que les personnes s’affirment là, àdes degrés divers, comme autonomes : ellesréussissent à entretenir des parts de liberté engérant les choses autrement ». Certes, « je ne peuxplus faire grand-chose, mais je tiens bon pour qu’onme laisse faire ce que je veux ». Il s’agit donc bienplus d’entendre et prendre en compte leurspossibilités de gérer leur vie que de définir pourelles des domaines d’autonomie préconstruits. Celarevient, pour l’entourage solidaire à connaître cesdomaines insoupçonnés d’autonomie et à déployerles conditions requises pour leur exercice.

UNE LUTTE NÉCESSAIRE

POUR VAINCRE LA SOLITUDE

DIVERSES MANIÈRES DE MENER

SA LUTTE CONTRE L’ISOLEMENT

MISE EN ŒUVRE DU PROCESSUS

DE LUTTE CONTRE L’ISOLEMENTDES ENJEUX CLAIREMENT POSÉS :

REFUS DE LA VIEILLESSE

ET SAUVEGARDE DE L’AUTONOMIE

Collectif “Combattre la solitude” Analyse des entretiens

Page 12: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Dans notre société qui prend de l’âge,le sujet du vieillissement est devenu

récurrent. Sans nul doute, le phénomène de lacanicule en 2003 a contribué à l’inscription d’unproblème nouveau sur la scène publique, celuide l’isolement des personnes âgées. Le collectifCombattre la solitude, composé de plusieurs ONGet associations de solidarité, a engagé unéchange avec près de 5000 personnes de 60 anset plus sur ce thème. Les éléments de cettesynthèse, qui constituent l’approche qualitativede leurs réponses, se veulent contributifsdu repérage des besoins, d’une meilleureappréhension des expériences d’isolementet de solitude, pour mieux en prévenir lesconséquences néfastes sur la qualité de vie.Il apparaît que parler de son isolement, c’estavant tout parler de soi, de ses rapports aumonde, des vicissitudes qui peuvent naîtreet perdurer. Notamment, les discours sontempreints de solitude, sentiment de souffrancequi apparaît au détour de multiplesdysfonctionnements sociopolitiquesalors mis en exergue.

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

LES PERSONNES ÂGÉES ENVISAGENT

DE MEILLEURS LENDEMAINS

Dans une vision prospective, les personnes âgéesproposent des actions. Nous retiendrons :◗ Inverser la tendance actuelle pour « aller vers

les personnes seules et non attendre qu’ellesviennent demander de l’aide » ;

◗ Agir rapidement, régulièrement et ensemble« J’ai appelé…mais on m’a rappelé troissemaines après, je n’avais plus besoin de rien » ;« Les services de la mairie pourraient venirrégulièrement dans l’hôtel pour parler aux gens,écouter leurs besoins, leur permettre de renoueravec leurs proches, se coordonner avec lesassociations pour leur permettre des activités » ;

◗ Former et informer : « Former les gens quitravaillent autour de nous » ; « Informer sur toutce qui existe » ;

◗ Offrir chaque jour et à chaque période de l’annéedes réponses possibles : « l’été, les périodes defêtes (Noël, Pâques), c’est plus difficiles, tout estfermé » ; « il existe beaucoup de choses, mais ilfaut des choses pour le dimanche. Il arrive que cejour là, on cause à personne, même pas de visites,c’est mortel… » ;

◗ Favoriser les rencontres entre les âges : « Créerdes lieux de rencontres où se mélangent lesjeunes et les vieux, et permettent aux acteursprésents d’échanger leurs expériences et dedécouvrir leurs compétences respectives » ;

◗ Associer le développement des transportsadaptés et un accompagnement humain adéquat :« Mettre plus de transports adaptés auxpersonnes âgées… » ; « avec des bénévoles quinous accompagnent » ;

◗ Garantir un logement décent : « Offrir deslogements moins chers pour avoir autre chose quequatre murs où on devient malade de la tête » ;

◗ Aménager le territoire : « mettre des bancs dansles rues pour s’asseoir », « faciliter lescommerces de proximité » ;

◗ Garantir l’accès à la vie sociale pour les personnesà mobilité réduite : « La mairie propose desactivités, mais pour les personnes valides » ;

◗ Garantir un meilleur niveau de vie :« l’accessibilité des actions aux personnes àrevenus modestes ».

De manière générale, il convient de « faire prendreconnaissance au plus grand nombre que lasolitude existe, et ensuite agir… Parler etconcrétiser dans des actes ».

Pourrons-nous relever ce défi ?

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

3Analyse des entretienspar Marika Richetto

Page 13: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à unenouvelle situation au sein de nos sociétés

modernes, à savoir, le grand isolement d’un nombrecroissant d’individus, tous âges confondus, et le sentimentde solitude qui y est souvent attaché.Chaque individu est concerné à un moment donné de savie, par l’expérience de la solitude. Dans cette perspective,l’homme, être social, est, par essence, voué à la solitude,expérience alors inhérente à la condition humaine. Sur le plan social, la solitude des aînés, par exemple, résultede la dynamique des rapports entre la sphère des aînés etcelle des autres générations. Or, si les plus vieux n’ont pasou plus d’occupations identiques aux gens plus jeunes, ilsperdent la possibilité d’entretenir des relations avec eux.Ces déséquilibres traduisent maintes situations danslesquelles peut s’inscrire un individu : soit celui-ci setrouve trop isolé physiquement ou mentalement, soit n’apas suffisamment de relations, soit est privé de certainstypes de relations, ou n’a pas de contacts d’assez bonnequalité. Ces déficiences relationnelles peuvent coexisterou non, les déséquilibres peuvent être croissants etpeuvent générer différentes expressions de la solitudechez les individus âgés.

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

4Contributionde Philippe PitaudProfesseur à l’Université de Provence,Directeur de l’Institut de Gérontologie sociale

•••

Page 14: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Le terme de solitude n’est pas un phénomène, unconstruit facile à conceptualiser, bien que noussachions tous intuitivement ce qu’il est.

Il n’existe pas de définition uniformisée de la solitu-de. La solitude est avant tout une expérience subjec-tive. Elle est bien souvent perçue comme une expé-rience négative, pénible à vivre qui s’accompagned’affects négatifs. Elle correspond chez l’individu à laperception d’une déficience de son réseau de rela-tions sociales, si bien qu’une personne peut ressen-tir de la solitude dans une foule.

La solitude n’est qu’une expression de l’ordre de larelation. Certes l’on peut quantifier le nombre devisites que l’on reçoit de quelqu’un, distinguer la viesolitaire de la vie en couple ou en communauté, ana-lyser le nombre des interactions entretenues avec lafamille ou le voisinage, mais là encore, la relationn’est pas automatique entre ce que vit la personne etun éventuel éprouvé de solitude. Le problème est unproblème de liens, celui de la nature, celui de lamanière dont est assurée la participation de la per-sonne à son milieu. Le navigateur solitaire qui fait letour du monde, quand bien même il n’aurait pas decontact radio, rencontrerait l’isolement certes maispas la solitude.

L’on peut choisir de s’isoler, l’on ne choisit jamais lasolitude car elle est souffrance, souffrance-signald’un déséquilibre de la relation organisme-milieu.

L’exploration de situations de solitude bien souventvécues comme une exclusion rendue encore plusinsupportable lorsque la détresse psychologiques’accompagne d’un quotidien douloureux ou qu’ellese transforme en pathologie, source de souffrancenous permet de découvrir un champ d’action infinipour œuvrer à la reconstruction du lien social.

Dans cette enquête, outre qu’elle concerne 5OOOpersonnes âgées réparties sur l’ensemble du terri-toire national et qu’elle est, à ce titre intéressante auplan quantitatif, les auteurs ont produit une sommede connaissances avant tout utile à l’action immédia-te comme à la projection et à la mise en œuvre d’in-terventions futures en faveur de la reconstruction dulien social.

D’emblée, on reconnaîtra qu’une telle enquête a euune fonction à caractère thérapeutique dans lamesure où elle a constitué un formidable lieu d’ex-pression en nous rappelant que pour beaucoup depersonnes âgées isolées, « dire c’est être » et qu’enparlant de soi, de sa relation aux autres, on s’identi-fie et on affirme son existence tout en renforçant sonestime de soi.

Ce travail met en exergue les parcours identitaires,leurs réaménagements à l’occasion des ruptures quiont jalonné la vie des interviewés et témoigne del’importance de l’intégration sociale comme supportessentiel à la construction des individualités.

Les personnes apparaissent le plus souvent, avidesde contacts, de rencontres et en cela, le rôle desassociations, fondement de la vie sociale française,apparaît récurrent. On peut regretter cependant uncertain amalgame dans le public, avec certainesstructures du type Mairies et CCAS dans leur prolon-gement, car si la philosophie d’action peut apparaîtrela même, il n’en n’est souvent rien des pratiques voirede la psychologie des acteurs. Dans le monde associa-tif, les acteurs sont avant tout des militants et ils leprouvent chaque jour, souvent sans limites. Quand lesmembres d’une association ont perdu la foi, on setrouve alors en présence de prestataires de services ;c’est alors une autre logique.

Dans cette continuité, l’enquête montre d’abord, unmonde qui a changé laissant dans un no man’s landsocial et relationnel, une génération abandonnée àelle-même ou plutôt aux associations de bénévolesdans la mesure où les grandes structures fonda-mentales des temps anciens comme la famille, lepouvoir religieux et ses représentants..etc… se sontlargement affaiblis pour n’être remplacés par riend’autre pouvant offrir des repères.

Ce travail suggère ainsi différentes pistes à explorer,pistes qui passent par le renforcement de l’actionassociative car elle apparaît aujourd’hui, plus quejamais, comme la plus proche des attentes descitoyens âgés (mais pas seulement).

Ainsi, les week-ends, les vacances scolaires, lefameux mois d’Août désertique, spécificité française,apparaissent fortement marqués par un vide abyssalqui laisse les plus fragiles d’entre nous sans res-sources et témoignent plus que d’autres plages detemps, que la solitude et les souffrances qui en décou-lent, ne constituent pas simplement le fait d’êtreseul(e), mais avant tout, d’avoir, pour les laissés pourcompte, le sentiment de ne compter pour personne.

Pour conclure, nous soulignerons que la vie estconstituée de ruptures comme des crises qui leursont associées et qui permettent aux individusde produire des stratégies afin d’en surmonter leseffets (le travail de deuil au sens freudien).

En ce sens,” la rupture sur le plan sociologique doitêtre aussi entendue comme crise, une crise qui rendmanifeste l’irruption dans le champ du présent d’unensemble de conflits qui se dérouleront dans destemporalités différentes.”( GRAS A -1979)

Dans cette dynamique, on pensera l’existencehumaine comme une succession de ruptures déter-minantes de nombreux “avants” et de nombreux“après” qui tous, nous inscrivent dans des solitudesdont le dépassement s’inscrit dans un long chemine-ment personnel; un cheminement qui nous mène aucoeur de nous-même en un Compostel intérieur quin’a pour autre objet que la conquête éperdue et sansdoute infinie de soi.

Collectif “Combattre la solitude” – Contribution de Philippe Pitaud

Page 15: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Dès l’origine du projet, le comitéPersonnes Âgées de la Fondation de

France a souhaité soutenir ce travail d’enquêtecar il présentait un double intérêt.Le premier réside dans le portage du projet.Contrairement à ce que l’on observe dans laplupart des opérations de ce type, il n’est pasl’œuvre d’un organisme ou d’une fédération,mais d’un Collectif. Cette singularité mérited’être signalée car, même si on peut le regretter,il est trop rare que les institutions acceptent detravailler ensemble autour de problématiquesqui, pourtant, les concernent toutes. Nous saluonsd’autant plus cette coopération qu’elle aurapermis un travail beaucoup plus ambitieux quece qu’aurait pu faire une seule association ;c’est toute la force du collectif ! Et cette force estnécessaire car le public visé échappe en grandepartie aux enquêtes traditionnelles. Seules lesorganisations impliquées étaient en mesure,par leur connaissance du public, d’obtenirun tel retour d’informations.

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

5Contributionde Dominique ArgoudMaître de conférences, Université Paris XIIPrésident du comité Personnes ÂgéesFondation de France

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Page 16: Synthèse du Rapport général - Croix-Rouge française

Le second intérêt de l’enquête est qu’il se focalisesur un phénomène relativement peu visible. Certes,on dispose déjà d’éléments notamment statistiquessur l’isolement et la solitude et l’on n’est pas surprisd’apprendre que ces phénomènes s’accroissent enfonction de l’âge, du handicap et du milieu socio-économique des personnes. Néanmoins, force est deconstater que l’isolement et la solitude sontlargement « invisibles » sur l’agenda public. C’estainsi, par exemple, que le suicide des personnesâgées – qui est fortement corrélé à l’isolementfamilial et relationnel – est souvent ignoré dans saréalité comme dans ses causes, alors qu’il s’agitd’un phénomène proportionnellement plus importantau grand âge que chez les plus jeunes.

Certes, la canicule de l’été 2003 a permis deprendre conscience de l’existence en France d’ungrand nombre de personnes isolées avec les consé-quences que l’on sait. Mais les politiques publiquess’inscrivent beaucoup plus dans une logique deprise en charge de la dépendance que dans unelogique de soutien des solidarités et du lien social.Même le dispositif de « veille et d’alerte » instituépar le législateur s’apparente plus à une procédureadministrative qu’à une volonté d’agir en profon-deur pour prévenir l’isolement.

Dans le prolongement des travaux commandités parla Fondation de France sur les solidarités de voisi-nage envers les personnes âgées, les résultats decette enquête soulignent à leur tour deux enjeuxfondamentaux.

En premier lieu, et c’est ce qui explique la difficultédes politiques publiques à apporter une réponseappropriée, « combattre la solitude » ne se décrètepas. L’insistance des personnes interrogées pourvouloir préserver leur autonomie démontre qu’il nes’agit pas de faire le bien à leur place. Les politiquesde « prise en charge » ont eu tendance à assister età ségréguer les personnes aidées. Ici, les personnesisolées réaffirment avec force leur désir de resterinsérées dans des circuits d’échanges les plus« normaux » possible. Agir auprès d’elles supposedonc de prendre en compte les histoires et trajec-toires de vie individuelles au risque, sinon, de per-turber de fragiles équilibres.

En second lieu, et corrélativement, « combattre lasolitude » nécessite une action en amont. Celarevient à remettre en cause la logique curative despolitiques sanitaires et sociales pour au contrairerepenser le mode d’intervention des acteurs dansune logique plus préventive. Car, dans la plupartdes cas, on n’est pas isolé, on le devient. Or l’orga-nisation de la société offre plus ou moins de facili-tés ou d’obstacles pour que la rencontre puisses’opérer entre les individus quels que soient leurâge et leur handicap. Par conséquent, prévenir l’iso-lement et la solitude revient à remettre en perspec-tive l’organisation même et le fonctionnement de lasociété. Vaste programme !

Collectif “Combattre la solitude” – Contribution de Dominique Argoud

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La réalisation, par le collectif « Combattre la Solitude », d’uneenquête associant l’exploitation de près de 5 000 questionnaires

et l’analyse d’une trentaine d’entretiens constitue une entreprise qu’ilconvient de saluer et qui mérite qu’on prenne le temps d’écouter cequ’elle a à nous dire. Tout d’abord, ce beau travail, qui a été réaliséauprès d’un échantillon non pas représentatif des personnes âgéesde plus de 60 ans, mais significatif des diverses situations d’isolementet de vécu de la solitude auxquelles elles sont confrontées, permet derepérer et de différencier deux grandes formes d’isolement/solitude(car, si les deux notions sont à distinguer et ne se recouvrent pas, lesdeux réalités apparaissent bien corrélées) : l’exclusion relationnelleà caractère économique, qui frappe plutôt des sexagénaires, est d’uneautre nature que l’exclusion relationnelle liée à l’avancée en âge quitouche davantage les plus âgés. C’est là un premier résultat majeur,qui se trouve complété par tout un ensemble d’observations surl’isolement/solitude liée à l’avancée en âge (l’isolement/solitudeà caractère économique nécessite, quant à elle, une investigationcomplémentaire, qu’il est d’autant plus important d’entreprendreque cette réalité se trouve aujourd’hui occultée par l’image des jeunesseniors financièrement à l’aise, tournés vers leurs proches et engagésdans de multiples relations sociales).

Isolement eett vie rreellaattiioonnnneellllee

Le collectif“Combattre la solitude”

ASSOCIATION DES CITÉS DU SECOURS CATHOLIQUE

CROIX ROUGE FRANÇAISE

FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

FONDS SOCIAL JUIF UNIFIÉ

LES PETITS FRÈRES DES PAUVRES

RELIGIEUSES PRÉSENTES DANS LE MONDE DE LA SANTÉ

SECOURS CATHOLIQUE/CARITAS FRANCE

6Contributionde Vincent CaradecProfesseur de sociologie à l’université de Lille 3

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L’enquête souligne bien, par exemple, le souci despersonnes qui vieillissent de rester autonomes,actrices de leur vie, ou encore l’importance de laperte du conjoint, des problèmes de santé et del’impossibilité de sortir de chez soi dansl’avènement du sentiment de solitude.

Ces constats font écho aux travaux menés par lessociologues sur la « déprise », notion qui désigne leprocessus de réaménagement de l’existence qui seproduit au cours de l’avancée en âge, au fur et àmesure que les personnes qui vieillissent sontconfrontées à des problèmes de santé, à desdifficultés physiques croissantes, à une fatigue plusprégnante et à une réduction de leurs « opportunitésd’engagement ». Il leur faut alors revoir à la baisseleurs activités et leurs relations sociales. Mais elles lefont en s’efforçant de conserver, aussi longtemps quepossible, des activités et des relations qui font senspour elles et qui leurs permettent de maintenir une« prise » sur le monde. Le point important est que lesmécanismes déclencheurs de la déprise – qui sont demême nature que ceux qui conduisent à l’isolement etla solitude – ne sont pas seulement à chercher ducôté des personnes qui vieillissent, mais aussi dansleur environnement : leur environnement matériel(l’exemple des bancs, cité dans le rapport, l’illustreparfaitement : l’absence de bancs dans l’espaceurbain constitue un obstacle pour les promeneursâgés qui ont besoin de prendre régulièrement durepos et contribue à leur repli sur leur espacedomestique) et leur environnement relationnel, plusou moins riche en « opportunités » d’engagementdans des relations sociales. C’est là, dans la créationd’un environnement plus favorable, plus riche en« supports », que les associations trouvent leurraison d’être : en essayant, par exemple, de faireprendre conscience aux élus de l’importance decertains aménagements urbains ; en suscitant desespaces et des occasions de rencontres permettantaux personnes âgées isolées de nouer des relationsnouvelles ; en les sollicitant lorsqu’elles souffrent dene plus l’être suffisamment tout en prenant garde dene pas les enfermer dans une posture passive, enfaisant en sorte qu’elles puissent, au contraire,participer à des activités qui correspondent à leursdésirs et sont susceptibles de leur procurer lesentiment qu’elles peuvent encore être utiles.

On peut, sur ce point, revenir à l’enquête. Car – c’estlà une de ses originalités – elle a elle-mêmeconstitué une occasion de solliciter les personnesqui souffrent de solitude, de les rencontrer,d’échanger avec elles sur la base des questionsprévues dans le dispositif d’enquête. Ainsi, lequestionnaire a été non seulement un outil deproduction de connaissances générales sur lasolitude, mais aussi un support d’échanges entreles bénévoles des associations partie prenante duCollectif et les personnes que ces bénévoles ontrencontrées, un moyen de mieux les connaître,d’écouter leur point de vue, d’entendre leursaspirations et, le temps de cet échange, de rompreleur isolement. D’outil scientifique, le questionnaires’est ainsi transformé en médium du lien social – etcela aussi est à méditer.

Collectif “Combattre la solitude” – Contribution de Vincent Caradec