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LA DÉCISION STRATÉGIQUE EN SITUATION DE CRISE : Y CONTRIBUER, S’Y PREPARER Mémoire en vue de l’obtention de la formation d’adaptation à l’emploi de directeur départemental adjoint et du certificat en sciences politiques mention « Directeur Départemental Adjoint des services d’incendie et de secours » délivré par l’Institut d’Études Politiques d’Aix en Provence Lieutenant-colonel Christophe PAICHOUX Service Départemental d’Incendie et de Secours d’Ille-et-Vilaine Promotion DDA 2015/01 n° 13 Directeur du mémoire : Christophe RATINAUD Accompagnement méthodologique : Division des Formations Supérieures de l’ENSOSP

LA DÉCISION STRATÉGIQUE EN SITUATION DE CRISE

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LA DÉCISION STRATÉGIQUE EN SITUATION DE CRISE :

Y CONTRIBUER, S’Y PREPARER

Mémoire en vue de l’obtention de la formation d’adaptation à l’emploi

de directeur départemental adjoint

et

du certificat en sciences politiques mention « Directeur Départemental Adjoint des services

d’incendie et de secours » délivré par l’Institut d’Études Politiques d’Aix en Provence

Lieutenant-colonel Christophe PAICHOUX

Service Départemental d’Incendie et de Secours d’Ille-et-Vilaine

Promotion DDA 2015/01 n° 13

Directeur du mémoire : Christophe RATINAUD

Accompagnement méthodologique :

Division des Formations Supérieures de l’ENSOSP

Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent pas

l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence, ni l’École Nationale Supérieure des Officiers

de Sapeurs-Pompiers (ENSOSP).

REMERCIEMENTS

Ce mémoire s’inscrit dans le cadre de la formation d’adaptation à l’emploi de directeur

départemental adjoint. Je citerai donc en premier lieu le colonel Pierre Patet et son adjoint,

le colonel Philippe Stechmann, qui m’ont donné la possibilité de faire valoir mes chances au

jury d’admission à cette formation.

Mon travail de recherche a bénéficié du guidage d’un directeur de mémoire passionné et

particulièrement attentionné, en la personne de Christophe Ratinaud.

Je me suis également nourri de la richesse des échanges avec l’ensemble des personnalités

rencontrées à l’occasion de nos entretiens, ainsi qu’avec les membres de ma promotion, que

je salue confraternellement. Les connaissances et références bibliographiques transmises par

le lieutenant-colonel Patrice Fénéon, actuellement auditeur à l’Institut national des études

territoriales, ont représenté un apport supplémentaire et significatif.

Cette année de formation a pu se dérouler dans la sérénité grâce à la compétence et au sens

du service public de l’équipe qui m’entoure au sein du groupement territorial dont j’assume

le commandement. J’ai notamment pu m’appuyer sur le professionnalisme et la disponibilité

de mon adjoint, le commandant Patrice Schiapparelli.

L’élaboration de ce document doit beaucoup au travail de mise en forme effectué par

Michèle Petitjouan, et à la relecture attentive et éclairée de Myriam Ménager.

J’ai pu m’investir dans cette formation autant que je le souhaitais. Je le dois grandement au

soutien et à la présence des personnes qui me sont chères et qui se reconnaitront. Mention

spéciale à Janick, Yanna, Tanguy et Diego, pour leur patience, leur compréhension et pour

ce qu’ils m’apportent chaque jour.

A toutes et à tous, je veux aussi simplement que sincèrement dire merci.

RÉSUMÉ

Les décisions stratégiques prises dans l’urgence, sans disposer des repères habituels,

peuvent générer des conséquences lourdes, particulièrement dans le domaine de la sécurité

civile.

Notre travail de recherche vise à identifier en quoi la contribution des officiers sapeurs-

pompiers à ces prises de décision peut nécessiter une préparation spécifique, dès lors

qu’elles s’inscrivent dans une situation de crise.

L’analyse des concepts de stratégie, de décision et de crise met en évidence les relations

ambivalentes que ces notions entretiennent entre elles : il n’est pas de pire moment que la

crise pour définir une stratégie. C’est pourtant dans cette situation que l’approche

stratégique s’avère indispensable.

A partir du témoignage des acteurs de la gestion de crise, qu’il s’agisse de membres du corps

préfectoral, d’officiers sapeurs-pompiers, de représentants d’autres entités également

concernées, nous décrivons en quoi la crise influe sur le processus de construction collective

de la décision.

Dans le prolongement, les observations des personnes interrogées nous renseignent sur les

fonctions effectivement tenues par les officiers sapeurs-pompiers dans l’élaboration des

décisions stratégiques, et sur les compétences que cela requiert. Cette prise de conscience

alimente la réflexion sur la nécessaire préparation des officiers à intégrer la dimension

stratégique.

Mots-clefs : stratégie - crise - décision - adhocratie - compétences - capitalisation de

l’expérience - apprentissage organisationnel

ABSTRACT

Strategical decisions taken in an urgent situation, without the usual markers, can have a

critical impact, especially when dealing with civil security. The goal of our research is to

identify how the contribution of fire-fighters within the decision-making may need a specific

preparation, especially when the circumstances are critical.

The analysis of strategy, decision and crisis concepts shows directly the ambivalent notions

these words have: there is no worse moment than a crisis to define a strategy ; but it is

specifically in this situation that a strategical approach is inevitable.

Based on the testimony of the crisis managers, whether they are prefects, fire-fighter

officers, or members of other concerned entities, we describe how a crisis can influence the

process of collective decision making.

The interrogated individuals’ observations give us information on the methods used by fire-

fighter officers during the elaboration of strategical decisions, and on the skills that it

requires. This awareness helps the reflection on this necessary preparation of officers to

incorporate a strategical dimension.

Keywords: strategy - crisis - decision - adhocracy - skills - capitalization of the experience -

organizational learning

TABLE DES ABRÉVIATIONS

ANDSIS : Association Nationale des Directeurs des Services d'Incendie et de Secours ................... 102

ARS : Agence Régionale de Santé ................................................................................................. 55

BSPP : Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris .............................................................................. 51

CEMA : Chef d'État-Major des Armées .......................................................................................... 69

CGCT : Code Général des Collectivités Territoriales ...................................................................... 125

CHEMI : Centre des Hautes Études du Ministère de l'Intérieur ........................................................ 52

CHU : Centre Hospitalier Universitaire ........................................................................................... 92

CIC : Cellule Interministérielle de Crise ......................................................................................... 89

CNFPT : Centre National de la Fonction Publique Territoriale .......................................................... 96

COD : Centre Opérationnel Départemental .................................................................................... 50

CODIS : Centre Opérationnel Départemental d'Incendie et de Secours ........................................... 88

COGIC : Centre Opérationnel de Gestion Interminstérielle des Crises .............................................. 75

COMSIC : Commandant des Systèmes d'Information et de Communication ................................... 129

CORRUSS : Centre Opérationnel de Réponse et de Régulation des Urgences Sanitaires et Sociales 115

COS : Commandant des Opérations de Secours............................................................................... 3

COTRRIM : Contrat Territorial de Réponse aux RIsques et aux effets des Menaces........................ 123

COZ : Centre Opérationnel de Zone .............................................................................................. 88

CROP : Common Relevant Operation Picture ................................................................................. 76

CROSS : Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage ........................................... 1

DDA : Directeur Départemental Adjoint......................................................................................... 92

DDSIS : Directeur Départemental des Services d'Incendie et de Secours ........................................ 88

DGGN : Direction Générale de la Gendarmerie Nationale .............................................................. 114

DGSCGC : Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises ................................. 89

DOS : Directeur des Opérations de Secours .................................................................................... 3

EHESP : École des Hautes Études en Santé Publique ..................................................................... 55

EMIZ : État-Major Interministériel de Zone .................................................................................... 88

ENSOSP : École Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers ........................................ 21

EPRUS : Établissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires ............................. 115

ESOL : Établissement de Soutien Opérationnel et Logistique .......................................................... 78

FNSPF : Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers de France .................................................... 102

GDC : Gestion De Crise ................................................................................................................ 98

GIEC : Groupe Intergouvernemental d'Experts sur le Climat ............................................................. 3

GOC : Gestion Opérationnelle et Commandement .......................................................................... 73

HSBC : Hong Kong Shanghai Banking Corporation ......................................................................... 32

IHEDN : Institut des Hautes Études de Défense Nationale ........................................................... 110

INHESJ : Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice .................................... 52

IPAAF : Intégration des travaux du Profil Attendu Après Formation .............................................. 102

LCAG : Learned, Christensen, Andrews, Guth ................................................................................ 10

MASC : Mission d'Appui en Situation de Crise ................................................................................ 89

MEDO : Méthode d'Élaboration de la Décision Opérationnelle ......................................................... 73

MOOC : Massive Open Online Courses ........................................................................................ 126

NRBCE : Nucléaire Radiologique Bactériologique Chimique Explosif .............................................. 112

ONU : Organisation des Nations Unies .......................................................................................... 91

OODA : Observation, Orientation, Décision, Action ........................................................................ 23

ORSEC : Organisation de la Réponse de SÉcurité Civile .................................................................. 49

OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord ....................................................................... 91

PC : Poste de Commandement ................................................................................................... 109

PCO : Poste de Commandement Opérationnel ............................................................................... 88

SAMU : Service d'Aide Médicale Urgente ..................................................................................... 108

SDIS : Service Départemental d'Incendie et de Secours ................................................................... 2

SIDPC : Service Interministériel de Défense et de Protection Civile ................................................. 94

SITAC : SItuation TACtique .......................................................................................................... 75

SNCF : Société Nationale des Chemins de fer Français ................................................................... 55

SOIEC : Situation, Objectif, Idée de manœuvre, Exécution, Commandement ................................ 109

STICC : Situation, Task, Intent, Concern, Calibrate, ..................................................................... 124

TEPCO : Tokyo Electric Power Company ....................................................................................... 62

SOMMAIRE

INTRODUCTION .................................................................................................................... 1

1. ANALYSE DES CONCEPTS DE DÉCISION STRATÉGIQUE ET DE CRISE ......................... 7

1.1 La décision stratégique ............................................................................................. 7 1.1.1 Une stratégie omniprésente .............................................................................. 7

1.1.2 Un concept en évolution .................................................................................. 13

1.1.3 Stratégie et décision ....................................................................................... 23

1.2 La crise .................................................................................................................... 31

1.2.1 Approches de la crise ...................................................................................... 31

1.2.2 Caractéristiques de la crise ............................................................................. 37

1.3 Crise et stratégie ..................................................................................................... 41

1.3.1 Les relations paradoxales entre crise et stratégie .......................................... 41

1.3.2 Des modèles d’analyse stratégique de la crise ............................................... 43

2. APPROCHE PRATIQUE DE LA DÉCISION STRATÉGIQUE EN SITUATION DE CRISE ... 47

2.1 Méthode de recherche ............................................................................................ 47

2.1.1 Hypothèses de recherche ................................................................................ 48

2.1.2 Identification des données nécessaires .......................................................... 49

2.1.3 Protocole et outils de recherche ..................................................................... 51

2.1.4 Limites de la démarche ................................................................................... 53

2.2 Regard des acteurs sur la décision stratégique en situation de crise .................... 53 2.2.1 La situation de crise ........................................................................................ 53

2.2.2 La prise de décision ......................................................................................... 66

3. LES COMPÉTENCES DE L’OFFICIER SAPEUR-POMPIER EN SITUATION DE CRISE .... 87

3.1 Regard des acteurs sur les compétences requises en situation de crise ................ 87

3.1.1 Quelles compétences pour quelles fonctions ? ............................................... 87

3.1.2 L’acquisition des compétences ...................................................................... 104

3.2 Formulation de préconisations ............................................................................. 120

3.2.1 Référentiel pris en compte ............................................................................ 120

3.2.2 Avant la crise ................................................................................................. 121 3.2.3 Pendant la crise ............................................................................................. 128

3.2.4 Après la crise ................................................................................................. 129

CONCLUSION .................................................................................................................... 131

1

INTRODUCTION

L’Histoire fournit de nombreux exemples de décisions qui, prises sous la pression de

l’urgence, ont bouleversé le cours des événements. C’est le 5 juin 1944, à 4 heures du

matin, que le général Eisenhower fixe au lendemain le débarquement allié sur les plages de

Normandie. Les conditions météorologiques ne sont pas optimales, mais repousser

l’opération au-delà du 6 juin aurait nécessité d’attendre au-moins quinze jours

supplémentaires, compte-tenu des impératifs de lune et de marée, avec le risque de

compromettre l’effet de surprise. L’analyse a postériori1 de cette décision fait apparaître que,

parmi les trois équipes d’experts météorologistes sollicitées par les alliés, deux avaient

recommandé un débarquement le 5 juin. Au regard de la situation effectivement constatée le

5 juin, cela aurait conduit à un désastre. De leur côté, les experts allemands avaient

considéré que le temps prévu le 6 juin rendait impossible toute tentative de débarquement,

et les consignes de vigilance avaient été allégées…

La pertinence des actions les plus déterminantes peut ainsi ne se révéler qu’après coup. En

matière de sécurité civile, les décideurs peuvent également être confrontés à des choix

lourds de conséquence, sans disposer des informations ni du temps requis. Le 11 décembre

1999, à 14h082, le commandant de bord du pétrolier « L’Érika » émet un signal de détresse

pour signaler une avarie à bord. A 17h25, après avoir annulé son message de détresse,

« l’Érika » informe le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS)

qu’il a changé de cap pour s’abriter dans un port à proximité, sans donner de détail sur les

avaries qu’il subit. A 21h15, le port de Saint-Nazaire prend la décision de refuser d’accueillir

le navire, le courant de la Loire empêchant l’installation de barrages de protection. Il suggère

un déroutement sur Brest. Neuf heures après, l’Érika fait naufrage, libérant dans la mer les

18000 tonnes de fioul qui souilleront 400 kilomètres de côtes.

Cet événement, pris parmi d’autres, illustre la difficulté de décider dans l’urgence. Plus

précisément, il nous incite à nous interroger sur la façon dont se conduit le raisonnement

stratégique, pour diriger des opérations de secours de grande ampleur en situation de crise.

Tel est l’objet de notre étude.

Le contexte dans lequel il s’inscrit lui donne toute son acuité.

D’un point de vue politique, les décisions stratégiques prennent place dans un paysage

institutionnel qui évolue. La réforme territoriale initiée en 20103 engendre des changements

de compétences ou de niveau de décision. Cet effet se trouve accru par le mouvement

simultané de réforme de l’administration territoriale de l’État qui confère au préfet de région

un rôle éminent en matière de conduite de l’action stratégique de l’État. La plupart des

directions déconcentrées, y compris leurs ressources d’expertise, sont désormais régionales.

Ces réformes n’ont pas remis en cause l’exercice du pouvoir de police administrative

1 J.R. Fleming (2004), "Sverre Petterssen, the Bergen School, and the Forecasts for D-Day" 2 Bureau d'enquêtes sur les événements de mer (BEAmer) et Commission permanente d’enquête sur les événements de mer (CPEM) (2000), "Rapport d’enquête sur le naufrage de l'« Érika » survenu au large de la Bretagne le 12 décembre 1999" 3 Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République

2

générale du maire ni du préfet, mais modifient dans les faits les conditions dans lesquelles il

s’exerce.

A l’échelon international, la politique étrangère de la France, intégrant la projection de forces

d’intervention sur divers théâtres d’opérations, expose ipso facto à un risque d’importation

des conflits extérieurs. Les autorités civiles doivent se préparer à faire face aux risques

(accidents, événements climatiques, etc.) mais également aux menaces, notamment

terroristes. Le concept de « sécurité nationale » traduit « la nécessité de gérer l’ensemble

des risques et des menaces, directs ou indirects, susceptibles d’affecter la vie de la

Nation1 ». La sécurité de la Nation ne dépend pas uniquement de la protection du territoire

contre une agression d’un état tiers, elle est aussi tributaire de sa capacité de réaction

intérieure.

Au niveau économique, les conséquences des crises financières se font sentir à au moins

deux titres. D’une part, les moyens d’action publique se réduisent, qu’il s’agisse de

prévention ou de réponse aux événements. Les moyens des services départementaux

d’incendie et de secours (SDIS) ont jusqu’à présent été préservés. Mais les contraintes

budgétaires de leurs principaux financeurs compliquent la perspective. Ainsi, sur la période

2011-2013, les effectifs de sapeurs-pompiers professionnels ont été réduits de 208 agents au

plan national. Rapportés à un effectif global de 39 000 fonctionnaires, l’impact est faible.

Mais il s’agit « d’une véritable rupture par rapport à la dynamique de croissance permanente

des effectifs de sapeurs-pompiers professionnels2 ». Dans une période de raréfaction des

moyens, les inévitables arbitrages en situation de crise relèvent d’une décision stratégique.

Par ailleurs, le ralentissement de l’activité et les difficultés d’accès au financement ont

sensiblement accru la vulnérabilité du tissu économique. Ce phénomène, conjugué à la

croissance ininterrompue du chômage, peut à terme amoindrir la résilience de la population,

c’est-à-dire son aptitude « à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe

majeures, puis à rétablir rapidement [sa] capacité de fonctionner normalement, ou à tout le

moins dans un mode socialement acceptable3 ».

Le contexte social conditionne également l’adhésion de la population aux décisions prises en

situation de crise. Or le sentiment prévalant vis-à-vis des pouvoirs publics est plutôt la

défiance : seuls 8% des Français déclarent faire confiance aux partis politiques. Ce chiffre

n’atteint que 23 % pour les médias et 46 % pour la justice4. Les contestations parfois

violentes de décisions prises au nom de l’intérêt général (projets d’aéroport de Notre-Dame-

des-Landes en Loire-Atlantique ou de barrage hydraulique de Sivens dans le Tarn) illustrent

les difficultés des modes traditionnels de consultation et de prise de décision.

L’apport de la technologie est quant à lui ambivalent. En premier lieu, le développement des

systèmes d’information et de communication a considérablement augmenté la rapidité

d’acquisition et de diffusion des informations. La difficulté réside d’ailleurs désormais moins

1 "Livre Blanc Défense et Sécurité Nationale" (2013) 2 M. Lamotte, S. Masse et T. Ledunois (2015), "Comment les Services Départementaux d'Incendie et de Secours font-ils face à la raréfaction des ressources financières de leurs principaux contributeurs ?" 3 Livre Blanc Défense et Sécurité Nationale (2013) 4 IPSOS Steria (2014), enquête pour Le Monde, France Inter, la Fondation Jean Jaurès et le CÉVIPOF

3

dans la possibilité d’obtenir une information que dans la capacité à distinguer le

renseignement pertinent dans une masse de données brutes.

En outre, le développement des médias sociaux favorise l’émergence de groupes

pluridisciplinaires, flexibles, dont le fonctionnement se heurte au modèle bureaucratique

traditionnel.

Dans le même temps, la dépendance de la population au bon fonctionnement des réseaux

(d’énergie, de transport, de communication) s’est sensiblement accrue. Le progrès

technologique conduit à considérer comme essentiel ce qui ne l’était pas auparavant, et à

exiger que les délais de retour à la normale soient les plus brefs possibles.

Dans le domaine environnemental, le groupe intergouvernemental d’experts sur le climat

(GIEC) alerte1 sur le fait que « l’intensité croissante du réchauffement climatique augmente

la probabilité d’incidences graves, généralisées et irréversibles. (…) La réaction aux risques

liés au changement climatique passe par la prise de décisions dans un monde en constante

évolution où il reste impossible de déterminer avec certitude la gravité et la chronologie des

incidences du changement climatique et où l’efficacité des mesures d’adaptation

envisageables reste limitée ».

Pour certains auteurs2 en revanche, la fréquence et l’ampleur des catastrophes naturelles ne

présentent pas de tendance décelable, mais les dommages qu’elles causent augmentent

fortement, en raison de la croissance économique et de la concentration des enjeux dans les

aires urbaines.

Que les évolutions portent sur la fréquence et l’amplitude des aléas, ou sur la vulnérabilité

des enjeux, la probabilité d’être confronté à des situations de grande ampleur augmente.

Sur le plan juridique, la prérogative de décision en situation de crise repose sur la notion de

« direction des opérations de secours3 ». Elle relève de l’autorité de police compétente, c’est-

à-dire, selon la situation, du maire ou du préfet4. Son objectif général rejoint celui de la

police municipale : prévenir ou faire cesser les effets des accidents ou calamités, pourvoir

d’urgence aux mesures de secours et d’assistance. Le législateur place, sous l’autorité du

directeur des opérations de secours (DOS), un commandant des opérations de secours5

(COS), le plus souvent officier sapeur-pompier, chargé de la mise en œuvre des moyens et

de la prise des mesures de protection nécessaires.

Le binôme constitué du directeur et du commandant des opérations de secours évolue dans

un contexte de judiciarisation croissante : le contentieux pénal à l’encontre des SDIS est

passé de 19 recours en 1996 à 621 en 20066.

S’intéresser au raisonnement stratégique en situation de crise ouvre sur un domaine

tellement vaste qu’une délimitation s’impose. Plusieurs entretiens avec notre directeur de

mémoire nous ont permis de retenir les axes suivants :

1 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (2014), « Changements climatiques 2014 -Incidences, adaptation et vulnérabilité - Résumé à l’intention des décideurs » 2 D. Zajdenweber (2009), « fréquence, amplitude et coût des catastrophes naturelles » 3 Articles L. 742-1 et suivants du code de la sécurité intérieure 4 Articles L. 2211-1, L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales 5 Article L. 1424-4 du CGCT 6 Cabinet F. Lamotte (2007), « 10 ans de départementalisation des SDIS 1996-2006 »

4

- L’objet principal de l’étude est la décision stratégique, en tant que résultat d’un

processus d’élaboration plus ou moins classique et conscient : nous focaliserons notre

attention sur la façon dont se construit la décision stratégique et sur la contribution

des officiers sapeurs-pompiers à l’émergence de la décision.

- Le travail de recherche porte sur un contexte de crise : il ne s’agit pas d’analyser la

décision anticipée dans les documents prévisionnels, mais celle qui se construit sur le

moment, pour éviter la crise ou pour y faire face.

- La dimension managériale doit être privilégiée : pour étudier les mécanismes de la

décision, nous mobiliserons principalement la sociologie des organisations et le

management, entendu comme l’ensemble des « processus par lesquels ceux qui ont

la responsabilité formelle de tout ou partie de l'organisation essayent de la diriger ou,

du moins, de la guider dans ses activités1.»

- L’analyse porte sur des situations de grande ampleur. Nous limiterons donc notre

étude aux situations où la direction des opérations de secours est assurée par le

représentant de l’État. Notre dispositif de sécurité civile2 prévoit en effet que

« L'organisation du commandement (…) assure une continuité du traitement de la

crise, en fonction de son importance : le maire pour le secours de proximité, le

représentant de l'État pour les sinistres de grande ampleur ».

- Une des finalités de l’étude réside dans la recherche de préconisations concrètes. Or,

c’est d’emblée au minimum à l’échelon départemental que sera organisée la gestion

d’un événement majeur. C’est également dans le cadre départemental que l’action

des officiers sapeurs-pompiers est la plus fréquente et immédiatement perceptible.

C’est donc à ce niveau que des préconisations seront majoritairement utiles. Le

pragmatisme commande dès lors de cibler la réflexion sur l’échelon départemental,

sans pour autant occulter les strates zonales et nationales.

Compte-tenu des éléments qui précèdent, notre problématique principale peut être formulée

de la manière suivante :

En quoi la contribution des officiers sapeurs-pompiers à l'émergence d'une

décision stratégique nécessite-t-elle une préparation spécifique, dès lors qu’elle

s’inscrit dans une situation de crise ?

Cette question en soulève d’autres :

En quoi une situation de crise présente-t-elle des caractéristiques qui influent sur la prise

d’une décision stratégique ?

En situation de crise, quels sont les différents modes de contribution de l’officier sapeur-

pompier à l’élaboration de la décision stratégique ?

Cela nécessite-t-il des compétences spécifiques, autres que celles déjà construites chez les

officiers sapeurs-pompiers ? Dans l’affirmative, comment les développer ?

1 H. Mintzberg (2004), « Le management : voyage au centre des organisations », Éditions d'Organisation 2 Orientations de la politique de sécurité civile, annexe à la loi n°2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile

5

Pour y répondre, il nous paraît incontournable de procéder au préalable à une analyse

conceptuelle des notions de stratégie et de crise. La première partie de notre étude visera

donc à présenter les différents apports théoriques en la matière.

Dans la deuxième partie, nous confronterons cet état de l’art aux constats des observateurs

de terrain. Il s’agira, sur la base d’hypothèses de recherche, d’identifier les données

nécessaires et les témoins pertinents à rencontrer. Nous exploiterons ensuite les entretiens

réalisés, en décrivant la façon dont les acteurs perçoivent l’influence de la situation de crise

sur la prise des décisions les plus déterminantes.

Notre troisième et dernière partie poursuivra l’analyse des témoignages collectés. Elle se

concentrera sur les compétences que l’officier sapeur-pompier doit mobiliser pour contribuer

efficacement à l’élaboration d’une décision stratégique en situation de crise. Le regard des

différents protagonistes nous permettra d’identifier, au-delà des fonctions théoriquement

assignées, les missions effectivement assumées par les officiers sapeurs-pompiers. Les

observations exprimées sur les modalités d’acquisition de ces compétences pourront prendre

la forme de constats, d’attentes ou de souhaits. Elles constitueront le substrat des

préconisations qui concluront notre travail de recherche.

6

7

1. ANALYSE DES CONCEPTS DE DÉCISION STRATÉGIQUE ET DE CRISE

1.1 La décision stratégique

L’analyse théorique de la « décision stratégique » commande tout d’abord de préciser le

concept de « stratégie ». Les deux racines grecques du terme (stratos : grand nombre,

foule, armée d’une part et ageîn : agir, conduire d’autre part) renvoient à un registre

militaire. Nous observerons d’ailleurs que son utilisation dans d’autres domaines en fait un

objet d’étude difficile à cerner, tant il peut répondre à des acceptions différentes.

Cette difficulté s’accroît du fait que la notion évolue dans le temps, selon l’angle scientifique

retenu pour son observation. Nous aborderons donc dans un deuxième temps les facteurs

qui ont façonné cette mutation.

Nous conclurons ce chapitre consacré à la décision stratégique en analysant le terme de

« décision ». Son origine latine (cadere : couper) évoque clairement l’acte de trancher entre

plusieurs alternatives. Nous constaterons cependant que le concept de « décision » recèle sa

propre complexité, tant dans les rapports qu’il entretient avec la stratégie que dans son

processus d’élaboration.

1.1.1 Une stratégie omniprésente

Loin de se limiter à sa genèse militaire, la notion de stratégie s’est étendue au monde de

l’économie et du management, d’abord privé puis public. Elle rencontre un tel succès qu’elle

s’immisce même dans la recherche de développement personnel des individus.

1.1.1.1 La sphère militaire

La notion de stratégie est d’essence militaire, et c’est dans ce domaine qu’elle va être

longuement théorisée.

En réalité, la stratégie militaire ne se distingue de la tactique que vers la fin du XVIIIème

siècle, du fait d’une complexité accrue de l’art de la guerre, que la tactique ne suffit plus à

englober. Elle devient le niveau le plus élevé de la conduite d’un conflit.

La stratégie est décrite comme « une dialectique des intelligences utilisant la force pour

résoudre leur conflit 1 » : il s’agit, dans le cadre d’un duel, de convertir la force en puissance

afin de surpasser, voire anéantir, un adversaire. Cette définition différencie la stratégie de la

politique et de l’économie, où le nombre et le positionnement des acteurs sont moins

délimités. Elle permet également de la distinguer du droit ou de la diplomatie, dont la

vocation est précisément d’éviter le recours à la force.

La stratégie peut également se définir comme un médium entre le niveau politique et le

niveau technique :

1 H. Coutau-Bégarie (2013), "Bréviaire stratégique", p. 26

8

Figure 1 : Niveaux de la chaîne de commandement militaire – Général P. Berne (2015)

Au politique revient la responsabilité initiale d’élaborer un projet. L’échelon technique est

sollicité pour constituer et mettre en œuvre les moyens nécessaires à sa réalisation. La

stratégie est ce qui permet de faire en sorte que les actions techniques servent les choix

politiques.

La stratégie, qui organise la combinaison de moyens en vue d’atteindre une fin donnée, ne

peut se résumer à de la technique parce qu’elle intègre la composante relationnelle et sa

complexité. Au-delà de la mise en œuvre de matériels plus ou moins sophistiqués, il s’agit de

faire intervenir la dimension humaine, dans un cadre espace-temps qui se définit par la

culture des acteurs et par les circonstances. C’est ce que le général E. de la Maisonneuve

résume en définissant la stratégie par la formule « agir ensemble 1 ». Il décrit la stratégie

sous la forme d’une matrice composée de 5 éléments :

Figure 2 : 5 éléments de la matrice stratégique - E. de la Maisonneuve (2008)

o Le projet : établi par l’échelon politique, il doit être correctement pris en compte

par le stratège pour mobiliser les moyens adéquats et tenir compte des

contraintes de l’environnement

o L’organisation : entendue comme le fondement social et culturel, elle est

construite à partir de la culture, de l’ordre politique et des capacités économiques.

1 E. de la Maisonneuve (2008), "Précis de stratégie", p. 18

9

o La situation : elle répond aux questions « De quoi s’agit-il ? A quoi suis-je

confronté ? »

o La technique : elle décrit la capacité à mettre en œuvre des moyens et

correspond en ce sens à la tactique

o La méthode : elle permet de tracer l’itinéraire à emprunter pour atteindre le but

poursuivi, en veillant à identifier plusieurs chemins possibles avec la faculté d’en

changer le plus librement possible

La méthode stratégique repose notamment sur le postulat que la conduite d’un conflit

présente des caractéristiques récurrentes, au-delà des contingences des acteurs et du

contexte. Il est possible d’en déduire des principes, dont le respect ne garantit pas la

victoire, mais dont l’ignorance expose à un risque certain. Les axiomes les plus notoires

sont :

o Le principe de liberté d’action : ne se laisser dominer ni par l’ennemi, ni par ses

propres certitudes, pour conserver le plus longtemps possible sa liberté

d’appréciation et d’action

o Le principe d’économie des moyens : optimiser l’emploi des moyens disponibles

dans la poursuite des objectifs assignés

o Le principe de concentration des forces : accumuler les moyens au bon endroit et

au bon moment pour emporter la décision

o Le principe de sécurité des communications : fiabiliser le réseau de

renseignement, garantir la mise en œuvre de la stratégie et se prémunir contre

les initiatives erronées

o Le principe de sûreté : prendre les précautions suffisantes pour se protéger

contre les réactions de l'ennemi ou les aléas

1.1.1.2 La sphère économique

La « stratégie d’entreprise » détermine, dans un périmètre donné (le marché concerné),

l’ensemble des orientations et des choix d’allocation de ressources qui visent à pérenniser

une entreprise et si possible à la développer, face à sa concurrence dans un modèle

économique donné.

La première manifestation de démarche stratégique dans le monde économique date de

1908, avec la mise en place d’un enseignement de politique générale (business policy) à la

Harvard Business School1. Dans les années 1920, plusieurs entreprises nord-américaines

comme Dupont de Nemours, initient des méthodes de prévision annuelle, coordonnées entre

elles et auxquelles correspondent des répartitions de responsabilités2.

Dans les années 1950, l’Université de Harvard transforme cette politique générale en

discipline managériale. Cette période se caractérisant par le développement d’une

consommation de masse, les entreprises mettent beaucoup de nouveaux produits sur de

nombreux marchés. Il devient indispensable que la direction générale harmonise sa politique

générale avec la volonté de faire coïncider l’offre et la demande. Cela suppose une

planification sur une échelle de temps supérieure (de 2 à 10 ans), qui atteint rapidement ses

limites.

1 A.C. Martinet (2014), "Épistémologie de la stratégie" in Encyclopédie de la stratégie, p. 517 2 J.P. Helfer, M. Kalika, J. Orsoni (2013), "Management stratégique"

10

Dans les années 1960, l’essor économique voit le développement de la recherche

académique : le besoin de disposer d’une analyse plus fine conduit à élaborer des modèles

intégrant les capacités de l’entreprise et les ressources de l’environnement. L’un des plus

célèbres est le modèle « LCAG » (du nom de ses auteurs : Learned, Christensen, Andrews,

Guth), qui débouche sur une analyse des forces et faiblesses, menaces et opportunités d’un

secteur d’activité. C’est l’origine de la matrice « SWOT », qui connaît un vif succès dans le

domaine du management stratégique. Elle reste très usitée :

Figure 3 : Modèle LCAG (matrice SWOT) in "Management stratégique" (2013)

I. Ansoff crée quant à lui une matrice1 qui, en croisant les produits et les marchés, cherche à

faciliter les choix du décideur souhaitant développer son entreprise.

Les crises politiques (1968) ou économiques (choc pétrolier de 1973) vont remettre en cause

la tentative de faire évoluer la stratégie d’entreprise vers une planification de long terme. Au-

delà du contenu de la décision, principalement basé sur des calculs économiques, les tenants

des théories des organisations s’attachent au processus de prise de la décision et incorporent

dans la réflexion les facettes psychologiques, sociologiques, culturelles, politiques...

L'intégration de la stratégie dans la gestion des équipes aboutit à la création d’une nouvelle

discipline, le « management stratégique ». Elle s’appuie sur les travaux relatifs à la

planification stratégique2, les outils de diagnostic et d'aide à la décision, les analyses

économétriques, l’étude du processus de formation de la stratégie, ou les développements

de l'analyse concurrentielle.

1 H. I. Ansoff (1968), "Corporate strategy, etc" 2 A. Desreumaux (2014), "Histoire de la pensée en stratégie" in "Encyclopédie de la stratégie", p. 672

Analyse Externe

(Environnement)

Analyse Interne

(Entreprise)

Opportunités/Menaces

(Exigences de l'environnement)

FCS

Forces/Faiblesses

(Capacités de l'entreprise)

- Compétences distinctives

- Handicaps concurrentiels

Recensement et évaluation des

possibilités d'action

- Avantages/Inconvénients

- Résultats

- Compatibilité/Incompatibilité

Valeurs de

l'environnement

Valeurs des

"dirigeants"

Choix Stratégique

Politiques Fonctionnelles

11

1.1.1.3 La sphère du management public

Dès l’époque médiévale, la satisfaction de certains besoins collectifs répond à des règles

particulières, fondées sur la nécessité et l’intérêt général. Les fonctions permettant de

pourvoir à la défense ou à l’alimentation de la population sont organisées sous la férule d’un

seigneur ou dans le cadre de communautés plus ou moins émancipées.

Sous la Révolution, commence à apparaître la notion de service public, qui se chargera au

XIXème siècle d’une dimension idéologique : le périmètre de l’action publique et l’importance

des prérogatives de puissance publique qui y sont attachées dépendent des différentes

conceptions du rôle de l’État qui s’affrontent, entre l’État-gendarme et l’État-providence. Les

controverses de l’époque1 portent essentiellement sur la détermination de ce qui relève de

l’État ou de l’initiative privée. L’adaptation aux évolutions du contexte se base non sur

l’anticipation mais sur une construction jurisprudentielle : le principe de mutabilité du service

public2.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le choc subi et l’impératif de reconstruire le

pays démontrent la nécessité de disposer d’une vision prospective : le commissariat général

au Plan est créé dès 1946. Il deviendra « centre d’analyse stratégique » en 2006, puis

« commissariat général à la stratégie et à la prospective » en 2013.

Entretemps, les années 1980 ont vu l’avènement d’un courant néo-libéral dans les principaux

états occidentaux. Dans un contexte de crise économique, de mondialisation et de

dérégulation, la « nouvelle gestion publique » (New Public Management) correspond à un

mouvement qui cherche « à introduire des marchés ou des quasi-marchés au sein des

institutions de l’État-providence de manière à en renforcer l’efficience »3. Ses principaux axes

consistent dans la maîtrise des dépenses publiques, l’amélioration de l’efficacité et de la

qualité du service rendu, et le renforcement de l’information des usagers de l’administration.

Les manifestations concrètes de cette « nouvelle gestion publique » sont principalement :

o La réduction des activités assurées directement par l’État : conformément à une

logique de subsidiarité en vigueur dans le secteur privé, la volonté est de faire

assurer le service au plus près de l’usager, l’État conservant un rôle global

d’orientation et de coordination. Les transferts de compétences s’opèrent par

déconcentration au sein de ses propres services, par décentralisation, par

délégation à des opérateurs parapublics, ou par privatisation.

o L’introduction d’une logique de performance : initiée par les techniques de

management par objectifs, elle se traduit dans les textes et les pratiques par

l’entrée en vigueur en 2006 de la loi organique relative aux lois de finances4. Elle

s’accompagne depuis 2007 de la révision générale des politiques publiques, à

laquelle se substitue la modernisation de l’action publique à partir de 2012.

1 C. Didry, (2005), "Léon Duguit, ou le service public en action" 2 Conseil d’État, 11 mars 1910, Compagnie des tramways 3 F.X. Merrien (1999), "La nouvelle gestion publique-un concept mythique" 4 Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances NOR: ECOX0104681L

12

o La volonté d’autonomiser les cadres de la fonction publique pour s’extraire d’une

configuration bureaucratique. Cette évolution est encadrée par la prééminence de

la décision politique sur la marge de manœuvre des cadres.

La plupart des « ingrédients » stratégiques se trouvent ainsi réunis :

o L’élaboration d’un projet, résultant de l’identification la plus fine possible des

attentes d’un territoire ou d’une population

o La multiplication et la diversification des acteurs de la sphère publique

o Une logique, si ce n’est de conflit, du moins de confrontation entre modèles de

société, entre échelons décentralisés jaloux de leurs compétences ou entre

territoires soucieux d’attractivité

o L’allocation optimisée des ressources dans un cadre budgétaire contraint pour

atteindre l’effet majeur attendu.

Une confusion fréquente consiste à considérer que fixer des objectifs équivaut à déterminer

une stratégie. Elle peut déboucher sur une situation paradoxale : au moment où se doter

d’un management stratégique de l’action publique semble indispensable, l’activité des

décideurs se retrouve principalement orientée vers le suivi en temps réel et vers l’évaluation,

plutôt que vers une planification anticipatrice. Il importe par conséquent de ne pas perdre de

vue qu’une véritable logique stratégique1 repose sur l’identification d’un choix, d’un impact

déterminant (et donc relativement irréversible) et d’une prospective.

1.1.1.4 La sphère du développement personnel

La notion de « développement personnel » relève de l’intime. Les connections avec la

stratégie paraissent improbables. Pourtant, en présentant une hiérarchie des besoins sous la

forme d’une pyramide, le psychologue A. Maslow2 fait entrer le développement personnel

dans la sphère professionnelle.

Figure 4 : Pyramide de Maslow

1 A. Bartoli, C. Blatrix (2015), "Management dans les organisations publiques", p. 210 2 A. Maslow (1943), "A Theory of Human Motivation", Psychological Review, no 50, p. 370-396

13

A titre individuel, la présentation hiérarchisée de besoins à satisfaire dans un ordre donné

inscrit chacun dans une perspective : l’épanouissement personnel est une quête.

Les crises économiques, pétrolières puis financières, précarisent les carrières. La pression se

fait plus forte sur les individus, dans un contexte de recherche de la performance et

d’individualisation de l’évaluation. Parallèlement, l’évolution sociologique dans les sociétés

occidentales voit décliner la valeur « travail » au profit de la recherche d’accomplissement

personnel. Il s’agit désormais moins d’évoluer dans la hiérarchie d’une entreprise que de

favoriser son épanouissement personnel au moyen de son développement professionnel.

Tendu vers un but, dans un contexte fortement concurrentiel, fait d’incertitudes et

d’opportunités, l’individu développe ses choix au travers de sa « stratégie personnelle ».

A titre collectif, cette tendance induit l’évolution des techniques de management. Un des

axes de la stratégie des entreprises, et désormais des organisations publiques, est

d’optimiser le capital humain. Des formations s’inspirant de techniques telles que l’analyse

transactionnelle, la programmation neurolinguistique, ou diverses formes de coaching, visent

à développer la créativité, la capacité à motiver ou la gestion du stress.

La frontière entre aptitudes personnelles et compétences professionnelles devient floue, les

unes pouvant rejoindre les autres par certains aspects convergents. Ainsi des théories

comme celle du comportement coopératif, sont enseignées dans les formations au

management d’équipes de direction, et reprises par des formateurs en développement

personnel1.

La stratégie est incontestablement une notion fortement sollicitée pour répondre

aux attentes les plus égocentrées comme les plus collectives. Ce succès porte en

lui le risque de la dilution du concept.

Ce concept de stratégie est qui plus est confronté à des évolutions significatives.

1.1.2 Un concept en évolution

Plusieurs éléments aboutissent à une remise en cause profonde des approches classiques de

la stratégie. Parmi les plus prégnants, nous passerons en revue l’impact de la complexité, la

dimension organisationnelle, la notion de stratégie émergente, et la coexistence de plusieurs

champs stratégiques.

1.1.2.1 La prise en compte de la complexité

H. Simon2 présente la complexité comme la combinaison de deux mécanismes :

l’accroissement du nombre de composants d’un système, et simultanément l’accroissement

des liens entre les composants de ce système. Il en résulte une augmentation significative

des états possibles de ce système, ce qui complique toute tentative de prévision.

1 J. Tournand (2010), "La stratégie de la bienveillance" 2 J. March et H. Simon (1999), "Les organisations. Problèmes psychosociologiques"

14

Le rapport au temps :

Nos systèmes, qu’il s’agisse de nos États comme des organisations de moindre échelle, sont

de plus en plus dépendants de leur environnement général. Cette contrainte se conjugue

avec un rapport au temps qui a considérablement évolué, sur deux aspects principaux1 :

o L’horizon de temps : il est demandé au décideur d’être à la fois visionnaire et

réactif, c’est-à-dire de s’inscrire dans un long terme de moins en moins prédictible

et dans un court terme de plus en plus syncopé. Se pose également la question

de la « profondeur d’horizon », c’est-à-dire de la durée prise en considération

aussi bien dans le passé que dans l’avenir pour construire une décision.

o Les synchronisations différentielles : les décideurs doivent tenir compte de

plusieurs rythmes différents, propres à chacun de leurs interlocuteurs. Ainsi, le

rythme politique (élections présidentielles tous les 5 ans) diffère du rythme

sociologique (passage de la génération X à la génération Y), ou du rythme

technologique (obsolescence programmée).

Les moyens mobilisés :

Les moyens mobilisés accélèrent ces phénomènes. Les technologies de l’information et de la

communication offrent des possibilités accrues de renseignement et de coordination au profit

des stratèges. Mais dans le même temps, en établissant « la primauté de l’intelligence sur la

force physique 2 », elles remettent en cause les relations sociales et hiérarchiques. L’accès

facilité à l’information oblige des structures verticales à s’adapter à un fonctionnement en

réseau, radicalement différent. Elles bouleversent également le cadre espace-temps

traditionnel. En cas de médiatisation, le « théâtre des opérations » peut devenir planétaire

de manière quasi-immédiate.

Le rapport à l’altérité :

Cette globalisation est elle-même source de complexité, notamment parce que les acteurs

sont multipliés.

En matière militaire, les guerres mondiales du XXème siècle ont fait naître des organismes

supra-étatiques et des organisations non-gouvernementales, mettant ainsi fin à l’époque où

les conflits ne voyaient s’affronter que des États. La fin de la guerre froide a changé en outre

notre rapport à l’altérité : d’une vision du monde organisée autour d’idéologies antagonistes,

permettant de distinguer les adversaires des alliés, nous sommes passés à celle d’un monde

multipolaire, peuplé d’acteurs aux aspirations fluctuantes.

Dans un autre registre, la mondialisation de l’économie alimente cette versatilité : les

alliances se nouent et se dénouent, au gré des centres d’intérêt partagés.

La définition des buts :

Les stratèges militaires savent de longue date que les principes stratégiques n’ont qu’une

universalité toute relative. Ils n’ignorent pas que le facteur culturel influe sur la conception

de la guerre et sur les modalités d’emploi des forces.

Mais la complexité, qui n’était jusqu’à présent qu’une composante de l’environnement,

devient objet de stratégie. Ainsi, depuis la Révolution de 1789, les guerres ne sont plus

1 L. Bonneau (2014), "Temps et action stratégique", in "Encyclopédie de la stratégie", p. 1094 2 E. de la Maisonneuve (2008), "Précis de stratégie", p. 65

15

conduites dans une logique de gain de territoire, mais dans un but idéologique, comme par

exemple celui « d’apporter la liberté aux peuples ». Dans le même temps, les États ont

développé des armes de destruction massive. La mise en œuvre de cette puissance de feu,

au service d’utopies aux objectifs parfois mal définis, fait sortir la guerre de son cadre

conventionnel : ce ne sont plus seulement les militaires, mais des peuples entiers qui sont

engagés. Tous les domaines de la société sont mis à contribution (organisation politique,

appareil de production, systèmes de liens sociaux). Tous ces domaines font désormais partie

intégrante de la stratégie, bien qu’ils n’aient pas de logique commune.

La confusion entre les différents aspects de la stratégie remet même en cause la définition

des buts ultimes, en posant la question de l’éthique. La distinction claire entre le politique et

le stratégique offrait des réponses simples : dès lors que le projet, arrêté par le pouvoir

politique, répond par définition à l’intérêt supérieur de la Nation, les moyens mis en œuvre

sont justifiés. A partir du moment où tous les pans de la société sont impliqués, le

questionnement politique resurgit, fragilisant le consensus autour du projet.

Conséquences sur l’approche stratégique :

La complexité remet en cause, voire disqualifie, la planification stratégique de type

mécaniste, inscrite dans le long terme. Dans le domaine économique, le choc pétrolier de

1973 a considérablement bousculé la planification stratégique en vigueur1. Jusqu’alors, les

Trente Glorieuses avaient vu se développer la gestion par objectifs : le plan stratégique

prévoyait la déclinaison des objectifs, assignés sur le long terme à chaque échelon de

l’entreprise. Les crises pétrolières, puis économiques, puis financières ont considérablement

réduit la vision d’avenir dont disposent les décideurs. Ce phénomène affectera d’ailleurs de la

même façon la planification publique, la tâche du commissariat général au Plan devenant

sans cesse plus ardue.

Plus fondamentalement, la complexité affecte un pilier essentiel de la démarche stratégique :

le diagnostic. Le responsable va devoir prendre ses décisions en tenant compte de multiples

paramètres plus ou moins contradictoires, selon les circonstances, sans jamais pouvoir les

maîtriser totalement. Pour A.C. Martinet, « La connaissance en stratégie doit composer avec

la double contrainte, qui n'est rien d'autre que le principe systémique, énoncé par Pascal :

"je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout ; non plus que de

connaître le tout sans connaître particulièrement les parties" (Pascal, " Pensées") ».

Face à ce constat et au risque d’immobilisme qu’il engendre, E. Morin, le théoricien de la

complexité, oppose le principe « d’écologie de l’action2 ». Reconnaissant l’impossibilité de

tout savoir, il invite3 à « affronter les complexités plutôt que de céder aux manichéismes

idéologiques ou aux mutilations technocratiques (qui ne reconnaissent que des réalités

arbitrairement compartimentées, sont aveugles à ce qui n’est pas quantifiable, et ignorent

les complexités humaines) ».

Par conséquent, la stratégie doit, plus que jamais, adopter une approche globale. E. Morin,

résume ainsi4 cette idée : « Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin

1 C. Maisons (2003), "Coaching stratégique", p. 103 2 E. Morin (2004), "La méthode, Éthique (t. 6)" 3 E. Morin (1993), article pour le journal "Le Monde" 4 E. Morin (1995), "La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité"

16

élémentaire du mot "complexus", "ce qui est tissé ensemble". Les constituants sont

différents, mais il faut voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème

(de réforme de pensée) c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux

apprendre à relier ».

Dans le domaine militaire, la complexité a conduit plusieurs auteurs spécialisés1 à parler de

crise de la stratégie. C’est la technicité accrue de la tactique militaire qui a fait naître la

stratégie : au fur et à mesure que les armes gagnent en puissance, la question de leurs

modalités de mise en œuvre perd de l’importance au profit du but auquel elles doivent être

asservies. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les domaines ayant connu une

sophistication technique sont conduits à dépasser leurs propres règles de fonctionnement

pour s’inscrire dans les questionnements sociétaux. Cette irruption de la modernité perturbe

les objets stratégiques « habituels » que peuvent être la guerre ou les États. Le défi est

désormais de concevoir une stratégie « globale », capable d’intégrer l’interdépendance des

problèmes et de répondre à tout type de menace.

Comme dans la sphère militaire, la stratégie des entreprises a dû se globaliser : elle ne peut

plus uniquement relever des initiatives des dirigeants pour accroître les performances de

l’entreprise au seul bénéfice des actionnaires. L’entreprise se trouve au cœur d’enjeux

sociétaux qu’elle ne peut plus durablement ignorer, qu’il s’agisse de sécurité, de

développement durable, d’éthique sociale, etc.

Le changement de périmètre que la complexité induit suscite une prise de conscience : l’art

militaire ou l’économie ne peuvent plus être les seules sources d’inspiration de la stratégie.

Une recherche interdisciplinaire devient nécessaire. Il s’agit de faire intervenir l’histoire ou la

philosophie, pour mieux cerner le contexte d’élaboration de la stratégie. La psychologie

éclaire sur les motivations des acteurs. La sociologie s’attache à décrire les cadres

institutionnels dans lesquels se préparent les décisions.

Plus particulièrement, les études organisationnelles vont identifier le rôle de « l’élément

organisation ».

En outre, la nécessité d’actualiser régulièrement les ambitions stratégiques en fonction des

contraintes et des opportunités va amplifier le processus de segmentation stratégique.

1.1.2.2 La dimension organisationnelle

Le rôle joué par l’organisation

D’un point de vue militaire, E. de la Maisonneuve fait de l’organisation un des piliers de la

matrice stratégique.

Entendue comme « État, acteur stratégique », elle est construite avant tout sur une base

culturelle, à tel point qu’elle ne peut évoluer selon l’auteur qu’en fonction de changements

culturels profonds, et non à coup de réorganisations. H. Coutau-Bégarie2 constate qu’il existe

des styles stratégiques différents selon les États : même si la technologie a tendance à

professionnaliser les militaires et à standardiser les doctrines d’engagement, le facteur

culturel, lié à l’organisation d’origine, joue un rôle significatif dans les conflits dissymétriques

1 E. de la Maisonneuve (2008), "Précis de stratégie", p. 100 2 H. Coutau-Begarie (2013), "Bréviaire stratégique", p. 62

17

ou dans les difficultés de compréhension entre alliés. La cohérence veut néanmoins que

l’organisation soit au service du projet, et qu’elle reste en phase avec ce dernier.

Dans le domaine du management stratégique, la sociologie va prolonger la réflexion en

faisant de l’organisation un acteur clé de l’élaboration de la stratégie. L’instabilité de

l’économie conduit à passer d’une préoccupation de centralisation et de professionnalisation

des planificateurs à une volonté de compréhension des mécanismes animant les

organisations. M. Crozier et E. Friedberg1 décrivent en 1977 l’organisation comme une

construction sociale, qui existe et se transforme selon les comportements de ses acteurs. Ce

qui détermine le devenir de l’organisation, ce ne sont pas tant les fonctions de ses

différentes strates que les stratégies individuelles de ses acteurs.

H. Mintzberg2 considère qu’en cherchant l’efficience à tout prix, on perd de vue ce qui crée

l’engagement de l’acteur au profit de la structure. Issu du courant de la sociologie des

organisations, il propose une approche globale de l’organisation en fonction de six

composantes :

o Le centre opérationnel : les personnes qui effectuent le travail à la base, qui

produisent les biens ou les services

o Le sommet stratégique : le (ou les) manager(s) qui dirige(nt) l’organisation

o La ligne hiérarchique : l’encadrement intermédiaire entre le centre opérationnel et

le sommet stratégique

o La technostructure : les experts qui planifient et contrôlent le travail des autres

o La fonction de support logistique : les acteurs qui assurent le soutien aux activités

internes

o L’idéologie : la culture, les valeurs, les traditions de l’organisation

Figure 5 : Les 6 composants de base d'une organisation - H. Mintzberg (2004).

1 M. Crozier, E. Friedberg (1977), "L'Acteur et le système" 2 H. Mintzberg (2004), "Le management : voyage au centre des organisations"

18

H. Mintzberg identifie 5 (puis à terme 7) configurations-types d’organisation, variant selon

leurs mécanismes de coordination. Il établit que ces modes de structuration ne dépendent

pas uniquement d’une volonté délibérée, mais bien plus sensiblement de facteurs de

contingences que sont l’âge et la taille de l’organisation, le degré de sophistication de son

système technique, le niveau de pression qu’exerce l’environnement, ou la répartition du

pouvoir.

Les organisations ne sont donc pas qu’un ensemble de structures dédiées à des fonctions : il

s’agit de « systèmes adaptatifs complexes, composés d’une diversité d’agents interagissant,

cette interaction générant de nouveaux comportements pour le système dans son

ensemble »1.

Ainsi, l’organisation va définir son propre paradigme2, c’est-à-dire l’ensemble de croyances à

partir desquelles tout événement va être interprété par la majorité des acteurs de

l’organisation. Construit à partir de la structure de l’organisation, de ses symboles, voire de

ses rituels ou routines, le paradigme influe sur la façon dont sont perçus les problèmes et

sélectionnées les solutions.

1.1.2.3 Stratégie délibérée et stratégie émergente

La prise en compte des acteurs de l’organisation conduit à s’interroger sur leur contribution à

l’orientation des décisions. Ce sujet sera au cœur de débats animés entre stratégistes.

L’analyse des grands courants de la pensée stratégique3 permet d’identifier une dizaine

d’écoles de pensée. Les plus classiques d’entre elles renvoient à une stratégie volontaire,

délibérée, que ce soit par la conception initiale de l’action, par sa planification, par un

positionnement actif dans un contexte concurrentiel ou tout simplement par la vision

stratégique du décideur.

Dans un contexte de fortes turbulences économiques, I. Ansoff4 soutient que la planification

s’impose pour s’inscrire dans une démarche rationnelle et proactive. H. Mintzberg, pour sa

part, met l’accent sur l’apprentissage : les orientations stratégiques majeures ne viennent

pas tant de la volonté du décideur que d’inflexions résultant de petites décisions de

nombreux acteurs de l’organisation. Ainsi, parmi les stratégies qui se réalisent effectivement,

il existe des stratégies délibérées et des stratégies émergentes. Ces dernières s’élaborent par

ajustements successifs, en incrémentant les décisions internes et les événements extérieurs.

Dans la stratégie délibérée, le rôle du manager s’incarne dans la planification et le contrôle.

Dans une optique de stratégie émergente, il lui revient de détecter les potentiels des

collaborateurs aptes à contribuer au mieux au projet collectif, de faire circuler les

apprentissages en cours et les bonnes pratiques, et de donner du sens à l’action des

collaborateurs.

La contribution de Mintzberg à la réflexion sur la stratégie ouvre de nouvelles perspectives.

1 D. Autissier, F. Bensebaa (2014), "Environnements complexes" in "Encyclopédie de la stratégie", p.503 2 M. Attarca (2014), "Processus de décision et changement : éléments de théorie et applications", p.57 3 H. Mintzberg, B. Ahlstrand, J. Lampel (1999), "Safari en pays stratégie: l'exploration des grands courants de la pensée stratégique" 4 H.I. Ansoff (1991), “Critique of Henry Mintzberg’s « The design school : reconsidering the basic premises of strategic management »”

19

Il est ainsi possible d’entamer une action stratégique sans l’avoir totalement formalisée. Par

exemple, l’approche politique envisage la décision comme le fruit d’une négociation entre

acteurs de l’organisation.

De même, en tenant compte de la réflexion de M. Crozier sur la place de l’acteur dans le

système, la conduite du changement peut s’envisager différemment : la résistance au

changement peut être envisagée comme l’expression légitime d’une analyse rationnelle des

risques encourus par les individus lors du changement1. Une typologie des acteurs du

changement (des hostiles aux pionniers en passant par les sceptiques ou les partagés)

permet dès lors d’adapter la stratégie conduite. L’élaboration d’une « carte des acteurs »

complète le diagnostic initial.

1.1.2.4 Différents champs stratégiques

La segmentation stratégique :

La segmentation stratégique correspond à une recherche de productivité globale, dans une

démarche de planification.

Au sein d’une entreprise, elle permet de regrouper ou de subdiviser les activités en groupes

homogènes pour créer des domaines d’activités stratégiques (DAS). Le périmètre des DAS

est déterminé pour permettre à l’entreprise de se battre spécifiquement contre ses

concurrents. Dans le cadre du projet global de développement de l’entreprise, le découpage

en DAS permet d’appliquer une stratégie propre au contexte de l’activité considérée et de

rechercher l’allocation cohérente des ressources aux différentes subdivisions

organisationnelles.

Concrètement, les critères de segmentation stratégique peuvent correspondre à des

considérations de type d’activité, de méthode, ou de sectorisation géographique ou par

marché :

Figure 6 : Principes de la segmentation - D. Delaigue2 (2012)

1 C. Perrin (2014), "Gestion du changement - entre théorie et pratique" 2 D. Delaigue (2012), "Modèles "organisationnels, stratégiques, décisionnels", E-MBA CELSA Paris Sorbonne

20

Conséquences de la segmentation stratégique :

En dehors de l’aspect purement organisationnel ou marketing, la segmentation stratégique

influe sur la stratégie d’ensemble en révélant des opportunités de création de nouvelles

activités, ou des nécessités de développement ou d'abandon d'activités actuelles.

La fragmentation stratégique présente également l’avantage d’offrir de la flexibilité : à

l’instar de Napoléon qui fragmente ses objectifs militaires pour disposer au bon moment et

au bon endroit des forces suffisantes pour emporter la décision, ce mode de fonctionnement

offre la possibilité d’avancer ou de reculer dans la poursuite des objectifs pour saisir les

opportunités. Le plan d’action stratégique se présente sous la forme d’étapes, dont l’issue

peut conduire à différents scénarios alternatifs. La stratégie demeure délibérée, mais le

cheminement qui conduit au but n’est plus linéaire : il s’inscrit dans un réseau d’étapes

potentielles, qui vont s’enchaîner de manière partiellement aléatoire :

Figure 7 : Fragmentation stratégique, insertion de dérivations dans le plan d'action initial - C. Maisons (2003)

Le concept « d’incrémentalisme » logique :

L’observation sociologique met à jour des mécanismes subtils : les subdivisions en charge

des DAS peuvent acquérir plus ou moins d’autonomie, selon le mode de fonctionnement de

l’organisation. Elles peuvent avoir tendance à développer leur propre paradigme, et à

concevoir leur action selon leurs procédures standardisées. A l’extrême, dans un contexte de

pouvoir très réparti, l’organisation peut être considérée comme une coalition politique au

sein de laquelle chaque acteur poursuit des objectifs particuliers en plus du but principal.

ko

ok

ok ko

TÂCHE

TÂCHE

Résultatattendu

Résultatattendu

TÂCHE

TÂCHE

Résultatattendu

Résultatattendu

TÂCHE

Résultatattendu

21

Chacun tente de négocier pour trouver son intérêt dans l’arbitrage qui sera rendu in fine par

le décideur.

Les différentes strates de l’organisation peuvent donc, selon son modèle de fonctionnement,

devenir autant de champs stratégiques qui se combinent pour aboutir à une stratégie

globale. C’est le concept d’incrémentalisme logique1 : face à une situation donnée, chaque

sous-système conduit sa réflexion selon sa propre logique, conformément à son cadre

normatif. La confrontation des différentes approches produit la stratégie commune. Le rôle

du décideur ultime est déterminant : puisqu’il contrôle les choix organisationnels, il est en

mesure de privilégier la stratégie qui lui paraît la plus pertinente et la plus fédératrice, en

répartissant de manière appropriée les responsabilités et les moyens. Le décideur agit en

réalité peu sur le contenu de la stratégie : son travail consiste essentiellement à se maintenir

en position centrale, conserver une vision globale, percevoir les opportunités pour valider la

décision la plus adaptée à ses yeux.

Application au domaine des opérations de secours :

Dans l’enseignement relatif à la gestion de crise, dispensé à l’école nationale supérieure des

officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP), C. Ratinaud et E. Dufes transposent la notion de

domaine d’activité stratégique au registre des opérations de secours. Deux champs

stratégiques apparaissent : l’un comprend les domaines d’activité stratégique, propres à

chaque secteur (opération de secours, maintien de l’ordre, soutien aux populations, etc.),

l’autre correspond à la stratégie globale arrêtée par le DOS.

Figure 8 : Stratégie globale et stratégies d’activité - E. Dufes, C. Ratinaud (2013)

1 D. Autissier, F. Bensebaa (2014), "Environnements complexes" in "Encyclopédie de la stratégie", p. 509

22

La stratégie globale constitue le cadre général. Elle est influencée par la coexistence de ces

deux champs stratégiques, et par les relations qu’ils entretiennent.

A ce stade, nous identifions que l’objet de notre étude, s’agissant de stratégie appliquée aux

situations de crise de sécurité civile, présente les caractéristiques suivantes :

o L’altérité : la notion de stratégie (« agir ensemble ») implique une élaboration

collective, qui ne se cantonne pas à une seule composante. C’est lorsque sont

impliqués plusieurs acteurs aux cultures différentes que la coordination est de

niveau stratégique. Cela ne s’oppose pas à ce que chaque secteur d’activité

(opérations de secours, maintien de l’ordre, etc.) développe sa propre

« stratégie » d’intervention dans une perspective incrémentale, mais l’enjeu

stratégique essentiel réside dans la prise en compte globale des acteurs.

o L’interface entre le projet et les moyens : le projet, c’est-à-dire la politique

publique de sécurité civile, est défini par la loi. Le gouvernement, investi du

pouvoir exécutif, est chargé de la faire appliquer. Le préfet représente chacun des

membres du gouvernement dans le département1. Il est en outre désigné comme

DOS sur les opérations de grande ampleur. Son positionnement institutionnel lui

confère par conséquent a priori un rôle stratégique en matière de gestion de

crise.

o L’influence de plusieurs facteurs, pouvant infléchir le cours de l’élaboration de la

stratégie : la complexité de l’environnement, les fonctionnements propres aux

organisations et à leurs acteurs, influent significativement sur la stratégie. Il

importe par conséquent de ne pas se limiter aux manifestations formelles de la

stratégie : les aspects organisationnels et managériaux doivent être interrogés.

Nous nous emploierons donc à étudier la stratégie mise en place par le préfet en

tant que directeur des opérations de secours (DOS). Sur la base d’un diagnostic

propre à une situation donnée, cette stratégie englobe l’ensemble des

contributions délibérées ou émergentes des différents acteurs concernés, en vue

de la mise en œuvre des moyens permettant de concrétiser la politique publique

de sécurité civile.

Il reste à définir la notion de « décision stratégique », qui nécessite une analyse spécifique.

1 Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958

23

1.1.3 Stratégie et décision

1.1.3.1 Relations entre stratégie et décision

La décision est souvent l’illustration la plus perceptible de la stratégie. Pour autant, elle n’en

constitue qu’une partie. Le processus stratégique comprend, a priori, les étapes suivantes :

o La perception du problème

o La formulation de solutions possibles

o Le choix d’une solution

o La décision proprement dite (confirmation et formalisation du choix)

o La mise en œuvre de la décision

o Le contrôle et l’évaluation de la décision

Ce rapport à la décision n’est pas universel. Dans le domaine militaire1, les occidentaux se

situent d’emblée dans une logique d’action, pour peser sur les événements. Le modèle

chinois retient plutôt une logique de non décision, qui consiste à se situer le plus possible en

amont des événements pour exploiter les opportunités lorsqu’elles se présentent.

De fait, la décision peut paraître « anti-stratégique » : le stratège cherche à maintenir le plus

longtemps possible ouvertes les alternatives qui peuvent s’offrir à lui. Décider, c’est renoncer

à toutes les solutions possibles sauf une. Certains auteurs2 appellent même à fuir la dictature

de la décision : sauf si l’on souhaite affirmer son identité par la décision, il faudrait selon eux

éviter de décider. A tout le moins, avant de choisir entre la solution A ou la solution B, il

faudrait choisir entre choisir et ne pas choisir. Dans cette optique, le fait de ne pas choisir,

surtout lorsqu’on est placé devant une alternative binaire, oblige à changer sa représentation

de la situation et développe la créativité.

En réalité, ne pas décider, c’est encore décider, sachant que la décision n’est rien tant qu’elle

ne se concrétise pas par sa mise en œuvre.

1.1.3.2 Différents processus décisionnels

La décision, étape d’un processus

La décision est une étape qui s’inscrit dans un processus plus large. Cet aspect a été

théorisé par plusieurs auteurs. H. Simon3 conçoit ainsi le modèle « IDC » pour :

o « Intelligence » (diagnostic),

o « Design » (identification des options envisageables),

o « Choice » (choix d’un mode d’action).

o

D’un point de vue pragmatique, J. Boyd4, pilote de l’US Air Force, résume le cycle de décision

d’un pilote en combat aérien à une boucle dite « OODA » :

1 E. de la Maisonneuve (2008), "Précis de stratégie", p. 121 2 I. Lakatos, cité par B. Jarosson (2000), "Décider ou ne pas décider ?", p. 183 3 J. March et H. Simon (1999), "Les organisations. Problèmes psychosociologiques" 4 J.R. Boyd (1976), "Destruction and Creation"

24

Figure 9 : Boucle OODA - J.R. Boyd (1976)

La présentation de la décision en tant que cycle offre un cadre analytique. Elle permet

également de ne pas focaliser sur l’instant du choix entre plusieurs alternatives, et de

distinguer entre plusieurs modes de raisonnement, modélisés sous la forme de différents

processus décisionnels.

Parmi ces modèles, les plus classiques1 sont :

- Le modèle rationnel :

La décision est le fruit d’une démarche rationnelle d’analyse et de calcul. Une fois le

problème identifié, le principe est de rechercher les solutions envisageables de la manière la

plus exhaustive possible, en recherchant le maximum d’informations sur chacune d’entre

elles. Des critères de choix sont définis, auxquels sont affectés des coefficients de

pondération. Une matrice de décision permet un calcul, qui peut être fondé sur différentes

considérations : la recherche de la moindre perte, l’identification de la meilleure probabilité

mathématique, l’espérance du gain maximal ou une combinaison de ces méthodes. Dans ce

modèle, la décision est une solution pour atteindre un objectif clairement défini face à un

problème donné. Le choix consiste à retenir une option parmi plusieurs, en raison de son

utilité maximale pour atteindre l’objectif.

- Le modèle du choix satisfaisant :

H. Simon donne naissance en 19472 au concept de « rationalité limitée » : le raisonnement

humain est limité par les caractéristiques des décideurs et par les contraintes liées au

contexte dans lequel elles sont amenées à prendre des décisions. L’individu, confronté à un

problème, recherche des solutions possibles en se référant à ce qui lui est familier. Il retient

la première solution qui correspond aux critères ou aux objectifs qu’il s’est fixé. Dans un

contexte d’incertitude ou de manque de moyens ou de temps, la décision prise ne

correspond pas à la solution optimale parmi toutes les hypothèses envisageables, mais à la

première solution qui donne satisfaction.

1 M. Attarca (2014), "Processus de décision et changement : éléments de théorie et applications", p. 21 2 H. Simon (1947), “Administrative Behavior”

25

- Le modèle organisationnel :

La décision se situe dans un contexte où les acteurs sont une constellation d’organisations

interdépendantes. Le pouvoir et les responsabilités sont répartis et fragmentés. Même si le

décideur prépare la décision, elle est en réalité conditionnée par le processus

organisationnel : chaque organisation possède en effet sa propre façon de percevoir la

situation, de concevoir son action. Les solutions envisageables correspondent à des

procédures standardisées, qui préexistent au problème, et qui seront sélectionnées en

fonction des contraintes que subit l’organisation.

- Le modèle politique :

L’organisation fonctionne comme une coalition politique entre des acteurs qui ont chacun

leur propre conception des buts de l’organisation et qui poursuivent leur propres objectifs. La

décision résulte de la négociation entre les acteurs, dont l’influence dépend de leur position

formelle, mais également de leur expertise, de leur habileté, des alliances qu’ils peuvent

échafauder, etc. Le dirigeant joue un rôle d’arbitre, qui doit s’efforcer de percevoir les

motivations des acteurs pour comprendre leurs positionnements.

D’autres modèles cherchent à mieux cerner l’origine de décisions s’inscrivant dans une

adéquation la plus grande possible avec les contraintes de l’environnement :

- Le modèle naturaliste ou intuitif :

L’approche naturaliste1 se fonde sur l’observation en situation d’une équipe de cadres

sapeurs-pompiers dirigeant des groupes d’intervention. Il s’agissait d’étudier le

comportement de décideurs, ayant un niveau d’expertise confirmé, qui devaient atteindre

des objectifs évolutifs, sous une pression temporelle élevée. L’hypothèse de départ était que

plus un sapeur-pompier était expérimenté, plus il serait en mesure de comparer un nombre

important d’options et, par conséquent, de choisir une solution optimale. Or il advint que la

grande majorité des décisions fut prise après examen d’une seule option potentielle. De plus,

les rares comparaisons entre plusieurs options furent le fait des décideurs les moins

expérimentés.

Le modèle naturaliste en déduit que l’individu procède par analogie en comparant

instinctivement la situation qui se présente avec ce qu’il a déjà vécu. Si la situation

correspond à une expérience vécue, il se réfère à la solution qu’il avait alors utilisée. Il se

figure mentalement ce que pourrait donner cette solution appliquée au cas présent. S’il

estime la solution adaptée, il va l’appliquer. A défaut, il imagine une autre solution, qu’il

simule mentalement. Mais même dans cette hypothèse, il n’y a pas comparaison entre

plusieurs options.

Le modèle naturaliste ne se limite pas à l’irruption d’une intuition, mais correspond à un

mécanisme élaboré, basé sur les données collectées lors de la reconnaissance initiale :

1 G. Klein (1998), "Sources of Power How People Make Decisions"

26

Figure 10 : Modèle de reconnaissance, initiateur de décision - J. Guarnelli 1 (2014)

- Le choix de la corbeille (ou « garbage can ») :

D’après son auteur, J. March2, « l’idée de base du modèle de la corbeille était que les

problèmes, les solutions, les gens, étaient mélangés dans la corbeille du choix par la

simultanéité de leur arrivée plutôt que par des liens causaux ». Le modèle repose sur

l’existence de quatre flux quasi-indépendants :

o des problèmes, c’est-à-dire des situations qui appellent une réponse de

l’organisation

o des solutions potentielles, c’est-à-dire des propositions formulées antérieurement,

en attente de mise en œuvre

o des individus, qui peuvent devenir acteurs en fonction de leur temps disponible,

de leur centre d’intérêt ou de leur degré d’implication

1 J. Guarnelli (2014), "Le paradoxe de la décision en situation de crise surmédiatisée", p. 217 2 J.G. March, M.D. Cohen et J.P. Olsen (1972), "A Garbage Can Model of Organizational Choice"

OUI

Le décideur est confronté à une situation dynamique

La situation apparaît-elle typique ?

Caractéristiques de la reconnaissance

Attentes

Connaissances

Objectifs plausibles

Action (n) possible

Indices pertinents

Evaluation de l’action (n)

par une simulation mentale

Cela fonctionne-t-il ?

Mise en œuvre d’un plan d’action

Modification

OUI,

MAIS…

NON

27

o des opportunités, qui correspondent à des situations ou à des moments

particuliers de la vie de l’organisation.

Dans ce processus, la décision ne provient pas fondamentalement de la volonté du dirigeant,

mais d’opportunités de rencontre entre des acteurs, des problèmes et des solutions, au fur et

à mesure des événements.

Pour illustrer le modèle de la corbeille, M. Attarca1 donne l’exemple de la mise en place des

radars automatiques sur les routes. Il décrit que cette action résulte de la rencontre d’un

problème latent depuis de nombreuses années (la mortalité routière), d’une solution

technique disponible (mise au point des radars automatiques), d’un acteur (J. Chirac) et

d’une opportunité (la campagne présidentielle de 1995).

L’accent est mis sur l’ouverture d’esprit (curiosité pour de nouvelles solutions techniques,

même si elles ne répondent pas à un problème déjà identifié) et sur l’opportunité (fenêtre de

tir mise à profit par un décideur pour faire avancer une question considérée comme

prioritaire à un instant donné).

- L’effectuation

La stratégie classique définit des buts, puis cherche les moyens de les atteindre. La théorie

de l’effectuation2 inverse la proposition : elle part des moyens disponibles, étudie les effets

que peuvent produire ces moyens (d’où le vocable d’ « effectuation ») pour définir les buts

que l’on peut se fixer. De même, alors que la stratégie classique cherche à atteindre un

résultat positif, un gain ou un progrès, l’effectuation raisonne en termes de pertes

acceptables3. Le décideur essaie quelque chose en sachant ce qu’il peut perdre au pire et en

estimant qu’il peut supporter cette perte. Très orientée vers la démarche entrepreneuriale,

l’effectuation considère l’action comme une source d’apprentissage, mais également de

transformation de l’environnement. Elle revient à partir d’une page blanche pour favoriser la

créativité et l’innovation.

L’abondance des analyses et des tentatives de modélisation de la décision permettent d’en

percevoir la complexité. De fait, décider est une activité à risque, non dénuée de pièges.

1.1.3.3 Limites et pièges de la décision

L’opportunité de la décision

La première interrogation porte sur le fait même de décider. La décision expose à deux types

de risques4 : celui de commettre une erreur, et celui de ne pas faire quelque chose qui aurait

pu s’avérer utile. L’orientation actuelle des sociétés occidentales (judiciarisation, principe de

précaution) incline à donner au premier risque la priorité sur le second.

Le questionnement sur l’opportunité de la décision n’est pas uniquement rhétorique. Dans

son travail de recherche5, J. Guarnelli a conduit des entretiens semi-directifs avec des

personnes expérimentées qui, lors d’un événement significatif récent, ont dû rassembler des

1 M. Attarca (2014), "Processus de décision et changement : éléments de théorie et applications", p. 43 2 S.D. Sarasvathy (2001), "Causation and effectuation: Toward a theoretical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency" 3 P. Silberzahn (2012), "Culture du risque, culture de l’incertitude: un enjeu crucial pour la formation des décideurs" 4 P. Silberzahn, ibid. 5 J. Guarnelli (2014), "Le paradoxe de la décision en situation de crise surmédiatisée", p. 193

28

informations, les analyser et prendre une décision dans une situation de crise surmédiatisée.

L’exploitation des résultats le conduit à distinguer deux options :

o L’individu prend une autre décision que celle de ses homologues, il est initiateur

de décision. Sur 86 entretiens semi-directifs, 11 ont pu être classés dans ce

comportement de décision, soit près de 13% de l’échantillon.

o L’individu suit les décisions prises par ses homologues, il est suiveur de décision.

Sur 86 entretiens semi-directifs, 75 ont pu être classés dans ce comportement de

décision, soit 87% de l’échantillon.

J. Guarnelli relie le comportement « suiveur » à la faiblesse des marges de manœuvre du

décideur ou à la nécessité ressentie d’optimiser la coordination. Le comportement

« initiateur » correspond en revanche à des situations imposant des procédures inédites.

Figure 11 : Modèle Initiateur de décision / Suiveur de décision - J. Guarnelli (2014)

Le postulat de la linéarité

La conception occidentale de la décision s’inscrit dans une dimension philosophique

particulière, basée sur la linéarité1. Il est tenu pour acquis que les mêmes causes produisent

les mêmes effets et que les effets sont proportionnels aux causes. Or, selon E. Kant, la

causalité n’est qu’une catégorie a priori de l’entendement, parmi plusieurs autres. Il est

régulièrement démontré que des décisions sont prises sans correspondre à une cause

particulière, et qu’elles ne produisent pas forcément les résultats escomptés. Certains

auteurs2 considèrent même que la décision n’est qu’illusion, le décideur se contentant

d’entériner un rapport de force entre acteurs.

L’approche de la linéarité pose également la question du rapport au temps. Il est possible de

mettre en scène la décision « dans l’urgence » ou au contraire de différer la décision du fait

même de cette urgence. La décision est fréquemment perçue comme une coupure dans le

1 B. Jarosson (2000), "Décider ou ne pas décider ?", p. 47 2 L. Sfez (1973), "Critique de la décision"

29

temps : il y a un « avant » et un « après » la décision. Cette interprétation correspond à

notre vision d’un homme face au monde qui l’entoure, qui doit agir sur ce monde parce qu’il

ne s’améliorera pas de lui-même. Ce postulat nous éloigne des philosophies orientales, qui

placent l’homme dans le monde et qui situent la sagesse dans la capacité à accepter et

s’adapter aux évolutions de ce monde.

Les fonctions de la décision

La fonction de la décision est également source d’interrogation1. Elle consiste bien

évidemment à produire des résultats allant dans le sens du but recherché, mais pas

seulement. Il s’agit également de démontrer que celui qui prend une décision a le pouvoir de

le faire. La décision prend ainsi un caractère rituel, utile à deux titres. Elle concrétise d’une

part le fonctionnement interne de l’organisation. Elle permet d’autre part que certaines

décisions, purement rituelles, puissent être transgressées sans porter atteinte à l’intégrité de

l’organisation : une approche purement fonctionnelle, conduisant à ce que chaque décision

soit scrupuleusement respectée, produirait des effets calamiteux, que l’on mesure lors des

« grèves du zèle ». Le caractère rituel, correctement interprété, offre ainsi souplesse et

capacité d’adaptation à l’encadrement intermédiaire.

Les limites liées au modèle employé

Les différents processus de décision présentent chacun leurs limites. Par exemple, la

méthode rationnelle suppose une consommation considérable de temps et de moyens pour

analyser chaque option possible, sans jamais pouvoir être exhaustif ni complètement

objectif. Le modèle du choix satisfaisant fournit un autre exemple : plus économe en moyens

d’analyse, il peut néanmoins aboutir à un appauvrissement de la décision, avec risque

d’erreur et de conservatisme. Pire, si aucune option ne satisfait le décideur dans un premier

temps, l’expérience démontre qu’il abaisse son niveau d’exigence pour prendre malgré tout

une décision dans le délai donné2.

Mais le choix du modèle employé est lui-même source d’erreurs. Pour appréhender une

situation, nous avons en effet besoin de concepts et de modèles, dont le choix n’est pas

neutre. Une des difficultés tient à la distinction entre deux sortes de problèmes3 : ceux dont

la solution est contenue dans les données (par exemple, un problème de mathématiques), et

les autres. Les premiers ont une bonne solution, la solution optimale, qui ne dépend pas de

la personne qui la cherche. Chacun peut trouver cette bonne solution à condition d’employer

la bonne méthode. On parle dans ce cas plus de déduction que de solution. Les problèmes

relevant de l’autre catégorie n’ont pas de « bonne » solution, mais une solution convenable

dans le contexte. Cette solution dépend du décideur, qui est libre de déterminer la méthode

qui lui paraît la plus pertinente. Le penchant rationnel peut amener à vouloir traiter des

situations qui appellent de la créativité avec des méthodes qui relèvent du calcul : par

simplification, les situations complexes sont réduites à des catégories compatibles avec une

approche matricielle.

1 B. Jarosson (2000) "Décider ou ne pas décider ?", p. 187 2 H. Simon, (1979), "Rational decision making in business organizations", p. 502 3 B. Jarosson (2000), ibid., p. 37

30

Les limites liées aux biais cognitifs

Le décideur représente en lui-même une faille : son objectivité est en grande partie un

mythe. Si l’on s’attache à la portée de sa décision, il ne peut la discerner qu’à travers sa

vision personnelle du résultat souhaitable. Si l’on se focalise sur le processus de sa prise de

décision, on achoppe sur le diagnostic initial, largement dépendant de son interprétation

subjective de la situation.

S’ajoutent à ce biais initial les facteurs humains, responsables selon les industriels de 70 à

80% des grands accidents1. L’effet de gel2 en est un exemple : un individu a spontanément

tendance à maintenir sa décision, indépendamment du fait que les circonstances qui l’ont

conduit à la prendre aient pu disparaître. Cette tendance est renforcée dès lors qu’il s’est

publiquement engagé dans cette décision devant un groupe. L’individu adhère plus à son

choix qu’aux raisons qui ont pu le conduire à faire ce choix.

Une approche collective ne garantit pas contre ce biais. S. Bikhchandani analyse ainsi une

situation ou un décideur expérimenté doit prendre une décision à la suite d’autres

responsables dans un cadre de temps limité, en disposant d’un faible niveau d’information. Il

décrit sous l’expression « cascade d’informations3 » le phénomène par lequel le décideur

observe les décisions de ses prédécesseurs et reproduit le même choix, indépendamment

des informations dont il dispose personnellement. Plus la chaîne de décision est longue, plus

ce mimétisme est probable, chaque nouveau décideur présupposant que ceux qui l’ont

précédé ont pris une décision rationnelle. Dans ce sens, la perception d’une réalité commune

à plusieurs acteurs n’est pas tant le fruit d’un diagnostic objectif que le résultat d’une

construction dépendant du niveau de confiance partagée entre les acteurs.

La notion de « décision stratégique » correspond donc à une étape particulière

dans un processus d’élaboration de la stratégie. Ce processus peut varier,

notamment selon le contexte et les enjeux. Pour reprendre les propos de C. Von

Clausewitz4, la complexité de la stratégie tient donc autant aux frictions,

engendrées par les interactions entre les différents acteurs, que par le brouillard

qui empêche d’avoir une vision claire de la situation.

La prise de décision nécessite une approche globale. Elle s’inscrit dans une

dimension à la fois philosophique, méthodologique, organisationnelle et

individuelle.

A ce stade de notre analyse, une description de la crise est nécessaire afin d’identifier son

influence potentielle sur la prise de décision.

1 C. Bieder (2006), "Les facteurs humains dans la gestion des risques : évolution de la pensée et des outils", p. 12 2 K. Lewin (1947), "Group decision and social change" 3 S. Bikhchandani, D.A. Hirshleifer, I.Welch (2008), « Information cascades » 4 C. von Clausewitz (1886), "De la guerre"

31

1.2 La crise

En 2013, le mot « crise » saisi sur le moteur de recherche Google® renvoyait 8 millions

d’occurrences. En 2015, ce nombre atteint 107 millions d’occurrences.

Témoin du recours sans cesse plus fréquent au terme de crise, ce résultat ne renseigne pas

sur le contenu de la notion. Au contraire, l’utilisation du même terme pour évoquer le

passage de l’enfance à l’âge adulte (« la crise d’adolescence »), des difficultés économiques

(« le secteur des médias est en crise »), un risque de déflagration géostratégique (« la crise

des missiles de Cuba »), ou une épizootie (« la crise de la vache folle »), laisse dubitatif sur

la délimitation du concept.

L’usage du terme de « crise » a évolué significativement au fil du temps1. Dans la Grèce

ancienne, les prêtres l’emploient pour parler d’« interprétation » (du vol des oiseaux), de

« choix » (des victimes sacrificielles). En droit, il renvoie à une décision qui ne découle pas

mécaniquement des preuves. En tragédie, il décrit un événement qui influe sur le cours de

l’action. En médecine, il évoque un changement subit, positif ou négatif, dans l’état de santé

d’un patient.

Aux XVIIème et XVIIIème siècles, l’analogie entre le corps social et le corps physique conduit à

utiliser le terme pour décrire les bouleversements à l’œuvre. Ne conservant progressivement

plus que sa connotation péjorative, la notion est reprise par les économistes qui lui trouvent

l’intérêt de présenter les évolutions sous forme de cycles.

A la fin du XIXème siècle, l’analyse des grandes mutations culturelles se saisit du terme pour

évoquer la « crise des valeurs », la « crise spirituelle », la « crise de civilisation ». Plusieurs

disciplines des sciences sociales, ont à leur tour recours à ce terme dans la description des

changements conséquents d’approche que leur imposent les évolutions radicales du XXème

siècle.

L’ambivalence du concept a conduit à l’émergence de plusieurs approches. Nous les

analyserons dans un premier temps afin d’en extraire les caractéristiques de la crise.

1.2.1 Approches de la crise

1.2.1.1 L’approche événementielle

La première approche de la crise consiste à s’intéresser à son événement générateur. Selon

les auteurs2, différentes caractéristiques sont distinguées.

Il peut s’agir de la faible probabilité et de l’importance des enjeux : « Des événements dont

la probabilité d’occurrence est faible mais dont les conséquences sont potentiellement très

importantes pour la survie de l’organisation » (Mitroff, Pauchant et Shrivastava, 1988).

L’accent peut également être mis sur les dégâts et la mobilisation de moyens : « Une crise

est une situation qui provoque ou peut provoquer des dommages importants (matériels et

immatériels) et où de multiples acteurs sont impliqués » (Forgues, 1993).

1 A. Bejin, E. Morin (1976), "Introduction", p. 1 2 Cités par E. Dufes et C. Ratinaud (2015), "Concepts et notions sur les situations de crise"

32

Qualifier une situation de crise en référence à un événement générateur présente plusieurs

limites. Avant tout, les situations de crise sont par définition confuses, et rien ne garantit que

l’identification d’un événement comme origine de la crise ne soit pas une reconstruction a

postériori.

L’observation démontre ensuite que les événements, réputés avoir engendré une crise,

peuvent être très différents par leur ampleur ou leur manifestation : c’est la simple annonce

en 2007 que des provisions sont passées par la banque HSBC qui déclenchera la crise dite

des "subprimes". Enfin, les mêmes événements n’aboutissent pas aux mêmes

conséquences : peu de probabilités permettent de présager que la mort tragique de deux

adolescents, poursuivis par la police le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, contraindra le

gouvernement à décréter l’état d’urgence dans 25 départements français.

1.2.1.2 L’approche processus

L’événement générateur ne suffisant pas à qualifier la crise, la recherche s’oriente vers

l’impact de la situation sur les organisations en charge de la gérer. Selon C. Roux-Dufort1,

« une crise est un processus dynamique qui, en réaction à un événement déclencheur, met

en évidence un ensemble de dysfonctionnements organisationnels et d’inadéquations de

pratiques de gestion ». Dans le même esprit, on peut lire2 que « la crise est la

"conséquence" d'une dégradation réelle ou supposée de la capacité des autorités à faire face

un événement qui trouble le fonctionnement ordinaire de la société » (Hurand, 1993).

La crise serait dont un processus déclenché par un phénomène initiateur déstabilisant,

remettant en cause la capacité de l’organisation à tenir sa fonction régulatrice.

Certains auteurs3 décrivent sept étapes dans ce processus :

o Le fonctionnement normal : fonctionnement habituel de l’organisation

o L’incubation : absence de prise en compte des événements annonciateurs de la

crise.

o Le déclenchement : événement initiateur proprement dit

o La phase aiguë : apparition des premières conséquences, perte de contrôle de

l’événement initiateur

o L’ajustement : adaptation de l’organisation pour faire face à la crise

o La fin de la crise : retour à une situation « normale » de fonctionnement de

l’organisation

o Les réajustements : prise en compte de l’expérience de la crise vécue, pour

anticiper et planifier les crises futures.

P. Lagadec4 distingue pour sa part le fonctionnement normal, l’événement accidentel et la

situation de crise.

En situation normale, le fonctionnement de l’organisation connaît des écarts, mais ils ne

portent pas atteinte à l’équilibre général. L’événement accidentel perturbe cette

« normalité ». Pour y remédier, des fonctions spécialisées vont permettre le retour à la

1 C. Roux-Dufort (2003), "Gérer et décider en situation de crise" 2 Cité par E. Dufes, C. Ratinaud (2015), "Concepts et notions sur les situations de crise" 3 Turner, Pauchant, Pearson, Gatot, Faulkner, cités par C. Dautun (2009), "Du terrain du risque au terrain de la crise" 4 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 25

33

normale. L’événement accidentel se caractérise par son aspect prévisible, son ampleur

relative, l’existence de procédures codifiées mobilisant un nombre limité d’acteurs

spécialisés. Ces derniers connaissent leurs rôles respectifs et agissent sous une autorité

clairement définie.

La situation de crise balaie cet ordonnancement. Elle génère des difficultés d’une ampleur

inédite, qui s’additionnent et se combinent entre elles. Elle semble appeler des réponses

immédiates et simultanées, qui mobilisent de très nombreux intervenants. Elle engendre des

problèmes de communication internes et externes, et menace les enjeux primordiaux de

l’organisation. Le caractère processuel de la crise est attesté par le fait que « pour qu’il y ait

démarrage de crise, il n’est pas nécessaire que l’on soit en présence d’un problème

immédiat, tangible et indiscutable : il suffit qu’il soit perçu comme tel par les acteurs internes

ou externes ».

Plutôt que de situation, P. Lagadec parle de « dynamique » de crise, qui tient en trois mots :

Figure 12 : Les 3D de la crise - P. Lagadec cité par E. Dufes et C. Ratinaud (2013)

o Le déferlement : il se concrétise par une avalanche brutale d’un nombre

impressionnant de problèmes. Les moyens de traitements du quotidien,

dimensionnés pour traiter les événements accidentels « classiques », sont

saturés.

o Le dérèglement : au moment où les actions de régulation sont plus que jamais

nécessaires, l’organisation qui en est chargée s’en révèle incapable. Victime de

perturbations trop importantes, trop nombreuses, affectée dans son centre

névralgique, ou manquant de préparation, l’organisation se découvre inapte à

mettre en œuvre ses modes opératoires habituels.

o La divergence : la saturation de l’esprit des décideurs les conduit à tout envisager

sous le sceau de l’urgence et du « tout ou rien ». Chaque difficulté

supplémentaire représente un blocage ou une impasse. Le sentiment de la

possibilité d’une désintégration de l’univers de référence suscite des angoisses

aigües.

34

1.2.1.3 L’approche systémique

En conduite du changement1, l’approche systémique vise à appréhender de manière globale,

et non analytique, le système au sein duquel évolue l’organisation. L’objectif est d’identifier

les points sensibles capables de faire évoluer le système.

Ainsi, alors que la logique analytique se concentre sur le problème rencontré, sur ses causes

possibles et ses solutions éventuelles, la logique systémique s’attache prioritairement à

l’objectif poursuivi, en recherchant les leviers d’action disponibles pour l’atteindre malgré

l’obstacle :

Caractéristiques de la logique analytique

Caractéristiques de la logique systémique

Part du présent pour se tourner vers le passé

Part du présent pour se tourner vers l’avenir

S’intéresse au « pourquoi ? » S’intéresse au « vers quoi ? »

Postule que la prise de conscience des causes est nécessaire à la résolution d’un problème

Postule que la recherche des causes est rarement nécessaire pour résoudre un problème

Analyse une situation problématique pour en comprendre la complexité

Recherche les éléments invariants du système concerné pour appréhender la complexité, et non pour la comprendre

Utilise le problème comme matériau d’analyse et considère sa suppression comme objectif

Clarifie et précise d’abord l’objectif qui serait atteint si le problème était résolu

Commence par un état des lieux du système apparent

Identifie les acteurs qui composeront le seul système à considérer

Etablit un lien de cohérence entre un processus et une norme

Etablit un lien de cohérence entre un processus et un objectif

Recherche les acteurs responsables d’un problème

Recherche les acteurs influents (freins et ressources) sur l’atteinte de l’objectif

Explique les raisons des comportements S’intéresse aux interactions entre les personnes

Tente de changer les personnes Tente d’agir sur les relations entre les acteurs

Cherche à prévoir les comportements des acteurs

Régule au fur et à mesure les comportements en fonction d’un objectif

Figure 13 : Comparaison entre les modes de pensée - D. Bériot (2011)

L’approche systémique appliquée à la crise s’intéresse au contexte dans lequel un ou

plusieurs événements se combinent entre eux pour aboutir à l’éclosion d’une crise.

P. Lagadec2 parle de « résonance entre l’événement et son contexte » : des facteurs

extérieurs à l’événement lui-même constituent des « terrains de crise » plus ou moins

fertiles. Il peut s’agir par exemple de l’atteinte de lieux symboliques, de cibles sensibles, de

1 D. Beriot (2011), "Applications de l'approche systémique à la conduite du changement dans des entreprises" 2 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 40

35

répétition de défaillances, ou d’assurances officielles préalables démenties. Il souligne que

les crises sont des réalités complexes, inscrites dans un contexte social et historique, qu’il

n’est pas aisé de percevoir à première vue. Le risque serait par conséquent de se limiter à

traiter la manifestation de la crise, de focaliser l’action dans le domaine technique, sans

prendre en compte la globalité de la situation.

L’accent est mis sur les interdépendances qui s’intensifient au niveau mondial : le

développement des échanges commerciaux, des évolutions technologiques, l’essor de

l’information instantanée, contribuent à un cycle de croissance et de développement. Dans le

même temps, la vulnérabilité des sociétés s’en trouve accrue. L’exemple fréquemment cité

est le séisme du 11 mars 2011 au Japon. Le tsunami qui a suivi débouche sur un accident

catastrophique majeur à la centrale de Fukushima, engendrant un déplacement massif de

populations et la contamination d’une vaste zone terrestre et marine. Des restrictions sur

l’échange de marchandises potentiellement contaminées bloquent les chaînes

d’approvisionnement des usines japonaises implantées en Europe. L’impact sur l’opinion

publique provoque des débats sur la politique énergétique, qui conduisent par exemple

l’Allemagne à décider de sortir du nucléaire à l’horizon 2020.

Selon C. Dautun1, «concevoir la crise selon une approche systémique revient à postuler que

ces situations [sont] induites par des défaillances techniques qui se [combinent] à des

défaillances organisationnelles, humaines ou socioculturelles, créant un système vulnérable à

ces dernières ». Ces défaillances viennent perturber l’état d’équilibre de l’organisation,

équilibre qui n’est d’ailleurs jamais parfait mais résulte en temps normal de tout un ensemble

d’oscillations2 régulées de manière plus ou moins perceptible.

La crise, considérée comme l’entrée du système en situation de déséquilibre, a été

schématisée comme suit par E. Dufes et C. Ratinaud3 :

1 C. Dautun (2009), "Du terrain du risque au terrain de la crise : fondamentaux à l’usage des organisations", p. 28 2 T.C. Pauchant, I.I. Mitroff (1995), "La gestion des crises et des paradoxes : prévenir les effets destructeurs de nos organisations" 3 E. Dufes, C. Ratinaud (2015), "Notions sur les situations de crise et leur management"

36

Figure 14 : Cycle de vie d'un processus de déséquilibre - Dufes et Ratinaud 2013

Une ou plusieurs défaillances font naître une situation exceptionnelle. Dès lors, deux

hypothèses sont envisageables :

o Le déclin des facteurs de déséquilibres : les mesures d’évitement de crise sont

efficaces, et permettent le retour à une situation de nouvel équilibre, qui demeure

précaire

o La déstabilisation du système : les facteurs de déséquilibre ont un tel potentiel

qu’ils exposent le système à une rupture. Les mesures planifiées sont inadaptées

ou inopérantes. Des réactions de niveau stratégique sont mises en œuvre pour

stabiliser la situation perturbée, puis la faire revenir à un nouvel équilibre en

transitant plus ou moins longuement par une phase de fragilité.

Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas de statu quo ante : le « retour à la normale »

est un retour à une forme d’équilibre, mais l’événement marque le système.

L’approche systémique inscrit un mode de défaillance dans son contexte,

permettant notamment d’appréhender qu’un même événement ne produira pas

systématiquement les mêmes effets selon les circonstances. Au-delà de

l’identification d’éventuels signaux faibles, ce modèle relativise l’état de

normalité et décrit la crise comme une situation de déséquilibre dépassé.

Après avoir analysé la nature de la crise, il convient d’aborder ses caractéristiques

principales.

37

1.2.2 Caractéristiques de la crise

1.2.2.1 Le rapport au temps

L’axe du temps

Le rapport de la crise au temps présente plusieurs aspects, qui ne se limitent pas à

l’urgence.

L’entrée en matière correspond à l’inscription de la crise dans l’axe du temps. La perception

la plus fréquente retient l’irruption d’un événement soudain, qui crée comme une rupture

dans la linéarité. Chacun se souvient de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001, au moment où

deux avions de ligne ont percuté les « Twin Towers ». Il y a un « avant » et un « après »

l’événement. L’expérience démontre que ce n’est pas systématiquement le cas. Dans les

situations de crise sanitaire par exemple, c’est la détection d’un nombre significatif de

« micro-événements » qui signe l’entrée en crise.

A l’autre extrémité, le retour à la normale peut prendre un temps très variable selon la

nature de la crise. La durée est un élément constitutif des difficultés : l’endurance des

équipes en charge de la réponse, la résistance des populations, la capacité à conserver un

cap, sont mises à rude épreuve.

Entre ces deux bornes, le rythme irrégulier et imprévisible du temps constitue une

perturbation supplémentaire : les phases d’accélération et de calme relatif se succèdent,

sans qu’il soit possible de les anticiper.

Urgences radicales, urgences relatives

Indépendamment du caractère aléatoire de la succession des événements, il est possible de

catégoriser deux types de phases : l’urgence radicale et l’urgence relative :

Figure 15 : Urgences radicales/relatives - Dufes et Ratinaud (2013)

La phase d’urgence radicale correspond au temps du « déferlement » des difficultés. En

considérant le temps comme une ressource comptée, l’urgence correspond à un déséquilibre

entre le temps requis1 pour répondre à chaque sollicitation et le temps dont dispose le

décideur. Les méthodes habituelles, telles que la matrice d’Eisenhower qui vise à établir des

priorités en fonction de l’importance et de l’urgence, ne sont plus suffisantes : tout semble

prioritaire, rien ne paraît supporter d’être différé.

1 D. Fixari, F. Pallez (1992), "Comment traiter l’urgence"

38

Cette situation est aggravée par le fait que la crise crée sa propre dynamique. Ainsi, les

premiers temps de l’événement correspondent à une phase de mobilisation de l’organisation

pour faire face. Cette montée en puissance génère la mise en place de structures de

coordination qui, pour pouvoir fonctionner, recherchent de l’information en provenance du

terrain. La pression s’accroît ainsi sur les acteurs directement confrontés à l’événement, les

exposant à des sollicitations simultanées et réduisant le temps qu’ils peuvent octroyer à

chacune d’entre elles.

Urgences ressenties

Le facteur de l’urgence ressentie joue également. La différence de rapport au temps entre

un patient et un médecin régulateur du SAMU illustre l’ampleur du décalage dans le

sentiment d’urgence. La régulation médicale consiste dans les faits en « une gestion

systémique de deux rationalités »1 :

Figure 16 : Le processus de régulation ou la gestion systémique de deux logiques de l'urgence - JJ. Carpentier

(1998)

Le travail du médecin, qui cherche à objectiver l’urgence de la situation décrite par le

patient, détermine la capacité du service à allouer des ressources limitées aux situations les

plus critiques.

Dans le registre qui est le sien, le décideur est confronté à des défis similaires. L’aspect

psychologique ne se limite pas à la perception d’un degré d’urgence : il conditionne la

réaction à la pression du temps. Celle-ci peut, selon l’individu, aller de la paralysie à la

suractivité, du repli sur les procédures à l’improvisation totale. Ces répercussions alimentent

la crise, par leur caractère imprévisible et potentiellement néfaste.

1 J.J. Carpentier (1998), "Kairos et capacité adaptative en situations d’urgence : regards sur la «chrono-organisation» du SAMU 59"

39

1.2.2.2 L’incertitude et l’altérité

La complexité de la crise est liée à la fois au degré de sophistication des organisations et à

l’impossibilité de se représenter clairement la situation à laquelle on est confronté.

L’organisation et la multiplication des acteurs

Les tenants des approches organisationnelle ou politique de la décision ont démontré

l’influence des interactions au sein des organisations ou entre les organisations sur le

processus de prise de décision. Ces phénomènes, complexes en temps normal, sont

également à l’œuvre en temps de crise. Les décideurs, souhaitant réduire l’inertie propre à

toute gestion quotidienne, peuvent mettre en place des mécanismes de régulation qui

bousculent les habitudes. Ce faisant, ils génèrent des réactions des individus ou de

l’organisation qui peuvent s’avérer contre-productives. Cette tendance s’accroît du fait de la

multiplication des acteurs : dès lors que les services d’urgence, habitués à travailler

ensemble, ne suffisent plus à traiter l’événement, la conduite de la crise requiert la

mobilisation d’entités qui ne sont pas rompues à cet exercice. Les problèmes de

communication qui s’ensuivent accroissent le risque d’incompréhension.

La nature des problèmes à traiter nécessite régulièrement de recourir à des experts, dont la

relation avec le décideur peut s’avérer délicate. Quand le responsable cherche à obtenir le

plus rapidement possible des données fiables sur lesquelles asseoir une décision, l’expert

évoque les doutes, les causes multifactorielles ou le temps nécessaire pour recouper les

analyses.

Ces difficultés, internes aux équipes en charge d’assurer une réponse à l’événement, se

trouvent accrues du fait de la pression permanente des populations concernées. L’évolution

des médias - avec les chaînes d’information en continu - et des technologies de l’information

- avec les réseaux sociaux - expose en permanence les responsables au regard de l’opinion

publique. Les commentaires ou interprétations des éventuelles dissonances génèrent un

écho anxiogène.

La prise en compte de la population

L’inquiétude dans l’esprit du public est particulièrement dommageable, à un moment où les

autorités recherchent l’adhésion de la population. A ce titre, les études prédictives sur les

comportements des foules exposées à un risque imminent sont relativement contradictoires.

Classiquement, on évoque un état mental de panique1, qui se caractérise par une dissolution

des consciences individuelles, une altération des capacités de raisonnement et de prise de

décision, au profit d’un comportement grégaire et potentiellement irresponsable.

Des études du Disaster Research Center2 atténuent cette vision sombre : elles établissent

que les mouvements de panique de foule sont en réalité peu nombreux, et qu’ils sont liés à

des phénomènes particuliers (ampleur extrême de la catastrophe, effondrement des

systèmes de régulation, climat de violence préexistant). L’organisme américain constate

1 L. Crocq, C. Douteau (1988), "La psychologie des paniques" 2 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 140

40

même que les populations réagissent spontanément de manière plutôt constructive, en

improvisant des solutions d’entraide.

L’incertitude

L’imprévisibilité des réactions des organisations comme des individus alimente l’incertitude

générale. Cette notion est à distinguer de celle de risque1. L’analyse du risque fait appel à

des données objectives, qui en examinant les événements passés et leurs circonstances,

permettent d’évaluer des probabilités de concrétisation. A l’inverse, l’incertitude se

caractérise par une impossibilité de prévision, ni même d’évaluation, dans la mesure où

l’événement redouté est singulier et inédit.

La théorie du « cygne noir » fait référence à la croyance des Européens que tous les cygnes

étaient blancs, jusqu’à ce qu’une espèce de cygnes noirs soit découverte en Australie au

XVIIIème siècle. Selon N. Taleb2, lorsque nous effectuons une prévision, nous nous basons sur

l’hypothèse d’une continuité statistique : chaque année supplémentaire ne serait pas

fondamentalement différente des années précédentes. Ce n’est qu’une hypothèse, qui peut

être balayée à la première apparition d’un événement inédit, comme la découverte d’un

cygne noir. Il n’est alors pas possible d’évaluer a priori les alternatives ni leurs

conséquences. En ce sens, l’incertitude n’est pas une complication supplémentaire : elle est

constitutive de la crise. Le responsable ne peut attendre d’avoir rassemblé tous les éléments

pour décider : il doit faire le deuil de la certitude.

1.2.2.3 L’ampleur des enjeux

Selon L. Combalbert, la crise est une situation dont « les enjeux apparaissent comme

exorbitants, multiples, et pour la plupart ne se révèlent qu’au fil du temps ».

Certaines situations exposent un nombre important de personnes à un risque imminent pour

leur vie. L’enjeu est alors immédiatement perceptible. Encore peut-on remarquer que ces

situations n’aboutissent pas systématiquement à des crises, et qu’à l’inverse, la perte d’une

vie peut avoir des conséquences vertigineuses. J. Freund relève cette difficulté3 : « Il y eut

durant la vingtaine d'années qui précédèrent la première guerre mondiale de nombreux

assassinats de chefs d'État et d'hommes politiques importants, mais seul l'assassinat de

Sarajevo précipita le monde dans le chaos ».

Les enjeux ne sont donc pas immédiatement identifiables, notamment parce qu’ils tiennent à

la perception que peuvent en avoir les témoins ou acteurs.

Ce qui pèse, au-delà de l’ampleur quantitative des dégâts potentiels, c’est le caractère

irréversible d’une évolution brutale et non souhaitée, susceptible d’avoir un impact

suffisamment perceptible pour tout ou partie de la population. Il s’agit bien de vie ou de

mort, mais de celle de notre représentation actuelle du monde. Sous cet angle, il importe de

considérer les enjeux en termes de pertes, mais également de gains potentiels. Selon E. de

la Maisonneuve4, « toute crise est ainsi une occasion d'innover, par conséquent de dépasser

1 F. Knight (1921), " Risk, uncertainty and profit" 2 N. Taleb (2008), "Le cygne noir, la puissance de l'imprévisible", cité par P. Silberzahn (2012), "Culture du risque, culture de l’incertitude : un enjeu crucial pour la formation des décideurs" 3 J. Freund (1976), "Observations sur deux catégories de la dynamique polémogène ; de la crise au conflit" 4 E. de la Maisonneuve (2008), "Précis de stratégie", p. 54

41

les clivages anciens et de retrouver des marges de manœuvres ; la crise est un atout

stratégique à condition de la comprendre et de l'accepter comme telle avant de chercher à

s'en saisir ».

La crise est donc liée à la combinaison d’au-moins quatre facteurs que sont la perturbation

du rapport au temps, la multiplication des acteurs, l’incertitude, et l’ampleur des enjeux.

Traiter une situation urgente, même avec des enjeux conséquents, est possible sans générer

de crise, dès lors que toutes les données sont connues et stables, et qu’il n’existe pas de

dissonance entre acteurs. De même, les organisations gèrent régulièrement sans crise des

situations complexes et déterminantes, à condition de disposer de suffisamment de temps

pour l’analyse, la réflexion et la concertation.

Nous retiendrons donc, pour la suite de notre étude, la définition suivante de la

crise : il s’agit de la rupture brutale de l’équilibre d’un système dans son

ensemble, en raison de déstabilisations combinant notamment perturbation du

rapport au temps, multiplication des acteurs, incertitude et ampleur des enjeux.

Ces perturbations ne sont pas compensées par les mécanismes de régulation

habituels et peuvent remettre en cause l’existence du système ou des pans

fondamentaux de sa configuration actuelle.

Nous allons à présent envisager, d’un point de vue théorique, les rapports que peuvent

entretenir la crise et la stratégie.

1.3 Crise et stratégie

1.3.1 Les relations paradoxales entre crise et stratégie

Dans le domaine militaire, E. de la Maisonneuve parle de la crise comme d’une situation « a-

stratégique »1. La guerre est un objet stratégique bien balisé mais, il est devenu rare qu’elle

soit officiellement déclarée, du fait des considérations politiques internationales. La notion de

crise, qui s’est progressivement imposée, semble quant à elle ne pas offrir de prise à la

stratégie, en raison du caractère aléatoire de son évolution et du chaos qu’elle engendre.

Il semble en effet qu’il ne soit pas de pire moment que la crise pour entreprendre la

définition d’une stratégie. Les approches les plus rationnelles associent la qualité d’une

stratégie à l’exhaustivité de l’analyse préalable, condition nécessaire pour identifier le

maximum d’alternatives possibles. Cette diversité des options envisageables augmente la

probabilité que la décision retenue in fine soit la plus pertinente.

Or la crise multiplie les obstacles à cette démarche d’élaboration réfléchie. Tout d’abord,

l’urgence et le fonctionnement inhérent aux organisations tendent à resserrer les équipes

1 E. de la Maisonneuve (2008), "Précis de stratégie", p. 148

42

contribuant à la recherche des solutions, au détriment du rassemblement d’une variété

d’individus qui apporteraient la diversité de leurs expertises1.

Ensuite, la nécessité d’une approche stratégique suppose une prise de conscience, qui n’est

pas immédiate. Au contraire, de nombreux biais2 peuvent intervenir, tels que le déni ou le

refus inconscient de prendre en considération les informations perturbantes (scotomisation).

Des mécanismes de fonctionnement de groupe (« groupthink »), peuvent également altérer

l’esprit critique de ses membres.

Figure 17 : Fonctionnement et dysfonctionnements d’une analyse de situation - L. Combalbert (2005)

Enfin, le contexte de forte pression, la multiplicité des informations, les enjeux latents, les

défaillances humaines, peuvent aboutir à des prises de décision dont l’examen a postériori

révèle une dimension irrationnelle3.

Pour autant, la crise résultant de l’incapacité des modes de régulation habituels à contenir

les perturbations, la nécessité d’approcher la situation sous un angle neuf s’impose. Comme

le souligne E. Morin4, ce changement de paradigme, cette prise de recul face à l’événement,

relèvent de la stratégie : « La complexité appelle la stratégie. Il n’y a que la stratégie pour

s’avancer dans l’incertain et l’aléatoire ».

Pour progresser malgré ces relations paradoxales entre crise et stratégie, la recherche a

élaboré plusieurs modèles d’analyse stratégique de la crise.

1 C. Smart, I. Vertinsky (1977), "Designs for Crisis Decision Units" 2 L. Combalbert (2005), "Le management des situations de crise", p. 107 3 C. Morel (2012), "Les décisions absurdes (Tome 2) - Comment les éviter" 4 E. Morin (1990), "Introduction à la pensée complexe"

Décision efficace

et mesures

adaptées

Ce risque n'en n'est

pas un

Signal

précurseur

Ce risque

ne peut pas

évoluer en crise

Les conséquences

peuvent

être graves

Incapacité

à décider

efficacement

Ce risque

existe

C'est une crise

potentielle

Les conséquences

ne peuvent pas

être graves

DéniBonne

perception

DénégationBonne

appréciation

ScotomisationPrise en compte de l'ensemble des infos

Prise de décision

Décision biaiséeDécision absurde

Groupthink

43

1.3.2 Des modèles d’analyse stratégique de la crise

Confrontée à la complexité des rapports entre crise et stratégie, la recherche en sciences

sociales a tenté de les modéliser pour les rendre plus explicites. Cette démarche s’est

inspirée des travaux de J.P. Nioche sur le modèle générique de la décision stratégique1.

Figure 18 : Modèle générique de la décision stratégique – J.P. Nioche (1985)

Dans une organisation, il existe un système cognitif commun, propre à l’organisation, avec à

sa tête une structure en charge de traiter des questions stratégiques. La vision commune au

sein de l’organisation produit une trame culturelle, à travers laquelle les informations sont

perçues. Cette façon d’appréhender la situation produit un développement incrémental : les

décisions stratégiques s’ajoutent aux décisions précédentes, l’organisation gagnant en

stabilité au prix d’un relatif conservatisme.

Le problème survient lorsque le mode de pensée dominant est remis fondamentalement en

cause, du fait d’une évolution de l’environnement tardivement détectée ou insuffisamment

prise en compte. À de longues périodes de stabilité peuvent donc succéder des phases de

bouleversement, pouvant déboucher sur une remise en cause fondamentale de la répartition

du pouvoir et des mécanismes de régulation de l’organisation. C’est ce que J.P. Nioche

appelle « le grand jeu », celui qui redéfinit la nature du jeu, ses règles et ses joueurs. La

1 J.P. Nioche (1985), "La décision, ou l’action stratégique comme processus"

44

lecture stratégique de la situation dépend de deux axes : le niveau de concentration du

pouvoir et le degré de perturbation de l’environnement.

G. Boutté1 a adapté le modèle de Nioche en transposant le concept de crise à celui de

« grand jeu », et en introduisant un rapport entre le temps et la décision. La situation peut,

selon les cas, être émergente, anticipée ou soudaine.

Figure 19 : Modèle générique de J.P. Nioche, adapté par G. Boutté (2006)

Le modèle vise à percevoir les pratiques décisionnelles qui, du fait du contexte dans lequel

elles s’inscrivent, présentent le risque de déboucher sur une crise. Ce risque peut se

concrétiser par :

o « basculement » : passage de la décision entrepreneuriale à la crise, le pouvoir

exercé par un acteur unique n’étant plus reconnu

o « glissement » : passage du jeu politique interne ou des procédures d’urgence

vers la crise

E. Dufes et C. Ratinaud2 proposent de faire évoluer ce modèle sur deux aspects. D’une part,

ils estiment que l’importance de la dimension temporelle dans le phénomène de crise justifie

d’en faire un axe à part entière du modèle théorique. D’autre part, ils suggèrent de faire le

lien avec les travaux de H. Mintzberg pour redéfinir l’axe du pouvoir en une dimension

d’organisation.

1 G. Boutté (2010), "Nicolas Sarkozy face à la crise" 2 E. Dufes, C. Ratinaud (2015), "Concepts et notions sur les situations de crise"

45

Ils considèrent en effet que, parmi les sept configurations-types identifiées par Mintzberg,

trois correspondent à des niveaux d’organisation qu’il est possible de rencontrer dans un

contexte d’évitement ou de conduite de crise :

o Le niveau d’organisation en unités, placées sous l’autorité d’un chef, que l’on

retrouve notamment dans les services d’urgence au niveau tactique, correspond à

une structure mécaniste ;

o Le niveau d’organisation interservices, où plusieurs entités autonomes se

retrouvent autour d’un même but sous une autorité commune, comme par

exemple dans un poste de commandement opérationnel, correspond à une

structure divisionniste ;

o Le niveau d’organisation innovatrice, où la structure est élargie à de nouveaux

acteurs pour trouver une solution face à une situation inédite. Cette situation en

cellule de crise renvoie par plusieurs aspects à la configuration adhocratique

décrite par Mintzberg : un rassemblement d’acteurs aux lignes hiérarchiques

autonomes, qui se met en place face à une situation particulière et qui disparaît à

l’issue de celle-ci. Dans un environnement complexe et instable, les acteurs

disposent d’un haut niveau d’expertise et d’autonomie, et les relations

interpersonnelles sont prépondérantes pour assurer leur coordination.

Figure 20 : Modèle 3 D de la déstabilisation de système en situation de crise - E. Dufes, C. Ratinaud (2013)

46

Le modèle « 3D » permet d’identifier des situations potentiellement génératrices de crise,

quand bien même certains éléments constitutifs ne sont pas rassemblés. Par exemple, un

système déjà confronté à des difficultés internes d’organisation pourra entrer en crise sous la

seule pression de l’urgence, même si les paramètres d’environnement sont connus.

Il est également possible de croiser les axes deux par deux, par exemple les dimensions

temporelles et organisationnelles :

Figure 21 : Combinaison des dimensions temporelle et organisationnelle - E. Dufes, C. Ratinaud (2013)

Ce modèle « 3D » est par définition théorique : il vise à simplifier la présentation d’une

situation complexe. Il présente cependant l’avantage de rendre accessibles des interrelations

subtiles, et d’offrir des perspectives variées à la réflexion.

Après avoir défini les notions de stratégie, de décision et de crise puis abordé les rapports

entre ces concepts, tels que les présentent les apports théoriques, nous disposons désormais

des bases sur lesquelles appuyer notre recherche et nos observations de terrain.

Dimension organisationnelle

Itérations

confiantes

Actions -

Réactions

Réactions sous-

pressions

Configuration

unité

Structure mécaniste

Chaîne

décisionnelle

établie

Relations

fragilisées

Court-circuitage

hiérarchique

Configuration

interservices

Structure divisionniste

Manœuvres

stratégiquesSaturation

Désintégration

de

l'organisation

Configuration

innovatrice

Structure

adhocratique

Cinétique

lente

Cinétique

mixte

Cinétique

rapide

Long terme Rythme saccadé UrgenceDimension temporelle

47

2. APPROCHE PRATIQUE DE LA DÉCISION STRATÉGIQUE EN SITUATION

DE CRISE

Nous présenterons dans un premier temps la méthode de recherche que nous avons

adoptée. Nous préciserons à cette occasion les questionnements que les apports théoriques

ont fait apparaître ainsi que les voies par lesquelles nous avons cherché à prendre

connaissance de l’avis des acteurs de terrain.

Nous exposerons ensuite les témoignages et éléments recueillis, en analysant l’impact que

les contraintes propres à la situation de crise peuvent engendrer sur le processus

d’élaboration de la décision.

2.1 Méthode de recherche

Notre méthode s’inspire de la démarche que G. Delatour1 résume dans le schéma ci-

dessous :

Figure 22 : La démarche générale de recherche - G. Delatour (2015)

1 G. Delatour (2015), "Rédaction de mémoire"

48

2.1.1 Hypothèses de recherche

La problématique de notre étude est formulée par la question suivante : En quoi la

contribution des officiers sapeurs-pompiers à l'émergence d'une décision

stratégique nécessite-t-elle une préparation spécifique, dès lors qu’elle s’inscrit

dans une situation de crise ?

Ce questionnement central part du constat suivant : les officiers sapeurs-pompiers

bénéficient à tous les niveaux d’une formation tactique. Cette préparation leur permet de

faire face aux situations opérationnelles les plus variées, y compris lors d’événements

d’ampleur.

Par ailleurs, les officiers ayant vocation à occuper des emplois de direction reçoivent un

enseignement sur le management stratégique, les familiarisant avec les notions d’analyse

stratégique et de modèles d’organisation. Cette formation doit les préparer à assurer la

conduite du SDIS, c’est-à-dire à définir une stratégie permettant de mettre en œuvre les

politiques publiques arrêtées par l’État et par le président du conseil d’administration du

SDIS.

Les officiers sapeurs-pompiers, habitués aux situations d’urgence, et formés au management

stratégique, disposent donc théoriquement de moyens pour répondre aux situations,

heureusement exceptionnelles, dans lesquelles le déroulement habituel des opérations

tactiques ne suffit plus.

Le retour d’expérience sur les situations de crise avérée laisse pourtant apparaître qu’un

enseignement spécifique de la gestion des crises est nécessaire. Il y a donc lieu de

s’interroger sur ce qui, dans la situation de crise, nécessite de recourir à des organisations,

des méthodes, et donc des compétences particulières de la part des officiers sapeurs-

pompiers.

La réflexion initiale conduit à la formulation intuitive des deux hypothèses de

recherche suivantes :

- Hypothèse 1 : la situation de crise modifie les modes classiques d’élaboration

de la décision stratégique

- Hypothèse 2 : en situation de crise, l’officier sapeur-pompier doit mobiliser

des compétences spécifiques pour contribuer efficacement à l’émergence

d’une décision stratégique

Adoptant un raisonnement hypothético-déductif, notre travail de recherche consiste à vérifier

la pertinence de ces hypothèses de départ, sur la base des apports théoriques existants et

des retours du terrain. La confrontation des concepts avec l’expérience des personnes ayant

eu à contribuer à la prise de décisions stratégiques en situation de crise aura pour objectif de

dégager des préconisations fondées.

Les échanges avec notre directeur de mémoire nous conduisent à privilégier la dimension

managériale, tant à l’échelle de l’individu qu’à celle de l’organisation.

Notre démarche de recherche se traduit donc comme suit :

49

Figure 23 : Démarche de recherche adoptée

2.1.2 Identification des données nécessaires

L’objet de notre étude nous oriente dans le choix de l’échelle d’observation à retenir.

S’agissant de la prise de décision stratégique en situation de crise, le périmètre de base est

le département. En effet, la crise va mobiliser à minima des moyens départementaux. Qui

plus est, le dispositif d’organisation de la réponse de sécurité civile (planification ORSEC)

prévoit que le préfet de département assume la direction des opérations de secours dans ce

genre de circonstances. Enfin, depuis la départementalisation, l’échelon principal d’exercice

des fonctions d’officier sapeur-pompier est le département.

Cet angle d’analyse n’exclut pas le niveau zonal ou national. Les représentants de l’État à ces

échelons sont appelés à prendre des décisions stratégiques pour soutenir le DOS, avec l’aide

de collaborateurs parmi lesquels figurent des sapeurs-pompiers.

Nous écarterons en revanche le niveau communal, compte-tenu de la faible probabilité qu’en

cas de crise avérée, la direction des opérations de secours soit conservée par le maire, sans

activation de centre opérationnel départemental. De plus, nous n’aborderons pas le niveau

international, qui justifie à lui seul d’une étude particulière.

50

Les positions et les enjeux respectifs des acteurs de la décision stratégique en situation de

crise, dans un contexte départemental, peuvent être schématisés comme suit :

Figure 24 : Carte des acteurs de la situation de crise (inspiré de G. Armadans1, 1996)

Il est possible d’identifier des acteurs présentant une convergence d’intérêts avec le DOS, qui

correspondent au noyau permanent des services ou entités représentés dans les centres

opérationnels départementaux (COD) : les services de secours, les forces de l’ordre, les

services sanitaires. Les opérateurs de grands réseaux d’utilité publique sont également

régulièrement sollicités. Dans la mesure où ces services concourent a priori à l’élaboration de

la décision stratégique du DOS au même titre que les officiers sapeurs-pompiers, il nous

paraît opportun de s’enquérir de leur approche.

Par conséquent, nous identifions quatre grandes orientations pour développer notre

recherche :

o Compléter notre synthèse théorique, en contactant des universitaires ou

enseignants d’instituts spécialisés, ayant étudié les notions de crise et/ou de

management stratégique,

1 Groupe de travail Zone Ouest, sous la direction de G. Armadans (1996), "Sensibilisation à la résolution de l'urgence et à la gestion des crises", p.32

51

o Identifier le point de vue et les attentes de membres du corps préfectoral,

particulièrement sensibilisés à la notion de crise du fait de leurs fonctions ou de

leur expérience personnelle

o Obtenir l’avis d’officiers sapeurs-pompiers ayant conduit une réflexion particulière

sur le sujet

o Ouvrir la réflexion vers d’autres entités, retenues soit en raison de l’antériorité de

leur réflexion sur le sujet (militaires), soit en raison d’enjeux partagés avec les

officiers sapeurs-pompiers (militaires de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris

(BSPP), officiers des forces de l’ordre, cadres de santé, opérateurs privés en

charge de réseaux d’utilité publique).

La liste des personnes contactées figure en annexe 1.

2.1.3 Protocole et outils de recherche

Sur le fond, la formulation de deux hypothèses de recherche, dans une optique

organisationnelle et managériale, aboutit à identifier des questions de recherche. Deux

exemples permettent d’illustrer la démarche suivie :

o Sur la première hypothèse (la situation de crise modifie les modes classiques

d’élaboration de la décision stratégique), l’approche organisationnelle comprend

notamment une dimension « sociologie des organisations ». Celle-ci recouvre

plusieurs composantes, par exemple les différents modèles d’organisation, décrits

par H. Mintzberg. Ces configurations varient selon plusieurs indicateurs, dont,

parmi d’autres, les facteurs de contingences. La volonté d’identifier ces facteurs

conduit à poser la question suivante aux personnes interrogées : « En situation

de crise, qu'est-ce qui selon vous pose le plus de contraintes dans l'émergence

d'une décision stratégique ? »

o Sur la seconde hypothèse (en situation de crise, l’officier sapeur-pompier doit

mobiliser des compétences spécifiques pour contribuer efficacement à

l’émergence d’une décision stratégique), l’approche managériale contient une

dimension « organisation apprenante ». La notion de management par la

connaissance en est une composante, dont les actions de capitalisation de

l’expérience peuvent donner une bonne indication. Pour l’évaluer, les questions

suivantes sont retenues : « Bénéficiez-vous de l'expérience de vos pairs, ayant

été confrontés à des situations de crise avérée ? Si oui, comment ? Vous-même,

avez-vous transmis votre expérience ? Comment ? »

Un tableau « dimensions/composantes/indicateurs/questions » synthétise la réflexion (cf.

annexe 2)

52

S’agissant de l’élaboration des outils de collecte de données, nous avons dans un premier

temps établi une liste de questions adressées aux universitaires, portant sur les fondements

théoriques de leur enseignement et sur leur observation des élèves ou stagiaires dont ils

assuraient le suivi.

Nous avons ensuite conservé la pratique des entretiens en mode semi-directif. Cette

méthode nous a paru la plus appropriée : elle permet un échange relativement informel,

autorisant l’interlocuteur à exprimer son témoignage ou son point de vue au fur et mesure

du cheminement de sa pensée, tout en conservant une trame de questionnement

systématique.

Notre objectif était en effet de croiser les approches entre les deux catégories d’acteurs que

constituent les membres du corps préfectoral (que nous désignerons désormais pour

simplifier par l’acronyme « DOS ») et les officiers sapeurs-pompiers. A l’intérieur même d’un

groupe d’acteurs, comparer les réponses apportées par les uns et les autres à chacune des

questions était également riche d’enseignements. Dans le prolongement, nos investigations

ont porté sur des organisations autres que des SDIS, dont il était intéressant de connaître les

façons d’aborder des problématiques communes.

Dès lors, nous avons conçu des grilles d’entretien (cf. Annexe 3) permettant, moyennant

quelques variantes mineures, de poser une majorité de questions identiques à l’ensemble

des personnes interviewées.

Nous avons testé ces grilles d’entretien lors de deux entretiens exploratoires, auprès

d’officiers à la fois critiques et bienveillants. Quelques ajustements en ont découlé. De plus,

nous avons finalisé les grilles d’entretien en les adaptant pour permettre la retranscription

des échanges, et leur utilisation lors de la rédaction du mémoire.

Parallèlement, afin de compléter les données recueillies lors des entretiens semi-directifs,

nous avons élaboré un questionnaire à destination des DOS (cf. Annexe 4), visant à collecter

l’avis d’un maximum de membres du corps préfectoral. Nous avons d’emblée écarté une

diffusion de ce questionnaire à l’ensemble des préfectures de France, dans la mesure où une

sollicitation de cet ordre, sans accompagnement simultané, nous semblait vouée à un très

faible taux de réponse. Nous avons par conséquent décidé de cibler l’envoi vers un public

sensibilisé à la problématique de gestion de crise. Les auditeurs des sessions de formation de

l’institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et du centre des

hautes études du ministère de l’intérieur (CHEMI) présentaient à nos yeux cette

caractéristique. Nous leur avons donc soumis le questionnaire, avec le concours des

responsables de ces deux structures.

Nos craintes relatives au faible taux de réponse au questionnaire se sont malheureusement

avérées. Malgré plusieurs relances, il ne nous a été possible d’exploiter que 3 réponses sur

12 envois. Nous avons de ce fait privilégié la recherche d’entretiens semi-directifs, en

adressant au préalable le questionnaire aux personnes interviewées. Cette manière de

procéder, conjuguée au soutien de certains DOS qui ont relayé notre démarche, nous a

permis d’augmenter légèrement le nombre de questionnaires renseignés (de 3 à 9). Elle a

53

surtout été l’occasion de faire commenter leurs réponses par nos interlocuteurs, enrichissant

ainsi significativement les données obtenues.

2.1.4 Limites de la démarche

La limite essentielle de notre recherche réside dans la faiblesse numérique de l’échantillon de

personnes interrogées. Même si la grande majorité des personnes sollicitées a fait preuve

d’une grande disponibilité, les contraintes d’agenda, et parfois les délais de réponse, n’ont

pas permis de rencontrer toutes les personnes avec lesquelles nous aurions échangé avec un

vif intérêt.

D’autre part, qu’il s’agisse de DOS ou d’officiers sapeurs-pompiers, les personnes interrogées

ont été identifiées pour la plupart sur la base des réflexions qu’elles ont menées dans le

domaine du management des situations de crise. Répondant à une recherche d’efficience,

cette sélection tend à focaliser sur un échantillon particulier : pour des motifs liés à leurs

expériences, leurs fonctions ou leurs centres d’intérêt, les témoins rencontrés ont une

conscience des contraintes liées à la décision en situation de crise qui n’est pas forcément

représentative qualitativement de la population générale.

Ces précisions étant apportées, il nous est désormais possible d’analyser le regard que

portent les acteurs sur la décision stratégique en situation de crise, afin de confirmer ou

d’infirmer notre première hypothèse : « La situation de crise modifie les modes classiques

d’élaboration de la décision stratégique ».

2.2 Regard des acteurs sur la décision stratégique en situation de crise

Dans un premier temps, nous aborderons les témoignages recueillis concernant les situations

de crise vécues et leurs caractéristiques. Nous évoquerons ensuite ce que les observations

collectées nous apprennent sur les modalités de prise de décision stratégique.

2.2.1 La situation de crise

2.2.1.1 La détection de la crise

Ce n’est pas seulement pour des considérations chronologiques que la question initiale porte

sur la détection de la situation de crise. Identifier que la situation qui se présente ne se limite

pas à un accident « classique », mais qu’elle porte les germes d’une déstabilisation majeure,

conditionne la capacité du décideur à adopter l’attitude adéquate. P. Lagadec1 parle de

« positionnement », dont la première étape consiste à nommer la crise : « Quel est le

problème véritable ? En d’autres termes, quelle est la réalité de cette crise qui

m’affronte ? ».

La démarche est d’autant plus nécessaire que des mécanismes naturels de défense peuvent

conduire l’observateur à ignorer plus ou moins consciemment des signes annonciateurs de

crise, pour conserver les repères habituels plus rassurants.

1 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 222

54

Figure 25 : Identification du signal précurseur et qualification crise - L. Combalbert (2005)

Différentes conceptions de la crise

La première difficulté consiste à s’entendre sur ce qu’est une crise. En la matière, la culture

de l’institution d’origine influe sur la qualification de crise.

Pour un militaire, la notion de crise est souvent utilisée par défaut, dans la mesure où l'état

de guerre correspond à une réalité juridique (déclaration de guerre) qui est rarement

constatée en réalité. Par conséquent, la crise se définit par déduction : ce n’est plus la paix,

mais ce n’est pas la guerre. Certaines situations atypiques sont qualifiées de "crise" comme,

par exemple, la reconstruction des structures de l'État après le tremblement de terre en

Haïti. Pour ce qui relève des engagements de l’armée sur le territoire national (par exemple

la contribution au Plan Vigipirate), la conception qu’ont les militaires de la crise rejoint celle

du déséquilibre des modes de fonctionnements habituels. Elle est décrite comme « une

situation qui n'est pas ordinaire, qui nécessite une réponse différente ».

C’est ce critère que retient un officier de gendarmerie : il n’est pas nécessaire de connaître

une situation d'une ampleur particulière pour considérer que l'on entre en gestion de crise :

une situation avec enjeu vital et médiatique (par exemple une séquestration d'enfant)

nécessite une approche qui sort de la gestion courante.

Pour un officier de la BSPP, il est possible de rencontrer trois niveaux de crise : le niveau bas

(relativement quotidien sur un secteur comme Paris), le niveau moyen (qui mobilise un

nombre conséquent de moyens mais dont les conséquences restent locales), et le niveau

Signal précurseur

Signal fort

Crise aggravée

Mesures adaptées Compléments d’information

Expertises

Qualification « crise »

Retour à la normale

Remontée de l’information Validation

Procédure de crise

Perçu

Non perçu

Non

perçu

Evénement grave Risque d’aggravation

Incertitude Pas de gravité

Gravité confirmée

Pas de gravité

Perçu

Mesures

inefficaces

Mesures

efficaces

Mesures

efficaces

Gravité avérée

Aggravation

55

élevé (dont les effets excèdent le périmètre local). Ainsi, il est possible de parler de crise

sans que l’événement ait atteint une ampleur maximale. La crise est vue comme une

situation qui peut atteindre différents niveaux de gravité et qui nécessite une adaptation. Le

travail de planification préalable doit permettre d’y faire face.

A l’inverse, C. Van der Linde, enseignant à l’école des hautes études en santé publique

(EHESP), place d’emblée la crise au niveau le plus élevé de perturbation. Il la distingue de la

« situation sanitaire exceptionnelle », qui correspond à une suractivité (afflux de victimes,

menace sanitaire) gérée par les établissements de soin et les agences régionales de santé

(ARS). La crise est quant à elle « par définition une situation qu’on ne gère pas, parce qu’on

n’a pas réussi à la gérer avec les moyens prévus. Elle se caractérise par le recours à des

moyens interministériels ».

Pour un opérateur comme la SNCF, la crise se décline en quatre niveaux possibles : le

dysfonctionnement local, le trouble régional, la perturbation lourde (requérant l’action du

centre national des opérations ferroviaires) et enfin le dérèglement particulièrement lourd,

avec « risque d'altération de l'image de l'entreprise ».

Ces exemples illustrent le premier obstacle à franchir pour le DOS, lorsqu’il réunit sa cellule

de crise : sur la base d’un terme aux acceptions très diverses, parvenir à une prise de

conscience collective de l’adaptation qu’exige la situation.

Critères de détection du DOS

Dans le questionnaire adressé au DOS, la première question portait sur ce qui les conduisait

à considérer qu’ils étaient confrontés à une situation de crise. Les réponses proposées ont

été classées comme suit :

Ce qui vous permet le mieux d’identifier que vous êtes confronté(e) à une

situation de crise, c’est :

1. La gravité des effets

2. L’ampleur des moyens à mobiliser

3. L’impact médiatique

4. Le nombre de personnes impactées

5. La soudaineté des événements

6. L’échec des mécanismes habituels

7. Le manque ou la partialité des informations

8. L’hétérogénéité des acteurs de la cellule de crise

9. Le comportement inhabituel des acteurs

10. L’excès d’informations simultanées

11. L’aspect inédit de la situation

Lors des entretiens conduits avec les DOS, des nuances apparaissent. Un préfet estime qu’il

faut utiliser les termes à bon escient en distinguant la catastrophe, la crise, et l’évènement

majeur. La catastrophe est la situation dans laquelle rien de ce qui est préparé n’est

opérationnel (comme lors d’un tsunami ou d’un tremblement de terre dévastateur). Selon ce

responsable, la France métropolitaine n’a pas connu au sens strict de catastrophe de cette

56

ampleur depuis la seconde guerre mondiale. De plus, il n’y a pas à ses yeux de moment

précis où l’on bascule de l’événement majeur vers la crise, dans la mesure où tout

événement majeur nécessite une adaptation des plans, qui ne sont qu’une aide à la décision.

D’autres préfets, se référant à des situations qu’ils ont vécues, identifient en revanche un

point de basculement dans la crise. Selon les cas, ils se souviennent « du moment où on n’a

plus le temps de la réflexion avant d’agir » ou « de la survenue d’événements tels qu’ils

n’avaient jamais été imaginés, engendrant des réactions imprévisibles : un élu qui s’effondre

en larmes, ou qui ne pense qu’à protéger sa famille ».

D’une manière générale, nous pouvons faire le constat que les DOS ciblent leur attention sur

l’importance des enjeux, notamment médiatiques, plus que sur d’autres caractéristiques

potentielles de la crise, comme la gestion de l’altérité ou de l’incertitude.

Critères de détection de l’officier sapeur-pompier

La même question (« À partir de quand considérez-vous être en situation de crise ? ») posée

à des officiers sapeurs-pompiers, suscite chez eux quelques hésitations. L’un d’entre eux se

dit réservé sur le terme de crise, dont il estime qu’il est galvaudé. Il préfère éviter ce mot,

parce qu’il renvoie à une notion de perte de contrôle, que le professionnel de l’urgence doit

éviter ou limiter.

Dans l’ensemble, pour détecter une situation de crise, les officiers sapeurs-pompiers ont

recours à différents indicateurs, qu’il est possible de regrouper en grandes catégories :

o Les effets perceptibles : la multiplication des événements par rapport à ce pour

quoi la planification a été dimensionnée, des effets majeurs au sens de « ce qui

est susceptible de disparaître ou à l’inverse d’apparaître durablement »,

la perturbation plus ou moins sévère des conditions de vie normale de la

population

o Les caractéristiques de l’événement : l’incertitude et l’absence de vision

d’ensemble, le fait que l’événement s’impose dans l’agenda, qu’on n’a pas su

l’anticiper

o L’origine de la situation : l’inadéquation entre les besoins et les moyens, liée

notamment à la cinétique de l’événement initial, l’incapacité du DOS à donner de

l’information sur la situation, faute d’en disposer lui-même

o Les données d’environnement : le risque d’emballement, c’est-à-dire l’existence

préalable d’un potentiel de crise activé par la situation.

Catégories d’événements liés à la survenue d’une crise

Indépendamment des critères retenus, il est intéressant d’observer les catégories de risques

qui sont le plus souvent associées à la notion de crise dans le souvenir des personnes

interrogées.

Sans qu’il soit possible d’en tirer des enseignements généraux compte-tenu de la taille de

l’échantillon, les phénomènes ayant le plus souvent abouti à une situation de crise ressentie,

sont, par ordre décroissant :

57

o Les risques naturels (53% des événements cités), avec une nette majorité de

tempêtes (y compris événements neigeux), suivies de près par les inondations et

pluies torrentielles, puis par les feux de forêt. Parmi les personnes interviewées

qui ont connu une affectation outre-mer, les tsunamis sont fréquemment

mentionnés.

o Les risques sociétaux (25%) : les mouvements sociaux et leurs conséquences

(blocus de carburants) viennent juste avant les accidents de transport (dont le

crash du Concorde Air France en 2000 ou de l’Airbus A 320 Germanwings en

2015). Sont également cités les attentats de janvier 2015 à Paris et en région

parisienne (classés ici par simplification parmi les risques sociétaux, bien qu’il

s’agisse à proprement parler d’une menace plutôt que d’un risque).

o Les risques technologiques (10%) : les transports, et dans une moindre mesure le

stockage de produits dangereux, sont principalement mentionnés, de même que

leurs conséquences en termes de pollution notamment maritimes (naufrage de

l’Érika en 1999).

o Les risques sanitaires (6%) : les risques d’épidémies (Chikungunya en 2005,

grippe H1N1 en 2009) sont identifiés comme générateurs de crise. Des situations

de crise peuvent également découler d’événements initiateurs sans rapport avec

le domaine sanitaire (inondations perturbant le fonctionnement des

établissements de soin, risque de pénurie d’eau potable du fait de l’arrêt brutal de

la production de sulfate d’alumine utilisé dans les stations d’épuration, etc.).

o Les risques bâtimentaires (6%) sont mentionnés lorsqu’ils concernent des

établissements recevant du public particulièrement sensibles (feu d’hôpital

psychiatrique) ou quand ils génèrent des perturbations sur les conditions de vie

d’une part importante de la population (feu d’entrepôt bloquant le réseau

autoroutier et ferroviaire du sud de l’Ile de France).

Les différences de perception et de qualification d’un événement comme étant

une crise témoignent, dès l’étape de la détection, de la spécificité du phénomène.

Dans une situation courante, le décideur a la possibilité d’indexer ses

collaborateurs sur des éléments objectifs afin qu’ils adaptent leur mode de

fonctionnement de façon synchronisée. L’entrée en crise varie, en revanche, selon

la culture, le vécu, le ressenti des différents acteurs. Le décideur en est parfois

réduit à devoir détecter des signaux particulièrement ténus.

Nous allons à présent détailler les caractéristiques qui confèrent à la crise sa complexité.

58

2.2.1.2 Les contingences que génère la crise

Nous avons interrogé les DOS sur ce qui, dans la situation de crise, leur paraissait le plus

contraignant.

En situation de crise, ce qui pose selon vous le plus de contraintes à l’émergence

d’une décision stratégique, c’est :

1. Le manque de temps disponible pour la réflexion

2. L’incertitude

3. Le manque d’outils techniques adaptés dans la cellule de crise

4. Les dissonances entre acteurs de la cellule de crise

5. La méconnaissance mutuelle des acteurs de la cellule de crise

6. Le nombre excessif d’acteurs de la cellule de crise

7. La méconnaissance des règles de fonctionnement de la cellule de crise

8. L’inadaptation des plans prévisionnels

Les échanges avec l’ensemble des personnes interviewées complètent ces réponses et

permettent de relier l’expression d’un manque d’outils techniques au besoin d’optimiser le

partage de l’information.

Il est par ailleurs significatif de mettre en perspective les éléments recueillis avec les quatre

caractéristiques de la situation de crise mentionnées dans notre synthèse théorique : la

temporalité, l’incertitude, l’altérité, et la pression de l’environnement, révélatrice de l’ampleur

des enjeux.

La temporalité

Le sentiment d’urgence est le premier évoqué de manière imagée : « On est dos au mur ».

La cinétique de l’événement, son évolutivité, semblent le rendre insaisissable. Difficulté

supplémentaire, le rythme n’est pas constant : des changements de centre de

gravité surviennent pendant la crise. Est cité par exemple le moment où une opération de

secours s’achève pour laisser la place à une enquête judiciaire ou au redémarrage de

l’activité.

Le rythme n’est pas non plus forcément partagé par tous les acteurs. Ainsi, lors de

l’extinction d’un incendie qui oblige à consigner la circulation ferroviaire de tout le sud

parisien, il est nécessaire d’expliquer aux responsables des transports que les délais de mise

en œuvre des moyens d’extinction par les sapeurs-pompiers sont incompressibles.

Pour faire face à cette contrainte, plusieurs types d’attitudes sont décrits.

- La temporisation :

La temporisation passe par la capacité à reconnaître ses limites dans un premier temps.

Plusieurs officiers soulignent l’importance d’identifier et de reconnaître que l’on ne sait pas,

quitte à ne pas pouvoir répondre immédiatement aux questions du DOS : « À la question à

laquelle je ne peux pas répondre, la réponse est la raison pour laquelle je ne peux pas

répondre ».

L’urgence initiale conduit également certains sapeurs-pompiers interrogés à mettre la

stratégie entre parenthèses : une phase préalable d’acquisition du renseignement et de

59

mesures conservatoires, de niveau tactique, est incontournable. Le traitement de la majorité

des situations se limitera à cette réponse tactique, suffisant à rétablir une situation

d’équilibre.

La nécessité d’élaborer des décisions stratégiques est davantage associée aux interventions

de longue durée, pour traiter des questions relatives aux conséquences de l'événement, dont

les enjeux dépassent le simple ordonnancement des opérations.

Le recours à la planification est évoqué comme un moyen de dégager des marges de

manœuvre : l’anticipation dont il a fallu faire preuve lors de la rédaction des plans de secours

est identifiée comme un moyen de moins subir l’événement.

D’autres interlocuteurs temporisent en segmentant l’information : ils proposent au DOS de

faire un point à une heure donnée sur les informations qu’ils seront en mesure d'obtenir

entre-temps.

- L’adaptation :

La plupart des témoignages sont du registre de l’adaptation. Plusieurs officiers sapeurs-

pompiers mentionnent la nécessité de détecter le moment opportun, au sens du « kairos »

grec : selon eux, réduire la part d’incertitude du DOS nécessite d’être à ses côtés au bon

moment, y compris pour éviter que d'autres acteurs ne prennent un rôle qui n'est pas le leur.

La pertinence est décrite comme la faculté de s’exprimer à bon escient, mais également

d’identifier le point de « basculement » : l’instant où l’on doit passer d'un mode de gestion

de prévention (barrière planifiée pour faire face à un événement non souhaitable pré-

identifié) à un mode de gestion de l'incertitude (appui sur des dispositifs "rustiques" pour

parer à toute éventualité, sortant de toute probabilité fiable).

Parmi les mesures d’adaptation proposées, les DOS ont retenu le classement suivant :

Vous êtes confronté(e) à un afflux de sollicitations alors que vous devez prendre

d’urgence une décision de niveau stratégique :

1. Vous reportez des tâches que vous estimez non prioritaires

2. Vous filtrez les informations selon leur origine

3. Vous déléguez à des collaborateurs

4. Vous filtrez les informations selon leur contenu prévisible

5. Vous filtrez les informations selon leur nature (CR écrits, CR verbaux, appels

téléphoniques, images,…)

6. Vous réduisez systématiquement le temps accordé à chaque sollicitation

Le manque de temps disponible conduit les DOS à réduire leur circuit d’information, en

filtrant les données entrantes selon leur origine ou leur contenu prévisible. Pour agir avec

discernement, ils se basent plus sur leur intuition, leur expérience, et sur la mise en avant de

signaux faibles par des personnes de confiance. Le report ou la délégation des tâches non

prioritaires figurent parmi les mesures d’adaptation les plus employées. Elles présupposent

que la situation permette d’établir des priorités, ce qui n’est pas forcément acquis.

Les témoignages confortent par conséquent les apports théoriques relatifs au facteur

« temps » : le manque de temps disponible, le rythme erratique de l’évènement, le risque de

désynchronisation des acteurs. Ce dernier risque tient aux perceptions différentes des

60

acteurs, mais également à la diversité des mécanismes d’adaptation à l’urgence qu’ils

mettent en œuvre. S’ajoutent à ces considérations le risque d’appauvrissement cognitif, lié à

la limitation des sources d’information.

L’incertitude

La difficulté principale, c’est de ne pas avoir toutes les données du problème, de ne pas

pouvoir simplement répondre à la question « Que se passe-t-il ? ». Ce constat est partagé

par l’ensemble des personnes interviewées, avec un léger tropisme chez les militaires, pour

lesquels l'absence ou le manque de renseignement obèrent clairement la capacité de

commandement.

Certains DOS considèrent que l’incertitude ne résulte pas nécessairement d’un manque

d’informations. Pour eux, la difficulté principale tient plutôt à la faiblesse du renseignement :

la clé de la réussite est de savoir transformer l'information en renseignement, pour disposer

d'un maximum d'éclairages sur la situation et les enjeux. Ces DOS déplorent que peu de

services, dans le domaine de la sécurité civile, consacrent autant d’attention que les

militaires au renseignement : « On inonde par conséquent l'autorité sous 1 milliard

d'informations, chacun organise sa propre remontée d'informations en tuyaux d'orgues et

livre ses informations au DOS sans consolidation préalable, charge au DOS de trier le bon

grain de l'ivraie. L'illustration caractéristique de ce dysfonctionnement est l'établissement du

bilan des victimes, toujours controversé ».

Il est par conséquent utile de s’intéresser à la façon dont chacun élabore sa propre vision de

la situation. Plusieurs questions posées aux DOS visent à éclairer ce point.

Pour que vous l’intégriez dans votre raisonnement, une information doit :

1. Provenir d’une source fiable

2. Être utile pour arrêter votre décision

3. Permettre d’établir le lien avec des informations déjà détenues

4. Être cohérente par rapport à la situation

5. Permettre de vérifier votre intuition

6. Faire consensus au sein de la cellule de crise

S’agissant de l’utilité, certains DOS prennent les devants : ils indiquent partir des enjeux pour

aller chercher l'information dont ils ont besoin auprès des services concernés.

Concernant l’origine de l’information, les DOS ont classé leurs sources d’information

principales dans l’ordre suivant :

Vos sources d’information principales proviennent :

1. Des services publics

2. Des experts

3. De vos propres constats de terrain

4. Des élus locaux

5. Des réseaux sociaux

6. Des médias

61

Les réseaux sociaux et les médias n’arrivent qu’en dernière position, ce qui dénote par

rapport aux témoignages de plusieurs officiers sapeurs-pompiers, pour lesquels les médias

sont une ressource importante pour mieux comprendre la situation : « Sur le crash du

Concorde, c'est une vision aérienne diffusée par une chaîne de télévision qui m'a permis

d'avoir une vue globale ».

Cette divergence de perception peut être liée à la formulation de la question : les DOS ne

reconnaissent pas les médias comme une « source principale d’information », mais la plupart

les décrivent comme un bon moyen de capter la façon dont la population perçoit

l’événement.

Il ressort d’une manière générale qu’en situation d’incertitude, la fiabilité de la source devient

décisive. Elle est naturellement liée, dans les témoignages recueillis, au degré de confiance

accordée à la source. Entre également en compte la capacité supposée de la source à fournir

des informations pertinentes : un officier interrogé déclare ainsi prendre en considération le

niveau de la source dans son organisation pour s'assurer qu'il s'agisse de quelqu'un qui

accède rapidement aux informations importantes.

L’ancrage dans le territoire est cité à plusieurs reprises par les officiers sapeurs-pompiers

comme par les DOS. Le maillage du territoire, le lien effectif avec le terrain, sont ressentis

comme autant de gages de fiabilité.

Pour certains DOS, la perception collective de l’information est un critère d’appréciation : une

information qui dénote par rapport à la représentation collective de la cellule de crise sera

accueillie avec circonspection.

Enfin, les responsables interrogés indiquent s’appuyer sur leurs aptitudes personnelles pour

capter les informations et se forger leur représentation de la situation. L’intuition et

l’expérience sont les termes qui reviennent le plus fréquemment. La culture générale est

évoquée dans une moindre mesure.

L’altérité

La situation de crise nécessitant une réponse globale, la gestion de l’événement implique le

recours à des acteurs différents de ceux qui sont habitués à se côtoyer en situation

d’urgence ; cela pose le problème de l’absence de références communes. Un officier sapeur-

pompier y voit la principale difficulté.

Les DOS interrogés ont des avis contrastés sur la question : certains considèrent que les

dissonances entre acteurs de la cellule de crise ne sont pas un problème en soi, parce que

les débats au sein de la cellule de crise permettent au DOS d'avoir une vision exhaustive de

la situation et augmentent ses possibilités de choix. Qui plus est, la méconnaissance des

règles de fonctionnement de la cellule de crise n'est généralement pas une contrainte

importante, sauf dans certaines situations de crises longues, avec nombreuses relèves, qui

peuvent impliquer le recours à des personnes peu aguerries au fonctionnement des cellules

dédiées.

D’autres DOS estiment à l’inverse que la multiplicité d'acteurs non préparés nuit au calme et

au professionnalisme et que les difficultés engendrées par l’altérité sont particulièrement

handicapantes. L’un d’entre eux voit la dissonance entre les acteurs de la cellule de crise

comme la pire des contraintes parce qu’elle perturbe la prise de décisions et leur mise en

62

œuvre. Dans ce type de situations, il importe selon lui de conserver un minimum de sérénité,

ce qui implique que les membres de la cellule de crise ne doutent pas trop.

La méconnaissance réciproque détermine pour partie le comportement des intervenants : C.

Dautun constate ainsi, lors des exercices organisés par l’INHESJ, une propension de certains

stagiaires à se replier sur la dimension technique ou, à l’inverse, à prendre en compte des

missions qui ne relèvent normalement pas de leurs attributions. Cela peut être attribué à une

tentative de sortir de la zone d'inconfort en recherchant l'action à tout prix, mais également

à une forme de doute sur la capacité d’autrui. Un officier sapeur-pompier décrit l’incertitude

sur le niveau de résilience des autres acteurs comme une contrainte importante. Pour

expliquer ce degré de vigilance, il donne l’exemple de la défaillance du producteur japonais

d’électricité (TEPCO) dans la gestion de l’accident de Fukushima1 en 2011.

Le rôle des experts dans la cellule de crise est évoqué à plusieurs reprises. Un officier

sapeur-pompier exprime ses réticences à devoir baser sa décision sur des réponses d'expert

avec les filtres inévitables que cela suppose. Un autre signale l'opposition entre les certitudes

de l'expert et les complications qu'engendrent les décisions qui découlent théoriquement de

ces certitudes : il cite par exemple un conseil d'évacuation massive avec les risques que cela

peut générer.

L’altérité présente donc un caractère ambigu : source d’enrichissement de la réflexion, elle

présente un potentiel de perturbation non négligeable en l’absence de reconnaissance

mutuelle et préalable des acteurs.

La pression de l’environnement :

La pression de l’environnement peut se manifester de manière très concrète par une

dégradation sensible des conditions dans lesquelles les responsables vont devoir travailler.

Le niveau de perturbation de la situation impose des adaptations drastiques : un DOS,

confronté à des inondations torrentielles, se trouve ainsi réduit à constituer un poste de

commandement dans un local d’un centre commercial avec, pour tout moyen de

communication, un poste radio portatif sur le réseau « Antares ». Par définition, la situation

de crise bouscule l’environnement habituel : manque d’espace suffisant et de calme, absence

ou défaillance des moyens de travail habituels. Un officier sapeur-pompier cite l’exemple de

l’intervention sur le site de l’usine « Lubrizol » à Rouen en 2013 : le DOS et le COS sont dans

les vapeurs de mercaptan, dont l'intensité provoque la nausée.

L’environnement, c’est ensuite le lien avec la population. A ce sujet, un officier sapeur-

pompier considère que la culture de sûreté, inspirant l’action des forces de l’ordre, est

relativement connue du public. La compréhension du fonctionnement de la sécurité civile lui

semble en revanche moins répandue. C. Van der Linde estime qu’il s’agit du problème

principal dans la gestion des crises de santé : la façon dont le citoyen se représente le

comportement qu’on attend de lui est déterminante. Elle renvoie à la conception que chacun

1 Le rapport de la commission d’enquête du parlement japonais du 5 juillet 2012 reproche à l’exploitant TEPCO « une gestion de crise défaillante, une structure organisationnelle peu adaptée aux situations d’urgence et une formation insuffisante du personnel en cas d’accident grave ». (Journal Le Monde, 23 juillet 2012)

63

se fait de la mort et de la maladie. L'évaluation du rapport bénéfice-risque de la vaccination

anti H1N1 en est une bonne illustration.

La difficulté s’accroît du fait de la nécessité de recourir aux médias pour s’adresser à la

population ou comprendre ses attentes. Les prismes de la communication médiatique, et le

retentissement des médias de masse, constituent une part essentielle de la pression de

l’environnement ressentie par les décideurs. Un officier sapeur-pompier décrit ainsi ce

phénomène : « Aucun acteur n’a la vision complète de la situation. Mais un seul acteur peut

imposer sa vision de la situation : le journaliste, dont la représentation s'impose à tous,

même au plus haut niveau de l'État ».

Le contexte, d’une façon générale, est riche en contraintes pour les responsables. Plusieurs

DOS insistent sur le risque que les principaux acteurs de la gestion de crise soient détournés

de leur mission première pour des questions de pression médiatique ou d'accueil d'autorités

politiques. Ils préconisent qu’en situation de crise, la règle habituelle de l'accueil du ministre

par le préfet soit adaptée pour lui permettre de se consacrer pleinement à la gestion de

crise. Il leur semblerait par exemple cohérent qu'aucun membre du gouvernement ne se

déplace dans les 48 premières heures de la phase aigüe de la gestion de crise, à l'exception

du Premier ministre - qui est dans son rôle de DOS de niveau national - ou du ministre de

l’Intérieur par délégation.

L’ampleur des enjeux constitue donc bien une contrainte pour les décideurs. Elle est d’autant

plus difficilement vécue qu’elle correspond régulièrement à la mise en résonance d’un

événement dans un contexte donné, générant une pression parfois sans rapport avec sa

gravité initiale.

2.2.1.3 Rationalité limitée et réactions de compensation

Une autre forme de rationalité

Les contraintes que représentent la temporalité, l’incertitude, l’altérité, l’environnement,

créent une situation qui offre peu de prise à l’objectivation. Le temps et les moyens

manquent pour mesurer, évaluer, calculer sur des bases irréfutables.

Un DOS décrit qu’en situation de crise, les repères qu’il utilise ne sont pas les plus rationnels.

Il indique se baser d’une part sur la confiance : à défaut de disposer de toutes les

informations requises pour décider, il s’appuie sur la connaissance préalable des personnes

qui l’entourent pour pondérer les avis et les conseils. Il se fie d’autre part à son instinct, qui

s’est construit par l'expérience de situations de crises similaires, mais également par la

pratique de la prise de décision hors situation de crise. Ces décisions, souvent à fort enjeu,

s’apparentent selon lui à un entraînement, combinant la mécanique intellectuelle de la prise

de décision, l’habitude d'être exposé et la gestion de la complexité.

Ce qui peut présenter un aspect irrationnel relève en réalité d’une autre forme de rationalité,

dite « limitée ». Les témoignages recueillis font en effet écho aux écrits de H. Simon1 : dans

un contexte où il est impossible de disposer d’une information parfaite, le décideur cherche

en priorité les données qui sont cohérentes avec les informations qu’il détient déjà, qui vont

1 H. Simon (1947),"Administrative Behavior: a Study of Decision-Making Processes in Administrative Organization"

64

lui permettre de compléter sa représentation de la situation et qui vont lui être utiles pour

décider. Sur cette base, forcément partielle, il va développer un raisonnement qui ne lui

permettra pas de prendre en considération toutes les alternatives possibles (rationalité

substantive) mais qui maximisera ses chances de parvenir à son but en fonction des

informations auxquelles il se fie (rationalité procédurale).

Les réponses obtenues par l’intermédiaire du questionnaire adressé aux DOS ou lors des

échanges avec l’ensemble des personnes interviewées, donnent toutes, sans exception, un

rôle déterminant à l’intuition, à la confiance, au primat du relationnel.

Les risques encourus

Cette forme d’adaptation aux contingences n’est pas exempte de risques. En premier lieu,

elle donne une part significative à l’appréciation individuelle, avec tous les aléas que cela

implique en raison du facteur humain. Peuvent ainsi être citées1 :

o La mémorisation sélective : oubli immédiat de toute information jugée

problématique ou qui remet en cause l'analyse déjà menée et communiquée au

décideur

o L'interprétation défensive : l'information n'est pas lue objectivement mais

réinterprétée pour se conformer à une décision déjà prise

o La négation de l'autorité de la source : pour éviter de prendre en compte une

donnée, on remet en cause la source si la donnée ne peut pas l'être

Ces risques ne sont pas théoriques. Ils sont à mettre en relation avec les témoignages

collectés : sous la pression de l’urgence, les DOS interrogés indiquent qu’ils ont pu être

conduits à filtrer l’information selon son origine ou selon son utilité pour arrêter une décision.

Les dysfonctionnements potentiels se rencontrent également à l’échelle du groupe d’acteurs

du management de la crise. I. Janis désigne sous le terme de « groupthink2 » un mode de

fonctionnement dans lequel, dans un contexte particulier, des individus, membres d’un

groupe fortement empreint de cohésion, consacrent inconsciemment plus d’énergie à

maintenir l’unanimité au sein du groupe qu’à aborder la situation avec un esprit critique. De

même avons-nous précédemment mentionnée la théorie de la « cascade d’informations »,

qui décrit le risque de mimétisme dans un groupe de décideurs, chacun prêtant à la décision

de son voisin un motif rationnel. Les réponses contrastées des personnes interrogées sur

leur rapport à l’altérité et sur la façon dont ils vivent les dissonances entre acteurs de la

cellule de crise, nous paraissent symptomatiques des risques toujours présents de

dysfonctionnement collectif.

Au niveau des interrelations, J.L. Wybo3 parle d’un phénomène de « boucles ouvertes » pour

décrire les risques liés à la multiplication des acteurs. Chaque organisme impliqué conçoit

des modes d’action qui fonctionnent en temps normal comme des boucles fermées : chaque

décision se concrétise par des actions, dont les effets sont évalués pour les corriger si

nécessaire, afin de s’adapter à l’évolution de la situation. En situation de crise, les acteurs

doivent faire appel à leur expérience et à leur capacité d’innovation pour pallier l’absence ou

l’inefficacité des plans prévus. Dans le même temps, des acteurs vont se trouver isolés, sans

1 L. Combalbert (2005), "Le management des situations de crise", p. 107 2 I.L. Janis (1982), "Groupthink - Psychological Studies of Policy Decisions and Fiascoes, Hougton Mifflin Company" 3 J.L. Wybo (2012), "Maîtrise des risques et prévention des crises", p.1

65

information suffisante. Il en résulte le développement d’une série de « boucles ouvertes » :

des intervenants décident des actions avec une information réduite ou imprécise sur la

situation ou sur l’effet qui en résulte. Là encore, les réponses obtenues lors de nos entretiens

démontrent que les acteurs sont contraints de se baser sur leur intuition et leur expérience,

pour apporter une réponse à la situation inédite à laquelle ils sont confrontés. La

multiplication des sollicitations en phase d’urgence radicale peut conduire à négliger

l’évaluation des décisions prises, retardant ainsi les corrections éventuellement nécessaires.

Les réactions de compensation

Les risques évoqués sont pour la plupart connus des personnes interrogées. Afin d’identifier

la façon dont elles procèdent pour éviter ces écueils, nous leur avons posé la question

suivante : « En situation de crise, faute de pouvoir fonder votre conseil sur un temps de

raisonnement suffisant, comment procédez-vous pour limiter le risque d'erreur ? ».

Un officier sapeur-pompier reformule d’emblée : « Avant tout, il ne faut pas considérer qu'il y

a un risque d'erreur, mais un tribut à payer à la part d'inconnu. Il est important de le

considérer comme tel».

Au-delà de cette requalification, différentes réactions sont décelables :

- Le point d’appui :

Plusieurs responsables cherchent un point d’appui. Un DOS évoque, parmi plusieurs

réponses, une solution personnelle : «Je m'appuie sur des références : je m'interroge sur ce

que telle personne, que je prends comme modèle, aurait décidé dans cette situation ». Un

autre DOS signale qu’il a souvent eu recours à un collaborateur de confiance, qui participait

à la cellule de crise sans être affecté à une fonction particulière. Il lui assignait pour mission

de détecter les éventuelles incohérences ou aberrations, de faire le lien entre les différentes

informations, et de l'alerter sur le risque de voir la cellule de crise prendre une mauvaise

direction.

- La délimitation de l’incertitude :

La limitation du risque d’erreur passe prioritairement par la délimitation de l’incertitude. Un

officier sapeur-pompier indique rechercher une représentation de la situation la plus

complète possible, en multipliant les canaux de remontée de l'information, notamment en

ayant recours au maillage territorial et en exploitant les documents de planification

opérationnelle lorsqu’ils peuvent l’être. Limiter l’incertitude consiste également à éviter de

générer de la confusion supplémentaire. Par exemple, pour les informations décisives,

comme les bilans de victimes, plusieurs officiers recommandent au DOS de désigner une

source unique de remontée d'information.

- Le principe directeur :

À plusieurs reprises, la notion de principe directeur est évoquée. Un officier de gendarmerie

indique qu’en l’absence de renseignement, la capacité des personnels sur le terrain à mettre

en œuvre les principes d'action de la gendarmerie est déterminante. Un DOS se rattache au

principe de précaution pour privilégier la solution qui expose le moins possible les vies

humaines. Un officier parle de « formatage sapeur-pompier » pour expliquer son recours

66

fréquent à une approche déterministe afin d’éviter le risque maximal. Ce point mérite d’être

souligné, car il contribue à ce que, dans une situation inédite, des constantes soient

maintenues pour donner du sens à l’action. J.L. Wybo1 identifie trois niveaux permettant à

une organisation de réagir face à une situation d’urgence :

o Les structures : moyens, plans, procédures

o Les relations : réseau de relations institutionnelles et personnelles permettant de

s’adapter à l’évolution de la société

o Le sens : le niveau du sens correspond à « l’aptitude des personnes et des

collectifs à construire et à donner du sens à des situations d’urgence qui sortent

des cadres connus et planifiés. À l’opposé, la perte de sens constitue l’une des

causes principales des difficultés, en particulier dans l’urgence », comme évoqué

dans les travaux de K. Weick2.

- La connaissance mutuelle des acteurs :

Enfin, la plupart des personnes interrogées insistent sur la connaissance mutuelle des

acteurs. Elle doit bien entendu préexister à la crise et dépasser les échanges purement

institutionnels. Ce qui est recherché, c’est une relation interpersonnelle de « reconnaissance

mutuelle ». Il s’agit d’évaluer la capacité des subordonnés à répondre précisément à une

question donnée, ou de tisser un réseau de sources externes qui peuvent s’avérer

déterminantes le jour de la crise. Cette connaissance est un moyen en soi : pour un officier

sapeur-pompier, « Ce n'est pas le plan de secours, mais le fait de l'avoir préparé ensemble

qui importe ». Ce processus d'appropriation collective doit aboutir à ce que chacun joue sa

partition en connaissant celle des autres.

En synthèse, face aux contraintes que représentent l’urgence, l’incertitude,

l’altérité ou la pression de l’environnement, les acteurs de la gestion de crise

s’appuient principalement sur leur intuition et sur le relationnel. Ils sont dans

l’ensemble conscients des risques que cela génère et tentent de les compenser en

délimitant l’incertitude, en cultivant leur connaissance mutuelle et en se référant

au sens général qu’ils donnent à leur action.

Après avoir analysé les obstacles que la crise accumule et la façon dont les acteurs de

terrain les abordent, nous allons à présent étudier ce que ces mesures d’adaptation peuvent

engendrer pour le processus décisionnel.

2.2.2 La prise de décision

2.2.2.1 L’organisation

La crise est aussi organisationnelle : la nécessité de s’écarter des procédures habituelles

génère souvent « des discontinuités franches, qui exigent un réalignement des ressources,

1 J.L. Wybo (2010), "L’évaluation de la vulnérabilité à la crise : le cas des préfectures en France", p. 177 2 K.E. Weick (2001), "Making Sense of the Organization"

67

des rôles, des fonctions »1. La question relative à l’organisation ne porte pas essentiellement

sur la structure institutionnelle, mais bien plus prosaïquement sur le « Qui fait quoi ? », et

plus particulièrement sur le « Qui définit la stratégie ? ».

Qui définit la stratégie ?

Un officier sapeur-pompier emploie une métaphore expressive pour opérer la distinction

entre les différents niveaux de traitement : « Sur l'autoroute, on peut prendre des bretelles

vers des axes secondaires pour ensuite reprendre l'autoroute : c'est de la tactique. La

stratégie, c'est lorsqu'on arrive à un embranchement de deux autoroutes de même

catégorie. Choisir l'une ou l'autre en conservant la même destination finale, c'est de la

stratégie. Changer de destination finale, c'est de la politique ».

- Une conception nationale de la stratégie :

Des prises de position des personnes interviewées ressort le sentiment convergent que la

stratégie se détermine à l’échelon national.

Pour les militaires, le niveau stratégique est à la charnière entre le politique et le militaire,

c'est l'art d'emporter la décision. Le niveau opératif est un niveau intermédiaire, qui

correspond à un niveau géographique : le théâtre d'opération. Par exemple pour l’opération

« Barkhane », le théâtre d'opération est la bande sahélienne. Le niveau tactique correspond

à la mise en œuvre de l'orientation définie à travers des modes d'action.

En matière de santé publique, C. Van Der Linde attribue à la stratégie la fonction de fixer les

grands axes sur le long terme au niveau national. L'échelon zonal correspond à ses yeux au

niveau opératif. Le département est quant à lui la circonscription de la mise en œuvre des

moyens, impulsée par le préfet avec des moyens tels que les SDIS ou les SAMU.

Pour la SNCF, l’entrée dans la sphère stratégique se définit par une mesure d’organisation :

elle correspond aux situations nécessitant l'ouverture de la salle "système", qui est la salle

nationale de crise de la direction générale. Cette salle a vocation à être ouverte aux autres

acteurs ferroviaires, dans le cadre des obligations de coordination transparente et non

discriminatoire qui s'imposent à la SNCF en tant qu’établissement public industriel et

commercial.

Dans le domaine de la sécurité civile, la stratégie de réponse aux risques est clairement

nationale : ses objectifs sont définis par la loi et son articulation découle de la planification

ORSEC, de portée nationale. La circulaire relative à l’organisation gouvernementale pour la

gestion des crises majeures est explicite2 : « La direction politique et stratégique des crises

majeures est assurée par le Premier ministre en liaison avec le Président de la République ».

Au regard de la tendance à faire coïncider le niveau stratégique avec l’échelon national (voire

international pour les opérations placées sous l’égide de l’ONU, de l’OTAN ou de l’Union

1 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 85 2 Annexe à la circulaire du 2 janvier 2012, relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures, p. 4

68

Européenne), il est légitime de s’interroger sur le rôle stratégique du préfet de département

dans le domaine de la sécurité civile.

- Le rôle stratégique du préfet de département :

C’est la situation de crise qui confère au préfet de département un rôle de portée

stratégique. Le ministre de l’Intérieur a réaffirmé en juin 20151 qu’en temps de crise, le

préfet de département est « le véritable directeur des opérations chargé d’assurer la

cohérence de l’action publique par la coordination de l’ensemble des acteurs publics, privés,

associatifs, et des collectivités territoriales ». Le préfet de département exerce ses fonctions

« en lien étroit avec les préfets de zone de défense et de sécurité, dans le respect de leurs

attributions ». Dans le cadre de ses prérogatives de directeur des opérations en temps de

crise, le préfet de département doit également veiller « à impulser et à coordonner les

actions utiles à la continuité de la vie économique et sociale ainsi qu’au retour à la normale

dans la phase d’après crise ». Enfin, en matière de communication et d’information des

populations, il revient au préfet de département « d’élaborer une stratégie cohérente, unie et

intelligible ».

L’analogie avec le domaine militaire peut être mise à contribution pour éclairer le

positionnement du préfet de département. Un officier militaire signale qu’en cas

d’engagement de forces, le responsable sur le terrain a une marge de manœuvre très

importante, ce qui peut générer des conséquences stratégiques. Par exemple, en théâtre

d'opérations extérieures, décider de passer par un pays plutôt qu'un autre correspond à un

choix tactique ou opératif qui peut avoir de fortes conséquences diplomatiques. Si la

situation l’exige, le terrain commande : le général commandant le théâtre d'opération a

délégation stratégique dans l'urgence.

La transposition au domaine de la sécurité civile conduit à considérer que, si la stratégie

générale de réponse aux risques relève de l’échelon national, le préfet, responsable du

théâtre d’opération départemental, dispose en situation de crise d’une délégation large,

incluant la possibilité d’arbitrer des décisions stratégiques dans l’urgence.

- L’intervention du niveau politique :

Plusieurs officiers sapeurs-pompiers témoignent de situations plus confuses : ils constatent

qu’en cas de crise majeure, le niveau préfectoral est de plus en plus vite supplanté par des

interventions des autorités supérieures. Plusieurs exemples sont cités : sur l’accident

ferroviaire de Brétigny sur Orge le 12 juillet 2013, le Premier ministre était sur place à T+

1h30. A T+ 2h30, le Président de la République était là. Moins d'une heure après l'attentat

contre la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, le Président était sur les lieux.

Un DOS situe ce constat dans une tendance générale d’évolution des conditions d’exercice

de la fonction de préfet. Des réformes institutionnelles ont modifié la répartition des rôles,

notamment en renforçant les pouvoirs des préfets de zone ou de région, et en créant les

ARS. L’augmentation de la pression médiatique, via notamment la création des chaînes

d’information continue, accélère la circulation de l’information et incite les autorités

gouvernementales à se rendre sur les lieux.

1 Circulaire du 8 juin 2015, relative aux responsabilités du préfet en cas de crise (voir en annexe 5)

69

La situation est ainsi décrite par P. Lagadec1 : « En réaction aux multiples problèmes

d'information ressentis, les hauts dirigeants vont tenter de savoir ce qui se passe

"réellement". Ils vont intervenir directement, en brisant toutes les chaînes intermédiaires. Ce

faisant, ils vont perturber l'organisation, les individus ». Ces perturbations peuvent prendre

l’aspect d’une irruption dans le domaine tactique. Un officier sapeur-pompier relate ainsi

avoir constaté des pressions exercées sur le préfet de zone par des élus apeurés pour

obtenir l'envoi d'avions bombardiers d'eau sur un feu de forêt alors que le COS avait

confirmé que les zones habitées n'étaient pas exposées. À l’inverse, l’autorité qui s’abstient

de définir la stratégie pose tout autant problème : un officier évoque l’incapacité d’arrêter

une stratégie globale dans le cadre d’un épisode neigeux extrême, le DOS se focalisant sur la

communication de crise tandis que les sapeurs-pompiers se concentraient sur la résolution

technique de l’urgence.

Ces « frictions » ne sont pas propres au domaine civil. Les militaires y sont également

confrontés. Au niveau national, le chef d’état-major des armées (CEMA) doit assurer

l’interface avec le pouvoir politique qui peut être tenté de prendre des décisions qui relèvent

du niveau tactique. Plusieurs militaires évoquent des télescopages entre la volonté politique

d'afficher un déploiement important de moyens et le principe stratégique d’économie des

moyens. Les officiers intègrent ce risque d’interférences dans leur travail de planification :

« Le travail d'état-major consiste à forcer le politique à déterminer jusqu'où on va en cas

d'événement indésirable, par exemple en déterminant le niveau de pertes acceptable. Il nous

faut obtenir un "concept d'opération", qui précise l'état final recherché de façon globale, en

incluant les aspects financiers, politiques, médiatiques, etc. Au final, le plan d'opération n'est

pas validé par un politique, mais par le CEMA ».

- La coexistence de plusieurs champs stratégiques :

L’organisation mise en place doit permettre au DOS d’arrêter une stratégie qui s’impose à

l’ensemble des acteurs. Cela nécessite de parvenir à intégrer plusieurs approches qualifiées

de stratégiques.

P. Laclémence, conseiller scientifique du CHEMI, énumère ainsi trois stratégies simultanées :

o La stratégie opérationnelle : c'est celle de la résolution de l'urgence. Elle

surplombe les autres parce que l'urgence et la nécessité la légitiment.

o La stratégie d'opportunité : elle pose la question de l'attitude à adopter vis-à-vis

de la population. Il s'agit de rechercher l'adhésion ou d'assumer la rupture.

o La stratégie de retour à la continuité : ce n'est pas le retour à la situation

précédente, mais le retour à une situation planifiée, dans laquelle le système se

remet en route.

Le concept de sécurité globale vise à répondre au besoin d’une stratégie d’ensemble, en

plaçant la problématique au centre et en conduisant les acteurs à dépasser le stade de la

coopération en situation exceptionnelle pour adopter une réflexion transversale sur les

risques.

1 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 85

70

Dans cette optique de « sécurité globale », le DOS doit intégrer ce que chaque service

impliqué définit comme sa « stratégie » propre.

C. Dautun considère que « la stratégie d’emploi des moyens, définie par le COS, reste du

domaine de la tactique : le seul élément stratégique en gestion de crise de sécurité civile est

la stratégie globale que le préfet doit élaborer, en intégrant les éléments multisectoriels ».

C. Ratinaud analyse en revanche les « stratégies » des services comme des « domaines

d’activité stratégique », au sens managérial : le domaine d’activité stratégique est une

subdivision, créée pour définir une stratégie particulière, adaptée à son contexte spécifique.

Ce découpage permet à l’organisation-mère de décider de l’allocation des ressources en

fonction de ses impératifs supérieurs. Dans cette perspective, C. Ratinaud juge que la

stratégie globale du DOS émerge pour partie des domaines d’activité stratégique des

services impliqués, sans pour autant se limiter à une simple agrégation.

Cette forme d’organisation engendre plusieurs conséquences.

Les conséquences de l’organisation multisectorielle :

- Le schéma multisectoriel génère la création « d’espaces ouverts » :

Les « espaces ouverts1 » désignent des domaines qui ne relèvent pas d’un secteur d’activité

précis ou, à l’inverse, que plusieurs secteurs d’activité investissent simultanément.

Figure 26 : Segmentation stratégique et espaces ouverts - E. Dufes, C. Ratinaud (2013)

Ces situations sont évolutives en fonction de la cinétique de l’événement et nécessitent une

redéfinition en temps réel des frontières de compétences entre services impliqués.

1 M. Dobry (1986), "Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles"

71

- Le rapport à l’autorité évolue :

En situation de crise, le réflexe peut consister à affirmer un principe d’autorité unique pour

mettre de l’ordre dans le chaos. De fait, un manque de leadership conjugué à des frontières

de compétences fluctuantes peut rapidement semer le trouble.

A l’opposé, P. Lagadec souligne les inconvénients d’un dispositif excessivement autoritaire1 :

« Face aux crises complexes, mettant en scène de multiples organisations, le modèle de

l'ordre mécanique n'est pas le plus pertinent. La crise va généralement mettre aux prises de

très nombreux centres de pouvoir, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'organisation, qui

seront jaloux de leur indépendance. A l'extérieur de sa propre organisation, on peut

rarement donner des ordres. Plus on cherchera à imposer un mode de fonctionnement fait

d'obéissance stricte et de commandement unique, plus on lèvera de résistances. Chaque

acteur répondra bientôt par une liste d'impossibilités techniques sur lesquelles le responsable

n'aura aucune prise ». Plusieurs auteurs2 tablent plus sur la coopération et la flexibilité que

sur la directivité pour une gestion efficiente de la crise.

De fait, les DOS interrogés mettent davantage l’accent sur des problématiques de travail en

commun que sur des aspects d’autorité : « Je prends en considération le sentiment

majoritaire des acteurs de la cellule de crise : on peut avoir raison contre tout le monde,

mais c'est relativement rare. ».

P. Laclemence y voit une particularité du fonctionnement en cellule de crise : dans les

services opérationnels, c’est une structure verticale qui prévaut. Dans le système décisionnel,

une structure horizontale est mise en place autour du préfet pour l'aider à conduire la

gestion de crise.

- La question du leadership est directement liée à la nature de la crise :

Selon l’événement à traiter et la phase temporelle considérée, le service, dont l’activité est

prépondérante, est appelé à jouer un rôle particulier auprès du DOS. Les personnes

interviewées font fréquemment allusion à la distinction entre « service menant » et « service

concourant ». Au cours d’un même événement, le service menant peut changer en fonction

de la phase considérée, comme par exemple lorsque les opérations de secours s’achèvent et

laissent la place à l’enquête judiciaire.

Les DOS estiment majoritairement que cette gestion s’effectue naturellement. Ils considèrent

que la connaissance et la confiance mutuelles facilitent l'émergence d'un leadership naturel

en fonction de la nature de la crise. Le préfet assume la direction des opérations. Dans ce

cadre, le représentant du service principalement concerné peut d'autant plus facilement

exercer un leadership qu'il a la confiance des membres de la cellule de crise.

Certains DOS signalent que, lors des situations évolutives, le transfert de leadership peut

être plus compliqué. Ils atténuent toutefois ce constat en décrivant une tendance à

l’amélioration, qu’ils attribuent pour partie aux impératifs de gestion : du fait des nécessités

de rationaliser les moyens, le service qui n'est plus en pointe se retire plus spontanément,

tout simplement parce qu'il doit de plus en plus justifier du bon emploi de ses moyens.

Les officiers sapeurs-pompiers, tout comme les gendarmes, soulignent l’importance de

l’identification claire du leader. Ils précisent que ces transferts de leadership n’induisent pas

1 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 152 2 G.R. Webb et F.R. Chevreau (2006), “Planning to Improvise: The Importance of Creativity and Flexibility in Crisis Response”, p. 67

72

systématiquement une implication réduite : des services concourants peuvent rester

importants. Un officier donne l’exemple de l’accident aérien de la compagnie

« Germanwings » en 2015 : les sapeurs-pompiers sont concourants, mais leur soutien

logistique et leur appui à l'organisation du commandement sont mis à contribution pour le

bon déroulement de l'opération.

- La composition de la cellule de crise n’est pas figée :

Comme évoqué précédemment, les personnes interrogées mettent l’accent sur l’importance

de la connaissance mutuelle des acteurs. Plusieurs témoins décrivent des situations dans

lesquelles la composition de la cellule de crise ne résulte pas du tour de permanence

programmé mais plutôt du choix des personnes jugées les plus pertinentes. Des décisions

d’ajustement sont parfois prises dans l’urgence, pour s’adapter au mieux à la situation. Un

officier indique ainsi avoir pris la décision, lors d’un accident aérien, d'envoyer un capitaine

au COD et un lieutenant-colonel expérimenté sur le terrain, contrairement aux règles en

vigueur, en anticipant sur le fait que le centre principal de gestion de la crise serait sur le

terrain.

Ces spécificités (JL Wybo parle « d’organisation temporaire apprenante ») confèrent à

l’organisation mise en place un caractère que C. Ratinaud qualifie d’adhocratique en

référence aux travaux de Mintzberg : sous l'autorité d'une direction stratégique, le dispositif

regroupe de nombreux acteurs de profils différents voire d'intérêts divergents, pour faire

face avec beaucoup de souplesse, à une situation inédite et temporaire. La capacité

d’adaptation aux circonstances, qui représente un des atouts de ce mode de fonctionnement,

en constitue une limite : l'adhocratie ne peut standardiser ses processus et consomme

beaucoup d'énergie en communication et échanges de points de vue. Il est dès lors utile

d’analyser les mécanismes et outils mis en œuvre par les acteurs.

Les mécanismes et outils mis en œuvre

- Le recours aux standards :

Les tenants de l’école de la contingence, dont H. Mintzberg, estiment que l’incertitude et le

risque conduisent à privilégier des modes d’actions informels reposant sur l’initiative des

acteurs.

En atténuation, J. Nizet et F. Pichault1 considèrent que des organisations confrontées à des

contextes d’incertitude continuent à recourir à des pratiques formalisées, telles que les

standards professionnels. Reprenant les travaux de G. Ortmann2, ils définissent le standard

comme « un moyen, nécessairement préexistant à la situation considérée, qui spécifie la

manière dont la coordination du travail doit s’opérer ». Ils donnent notamment l’exemple de

l’« Incident Command System » (ICS)3, utilisé aux États-Unis par de nombreuses agences de

gestion des situations d’urgences. Ce protocole intègre des mécanismes de structuration du

raisonnement, des possibilités d’improvisation sous contrainte et des méthodes de gestion

cognitives visant à créer un cadre de représentations commun à tous les acteurs d’urgence.

Il n’existe pas en France de référentiel formalisé partagé par l’ensemble des services

1 J. Nizet et F. Pichault (2011), "L'interprétation des standards en situation extrême : le pouvoir fait-il la différence ?", p. 396 2 G. Ortmann (2010), "On Drifting Rules and Standards" 3 G. Bigley et K. Roberts (2001), "The Incident Command System: High Reliability Organizing for Complex and Volatile Task Environments "

73

impliqués ; toutefois, des procédés standardisés sont identifiables chez certains acteurs de

l’urgence.

Ainsi, tous les officiers de formation militaire rencontrés dans le cadre de notre étude, qu’ils

servent en unité combattante, en gendarmerie ou au sein de la Brigade des Sapeurs-

Pompiers de Paris, citent les grands principes stratégiques et la méthode de raisonnement

tactique (désormais baptisée méthode d’élaboration de la décision opérationnelle – MEDO)

comme autant d’éléments structurant leur réflexion. Il ne s’agit pas pour eux d’une méthode

de décision stratégique à proprement parler. Ils décrivent plutôt la méthode de planification

opérationnelle qui leur est enseignée en École de Guerre comme un cadre de réflexion qu’il

est possible de décliner à tous les niveaux.

La plupart des officiers sapeurs-pompiers mentionnent quant à eux l’enseignement qu’ils ont

reçu en gestion opérationnelle et commandement (GOC), d’ailleurs directement inspiré de la

méthode de raisonnement tactique militaire. Ils y voient un apport significatif, dans la

mesure où à leurs yeux, les préceptes de GOC peuvent se transposer dans une approche

globale pour aborder successivement les différentes étapes et dégager des priorités. La

segmentation dans la protection des personnes, des biens et de l’environnement est

fréquemment utilisée pour identifier les enjeux principaux.

Ce satisfecit est tempéré par certains officiers, qui déclarent n’avoir jamais constaté qu’un

processus formalisé aboutisse en tant que tel à une prise de décision stratégique en situation

de crise. Pour eux, les principes de GOC sont par ailleurs trop marqués « tactique pompier »

pour pouvoir être adaptés à une prise de décision stratégique.

- La percolation de l’information :

L’absence de standard organisationnel partagé par l’ensemble des acteurs de la cellule de

crise constitue un handicap pour la circulation de l’information en son sein. JL Wybo parle de

« percolation ». Ce phénomène est décrit initialement dans la conception des masques à

gaz : plusieurs cellules communicantes, si elles sont adjacentes, laissent passer l'air et

piègent le toxique. Transposée au groupe humain que constitue le COD, la percolation

correspond au fait qu'une information, arrivée en cellule de crise, diffuse effectivement dans

le réseau des différents acteurs. Évaluer le degré de percolation revient à s’interroger sur qui

reçoit l'information, à combien de personnes il la diffuse et au bout de combien de temps.

Cette question est en lien avec la théorie de « l’enactement », notamment développée par K.

Weick1, qui analyse les processus de perception, de sélection et d’attribution de sens à

l’environnement. Ce sont ces processus continus, et en grande partie propres à chacun, qui

vont permettre au décideur de compléter sa compréhension du contexte et d’adapter son

positionnement.

Nous avons interrogé les officiers sapeurs-pompiers sur les critères selon lesquels ils

décidaient de transmettre une information au DOS. L’avis général consiste à considérer que,

par principe, l’information doit être partagée au maximum. Mais, chacun percevant la

nécessité d’opérer une sélection, deux types de filtres sont évoqués.

Le premier consiste à s’appuyer sur sa propre appréciation de ce qui peut être déterminant :

la transmission au DOS d’une information jugée importante mais non urgente sera différée

1 K.E. Weick (1979), "Cognitive processes in organization"

74

dans l’attente du prochain point de situation. Une information considérée comme majeure,

c’est-à-dire celle qui peut engendrer un changement de cap dans l'orientation stratégique

habituellement retenue, sera transmise immédiatement. La distinction entre les deux

catégories est décrite comme d’autant plus difficile en cas d’événement à impacts multiples,

telle une tempête par exemple, où les informations arrivent de partout. Dans ces situations,

le discernement tient au traitement ou à la représentation de l’information. Les officiers

disent s’appuyer sur leur expérience, leur capacité à prendre du recul, pour identifier ce qui

peut avoir un impact médiatique ou une répercussion opérationnelle.

Le second filtre revient à tenter de percevoir les attentes du DOS : pour les officiers

interrogés, l'impact prévisible au niveau médiatique ou politique est un critère déterminant

d'information du préfet. Cette prise en compte est décrite comme un effort à réaliser pour le

sapeur-pompier, qui a une tendance naturelle à focaliser sur les aspects opérationnels et

tactiques. Pour les personnes interrogées, la contrainte supplémentaire consiste à identifier

ce qui va réellement être utile au DOS pour arrêter sa décision, en évitant de le noyer sous

des détails inutiles. Cette préoccupation rejoint les réponses des DOS, qui, en dehors de la

fiabilité de la source, expriment prioritairement le fait que l’information doit leur être utile

pour arrêter leur décision et qu’elle doit leur permettre d’établir le lien avec des informations

déjà détenues.

Les témoignages collectés illustrent les écueils qui menacent la bonne circulation de

l’information. Elle est conditionnée par la perception de celui qui la reçoit, par sa capacité à

cerner les enjeux et à percevoir les attentes que le DOS ne formalise pas systématiquement.

Les modalités de représentation de l’information entrent en ligne de compte, de même que

la régularité et l’effectivité des points de situation.

JL Wybo utilise la notion de « situation awareness », littéralement : « se tenir au courant de

la situation ». Au niveau tactique, cela correspond à la reconnaissance du premier chef

d’agrès. Dès lors que l’on intègre un poste de commandement, se pose la question du

« collective situation awareness », puisque la perception de chaque membre du poste de

commandement est fonction de sa culture personnelle et du compte-rendu de ses

subordonnés. Plus la cellule de crise est éloignée du terrain, plus ses membres proviennent

d’horizons différents, plus ces difficultés s’accroissent. Les acteurs ont alors recours à un

« artefact », c’est-à-dire à tout objet physique ou à tout procédé qui peut aider à harmoniser

« l'enactement » au sein de la cellule de crise.

- Les supports utilisés pour partager l’information :

Les outils mentionnés par les personnes interrogées sont variés par leur nature et leur degré

de perfectionnement :

o La planification : bien que décrite comme « jamais intégralement applicable »,

l’existence d’une planification opérationnelle est ressentie comme un socle

permettant de souder les acteurs. Certains services s’appuient plus

particulièrement sur les outils prévisionnels, comme les sapeurs-pompiers avec

leurs plans d’établissements répertoriés ou la gendarmerie, qui dispose de

« dossiers d'objectifs préalables » sur des événements potentiels ou des sites

sensibles.

75

o Une carte des acteurs : certains officiers y ont recours systématiquement. Ils

considèrent que, grâce aux barrières de prévention, la crise s'aggrave rarement

techniquement. Les facteurs d’aggravation sont plutôt à rechercher dans les

relations entre les acteurs, d'où la nécessité d’identifier les bons leviers.

o Une carte heuristique : un officier affecté au centre opérationnel de gestion

interministérielle des crises (COGIC) relate avoir utilisé une carte heuristique type

« Mind Manager® ». Toutes les composantes de l'événement étaient visibles et

"renseignables" par tous. La carte permettait notamment de s’assurer

collectivement que les conditions requises pour chaque option possible étaient

bien réunies.

o Les images : les images sont présentées comme un moyen d’indexation des

membres de la cellule de crise. Un témoin donne cet exemple : « Lors de la

tempête de neige dans les Bouches-du-Rhône, il y a eu un moment d'incrédulité

par rapport aux informations qui remontaient du terrain. Ce n'est qu'à partir du

moment où un hélicoptère de la gendarmerie a transmis les images aériennes de

la situation que chacun a mesuré l'ampleur de l'événement ».

o Des points de situation : ils sont unanimement cités, même si les descriptions

peuvent varier en termes de fréquence ou de technicité. Par exemple, en

situation de crise à la SNCF, un point est effectué en téléconférence à peu près

toutes les 1/2 heures. Pour plusieurs DOS, outre le fait de permettre le partage

de l’information, ce moment de synchronisation présente l’intérêt d’interrompre le

flux de l’avalanche d’informations. Le point de situation, segmenté par thèmes,

permet en outre de déterminer et de faire connaître ses priorités.

o Un tableau de synthèse : il est jugé intéressant à deux conditions. D’une part, il

doit être réellement tenu à jour en temps réel, ce qui peut mobiliser une

personne dédiée. D’autre part, il doit clairement être identifié comme un moyen

de faire figurer les informations essentielles : heure de début de l’événement,

localisation précise, principales informations et décisions. S’en servir dans un but

d’exhaustivité ou d’historisation des événements est décrit comme contre-

productif, le tableau devenant rapidement inexploitable.

o Une représentation cartographique : c’est de l’avis majoritaire l'outil considéré

comme le plus adapté, a fortiori s’il est possible de disposer d’un système

d’information géographique multicouche. Cette carte peut se compléter de

références « métier » pour réaliser une représentation du type du schéma de

situation tactique (SITAC), couramment pratiqué par les sapeurs-pompiers. Un

officier relate par exemple : « Lors de ma formation dans le cadre du cursus

européen de sécurité civile, je me suis chargé d'établir une SITAC adaptée lors

des exercices. L'aspect visuel et partagé a eu un impact positif pour le

fonctionnement du poste de commandement, dans un contexte international avec

dimension interculturelle ».

76

o Un outil collaboratif informatique : l’apport d’un outil collaboratif, comme le

système « SYNERGI » du ministère de l’Intérieur est reconnu, plus

particulièrement pour la diffusion de l’information entre centres de coordination

des niveaux départemental, zonal et national. Le ministère de la Santé a pour sa

part développé un logiciel "SISACRISE", utilisé par la salle de crise et permettant

la répartition des tâches entre cellules, la tenue de la main courante et

l'élaboration automatisée de points de situation.

La problématique de la percolation de l’information au sein d’une cellule de crise fait l’objet

de recherches technologiques poussées de la part des militaires, pour lesquels la

transmission de l'information pertinente, au bon moment et au bon niveau, est un enjeu

permanent. Cela conduit à des tentatives de numérisation de l'espace de bataille, autrement

appelées CROP pour "Common Relevant Operation Picture" par les Américains, pour fournir

une vision de la situation de référence adaptée à chaque acteur. Mais à l'heure actuelle, les

logiciels ne permettent pas d’atteindre le niveau de discernement et de réactivité souhaité.

Le renseignement « humain » reste en grande partie d’actualité.

Nous avons plus spécifiquement interrogé les DOS sur le support d’information qui leur

paraissait le plus exploitable :

Les sources d’information les plus exploitables sont celles qui se présentent sous

la forme :

1. d’une représentation graphique (carte, schéma)

2. d’images (photographies ou captures vidéo de la situation)

3. d’un tableau de synthèse

4. d’informations audio (téléphone, radio)

5. d’un point de situation écrit

6. d’informations verbales

Parmi les éléments favorisant la coordination entre les acteurs, les DOS établissent le

classement suivant :

D’après vous, ce qui favorise le mieux la coordination entre les acteurs

contribuant à l’émergence d’une décision stratégique, c’est :

1. L’actualisation des informations sur un outil partagé (tableau de synthèse, carte, etc.)

2. L’existence d’un leader clairement identifié

3. La réalisation de points de situation réguliers

4. La connaissance mutuelle des acteurs de la cellule de crise

5. Une documentation prévisionnelle actualisée

6. Les outils techniques à disposition de la cellule de crise

7. La connaissance de la documentation opérationnelle par les acteurs de la cellule de crise

Même si une attention suffisante doit être apportée à l’équipement technologique des salles

de crise, le critère essentiel est l’apport didactique dans la relation qui s’établit entre les

acteurs de la cellule de crise. Un DOS le décrit ainsi : « En réalité, je ne suis pas attaché à un

77

support particulier. Ce que j'attends, c'est qu'on me donne les moyens de comprendre une

situation : risques, enjeux, décision ».

En synthèse, la crise oblige les acteurs à imaginer une organisation « ad hoc »,

fonction de l’événement, des acteurs, et de leurs interrelations. Les standards

organisationnels ne disparaissent pas, mais perdent de leur portée dans un

contexte multisectoriel plus axé sur la coopération que sur la directivité. Dans ce

cadre, l’enjeu porte sur le partage de l’information, au moyen d’outils qu’il

convient d’adapter aux pratiques cognitives des acteurs en présence.

Après avoir décrit la façon dont les membres de la cellule de crise s’organisent (Qui fait

quoi ? Avec quoi ?), nous allons à présent nous attacher à la question du « Comment ? »,

c’est-à-dire du processus décisionnel en tant que tel.

2.2.2.2 Le processus d’élaboration de la décision

La décision engage un processus complet, dont l’acte de décider n’est qu’une étape. Ce qui

se constate en temps normal prend un relief particulier en situation de crise.

Une sélection du modèle de décision adapté

En premier lieu, les caractéristiques de la crise disqualifient certains modèles décisionnels au

profit d’autres.

- La disqualification du modèle rationnel :

Les officiers militaires insistent sur l’importance de la planification, qui permet le recours à la

méthode rationnelle. Des moyens considérables y sont consacrés, ce qui se révèle payant,

de l’avis des militaires interrogés. L’un d’entre eux déclare : « Je ne peux pas citer de

situation dans laquelle j'ai été confronté à une situation de crise non conforme aux prévisions

en matière militaire, et en tout cas pas dans une situation de décision stratégique ». Ils

conviennent en revanche que le domaine de la sécurité intérieure se prête moins à l’analyse

prédictive.

Des officiers sapeurs-pompiers se déclarent également attachés au modèle rationnel : « Une

décision stratégique suppose que l'on ait du temps pour confronter les différents scénarios,

tout doit donc être fait pour avoir le moins possible de décisions stratégiques à prendre en

situation de crise »

Pourtant, par définition, la crise de sécurité civile apparaît à partir du moment où la

planification n’arrive plus à endiguer les facteurs de déséquilibre, en phase d’évitement de

crise. Ainsi, le modèle rationnel, qui suppose d’envisager de manière exhaustive l’ensemble

des options, de les analyser dans le détail, puis de les évaluer au regard de critères objectifs

pour déterminer une solution optimale, ne correspond pas à une situation de crise avérée :

le temps et les ressources disponibles ne permettent pas de produire une décision dans des

délais compatibles avec la cinétique de l’événement.

78

P. Lagadec illustre la difficulté1 : « Isoler les problèmes ne semble plus possible, tout

rebondit sur tout ; décider "quand on sait" apparaît de même impossible : "quand on sait", il

est trop tard. Il faut trancher dans l'incertitude et remplacer les calculs d'optimisation par des

paris pour le moins audacieux. Bref, on découvre soudain que les méthodes de prise de

décision et plus généralement toute la culture de prise de décision s'avèrent inadaptées pour

le travail en univers éclaté ».

De fait, affronter l’événement peut nécessiter, malgré les efforts de planification préalable,

de prendre des décisions stratégiques en situation de crise. Le contexte d’incertitude et

d’urgence place la cellule de crise dans une configuration de rationalité limitée2 qui conduit à

retenir le choix satisfaisant à défaut de solution optimale identifiable.

- Certains témoignages renvoient à des modèles particuliers :

o Le modèle naturaliste3, selon lequel le décideur compare instinctivement la

situation à ce qu’il a déjà vécu. Il simule mentalement l’application d’une solution

déjà utilisée précédemment. S’il l’estime adaptée, il l’applique ; à défaut, il en

imagine une autre. Ce mode de fonctionnement est fréquemment évoqué : « Je

me base sur l'expérience et la représentation intuitive que je peux me faire à

travers le "brouillard de guerre" » ; « Je me base sur mon intuition, c’est-à-dire

sur la capacité du cerveau à synthétiser des choses complexes en les combinant

de manière inconsciente ».

o Le modèle de la corbeille4, selon lequel des ressources sont mises en commun et

placées en attente pour devenir une solution lorsqu’un problème se présente. Par

exemple, dans le cadre de sa participation aux opérations consécutives à la

tempête Xynthia, un officier de gendarmerie prend connaissance de la présence

d’un établissement de soutien opérationnel et logistique de la sécurité civile

(ESOL) avec forte capacité de pompage. Cette information lui fournit une idée de

manœuvre dans le cadre d’une affaire judiciaire ultérieure (vidange d’un lac pour

recherche de pièces à convictions) : « Le fait d'avoir concouru aux opérations

dans le cadre de la tempête Xynthia m'a permis de constater que les ESOL

disposent de matériel adapté et de formuler une proposition pertinente à

l'autorité judiciaire ».

o Le modèle de l’effectuation5, qui part des moyens disponibles et de leurs effets

potentiels pour se fixer des buts : un officier sapeur-pompier explique s’être

trouvé, lors d’inondations torrentielles, dans une situation où l’ensemble des axes

de l’agglomération étaient impraticables, et où une grande partie des moyens

d’intervention étaient inopérants. Parvenant néanmoins à contacter des sapeurs-

pompiers eux-mêmes isolés, il leur donne la consigne d’effectuer des

1 P. Lagadec (1994), "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 74 2 H. Simon (1947), “Administrative Behavior” 3 G. Klein (1998), "Sources of Power How People Make Decisions" 4 J.G. March, M.D. Cohen et J.P. Olsen (1972), "A Garbage Can Model of Organizational Choice" 5 P. Silberzahn (2012), "Culture du risque, culture de l’incertitude: un enjeu crucial pour la formation des décideurs"

79

reconnaissances dans les environs qui leur sont accessibles, de mettre en œuvre

les moyens dont ils disposent et de rendre compte. Face à l’aspect inédit de la

situation, l’officier ne se base pas sur la connaissance (impossible) de la situation

pour déterminer un objectif et des idées de manœuvre. Il part des moyens

disponibles pour se fixer un but. Cette décision, de niveau tactique dans un

premier temps, aura une portée stratégique dans la mesure où elle orientera le

dispositif déployé par le DOS.

Une stratégie en grande partie émergente

Indépendamment du modèle de décision observé, la décision stratégique en situation de

crise est, pour une large part, émergente. Un officier sapeur-pompier le présente ainsi :

« Les décisions sont généralement prises après mise en commun des informations

disponibles sur les aléas, leur impact potentiel, les contre-mesures possibles. En ce sens, on

peut parler de décision qui émerge, sachant que, lorsqu'il est nécessaire d'arbitrer, le

décideur pèse le pour et le contre. En situation d'incertitude, cela implique forcément une

part de "feeling" et d'expérience ».

C. Ratinaud relie ce mode de fonctionnement à l’organisation de type adhocratique mise en

place. Il la décrit comme un système complexe, où la stratégie globale résulte d’une

combinaison entre une stratégie délibérée et des stratégies émergentes, développées par les

acteurs à partir de leur savoir-faire. Pour fonctionner, cette organisation requiert du décideur

une vision stratégique suffisamment fine pour fixer une ligne directrice tout en laissant des

marges de manœuvre et de créativité aux niveaux inférieurs. Le rôle du décideur est alors

d’être facilitateur des modes d’action correspondant à la ligne directrice et décourageur des

autres. Cela suppose une reconnaissance de la ligne hiérarchique intermédiaire. Cette

reconnaissance répond en partie à une nécessité : en début de crise, la temporalité fait que

le préfet suit majoritairement les orientations des conseillers techniques.

Un préfet identifie d’autres facteurs qui influent sur le caractère plus ou moins délibéré de la

stratégie du DOS : « La taille du département joue un rôle : dans un petit département, le

préfet est plus rapidement conduit à intervenir que dans les grands départements avec un

encadrement dimensionné. Le facteur humain joue également : l’appétence plus ou moins

grande pour la gestion de crise, le caractère, la personnalité du DOS l'incitent à avoir un rôle

plus ou moins directif ».

Nous avons interrogé les DOS, sur ce qui les conduit à prendre position, qu’il s’agisse d’initier

un choix ou d’entériner une proposition.

Ce qui vous conduit à considérer que vous devez prendre une décision, c’est :

1. Votre expérience, votre intuition

2. Le sentiment de devoir agir

3. La demande d’arbitrage des acteurs de la cellule de crise

4. L’injonction d’une autorité supérieure

5. La pression médiatique

6. La demande de la population, exprimée via ses représentants (élus, associations,…)

7. La nécessité d’instaurer un leadership

80

Les réponses obtenues illustrent le poids prépondérant de la perception que le décideur a de

sa fonction et du rôle qu’il doit jouer au sein de l’équipe de crise. Les facteurs

d’environnement mettent en exergue le contexte institutionnel et médiatique.

Les entretiens semi-directifs permettent d’affiner la description. Un DOS considère que : « La

prise de décision par le DOS devient nécessaire à partir du moment où l'on sort de la gestion

standard, c’est-à-dire à partir du moment où il est nécessaire de gérer des interfaces entre

services concourants. Dans ces cas, trois possibilités :

o soit il y a consensus : j'entérine ;

o soit je dispose d'une expérience sur la question : je pose ma décision ;

o soit je n’ai ni consensus, ni expérience personnelle : j'arbitre en faveur de la

proposition qui m'inspire confiance ».

La vision d’un autre DOS complète la perception : « Pour déterminer la nécessité d'arrêter

une décision, je me base sur mon instinct, issu de mon expérience, sur l'attente des autres

acteurs de la cellule qui me le demandent, ou sur le risque aigu d'une situation».

Ces témoignages font écho aux travaux de J. Guarnelli1. Dans son modèle théorique

« initiateur de décision / suiveur de décision », il attribue le comportement « suiveur » à la

faiblesse des marges de manœuvre du décideur, ou à la nécessité ressentie d’optimiser la

coordination. A l’inverse, il fait correspondre le comportement « initiateur » à des situations

imposant des procédures inédites.

Un processus par étapes

Les apports théoriques nous ont permis de constater que la décision était fréquemment

décrite comme un processus composé de plusieurs étapes, certains auteurs2 la présentant en

outre comme un cycle itératif.

Cette perception de la décision en tant que cheminement par étapes est très perceptible

chez les personnes que nous avons interrogées, avec quelques variantes selon les cultures

professionnelles.

- Différentes perceptions des étapes du processus décisionnel :

Ainsi, dans le domaine sanitaire, après la phase de questionnement initial, s’ouvre une étape

d’ouverture des réseaux et d’activation de leurs capacités de réponse. Ce fonctionnement en

réseau, avec différents pôles d’expertise, est particulièrement marqué dans la sphère de la

santé publique. Viennent ensuite la synthèse, puis la présentation au décideur. Le processus

se conclut par le suivi de l'exécution et l'évaluation des actions réalisées.

Certains officiers sapeurs-pompiers s’inspirent de la doctrine GOC pour décliner les

différentes phases. Ils considèrent notamment que les étapes permettant d’identifier la

situation, l’anticipation sur les situations envisageables, l’objectif principal et les idées de

manœuvre peuvent être utilisées dans un cadre interservices.

L’importance du respect des étapes est mentionnée à plusieurs reprises. Un officier sapeur-

pompier qualifie ainsi de risque le fait d’être trop réactif et de vouloir aller directement à la

1 J. Guarnelli (2014), "Le paradoxe de la décision en situation de crise surmédiatisée" 2 J.R. Boyd (1976), "Destruction and Creation"

81

solution qui semble être la seule adéquate. De même, C. Dautun signale parmi les stagiaires

de l’INHESJ une propension à négliger l'étape d'analyse de la situation.

L’urgence peut malgré tout conduire à abréger le cycle, mais cette nécessité est alors

identifiée comme un risque à peser. Un officier militaire indique qu’en cas de nécessité, il

applique la « MEDO crash » : s’inspirant de la méthode d’élaboration des décisions

opérationnelles, il réunit un centre opérationnel restreint à trois, avec son « chef

Opérations » et son « chef Renseignement ». Avec ses collaborateurs, il focalise sur l’effet à

obtenir en ignorant délibérément des étapes de la méthode de raisonnement, tout en

sachant qu’il augmente par conséquent son risque d’erreur.

- Les étapes jugées déterminantes :

Parmi les étapes du processus, celle du diagnostic est clairement mise en avant. De manière

prévisible, un gendarme souligne que le point décisif est celui du renseignement : disposer

d'une connaissance actualisée de la situation, des acteurs en présence, de leurs actions et de

leurs difficultés. Plus précisément, pour un officier sapeur-pompier, l'étape primordiale est

celle qui consiste à cerner les réelles motivations des acteurs en présence : « Par exemple,

lors du naufrage de l’Érika en 1999, l'enjeu principal pour Total, ce n'est pas le risque de

boycott (le maillage de Total est le seul à desservir les zones rurales qui ne peuvent pas se

passer du carburant Total). Le véritable enjeu, c'est de maintenir des primes d'assurances

acceptables pour ses transports maritimes ». Il est donc particulièrement nécessaire

de pouvoir s'appuyer sur un diagnostic fiable, intégrant de manière exhaustive les enjeux

des différents secteurs concernés par la crise, ou susceptibles de le devenir.

L’instant du choix entre les différentes options possibles est également jugé déterminant : un

sapeur-pompier juge crucial d’être présent au cœur de la décision, c’est-à-dire en petit

comité avec le DOS, dans la phase de prise de décision proprement dite.

Un autre officier fait le lien avec la répartition des rôles entre services « menants » et

services « concourants » au sein de la cellule de crise : le sapeur-pompier doit être présent,

et au besoin s'imposer, lors des temps forts d'incendie ou de secours. Dans cette conception,

plus que le niveau d’avancement dans le processus de décision, c’est le fait d’être « service

menant » qui importe et qui impose à l’acteur concerné d’agir en conséquence.

- Les limites de la conception par étapes :

La complexité et la cinétique propres aux crises brouillent toutefois les étapes du processus

décisionnel. P. Laclémence constate que la décision en situation de crise doit gérer la

continuité : l'information continue nécessite presque des décisions en continu. Il n'y a plus

de décision définitive avec un "avant" et un "après". Certaines organisations en tiennent

compte : par exemple, la personne qui est habilitée à détruire la fusée Ariane en cas de

défaut grave dans la procédure de décollage est isolée dans une salle où elle ne reçoit pas

tout le flux d'informations. Elle se concentre sur les paramètres qu'elle doit suivre et ne doit

pas se faire influencer dans sa décision.

Dans le même esprit, il paraît justifié de s'interroger sur le positionnement du préfet : s'il est

soumis au flux d'information dans la cellule de crise, est-il en mesure de décider ? Le

témoignage d’un DOS confirme que cette difficulté est ressentie : « En cas de sollicitations

82

multiples, je fais régulièrement des points de situation au cours desquels j'interromps le

flux ».

La limitation du risque d’erreur

Nous avons spécifiquement interrogé les DOS sur leur façon de limiter le risque d’erreur. Ils

ont classé nos propositions de réponse dans l’ordre suivant :

En situation de crise, faute de pouvoir fonder votre décision sur un temps de

raisonnement suffisant, vous limitez le risque d’erreur en :

1. Vous appuyant sur un (des) collaborateur(s) de confiance

2. Vous fiant à votre intuition, basée sur votre expérience

3. Veillant à ce que vos décisions soient réversibles en cas de nécessité

4. Retenant la proposition qui emporte une majorité d’avis favorables

5. Testant une mesure à petite échelle avant de la confirmer

Les entretiens ont permis de compléter ce classement et d’identifier des pistes

supplémentaires :

- La variété des options :

La volonté de maintenir des marges de manœuvre constitue une préoccupation forte des

personnes interrogées.

Il est possible d’y voir l’application du principe stratégique de liberté d’action chez les

militaires, qui orientent systématiquement leurs efforts vers l'anticipation et la planification,

pour identifier le plus grand nombre d'options possibles. L'impératif est de ne pas subir,

quitte à prévoir des réserves tactiques pour parer à l'imprévu.

C. Maisons1 transpose la loi de la variété requise, énoncée par W. Ashby2 : « La capacité de

pilotage d'un dirigeant est d'autant plus grande que sa marge de manœuvre par rapport au

reste de l'entreprise est importante ».

Il est à noter que les officiers sapeurs-pompiers qui mettent l’accent sur ce principe se

retrouvent plutôt parmi ceux qui servent dans des cellules de crise de niveau zonal ou

national : « Le directeur d’astreinte du COGIC a besoin d'avoir systématiquement plusieurs

options avec avantages et inconvénients ».

- La réversibilité :

Une variante peut consister à privilégier des mesures réversibles, certains officiers évoquant

le fait d’orienter vers des décisions qui comportent « un plan B ».

La réversibilité fait débat. Un DOS le formule expressément : « Je ne suis pas d'accord sur le

fait que prendre des décisions réversibles soit une bonne précaution : des décisions

irréversibles peuvent être absolument nécessaires ». Dans cette hypothèse, le critère de

confiance dans le conseiller est prépondérant : un préfet relate que, lors d’un feu de forêt

menaçant directement un patrimoine sensible, le COS lui a proposé la technique du contre-

feu, seul moyen envisageable selon lui pour couper la propagation de l'incendie compte-tenu

des délais nécessaires pour l'acheminement de renforts. Le DOS valide cette manœuvre

clairement irréversible, en grande partie en raison de la confiance qu’il accorde au COS.

1 C. Maisons (2003), "Coaching stratégique", p. 123 2 W.R. Ashby (1958), "Requisite variety and its implications for the control of complex systems."

83

- La co-construction du diagnostic :

Afin d’enrichir la décision, plusieurs officiers sapeurs-pompiers souhaiteraient approfondir le

caractère collectif de son élaboration. Ils déplorent que les membres de la cellule de crise

fonctionnent « en silos », en méconnaissance des autres acteurs et de leurs contraintes. Ils

donnent l’exemple des points de situation, où chacun apporte sa vision sans l’avoir au

préalable construite en collaboration. Plusieurs DOS partagent ce souhait d’une approche

plus intégrée et s’organisent en conséquence : « Lors de mes points de situation, j'ai recours

à des chefs de file, non par service, mais par grand domaine ».

L’impact de la communication

L’impact de la communication stratégique sur le processus décisionnel ne peut pas être

ignoré.

Les médias constituent en premier lieu une source permettant d’actualiser le diagnostic.

Plusieurs témoins indiquent qu’ils font en sorte de conserver un regard sur les médias et

réseaux sociaux. Cette vigilance leur permet d'actualiser leur perception de la situation, ou

du moins de connaître la perception que la population peut en avoir.

C’est ensuite un moyen au service de l’action du DOS. En temps normal, la communication

représente déjà une part importante de l’activité d’un préfet. Un DOS estime y consacrer

près de la moitié de son temps, pour faire savoir et faire comprendre ce qu’il décide. En

situation dégradée, la communication vise à éviter les rumeurs et prévenir l'aggravation de la

crise. Il s’agit également de montrer que les services publics font face et de mettre en avant

les acteurs de terrain : « Valoriser pour mobiliser ».

La difficulté survient lorsque, du fait du retentissement qu’ils donnent à un événement, les

médias génèrent un besoin de décision. Un DOS confirme qu’il peut être nécessaire de

décider pour des raisons médiatiques : il s’agit alors de prévenir des dissonances dans les

médias, de montrer que l'État agit, de donner un signe fort à la population. La décision revêt

dans ce cas une portée symbolique.

Un officier sapeur-pompier y voit un risque de dérive, liée à l’altération du circuit décisionnel

et du schéma de planification : « Le préfet est tenu par les directives du ministre, les

services publics sont tétanisés par la presse, la plupart des acteurs modifient parfois

inconsciemment leur comportement. C’est ainsi qu’une autorité demande des décisions à

annoncer pour communiquer pour le "20h" ».

Plusieurs DOS partagent cette préoccupation. Ils recommandent de « ne surtout pas courir

après les chaînes dites "d’information continue", qui ne font pas de l'information, mais de la

médiatisation ». Ils estiment à l’inverse que la communication de l'État doit être fondée sur

la crédibilité : il vaut donc mieux être en décalage raisonnable, mais dire ce qui se passe

réellement. Un DOS donne à ce sujet l’exemple de l’affaire « Merah » à Toulouse en 2012 :

durant le siège de la maison où s’est retranché le terroriste, les médias bruissent de

rumeurs et alimentent les suppositions. Le ministre de l’Intérieur vient à échéances

régulières faire des points précis de la situation. Ce sont ces interventions qui font référence.

84

Le contexte de crise agit donc à plusieurs titres sur la décision. Loin de se limiter

à un acte de choix, il s’agit, dans un environnement incertain, d’un processus

devant favoriser la construction collective d’options, en vue aboutir à une action

effective et efficiente.

A l’issue de cette deuxième partie, il nous revient de vérifier la pertinence de notre première

hypothèse de recherche : « La situation de crise avérée remet en cause le mode

d’élaboration de la décision ».

Figure 27 : Influence de la crise sur le processus décisionnel

Contexte

• Urgence

• Enjeux

• Altérité

Diagnostic

• Incertitude

• Acteurs asynchrones

Ajustements mutuels

• Importance de l'intuition

• Importance du relationnel

• Leadership évolutif, fonction des services menants ou concourants

Organisation

• Segmentation stratégique

• Percolation de l'information

Processus décisionnels

• Modèles alternatifs

• Processus itératif

• Stratégie émergente et incrémentale

85

Les constats effectués nous conduisent à confirmer notre première hypothèse de

recherche :

Si la mise en œuvre de la planification en phase d’évitement de crise équivaut à

un mode normal transcrit dans l’urgence (stratégie délibérée préparée à

l’avance), la décision stratégique en situation de crise nous apparaît spécifique à

plusieurs titres.

Dès l’origine du phénomène de crise, le risque de désynchronisation des acteurs

est significatif, en raison de leurs perceptions différentes. Les contingences liées

à la crise nuisent par ailleurs clairement à l’objectivité habituellement observée.

Elles aboutissent à l’expression d’une rationalité différente, dite « limitée », dans

laquelle l’intuition et la relation interpersonnelle sont prépondérantes.

Cette situation engendre des ajustements mutuels qui influent sur l’organisation

mise en place pour faire face à l’événement. Dans ces mécanismes, l’identification

par le DOS d’un service « menant » peut jouer un rôle important pour la

synchronisation des membres de la cellule de crise.

Le processus décisionnel qui en résulte produit une stratégie majoritairement

émergente, incrémentale, avec un aspect intuitif et relationnel très marqué.

86

87

3. LES COMPÉTENCES DE L’OFFICIER SAPEUR-POMPIER EN SITUATION

DE CRISE

Cette partie sera consacrée à la vérification de notre seconde hypothèse de recherche : « En

situation de crise, l’officier sapeur-pompier doit mobiliser des compétences spécifiques pour

contribuer efficacement à l’émergence d’une décision stratégique ».

Les compétences étant liées à l’exercice de fonctions, nous étudierons tout d’abord le regard

porté par les personnes interrogées sur le rôle effectivement tenu par les officiers sapeurs-

pompiers dans l’élaboration d’une décision stratégique en situation de crise. Nous décrirons

ensuite les déductions qu’elles en tirent en termes de compétences requises.

Nous poursuivrons en abordant les modalités selon lesquelles ces compétences s’acquièrent

dans les faits.

A ce stade, il nous sera possible de confirmer ou d’infirmer notre hypothèse de recherche.

Nous formulerons en conséquence un ensemble de préconisations visant à optimiser la

contribution des officiers sapeurs-pompiers au raisonnement stratégique en situation de

crise.

3.1 Regard des acteurs sur les compétences requises en situation de crise

3.1.1 Quelles compétences pour quelles fonctions ?

3.1.1.1 Fonctions de l’officier sapeur-pompier

Dans un premier temps, nous rappellerons brièvement les dispositions réglementaires

relatives à l’organisation de la gestion de crise de sécurité civile, en identifiant les différents

niveaux d’implication prévus concernant les officiers sapeurs-pompiers. Nous confronterons

ensuite ces dispositions aux constats des acteurs interrogés. Nous commenterons à l’issue le

rôle attribué par les observateurs aux officiers sapeurs-pompiers dans l’émergence d’une

décision stratégique.

Les fonctions prévues

Le code de la sécurité intérieure1 confie la direction des opérations de secours aux autorités

de police que sont le maire ou le préfet. Notre étude portant sur les situations de crise de

grande ampleur, nous avons fait le choix de la délimiter à l’exercice de cette fonction par

l’autorité préfectorale. Le préfet de département est expressément en charge « de la

préparation et de l'exécution des mesures de sécurité intérieure, de sécurité civile et de

sécurité économique qui concourent à la sécurité nationale »2.

Le préfet met en œuvre les moyens des services d’incendie et de secours, dans les

conditions définies par un règlement opérationnel qui détermine également l’organisation du

commandement des opérations de secours3. Le COS désigné est chargé, sous l'autorité du

DOS, de la mise en œuvre de tous les moyens publics et privés mobilisés pour

l'accomplissement des opérations de secours. En cas de péril imminent, le COS dispose d’une

1 Articles L 742-1 et L 742-2 du CSI 2 Décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements, article 11 3 Article L 1424-4 du CGCT

88

habilitation large, puisqu’il lui revient de prendre « les mesures nécessaires » à la protection

de la population et à la sécurité des personnels engagés, moyennant l’obligation d’en rendre

compte au DOS.

Sauf disposition liée à un risque particulier, le commandement des opérations de secours

relève du directeur départemental des services d’incendie et de secours (DDSIS)1. En son

absence, le COS est désigné conformément au règlement opérationnel.

Chaque SDIS dispose d’un centre opérationnel départemental d’incendie et de secours

(CODIS) chargé de coordonner les opérations et d’assurer les relations avec les autorités et

les organismes publics ou privés qui participent aux opérations de secours. Le CODIS est

dirigé par un sapeur-pompier professionnel2. En cas d’événement important, cette fonction

est tenue par un officier, qui joue un rôle central dans la détection de l’événement, l’alerte

des autorités et l’activation des dispositifs prévisionnels.

L’organisation de la veille, de la mobilisation, de la coordination et du commandement est

définie dans les dispositions générales du dispositif ORSEC départemental3. Lorsqu’il prend la

direction des opérations de secours, le préfet peut s’appuyer sur une structure opérationnelle

fixe, le centre opérationnel départemental (COD), et sur un ou plusieurs poste(s) de

commandement opérationnel (PCO) sur le terrain. Le DOS décide de la mise en œuvre de

ces structures, de leur niveau d'activation et de leurs missions respectives. Il convoque les

représentants habilités des personnes publiques et privées nécessaires à leur

fonctionnement. C’est à ce titre que la présence d’un officier sapeur-pompier est dans la

pratique presque systématiquement requise en COD.

Dès lors qu’une situation de crise peut avoir des effets dépassant le cadre d’un département,

le préfet de zone de défense et de sécurité a une mission de mobilisation des moyens publics

ou privés à l’échelle zonale4. Il met ces moyens, ainsi que ceux qui lui sont alloués par le

ministre de l’Intérieur, à disposition des autorités en charge de la direction des opérations de

secours dans les départements sinistrés. Il prend les mesures de coordination nécessaires à

la conduite des opérations et à la cohérence de la communication de l’État. Le préfet délégué

pour la défense et la sécurité dirige notamment un état-major interministériel de zone

(EMIZ). Il est assisté dans cette mission par un chef d’état-major de zone. La pratique du

ministère de l’Intérieur est d’affecter à cette fonction un officier supérieur de sapeurs-

pompiers5. Un centre opérationnel de zone (COZ), placé au sein de l’état-major zonal, assure

les missions opérationnelles6. Il est renforcé, en tant que de besoin et en fonction de

l'événement à traiter, par les agents des services de l'État désignés comme délégués de zone

et par les représentants habilités des autres personnes publiques et privées nécessaires à

son fonctionnement.

En cas d’événement d'ampleur nationale, le ministre de l’Intérieur coordonne la mise en

œuvre des moyens publics et privés nécessaires aux secours et les attribue à l'autorité

1 Article R 1424-43 du CGCT 2 Article R 1424-45 du CGCT 3 Décret n° 2005-1157 du 13 septembre 2005 relatif au plan ORSEC, articles 8 et 9 4 Articles L 742-3 et R 122-8 du CSI 5 Réponse ministérielle à la question de M. K. Mesquida, député de l’Hérault (JOAN (Q), 18/01/2011) 6 Décret n° 2005-1157 du 13 septembre 2005 relatif au plan ORSEC, articles 8 et 9

89

chargée de la direction des opérations de secours. Ces mises à disposition peuvent prendre

la forme d’une mission d’appui en situation de crise (MASC)1, composée notamment

d’officiers sapeurs-pompiers.

Le ministre s’appuie sur la cellule interministérielle de crise (CIC)2, dont le support matériel

est assuré par le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).

Non permanente, la CIC est activée sur décision du Premier ministre dès lors qu’une crise

nécessite une réponse interministérielle intégrée. Des membres de la DGCSGC, dont des

officiers sapeurs-pompiers, peuvent être appelés à contribuer au fonctionnement d’une des

cellules de la CIC. De plus, le ministre de l’Intérieur dispose du centre opérationnel de

gestion interministérielle des crises (COGIC), activé en permanence au sein de la DGSCGC et

qui compte plusieurs officiers sapeurs-pompiers.

De même, des officiers sapeurs-pompiers participent aux opérations de secours décidées par

la France en vertu de ses engagements internationaux et notamment du mécanisme

européen de protection civile3.

Figure 28 : Schéma de l'organisation gouvernementale de gestion de crise (SGDSN)

Ainsi, sur le terrain comme dans l’ensemble des échelons de coordination, le

concours des officiers sapeurs-pompiers aux missions de commandement est

intégré, explicitement ou non, dans le dispositif réglementaire.

1 Circulaire du 29 avril 2004, relative à la veille, à la gestion des opérations et des crises 2 L. Corack (2014), "Gestion de crise", p. 67 et circulaire du 2 janvier 2012, relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures 3 Article 222 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne

90

Les fonctions observées

Le regard porté par les observateurs décline avant tout la contribution des sapeurs-pompiers

en fonction de leur niveau d’engagement. J.L. Wybo distingue ainsi :

o Le niveau opérationnel de base, où ce qui est attendu du chef d’agrès, c’est sa

capacité de compréhension locale et de « reporting » : la qualité du

renseignement collecté conditionne en effet directement l’efficience des niveaux

supérieurs

o Le niveau tactique, où l’on attend du COS une capacité à conserver de la

souplesse dans l’application des procédures : cette aptitude contribue à la

résilience de l’organisation

o Le niveau stratégique, auprès du préfet, qui requiert anticipation, imagination,

capacité d’évaluation et de décision.

Interrogés sur ce qu’un officier sapeur-pompier est conduit à faire en situation de crise, les

DOS ont classé les réponses proposées dans l’ordre suivant :

D’après-vous, en situation de crise de sécurité civile, un officier de sapeurs-

pompiers est conduit à :

1. Proposer des modes d’action

2. Conseiller le DOS sur le choix d’un mode d’action

3. Fournir des renseignements

4. Organiser le partage et la diffusion des renseignements

5. Prendre une décision de niveau stratégique

6. Animer la cellule de crise

Quelques précisions doivent être apportées. D’une part, la contribution de l’officier sapeur-

pompier en matière de renseignement porte essentiellement sur les sujets en lien avec les

opérations de secours : elle ne se substitue pas, dans l’esprit des DOS, à la mission générale

de renseignement attribuée par la planification ORSEC aux services de police ou de

gendarmerie. D’autre part, la proposition « prendre une décision de niveau stratégique » ne

recueille que 44% d’avis favorables. Encore faut-il relativiser : dans l’esprit des DOS, cela

peut englober les décisions de niveau tactique susceptibles d’avoir des répercussions

stratégiques. Enfin, la proposition « animer la cellule de crise » n’obtient que 22% d’avis

favorables.

- Le commandement des opérations de secours :

Le rôle de COS est le mieux identifié. Pour les officiers sapeurs-pompiers, c’est « la fonction

de cœur de métier ». Pour les DOS, la fonction de COS doit permettre de coordonner les

interventions du niveau subalterne, pour que le DOS ne soit pas pollué par des informations

tactiques. C’est d’ailleurs pour partie sur cette capacité de filtrage que les DOS évaluent les

compétences du COS.

- Les initiatives « stratégiques » :

Les phénomènes perturbants ne sont pas à écarter : les militaires emploient la notion de

« caporal stratégique » pour décrire la situation dans laquelle le comportement d’un agent

d’exécution sur le terrain emporte des conséquences de niveau stratégique. Le général

91

Lecerf1 le décrit comme l’acteur qui, se trouvant confronté aux aspects concrets de la

mission, « est lui-même une capacité de catastrophe possible, avec une dimension

internationale, voire stratégique dans ses retombées ». Les officiers militaires interrogés

confirment : l'action positive ou négative du soldat sur le terrain peut avoir des incidences

stratégiques insoupçonnées. Cette situation correspond généralement à des cas « non

conformes » de l'action : membre des forces spéciales intercepté, dégât collatéral, tir

fratricide, etc. Un témoin cite l’exemple concret de la prise en otage de forces françaises de

l’ONU par les Serbes en 1995. « On voit dans les médias un lieutenant français agiter un

drapeau blanc. Nombreux sont ceux qui considèrent que le choc politique de cette image a

conduit l'OTAN à décider l’intervention qui réduira les Serbes en deux mois ».

Toutes proportions gardées, un chef de groupe sapeur-pompier, qui prend par exemple

l’initiative de donner à la population des consignes d’évacuation, peut limiter

significativement la palette de choix stratégiques du DOS, en lui retirant de facto l’option du

confinement. Le fait qu’un officier sapeur-pompier puisse être conduit à prendre sur le

terrain une décision de niveau stratégique semble intégré par plusieurs DOS. Cette

éventualité souligne à leurs yeux l’importance de la définition d’une stratégie globale, arrêtée

par le DOS le plus rapidement possible et connue de tous.

- La participation au fonctionnement du PCO et du COD :

Les personnes interrogées évoquent ensuite la participation des officiers sapeurs-pompiers

au fonctionnement des structures de commandement que sont le PCO et le COD.

P. Laclemence observe, lors des exercices réalisés par le CHEMI, que les contributions des

différents participants révèlent le prisme de leur administration d’origine : « La porte

d'entrée vers la gestion de crise est en effet différente selon les services : un commissaire de

police va s'orienter spontanément vers la gestion de l'événement, un administrateur civil se

réfère plus à la planification et aux circuits institutionnels, notamment ceux qui rattachent

l'administration à l'événement. L'officier sapeur-pompier est attentif à l'état-major projeté sur

le terrain. L'intérêt, c'est que ces différences, correctement interprétées, permettent la

complémentarité nécessaire à la sécurité globale ».

C. Dautun a également constaté, au gré des échanges avec les stagiaires de l’INHESJ,

que les différentes administrations faisaient des choix disparates pour se faire représenter en

COD. Elle remarque toutefois que cette tendance évolue vers l'harmonisation, sous

l'impulsion des préfets qui souhaitent avoir des conseillers techniques à proximité.

De fait, les services les plus fréquemment sollicités standardisent leur représentation. Par

exemple dans la gendarmerie, la position du chef de groupement départemental est à priori

sur le terrain, pour actualiser la connaissance de la situation et adapter les mesures prises

aux évolutions constatées. En COD, le représentant de la gendarmerie est désigné en tenant

compte dans la mesure du possible des compétences liées à son emploi : le chef de

l'escadron de sécurité routière sera ainsi en priorité mis à disposition pour gérer une

situation de perturbation sur un axe routier.

La représentation des SDIS en COD évolue également, notamment du fait de l’enseignement

relatif à la gestion de crise, dispensé par l’ENSOSP. Une distinction y est opérée entre la

mission de diagnostic et d’actualisation de la situation d’une part, et le rôle de conseiller du

1 A. Lecerf, in"Livre Blanc, les débats" page 58

92

DOS en matière de décision stratégique d’autre part. Plusieurs officiers interrogés perçoivent

clairement cette dichotomie dans la pratique. Ils observent que les échanges intervenant

dans la salle « de situation » portent essentiellement sur les considérations tactiques,

l’acquisition du renseignement ou l’anticipation. Ils associent en revanche le niveau

stratégique à l’espace restreint dans lequel se réunissent le préfet et les chefs des principaux

services. Il leur apparaît à ce titre particulièrement important que le dispositif ORSEC prévoie

une place pour le DDSIS ou le Directeur Départemental Adjoint (DDA) au sein de la cellule

« décision ».

Pour ajuster leur représentation dans les structures de commandement interservices,

plusieurs SDIS prévoient, dans leur permanence opérationnelle, un binôme d’officiers de

niveaux différents. Certains SDIS utilisent cette disposition pour garantir une présence

adéquate dans les différents espaces du COD, d’autres pour répartir judicieusement leurs

cadres entre le COD et le PCO, selon la nature de la situation.

Deux facteurs sont identifiés comme influant sur le rôle joué par l’officier sapeur-pompier.

Le premier relève de la cinétique de l’événement : en phase initiale, les services d’urgence

sont plus sollicités qu’en sortie de crise, où l'aspect économique reprend le dessus. L'officier

sapeur-pompier apporte alors tout au plus une expertise technique, un appui pour la mise en

œuvre.

Le second, plus subjectif, tient aux relations qui s’établissent au sein du COD. C. Van Der

Linde cite ainsi l’exemple d’inondations survenues sur une agglomération importante. Le

sous-sol du CHU était inondé par 500 m3 d'eau. Trois établissements pour personnes âgées

dépendantes étaient hors service. Le principal grossiste pharmaceutique de la région était

également inondé. Pourtant, aucun représentant de l'ARS n’a été convoqué au COD.

L’analyse postérieure a démontré notamment que l’officier sapeur-pompier s’était concentré

sur son idée de manœuvre et sur le rassemblement de moyens de pompage conséquents.

De même que les autres membres du COD, il ne s’était pas senti habilité à suggérer au

directeur de cabinet du préfet la convocation d'un représentant de l'ARS en COD.

- La participation aux missions d’appui :

Au niveau zonal, l’officier sapeur-pompier est relativement au calme pour récupérer des

informations, compléter la représentation de la situation via ses contacts avec les grands

opérateurs. Il peut relativiser, mettre en perspective les informations. Un DOS insiste

également sur le rôle de conseil que tient le chef d’EMIZ auprès du préfet délégué à la

sécurité. Cette fonction peut d’ailleurs se prolonger par l’envoi d’un officier de liaison du COZ

au COD ou réciproquement. Des dispositions similaires permettent aux CROSS de bénéficier

de la présence d’un officier de liaison sapeur-pompier lorsque le besoin s’en fait sentir.

A l’échelon national, un officier ayant connu une affectation au COGIC y décrit le rôle du

sapeur-pompier comme consistant essentiellement à traiter du renseignement, élaborer des

options soumises au directeur d’astreinte, puis mettre en œuvre les décisions. L’aspect

stratégique lui paraît circonscrit au traitement des conséquences des interventions de longue

durée. Il considère avoir été plus en prise avec des décisions stratégiques lors d'activations

de la CIC (essentiellement pour exercice). Il donne ainsi l’exemple, dans un scénario

d’attaque terroriste sur Paris avec risque d’attentats simultanés, de la réflexion portant les

93

modalités d’information de la population, au regard des conséquences engendrées sur les

possibilités d’évacuation (risque de panique, maintien des transports en commun, viabilité

des axes, etc.).

Enfin, sur proposition du DGSCGC, le ministre de l’Intérieur peut décider de solliciter un ou

plusieurs officier(s) sapeur(s)-pompier(s) pour une mission de soutien à un DOS. Cette

sollicitation peut revêtir un aspect formel, via une mission d’appui en situation de crise. Elle

peut également correspondre à la mobilisation d’un officier disposant de compétences

particulières, par exemple en manière de communication stratégique.

Le rôle tenu par l’officier sapeur-pompier dans l’élaboration de la décision stratégique

Les observations des personnes interrogées permettent d’affiner le rôle joué par l’officier

sapeur-pompier dans l’élaboration de la décision stratégique.

- La mission générale de soutien du DOS :

Indépendamment de leur affectation sur le terrain ou en COD, les officiers sapeurs-pompiers

identifient collectivement leur mission comme un rôle de soutien au DOS : « Le préfet a

besoin d'avoir un officier de confiance à ses côtés, que ce soit au COD ou au PCO ». Un DOS

confirme « Clairement, en situation de crise de sécurité civile, l'officier sapeur-pompier est

mon second ».

- Une « sentinelle de la résilience » :

Plusieurs témoignages attribuent à l’officier sapeur-pompier une fonction particulière en

matière de résilience, fonction décrite par un officier comme la nécessité de conduire une

réflexion approfondie sur les modes de fonctionnement en dégradé : « Les outils de

planification et les modes préparés doivent faire l'objet d'un soin attentif. Ils doivent

également comprendre un volet permettant d'identifier le mode le plus dégradé avec lequel

on devra continuer à travailler. Le travail sur le plan de continuité dans le contexte du virus

H1N1 en est un bon exemple ».

P. Laclémence rattache cette mission de vigilance particulière à une analyse institutionnelle :

selon lui, les collectivités territoriales ont plus de mal à accepter la rupture, parce qu'elles ont

en charge directement la continuité des services de proximité apportés aux administrés.

Constater la rupture serait en quelque sorte admettre qu’elles auraient failli à leur mission.

L'Etat est plus à même de constater la rupture parce qu'il est plus à distance. Les officiers

sapeurs-pompiers, du fait de leur double rattachement hiérarchique, occupent une place

singulière, qui leur confère un rôle particulier dans la détection et la prise en charge de la

rupture.

Il en résulte, pour un officier interrogé, une responsabilité spécifique : « Les sapeurs-

pompiers ont un rôle de sentinelle de la résilience à jouer : Comment ferions-nous si…? C'est

un rôle de préparation des SDIS, mais également de sensibilisation et de préparation des

autres acteurs ».

- Un pourvoyeur de renseignement :

Plusieurs observateurs considèrent ensuite que la contribution du sapeur-pompier à

l’élaboration du diagnostic stratégique est déterminante. Un DOS estime que, sur un

94

événement donné, le service leader (en raison de la nature de l'événement) doit prendre la

direction de la fonction renseignement. Selon lui, sur une crise de sécurité civile, un officier

sapeur-pompier bien formé doit pouvoir diriger en titre ou en tant qu'adjoint la fonction

renseignement : il est celui qui est susceptible de comprendre le plus rapidement la situation

(ce à quoi on est confronté) ainsi que les enjeux associés. Il est en outre le principal

pourvoyeur d'informations. Ce mode de fonctionnement suppose une adaptation du dispositif

ORSEC, pour articuler la mission générale de renseignement, dévolue aux services de police

et de gendarmerie, avec la formalisation du concept de service « menant », investi à ce titre

d’un rôle ponctuel en la matière.

Un officier suggère une application concrète en estimant que, dans un contexte de sécurité

civile, la fonction d’actualiser une représentation partagée de la situation (aléas, enjeux)

pourrait être confiée au sapeur-pompier. J.L. Wybo parle d’une mission « d'extension des

capacités cognitives du DOS », l’officier mettant à profit son rôle de collaborateur principal

pour contribuer au « sense making» au sein de la cellule de crise.

- Un acteur de la transversalité :

La transversalité est une préoccupation fréquemment évoquée : il faut éviter la

« satellisation » des services représentés, en les regroupant par cellules thématiques,

comme par exemple la cellule « protection des populations ».

Plusieurs officiers poursuivent le raisonnement. Ils partent du constat que les sapeurs-

pompiers, en véritables généralistes du risque, interviennent sur une grande diversité de

situations. Ils estiment que ce panorama étendu leur confère une certaine capacité à adopter

une approche interministérielle et à intégrer, dans leurs conseils au DOS, des considérations

qui dépassent leur métier d’origine. Ils proposent par conséquent de développer le rôle

interministériel des officiers sapeurs-pompiers, en confiant par exemple aux DDSIS des

missions relevant des chefs des services interministériels de défense et de protection civile

(SIDPC). Cela supposerait une clarification du financement par l'État, clarification qu’ils

estiment partiellement engagée : le ministre de l’Intérieur insiste sur le poids réel de la

contribution de l'État au financement des SDIS. De plus, les SIDPC n’échappent pas à la

logique de rationalisation des moyens de l'État, actuellement en cours. Un officier signale en

outre que certains SDIS ont déjà parfois mis un officier sapeur-pompier à la disposition du

SIDPC ou développé des missions relevant normalement du SIDPC.

Dans l’ensemble, les DOS ne partagent pas ce point de vue. Dans leurs réponses au

questionnaire, ils estiment majoritairement qu’il n'entre pas dans les fonctions de l'officier

sapeur-pompier d'animer la cellule de crise. Son rôle principal reste à leurs yeux de proposer

des modes d'actions et de conseiller le DOS dans ses choix : « Chacun son métier, l'officier

sapeur-pompier aura toujours une approche orientée "secours", contrairement au chef du

SIDPC qui a une vision interministérielle ».

- Le cas particulier du DDSIS :

La place du DDSIS fait débat. L’un d’entre eux préconise de réfléchir sur le positionnement

du DDSIS en tant qu'officier supérieur : peut-on être à la fois un expert de la gestion de crise

et un gestionnaire d'établissement public ?

Dans un contexte de réforme territoriale, la question résonne de manière particulière et

divise. Certains considèrent le SDIS comme un établissement public ordinaire : le DDSIS est

95

alors, sous réserve d’évolution statutaire, un gestionnaire capable de diriger tout autre

établissement de même ampleur. Réciproquement, tout directeur d’établissement public

comparable pourrait diriger un SDIS. D’autres estiment au contraire qu’un SDIS est

particulier du fait de sa composition (notamment de la proportion conséquente de sapeurs-

pompiers volontaires) et de sa raison d’être, principalement opérationnelle. Diriger un tel

établissement n’est, à leurs yeux, pas envisageable sans assumer les fonctions de chef de

corps et sans disposer de la légitimité de celui qui se tient aux côtés du préfet en situation

de crise. La réglementation actuelle1 valide ce point de vue en conférant par principe au

DDSIS le rôle de COS.

Cette fonction de COS, en tant que telle, est plébiscitée. Les personnes interrogées jugent

unanimement que la dichotomie entre DOS et COS permet, dans les cas les plus complexes,

de faire prévaloir une réflexion réellement stratégique. Ce fonctionnement repose sur une

répartition claire des rôles entre DOS (pour la ligne stratégique, sur des enjeux qui peuvent

dépasser la seule conduite des opérations de secours) et COS (pour l'adaptation des mesures

opérationnelles aux impératifs stratégiques).

Mais cette distinction rend complexe le positionnement du DDSIS : COS, ou conseiller

technique du préfet au niveau stratégique ? La question se pose tout particulièrement pour

les départements de taille modeste, dont la ressource d'encadrement supérieur est limitée.

Les officiers interrogés répondent pragmatiquement qu’en cas d'événement majeur, et a

fortiori en situation de crise, la place du DDSIS, ou de son adjoint en son absence, est

auprès du préfet (qu'il soit au COD ou sur le terrain). Certains nuancent : le DDSIS doit être

là où il est le plus utile : auprès du préfet s'il est nécessaire de contribuer à la prise de

décision, ou sur le terrain en tant que COS.

Un officier propose que la notion de COS, telle qu'elle est définie dans le code général des

collectivités territoriales, soit adaptée, car il estime que le COS ne peut pas être le DDSIS en

situation de crise avérée. Le DDSIS a alors un rôle de conseil stratégique auprès du DOS, et

il ne peut pas être dans le même temps aux commandes du pilotage tactique. Il préconise

de formaliser pour le DDSIS une fonction de conseiller technique du DOS en matière de

sécurité civile, et de lui donner la possibilité de déléguer le commandement tactique, tout en

conservant l’appellation « COS », juridiquement fondée et connue des autres acteurs.

- D’autres missions suggérées :

Un officier préconise d’approfondir la réflexion sur la participation de sapeurs-pompiers à

des équipes du type des missions d’appui en situation de crise, à l’instar de ce qui a été mis

en place sur des feux de forêts en Nouvelle Calédonie en 2009 et 2010. Ce dispositif pourrait

être plus fréquemment employé pour apporter un renfort d’encadrement supérieur formé à

la gestion de crise pour des départements aux ressources limitées.

Un DOS propose par ailleurs qu’à chaque catastrophe survenant dans le monde, un officier

sapeur-pompier soit systématiquement envoyé à l'ambassade de France en tant

qu’observateur de gestion de crise. Il aurait une mission de conseil à l'ambassadeur pour

préserver les intérêts des ressortissants français, promouvoir les actions de coopération en

1 Article R 1424-43 du CGCT

96

matière de sécurité civile, et recueillir un retour d'expérience sur la gestion de l'événement

par les autorités et populations locales.

Pour autant, le sentiment général ne s’oriente pas vers la création de nouvelles fonctions.

Les DOS recherchent « des schémas d'organisation simples et transposables ». Les officiers

sapeurs-pompiers mettent plutôt l’accent sur la crédibilité, qui permet de gagner la confiance

du DOS : « L'important, ce n'est pas la fonction formellement tenue, c'est le fait qu'on ait

construit une relation de confiance et qu'on soit crédible, quelle que soit la crise ».

En synthèse, l’organisation officielle de la gestion de crise en France émane

principalement du dispositif ORSEC. Sa refonte de 2005 visait le pragmatisme et

la modularité. Pour autant des ajustements sont restés nécessaires pour

s’adapter aux événements inédits ou évolutifs. Les dispositions officielles ne

recouvrent donc pas toutes les situations dans lesquelles les officiers sapeurs-

pompiers concourent, plus ou moins formellement, à l’élaboration de la décision

stratégique. De plus, si un rôle important leur est reconnu dans la pratique, la

définition actuelle de leurs fonctions ne facilite pas la nécessaire distinction entre

conduite tactique des opérations et mission de conseil stratégique.

3.1.1.2 Compétences requises

Il n’existe pas à l’heure actuelle de référentiel officiel des compétences des officiers sapeurs-

pompiers professionnels1.

Plusieurs travaux de recensement des compétences sont néanmoins disponibles comme

notamment les études réalisées par l’ENSOSP, en vue d’établir le programme de formation

des officiers, ou le répertoire des métiers du centre national de la fonction publique

territoriale (CNFPT).

Nous souhaitions recueillir l’avis des observateurs sur les compétences requises des officiers

sapeurs-pompiers, au regard des fonctions réellement exercées par ceux-ci en situation de

crise. Nous avons par conséquent basé la réflexion sur les différents apports théoriques

relatifs à la gestion des situations de crise, plutôt que sur les référentiels existants. Nous

avons notamment retenu une enquête2, effectuée auprès de responsables d’entreprises sur

les compétences déterminantes pour la prise de décision stratégique en situation de crise.

Cette recherche a conduit son auteur à identifier cinq compétences transverses principales :

la créativité, la réactivité, la capacité à déléguer, la capacité à motiver, la capacité à gérer

son stress.

Nous nous en sommes inspiré pour proposer, dans le questionnaire adressé aux DOS, une

liste de compétences, qu’ils ont classées comme suit par ordre d’importance décroissante :

1 Le référentiel des emplois, activités et compétences de tronc commun des sapeurs-pompiers professionnels officiers, prévu à l’article 2 de l’arrêté du 30 septembre 2013 relatif aux formations des sapeurs-pompiers professionnels, est en cours d’élaboration. 2 C. Maisons (2003), "Coaching stratégique", p. 35

97

D’après vous, les principales compétences dont doit disposer un officier sapeur-

pompier pour contribuer efficacement à l’élaboration d’une décision stratégique

sont :

1. La maîtrise de connaissances techniques et opérationnelles

2. La capacité d’analyse

3. La réactivité

4. La capacité à se concentrer sur les priorités

5. L’aptitude à gérer son stress

6. La loyauté

7. La capacité de synthèse

8. La capacité à communiquer

9. La capacité à motiver

Ce classement est à relativiser, certaines compétences étant sous-cotées par les répondants

non pas en raison de leur moindre importance, mais parce qu’ils considèrent ces

compétences comme acquises et évidentes. Un DOS déclare ainsi que certaines

compétences, comme la maîtrise technique ou la réactivité, lui paraissent acquises d’office,

sans quoi les personnes concernées n’auraient pas atteint le niveau d’officier supérieur de

sapeurs-pompiers. Naturellement, ce type de constat est directement lié aux rencontres

professionnelles des témoins interrogés, et aux surprises, bonnes comme mauvaises, que les

circonstances ont pu leur ménager.

Pour approfondir le sujet lors des entretiens semi-directifs, nous avons systématiquement

posé les questions suivantes :

o aux DOS : « Quelles compétences attendez-vous d'un officier sapeur-pompier

pour qu'il contribue efficacement à la préparation de votre décision

stratégique ? »

o aux autres acteurs, qu’ils soient sapeurs-pompiers ou non : « Quelles

compétences vous paraissent nécessaires à un officier sapeur-pompier pour qu'il

contribue efficacement à la préparation de la décision stratégique ? »

A l’écoute des témoignages, il apparaît que les compétences requises en situation de crise

correspondent en grande majorité à des dispositions déjà mobilisées en temps normal,

moyennant un renforcement adapté. Quelques aptitudes, étant spécifiques à la gestion de

crise, font figures d’exceptions. Pour la clarté de l’exposé, nous présentons l’ensemble des

compétences identifiées en les réunissant par familles thématiques : connaissances, savoir-

faire, aptitudes comportementales.

Les connaissances

Parmi les connaissances, la maîtrise de la technicité figure au premier rang des réponses des

DOS. Ils attendent de l’officier sapeur-pompier qu’il « maîtrise son sujet ». Ils l’évaluent au

regard de son savoir technique, de sa connaissance du secteur, et de sa capacité à mobiliser

ses acquis des expériences passées.

98

Trois types de savoirs sont par ailleurs évoqués comme étant utiles au quotidien, et

essentiels en situation de crise.

Il s’agit tout d’abord de la culture générale, entendue comme une somme de connaissances

permettant d’enrichir le diagnostic initial et de mieux en cerner les enjeux.

Il s’agit ensuite de connaître les grands principes d’approche de la complexité. Cet

enseignement est employé, en temps normal, pour le pilotage d’une organisation comme le

SDIS et s’adresse a priori aux emplois de direction. En situation de crise, il est attendu de

l’officier qu’il transpose ce corpus pour enrichir sa méthode de diagnostic. Plusieurs officiers

mentionnent le recours à la matrice « SWOT », habituellement utilisée dans le cadre de

l’élaboration du projet stratégique du SDIS. De même, la réalisation d’une « carte des

acteurs » est fréquemment évoquée. Un officier illustre l’apport de cet outil par un contre-

exemple : le responsable d’un site nucléaire gère une crise liée à la suspicion de rejets

radioactifs ; faute d’avoir réalisé une carte complète des acteurs, il se limite à la prise en

compte de l’association locale de pêcheurs et n’identifie pas le danger lié à l’irruption d’un

laboratoire indépendant dans le débat public.

Parmi les savoirs du quotidien mobilisés en situation de crise, figure enfin la connaissance de

l’environnement institutionnel. Là encore, la situation de crise impose d’approfondir : il ne

suffit plus de connaître les autres acteurs, encore faut-il identifier leurs ressources, leurs

capacités d'action, leurs contraintes ou facteurs d'adversité internes.

Les témoignages recueillis font peu état de connaissances spécifiques à la gestion de crise.

Celles-ci relèvent notamment de la compréhension des mécanismes de construction d’une

stratégie globale tels qu’enseignés par l’ENSOSP dans la discipline « gestion de crise »

(GDC). Il est également nécessaire, d’un point de vue plus technique et organisationnel, de

maîtriser les outils à disposition dans le COD, qui permettent l’acquisition, le traitement et le

partage du renseignement.

Les savoir-faire

En situation de crise, l’officier sapeur-pompier doit pouvoir s’appuyer sur ses savoir-faire du

quotidien pour s’adapter et répondre à des attentes qui s’accroissent significativement.

- Développer une culture du partenariat :

Le sens du collectif, élément constitutif de la culture du sapeur-pompier, doit conférer à

l’officier une aptitude à travailler en équipe sur des sujets sortant de la sécurité civile au sens

strict. L’effort d’adaptation doit permettre d’aboutir à une véritable culture du partenariat.

Cela requiert premièrement une véritable capacité à tisser, voire animer, un réseau

préalable. Un officier affecté outre-mer mentionne par exemple sa participation au réseau

des "Disaster Risks Managers" du Pacifique sud, qui lui a permis d'obtenir de ses homologues

une visualisation précise de la situation lors du passage de cyclones ou de tsunamis dans des

régions proches.

Cela suppose ensuite une tournure d’esprit qui, selon un autre sapeur-pompier, permette

« de réaliser qu'on n'est pas le centre du monde, et de faire l'effort de comprendre ce que le

corps préfectoral ne formalise pas toujours ». Le partenariat implique notamment d’être

99

capable d’intégrer les remarques d'autres services sur des sujets sur lesquels le SDIS est

pourtant service leader.

- Communiquer et faire communiquer :

Les compétences de communication constituent en temps normal pour l’officier des moyens

de management ou de commandement opérationnel. En contexte dégradé, ces aptitudes

doivent servir à l’efficience de la cellule de crise, par exemple en améliorant la

compréhension mutuelle des contraintes rencontrées par chaque entité représentée.

La capacité de l’officier à faire passer un message poursuit notamment deux buts

supplémentaires.

Il doit avant tout, face à l’incertitude et à l’ampleur des enjeux, démontrer sa crédibilité

personnelle. Il devient indispensable d’étayer ses affirmations et de formuler

systématiquement plusieurs options alternatives avec avantages et inconvénients. Plusieurs

personnes interrogées soulignent l’importance d’une préparation préalable : « Il est

important de démontrer et de valoriser les compétences des services au quotidien, ce que

d'autres services que les sapeurs-pompiers savent beaucoup mieux faire. Cela passe par le

fait, lors des rencontres hebdomadaires, d'informer le préfet sur la bonne gestion des

opérations quotidiennes ».

L’officier sapeur-pompier doit ensuite représenter une ressource d’intermédiation, qu’il

s’agisse de traduire si nécessaire les avis des experts, ou de retranscrire les intentions du

DOS en effets à obtenir. Dans l’esprit des personnes interrogées, il serait vain et illusoire

pour l’officier sapeur-pompier de chercher à être expert en tout. Il doit en revanche

développer sa capacité à créer le lien entre les acteurs de la salle de crise.

- Etablir un diagnostic et identifier les enjeux :

Les capacités d’analyse et de synthèse sont mentionnées. Plus encore qu’au quotidien, il est

nécessaire de tenir compte du contexte pour fournir une analyse croisée multisectorielle et

se concentrer sur les priorités. Un DOS nuance : « La capacité d'analyse est importante. La

capacité de synthèse l'est moins : elle relève plutôt du directeur de cabinet ou du chef du

SIDPC ».

En tout état de cause, il est attendu de l’officier sapeur-pompier une capacité à identifier la

ligne de la politique publique, à en cerner le sens et les enjeux et à mettre en œuvre les

principes d’action qui en découlent.

P. Laclemence insiste sur « la captation de l'environnement : être capable de prendre en

compte les réseaux qui peuvent contribuer à la gestion de crise, aller plus loin sur les

nouvelles tendances sociétales, tenir compte de l'émergence des phénomènes collaboratifs

et notamment des médias sociaux ».

En matière de recueil de l’information, plusieurs officiers soulignent l’importance du réseau

de centres de secours. Ils voient dans le maillage territorial du SDIS une source

d'information dont peu d'interlocuteurs du préfet disposent à l'échelle départementale.

Au-delà, les DOS expriment leur besoin de pouvoir s'appuyer sur un diagnostic fiable,

intégrant de manière exhaustive les enjeux des différents secteurs concernés par la crise, ou

susceptibles de le devenir. L’officier sapeur-pompier doit donc savoir dépasser la technique

en tenant compte du contexte, de la sensibilité locale, des priorités personnelles du DOS.

100

C’est dans cet esprit, par exemple, qu’un officier affecté outre-mer, pense à « signaler

l'importance de préserver un stock d'hydrocarbures pour la reprise de l'activité économique

de l’île, quand bien même il n’a pas d’utilité immédiate pour la conduite des opérations de

secours ».

Le fonctionnement du COGIC fournit un exemple supplémentaire : lors d’une catastrophe

naturelle à l’étranger, il ne suffit pas d’identifier clairement l’objectif politique (montrer sur la

scène internationale que la France porte secours aux populations sinistrées). Il faut cerner

l’enjeu d'efficacité (envoi de secours ou aide financière ?), l’enjeu d'engagement de l'État

français (moyens publics, ou ONG ?) et l’enjeu d’immobilisation de moyens (moyens légers

d'assistance à la population ou équipe chirurgicale complète ?).

Mais la situation de crise sollicite aussi quelques savoir-faire, qui peuvent exister de manière

latente sans être sollicités en temps normal, parce que les mécanismes de coordination

routiniers ne l’imposent pas. La situation de crise, en bouleversant les repères et les

certitudes, oblige en effet à reconsidérer ce qui peut passer pour acquis.

- Construire une relation de confiance personnelle :

Ainsi, l’officier doit construire avec le DOS une relation de confiance qui n’est plus basée sur

ses fonctions ni sur l’institution qu’il représente, mais sur sa propre personnalité. La

confiance du DOS doit lui permettre d’exprimer ses objectifs, y compris ceux qui sont

habituellement sous-jacents. Un officier résume de la manière suivante : « À chaque

nouvelle crise, il faut repartir à zéro pour établir une relation de confiance. Il importe que

l'officier sapeur-pompier en ait conscience et que chaque occasion de travail en commun soit

saisie pour démontrer qu'on maîtrise les fondamentaux techniques, qu'on est capable

d'élargir ses angles de vue, qu'on sait travailler en réseau avec des partenaires différents et

qu'on est digne de confiance ».

- Savoir sortir du cadre :

Plusieurs témoins font également allusion à ce que l’un d’entre eux qualifie « d'agilité

mentale, par opposition à la psychorigidité ».

Un officier invite ainsi à prendre du recul par rapport au cadre technique. Il décrit une

situation où un officier est plus préoccupé d’installer son poste de commandement que

d’acquérir une vision d’ensemble. Il transmet par conséquent un bilan peu alarmant sur un

accident ferroviaire, alors qu’une reconnaissance personnelle du terrain lui aurait permis

d’appréhender plus rapidement la gravité réelle de la situation : quai défoncé, sentiment

d'échapper de peu à une véritable catastrophe, impact majeur prévisible sur les conditions

de vie courante d'une part importante de la population locale.

Au besoin, il peut être nécessaire de s’extraire momentanément du cadre. Un officier

témoigne : « La difficulté réside précisément dans la capacité à "sentir" ce à quoi on a

affaire, pour percevoir qu'on n'est plus dans le cadre qui avait été posé et décider d'innover,

si besoin en transgressant momentanément les règles habituelles. Cela m’a conduit par

exemple, lors d’une tempête, à centraliser la gestion de l’ensemble des moyens au CODIS

alors que certains d’entre eux étaient normalement encore gérés par les groupements

territoriaux ». L’aptitude évoquée ne consiste naturellement pas à s’affranchir de toute règle,

au risque de générer des perturbations supplémentaires, mais à savoir sortir du cadre

101

habituel lorsque c'est nécessaire, y revenir dès que cela redevient possible, et s'adapter aux

changements qui surviennent.

Les aptitudes comportementales

Plusieurs aptitudes comportementales, démontrées au quotidien, sont évoquées :

- Le pragmatisme : « Penser aux solutions simples, rapide et peu coûteuses qui

peuvent avoir un effet immédiatement perceptible ».

- L’aptitude au leadership : « Savoir se positionner en leader sur les situations

relevant du domaine des opérations de secours, en étant en mesure de

demander aux partenaires des fonctions de soutien, qui vont faciliter l'action des

services d’incendie et de secours »

- La disponibilité : « Savoir faire preuve d'une grande disponibilité, d’une capacité

de mobilisation des cadres lorsque le DOS a besoin d'eux ».

En situation de crise, cette disponibilité doit s’accentuer pour atteindre une forme

particulière de présence. P. Silberzahn décrit ce concept par le terme «mindful »,

qui renvoie à la nécessité que les cadres dirigeants conservent une

compréhension et un ancrage avec le terrain. Pour les personnes interrogées, il

s’agit à la fois d’être curieux, de savoir écouter les autres mais également de

savoir affirmer le rôle du SDIS, ajuster le dispositif de commandement, et se

tenir disponible aux côtés du préfet. Un officier insiste : « Ne pas oublier que la

présence régulière du chef sur opération, même symbolique, est importante. Il

ne s'agit pas d'exercer systématiquement le commandement, mais d'y être, tout

simplement ».

- La gestion du stress :

En situation critique, cette faculté doit être employée pour prendre du recul.

L’objectif est de conserver une faculté de discernement, permettant notamment

de détecter les dysfonctionnements avérés ou potentiels de la cellule de crise. Le

travail en équipe et l’anticipation sont autant de moyens identifiés comme

facilitant la prise de recul.

- La transparence et l’intégrité :

Pour les officiers, « il est essentiel d'informer le préfet de l'efficience ou des

limites des moyens que l'on doit mettre en œuvre. La transparence est à la base

de la confiance ». Pour les DOS, « Il est notamment indispensable que les choses

soient très claires sur la loyauté due au préfet en situation opérationnelle : savoir

faire la part des choses par rapport à la loyauté due aux élus en matière de

gestion administrative quotidienne ».

Un officier considère que ce point est d'autant plus important que la

départementalisation, tout en permettant de structurer les SDIS, a pu faire

percevoir les officiers sapeurs-pompiers comme étant liés à des élus locaux, au

risque de les éloigner des représentants de l'État.

102

Enfin, même s’il est naturellement souhaitable d’en faire preuve au quotidien, deux aptitudes

comportementales nous semblent plus spécifiquement liées au contexte de gestion de crise.

- L’humilité :

De l’avis général, il faut beaucoup d'humilité. Un officier commente : « Dans une

mission de conseil au préfet, on est au plus près de la complexité et des enjeux,

voire du pouvoir. Or nous ne sommes pas préfets, nous ne sommes pas

décideurs in-fine, juste contributeurs ».

- La capacité d’introspection :

Ce rappel à la réalité doit se prolonger d’une capacité d’introspection :

l'expérience ne suffit pas si elle ne s'accompagne pas d'une prise de conscience

que le chef n'est pas infaillible. Cela suppose un travail sur soi, une capacité à se

remettre en cause, et fait appel à des domaines tels que l'éthique ou la

déontologie. Un sapeur-pompier juge nécessaire que les officiers qui se destinent

aux fonctions de gestionnaire de crise fassent un travail préalable pour se

connaître et pour répondre aux questions : « Qui suis-je ? Comment je

fonctionne ? Qu'est-ce que j'induis ? ».

Mise en perspective

À ce stade, il peut être édifiant de mettre en perspective nos constats de terrain en

recourant au référentiel de compétences, établi dans le cadre de l’étude « Intégration des

travaux du profil attendu après formation (IPAAF) »1 pour déterminer le programme de la

formation d’intégration de lieutenant de sapeurs-pompiers professionnels.

Ce rapport est le fruit d’un groupe de travail associant les représentants de la DGSCGC, de la

fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), de l’association nationale des

directeurs des services d’incendie et de secours (ANDSIS), de l’école nationale supérieure

des officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP), et des officiers du grade de lieutenant.

Parmi les compétences transversales identifiées, celles qui figurent ci-dessous font écho aux

témoignages que nous avons recueillis :

o Faire preuve d'ouverture d'esprit, éviter de rester figé dans ses positions et de se

limiter à son seul champ professionnel. Ne pas être dogmatique mais facilitateur

o Faire preuve d'adaptabilité, de réactivité et d'intelligence face à la situation

o Faire preuve d'humilité, accepter le doute, remettre ses décisions en cause

o Intégrer sa propre dimension émotionnelle (rester maître de ses émotions)

o Faire preuve d'honnêteté intellectuelle en n'excluant pas des possibilités, en

acceptant de prendre en compte tous les résultats qu’ils soient positifs ou

négatifs, en vue d'une décision objective

1 G. Pascal (2013), "Refondation du programme - Formation initiale du Lieutenant"

103

o Connaître l’environnement professionnel et politique du contexte local et national.

En comprendre les enjeux

o S’adapter aux situations (quand il n’est pas pertinent d’appliquer la règle à la

lettre) et aux priorités du moment (matériel, humain...) sans se détourner des

fondamentaux

o Tenir un propos construit et clair, en préparant les explications et en identifiant

les idées force.

De même, il semble intéressant de comparer les résultats obtenus avec les répertoires de

compétences en vigueur dans d’autres organisations, pour un niveau d’encadrement

spécifiquement en prise avec les décisions stratégiques.

Un référentiel des compétences transposables à la vie civile des officiers généraux a été

réalisé à la demande du ministère de la Défense Nationale1. Ce travail est issu de l’analyse

des situations de travail décrites lors d’entretiens individuels avec un panel représentatif des

officiers généraux.

Parmi les compétences citées, on peut noter :

o Gestion d’une situation de crise : savoir analyser rapidement une situation

d'urgence, manager des hommes en situation de crise, prendre des décisions

adéquates en établissant des priorités, en gardant son sang-froid et en mettant

en perspective les décisions et leurs impacts

o Prise de décisions et responsabilité : capacité à trancher rapidement parmi

plusieurs possibilités, à faire des choix calculés au moment opportun et à en

assumer les conséquences et les risques afin de dégager dans les meilleurs délais

la solution la plus adaptée.

o Autonomie : capacité à entreprendre de son propre fait, à mener sa mission sans

assistance et à prendre des décisions en situation critique

o Leadership : capacité à fédérer des hommes autour d'un objectif commun en

utilisant son charisme et sa force de conviction pour mener des équipes vers

l'atteinte d'objectifs en entraînant l’adhésion à une vision commune et en

apportant le support nécessaire pour rester centré sur les objectifs définis

o Alignement stratégique : capacité à mettre ses actes et ses comportements en

harmonie avec la stratégie et les orientations prises par la direction y compris

lorsque ces choix ne sont pas partagés en amont

o Sens de l'intérêt collectif : capacité à articuler les objectifs personnels avec ceux

de l'organisation, à conjuguer au quotidien un état d'esprit et des actions visant à

contribuer à l'intérêt collectif

1 Cabinet Bearing Point pour le ministère de la Défense Nationale, MIRVOG, (2014) "Référentiel des compétences transposables des officiers généraux"

104

Indépendamment de la diversité des regards portés par les observateurs ayant dû

affronter des situations de crise, les avis convergent sur les compétences à

mobiliser. Celles-ci sont en réalité majoritairement nécessaires en temps normal,

ce qui explique qu’elles soient intégrées dans le référentiel servant de base à

l’élaboration du programme de formation de lieutenant, premier grade d’officier

sapeur-pompier. Quelques-unes sont en revanche spécifiques à la situation de

crise. Elles portent sur l’appropriation des méthodes de gestion de crise, la

maîtrise des outils du COD, l’aptitude à établir une relation de confiance

personnelle et la capacité à sortir du cadre à bon escient. L’humilité et les

capacités d’introspection viennent compléter les aptitudes comportementales

requises.

Nous allons à présent aborder les modalités selon lesquelles les officiers peuvent acquérir

ces compétences et/ou les développer.

3.1.2 L’acquisition des compétences

Chaque organisation, susceptible d’être confrontée à une situation de crise, se doit de

préparer ses membres à cette éventualité, a fortiori pour celles qui sont investies de missions

de sécurité civile. Les services d’incendie et de secours ont donc à ce titre une responsabilité

particulière, comme en attestent les réponses recueillies au cours de notre étude. Les

interlocuteurs rencontrés font cependant un préalable du rôle tenu par l’officier lui-même

dans sa préparation.

3.1.2.1 L’implication de l’officier sapeur-pompier

Les aptitudes nécessaires pour contribuer efficacement au raisonnement stratégique ne

peuvent en effet être obtenues sans l’implication du principal intéressé. Toute acquisition de

compétences de la part d’adultes résulte d’un processus incluant une incontournable prise de

conscience initiale :

105

Figure 29 : Etapes d'acquisition de la compétence - C. Maisons (2003)

Ce processus est conditionné par un engagement personnel : l’officier doit être acteur de sa

propre acquisition de compétences. Les personnes interrogées relient cette attitude à

plusieurs comportements.

L’ouverture d’esprit

L’ouverture d’esprit, la curiosité, sont considérées comme des moyens de développer sa

culture générale pour se former à la complexité. Un officier décrit cela comme une capacité à

faire preuve d’étonnement, à s’intéresser ce que font les autres et à leurs contraintes. Cette

posture contribue à faciliter les approches transversales et à saisir les opportunités pour

éviter ou gérer la crise.

Un officier militaire assimile la culture générale à une arme supplémentaire : « Les

compétences à développer chez les sapeurs-pompiers me paraissent être les mêmes que les

nôtres, avec une finalité différente. Pour les militaires, la finalité est la victoire, même si elle

est parfois difficile à déterminer. Pour l’officier sapeur-pompier, l'environnement complexe

dans lequel il évolue fait que ce qui est important, c'est la perception de son action par les

médias et les autorités. Cela requiert clairement une culture élargie sur son

environnement ».

La mobilisation des acquis

L’officier doit également savoir s’appuyer sur ses connaissances acquises, par exemple en

s’inspirant des méthodes de travail utilisées dans d'autres contextes managériaux de gestion

du SDIS, comme les outils d’analyse stratégique.

Un sapeur-pompier souligne l’intérêt du vécu opérationnel : il constate que, durant sa

carrière, tout officier vit des "crises" à son échelle, c'est à dire des situations dans lesquelles

il doit prendre d'urgence une décision à fort enjeu. Par exemple, un chef de groupe peut être

contraint d’exposer des personnels sur un feu de bouteilles d'acétylène ou d'hydrogène. Il

serait profitable d'exploiter ces situations en analysant ses pratiques dans un but

pédagogique personnel : comment ai-je vécu la situation, qu'est-ce que cela m'apprend sur

moi, sur le mécanisme de prise de décision ?

106

Naturellement, plus le déroulement de carrière est envisagé comme un parcours qualifiant,

permettant de varier le contenu et l’environnement de la situation de travail, plus le socle de

connaissances s’enrichit.

L’investissement personnel

L’implication de l’officier se concrétise ensuite par sa capacité à voir dans les sollicitations

une opportunité plus qu’une contrainte. Un observateur insiste sur l’importance de l’adhésion

et du travail en amont en commun autour de la planification. Un autre recommande de

développer la connaissance mutuelle et personnelle des acteurs, notamment en étant assidu

aux réunions hebdomadaires de sécurité organisées par le préfet. Il suggère également de

prendre l’initiative pour établir les contacts, par exemple en soignant l'accueil des nouveaux

sous-préfets arrivant dans le département.

L’investissement personnel peut également prendre la forme d’une démarche individuelle et

informelle d’échanges avec des personnes ayant vécu des situations de crise. C’est un moyen

régulièrement cité pour partager les bonnes pratiques ou à l’inverse pour identifier les

actions à éviter.

La préparation personnelle

Enfin, l’officier sapeur-pompier doit se tenir prêt. Pour P. Lagadec1, «Le degré de préparation

commande directement le niveau de stress (…) Moins l'événement est familier et plus l'effort

d'adaptation devra être important ». La sur-sollicitation cognitive occasionnée par l’urgence

se trouve accrue par l’effet de surprise. Se préparer en la matière suppose de « penser

l’impensable », d’apprendre à être surpris sans se laisser ébranler en intégrant dans sa

réflexion un large éventail d’hypothèses, même les plus improbables.

La préparation consiste également à se familiariser avec l’anxiété que génère inévitablement

la prise d’une décision sans disposer de toutes les informations requises. C. Ratinaud associe

la gestion du stress à un renoncement nécessaire : « Accéder au raisonnement stratégique,

différent du raisonnement tactique, c'est accepter de faire le deuil des certitudes dans le

domaine opérationnel ». Il faut se résigner à ne pouvoir, dans les délais impartis, que limiter

l’incertitude.

Cela renvoie à l’obligation d’humilité et de travail sur soi. En la matière, pour garder la tête

froide, un officier souligne l’indispensable « équilibre de la personnalité ». Pour le préserver,

il lui semble essentiel « d’être au clair avec soi-même » sur les questions d’éthique ou de

déontologie, c’est-à-dire de se les poser avant d’être en situation de choix immédiat. Ainsi,

un militaire se fonde sur les cours de philosophie et d’éthique qu’il reçoit pendant sa

formation initiale. Il ne s’agit plus d’identifier une bonne solution, mais d’effectuer un choix

entre deux mauvaises décisions et de savoir le justifier éthiquement.

Sur la base de cette implication de l’officier, l’organisation peut désormais jouer son rôle.

1 P. Lagadec (1994) "La gestion des crises : outils de réflexion à l'usage des décideurs", p. 74

107

3.1.2.2 Rôle de l’organisation

Dans les développements qui suivent, nous entendrons par « organisation » les structures en

charge d’instituer des règles, de former les cadres et d’évaluer leur action. S’agissant des

sapeurs-pompiers, nous évoquerons par conséquent des rôles incombant notamment à

l’employeur (SDIS, ou organisme chargé d’une mission de sécurité civile), à la DGSCGC et à

l’ENSOSP.

Cette conception extensive correspond au rôle étendu que les personnes interrogées

attribuent à l’organisation en matière d’acquisition de compétences de gestion de crise. Nous

aborderons ainsi successivement l’élaboration de la doctrine, la formation des cadres, la

préparation opérationnelle, la capitalisation de l’expérience et la promotion de

l’apprentissage organisationnel.

L’élaboration de la doctrine :

Le sujet de la gestion de crise ne se prête pas à l’édiction de règles intangibles et

universelles, comme en atteste le scepticisme d’un officier sapeur-pompier, qui doute de la

pertinence d’une méthode a priori.

Pour autant, se doter d’un minimum de règles semble incontournable selon plusieurs

auteurs1 : « L'absence de procédure est certainement plus traumatisante pour ceux qui

doivent assumer la conduite de la gestion de crise que l'existence de procédures trop

pesantes ou mal conçues ».

Pour C. Perrin, il ne faut pas opposer le fonctionnement « bureaucratique » avec la

souplesse du fonctionnement à mettre en place en situation de crise : « Les études de cas2

démontrent que plus la "bureaucratie" est efficace, plus on dispose de marges de manœuvre

en cas d’urgence ».

- La planification :

L’analyse systémique du phénomène de crise met clairement en lumière le rôle de la

planification dans la maîtrise des facteurs de déséquilibre et, consécutivement, dans

l’évitement de la crise.

La refonte du dispositif ORSEC intègre cette dimension, par une conception progressive et

modulaire3. Les directives d’élaboration4 précisent que « l’objectif n’est pas de rédiger un

plan papier figé mais de mettre en place une organisation opérationnelle permanente et

unique de gestion des événements touchant gravement la population ».

Le même pragmatisme commande que, lorsqu’il aborde les dispositions spécifiques à un

risque particulier, le plan soit conçu en s’inspirant du mode de fonctionnement du COD :

1 L. Combalbert (2005), "Le management des situations de crise", p. 76 2 Par exemple, un cas concret est proposé aux étudiants de l'Institut supérieur de management à propos du Cirque du Soleil de Montréal, dont la structuration est très bureaucratique, avec des spectacles conçus deux à trois ans à l'avance 3 Décret n° 2005-1157 du 13 septembre 2005 relatif au plan ORSEC, article 3 4 Circulaire du 29 décembre 2006, relative à la planification ORSEC départementale

108

Préparation : Élaboration d’une disposition spécifique

Réalités : Fonctionnement du COD

A quel type d’événements peut-on être

confronté ? Quels sont les enjeux concernés ?

Quelle est la situation ?

Quel est le bilan ?

Quelle est la stratégie la plus appropriée à mettre en œuvre en fonction des scénarios ?

Quelle est la stratégie la plus appropriée à mettre en œuvre en fonction de la situation ?

Quels sont les objectifs en fonction de

l’événement et de la stratégie à appliquer ?

Quels sont les objectifs en fonction de

l’événement et de la stratégie à appliquer ?

Quelles sont les actions à réaliser pour chaque

objectif et qui réalise ces actions ?

Quelles sont les actions à réaliser pour chaque

objectif et qui réalise ces actions ?

Figure 30 : Similitude des approches entre l’élaboration d’une disposition spécifique et le fonctionnement d’un

C.O.D (circulaire du 29 décembre 2006, planification ORSEC départementale)

C’est dans ce cadre général et au regard des obligations incombant à chaque acteur, que la

plupart des organisations se dotent d’un corpus de règles.

Dans le domaine sanitaire, le renforcement de la planification est récent : il date de la

création des ARS en 2010. La planification repose sur des modules génériques regroupés en

six pavés, relatifs par exemple à la prise en charge de victimes ou à la vaccination massive.

En 2013, le plan zonal de mobilisation des ressources sanitaires a été validé. La composition

des cellules de crise a également été normalisée. Une instruction ministérielle et un décret

visant à donner aux SAMU de zone une autorité sur les SAMU départementaux sont

actuellement à l’étude.

La SNCF établit des plans d’intervention et de sécurité des circulations ferroviaires,

s’inscrivant dans le dispositif général ORSEC1. Certains secteurs ont fait l'objet d’une

standardisation accrue. Il s’agit par exemple de la formalisation des listes de trains ou des

conventions avec les cours d'appel. Ces protocoles ont pour but d’harmoniser le travail des

officiers de police judiciaire en cas d'accident de voyageur et de limiter les perturbations

occasionnées.

En ce qui concerne la gestion de crise de sécurité civile, certaines recommandations

formulées portent sur la méthode. Ainsi, un militaire constate que, selon les circonstances,

on se tourne vers l'officier sapeur-pompier pour lui demander des moyens ponctuels. Il

préconise d’imposer que les demandes soient formulées en termes d'effets à obtenir, charge

à chacun de réfléchir dans sa propre stratégie d'activité sur le meilleur moyen d'atteindre le

résultat demandé

La plupart des remarques visent à améliorer le fonctionnement transversal.

Un officier suggère de raisonner par pôles d’activité plutôt que par services, et de définir

précisément les acteurs autorisés à intégrer la cellule de décision du DOS. Un DOS déplore

que l’efficacité pâtisse « d’un excès de postes de commandement, aux périmètres mal

1 Article R 741-43 du CSI et article 13 du décret n°2006-1279 du 19 octobre 2006 relatif à la sécurité des circulations ferroviaires et à l'interopérabilité du système ferroviaire

109

définis ». Il appelle de ses vœux « un schéma standardisé de l’organisation, conjugué à la

définition d’une doctrine interministérielle ».

- Le recours à des procédures standardisées :

L’objectif de transversalité nécessite de concilier deux orientations antagonistes.

Plusieurs officiers préconisent de se baser sur des outils quotidiennement utilisés par les

sapeurs-pompiers : la méthode GOC est désormais connue et intégrée par les cadres, qui

l'utilisent parfois en dehors du domaine opérationnel, pour clarifier les enchaînements entre

objectifs, idées de manœuvre et plan d'actions. Il paraît donc pragmatique de s'appuyer sur

ce socle pour traiter les situations de crise. Un officier insiste : « Il faut surtout éviter de

compliquer les choses en inventant un nouveau mode opératoire pour le niveau stratégique

(que nous abordons en réalité très rarement) et en situation de crise (où tout est déjà

compliqué) ». Concrètement, un officier propose, pour faciliter l’appropriation, de rédiger les

plans de secours en utilisant une forme rappelant le "SOIEC" (exprimer une Situation, pré-

identifier des Objectifs et des Idées de manœuvres possibles, etc.).

Dans le même temps, chacun s’accorde à juger indispensable de rendre les méthodes des

sapeurs-pompiers plus abordables aux autres acteurs. Les partenaires des sapeurs-pompiers

ignorent la plupart du temps ce qu'est une cellule « Anticipation » ou un « chef de site ». Il y

a donc un impératif d’adaptation préalable, d’autant que plusieurs sapeurs-pompiers eux-

mêmes concèdent que la logique GOC n'est pas suffisamment adaptée en fonctionnement

interservices : l’approche tactique n’est pas directement transposable en matière de

raisonnement stratégique.

De fait, une réflexion sur l’adaptation des règles d’organisation des sapeurs-pompiers semble

justifiée. J. Nizet et F. Pichault1 ont comparé le rôle tenu par les standards professionnels ou

organisationnels dans deux situations très contrastées : la coordination air/sol dans les

opérations militaires en Afghanistan d’une part, et le suivi d’une grossesse à risque dans un

service de néonatologie.

Ils démontrent qu’en situation de coordination extrême, le rôle des standards dépend de

trois variables :

o L’origine du standard (émanant de l’institution ou d’une communauté

professionnelle),

o Les marges de travail interprétatif laissées aux acteurs,

o Le degré de répartition du pouvoir lié aux capacités d’expertise des acteurs.

Mais, même dotés d’une force modérément contraignante, les standards peuvent être « vus

comme des "investissements de forme", qui aident à réduire la complexité du réel, en en

rendant les composantes plus homogènes et plus faciles à maîtriser. Ils auraient dès lors la

faculté de créer un langage commun entre les différents protagonistes et les conduiraient

désormais à envisager les actions à mener à partir de représentations similaires ».

Une piste intéressante pourrait consister dans un premier temps à travailler sur des

représentations visuelles communes : un officier propose de retenir prioritairement un

référentiel d'informations partagé, s’inspirant du schéma de situation tactique utilisé en PC.

1 J. Nizet et F. Pichault (2011) "L'interprétation des standards en situation extrême : le pouvoir fait-il la différence ?", p. 400

110

Cela coïncide avec l’enseignement de gestion de crise de l’ENSOSP, qui préconise de recourir

à une représentation graphique, sous l’appellation « situation opérationnelle partagée ».

La doctrine établie, il revient à l’organisation de l’enseigner à ses cadres.

La formation des cadres

L'expérience des vraies crises restant faible, l’impératif de formation n’est pas discuté. Il est

intéressant dans un premier temps d’effectuer un tour d’horizon de la façon dont d’autres

corporations que les sapeurs-pompiers décrivent leur façon de répondre à cette nécessité.

- Différentes façons de former les cadres :

La préparation des préfets à la gestion de crise de sécurité civile est abordée lors de

séminaires spécifiques consacrés aux crises interministérielles ou à la communication de

crise. Les sessions sont accessibles aux membres du corps préfectoral en formation continue,

par exemple à l’occasion de leurs prises de fonctions territoriales. Ces formations, dispensées

notamment par le CHEMI et l’INHESJ, mettent l’accent sur la mise en situation des stagiaires,

en se basant sur des cas concrets. De l’avis général des membres du corps préfectoral

rencontrés, les séquences pédagogiques consacrées à ces sujets sont trop courtes pour

permettre un apprentissage réel, qui s’effectuera en réalité sur le terrain.

Les militaires ont déterminé un parcours conduisant aux responsabilités stratégiques : les

officiers militaires débutent leur formation en école inter-armes, puis se spécialisent en école

d'application. Cette formation de base leur permet de préparer un master en trois ans. Elle

repose sur trois piliers :

o Le métier : apprentissage technique (un tiers du temps)

o Le pilier intellectuel : histoire militaire, philosophie et éthique de la décision,

environnement juridique (droit international des conflits)

o Le pilier humain : éducation par le renforcement moral, lié au renforcement

physique. L’objectif de ce dernier pilier est de renforcer à la fois le leadership et

l'esprit de cohésion.

Après des fonctions d’encadrement tactique, les officiers suivent une formation d'état-major,

puis prennent un commandement en tant que chef de corps ou en état-major. Les meilleurs

suivent l'École de Guerre et acquièrent une culture interarmées. Ceux qui sont appelés à

œuvrer à l'interface civilo-militaire suivent les cours de l'institut des hautes études de

défense nationale (IHEDN). Dans le cursus de formation, des étapes à l'international sont

prévues, pour développer la capacité à intégrer un état-major international.

S’agissant des cadres de santé, toutes les formations initiales comprennent depuis 2008 un

module de gestion de crise d'une semaine. La partie « prise de poste en COD » se fait en

partenariat avec l'INHESJ. Le module gestion de crise est également accessible en formation

continue. L’enseignement est basé sur les fiches « action » du plan zonal de mobilisation des

ressources sanitaires, à vocation pédagogique et opérationnelle.

La SNCF dispense à chaque nouveau cadre une formation initiale d’un an, avec des mises en

situation pour monter en compétence. La formation des responsables qui participent à

111

l'astreinte de gestion de crise est basée sur un cycle de deux jours avec de la théorie

(direction de la communication, environnement institutionnel) et des jeux de rôles, associant

parfois des acteurs extérieurs. Ceux qui, en cas de crise, sont affectés à l'information et à la

prise en charge clientèle, reçoivent une formation spécifique. Pour les cadres supérieurs qui

assument les fonctions de « directeur de crise régionale », le cycle de formation des

dirigeants régionaux inclut un volet stratégique. Il prépare à prendre la parole devant des

médias ou des autorités de portée nationale, et à représenter l'entreprise devant les familles

ou les autorités.

Le CNFPT propose aux cadres de la fonction publique territoriale un itinéraire de formation

de « conseiller en management des risques majeurs », composé de modules portant sur les

méthodes d’analyse des risques, les outils de management des risques et les préceptes de

communication de crise. Des modules courts portent plus spécifiquement sur la

communication de crise, la continuité d’activité des systèmes d’information, ou le plan

communal de sauvegarde.

- La formation des officiers sapeurs-pompiers :

La formation des officiers sapeurs-pompiers1, dispensée par l’ENSOSP, est conçue comme un

parcours visant à construire les compétences requises par l’évolution des responsabilités. Les

lieutenants de 2ème classe suivent un enseignement relatif au management, au

commandement opérationnel et à la culture de l’officier. Ce socle est enrichi au fur et à

mesure de l’accès aux grades supérieurs par des modules progressifs. Ainsi, les préceptes de

gestion opérationnelle et de commandement sont adaptés aux fonctions que le stagiaire est

susceptible de tenir sur une intervention. Une sensibilisation aux aspects spécifiques de la

gestion de crise et du fonctionnement interservices est effectuée à partir du grade de

capitaine. Cet enseignement est renforcé pour les officiers aspirant à occuper des emplois de

direction (chef de groupement ou directeur départemental adjoint), qui font l’objet d’une

sélection préalable. Le lien est effectué avec les autres domaines de savoir, tels que le

management stratégique ou la communication.

Les officiers interrogés considèrent dans l’ensemble que l’exercice des missions du « cœur de

métier », notamment la fonction de COS, est correctement préparé par l'enseignement GOC.

Plusieurs estiment toutefois nécessaire de mieux identifier et formaliser le parcours qualifiant

des officiers supérieurs présents aux côtés du préfet en situation de crise.

P. Laclémence propose de se baser sur le concept de « sécurité globale » qui, par

l'intermédiaire d'études universitaires et d'exercices interservices, permet de passer d'une

coopération exceptionnelle (situation de gestion de crise) à une réflexion continue sur la

manière d'aborder les risques de manière globale. Cette évolution requiert d’après lui que

chaque institution accepte la contribution des autres dans son périmètre propre.

Plusieurs officiers expriment leur souhait d’accéder à des cycles de formation ouverts sur

d'autres services. Pragmatiquement, ils suggèrent pour la plupart de prendre en compte

l'offre de formation existante avant de créer une nouvelle unité de valeur. Sont ainsi cités :

1 Arrêté du 30 septembre 2013 relatif aux formations des sapeurs-pompiers professionnels

112

o L’ENSOSP, qui développe déjà de nombreux partenariats avec le monde

universitaire ou au travers du réseau des écoles de service public et qui héberge

le centre national civilo-militaire sur le risque NRBCE

o Le CHEMI : au sein duquel les différentes cultures (préfets, pompiers, policiers,

gendarmes) se retrouvent pour développer une connaissance mutuelle

o L’INHESJ : pour un officier de la BSPP, il serait souhaitable de développer dans le

domaine de la sécurité civile une « école de la connaissance des autres », à

l’instar de l’École de Guerre, qui est interarmes. Il considère que l'INHESJ

contribue à sa façon à améliorer cette connaissance mutuelle

o Le CNFPT : pour un DDSIS, les cycles de l'institut national des études territoriales

(INET), management stratégique dans un premier temps, puis cycle des

directeurs généraux après quelques années en tant que DDSIS, forment

efficacement à la complexité

o Le cursus européen de formation à la sécurité civile : selon un officier interrogé,

ce parcours, qui permet la capitalisation de l'expérience à l'échelle internationale

et la confrontation à des cultures différentes, pourrait utilement être intégré à la

formation de DDA

o Des sessions ponctuelles de formation interservices : plusieurs officiers relatent

leur participation à des sessions ponctuelles de formation sur la gestion

interministérielle de crise, basées sur des exercices ciblant particulièrement la

communication de crise, l'organisation du COD, ou la constitution d'un réseau de

conseillers techniques. Dans l’ensemble, ils trouveraient intéressant de généraliser

ce type de formations, impliquant tous les services présents au COD, où chaque

service présenterait ses contraintes, ses capacités, ses modes de fonctionnement.

Certains estiment qu’un officier sapeur-pompier un peu extérieur (ENSOSP,

Inspection,..) pourrait être légitime pour conduire cette action.

Les propositions sont en partie formulées comme s’inscrivant dans la réflexion relative à la

mise en place d’emplois supérieurs de direction dans la filière « sapeurs-pompiers ». Un DOS

considère que la formation des officiers supérieurs doit s'inscrire dans la gestion de crise

davantage que dans la gestion des opérations de secours, qui doit selon lui d’ores et déjà

être maitrisée aux niveaux capitaine et commandant. Il suggère que les chefs de

groupements rencontrent à l'ENSOSP des intervenants de tous les horizons, et préconise que

la formation des DDA se fassent quant à elle pour 20% à l'ENSOSP et pour 80% en

immersion dans d'autres services, notamment en cabinet préfectoral. Cette suggestion

d’immersion en cabinet préfectoral pendant la formation de DDA est reprise par plusieurs

officiers consultés.

Les pistes évoquées présentent plusieurs points de convergence avec les orientations

figurant dans la déclinaison du pacte de sécurité civile pour l’ENSOSP, datant de 20141. Il y

1 Conseil d'Administration de l'ENSOSP (2014), "Déclinaison du pacte de sécurité civile pour l’ENSOSP"

113

était fait état d’une proposition de formation longue de 32 semaines, calquée sur le modèle

« École de Guerre » et accessible sur sélection renforcée. Une première partie était centrée

sur le niveau départemental et comprenait un module « conseiller technique du directeur des

opérations ». La deuxième partie était orientée sur le niveau zonal et se consacrait à la

gestion des crises zonales et à l’inter-ministérialité. Un troisième niveau, national, s’organisait

en lien avec l’INHESJ et le CHEMI et ouvrait à l’international. L’ingénierie de formation

s’appuyait sur une coopération renforcée avec des partenaires universitaires ou membre du

réseau des écoles de service public. Ce projet, qui n’en était qu’au stade de l’ébauche, est

tributaire des évolutions statutaires relatives à la création d’une catégorie A+ de sapeurs-

pompiers professionnels.

- Vers une spécialisation ?

En dehors de ses modalités et de son contenu, la formation des officiers sapeurs-pompiers

suscite des interrogations relatives à l’identification des cadres à former.

Au regard des relations personnelles de confiance qui doivent s’établir avec le DOS, un

officier juge préférable d'orienter la formation « gestion de crise » vers les DDSIS ou DDA,

voire les chefs de groupement très expérimentés et habitués à travailler au quotidien avec

les services de la préfecture.

Le choix de la spécialisation est effectif ou envisagé dans d’autres organisations que les

SDIS. Est ainsi évoquée, pour les cadres de santé, une volonté de professionnaliser la filière

« situations sanitaires exceptionnelles », en partenariat avec l'ENSOSP. La SNCF a opté

pour la mise en place d’un réseau d'acteurs dédiés, qui connaissent les procédures. Le but

est de développer la pratique et l'expertise des intervenants qui, regroupés sur des plateaux

communs régionaux, se connaissent mutuellement.

L’hypothèse d’une sélection parmi les officiers pour n’en former que certains à la gestion de

crise n’est pas sans soulever de nombreuses questions : en pratique, les SDIS de

départements ruraux doivent, malgré un encadrement peu nombreux, assurer la

permanence de la réponse. A l’inverse, dans les SDIS mieux dotés, il paraît délicat d’éloigner

des fonctions stratégiques de gestion de crise une partie de l’encadrement qui peut

légitimement aspirer à les exercer. Plus fondamentalement, l’évitement ou le management

de la situation de crise suppose que l’ensemble des membres de l’organisation se sentent

personnellement impliqués.

La préparation opérationnelle

Pour prolonger efficacement la formation, le programme d’entrainement doit remplir

plusieurs conditions.

Avant tout, il doit naturellement être interservices, tant dans sa préparation, sa réalisation

que son exploitation.

Il doit ensuite conserver un ancrage dans la réalité, permettant une réelle compréhension

des contraintes respectives de chaque service. Plusieurs officiers sapeurs-pompiers évoquent

le caractère contre-productif des exercices « démonstrations », avec pré-mobilisation de

moyens qui feraient défaut en réalité. Dans le même esprit, les acteurs interrogés jugent

indispensable, lors des simulations, d’utiliser les outils (notamment les systèmes

d’information collaboratifs) qu’ils utiliseraient en situation réelle. Ils y voient un gage de

fiabilité et un moyen d’appropriation.

114

Enfin, un observateur souligne que les exercices ne valent que si on mesure l'écart entre la

cible et l'effet obtenu. Le but de l'exercice, c'est de réduire cet écart, ce qui suppose

l'existence préalable d'une grille d'évaluation. La seule valeur ajoutée de l'exercice, ce sont

les enseignements qui en sont tirés.

Les entrainements peuvent ainsi constituer une source précieuse d’informations. JL. Wybo1

les décrit ainsi : « Sur une série d’exercices, des observateurs extérieurs ont été placés afin

d’observer et d’analyser comment les acteurs géraient ces exercices. Ces analyses ont

permis de faire apparaître que les acteurs vont souvent au-delà des procédures qui décrivent

leurs activités ; ils mettent en place des activités de communication et de coordination avec

les autres acteurs (au sein de l’organisation et avec d’autres) et ils adaptent leur activité au

contexte réel dans lequel ils se trouvent plongés. Si le débriefing de l’exercice est centré sur

la stricte application des procédures et des plans, de telles déviations sont mal perçues et

souvent non mentionnées par les participants. Mais si l’on se replace dans le contexte de la

prévention des crises, ces déviations par rapport aux procédures prévues sont des

indicateurs de l’aptitude des acteurs à s’adapter aux difficultés et par là-même, elles révèlent

à la fois le besoin d’adaptation des procédures et la capacité des acteurs et de l’organisation

à éviter la crise ».

Un officier insiste sur la contribution des exercices à la résilience de l’organisation : ils

doivent être l’occasion d’évaluer les facultés d’adaptation des participants, et d'identifier les

modes de fonctionnement dégradé. Se maintenir en capacité de s’affranchir d’une défaillance

technique est une préoccupation largement partagée par les sapeurs-pompiers interrogés,

qui évoquent la faiblesse du réseau de téléphonie mobile ou la garantie que représente

l’envoi d’un officier de liaison pour rester connecté avec un centre opérationnel.

D’une manière générale, les exercices correctement exploités peuvent alimenter

l’autoévaluation de la vulnérabilité de l’organisation2. Ils contribuent en ce sens à la

capitalisation de l’expérience.

La capitalisation de l’expérience

Contrairement aux situations récurrentes, la spécificité de la crise complique le retour

d’expérience, à tel point que certains interlocuteurs en concluent que « l'expérience de

situations par définition hors normes ne se partage pas vraiment ».

Cette caractéristique peut expliquer que la formalisation de la démarche soit relativement

inégale selon les organisations.

- La formalisation du retour d’expérience :

En gendarmerie, le retour d’expérience peut prendre la forme d’un fil de discussion ouvert

par la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Un gendarme cite l’exemple

des événements de Collobrières en juin 2012, où deux gendarmes féminins avaient été

abattus lors d'une intervention pour régler un différend. Un même dispositif a été activé lors

des destructions de portiques écotaxes en 2013, pour partager des renseignements tactiques

sur les modes opératoires des activistes.

1 J.L. Wybo (2012), "Gestion des connaissances et apprentissage pour la maîtrise des risques et des crises", p. 2 2 J.L. Wybo (2010), "L’évaluation de la vulnérabilité à la crise : le cas des préfectures en France", p. 192

115

En ce qui concerne le corps préfectoral, nous avons interrogé les DOS sur les vecteurs leur

permettant de bénéficier de l’expérience de leurs pairs.

Vous bénéficiez de l’expérience de vos pairs par :

1. La formation initiale ou continue sur des cas concrets

2. Les échanges informels avec des collègues ayant vécu des situations particulières

3. L’accès à des dossiers de retour d’expérience

4. Le parrainage ou coaching par un collègue plus expérimenté

5. La participation à des conférences ou séminaires

6. La lecture d’ouvrages ou d’articles professionnels

De manière générale, les DOS jugent que la pratique du retour d’expérience est peu

formalisée dans le corps préfectoral. Les deux dernières propositions (participation à des

séminaires et lecture d’ouvrages ou articles professionnels) n’obtiennent d’ailleurs qu’un tiers

d’avis favorables. Mais cette situation évolue notamment en ce qui concerne l'ordre public :

des actions de formation sont prévues sous l'égide du corps d'inspection des préfets.

Interrogés de la même manière, nombreux sont les officiers sapeurs-pompiers qui

n'identifient pas de démarche formalisée pour accéder au retour d'expérience. Pour la

plupart, il s'agit d'une démarche individuelle et informelle d'accès aux informations sur les

crises précédentes. Faute d’appropriation d’outils pourtant existants au niveau national1, la

capitalisation de l'expérience se fait essentiellement en interne au SDIS, et les échanges sur

les bonnes pratiques sont très peu formalisés.

- L’exploitation du retour d’expérience :

L’exploitation du retour d’expérience varie également selon les structures.

Pour un militaire interrogé, « Les expériences individuelles ne servent qu'à faire évoluer les

structures. L'expérience personnelle devient un élément d'organisation : on n'apprend pas au

suivant (même s'il y a toujours des échanges informels), mais on lui remet un outil actualisé

et amélioré en fonction des dernières connaissances disponibles ». Le postulat retenu est

que l'échange d'expériences personnelles n'est pas le moyen le plus pertinent, dans la

mesure où on ne vit jamais deux fois les mêmes choses. En revanche, les enseignements

triés et recoupés, puis traités pour faire évoluer la doctrine et la planification, sont utiles.

Dans le domaine de la santé publique, le retour d’expérience influe sur l’organisation : le

rapport final, rédigé en 2007 après la crise du Chikungunya, a abouti à la création du centre

opérationnel de réponse et de régulation des urgences sanitaires et sociales (CORRUSS).

Cette instance constitue le point d'entrée unique du ministère de la Santé en cas de situation

sanitaire exceptionnelle ou de crise. De même, c’est suite à un problème de prise en charge

d'un accident grave, survenu à un agent du dispositif de lutte contre le Chikungunya, qu’a

été créé l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). Il

permet de donner un cadre statutaire à la mobilisation de personnels de santé dépendant en

temps normal d'établissements de soin.

1 Guide méthodologique "La conduite du retour d’expérience, éléments techniques et opérationnels", (juillet 2006), MIAT/DDSC/SDGR/BAPC

116

Concernant les sapeurs-pompiers, la prise en compte du retour d’expérience, par

l’administration centrale comme par les SDIS, a permis des avancées significatives en termes

d’organisation, de planification et de sécurité individuelle et collective.

Pour autant, plusieurs officiers identifient des marges de progrès : ils estiment qu’il manque

une réelle déclinaison en termes de plans d'actions et de moyens à l'issue des retours

d’expérience. Des améliorations sont également attendues en matière de diffusion des

enseignements. A ce titre, plusieurs ressources sont citées : le bureau « planification,

exercices et retour d’expérience » de la DGSCGC, le portail national des ressources et savoirs

de l’ENSOSP, ou la réflexion en cours sur la mise en commun des bases de données des

SDIS sur la plateforme InfoSDIS (projet « Data SDIS »).

D’autres organisations rencontrent les mêmes difficultés : le cadre, qui a géré pour la SNCF

le retour d’expérience national consécutif à l’accident de Brétigny-sur-Orge en 2013,

considère que « la boucle d'amélioration continue gagnerait à être complétée par une

meilleure diffusion des enseignements ».

Les militaires disposent quant à eux d’une structure plus étoffée : « Les éléments de la

direction du retour d'expérience sont accessibles en ligne ».

Ce partage de l’information est un des éléments constitutifs de l’apprentissage

organisationnel, que la structure doit promouvoir.

La promotion de l’apprentissage organisationnel

- Des modes alternatifs de transmission des connaissances :

La mise à disposition de l’information peut prendre des formes pédagogiques alternatives,

plus informelles, à l’exemple de ce que pratique le corps préfectoral.

Les témoignages des DOS à ce sujet sont éloquents :

o « Le métier de préfet est un métier de compagnonnage : tout préfet

"normalement constitué" s'attache à former ses jeunes collègues : il ne laisse pas

seul un jeune directeur de cabinet »

o « Le préfet en poste en Vendée au moment de la tempête Xynthia a fait un

exposé de retour d'expérience à l'Assemblée Nationale. Le préfet du Var a

rassemblé ses collaborateurs (dont moi) pour visionner cet exposé et échanger

collectivement. Quelques semaines plus tard, les inondations survenaient dans le

Var. Cet échange préalable avec mes collègues, initié par mon préfet de sa propre

initiative, a été déterminant : au moment de la crise, j'étais isolée du fait de la

rupture des moyens de communication, mais je savais comment le préfet et mes

collègues avaient prévu de réagir »

o « Le parrainage des jeunes préfets est une bonne pratique. Dans le corps

préfectoral, cela relève d'initiatives individuelles de préfets de région

expérimentés au profit de jeunes préfets de département. Cette pratique me

semblerait particulièrement intéressante à développer pour les jeunes DDSIS ».

Ces modes de transmission des connaissances semblent se généraliser : l’école des hautes

études en santé publique propose des séances de coaching de trois jours dans les ARS, qu'il

117

est prévu d'étendre à destination des CHU. Au sein de la BSPP, un comité de pilotage se

réunit une fois par semestre. Il passe en revue les interventions les plus importantes. Le

comité est composé du général commandant la BSPP et de son adjoint, des chefs d'état-

major opérationnel (fonction d’astreinte opérationnelle la plus élevée), des commandants de

groupement. La formation continue des DDSIS et DDA, par les échanges auxquels elle donne

lieu, s’inscrit également dans cette démarche.

Pour JL. Wybo, « Les personnes qui ont participé à un événement ont acquis "un atome

d'expérience". Leur apprentissage individuel les conduit à raisonner par analogie avec ce

qu'ils ont déjà rencontré. L'apprentissage organisationnel, c'est la capacité à collecter ces

"atomes d'expérience", pour les valoriser positivement (promouvoir) ou négativement

(contredire). Cela suppose une capacité managériale à partager la connaissance mais

également à libérer la parole ».

- La nécessité d’une « culture juste » :

L’organisation endosse par conséquent une responsabilité supplémentaire : il lui est

demandé d’instaurer une "culture juste"1, fondée sur la distinction entre le droit à l'erreur et

la sanction de la transgression volontaire. Le Code de l’Aviation Civile2 en donne une

illustration. Il prévoit qu’ : « aucune sanction administrative, disciplinaire ou professionnelle

ne peut être infligée à une personne qui a rendu compte d'un accident ou d'un incident

d'aviation civile (…) qu'elle ait été ou non impliquée dans cet accident, incident ou

événement, sauf si elle s'est elle-même rendue coupable d'un manquement délibéré ou

répété aux règles de sécurité ».

Pour les militaires, le droit à l'erreur correspond à un impératif de réactivité opérationnelle.

Par exemple, en Afghanistan, le risque lié aux engins explosifs improvisés a conduit les

responsables à demander du matériel de protection plus performant. On peut considérer que

c'est une erreur de la planification, qui n'a pas correctement évalué le risque que

représentaient ces dispositifs. En fait, la véritable erreur serait de ne pas s'adapter.

Un officier sapeur-pompier estime que « nous avons peur de l'échec, car nous ne sommes

culturellement pas programmés pour gérer l'échec. Le mythe du sauveur fait que le chef des

pompiers a encore moins le droit de se tromper. Le droit à l'erreur doit pourtant être

considéré comme un moyen de limiter les conséquences des inévitables défaillances ».

- La perception du but ultime :

L’organisation doit même intégrer la défaillance dans ses processus, en définissant

expressément ses buts ultimes et en construisant ainsi le sens que doivent donner ses

membres à leur action. P. Silberzahn donne l’exemple du corps américain des

« Marines » : la première partie de leur formation vise à apprendre l'obéissance. La seconde

vise à apprendre à se comporter en l'absence d'ordre, ce qui nécessite de comprendre

l'intention et de disposer d'une marge d'autonomie. Il est d’ailleurs significatif d’entendre un

militaire français exprimer que « La discipline ne sert que dans l'imprévu, pour faire admettre

immédiatement de faire des choses éventuellement contraires au plan ». La formulation de

l’intention générale répond dans ce cadre à une nécessité opérationnelle : pour les militaires,

1 S. Dekker (2012), "Just Culture, Balancing Safety and Accountability" 2 Article L 722-3 du code de l’aviation civile

118

l'élément isolé de sa base arrière est une situation récurrente et prévue. C'est pour cette

raison que la formation du militaire vise à lui donner la maîtrise de son niveau d'action, la

connaissance du niveau n+1 et la compréhension du niveau n+2. En cas de coupure du lien

avec son donneur d'ordre, le militaire doit pouvoir se référer à sa formation de base,

notamment éthique, et à l'esprit de la mission.

La production de sens par l’organisation (ou « sense-giving ») se rattache à la notion de

management par le sens. Elle se distingue du « sense-making » dont « l’objectif est plutôt la

création d’une vision commune co-construite par toutes les parties en présence à partir de

leurs propres représentations1 ». En situation de crise, ces deux concepts sont mobilisés : le

cadre doit être imprégné du sens général de sa mission, fixé par sa structure d’origine. Mais

il doit également être capable de produire, avec les acteurs aux côtés desquels il affronte

l’événement, un sens partagé qui amène les individus à s’engager dans l’action.

L’avancement de notre analyse nous permet désormais de vérifier notre seconde hypothèse

de recherche : « En situation de crise, l’officier sapeur-pompier doit mobiliser des

compétences spécifiques pour contribuer efficacement à l’émergence d’une décision

stratégique ».

Figure 31 : Fonctions et compétences mobilisées en situation de crise

1 C. Perrin (2015), "Le rôle et la posture d’un manager dans la co-production de sens commun", p. 10

119

Nos constats indiquent qu’en situation de crise, les fonctions effectivement

tenues par les officiers sapeurs-pompiers ne se limitent pas à celles prévues par

la réglementation : le contexte particulier confère, au moins pendant la phase

d’urgences radicales, un poids significatif à leur rôle de conseiller technique du

DOS. Des circonstances exceptionnelles peuvent même aboutir à ce que des choix

tactiques génèrent des conséquences stratégiques.

En configuration de crise, les officiers sapeurs-pompiers doivent avant tout

s’appuyer sur leur socle de compétences, acquises au quotidien.

En ce sens, nous estimons que notre étude ne confirme que partiellement notre

seconde hypothèse. En effet, quelques compétences peuvent être considérées

comme spécifiques à la situation de crise, comme par exemple l’aptitude à établir

une relation de confiance intuitu personae ou la capacité à sortir du cadre. Mais la

grande majorité des compétences requises est en réalité le fruit de l’adaptation et

de l’extension des savoirs quotidiens.

Figure 32 : Construction des compétences mobilisées en cas de crise

La construction des compétences mobilisées en situation de crise ne peut être

obtenue sans l’implication personnelle des officiers, dans la mesure où une

remise en question et un réel travail sur soi sont indispensables.

Pour sa part, l’organisation dans laquelle les officiers évoluent se doit

fondamentalement de produire un ensemble de règles de coordination et de les

leur enseigner. Mais la nature même des aptitudes à développer nécessite d’aller

au-delà : la préparation opérationnelle, la démarche collaborative, la diffusion des

bonnes pratiques, le management par le sens doivent constituer un

environnement propice à l’apprentissage organisationnel et à l’amélioration

continue.

120

C’est dans cet objectif d’optimisation de la contribution des officiers sapeurs-pompiers au

raisonnement stratégique que nous allons à présent formuler les préconisations ci-après.

3.2 Formulation de préconisations

3.2.1 Référentiel pris en compte

Les préconisations qui suivent concernent majoritairement les SDIS, même si certaines, de

portée nationale, impliquent des structures telles que la DGSCGC ou l’ENSOSP.

Le pragmatisme nous conduit à éviter au maximum de proposer des mesures spécifiques à la

gestion de crise, qui auraient peu de chances d’être connues et maîtrisées au regard du

caractère heureusement exceptionnel de la crise avérée. Nous avons privilégié l’intégration

de dispositions dans le système de management global du SDIS. De même, nous avons

veillé à ce que les propositions tiennent compte des différences de situations objectives selon

la taille du département et les moyens de son SDIS.

Le souci du réalisme se traduit par la recherche de dispositions pratiques, qui ne génèrent

pas de nouvelles contraintes pour les SDIS. A tout le moins, elles prévoient des modalités de

compensation possibles, comme l’intégration ou la substitution aux actions actuellement

menées. L'objectif général consiste dans la prise de conscience de ce que le SDIS fait déjà,

et non dans l’extension indue de ses missions.

Par ailleurs, les développements ci-après tiennent compte du contexte dans lequel ils

s’inscrivent, comprenant notamment le dispositif général de planification ORSEC, la réforme

territoriale en cours, la réflexion sur la création d’emplois supérieurs de direction dans la

filière « sapeurs-pompiers professionnels » ou les mécanismes d’intégration européenne.

Volontairement, les préconisations formulées ne se limitent pas à la participation de l’officier

sapeur-pompier au raisonnement stratégique en situation de crise.

D’une part, il est abondamment démontré que ce qui se joue en situation de crise est

amplement déterminé par ce qui s’est préparé auparavant.

D’autre part, il nous paraît essentiel d’éviter l’effet de fascination que pourrait exercer la

crise : la meilleure contribution de l’officier de sapeur-pompier à la gestion de la crise, c’est

de participer à ce qu’elle n’éclose pas. Son rôle dans la gestion quotidienne et dans la phase

d’évitement de la crise est par conséquent déterminant.

Cette dernière considération, en ce qu’elle rappelle le caractère éminemment indésirable de

la crise, nous a conduit à recourir au modèle du type « papillon », emprunté au cours du

colonel Trépos sur le management intégré de la qualité :

121

Figure 33 : Retour d’expérience du SDIS 79 sur la mise en œuvre d’un système de management intégré - Y. Trépos (2015)

Nous évoquerons donc successivement les catégories suivantes :

o Précaution : mesures intégrées dans le management global du SDIS et qui, sans

être spécifiques à la gestion de crise, sont susceptibles d’y contribuer

o Prévention : mesures « barrières », visant à éviter qu’une situation de

déséquilibre ne débouche sur une crise

o Protection : mesures cherchant à optimiser le management de la situation de

crise

o Réparation : mesures visant à compenser les événements indésirables

secondaires générés par la crise

o Régulation : mesures d’apprentissage destinées à tirer les enseignements de la

crise.

3.2.2 Avant la crise

3.2.2.1 Mesures de précaution

Affirmer les valeurs et principes d’action du SDIS

Les documents structurants du SDIS, dont le projet stratégique ou l’éventuelle charte des

valeurs, doivent permettre au lecteur de prendre conscience du rôle sociétal du SDIS en

matière de prévention et de gestion des crises, en établissant le lien avec son action

quotidienne. Peuvent ainsi être mises en avant des valeurs telles que l’engagement, le

122

respect, la solidarité, l’ouverture aux autres, la loyauté. L’engagement personnel du DDSIS

constitue la base permettant à chaque membre de l’organisation de se sentir concerné.

Les grands principes d’action du SDIS, en même temps qu’ils donnent un sens à la mission,

permettent à chacun d’avoir un cap en cas de situation extrême empêchant de tracer un

cadre d’ordre précis.

Instaurer un management propice à l’apprentissage organisationnel

La capacité d’apprentissage organisationnel du SDIS est une source d’amélioration continue

au quotidien et de résilience en situation dégradée. Elle suppose que soit favorisées un

ensemble de pratiques managériales, inspirées des principes de haute fiabilité

organisationnelle, déjà présents dans certains enseignements de l’ENSOSP. La libre

circulation de l’information est ainsi encouragée, sous réserve des dispositions relatives au

secret, à la protection des données ou à la confidentialité que peut requérir le dialogue

social.

Le principe de non punition des erreurs – et son indispensable corollaire, la punition des

fautes intentionnelles - favorise l’échange d’informations pertinentes.

Les cadres sont invités, dans l’exercice de leurs responsabilités, à mettre l’accent sur le

soutien et l’encouragement des initiatives. Plus que sur la structure de l’organisation, ils

focalisent leur attention sur les processus. Ils s’attachent à les déployer dans la concertation,

en combinant des lignes claires d’autorité avec des marges d’autonomie laissées aux acteurs.

Le maillage territorial est valorisé comme une source d’enrichissement, les compétences

détenues par les sapeurs-pompiers volontaires à titre professionnel ou personnel sont mises

à contribution.

Chaque nouvel arrivant sur une fonction de responsabilité rédige un « rapport

d’étonnement » dans les trois mois suivant sa prise de poste afin de faire bénéficier la

structure de son regard neuf.

Assumer le rôle particulier de l’officier sapeur-pompier en matière de gestion de crise

Les interventions quotidiennes témoignent d’un réflexe de recours aux sapeurs-pompiers en

situations dégradées et souvent atypiques. Cette propension se manifeste également dans

les circonstances de gravité exceptionnelle.

La réponse apportée par les sapeurs-pompiers, majoritairement appréciée de la population

et des autorités, ne peut pas se baser uniquement sur l’improvisation et la bonne volonté.

Comme tous les acteurs recensés dans le plan ORSEC1, le SDIS se doit de préparer sa propre

organisation de gestion de l’événement. La nature particulière de ses missions l’oblige en

outre à une certaine forme d’exemplarité.

Les officiers sapeurs-pompiers, prenant conscience de la responsabilité particulière que la

société leur attribue en matière de résilience, doivent investir plus méthodiquement le

domaine du management des situations de crise, en se basant notamment sur leur

expérience quotidienne. Au niveau départemental, le projet stratégique du SDIS peut inclure

un rôle plus affirmé dans le conseil aux élus communaux ou départementaux (par exemple,

1 Article 1er du décret n° 2005-1157 du 13 septembre 2005 relatif au plan ORSEC

123

soutien au test des plans communaux de sauvegarde, ou aide à l’élaboration du plan de

continuité du Conseil Départemental). La création des emplois supérieurs de direction peut

être un moyen de développer la fonction de conseiller technique en sécurité civile aux

différents échelons de l’État. Le rôle de l’ENSOSP dans la formation interministérielle à la

gestion de crise de sécurité civile doit être conforté.

Établir une relation de confiance avec les partenaires du SDIS et en premier lieu avec

les autorités en charge de la direction des opérations de secours

La constitution de réseaux efficaces, mobilisables en situation de crise, nécessite de saisir

toutes les opportunités pour améliorer la connaissance mutuelle et personnelle des

responsables départementaux : formalisation de partenariats, séances de travail sur des

centres d’intérêt communs, cérémonies officielles, immersions réciproques, etc. L’élaboration

des contrats territoriaux de réponse aux risques et aux effets des menaces (COTRRIM)1,

outils interministériels d’analyse partagée des risques, nous semble à ce titre constituer une

occasion d’échanges potentiellement riches.

Cette préoccupation doit également se manifester au sein de la profession des sapeurs-

pompiers : la connaissance préalable des officiers susceptibles d’œuvrer dans les différentes

structures de coordination opérationnelle (CODIS, PCO, COD, COZ, COGIC) facilite

grandement les ajustements mutuels. L’EMIZ joue en la matière un rôle déterminant.

Le lien de confiance avec les membres du corps préfectoral passe notamment par la tenue

effective des rencontres hebdomadaires préconisées par le ministre de l’Intérieur. Pour

apporter une réelle plus-value au préfet, ces entretiens gagneront à être préparés sur la

base d’une trame-type, permettant, au-delà des chiffres d’activité opérationnelle, de

renseigner le préfet sur la prévention des risques de sécurité civile, sur le rôle que le SDIS

joue en la matière au centre d’un réseau d’acteurs qu’il fédère et sur les points stratégiques

de la vie de l’établissement public.

Par ailleurs, il convient de limiter le nombre d’officiers en relation directe avec les membres

du corps préfectoral dans le cadre de l’astreinte opérationnelle. Le nombre à retenir doit

permettre de garantir la continuité de fonctionnement sans multiplier les interlocuteurs, pour

ne pas nuire à l’établissement d’une relation interpersonnelle.

3.2.2.2 Mesures de prévention

Privilégier la transversalité dans le fonctionnement des COD

L’objectif général du COD est de parvenir à une co-construction de la décision. Par

conséquent, plutôt que de s’organiser à partir d’un découpage par « métiers » (sapeurs-

pompiers, police ou gendarmerie, ARS, etc.), nous préconisons de décloisonner en retenant

des pôles thématiques (ordre public, protection des populations, etc.) avec un rapporteur par

pôle. Transposer le fonctionnement de la CIC, basé sur des cellules « Situation »,

« Décision », et « Communication », renforcerait le décloisonnement. Cette solution doit

1 "Guide méthodologique d’aide à la mise en place du Contrat Territorial de Réponse aux RIsques et aux effets des Menaces (COTRRIM)" (juin 2015), DSCGC. Expérimentations en cours dans les Zones de Défense et de Sécurité Ile-de-France et Sud-est.

124

toutefois être mesurée au regard des capacités des services représentés : la subdivision de

la cellule « Situation » en pôles (par exemple : renseignement, moyens, anticipation,

expertise, synthèse) peut en effet nécessiter la présence simultanée de plusieurs

représentants d’un même organisme pour armer les différentes fonctions.

Quel que soit le mode retenu, une cellule décision doit permettre au DOS de s’isoler avec ses

plus proches collaborateurs, parmi lesquels figure le DDSIS (ou le DDA en son absence).

Instaurer un référentiel interservices inspiré des préceptes de gestion opérationnelle et

commandement

La transversalité serait grandement facilitée par l’élaboration d’un référentiel commun. Il

nous paraît compatible que ce référentiel s’inspire du GOC, pour s’appuyer sur l’acquis qu’il

représente chez les sapeurs-pompiers, tout en étant ouvert aux autres utilisateurs. Cela

nécessite de s’en tenir aux points essentiels (situation actuelle, situations envisageables,

objectif du DOS, solutions pour y parvenir, compte-rendu), organisés selon un cycle itératif.

La représentation des éléments principaux sur un fond cartographique faciliterait

l’appropriation, sans nécessiter absolument un code visuel formaté. C’est l’esprit des

schémas de « situation opérationnelle partagée », recommandés lors des exercices de

gestion de crise organisés par l’ENSOSP.

En complément, une trame-type permettrait au responsable de la cellule de crise d’optimiser

ses points de situation. Nous reprendrons par exemple le modèle « STICC", cité par C.

Ratinaud :

o Situation : « voici la situation telle que je me la représente »

o Tâche : « voici ce que je pense que nous devrions faire »

o Intention : « voici pourquoi »

o Préoccupations : « voici les difficultés que je pressens et les incertitudes »

o Communication : « Dites-moi si vous ne comprenez pas, quelles sont vos

difficultés et les choses que je n’aurais pas vues. »

Formaliser les missions confiées aux officiers sapeurs-pompiers affectés en centre

opérationnel

Nous préconisons d’identifier deux niveaux de participation au COD : le premier consiste

dans la présence en salle de situation d’un officier formé au renseignement, à l’anticipation

et à la tenue d’une représentation graphique de la situation stratégique. Ces fonctions

peuvent être correctement préparées par l’unité de valeur de chef de colonne (GOC4),

moyennant quelques adaptations qui peuvent être introduites dans le module « Gestion de

Crise » dispensé aux capitaines.

Le second niveau de représentation du SDIS correspond au rôle de conseiller technique du

DOS : participation au diagnostic stratégique, synthèse des enjeux, contribution à

l’élaboration de la décision et à son évaluation. Ce rôle s’adresse à des officiers supérieurs

titulaires d’emplois de direction et requiert une préparation spécifique.

Cette clarification doit à nos yeux s’accompagner d’une formalisation, dans la planification

ORSEC, du concept de « service menant », avec les conséquences qu’il emporte en termes

de répartition des rôles.

125

En outre, la définition précise des rôles attendus des officiers sapeurs-pompiers au COD

nécessite plus largement qu’une action similaire soit engagée au sujet des fonctions d’officier

CODIS, de chef COZ, ou d’officier de liaison du COZ. Le rôle de l’officier CODIS doit faire

l’objet d’une attention particulière. Son rattachement initial à des missions techniques de

transmission est largement dépassé. Il importe désormais d’ancrer son action au sein de la

chaîne d’information et de commandement, en établissant un lien avec les unités de valeur

de GOC et de gestion des crises.

Préciser le rôle du DDSIS en matière de gestion des crises

Le DDSIS (ou en son absence le DDA) a un rôle pluridimensionnel : COS, conseiller

technique du DOS, interface avec les élus. La supervision directe du dispositif de sapeurs-

pompiers déployés sur le terrain n’est pas compatible avec la présence du DDSIS aux côtés

du DOS, à nos yeux pourtant incontournable en situation de crise avérée.

Nous proposons que soit officialisée la possibilité pour le DDSIS, lorsque les circonstances lui

imposent d’assurer personnellement la fonction de conseiller technique du DOS, de déléguer

le commandement tactique (et les prérogatives associées) à un officier désigné dans les

conditions définies par le règlement opérationnel.

L’article 1424-43 du CGCT pourrait être ainsi complété : « Le commandement des opérations

de secours relève, sous l'autorité du préfet ou du maire agissant dans le cadre de leurs

pouvoirs respectifs de police, du directeur départemental des services d'incendie et de

secours ou, en son absence, d'un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, officier, sous-

officier ou gradé, dans les conditions fixées par le règlement opérationnel. Si les

circonstances rendent nécessaires sa présence aux côtés du directeur des opérations de

secours, le directeur départemental des services d’incendie et de secours peut déléguer le

commandement tactique, et les prérogatives qui y sont associées en vertu de l’article L1424-

4, à un sapeur-pompier désigné dans les conditions fixées par le règlement opérationnel ».

Cette formulation présenterait l’avantage de conserver au DDSIS le rôle de COS, même en

l’absence d’exercice direct du commandement tactique. Sur une crise de sécurité civile, le

DDSIS, en tant que COS, demeurerait le collaborateur privilégié du DOS et conserverait la

capacité de mise en œuvre de tous les moyens publics et privés mobilisés pour

l'accomplissement des opérations de secours.

Cette sanctuarisation du binôme DOS/COS nous paraît d’autant plus importante qu’elle

pourrait inspirer les modes de fonctionnement sur des crises de nature différente : le

« directeur des opérations1 » désignerait « commandant des opérations » le responsable du

service dont la mission constitue la vocation principale de l’opération. Le parallélisme des

formes, quelle que soit la nature de la crise (sécurité civile ou ordre public), conforterait la

légitimité du COS sur les crises de sécurité civile.

1 Formulation employée dans la circulaire du 8 juin 2015 sur les responsabilités du préfet en cas de crise (Annexe 5)

126

Élaborer un parcours qualifiant préparant les emplois de direction à la fonction de

conseiller technique du DOS

La tenue de la fonction de conseiller technique du DOS suppose une préparation intégrée

dans les formations conduisant aux emplois de direction. Certains enseignements sont déjà

dispensés : la prise en compte du facteur humain, la présentation des outils d’analyse

stratégique, les mécanismes de prise de décision. Nous proposons en complément que soit

ouverte au stagiaire l’opportunité d’un travail sur soi, sur des questions relatives à l’éthique,

la déontologie, les points d’ancrages personnels, le rapport à l’autorité et à l’altérité. Ce

contenu, particulier, pourrait nécessiter le recours à des méthodes alternatives

d’apprentissage, comme le coaching.

Nous suggérons également que soit programmées, dans la formation de DDA, des périodes

d’immersion en cabinet préfectoral, avec production d’un rapport sur une question d’ordre

managérial ou en lien avec les risques de sécurité civile posée par la préfecture d’accueil.

Les ajouts évoqués ne devant pas exercer une pression inflationniste sur les durées de

formation, nous proposons que l’augmentation induite du contenu de formation soit

compensée par le transfert de certains enseignements en e-learning (cours en ligne de type

"MOOC" sur les fondamentaux de l’analyse stratégique par exemple).

Des sessions de formation continue pourraient en outre réunir des DOS et des COS. Elles

s’inspireraient de ce que l’ENSOSP pratique déjà en partenariat avec le CNFPT pour former

conjointement les élus locaux et leurs cadres territoriaux sur les plans communaux de

sauvegarde.

Ces propositions doivent s’inscrire dans la réflexion globale sur la création d’emplois

supérieurs de direction et sur l’évolution des programmes de l’ENSOSP, consécutive à

l’élaboration des référentiels emplois, activités et compétences des officiers.

Jouer un rôle moteur dans l’actualisation et l’optimisation du dispositif ORSEC

La participation active du SDIS à l’actualisation du dispositif ORSEC départemental constitue

un moyen d’orienter la rédaction des plans sous une forme directement exploitable ou de

proposer des outils pragmatiques : règles relationnelles entre acteurs du COD, liste

mnémotechnique facilitant l’organisation des points de situation, identification de modes de

fonctionnement dégradé en cas de perturbation des réseaux, etc.

La réflexion collective sur la planification opérationnelle représente également une

opportunité d’améliorer la connaissance mutuelle des représentants des différents services.

Le SDIS peut ainsi prendre l’initiative de proposer au préfet l’organisation d’une « journée

annuelle ORSEC », rassemblant, autour des membres du corps préfectoral, les officiers

participant à l’astreinte de direction du SDIS, et si possible d’autres services. Cette rencontre

planifiée annuellement pourrait comprendre des séquences de retour d’expérience,

d’échange sur un thème déterminé, de questionnement collectif sur un scénario donné, de

présentations mutuelles sous forme de simulations « vis ma vie », etc.

127

Contribuer à l’amélioration des outils collaboratifs en cellule de crise

Le partage d’informations en situation de crise repose à notre avis sur l’exploitation d’outils

existants, et non sur le développement de moyens spécifiques. Le portail « Synergi » nous

semble une bonne base, bien qu’il nous paraisse insuffisamment exploité. Ce constat peut

s’expliquer par un manque de formation, ou par quelques réticences quant à la diffusion des

informations. Nous pensons toutefois que les carences observées tiennent plus

prosaïquement aux obligations de saisies redondantes et fastidieuses. Une évolution de

« Synergi » vers une meilleure intégration des systèmes d’information des SDIS permettrait

de limiter cet écueil. Les possibilités accrues d’interconnexion des systèmes, via la

certification « NF Logiciel de Sécurité Civile » doivent être exploitées en ce sens.

En outre, pour répondre aux besoins liés à l’analyse prévisionnelle (cartographie, défense

externe contre l’incendie, analyse de couverture, instruments de reporting), de nombreux

SDIS ont sensiblement développé leurs compétences internes en matière d’information

géographique. Nous proposons que des partenariats locaux entre les SDIS et l’État

permettent l’accès aux données géographiques des SDIS dans les COD, voire les PCO. Le

cadre réglementaire de ces échanges existe1 et ces accords de partage de données

pourraient être valorisés ou prévoir une réciprocité, voire s’intégrer plus largement dans une

plateforme commune avec d’autres organismes ou collectivités territoriales. Une telle mise à

disposition permettrait de disposer en situation opérationnelle d’un outil riche et actualisé. Il

valoriserait le savoir-faire du SDIS et conférerait à l’officier sapeur-pompier un rôle accru en

termes de gestion du renseignement, sous réserve qu’il soit familiarisé avec la manipulation

de ces données.

Organiser des solutions d’appui en gestion de crise

Certaines circonstances peuvent nécessiter un renfort en compétences de gestion de crise :

faiblesse de l’encadrement du SDIS concerné, nécessité de tenir dans la durée, recherche de

la neutralité d’éléments extérieurs au regard d’un contexte relationnel local dégradé, etc.

S’inspirant des missions d’appui en situation de crise, des réseaux interdépartementaux

pourraient regrouper des officiers formés et expérimentés, susceptibles d’apporter leur

concours sur sollicitation du DOS auprès de leur SDIS employeur.

Il s’agirait bien d’un renfort et non d’une substitution, la connaissance du secteur et des

interlocuteurs locaux devant être préservée.

L’état-major interministériel de zone de défense et de sécurité nous semble être le support

approprié pour ces réseaux : le soutien à la gestion de crise relève clairement de ses

missions, et les modalités de sollicitation peuvent être intégrées dans les procédures

d’assistance mutuelles qu’il coordonne à l’échelon zonal. Pour faire vivre ce réseau, dont les

sollicitations resteraient exceptionnelles, nous suggérons que soit délégué aux EMIZ le

recyclage GOC5 des chefs de site, avec le concours de l’ENSOSP et de ses intervenants issus

des SDIS locaux. Les séances de formation offriraient l’occasion de rencontres régulières,

1 Ordonnance 2010-1232 du 21 octobre 2010, transposant la directive 2007/2/CE du 14 mars 2007, dite « Directive INSPIRE ». A noter que certaines données, acquises par l’État, sont aujourd’hui exclues des protocoles d’échange, comme certaines captures d’images satellitaires pourtant particulièrement utiles.

128

développant la connaissance mutuelle. Elles réduiraient par ailleurs les coûts de déplacement

actuellement supporté par les SDIS pour la formation continue de leurs cadres.

3.2.3 Pendant la crise

3.2.3.1 Mesures de protection

Contribuer à la création d’une dynamique collective de la cellule de crise

L’officier sapeur-pompier qui intègre le COD ou le PCO doit avoir pleinement conscience qu’il

n’est pas uniquement en charge de représenter le SDIS : il doit se sentir co-responsable du

fonctionnement général de la cellule de crise. Cela requiert un certain état d’esprit :

courtoisie, calme, écoute, humilité et faculté d’adaptation. Dans son rapport à l’autorité, il est

attendu de lui qu’il s’exprime clairement, en son âme et conscience. En situation

exceptionnellement dégradée, son comportement et ses initiatives contribuent au maintien

des rôles symboliques et donnent du sens à l’action collective.

Ces compétences relèvent majoritairement d’aptitudes comportementales que le parcours

professionnel contribue à forger. La sélection des officiers supérieurs pour l’accès aux

emplois de direction gagnerait à valoriser davantage la capacité à créer un sentiment collectif

plutôt que la recherche de performances individuelles. Les évaluations des supérieurs

hiérarchiques, résultant des entretiens professionnels en cours de généralisation,

permettraient de recouper les informations disponibles.

Faciliter et sécuriser la prise de décision du DOS

Au-delà de sa contribution à la dynamique collective, nous recommandons que l’officier

sapeur-pompier soit sensibilisé sur le soutien qu’il doit personnellement apporter au DOS

pour fiabiliser sa prise de décision.

En ce qui concerne le diagnostic, il doit veiller à la qualité du renseignement collecté, en

étayant ses propres affirmations et en protégeant le DOS de l’avalanche d’informations non

recoupées. En cas de pluralité d’experts, il peut recommander que l’un d’entre eux soit le

rapporteur de la cellule d’expertise. Il peut également, dans la mesure du possible, proposer

son assistance pour reformuler les avis exprimés en conséquences concrètes sur les modes

d’action envisageables.

Pour structurer la réflexion, l’officier peut contribuer à la retranscription de l’intention du DOS

en effets à obtenir par les différents services. Lui-même s’efforce de présenter plusieurs

alternatives et d’exprimer clairement au DOS les contraintes associées à chacune d’entre

elles.

Pour ce qui relève de la prise de décision proprement dite, l’officier sapeur-pompier peut

proposer la réalisation d’un ultime tour de table avant de valider un choix lourd de

conséquences, ou l’identification, parmi les membres de la cellule de crise, d’un « profane »,

dont les questions naïves peuvent éclairer un aspect négligé.

Tout au long de l’événement, l’officier peut apporter sa lecture de l’événement. Il peut ainsi

détecter le passage de la phase d’urgence radicale à la phase d’urgence relative, permettant

129

de stabiliser le dispositif. Il peut également signaler les points de vigilance, tels que les

missions ne relevant d’aucun service (espaces ouverts) ou à l’inverse les redondances

potentielles.

Maîtriser les outils du COD et leurs modes dégradés

Afin d’être directement opérationnel, l’officier sapeur-pompier doit s’être familiarisé avec les

outils mis à sa disposition au sein du COD. Dans ce but, il nous paraît hautement souhaitable

que le commandant des systèmes d’information et de communication (COMSIC) ait une

connaissance suffisante des installations de la préfecture, et que le plan de continuité du

SDIS intègre explicitement les moyens de maintenir le contact entre le CODIS et le COD en

cas de rupture des réseaux habituels.

3.2.4 Après la crise

3.2.4.1 Mesures de réparation

Détecter et traiter les conséquences indésirables de la crise

La sortie de crise est une étape délicate, que la fatigue, combinée au soulagement, peut

conduire à négliger. Certaines actions engagent pourtant l’avenir. Outre l’indispensable

reconditionnement des moyens opérationnels, le débriefing des personnels doit intégrer les

cadres qui se sont trouvés confrontés à la prise de décisions à fort enjeu. L’établissement se

doit d’être vigilant sur les velléités de relecture biaisée de la crise, avec les risques de déni,

de reconstitution avantageuse, ou de mises en causes personnelles. La détection de ce type

de phénomène doit entraîner un traitement systématique pour ne pas obérer la mobilisation

lors des crises futures.

3.2.4.2 Mesures de régulation

Organiser, diffuser et exploiter le retour d’expérience

Nous recommandons de formaliser l’organisation du retour d’expérience, en dissociant ce qui

relève du « bruit de fond » (signalement d’anomalies) de ce qui nécessite une analyse

approfondie. L’identification d’un service en charge de la conduite du retour d’expérience doit

s’accompagner d’une formation des cadres et d’une information des personnels sur la

démarche et sur les buts d’amélioration continue qu’elle sous-tend.

Après validation par le DDSIS, le dossier d’analyse doit être largement diffusé sous forme

synthétique, accompagné d’un plan listant avec parcimonie les principales actions

correctrices retenues. Des revues régulières du plan d’action doivent permettre d’informer les

mêmes destinataires des progrès réalisés.

Le partage d’expérience doit s’étendre hors de la structure du SDIS, via les dossiers mis en

ligne par la DGSCGC ou l’ENSOSP. Le projet « Data SDIS » offrira une possibilité

supplémentaire de mettre à disposition l’expérience de l’établissement et réciproquement de

130

bénéficier du vécu des autres SDIS. L’exploitation du retour d’expérience doit également

permettre d’alimenter la bibliothèque de cas concrets utilisés en formation ou lors des

réunions consacrées à l’évaluation du dispositif ORSEC.

Analyser systématiquement les écarts à la règle et statuer sur leur pertinence

Même s’il est établi que la recherche de la fiabilité impose des règles, il doit être admis que

des écarts à la règle, de même que des utilisations non conventionnelles du matériel, sont

inévitables. Les débriefings doivent permettre de les recenser, ce que le principe de non

punition des erreurs doit faciliter. Les écarts détectés doivent pouvoir être évoqués avec

leurs auteurs dans un but de compréhension, sachant que la conclusion de cette analyse doit

être explicite pour tous : soit l’écart est pertinent et justifie une évolution de la règle, soit il

est infondé, et la répétition de l’écart pourrait être considérée comme fautive. La

systématisation de la démarche doit conduire le SDIS à intégrer dans sa planification les

ajustements pertinents de ses agents, et à encourager l’esprit d’initiative et de créativité qui

contribue à sa résilience face aux crises futures.

131

CONCLUSION

Pour traiter du rôle joué par l’officier sapeur-pompier en matière de raisonnement

stratégique, nous avons retenu la question suivante : « En quoi la contribution des officiers

sapeurs-pompiers à l'émergence d'une décision stratégique nécessite-t-elle une préparation

spécifique, dès lors qu’elle s’inscrit dans une situation de crise ? ».

Ce questionnement justifiait dans un premier temps une analyse conceptuelle. Elle nous a

permis d’identifier la prise de décision stratégique du DOS comme un processus, alimenté

par les contributions délibérées ou émergentes des différents acteurs concernés. Dans sa

gestation comme dans sa mise en œuvre, la prise de décision est exposée au caractère

profondément perturbant de la crise, que l’analyse systémique met en évidence.

Cette exploration préalable a fait naître deux hypothèses de recherche, dont nous avons

vérifié la pertinence en allant au contact des acteurs de la gestion de crise.

La première hypothèse faisait la supposition que la crise modifie les modes classiques

d’élaboration de la décision stratégique. Les entretiens que nous avons conduits ont permis

d’illustrer le caractère subjectif de l’entrée en crise ainsi que les contraintes qui caractérisent

cette situation. Nous avons constaté que ces contingences rendent indispensables des

ajustements mutuels, qui se concrétisent par la mise en place d’une organisation « ad hoc ».

Cette organisation influe sur le processus de construction collective de la décision,

confirmant ainsi notre hypothèse. En effet, ces mécanismes aboutissent à une stratégie

majoritairement émergente appuyée sur une rationalité différente de celle constatée en

situation normale.

Notre seconde hypothèse formulait le postulat que, dans un contexte de crise, l’officier

sapeur-pompier doit mobiliser des compétences spécifiques pour contribuer à l’émergence

d’une décision stratégique. Considérant que les compétences ne peuvent réellement être

définies que par référence à une situation de travail, nous avons cherché à identifier les

fonctions réellement tenues par les officiers sapeurs-pompiers, au-delà de celles que

l’organisation nationale de gestion de crise leur attribue explicitement. L’analyse des

aptitudes requises pour exercer ces fonctions nous a conduit à ne confirmer que

partiellement notre hypothèse. En effet, les compétences mobilisées par les officiers sapeurs-

pompiers en situation de crise sont déjà, pour la plupart, sollicitées à un degré moindre en

situation normale. Pour autant, l’adaptation de ces capacités afin de se tenir prêt à affronter

la crise nécessite une préparation qui, elle, est clairement spécifique. Elle exige une pleine

implication personnelle des officiers concernés. Elle nécessite également que l’organisation

s’adapte, en évoluant vers une culture d’apprentissage organisationnel et en développant

des méthodes alternatives de formation.

Plusieurs aspects abordés au cours de notre étude mériteraient des approfondissements.

En premier lieu, il serait nécessaire de disposer d’un plus grand nombre de témoignages de

membres du corps préfectoral. Ce serait d’autant plus instructif que les entretiens que nous

132

avons pu néanmoins réaliser témoignent à la fois d’une riche expérience, et d’une vraie

préoccupation des personnes interviewées concernant cette thématique.

Par ailleurs, l’impératif de délimitation du sujet ne nous a pas permis d’intégrer les

considérations des élus locaux ou des cadres des collectivités territoriales. Leur perception de

la crise, leur façon de s’y préparer dans un contexte institutionnel évolutif, justifierait à nos

yeux une étude spécifique.

Enfin, les préconisations que nous formulons sont autant de pistes, qui restent à explorer.

Notre travail n’est qu’un élément dans la démarche générale de réflexion, impulsée par les

formations supérieures des sapeurs-pompiers. Pour apporter notre pierre à l’édifice, nous

suggérons quelques sujets d’étude, susceptibles de prolonger le chemin :

o Quel peut être l’impact de la réforme territoriale sur les capacités de gestion de

crise des collectivités territoriales ?

o L’échelon départemental est-il adapté pour permettre à l’officier sapeur-pompier

de contribuer efficacement à l’évitement ou à la gestion de crise ?

o Quel contenu pour la formation des conseillers techniques du directeur des

opérations de secours ?

o Dix ans après la refonte de la planification ORSEC, quelles évolutions suggérer ?

o Comment concevoir un référentiel interservices de gestion de crise ?

Malgré les limites ci-dessus évoquées, notre recherche a bénéficié de l’apport d’observateurs

très divers dans leurs statuts, leurs fonctions ou leurs organisations. Il est d’autant plus

significatif de constater que plusieurs points émergent clairement.

Est ainsi largement partagé le sentiment que la complexité de nos sociétés accroît leur

vulnérabilité. Les personnes interrogées ont majoritairement associé au concept de crise, des

événements climatiques dont on redoute qu’ils se développent en ampleur et en fréquence

dans les prochaines années.

Est également frappante l’unanimité avec laquelle les témoins soulignent l’importance des

relations interpersonnelles en situation de crise. Cela n’est pas forcément naturel, pour des

cadres dont la formation est souvent basée sur la technique et qui cherchent à conserver

leur discernement en évitant de s’impliquer émotionnellement. La spontanéité et l’intensité

des témoignages sur les relations qui s’établissent en situation de crise sont pourtant

éloquentes.

Enfin, l’importance de la préparation est un leitmotiv. Se préparer à des situations où ni les

barrières de prévention, ni les procédures de sécurité ne suffisent, ne doit pas aboutir à

considérer qu’elles sont disqualifiées ou inutiles. La robustesse de nos organisations est

directement liée à leur ossature, conjuguée avec les nécessaires marges d’autonomie des

cadres, dont les initiatives gagnent en pertinence dès lors que le sens général de la mission

est clairement défini. Les méthodes de gestion de crise ne se substituent pas aux outils

d’évitement de crise : elles prennent appui sur eux.

Dans le dispositif mis en place pour affronter les crises, l’officier sapeur-pompier occupe une

place singulière.

Son positionnement n’est pas exempt de failles. On peut ainsi parfois déplorer une tendance

au repli sur la technique, ou quelques corporatismes conservateurs. De plus, sa situation

statutaire fait que l’officier sapeur-pompier, très présent au niveau départemental, l’est

133

beaucoup moins à l’échelon zonal ou national, ce qui nuit à l’acquisition d’une vision

d’ensemble.

Cependant, l’officier sapeur-pompier dispose de nombreuses ressources. Sa mission de

généraliste du risque lui ouvre un réseau potentiellement étendu et lui donne la possibilité de

jouer un rôle d’interface avec le monde de l’expertise. Sa présence opérationnelle

quotidienne, au travers du maillage territorial des SDIS, fonde sa capacité de diagnostic et

de lecture de la crise. Même son rattachement hiérarchique en fait un trait d’union entre

l’État et les collectivités territoriales.

Ces atouts doivent être employés dans un but clair. Une chose est sûre : la tentation

hégémonique serait parfaitement contre-productive : la constitution d’équipes

pluridisciplinaires de gestion de crise ne peut prospérer que sur une démarche collaborative,

consentie dans un but d’intérêt général, au regard des compétences démontrées. En ce

sens, l’officier sapeur-pompier doit certainement réfléchir sur la façon dont son action est

perçue. Mais il doit surtout prendre conscience du rôle qui lui incombe dans la préparation et

la fiabilisation de la prise de décision en situation de crise. Cela passe notamment par la

formalisation des fonctions de conseiller du DOS, pour développer le cursus de formation

correspondant. Une démarche similaire, entreprise dans les années 1990 en matière de

gestion opérationnelle et de commandement, a considérablement fait progresser la gestion

tactique des opérations de secours.

Nous pensons qu’un des prochains défis lancés à la profession consistera à faire entrer

pleinement l’officier sapeur-pompier dans le domaine de la stratégie opérationnelle, non pour

tenir un rôle de décideur qui ne lui revient pas, mais pour remplir au mieux les fonctions de

conseil et de vigilance que la société attend de lui.

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et des crises", Ecole des mines de Paris, Pôle Cyndiniques, Sophia-Antipolis, B.R. 15, jean-

[email protected]

- Zajdenweber D. 2009, "Fréquence, amplitude et coût des catastrophes naturelles",

www.ffsa.fr

143

TABLE DES ANNEXES

Annexe 1 - Liste des personnes contactées ................................................................... 145

Annexe 2 - Tableau dimensions - composantes - indicateurs .......................................... 147

Annexe 3 - Exemple de grille d’entretien ...................................................................... 149

Annexe 4 - Réponses des membres du corps préfectoral au questionnaire « Situation de crise

et décision stratégique » ............................................................................................. 151

Annexe 5 - Circulaire du 8 juin 2015 - Responsabilités du préfet en cas de crise .............. 159

144

145

ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES CONTACTÉES

Universitaires

- Mme Carole Dautun, Chef du département « Risques et crises », INHESJ – Entretien

téléphonique le 20 mars 2015

- M. Patrick Laclémence, Professeur, responsable de la spécialité « Ingénierie et

management en sécurité globale appliquée », Université Technologique de Troyes –

Entretien téléphonique le 12 juin 2015

- Mme Christelle Perrin, Directrice de la formation initiale, Institut supérieur de

management, Université Versailles-St Quentin en Yvelines – Entretien téléphonique le

20 mars 2015

- M. Philippe Silberzahn, Professeur de stratégie et organisation à l'EMLyon Business

School, chercheur associé à l'Ecole Polytechnique – Entretien téléphonique le 10 mars

2015

- M. Jean-Luc Wybo, Responsable scientifique du Centre de recherche sur les risques et

les crises, Mines ParisTech – Entretien téléphonique le 5 mars 2015

Membres du corps préfectoral

- Mme Frédérique Camilleri, Directrice de cabinet du préfet de région Bretagne, préfet

d'Ille-et-Vilaine – Entretien le 8 juillet 2015

- M. Marc Demulsant, Adjoint au sous-directeur de la planification et de la gestion des

crises – Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises – Entretien le

27 avril 2015

- Mme Corinne Orzechowski, Préfète de la Sarthe – Entretien téléphonique le 20 mai

2015

- M. Michel Sappin, Préfet honoraire, ancien chef de service de l’Inspection générale de

l’administration, ancien Directeur de la défense et de la sécurité civiles – Entretien

téléphonique le 7 mai 2015

- M. Richard Vignon, Préfet du Cantal, ancien DDSIS, ancien président de la Fédération

nationale des sapeurs-pompiers de France – Entretien téléphonique le 26 mai 2015

Officiers sapeurs-pompiers

- Colonel Patrick Bautheac, Chef de l’état-major interministériel de la zone de défense

et de sécurité ouest – Entretien le 19 mai 2015

- Colonel André Benkemoun, DDSIS de Seine-Maritime – Entretien téléphonique le

18 juin 2015

- Lieutenant-colonel Eric Duverger, DDASIS de la Mayenne – Entretien le 13 mai 2015

- Colonel Eric Faure, DDSIS de Seine-et-Marne, président de la Fédération nationale des

sapeurs-pompiers de France – Entretien téléphonique le 9 juillet 2015

146

- Colonel Laurent Ferlay, DDSIS du Maine-et-Loire, Secrétaire général de l’association

nationale des directeurs et directeurs adjoints des services d'incendie et de secours –

Entretien le 12 mai 2015

- Colonel Samuel Gesret, Chef du bureau de la formation, des techniques et des

équipements, Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises –

Entretien le 12 mars 2015

- Colonel Eric Grohin, DDASIS du Gard – Entretien le 2 juin 2015

- Colonel Francis Mené, Directeur de l’ENSOSP – Entretien le 1er avril 2015

- Lieutenant-colonel Stéphane Morin, DDSIS de la Mayenne, Secrétaire général

adjoint de l’association nationale des directeurs et directeurs adjoints des services

d'incendie et de secours – Entretien le 17 mars 2015

- Colonel Denis Musson, Chef du bureau des opérations et de la gestion de crise,

Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises – Entretien le 27 avril

2015

- Colonel Pierre Patet, DDSIS de l’Ille-et-Vilaine – Plusieurs entretiens

- Colonel Philippe Stechmann, DDASIS de l’Ille-et-Vilaine – Plusieurs entretiens

Officiers militaires

- Général de Brigade Philippe Berne, Adjoint « engagements » auprès de l'officier

général commandant la zone de défense et sécurité ouest – Entretien le 1er juillet 2015

- Colonel Fabrice Bouillié, Chef du groupement départemental de gendarmerie d’Ille-et-

Vilaine – Entretien le 10 avril 2015

- Colonel Francis Chanson, Commandant en second les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan,

Directeur général de la formation militaire – Entretien le 8 juillet 2015

- Colonel Olivier Morin, Chef de la division « emploi » de la Brigade des sapeurs-

pompiers de Paris – Entretien téléphonique le 11 juin 2015

Représentants d’autres organisations

- M. Stéphane Coursier, Directeur des opérations qualité système, Groupe SNCF –

Entretien téléphonique le 9 juillet 2015

- M. Christophe Van Der Linde, Professeur de gestion de crise à l'école des hautes

études en santé publique – Entretien le 17 juin 2015

147

ANNEXE 2 - TABLEAU DIMENSIONS - COMPOSANTES - INDICATEURS

148

149

ANNEXE 3 - EXEMPLE DE GRILLE D’ENTRETIEN

Personne interviewée :

Fonctions :

Date de l'entretien :

Modalités :

Lieu :

Durée prévue / constatée :

Introduction de l'entretien: - Présentation personnelle

- Echange dans le cadre d'un mémoire de recherche en vue de

valider la FAE de DDA

- Sujet d'étude : le raisonnement stratégique dans la direction des

opérations de grande ampleur et en situation de crise

- Problématique que je souhaite plus particulièrement aborder : En

quoi la contribution des officiers sapeurs-pompiers à l'émergence

d'une décision stratégique nécessite-t-elle une préparation

spécifique, dès lors qu’elle s’inscrit dans une situation de crise ?

- J'ai souhaité vous rencontrer parce que :

- Merci de la disponibilité que vous voulez bien m'accorder.

Autorisation d'enregistrer :

Demande de retranscription :

Demande d'anonymat :

Questions Résumé Utilisation

potentielle

Avez-vous été confronté à 1 situation

de crise? Dans quel rôle ?

A partir de quand considérez-vous être

en situation de crise ?

En situation de crise, qu'est-ce qui

pose le plus de contraintes dans

l'émergence d'une décision

stratégique?

Qu'est-ce qui vous conduit à

considérer que vous devez prendre une

décision ?

Comment vous adaptez-vous à

l'urgence lorsque vous devez

néanmoins prendre une décision

stratégique ?

En situation de crise, faute de pouvoir

fonder votre décision sur un temps de

raisonnement suffisant, comment

procédez-vous pour limiter le risque

d'erreur ?

150

A quelles conditions intégrez-vous un

renseignement dans votre

raisonnement ?

Quelles sont vos sources d'information

prioritaires ? Les plus fiables ?

Utilisez-vous des outils particuliers

pour élaborer une décision

stratégique? Lesquels ?

D'après vous, qu'est-ce qui favorise la

coordination entre les acteurs

contribuant à l'émergence d'une

décision stratégique ?

Quel est l'objectif principal de votre

communication stratégique en

situation de crise ? En quoi la situation

de crise influe-t-elle dessus ?

Bénéficiez-vous de l'expérience de vos

pairs, ayant été confrontés à des

situations de crise avérée ? Si oui,

comment ? Vous-même, avez-vous

transmis votre expérience ? Comment?

Identifiez-vous des fonctions pouvant

être tenues par des off SP qui vous ont

fait défaut ou qui pourraient vous aider

dans la prise de décision en situation

d'urgence ?

Quelles compétences attendez-vous

d'un officier SP pour qu'il contribue

efficacement à la préparation de votre

décision stratégique ? Savoir, savoir-

être, savoir-faire, éthique.

Quelles réflexions vous inspirent mon

sujet d'étude ? Quel conseil me

donnez-vous ?

Trajectoire personnelle de

l'interviewé :

Prise de position de l'interviewé :

Relations avec éléments théoriques

ou autres témoignages :

151

ANNEXE 4 - RÉPONSES DES MEMBRES DU CORPS PRÉFECTORAL AU

QUESTIONNAIRE « SITUATION DE CRISE ET DÉCISION STRATÉGIQUE »

Nombre de réponses exploitées : 9

Types d’affectation : 5 en administration centrale, 4 en préfecture

Ancienneté dans le corps préfectoral : de 1 à 33 ans, moyenne : 15 ans

1. Ce qui vous permet le mieux d’identifier que vous êtes confronté(e) à une

situation de crise, c’est :

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Plutôt d’accord

Tout à fait

d’accord

Le nombre de personnes impactées 33% 44% 22%

La soudaineté des événements 22% 11% 55% 11%

La gravité des effets 44% 55%

L’ampleur des moyens à mobiliser 11% 55% 33%

Le manque ou la partialité des informations 33% 22% 44%

L’impact médiatique 33% 33% 33%

L’aspect inédit de la situation 11% 66% 11% 11%

L’hétérogénéité des acteurs de la cellule de crise

33% 33% 22% 11%

Le comportement inhabituel des acteurs 22% 44% 22% 11%

L’échec des mécanismes habituels 11% 33% 55%

L’excès d’informations simultanées 11% 55% 33%

Autre (préciser) :

152

2. En situation de crise, ce qui pose selon vous le plus de contraintes à

l’émergence d’une décision stratégique, c’est :

(Classer par ordre de contrainte, 1 étant le plus contraignant, 8 le moins contraignant)

Le manque de temps disponible pour la réflexion 3,1

L’incertitude 3,6

Le manque d’outils techniques adaptés dans la cellule de crise

4,1

Les dissonances entre acteurs de la cellule de crise 4,4

La méconnaissance mutuelle des acteurs de la cellule de crise

4,7

Le nombre excessif d’acteurs de la cellule de crise 4,8

La méconnaissance des règles de fonctionnement de la cellule de crise

5,2

L’inadaptation des plans prévisionnels 6,1

Autre (préciser) :

3. Ce qui vous conduit à considérer que vous devez prendre une décision,

c’est :

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Plutôt d’accord

Tout à fait

d’accord

L’injonction d’une autorité supérieure 11% 22% 55% 11%

La pression médiatique 11% 44% 22% 22%

Votre expérience, votre intuition 55% 44%

La demande d’arbitrage des acteurs de la cellule de crise

22% 22% 55%

Le sentiment de devoir agir 22% 22% 55%

La demande de la population, exprimée via ses représentants (élus, associations,…)

22% 33% 22% 22%

La nécessité d’instaurer un leadership 22% 33% 22% 22%

Autre (préciser) :

153

4. Vous êtes confronté(e) à un afflux de sollicitations alors que vous devez

prendre d’urgence une décision de niveau stratégique :

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Plutôt d’accord

Tout à fait

d’accord

Vous réduisez systématiquement le temps accordé à chaque sollicitation

33% 44% 11% 11%

Vous filtrez les informations selon leur nature (CR écrits, CR verbaux, appels téléphoniques, images,…)

44% 22% 22% 11%

Vous reportez des tâches que vous estimez non prioritaires

11% 22% 66%

Vous filtrez les informations selon leur origine

11% 55% 33%

Vous déléguez à des collaborateurs 11% 55% 33%

Vous filtrez les informations selon leur contenu prévisible

44% 22% 22% 11%

Autre (préciser) :

5. Pour que vous l’intégriez dans votre raisonnement, une information doit :

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Plutôt d’accord

Tout à fait

d’accord

Etre utile pour arrêter votre décision 44% 55%

Permettre de vérifier votre intuition 11% 44% 44%

Etre cohérente par rapport à la situation 44% 33% 22%

Provenir d’une source fiable 11% 88%

Permettre d’établir le lien avec des informations déjà détenues

11% 66% 22%

Faire consensus au sein de la cellule de crise

44% 44% 11%

Autre (préciser) :

154

6. Vos sources d’information principales proviennent :

(Classer par ordre d’importance, 1 étant le plus important, 6 le moins important)

Des services publics 1,4

Des experts 2,8

De vos propres constats de terrain 3,3

Des élus locaux 3,6

Des réseaux sociaux 4,9

Des médias 5,0

Autre (préciser) :

7. Les sources d’information les plus exploitables sont celles qui se

présentent sous la forme :

(Classer par ordre de préférence, 1 étant le plus exploitable, 6 le moins exploitable)

D’une représentation graphique (carte, schéma)

2,2

D’images (photographies ou captures vidéo de la situation)

2,8

D’un tableau de synthèse 3,0

D’informations audio (téléphone, radio) 3,9

D’un point de situation écrit 4,2

D’informations verbales 4,9

Autre (préciser) :

155

8. En situation de crise, faute de pouvoir fonder votre décision sur un temps

de raisonnement suffisant, vous limitez le risque d’erreur en :

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Plutôt d’accord

Tout à fait

d’accord

Vous fiant à votre intuition, basée sur votre expérience

11% 66% 22%

Vous appuyant sur un (des) collaborateur(s) de confiance

66% 33%

Testant une mesure à petite échelle avant de la confirmer

33% 44% 22%

Retenant la proposition qui emporte une majorité d’avis favorables

11% 44% 22% 22%

Veillant à ce que vos décisions soient réversibles en cas de nécessité

11% 33% 33% 22%

Autre (préciser) :

9. D’après vous, ce qui favorise le mieux la coordination entre les acteurs

contribuant à l’émergence d’une décision stratégique, c’est :

(Classer par ordre d’importance, 1 étant le plus important, 7 le moins important)

L’actualisation des informations sur un outil partagé (tableau de synthèse, carte,…)

3,0

L’existence d’un leader clairement identifié 3,1

La réalisation de points de situation réguliers 3,4

La connaissance mutuelle des acteurs de la cellule de crise 3,9

Une documentation prévisionnelle actualisée 4,7

Les outils techniques à disposition de la cellule de crise 4,9

La connaissance de la documentation opérationnelle par les acteurs de la cellule de crise

5,0

Autre (préciser) : « facteur humain » cité 1 fois

156

10. Vous bénéficiez de l’expérience de vos pairs par :

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Plutôt d’accord

Tout à fait

d’accord

Accès à des dossiers de retour d’expérience 11% 66% 22%

Formation initiale ou continue sur des cas concrets

55% 44%

Lecture d’ouvrages ou d’articles professionnels

22% 44% 33%

Participation à des conférences, séminaires 22% 44% 22% 11%

Echanges informels avec des collègues ayant vécu des situations particulières

11% 33% 55%

Parrainage, coaching par un collègue plus expérimenté

22% 11% 66%

Autre (préciser) :

11. D’après-vous, en situation de crise de sécurité civile, un officier de sapeur-

pompiers est conduit à :

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Plutôt d’accord

Tout à fait

d’accord

Prendre une décision de niveau stratégique 11% 44% 44%

Fournir des renseignements 11% 33% 55%

Organiser le partage et la diffusion des renseignements

11% 22% 33% 33%

Animer la cellule de crise 33%

44% 22%

Proposer des modes d’action 22% 77%

Conseiller le DOS sur le choix d’un mode d’action

22% 77%

Autre (préciser) :

157

12. D’après vous, les principales compétences dont doit disposer un officier de

sapeurs-pompiers pour contribuer efficacement à l’élaboration d’une

décision stratégique sont :

(Classer par ordre d’importance, 1 étant le plus important, 9 le moins important)

La maîtrise de connaissances techniques et opérationnelles

1,9

La capacité d’analyse 3,4

La réactivité 4,1

La capacité à se concentrer sur les priorités 4,2

L’aptitude à gérer son stress 4,8

La loyauté 5,1

La capacité de synthèse 5,8

La capacité à communiquer 7,4

La capacité à motiver 8,2

Autre (préciser) :

158

159

ANNEXE 5 - CIRCULAIRE DU 8 JUIN 2015 - RESPONSABILITÉS DU PRÉFET

EN CAS DE CRISE

160

161

162

163

TABLE DES FIGURES

Figure 1 : Niveaux de la chaîne de commandement militaire – Général P. Berne (2015) ..................... 8

Figure 2 : 5 éléments de la matrice stratégique - E. de la Maisonneuve (2008) ................................. 8

Figure 3 : Modèle LCAG (matrice SWOT ) in "Management stratégique" (2013) ................................10

Figure 4 : Pyramide de Maslow .....................................................................................................12

Figure 5 : Les 6 composants de base d'une organisation - H. Mintzberg (2004). ...............................17

Figure 6 : Principes de la segmentation - D. Delaigue (2012) ..........................................................19

Figure 7 : Fragmentation stratégique, insertion de dérivations dans le plan d'action initial - C. Maisons

(2003) .........................................................................................................................................20

Figure 8 : Stratégie globale et stratégies d’activité - E. Dufes, C. Ratinaud (2013) ............................21

Figure 9 : Boucle OODA - J.R. Boyd (1976) ....................................................................................24

Figure 10 : Modèle de reconnaissance, initiateur de décision - J. Guarnelli (2014)............................26

Figure 11 : Modèle Initiateur de décision / Suiveur de décision - J. Guarnelli (2014) .........................28

Figure 12 : Les 3D de la crise - P. Lagadec cité par E. Dufes et C. Ratinaud (2013) .........................33

Figure 13 : Comparaison entre les modes de pensée - D. Bériot (2011) ...........................................34

Figure 14 : Cycle de vie d'un processus de déséquilibre - Dufes et Ratinaud 2013 ............................36

Figure 15 : Urgences radicales/relatives - Dufes et Ratinaud (2013) ................................................37

Figure 16 : Le processus de régulation ou la gestion systémique de deux logiques de l'urgence - JJ.

Carpentier (1998) .........................................................................................................................38

Figure 17 : Fonctionnement et dysfonctionnements d’une analyse de situation - L. Combalbert (2005)

...................................................................................................................................................42

Figure 18 : Modèle générique de la décision stratégique – J.P. Nioche (1985) ..................................43

Figure 19 : Modèle générique de J.P. Nioche, adapté par G. Boutté (2006) ......................................44

Figure 20 : Modèle 3 D de la déstabilisation de système en situation de crise - E. Dufes, C. Ratinaud

(2013) .........................................................................................................................................45

Figure 21 : Combinaison des dimensions temporelle et organisationnelle - E. Dufes, C. Ratinaud

(2013) .........................................................................................................................................46

Figure 22 : La démarche générale de recherche - G. Delatour (2015) ..............................................47

Figure 23 : Démarche de recherche adoptée ..................................................................................49

Figure 24 : Carte des acteurs de la situation de crise (inspiré de G. Armadans, 1996) .......................50

Figure 25 : Identification du signal précurseur et qualification crise - L. Combalbert (2005) ..............54

Figure 26 : Segmentation stratégique et espaces ouverts - E. Dufes, C. Ratinaud (2013) ..................70

Figure 27 : Influence de la crise sur le processus décisionnel ..........................................................84

Figure 28 : Schéma de l'organisation gouvernementale de gestion de crise (SGDSN) ........................89

Figure 29 : Etapes d'acquisition de la compétence - C. Maisons (2003) .......................................... 105

Figure 30 : Similitude des approches entre l’élaboration d’une disposition spécifique et le

fonctionnement d’un C.O.D (circulaire du 29 décembre 2006, planification ORSEC départementale) 108

Figure 31 : Fonctions et compétences mobilisées en situation de crise .......................................... 118

Figure 32 : Construction des compétences mobilisées en cas de crise ............................................ 119

Figure 33 : Retour d’expérience du SDIS 79 sur la mise en œuvre d’un système de management

intégré - Y. Trépos (2015) .......................................................................................................... 121

164

165

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ..................................................................................................... 1

1. ANALYSE DES CONCEPTS DE DÉCISION STRATÉGIQUE ET DE CRISE ............. 7

1.1 La décision stratégique ................................................................................ 7

1.1.1 Une stratégie omniprésente .................................................................. 7

1.1.1.1 La sphère militaire ............................................................................. 7

1.1.1.2 La sphère économique ....................................................................... 9

1.1.1.3 La sphère du management public .................................................... 11

1.1.1.4 La sphère du développement personnel .......................................... 12

1.1.2 Un concept en évolution...................................................................... 13

1.1.2.1 La prise en compte de la complexité ............................................... 13

1.1.2.2 La dimension organisationnelle ....................................................... 16

1.1.2.3 Stratégie délibérée et stratégie émergente ..................................... 18

1.1.2.4 Différents champs stratégiques ....................................................... 19

1.1.3 Stratégie et décision ........................................................................... 23

1.1.3.1 Relations entre stratégie et décision ............................................... 23

1.1.3.2 Différents processus décisionnels ................................................... 23

1.1.3.3 Limites et pièges de la décision ....................................................... 27

1.2 La crise ....................................................................................................... 31

1.2.1 Approches de la crise .......................................................................... 31

1.2.1.1 L’approche événementielle .............................................................. 31

1.2.1.2 L’approche processus ...................................................................... 32

1.2.1.3 L’approche systémique .................................................................... 34

1.2.2 Caractéristiques de la crise ................................................................. 37

1.2.2.1 Le rapport au temps ........................................................................ 37

1.2.2.2 L’incertitude et l’altérité .................................................................. 39

1.2.2.3 L’ampleur des enjeux ...................................................................... 40

1.3 Crise et stratégie ........................................................................................ 41

1.3.1 Les relations paradoxales entre crise et stratégie .............................. 41

1.3.2 Des modèles d’analyse stratégique de la crise .................................... 43

2. APPROCHE PRATIQUE DE LA DÉCISION STRATÉGIQUE EN SITUATION DE

CRISE ................................................................................................................... 47

2.1 Méthode de recherche ............................................................................... 47

2.1.1 Hypothèses de recherche .................................................................... 48

2.1.2 Identification des données nécessaires .............................................. 49

2.1.3 Protocole et outils de recherche ......................................................... 51

2.1.4 Limites de la démarche ....................................................................... 53

2.2 Regard des acteurs sur la décision stratégique en situation de crise ........ 53

166

2.2.1 La situation de crise ............................................................................ 53

2.2.1.1 La détection de la crise .................................................................... 53

2.2.1.2 Les contingences que génère la crise .............................................. 58

2.2.1.3 Rationalité limitée et réactions de compensation ........................... 63

2.2.2 La prise de décision ............................................................................. 66

2.2.2.1 L’organisation .................................................................................. 66

2.2.2.2 Le processus d’élaboration de la décision ........................................ 77

3. LES COMPÉTENCES DE L’OFFICIER SAPEUR-POMPIER EN SITUATION DE

CRISE ................................................................................................................... 87

3.1 Regard des acteurs sur les compétences requises en situation de crise .... 87

3.1.1 Quelles compétences pour quelles fonctions ? ................................... 87

3.1.1.1 Fonctions de l’officier sapeur-pompier ............................................ 87

3.1.1.2 Compétences requises ..................................................................... 96

3.1.2 L’acquisition des compétences .......................................................... 104

3.1.2.1 L’implication de l’officier sapeur-pompier ..................................... 104

3.1.2.2 Rôle de l’organisation .................................................................... 107

3.2 Formulation de préconisations ................................................................. 120

3.2.1 Référentiel pris en compte ................................................................ 120

3.2.2 Avant la crise .................................................................................... 121

3.2.2.1 Mesures de précaution .................................................................. 121

3.2.2.2 Mesures de prévention .................................................................. 123

3.2.3 Pendant la crise................................................................................. 128

3.2.3.1 Mesures de protection ................................................................... 128

3.2.4 Après la crise ..................................................................................... 129

3.2.4.1 Mesures de réparation ................................................................... 129

3.2.4.2 Mesures de régulation ................................................................... 129

CONCLUSION...................................................................................................... 131

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 135

TABLE DES ANNEXES .......................................................................................... 143

TABLE DES FIGURES ........................................................................................... 163