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LA DÉMARCHE DE PROJET INDUSTRIEL
ET L’ENSEIGNEMENT DE LA TECHNOLOGIE
Jacques Ginestié
Adresse personnelle : 1, Traverse l'Esperon,
13960, Sausset les Pins
Tél. personnel : (33)-42-44-98-42 Fax : (33)-42-44-98-42
Adresse professionnelle : IUFM – UNIMECA
Technopôle de Château Gombert 60, rue Joliot Curie 13453, Marseille Cedex 13
Tél. professionnel : (33)-04-91-11-38-14 Fax : (33)- 04-91-11-38-38
Ginestié, J. (1999). La démarche de projet industriel et l’enseignement de la technologie. Éducation technologique, 24, 14-21.
2 mai 2010 40616 page 1
LA DÉMARCHE DE PROJET INDUSTRIEL
ET L’ENSEIGNEMENT DE LA TECHNOLOGIE
Jacques Ginestié
1. INTRODUCTION
Dans la mise en place de l’enseignement de la technologie au collège en France, la
démarche de projet industriel (DPI) a joué et joue encore un rôle important. Elle constitue
la toile de fond des curriculums de cet enseignement au collège, elle sert de base à deux
épreuves de recrutement des enseignants de technologie dans le CAPET, elle permet aux
enseignants chargés de cette discipline de construire les projets pédagogiques avec une
forte cohérence interne.
L’ouvrage - La démarche de projet industriel, Technologie et Pédagogie (Rak, Teixido,
Favier, Cazenaud ; 1992) – connaît un succès non négligeable qui en fait une référence
en matière d’enseignement de la technologie au collège. Il propose une modélisation de
cette démarche dans un but d’enseignement afin de développer les connaissances du
processus industriel de mise sur le marché d’un objet technique. Il arrive dans l’histoire de
cette jeune discipline1 alors que la reconversion des professeurs d’EMT à la technologie
est terminée et que ces enseignants sont à la recherche de repères stables afin de
construire leur enseignement dans la durée. De fait, il a largement inspiré et il inspire
encore largement la pratique d’un très grand nombre d’enseignants de technologie au
collège.
Au-delà des simples questions de validité de la référence ou même de pertinence, nous
avons affaire à un processus de délimitation de savoirs enseignés au travers de la
modélisation de pratiques industrielles. Il s’agit bien d’un processus de transposition
didactique qui vise à reconstruire un corpus de savoirs dans un but d’enseignement à
partir de la modélisation de références à des pratiques sociales prises dans des
entreprises ayant à mettre sur le marché un nouveau produit. Cet article a pour but de
caractériser quelques éléments de ce processus à partir de trois photographies :
l’organisation pédagogique proposée par des enseignants, les points de vue d’élèves sur
l’enseignement de la technologie et les pratiques d’entreprises en matière de démarche
de projet industriel.
1 Les textes fondateurs datent de 1985 et le plan de reconversion s’est échelonné sur au moins six années.
La démarche de projet industriel et l’enseignement de la technologie Jacques Ginestié
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2. LES SAVOIRS EN QUESTION : LA DÉMARCHE DE PROJET INDUSTRIEL
Le fil conducteur de l’enseignement de la technologie au collège repose sur la
compréhension du monde des objets techniques, de leur mode d’existence et des
organisations sociales dans lesquelles et par lesquelles ils existent (Ministère de
l’éducation nationale, 1985 ; 1987 ; 1995 ; 1996 ; 1997). Nous ne reviendrons pas sur ces
textes, si ce n’est pour noter qu’ils mettent l’accent sur l’organisation d’activités pour les
élèves. Celles-ci sont sensées être significatives du point de vue de la réalité industrielle
qu’elles décrivent (Amigues, Ginestié, Gonet, 1991 ; Amigues, Ginestié, Johsua, 1995).
Les textes stipulent que ces activités doivent être articulées et choisies avec soin, de
manière pertinente en regard des références aux pratiques des entreprises industrielles.
La légitimité de la progression repose pour une part sur la légitimité des articulations.
Articuler une progression d’activités en regard d’une progression des savoirs est une
difficulté évidente si l’on veut garder le cap des finalités assignées à cet enseignement2.
Si l’on adjoint cette difficulté d’articulation à la forte hétérogénéité des enseignants en
charge de la discipline, on constate que la solution massivement retenue, dans de très
nombreuses variantes, consiste à privilégier la structuration pédagogique des
enseignements en assurant aux enseignants une grande maîtrise des dispositifs à défaut
d’une grande maîtrise des savoirs enseignés. Dans ce contexte, la DPI, présentée dans
l’ouvrage de Rak et al (1992), joue le rôle d’organisateur des activités des élèves et de
matérialisation des savoirs enseignés.
La vie d’un produit industriel est décrite au travers d’un découpage en dix activités
fondamentales, depuis l’émergence de l’idée jusqu’à son recyclage, significatives des
processus mis en œuvre dans une organisation sociale des tâches (Rak, Teixido, Favier,
Cazenaud, 1992). Les dix étapes de la DPI permettent de définir précisément des
activités d’élèves. Par exemple, le guide méthodologique d’utilisation du livre (Rak,
Teixido, Favier, Cazenaud, 1992, p. 16-17) indique clairement les liens entre la description
technique d’une activité et la mise en scène pédagogique que l’on peut en faire.
De plus, chaque étape correspond à la mise en œuvre d’un ensemble d’outils techniques
précis qui assure la pertinence en regard du domaine de définition de la discipline
scolaire. Par exemple, les références à l’analyse de la valeur, l’approche systémique, les
méthodes APTE ou autre ABC, sont utilisés à chacune des pages afin d’ancrer cette
correspondance sans pour autant mettre en avant des propositions alternatives (Rak,
Teixido, Favier, Cazenaud, 1992). De nombreuses pistes se sont développées qui tentent
2 Ce point constitue d’ailleurs un élément sensible de l’évolution des textes officiels entre les premiers de
1985 et les derniers de 1997
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de montrer les liens étroits entre le projet industriel de l’entreprise et le projet pédagogique
de l’enseignant de technologie (par exemple, Corriol, Gonet, 1994). Afin de nous rendre
compte de l’influence de ces choix, de ces grandes orientations nous allons examiner à
présent les pratiques des enseignants.
3. LES ENSEIGNANTS ET LA PRATIQUE DE LA DPI
3.1. MÉTHODOLOGIE DE RECUEIL DES DONNÉES
Notre étude a été conduite auprès de cent vingt-cinq professeurs certifiés de technologie
répartis dans quatre-vingt sept collèges pris dans différentes zones. La constitution de cet
échantillon respecte une représentativité d’établissements citadins (banlieues, quartiers
favorisés, etc.) et d’établissements ruraux.
Un critère de distinction entre les certifiés de technologie porte sur le parcours qu’ils ont
suivi pour occuper cette fonction. Nous distinguerons deux profils :
(i) Profil technologique : un parcours technologique qui se traduit par une formation de
type BTS ou DUT et une formation à la technologie en IUFM ou en CFPET.
(ii) Profil travaux manuels : une formation travaux manuels qui concerne les enseignants
qui n’ont acquis leurs compétences en technologie que par la reconversion de l’EMT à
la technologie.
Le recueil des données s’est fait à partir de :
- Consultation et analyse des documents - élèves (classeurs de technologie) et des
documents - professeurs (fiches de préparation, cahier de texte, dossiers techniques
et pédagogiques, etc. ) ;
- Observations de séances d’enseignement ;
- Entretiens non-directifs des enseignants.
Il s’agit de préciser les points de vue des enseignants sur la nature de leur enseignement,
l’organisation qu’ils retiennent, le temps qu’ils consacrent à chaque élément, l’importance
qu’ils leur accordent, les difficultés et les réussites qu’ils rencontrent.
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3.2. ANALYSE DES RÉSULTATS
3.2.1. STRUCTURATION DU CLASSEUR DES ÉLÈVES
La structure imposée aux élèves pour leur classeur de technologie est significative de
l’organisation pédagogique mise en œuvre par les enseignants. Trois modes principaux
d’organisation ont été relevés :
(i) Structure 1 : la structure du classeur adopte la DPI comme structure dominante ; le
classeur est divisé par huit à dix intercalaires reprenant chacun une étape de la
démarche de projet.
(ii) Structure 2 : le classeur est découpé en quatre ou cinq domaines : mécanique,
électronique, économie - gestion, informatique et, quelques fois, automatisme.
(iii) Autres structures : nous avons rangé dans cette catégorie toutes les structures qui ne
relèvent pas des précédentes sans que pour autant elles puissent être catégorisées
ensemble.
Le Tableau 1 présente les résultats de cette étude.
Tableau 1 : structuration des classeurs des élèves en technologie selon le profil
de l’enseignant
Profil
technologique
Profil travaux
manuels
Total
Structure 1 47 42 89
Structure 2 12 19 31
Autres structures 2 3 5
Total 61 64 125
L’application d’un test de ² montre qu’il n’y a aucune différence statistiquement
significative introduite par la structure du classeur qu’adoptent les deux groupes
d’enseignants (p = .9942).
Ce tableau montre la forte dominante d’un classeur structuré selon les étapes de la DPI
(Structure 1). Toutefois, on notera qu’un quart des enseignants adoptent une répartition
selon les domaines de la technologie (Structure 2) bien que cette organisation soit très
éloignée de ce que l’institution souhaite pour cet enseignement.
La DPI joue bien un rôle fort de structuration des enseignements de technologie. Il met
également en valeur les aspects positifs du plan de reconversion à la technologie3 qui a
3 Tous les enseignants d’EMT ont été reconvertis à la technologie à l’issue d’une formation d’une année
souvent étalée en trois trimestres répartis sur trois années scolaires.
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permis une certaine harmonisation des pratiques, au moins en ce qui concerne la partie
visible par les élèves et leurs parents : le classeur présente une unité de présentation.
Toutefois, fonder la légitimité de structuration d’un enseignement, voire celle du plan de
formation des enseignants consiste à regarder les choses par le plus petit bout de la
lorgnette. Nous allons donc essayer de dépasser ces apparences en analysant les
activités proposées par les enseignants aux élèves. Nous avons retenu deux indicateurs :
le premier interroge l’organisation pédagogique mise en œuvre, le second, les tâches
données aux élèves. Les résultats présentés par la suite sont des premières indications,
le nombre de paramètres et les croisements possibles sont très importants, nous nous
sommes limités ici à dégager des tendances.
3.2.2. MODALITÉS D’ORGANISATION PÉDAGOGIQUE
Afin de pouvoir harmoniser la comparaison, nous ne retenons pour cette analyse que
soixante-dix huit enseignants : ceux qui structurent leur enseignement autour de la DPI et
qui enseignent en classe de 5ème
. Par ailleurs, comme il n’y a pas de différence
significative selon les profils, nous avons confondu les deux groupes.
Le premier niveau d’analyse porte sur la place accordée par chaque enseignant à chacun
des éléments de la DPI. Pour ce faire, nous avons mesuré les durées consacrées par
l’enseignant à la réalisation de chacune des différentes étapes. Le Tableau 2 présente le
nombre de séances que chaque enseignant consacre à chacune des étapes de la DPI.
Une répartition linéaire du temps sur les dix étapes supposerait de consacrer environ 10%
du temps à chacune de ces étapes, soit environ trois séances par an. Nous raisonnons ici
en terme de séance et non en terme de durée car les variations inter établissements sont
très importantes.
Tableau 2 : nombre de séances consacrées à chacune des étapes de la DPI
Durée en séances
Étapes
0 ou
évoqué
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 >10 Total Poids
moyen
Analyser le besoin 1 5 18 33 6 5 4 3 1 1 1 0 78 12,27%
Étudier la faisabilité 38 22 11 4 2 1 0 0 0 0 0 0 78 3,43%
Concevoir 18 30 12 8 4 2 2 1 1 0 0 0 78 6,25%
Définir 43 8 7 6 9 3 1 1 0 0 0 0 78 5,08%
Industrialiser 7 11 28 27 3 2 0 0 0 0 0 0 78 8,04%
Homologuer 58 12 7 1 0 0 0 0 0 0 0 0 78 1,65%
Produire 0 0 0 0 0 0 1 2 4 5 14 52 78 39,96%
Commercialiser 0 1 6 17 14 11 4 7 8 4 3 3 78 19,37%
Utiliser 42 21 7 7 0 1 0 0 0 0 0 0 78 3,06%
Recycler 69 7 1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 78 0,89%
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Ce tableau montre la prépondérance de la fabrication. En effet, les enseignants
consacrent beaucoup de temps à fabriquer l’objet. En effet, soixante-six enseignants de
technologie sur les soixante-dix huit interrogés consacrent 10 séances et plus pour faire
fabriquer. Si l’on se réfère aux poids4 de chacune des étapes, on voit que les étapes
Produire, Commercialiser et Analyser le besoin prennent 69% de l’activité
d’enseignement. En revanche, certaines étapes comme la définition, l’étude de faisabilité,
l’utilisation, l’homologation ou le recyclage sont peu ou pas évoqués. Autrement dit,
l’étude scolaire du processus de mise sur le marché d’un nouveau produit par une
entreprise semble se réduire à sa fabrication après s’être assuré qu’il répond à un besoin
et qu’il doit être vendu.
Le second niveau d’analyse concerne la façon dont l’enseignant organise la séquence. Le
fait de déclarer que l’élève doit être actif et acteur de sa formation (Ministère de
l’éducation nationale, 1991) suppose d’organiser les activités des élèves de façon à ce
qu’ils produisent de manière plus ou moins autonome. On peut ainsi dégager, parmi tous
les possibles, quatre modalités d’organisation fréquemment utilisées :
(i) Le guidage de l’action (GA) consiste à proposer aux élèves de progresser vers la
solution au moyen de fiches guides qui planifient son travail et orientent son champ de
réponse. Dans ce type d’organisation, les difficultés sont aplanies, c’est la logique de
l’enseignant qui est privilégiée au détriment de la logique de l’élève ;
(ii) La résolution de problème (RP) tend à placer les élèves dans une posture d’expert. Il
s’agit de respecter « l’authenticité de la tâche » du point de vue de la référence, il faut
faire comme si le problème posé était un « vrai problème » qu’un expert doit résoudre.
Cette organisation favorise la logique de la tâche au détriment de la logique de l’élève ;
(iii) L’articulation apport théorique - exercices d’application (AE) est une approche
classique dans laquelle l’enseignant fait un cours théorique sur les notions et les
concepts nécessaires à la résolution de la tâche, il propose aux élèves de faire des
exercices d’entraînement pour chacune de ces notions ou concepts et finalise
l’ensemble dans un travail global qui porte sur la conjonction de tous ces éléments et
qui sert très souvent d’évaluation sommative. Il s’agit dans ce cas de favoriser la
logique disciplinaire au détriment de la logique de l’élève.
(iv) La confrontation à des obstacles repérés (CO) s’inscrit dans une approche cognitive
au sens où il y a apprentissage par l’élève dès lors que celui-ci franchit durablement
l’obstacle qui lui est présenté. Ce dernier se situe dans une interaction forte entre
4 Poids = (Nombre de séances X Effectif) / Somme{Nombre de séances X Effectif}
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l’épistémologie de la discipline et les processus cognitifs de l’élève. Cette interaction
s’inscrit dans un réseau d’interactions plus complexe qui relie l’élève, le savoir et
l’enseignant. Il s’agit dans ce cas d’essayer de privilégier la logique de l’élève en
cohérence et en pertinence avec la logique de la discipline et la logique de l’enseignant.
L’étude de l’organisation pédagogique doit nous permettre de compléter cette analyse. Le
Tableau 3 présente les modalités retenues par les enseignants à chacune des étapes de
la DPI. Il est clair qu’une analyse approfondie serait nécessaire car, pour certaines
étapes, l’enseignant met en œuvre plusieurs dispositifs. Dans cette présentation, nous ne
retenons que la modalité dominante.
Tableau 3 : Modalités d’organisation pédagogique à chaque étape de la DPI
Modalités
Étapes
Guidage action
Résolution problèmes
Confrontation obstacles
Apport et exercices
TOTAL
Analyser le besoin 21 27 2 28 78
Étudier la faisabilité 8 4 3 63 78
Concevoir 32 24 7 15 78
Définir 3 15 4 56 78
Industrialiser 47 9 2 20 78
Homologuer 1 0 0 77 78
Produire 67 7 4 0 78
Commercialiser 29 17 8 24 78
Utiliser 6 18 1 53 78
Recycler 0 3 0 75 78
TOTAL 214 124 31 411 780
Ces résultats montrent que très peu d’enseignants utilisent des dispositifs de
confrontation aux obstacles. Les dispositifs les plus utilisés sont l’apport théorique suivi
d’exercices d’applications, puis le guidage de l’action et enfin la confrontation aux
obstacles. Il semble qu’il y a une relation entre le temps consacré et la modalité retenue.
En effet, on voit que l’enseignant procède par guidage de l’action aux étapes pour
lesquelles il consacre beaucoup de temps (par exemple, la production), tandis que pour
celles qui sont rapidement traitées, il a recours à une forme plus traditionnelle du type
cours suivi d’exercices. Une organisation autour de la résolution de problèmes rencontre
un écho assez important lors de l’analyse du besoin, de la conception et, à un moindre
degré, en ce qui concerne l’utilisation, la commercialisation et la définition. Afin de
confirmer cet élément, nous avons croisé le choix de la modalité avec le nombre de
séances consacré à chacune des étapes de la DPI. Ces résultats, exprimés en
pourcentages, sont présentés dans le Tableau 4.
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Tableau 4 : Croisement du choix de la modalité avec le nombre de séances
consacré à chaque étapes en %
Modalités
Étapes
Guidage action
Résolution problèmes
Confrontation obstacles
Apport et exercices
TOTAL
Analyser le besoin 3,30% 4,25% 0,31% 4,41% 12,27%
Étudier la faisabilité 0,35% 0,18% 0,13% 2,77% 3,43%
Concevoir 2,57% 1,92% 0,56% 1,20% 6,25%
Définir 0,19% 0,98% 0,26% 3,65% 5,08%
Industrialiser 4,84% 0,93% 0,21% 2,06% 8,04%
Homologuer 0,03% 0,00% 0,00% 1,62% 1,65%
Produire 34,32% 3,59% 2,05% 0,00% 39,96%
Commercialiser 7,20% 4,22% 1,99% 5,96% 19,37%
Utiliser 0,24% 0,71% 0,04% 2,07% 3,06%
Recycler 0,00% 0,03% 0,00% 0,86% 0,89%
TOTAL 53,04% 16,81% 5,55% 24,60% 100,00%
Ce tableau montre que le guidage de l’action est systématiquement retenu lors des
étapes qui occupent le plus le temps des élèves ; il constitue la pratique majoritaire dans
l’enseignement de la technologie. Si l’on considère ce résultat avec la place prise par des
activités apport de connaissances suivies d’exercices d’application, on constate que ces
modes d’organisations occupent près de 80% des activités des élèves. Il est clair que le
guidage de l’action est largement préconisé par les instructions officielles et les
recommandations pédagogiques. Il est présenté comme le moyen d’organiser
l’enseignement en rendant l’élève acteur de ses apprentissages en le rendant autonome
dans sa construction de savoirs. Pourtant, cette organisation pose question et ce pour au
moins deux raisons.
D’une part, l’organisation par guidage de l’action se révèle plutôt économe du point de vue
des apprentissages. En effet, le guidage de l’action permet à l’élève de mener à bien une
tâche dans de bonnes conditions de réalisation et avec un bon taux de réussite du point
de vue du résultat escompté. En revanche, il ne favorise pas la construction de savoirs car
il procède par réduction des difficultés des élèves et par aplanissement des obstacles
qu’ils rencontrent ; il n’y a aucun élément de déstabilisation de leurs conceptions ou de
leurs procédures de résolution familière ; il ne peut donc pas y avoir évolution vers une
représentation plus fonctionnelle qui serait significative de la construction d’un nouvel
apprentissage (Weill-Fassina, 1979 ; Ginestié, 1992).
D’autre part, comme le montre quelques travaux en robotique pédagogique (par exemple,
Leroux, 1993), cette utilisation importante du guidage de l’action induit un nombre
important de questions ou de sollicitations des élèves envers le professeur. C’est
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également ce constat que fait Andréucci (1994) à propos d’une étude conduite dans les
classes de 2nde
TSA de trois lycées dans lesquelles l’organisation en travaux pratiques
tournants sur sept ou huit séances fonctionne également grâce à un fort guidage de
l’action. Dans ces conditions usuelles, on constate un important déficit d’autonomie des
élèves. La tendance relevée dans les deux cas consiste à accroître le guidage de l’action
(en décomposant de manière de plus en plus fine les activités des élèves) ou à introduire
des phases d’apports de connaissances (sous la forme de séances préalables
explicatives ou de séances de synthèse).
Ce mode d’organisation privilégie une apparence d’autonomie de l’activité des élèves au
détriment d’une démarche de construction autonome des savoirs. Il n’est pas étonnant,
dans ces conditions, que les enseignants privilégient le guidage de l’action pour les
activités machinales qui relèvent plus de la succession d’opérations manuelles auxquelles
ils consacrent beaucoup de temps et qu’ils adoptent la succession apport de
connaissances – exercices d’applications dès qu’ils pensent avoir des concepts à « faire
passer dans un temps limité ». Cette tendance devrait se retrouver dans les tâches
proposées aux élèves.
3.2.3. TÂCHES PROPOSÉES AUX ÉLÈVES
L’indicateur d’analyse utilisé ici porte sur l’étude des tâches proposées aux élèves.
L’objectif de ce travail est de conduire une analyse de contenus. Au-delà des déclarations
d’intention de l’enseignant, le premier point abordé concerne le but réel de la tâche
proposée aux élèves. Celui-ci est déterminé à partir du croisement entre les intentions
déclarées de l’enseignant et la mise en texte de la tâche telle qu’elle est présentée aux
élèves. Il est évident qu’une tâche ne vise pas un seul but et que les attentes sont souvent
multiples. L’étude qui suit cherche donc à dégager le but dominant que nous qualifions de
but réel. On peut ainsi définir quatre items différents :
But 1 : la tâche est organisée afin que l’élève arrive à choisir une solution prédéfinie a
priori par l’enseignant, parmi plusieurs autres, en mettant en œuvre une démarche
rationnelle et en utilisant un ensemble d’outils définis.
But 2 : la tâche a pour but de permettre aux élèves de mettre en œuvre un outil spécifique
dans un but de manipulation de cet outil. Ce n’est pas nécessairement la maîtrise de l’outil
qui est visée ; il n’y a pas obligatoirement d’enjeux de savoirs mais plus souvent des
enjeux de reconnaissance (savoir que çà existe).
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But 3 : le but réel de la tâche vise à l’acquisition d’un savoir repéré en tant que tel. Les
élèves doivent savoir telle ou telle chose qui semble indispensable à la compréhension de
tout ou partie de l’ensemble de la DPI.
But 4 : le but réel, dans ce cas, est de conduire l’élève à la maîtrise d’un geste ou d’un
ensemble de gestes nécessaires pour réaliser une tâche plus complexe. Ce geste peut
relever plutôt du domaine psychomoteur, comme par exemple souder un composant sur
un circuit imprimé, ou plutôt du domaine cognitif, comme par exemple repérer la position
de composants sur un circuit à partir d’un schéma. Il s’agit d’atteindre les compétences
nécessaires à la conduite autonome du projet.
Le Tableau 5 présente les résultats de cette analyse auprès des soixante-dix huit
enseignants de technologie de notre échantillon. Selon les étapes de la DPI, le total des
réponses est supérieur à ce nombre car, pour une même étape, plusieurs tâches sont
souvent proposées aux élèves.
Tableau 5 : Buts réels des tâches selon les étapes de la DPI
Buts réels
Étapes
But 1 But 2 But 3 But 4 Total
Analyser le besoin 153 74 5 38 270
Étudier la faisabilité 72 4 1 19 96
Concevoir 68 7 6 26 107
Définir 93 8 4 31 136
Industrialiser 136 28 2 6 172
Homologuer 51 13 7 12 83
Produire 754 74 34 49 911
Commercialiser 187 59 26 47 319
Utiliser 51 4 2 31 88
Recycler 78 0 1 0 79
Le nombre de tâche proposé confirme les précédents résultats. Il est plus important aux
étapes pour lesquelles l’enseignant consacre beaucoup de temps. On constate, en effet,
en nombre de tâches proposées à chacune des étapes, que la DPI est essentiellement
centrée sur la production puis la commercialisation et enfin l’analyse du besoin. Les
autres étapes sont abordées au travers d’une à deux tâches.
Par ailleurs, les tâches proposées sont massivement centrées sur l’obtention d’un résultat
précis. Le recours à un fort guidage de l’action (tel qu’on peut le constater dans le Tableau
3 et le Tableau 4) couplé à une poursuite de but dirigé vers une solution prédéfinie a priori
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constitue la pratique majoritaire des enseignants de technologie. De fait, il y a confusion
entre le résultat de la tâche à obtenir et le but de l’apprentissage. L’utilisation du guidage
de l’action se révèle, nous le disions plus haut, une modalité économe du point de vue
des apprentissages ; la confusion entre résultat de la tâche et but de l’activité renforce cet
appauvrissement. Le très faible nombre de tâches proposées visant l’acquisition d’un
savoir précis confirme cette orientation.
Dans cette perspective, la technologie est présentée comme une succession de tâches
articulées en cohérence avec la DPI dans lesquelles les élèves progressent vers le
résultat attendu par un fort guidage de l’action. Autrement dit, les élèves ont de
nombreuses activités, qui suivent la chronologie de la DPI, sans que pour autant ces
activités les conduisent avec un minimum de garanties à construire des savoirs. De fait,
cette tendance doit être perceptible dans la représentation que les élèves ont de la
technologie. C’est ce que nous allons examiner à présent.
4. LES ÉLÈVES ET L’ENSEIGNEMENT DE LA TECHNOLOGIE
4.1. ATTITUDE DES ÉLÈVES FACE À LA TECHNOLOGIE
Cette question a largement été étudiée dans différents pays, entre 1983 et 1986, sous
l’impulsion de la fondation PATT « Pupils attitude towards Technology » mais,
anecdotique ment, la seule étude française sur ce thème est celle conduite par Claire
Terlon avant la mise en place de l’enseignement de la technologie au collège (1990). Cet
auteur a utilisé le questionnaire établit par la fondation PATT (Raat, De Klerk Wolters, De
Vries, 1987) auprès de 234 élèves (122 filles et 112 garçons âgés de 13 ans plus ou
moins onze mois) de collèges (un tiers de milieu rural, un tiers de milieu urbain, un tiers
des banlieues) tout en respectant la représentativité des milieux socio-économiques et
socioculturels.
Cette enquête dégage une tendance plutôt positive dans l’attitude des adolescents face à
la technologie même si les garçons manifestent un intérêt supérieur aux filles. Cette
technologie, ils la jugent intimement liée aux sciences physiques et pensent qu’elle permet
d’obtenir un bon métier après les études. La grande majorité des élèves avoue ne pas
avoir eu l’occasion de concevoir eux-mêmes un objet technique, conception qu’ils ne
trouvent pas évidente. La technologie, pour eux, a à voir avec la matière, l’énergie et
l’informatique notamment au travers de la manipulation d’outils et l’usage d’ordinateurs.
En revanche, ils estiment que le lien entre la technologie et des habiletés manuelles est
très ténu alors qu’il y a un lien très fort avec les métiers.
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L’étude que nous avons conduit et que nous présentons ici porte sur la représentation que
des élèves de fin de cinquième ont de l’enseignement de la technologie qu’ils reçoivent au
collège et non pas sur leur attitude face à la technologie en général. Notre échantillon
regroupe 191 élèves et est constitué à partir de 78 classes de technologie. Nous avons
ainsi interrogé 96 garçons et 95 filles pris dans la tranche d’âge de 13 ans. Nous ne
ferons pas, ici, de distinctions entre les filles et les garçons car l’analyse n’est pas assez
avancée de ce point de vue. . Le Tableau 6 présente le point de vue que les élèves ont de
la place de la technologie dans la société. Les élèves devaient répondre par oui ou non à
sept questions fermées.
Tableau 6 : la place de la technologie dans la société vue par les élèves
Oui Non Total
La technologie joue un rôle important dans la société 149 42 191
La technologie a pour but de faciliter la vie 141 50 191
La technologie, c’est une affaire de spécialistes 127 64 191
Pour moi, la technologie est une science 122 69 191
La technologie a une grande place dans ma vie de tous les jours 115 76 191
La technologie peut résoudre tous les problèmes de notre vie 98 93 191
La technologie existe depuis que l’homme existe 65 126 191
Ces résultats confirment la vision plutôt positive que les élèves ont de la place de la
technologie dans la société. Elle joue un rôle important, elle facilite la vie et tient une
grande part dans leur vie quotidienne. Toutefois, ça reste une « affaire de spécialistes »,
ce qui explique sans doute la relation forte à la science ; spécialistes qui ne peuvent pas
résoudre systématiquement tous les problèmes. Enfin, la technologie est résolument
moderne et contemporaine.
4.2. REPRÉSENTATION DES ÉLÈVES SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA
TECHNOLOGIE
Il est intéressant de confronter cette vision positive de la technologie à ce qu’ils pensent
de l’enseignement de la technologie qu’ils reçoivent au collège (Cf. Tableau 7).
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Tableau 7 : point de vue d’élèves de l'enseignement de la technologie (ET)
Oui Non Total
L’ET permet de travailler avec ses mains 160 31 191
L’ET permet de manipuler des outils 159 32 191
L’ET permet d’utiliser l’informatique 122 69 191
L’ET est utile pour la vie quotidienne 74 117 191
L’ET aide à choisir un métier 63 128 191
L’ET aide à mieux comprendre les objets techniques 62 129 191
L’ET a autant d’importance que les mathématiques ou l’histoire 57 134 191
Les opinions très tranchées des élèves nous permettent de mieux cerner l’idée qu’ils se
font de l’enseignement technologique. La technologie au collège est, avant tout, le lieu du
faire que ce soit manuellement, au moyen d’outils ou encore au travers de l’utilisation de
l’informatique. Par ailleurs, la majorité des élèves pensent que cet enseignement ne leur
sert pas dans leur vie quotidienne, qu’il ne les aide pas à choisir un métier et qu’il ne leur
permet pas de mieux comprendre les objets techniques. Ils ne sont pas non plus
totalement dupes sur la hiérarchie disciplinaire, la technologie est une discipline
secondaire qui passe après les « choses sérieuses » comme les mathématiques ou
l’histoire.
4.3. REPRÉSENTATION DES ÉLÈVES SUR LEURS ACTIVITÉS EN TECHNOLOGIE
Il est intéressant de compléter cette première approche de l’enseignement de la
technologie vue par les élèves au travers de ce qu’ils pensent qu’ils font en technologie,
c’est ce que présente le Tableau 8. Les élèves devaient choisir trois propositions parmi
huit et les classer par ordre d’importance.
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Tableau 8 : Point de vue d’élèves sur leurs activités en technologie
La technologie au collège, c’est plutôt :
1er
rang 2nd
rang 3ème
rang Total
des travaux manuels 49 41 36 126
de l’informatique 38 40 37 115
du bricolage 31 33 35 99
de l’électronique 25 23 27 75
des études d'entreprises 16 18 20 54
de la mécanique 16 18 14 48
de l’économie gestion 9 12 15 36
des études d'objets techniques 7 6 7 20
Total 191 191 191 573
Massivement, les élèves pensent que l’enseignement de la technologie repose sur un
mélange de travaux manuels, d’informatique et de bricolage avec, dans une moindre
mesure de l’électronique. D’une manière générale, la technologie est bien le lieu où l’on
fait des choses avec ses mains ; ces choses mêlent de l’informatique et de l’électronique
et relèvent plus du bricolage que d’une production organisée.
Pour eux, cet enseignement ne repose pas sur l’étude d’objets techniques ou de leur
mode d’existence. La rationalité induite par la DPI dans la structuration de l’enseignement
de la technologie reste opaque pour eux ; la rupture entre l’EMT et la Technologie semble
plus porter sur les champs d’études que sur les fondements de ces deux disciplines
radicalement différentes. Il est clair que la DPI ne joue pas le rôle qu’on attendait d’elle en
terme de structuration de l’enseignement de la technologie et d’acteur du changement.
Certainement, l’organisation de l’enseignement a une influence directe sur la perception
qu’en ont les élèves. Pourtant il ne faudrait pas s’arrêter à ces résultats pour en déduire
des causes de dysfonctionnement ; les faits d’éducation sont suffisamment complexes
pour que l’on ne les réduise pas à des relations causales primaires, voire simplistes. Au-
delà de ces fausses polémiques, la question qui subsiste est bien celle de la modélisation
de la DPI pour en faire un contenu d’enseignement. Afin de trouver quelques pistes de
réponses, nous nous sommes intéressés à la pratique de la DPI dans des entreprises qui
ont à mettre sur le marché un nouveau produit. C’est ce que nous allons examiner.
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5. PRATIQUES DE LA DPI DANS QUELQUES ENTREPRISES
5.1. MÉTHODOLOGIE DE RECUEIL DES DONNÉES
L’analyse porte sur l’observation et la description du processus de la DPI lors de la mise
sur le marché d’un nouveau produit par plus de deux cent entreprises de différentes tailles
réparties dans les différents secteurs de la production industrielle (Cf. Tableau 9 :
répartition des entreprises selon leur taille et leur secteur d'activité).
Tableau 9 : répartition des entreprises selon leur taille et leur secteur d'activité
Petite
moins de 50 salariés
Moyenne
de 50 à 499 salariés
Grande
500 et plus salariés
Total
A- Construction mécanique 21 17 5 43
B- Construction électrique 17 19 4 40
C- Génie logiciel 18 6 0 24
D- Construction navale 2 9 3 14
E- Appareillage médical 15 11 2 28
F- Agroalimentaire 21 12 7 40
G- Mobilier professionnel 12 9 2 23
Total 106 83 23 212
Le recueil de données a été effectué par entretien non-directif avec le ou les responsables
de la mise sur le marché d’un nouveau produit. Il est clair que le statut, la formation et les
responsabilités de cette personne sont fortement liés à la taille ou au secteur de
l’entreprise et donc fortement variables d’une entreprise à l’autre. Néanmoins, nous
pouvons définir deux catégories de responsables.
(i) Pour les petites entreprises, le responsable de la mise sur le marché d’un nouveau
produit est pratiquement toujours le dirigeant de l’entreprise (patron, gérant, directeur,
associé, etc.). La seule distinction notable concerne le génie logiciel où, même pour les
petites structures, il y a toujours un chef de projet souvent différent du dirigeant qui
s’occupe plutôt de la commercialisation des produits.
(ii) Les moyennes et les grandes entreprises sont structurées de telle manière qu’un
responsable de projet (même s’il n’a pas ce titre dans l’entreprise) est toujours
identifiable. Ces charges et fonctions recouvrent toujours la responsabilité du
développement du nouveau produit. Une distinction apparaît au travers de la mise en
œuvre du projet. Le responsable du développement n’est que peu souvent responsable
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du suivi global du projet dans sa phase de production ou, lorsqu’il l’est, c’est seulement
lors du lancement du produit pour une durée assez restreinte.
La grille d’entretien que nous avons adopté pour conduire les entretiens reprend la
modélisation de la DPI telle qu’elle est décrite dans le manuel de Rak et al (1992). Après
présentation de cette modélisation, nous demandions aux personnes interrogées de nous
dire s’ils procédaient ainsi, quelles différences ils faisaient entre ce modèle et leur propre
pratique.
5.2. ANALYSE DES RÉSULTATS
5.2.1. ÉTAPES DE LA DPI
La DPI est présentée dans le manuel (Rak et al, 1992) comme comprenant dix étapes
essentielles. Nous avons demandé à chacune des entreprises de dire si elle reconnaissait
leur activité dans chacune de ces étapes. Le Tableau 10 présente ces résultats par
secteurs d’activités des entreprises tels qu’ils sont repérés dans le Tableau 9.
Tableau 10 : Prise en compte des différentes étapes par les entreprises
Secteurs
A
Cons. Méc.
B
Cons. Elec.
C
Génie log.
D
Cons. Nav.
E
App. Méd.
F
Agroalim.
G
Mob. Prof.
Total
Nombre d’entreprises
Étapes
43 40 24 14 28 40 23 212
Analyser le besoin 74% 85% 79% 100% 89% 83% 96% 84%
Étudier la faisabilité 70% 80% 79% 36% 89% 83% 83% 77%
Concevoir 86% 90% 96% 100% 79% 98% 91% 91%
Définir 65% 75% 88% 64% 100% 70% 74% 76%
Industrialiser 91% 63% 0% 29% 68% 60% 57% 58%
Homologuer 49% 85% 75% 100% 100% 100% 100% 84%
Produire 100% 100% 96% 100% 100% 100% 100% 99%
Commercialiser 60% 70% 46% 64% 68% 100% 91% 73%
Utiliser 42% 63% 100% 57% 100% 70% 74% 70%
Recycler 21% 20% 0% 14% 57% 53% 22% 29%
Globalement, la grande majorité des entreprises se retrouvent dans la proposition des
différentes étapes proposées par la DPI. Deux étapes, l’industrialisation et le recyclage,
ne sont pas largement prises en compte dans la pratique des entreprises. Toutes les
entreprises attribuent une grande importance à la production et à ses corollaires directs, la
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conception, l’homologation et l’analyse du besoin. On constate également que les
pratiques des entreprises varient énormément d’un secteur à l’autre ; elles n’attribuent pas
toutes la même importance aux même étapes. Par exemple, les questions d’homologation
semblent moins importantes pour les entreprises de construction mécanique alors qu’elles
sont incontournables pour les entreprises de construction navale, d’appareillage médical,
d’agroalimentaire ou de mobiliers professionnels ; on voit bien à travers cela le poids des
normalisations sur certaines entreprises.
5.2.2. OUTILS UTILISÉS
Nous allons, à présent, observer les outils utilisés par les entreprises en regard de ceux
préconisés par la DPI (Cf. Tableau 11 : Outils utilisés). Cette analyse est une première
approche dans laquelle nous n’avons pas distingué les résultats en fonction du type
d’entreprises. Nous avons regroupé les réponses selon trois critères :
(i) Outils identiques : pour assurer la réalisation prévue à l’étape citée, l’entreprise utilise
les mêmes outils (ou similaires) à ceux décrits dans la DPI (empruntés à l’analyse de la
valeur pour la grande majorité).
(ii) Outils différents : les entreprises utilisent un outil formalisé, repéré par un ensemble de
normes et largement explicitable, différent de celui décrit dans la DPI.
(iii) Autres : cette catégorie regroupe les entreprises qui ont déclaré ne pas avoir d’actions
particulières à une étape donnée et celles qui n’utilisent pas d’outils formalisés.
Tableau 11 : Outils utilisés
Utilisation d’outils
Étapes
Identique Différent Sous-total Autres Total
Analyser le besoin 3% 37% 40% 60% 100%
Étudier la faisabilité 1% 36% 37% 63% 100%
Concevoir 3% 77% 80% 20% 100%
Définir 1% 48% 49% 51% 100%
Industrialiser 1% 32% 33% 67% 100%
Homologuer 2% 81% 83% 17% 100%
Produire 6% 92% 98% 2% 100%
Commercialiser 2% 41% 43% 57% 100%
Utiliser 1% 67% 68% 32% 100%
Recycler 0% 19% 19% 81% 100%
Ces résultats montrent la distance qui existe entre les déclarations des responsables de
projet et la réalité de leurs actions. S’il est évident que les entreprises formalisent
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largement leurs actions en ce qui concerne la conception (80%), l’homologation (83%) et
la production (98%), il n’en est pas de même pour les autres étapes. La dernière colonne
donne le coefficient d’utilisation d’outils formels (rapport entre le nombre d’entreprises qui
utilisent un outil formel et celles qui déclarent avoir une action à cette étape). Pour six
étapes sur dix, les entreprises n’utilisent que peu d’outils formels. Par ailleurs, ce tableau
montre nettement que les outils préconisés dans la DPI ne sont que très peu utilisés par
les entreprises. Il faudrait certes affiner cette étude afin de trouver des descripteurs plus
fins des pratiques. Il n’empêche que la modélisation opérée dans ce cas est très éloignée
des pratiques réelles des entreprises. Ce qui repose le problème de la constitution d’un
corpus de savoirs à enseigner dans la technologie : quelles références, pour quelle
modélisation et pour quelle forme d’enseignement ? Ce sont ces points que nous
discutons dans la dernière partie de cet article.
6. DISCUSSION
L’analyse conduite met en évidence plusieurs éléments importants. L’enseignement de la
technologie au collège s’est structuré autour de la DPI, essentiellement telle qu’elle est
modélisée dans l’ouvrage de Rak et Al (1992). Globalement, les entreprises consultées se
retrouvent dans cette modélisation en ce qui concerne les grandes étapes retenues. En
revanche, nous pouvons constater un très grand écart entre les pratiques effectives des
entreprises à chacune de ces étapes et la description qui en faite dans la DPI. Cet écart
porte sur les outils et méthodes utilisées ; de ce point de vue, la pratique dominante des
entreprises n’a pas grand chose à voir avec ce que l’on se propose d’enseigner aux
élèves.
Par ailleurs, alors que la majorité des enseignants interrogés adopte la DPI pour structurer
leur enseignement, cette structuration privilégie les étapes de production, de
commercialisation et d’analyse du besoin au détriment des autres. L’organisation
pédagogique fait alors largement appel au guidage de l’action ou à des apports théoriques
suivis d’exercices d’application. La technologie enseignée apparaît, avant tout, comme un
ensemble d’activités de fabrication ou d’activités informatiques qui relèvent plus, selon
l’avis des élèves, de travaux manuels ou même de bricolage.
Le parti pris des auteurs de la DPI s’inscrit dans le cadre d’une modélisation d’une
pratique. Or, comme ils le décrivent sans ambiguïté, cette modélisation ne peut pas se
faire sans opérer des choix drastiques :
(i) D’abord, le type d’entreprise : une entreprise qui produit du matériel didactique à
usage de l’enseignement de la technologie ;
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(ii) Ensuite, les outils : l’analyse de la valeur sert de référence à ce processus de mise
sur le marché d’un nouveau produit ;
(iii) Puis la rationalité des choix : à chacune des étapes, la solution choisie est le fruit
de la mise en œuvre d’un outil clair et rationnel, normalisé et symbolique.
(iv) Enfin, le déroulement linéaire de la démarche : l’organisation retenue met en avant
le cheminement de l’objet tout au long de la démarche.
L’exemple choisi ici de la DPI est particulièrement significatif du processus d’élaboration
d’un corpus de savoirs scolaires. Tout est fait pour présenter le processus industriel
comme constitué d’un grand nombre d’invariants, dans lequel il n’y a pas d’incertitudes,
où tout est planifié, pensé, formalisé. On peut comprendre le souci des auteurs mais ce
choix est significatif du problème posé par la modélisation de pratiques afin de constituer
un corpus d’enseignement. D’une part, il privilégie le particulier et de fait conduit à une
réduction de la portée de l’enseignement. La progression qui en découle se fonde sur la
complication de l’objet à produire et non pas sur la maîtrise de concepts ou encore sur
une extension de ces concepts. D’autre part, la légitimité de l’enseignement repose sur
les activités proposées aux élèves. Elles sont simultanément une garantie de la
pertinence à la référence industrielle choisie, un cadre organisateur du travail des élèves
et un ensemble structurant la discipline.
Cette étude montre, si besoin était, que le processus auquel nous avons affaire procède
par décontextualisation, séquencialisation et reconstruction des savoirs enseignés.
Aucune entreprise ne fonctionnement formellement comme la description de la DPI mais
quasiment toutes trouvent une familiarité avec cette description. Les articulations
proposées ne correspondent pas non plus à la pratique des entreprises qui relève d’une
dynamique faite d’anticipation, d’allers - retours, d’essais – erreurs, de nombreuses
discussions alors que la description scolaire de la DPI est une construction assujettie aux
présupposés scolaires. Dans ce processus de transposition didactique, le choix des
savoirs comme références est un élément important du débat. En effet, ces savoirs
semblent trop spécifiques et particuliers pour fonder un enseignement aussi large et
complexe que celui de la technologie. Au-delà de la pertinence de la modélisation opérée,
ce choix pose deux questions :
- Une telle construction est-elle, d’un point de vue pragmatique, opérationnelle pour les
enseignants de technologie ?
- Peut-on, dans une perspective plus théorique, modéliser des pratiques, qui par
essences sont variées, différentes et multiples, pour en faire des savoirs enseignés et
si oui, comment ?
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Si l’on en juge par le grand nombre d’enseignants qui ont adopté la DPI pour structurer
leur enseignement de technologie, la réponse à la première question va de soi : la DPI est
un modèle opératoire pour l’enseignement de la technologie. Pourtant, plusieurs
objections sont concomitantes à cette assertion. Les enseignants ont été largement
formés à la technologie avec comme modèle principal la DPI ; il n’est donc pas étonnant
qu’ils l’utilisent massivement. Changer ce modèle suppose de changer de références et
l’on peut mesurer les difficultés probables à abandonner un enseignement « qui marche »
pour un autre. Cette dimension est clairement explicitée au travers du point de vue des
élèves. Pour eux, l’enseignement de la technologie c’est, avant tout, des activités
manuelles pas très éloignées du bricolage. Le processus rationnel de mise sur le marché
d’un produit tel qu’il se pratique dans l’industrie ne leur apparaît pas nettement. Il convient
de modérer ce point de vue et de se garder de toutes conclusions hâtives. En effet, si
l’opinion des élèves nous fournit un indicateur intéressant, il suppose quelques
précautions méthodologiques, notamment de le mettre en perspective avec l’opinion qu’ils
auraient d’autres disciplines scolaires, ce que nous n’avons pas fait dans cette étude.
En revanche, il semble assez clair, au regard de notre étude, qu’on n’enseigne pas des
pratiques. Il s’agit bien d’une construction de savoirs enseignés qui relève d’un processus
de transposition didactique. Ce qui est en jeu dans l’enseignement de la technologie ce
sont bien des savoirs qui vont être soumis à l’étude par les élèves. Pas plus qu’un autre,
cet enseignement ne devrait être un enseignement pratique fondé sur des pratiques
sociales. Tout au moins, ce ne sont pas les finalités qu’il vise. La question majeure qui
subsiste est bien celle du choix de la référence. Si l’on en juge par les évolutions
majeures des programmes de technologie ces douze dernières années, il semble que ces
choix sont loin de rencontrer le soutien nécessaire afin d’installer une certaine stabilité.
Les changements des programmes ne sont pas le seul fait de l’évolution rapide des
technologies.
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