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R E P E R E S L’ENTRETIEN DANS LES PRATIQUES DACCOMPAGNEMENT LES LIMITES DE L ACCOMPAGNEMENT 47 Editions du CARIF Poitou-Charentes Les cahiers de l’accompagnement

L’ ENTRETIEN DANS LES PRATIQUES D L 47avec Maëla PAUL • 78 participants en juin 2002 pour L'entretien dans les pratiques d'accom-pagnement avec André CHAUVET • 102 participants

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    L’ENTRETIEN DANS LESPRATIQUES D’ACCOMPAGNEMENT

    LES LIMITES DEL’ACCOMPAGNEMENT

    47 Editions du CARIF Poitou-Charentes

    Les cahiers de l’accompagnement

  • 1

    Ce numéro de la collection REPÈRES regroupe les travaux et réflexions menés dans lecadre des Journées de l’Accompagnement mises en place au cours de l’année 2002 surles thèmes : L’entretien dans les pratiques d’accompagnement et Les limites de l’accom-pagnement.

    Cette nouvelle parution fait suite à la première publication consacrée aux deux journéesorganisées en 2001 sur les thèmes : Ethiques et accompagnement et Les compétencesdes accompagnateurs. (Repères n° 42 - Juin 2002)

    Ces rencontres, inscrites au dispositifs Safran1, sont le fruit de la collaboration duCAFOC2 de Poitiers, du GIP3 Qualité de la Formation, du CARIF4 Poitou-Charentes et duCIBC5 Charente.

    Leurs coordonnées :

    CAFOC-AGEVIF GIP Qualité de la Formation15 rue Guillaume VII Le Troubadour 22 bis rue Arsène Orillard86000 POITIERS BP 393Tél : 05 49 39 62 01 86010 POITIERS Cedex

    Tél : 05 49 50 32 90

    CARIF Poitou-Charentes CIBC Charente15 rue Alsace Lorraine Bât. 3 - Les Crages de Bigorres17044 LA ROCHELLE Cedex 1 Boulevard de BigorreTél : 05 46 00 32 32 16000 ANGOULEME

    Tél : 05 45 25 73 00

    1. Safran : dispositif d’appui à la professionnalisation des acteurs de l’information, de l’accompagnement des parcours et de la formation,financé par l’État (DRTEFP) et la Région Poitou-Charentes dans le cadre du Contrat de Plan, et mis en oeuvre par le GIP Qualité de laFormation.

    2. CAFOC : Centre Académique de Formation Continue3. GIP : Groupement d’Intérêt Public4. CARIF : Centre d’Animation et de Ressources de l’Information sur la Formation5. CIBC : Centre Interinstitutionnel de Bilans de Compétences

    Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

    Présentation

  • Ont contribué à ce numéro :

    André CHAUVET, Cabinet Grand Format

    Mireille CIFALI, Université de Genève

    Philippe FAUGERAS, CAFOC Poitiers

    Anne GODIN, GIP Qualité de la Formation

    Magali HUMEAU, CAFOC Poitiers

    Sonia SPERONI, GIP Qualité de la Formation

    2 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

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    SO

    MM

    AIR

    E

    INTRODUCTION

    Les journées de l’accompagnement en 2002 ...................................................................................4

    PREMIÈRE PARTIE : L’ENTRETIEN, PRATIQUE EN QUESTION .............................................................6

    L’entretien, pratique en question, conférence d’André CHAUVET.......................................................6

    Compte-rendu des ateliers .............................................................................................................18

    En conclusion ................................................................................................................................23

    DEUXIÈME PARTIE : LES LIMITES DE L’ACCOMPAGNEMENT ...........................................................25

    Les limites de l’accompagnement, conférence de Mireille CIFALI ......................................................25

    Compte-rendu des ateliers .............................................................................................................32

    En conclusion ................................................................................................................................38

    PERSPECTIVES...............................................................................................................................40

    BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................41

    REPÈRESN U M É R O 47

    LES CAHIERS DE L’ACCOMPAGNEMENTL’entretien dans les pratiques d’accompagnement

    Les limites de l’accompagnement

  • Lors des travaux de refondation de la pro-motion sociale initiés par la Région Poitou-Charentes en 1997, divers professionnelsde la formation avaient témoigné d'unusage partagé du terme accompagnement.

    En 1999, une recherche-action interprofes-sionnelle6 avait permis de vérifier qu’au-delà du terme, une communauté de pra-tiques et de valeurs existait, susceptible derassembler formateurs, conseillers des struc-tures d’accueil, accompagnateurs de lavalidation des acquis et de l’insertion parl’économique, praticiens de bilan…

    C'est pour offrir à une diversité de prati-ciens un cadre d’échanges plus ouvert etplus souple que sont nées les "Journées del'accompagnement"7 : une journée de ren-contre proposant deux fois l'an la confé-rence d’un expert et des échanges entrepraticiens. Cette proposition a rencontré unvif succès, attirant un public toujours plusnombreux et plus diversifié.

    • 69 participants en juin 2001 pourEthique et Accompagnement avec GuyBOURGEAULT

    • 68 participants en décembre 2001 pourLes compétences des accompagnateursavec Maëla PAUL

    • 78 participants en juin 2002 pourL'entretien dans les pratiques d'accom-pagnement avec André CHAUVET

    • 102 participants en novembre 2002 pourLes limites de l'accompagnement avecMireille CIFALI

    Professionnels de la formation, de l'inser-tion sociale et professionnelle, de l'orienta-tion, de l'accompagnement vers et dansl'emploi, s'y rencontrent, exposent leurspratiques ou leurs difficultés, partagentleurs méthodes ou leurs valeurs. Cette diver-sité des participants laisse apparaître, au-delà d'une mosaïque de pratiques, ungroupe informel d'acteurs qui à chaquejournée se rassemblent sur un thème qu'ilsont en partage.

    Les Cahiers de l'accompagnement8 ontpour vocation de capitaliser et de diffuserles échanges et les réflexions de ces jour-nées, de transformer la parole saisie en undiscours lisible qui n'efface pas tout à fait lavivacité et le plaisir pris dans ces débats.

    6. Cette recherche-action était proposée dans le cadre du dispositifPoitou-Charentes de formation des acteurs de la formation 98/99, misen oeuvre par le GIP Qualité de la Formation.

    7. Proposées dans le cadre du dispositif Safran, le dispositif de profes-sionnalisation des acteurs de l’information, de l’accompagnement desparcours et de la formation.

    8. Repères, Edition CARIF Poitou-Charentes.

    4 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

    IntroductionLes journées de

    l’accompagnement en 2002

  • Comme le précèdent numéro (Repères 42)témoignait des deux Journées de 2001,celui-ci rend compte des deux Journées de2002. La première journée était animée parAndré CHAUVET, consultant au cabinetGrand Format, spécialiste de l'accompa-gnement individualisé (conseil, bilan decompétences…), de l'accompagnement auchangement dans les organisations et del'ingénierie des compétences.

    Son intervention a porté sur l'entretiendans les pratiques d'accompagnement :outil de base et parfois seul outil de pra-tiques essentiellement relationnelles, l'entre-tien peut être abordé avec des objectifs etdes positionnements différenciés que le pro-fessionnel doit être capable d’eclairer. Lesapports des techniques d'explicitation ou detechniques dérivées des approches straté-giques enrichissent considérablement lapalette du professionnel.

    La deuxième journée a fait intervenirMireille CIFALI, docteur en Sciences del'Education, historienne et psychanalyste.Elle enseigne à la faculté de Psychologie etdes Sciences de l'Education de l'Universitéde Genève et travaille notamment sur laconstruction des connaissances à partir dessituations singulières où un professionnel estimpliqué.

    • Son champ d’intervention : l'analyse dulien éducatif, la dimension relationnelledes métiers de l’humain.

    • Son cadre théorique et méthodologique :la psychanalyse, la philosophie, lapsychosociologie, l'écriture des prati-ciens.

    Mireille CIFALI interroge ce désir d'har-monie et de bienveillance qui nous faitrefuser la confrontation au risque de tomberdans l'indifférence ou la manipulation. Siaccompagner nécessite de s'impliquer, jus-qu'où aller dans une relation à l'autre quiévite à la fois les risques pour soi et pourl'autre ? Son intervention tisse des liensentre accompagnement et démarche cli-nique, souligne la place des émotions et dela subjectivité pour les professionnels de larelation.

    5Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • J'ai intitulé mon intervention "L'entretien,pratique en question" car ce que je souhaitefaire aujourd'hui, c'est effectivement ques-tionner les pratiques d'entretien et essayerde repérer en quoi ce moyen peut nous per-mettre d'atteindre les buts fixés à l'accom-pagnement, avec quels dangers, quellesdérives, quelles questions, quellesméthodes… Cette intervention ne sera pasexhaustive puisque je me contenterai d’a-border certaines questions autour des pra-tiques d’entretien, ni impartiale puisque jevais aussi vous amener un point de vue, nisurtout dogmatique puisque je suis prati-cien. Ce qui m'intéresse, c'est interroger lapratique, ma pratique, et en l'interrogeant,la faire avancer ; c'est travailler avec voussur cette pratique singulière, vivante, tou-jours en construction.

    Depuis dix ans, les pratiques d'accompa-gnement se sont beaucoup développées etl'entretien est l’un des outils les plus utilisés ;c'est parfois même le seul outil de l’accom-pagnateur. Si l'on a élaboré des modèlesautour des techniques d'entretien, il existerelativement peu de recherches sur les pra-tiques réelles. Et pourtant, ce qui est intéres-

    sant, c’est cette dimension-là : Que sepasse-t-il dans la relation singulière avecune personne dans l'accompagnement quel'on mène ? Qu'est-ce que l'on fait avecelle ? Comment s'y prend-on ? Commentinterrogeons-nous ce que nous faisons ?

    Quand on veut travailler sur un concept,une notion, une idée, on essaie de ladéfinir : je vous proposerai en premier pointquelques définitions de l'entretien,quelques moyens d'appréhender le champde cette pratique, compte tenu de la diver-sité des pratiques et des champs. L'entretienest sans doute l'une des pratiques les plusopaques que l'on connaisse. On ne sait pastoujours ce que l'on cherche, on ne sait pastoujours comment on le fait ni ce que celaproduit. Le deuxième point sur lequel jeprendrai beaucoup de temps, c'est l'opacitéet l'implicite des pratiques d'entretien. Jeparlerai aussi de la réalité des pratiquesprofessionnelles et des observations sur lesprotocoles d'entretien que l'on a pu mener.J'aborderai ensuite la question du position-nement du professionnel dans l'entretien.

    6 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

    Première partie :L’entretien, pratique en question

    L’ENTRETIEN PRATIQUE EN QUESTIONConférence de Monsieur André CHAUVET, consultant au cabinet Grand Format,

    28 juin 2002

  • Ce positionnement dans les pratiques d'ac-compagnement ne me semble pas clair dutout, il est important d’identifier certaineszones d'ombre : on va beaucoup insistersur les notions d'autonomie, d'acteur, desujet et examiner en quoi ce que l'on met enœuvre permet réellement cela. Je vous pré-senterai quelques pistes qui se développentdans les pratiques, que l'on appelle destechniques d'intervention, par opposition ànos pratiques moins directives ; nousverrons en quoi ces pratiques plus interven-tionnistes peuvent être des pratiques d'ac-compagnement. Il est extrêmement impor-tant de resituer toute remarque au plantechnique dans un contexte général où lespratiques d'accompagnement sont éva-luées sur les effets qu'elles produisent. Lesindicateurs de résultats pour des pratiquesqui travaillent sur des relations singulières,où les effets ne sont pas immédiats, instal-lent une pression sur les professionnels del'accompagnement et mettent en dangercertaines organisations que l'on soit dans lechamp social sur l'accompagnement duRMI, dans le champ de la formation avecles démarches qualité engagées sur uncertain nombre de dispositifs, dans lechamp du bilan de compétences avec lebilan de compétences approfondi.Néanmoins, cette question de l’évaluationne peut pas être simplement évacuée, c'estune question qui est vitale pour les profes-sionnels de l'accompagnement, qui nousinterpelle sur nos propres indicateurs decompétence professionnelle. On est dans uncontexte qui est à la fois complexe, sujet àdébat, à polémique, que j’essaierai d’a-

    border avec humilité en évitant les excès quisont "on ne peut pas évaluer" et "on peuttout évaluer". Je terminerai sur la questiondu professionnalisme et de son dévelop-pement.

    I. L’ENTRETIEN, DE QUOI PARLE-T-ON ?

    La thérapie, les ressources humaines, lebilan, l'accompagnement, le recrutement, lavalidation… L'entretien est une pratique àtout faire qu’il convient de définir et surtoutde critérier, c'est-à-dire essayer de repérerce qui distingue les différents types d'entre-tiens.

    L’entretien est une situation provisoire (doncqui ne dure pas), d'interaction et d'inter-influence (une influence essentiellementverbale mais pas seulement), entre deuxpersonnes en contact direct, avec un objectifpréalablement posé. Cette définition permetsimplement de poser le cadre et surtout d’in-troduire la notion d'objectif.

    L'objectif préalablement posé est loin d'êtreune évidence. Quand on interroge des per-sonnes qui ont soit vécu, soit mené desentretiens, on est très frappé de l'impliciteautour des buts visés. L’objectif défini estpourtant un premier critère essentiel pourdéfinir le type d’entretien.

    Le deuxième critère est la position des inter-locuteurs et la relation qui les réunit. On vaopposer un peu formellement la logiqued'expertise à la logique d'accompagne-

    7Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • ment mais les situations sont généralementplus nuancées. Si l'entretien est mené parun expert, un évaluateur, un supérieur hié-rarchique, un recruteur, sa position est rela-tivement simple et claire. S'il est informateur,conseiller, accompagnateur, le positionne-ment lui-même doit être précisé et oscilleraentre une logique d'expertise et une logiqued'accompagnement. En effet, ce n'est pasparce que l'on adopte globalement unelogique d'accompagnement qu'à aucunmoment on ne fait référence à des niveauxd'expertise. La personne reçue peut êtrecaractérisée selon qu’elle a ou non uneattente précise, une demande explicite.Dans l'exemple du bilan de compétencesapprofondi, une prestation ANPE que cer-tains demandeurs d’emploi n'ont pas lapossibilité de refuser, il va falloir construireavec eux une vraie demande qui trouve dusens à cette démarche-là. C'est une com-plexité supplémentaire dans le positionne-ment des interlocuteurs puisque cela vagénérer de l'opacité qu’il va falloir élucider.Or, si l’entretien s’applique volontiers à élu-cider la situation de la personne, il n’éclaircitpas toujours la position du professionnel.

    II. L'OPACITÉ DES PRATIQUESD'ENTRETIEN.

    Je vais essayer de rendre compte de ce querecouvre cette opacité des pratiques afind'en chasser un peu l'implicite. Je vais pourcela m'appuyer sur des choses que j'ai puobserver dans le cadre d'un travail sur desprotocoles d'entretien, les miens comme

    ceux des autres et ce que je dis là meconcerne au moins autant que vous. Dansun travail de réflexion en analyse du travail,on a filmé des entretiens avec l'accord despersonnes, regardé ce qui se passe et inter-rogé les professionnels.

    Qu'est-ce qui marche ?

    Le tout premier problème dans les pratiquesd'entretien c'est que l'on a du mal à identi-fier ce qui marche. Le praticien n'est passuffisamment au clair avec lui-même sur cequ'il met en œuvre pour que cela marche eten conséquence, il ne peut pas le repro-duire, ce qui l'oblige à réinventer des pra-tiques quotidiennes. Si on ne peut pasreproduire, on ne peut pas davantagetransmettre. Ce qui pose tout le problèmede la formation à l'entretien et de la trans-mission de ses savoirs, ses savoirs en actes,ses savoir-agir, qui sont complexes et quin'ont pas grand-chose à voir avec dessavoirs académiques. Un autre point le plussouvent implicite est la compétence à menerun entretien. On considère généralementque quelqu'un sait mener des entretiensparce qu’il en mène beaucoup. Il y a un liende cause à effet entre le nombre d'entretiensréalisés et la capacité supposée du prati-cien. A l'opacité de la situation de travails'ajoute le manque d’indicateurs.

    Les conditions préalables

    Le troisième point que je voudrais soulignerest l'importance accordée à ce que je pour-rais appeler "les préalables à la situation

    8 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • d'entretien". On se préoccupe beaucoupdes conditions à mettre en œuvre pourqu'une relation de confiance se noue, pourque la personne se sente autorisée à parler,pour qu'elle puisse s'exprimer. On a beau-coup travaillé là-dessus avec des approchesrogériennes, des notions d'interactivité, eton a peu réalisé de travaux sur la suite del'entretien, comment on le conduit, commenton questionne, comment on ajuste,comment on intervient, etc.

    Les vertus de l'entretien

    Quand on demande aux professionnels del'entretien pourquoi ils mènent des entre-tiens, on est frappé de la naïveté d'une tellequestion puisqu'il semble que dans cer-taines situations, l'entretien est un but en soi.L'entretien lui-même va produire des effetspar les vertus de l'entretien. L'implicite despratiques d'accompagnement nous donneà croire qu'établir une relation individuelleprocure des effets positifs. L'approche rogé-rienne est fondée là-dessus : permettre àune personne de verbaliser l'amène àprendre contact avec sa propre expérience ;on est dans une logique de construction oude reconstruction de soi, d'identification deses ressources. Je ne pose certes pas laquestion de la validité de cette approchemais : Est-ce la seule ? Est-ce que celamarche tout le temps ? Est-ce qu'il suffit d'a-mener quelqu'un à parler de sa situationpour que cela produise des effets ? C'estdans ce raccourci-là que je vois une dérive,dans le fait qu'à certains moments, lemoyen devient un but. Même si j'ai une

    hypothèse techniquement séduisante et phi-losophiquement attrayante, quand elleenvahit tout le champ de mes pratiques, ellepose un problème.

    III. L'OBSERVABLE DES PRATIQUESD'ENTRETIEN

    J'ai travaillé avec des collègues sur cettequestion des pratiques à partir d'entretiensenregistrés. C'est passionnant pour le cher-cheur et pour le professionnel lui-même qui,tout à coup, se voit faire dans sa pratiqueprofessionnelle. C'est un peu déstabilisantaussi.

    Le registre technique

    La première chose qui frappe, c'est l'étroi-tesse du registre technique, le nombre rela-tivement faible de techniques utilisées. Onobserve un envahissement de la techniquede reformulation qui est systématiquementutilisée, quel que soit le but visé. Il s'agitd'une technique intéressante pour vérifierque l'on a bien compris, pour amener lapersonne à poursuivre, pour montrer notreintérêt, mais qui présente des inconvénients :pendant que je parle, l'autre écoute, je peuxl'amener là où j'ai envie d'aller, je peuxinterpréter son discours dans le sens quim'intéresse, cela peut être un obstacleconsidérable si je ne suis pas vigilant à cepour quoi je le fais et dans quel but. Lareformulation permet au professionnel deprendre du temps dans la relation, de

    9Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • penser à la question qu'il va poser après,mais on peut se demander si on ne pourraitpas utiliser d'autres ressources techniques etglobalement, pourquoi on utilise si souventcette technique-là. Lorsque l'on s'interrogesur les techniques mises en oeuvre, on se ditque l'on ne fait jamais la même chose, quel'on est toujours dans la singularité maislorsque l'on observe la réalité des entre-tiens, en fait il se passe souvent la mêmechose. Nous tenons tous des discours sur lacentration sur la personne et en fait, nousutilisons les mêmes registres techniques quisont ceux que nous maîtrisons, que nousavons automatisés. Il existe une difficulté àchanger les pratiques d'entretien, à intégrerdes pratiques différentes. On voit bien, parexemple, comment la technique de l'entre-tien d'explicitation qui est extrêmementcontre-intuitive, pose des problèmes d'inté-gration aux pratiques d'entretien. C'est unequestion de registres techniques, de cultureprofessionnelle et d'automatismes qui sedéclinent dans la pratique et que l'on vareproduire très fréquemment.

    Les relances

    Un autre point observé dans l'enregistre-ment des entretiens est l'importance desrelances. Je prends l'exemple de quelqu'unqui était en formation et l'entretien com-mence par : "Alors, comment cela s'estpassé ce stage ?" et la personne répond :"Et bien, écoutez, cela s'est très mal passé."A partir de là, il y a cinquante façons derelancer ; l'une d'elle peut amener le sta-giaire à répondre : "J'ai eu le sentimentd'être vraiment exploité". Voilà à nouveau

    de multiples possibilités, on peut ques-tionner le vécu, le sentiment, les faits, etc. :

    "Comment cela ?" ; "Qu'est-ce que vousaviez à faire précisément ?" ou "Quandvous vous sentez exploité, cela vous faitquoi ?"

    La manière dont je vais relancer va condi-tionner le contenu de ce que l'on va medire, la manière dont on va m'en parler.Cela pose immédiatement la question, bienau-delà de l'entretien, de ce qu'il sera pos-sible de faire, des moyens à mobiliser parrapport à une production verbale de l'inter-locuteur. C'est donc déterminant pour lasuite du travail puisque avec une mêmesituation, on peut partir sur de multipleshypothèses.

    L'interprétation

    Je prends un autre exemple avec une situa-tion où le conseiller a élaboré une interpré-tation sur une personne un peu para-noïaque : le sentiment que le monde estméchant, qu'on lui veut du mal, etc. Quandon reprend le déroulement de l'entretien, ons'aperçoit que le conseiller s'efforce d'a-mener la personne à admettre que "vrai-ment, elle est trop difficile". Beaucoup depratiques sont liées au vouloir faire dire.Dans le cadre d'un accompagnement,pouvons-nous amener la personne dansnotre interprétation de sa situation ? Jerenvoie ici aux travaux de ConradLECOMTE9 avec qui nous avons travaillé surce sujet.

    9. Conrad LECOMTE travaille depuis quinze ans sur les techniquesd’entretien conseil, en particulier sur les techniques québécoises ; larevue Orientation Scolaire et Professionnelle a publié ses travaux.

    10 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • Il a mis en évidence que dans les dix pre-mières minutes d'un entretien, on a déjà leshypothèses et que tout ce que l'on faitensuite est conditionné par cette premièrereprésentation des raisons qui font que… Lequestionnement se construit alors implicite-ment, non pas par rapport à la personne etsa relation à sa propre expérience mais parrapport au questionneur lui-même, sa rela-tion à ce que dit la personne.

    Dans la manière de prélever les informa-tions rapportées par la personne, on a déjàinterprété ce qu'elle a dit. Lors des forma-tions à l'entretien, on multiplie les observa-tions. L'observateur lui-même, dans le déco-dage qu'il a de la situation, sera persuadéque la personne a dit telle chose alors qu'enfait, cela ne s'est pas passé ; il va inventerles répliques ! L'enregistrement vidéo del'entretien en fait la preuve. Il faut avoirconscience que tout entretien est d'abordune situation de communication et toutesituation de communication produit de l'in-terprétation. Que dire de la bienveillanteneutralité rogérienne ? Toute relance estinterprétative, le moindre geste ou acquies-cement est déjà un message. Dans les prisesde notes, par exemple, est-ce que l'on notece que dit la personne ou ce que l'on pensede ce qu'elle a dit ? Nous ne sommes pastoujours conscients de cette confusion. Nousdécodons ce qui nous est transmis à partirdes solutions que nous avons déjà en tête,nous sommes dans une logique derecherche du sens.

    La force de la persuasion

    J'ai beaucoup travaillé dans l'accompagne-ment des praticiens qui accompagnent despublics en grande difficulté. Une descroyances que l'on a dans ce type d'ac-compagnement, c'est que les gens ont del'expérience, qu'ils ont mobilisé des res-sources mais qu'ils n'en sont pas conscients.On enregistre des protocoles d'entretiendans lesquels, aux forceps, on va arriver àmontrer à la personne que "mais si, elle estbonne", "il y a du positif dans votre expé-rience". On est parfois fasciné de voir laviolence qui peut être mise pour persuaderquelqu'un qu'il est formidable. Mais lesgens ne sont pas dupes : vous n'allez pasles convaincre de quelque chose que lasociété invalide tout les jours. Vous lesconvaincrez parce que vous êtes crédible etlégitime mais si dans les trois mois la sociétéleur a en permanence renvoyé le fait qu'ilsn'étaient pas désirables, qu'ils n'étaient pasacceptables, votre conviction personnelle nerésistera pas.

    Finalement nous sommes tous dans le dis-cours de la singularité et l'adaptation àtoutes les situations mais il y a un décalageentre ce que l'on vise, ce que l'on affiche etles pratiques mises en œuvre qui sontparfois assez interprétatives, assez manipu-latoires et souvent standardisées. Tous ceuxqui aujourd'hui travaillent sur l'entretien seposent la question de la neutralité, la ques-tion de l'accueil de la personne dans sa sin-gularité, du respect de l'autre, de l'écoutebienveillante : toutes ces points qui empor-

    11Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • tent l'adhésion de tous à un moment donnépeuvent devenir un obstacle si le profes-sionnel lui-même ne prend pas consciencedes effets qu'il produit. On a de fait uneposture d'influence et il est bien plus gravede vouloir occulter cette dimension-là.

    IV. POSITIONNEMENT DU PROFESSIONNEL DANS L'ENTRETIEND'ACCOMPAGNEMENT

    Avoir de l'influence

    Si l'on conclut de tout cela que la personnequi mène l'entretien a un pouvoir, cepouvoir peut-il être en toute conscience misau service de la personne ? Le positionne-ment implicite, celui qui va de soi parmi lesprofessionnels de l'accompagnement, secaractérise plutôt par l'accueil, l'écoutebienveillante de la parole de l'autre et moi,miroir neutre, jouant le rôle de l'aide à laconstruction sans attribution de sens. Mais,on l'a vu, on attribue toujours du sens, onn'arrive jamais à maintenir cette position deneutralité, le sens envahit tout le temps etnous entraîne dans une logique d'interpré-tation. Cette logique d'interprétation peut-elle s'accommoder d'une position d'in-fluence ? Ce point intéresse aujourd'huibeaucoup car il est en lien avec d'autrespratiques telles que les thérapies straté-giques ou les interventions systémiques. Est-ce que l'on peut stratégiquement déciderd'avoir de l'influence ? Est-ce que l'on peutdécider à un moment donné de poser tel

    type de question, d'utiliser tel type de méta-phore ou d'analogie ? Est-ce qu'un profes-sionnel de l'entretien peut essayer de maî-triser cette influence-là ?

    Résoudre un problème

    Un certain nombre de techniques se déve-loppent aujourd'hui, inspirées à peu prèstoutes du même modèle mettant en œuvrel'entretien comme un moyen d'aider unepersonne à résoudre un problème. Il s'agitalors d'identifier la question puis de mobi-liser les moyens les plus adaptés pourrésoudre le problème y compris en aidantla personne à recenser les moyens dont elledispose. Un tel positionnement modifieconsidérablement la technique et l'objectifde l'entretien, qu'il s'agisse d'entretien debilan mais aussi de thérapie ou de valida-tion d'acquis. On peut alors décider d'éla-borer une vraie stratégie de questionnementpar rapport à un objectif fixé à l'avance. Ceque l'on observe aujourd'hui, c'est que l'en-tretien lui-même peut devenir une fin en soi,la personne est contente de venir voir sonaccompagnant et l'on a perdu de vue le butfixé à l'accompagnement.

    La dissonance

    Toutes les pratiques d'accompagnementdoivent introduire de la dissonance. Si lapersonne entend un discours conforme à cequ'elle a envie d'entendre, si le travail de ver-balisation que je mène autour de son expé-rience la valorise, qu'est-ce que cela produitquand l'accompagnement prend fin ? Il n'est

    12 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • pas du tout certain que nouer une relationde qualité avec quelqu'un puisse générerdes effets qui modifient sa situation au-delàde la relation elle-même. Inversement, on avu un certain nombre de cas où les genssont furieux du travail que l'on a fait avec euxet où cela produit des effets remarquables surle changement de représentation de la per-sonne. La question du positionnement du pro-fessionnel dans l'entretien est une questiontechnique ; c'est aussi une vraie question nar-cissique personnelle : "Quels sont les effets enretour de ce que je produis ?". Quand jeproduis de la satisfaction, on me renvoie lefait que je suis vraiment gentil, vraiment trèsbon et c'est plus agréable que si l'on me voitcomme quelqu'un de vraiment pénible quipose des questions vraiment bizarres.

    Des pratiques d'intervention

    "Est-ce que j'envisage mon absence ? Est-ceque je suis préoccupé de la résolution duproblème de la personne ?" Ces questionssont au cœur des pratiques d'accompagne-ment et des techniques stratégiques centréessur le problème. Cela mobilise des tech-niques extrêmement différentes : l'entretiend'explicitation mais aussi des techniquesd'intervention où l'on va poser explicite-ment des questions particulières. Parexemple, à quelqu'un se trouvant dans unesituation personnelle difficile qui veutchanger de travail, on peut demander defaçon très large : "Est-ce qu'il y a des chosesqui vous intéresseraient ?", alors que laquestion stratégique serait : "Dans votresituation, s'il y avait une seule chose à

    changer, ce serait quoi ?". Dans ce cas, leprofessionnel va réfléchir à la question qu'ildoit poser compte tenu du problème, il vaprendre le temps, ne pas automatiser lesréponses mais intervenir pour que la per-sonne focalise elle-même sur un objet dontle professionnel a su déterminer qu'il estimportant pour elle.

    Dans certaines pratiques de bilan, de thé-rapie ou d'accompagnement, cela va trans-former les objectifs mais aussi modifier tech-niquement la manière d'organiser les entre-tiens : au contraire des entretiens non direc-tifs, se développent aujourd'hui des métho-dologies d'entretien structuré et directif surla forme et souple sur le fond. Le travail duprofessionnel porte alors sur le choix dequelques questions déterminantes et leurformulation afin d'aider la personne à yrépondre. Il va guider la personne sur desinterrogations extrêmement précises, sansintervenir sur le contenu qu'elle va produire,ni amener d'interprétation, en lui permet-tant seulement de focaliser : "vous me ditesque tout s'est très mal passé ; citez-moi uneseule chose qui s'est bien passée". Ou bienà une personne qui cherche une offre d'em-ploi : "vous avez 150 offres à disposition,vous allez en trier 10 et pour chacune medire une raison pour laquelle vous la pren-driez et une raison pour laquelle vous ne laprendriez pas".

    En multipliant les interventions de ce type,on va fixer des objectifs au questionnementpour amener la personne à aller au-delà dece qu'elle produirait elle-même commequestion.

    13Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • Une autre observation de la pratique, c'estque la durée d'un entretien a peu de chosesà voir avec ce qu'il produit : "J’ai eu unentretien de 3 heures, on a abordé plein dechoses..." –"Oui, et cela a produit quoi ?"Dans les approches brèves, à l'inverse, onva plutôt se dire : "si j’ai 10 minutes avecMonsieur Machin, je lui demande quoi ?".Arrêtons de faire un lien entre la durée et leseffets et posons les questions essentielles,celles qui nécessitent notre intervention,notre expertise, pour amener la personne àavancer dans sa situation. Il convientaujourd'hui, non pas de normer ces pra-tiques d'intervention, mais de modéliser unpeu pour dégager quelques principes d’ac-tion. Si l'on reconnaît qu’il y a de l’in-fluence, utilisons cette influence de façonexplicite. Cette logique d'intervention peutêtre tout à fait respectueuse de la personne,tout à fait centrée sur elle et empathique. Ilfaut avoir conscience de son propre systèmede centration et de son propre système d'in-fluence. Une relation de communication,c'est une relation d'influence et c'est aussiune relation de pouvoir car la personne n'apas toujours les moyens de résister à ce quevous dites.

    V. EVALUER LES PRATIQUESD'ACCOMPAGNEMENT

    Pour qui travaille-t-on ?

    Toute prestation crée des bénéficiaires et onen arrive à transformer la demande de lapersonne pour qu'elle s'adapte à la presta-

    tion, aux outils, etc. Le moyen mobilisédevrait toujours être en lien avec le pro-blème de la personne, or ce n'est pas ce quise passe : on fait entrer la personne dansune prestation qui existe a priori et au boutdu compte, on n'est pas content parce quele public ne correspond pas aux critères dela prestation. Avec le chéquier-bilan cadre,les pré-requis étaient tels que ceux qui lespossédaient n'avaient pas besoin de laprestation, ils étaient capables de sedébrouiller tout seuls. A partir du momentoù l'on accueille quelqu'un, on va privilé-gier l'entrée par sa situation. Dans quellesituation se trouve la personne ? Est-cequ'elle souhaite changer quelque chose àsa situation ? Si je suis prestataire d'unservice de l'Etat dans le cadre d'une com-mande publique, la personne reste la prio-rité. Nous ne sommes pas le bras armé dela société pour dire aux gens "votre situa-tion n'est pas satisfaisante" et nous n'avonsaucun jugement à porter sur la situation dela personne. Pour autant, ça n'exclut pas deresituer le contrat social qui nous lie auxprescripteurs. Une des questions essentiellespour moi aujourd'hui, c'est : " Pour qui tra-vaille-t-on ?". Comment être sûr que ce quel'on fait serve réellement la personne entermes d'usage social ?

    Des objectifs opérationnels

    Pour y voir plus clair, il convient de chasserl'implicite : "Quelle est la question ? Quelest le moyen ? Quel est le résultat ? " Dansla pratique d'entretien, ces trois points sontgénéralement mal définis. Prenonsl'exemple d'un bilan de compétences où la

    14 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • personne est envoyée par l'agence pourl'emploi avec la commande : élaborer unprojet professionnel réaliste. Un tel objectifest professionnellement intenable. A la fin lapersonne va me dire : "je n'ai pas de projetet en plus il n'est pas réaliste, vous êtes trèsmauvais." Une enquête auprès des bénéfi-ciaires des prestations de bilan cadres faitapparaître deux choses : "je suis très satis-fait" et "cela ne m'a servi à rien". On sedemande alors quel était le but et on revientà la commande. Mais on ne sauraitatteindre un but si l'on n'a pas contractua-lisé sur des objectifs opérationnels. Il existesouvent une confusion dans les pratiquesd'accompagnement entre attentes,demande et objectif. On a généralementdes objectifs tellement généraux que c'est lepoint de vue de chacun qui dira si on les aatteints ou non.

    Toute pratique doit contractualiser desobjectifs de travail opérationnels qui vontnous permettre de savoir si les buts sontatteints. La plupart du temps, on accueille lapersonne et on avance avec elle sans savoira priori où l'on va. Si quelqu'un vousdemande : "Vous faites quoi avec elle ?"" - Je la rends plus autonome".

    Comment expliquer à un financeur à quoise mesure l'autonomie ? Je ne suis pas dutout obsédé par les résultats mais pour unprofessionnel, appréhender la demande dela personne sans essayer de la définir plusprécisément en termes de but à atteindre,c'est tendre des bâtons pour se faire battre.

    Subjectivité dans l’évaluation

    On ne peut évacuer la question des indica-teurs et des effets et pour la traiter, ilconvient de réfléchir aux pratiques que l'onmet en œuvre : "Qu'est-ce que je veux ?Comment je m'y prends ? Qu'est-ce quecela produit ?"

    J'ai montré la difficulté de répondre à detelles questions puisque l'on est dans despratiques extrêmement implicites où le pro-fessionnel lui-même construit des buts enmême temps qu'il gère la situation. Cettedifficulté dépasse les seuls praticiens del’entretien ; il existe aujourd’hui dans laplupart des pratiques professionnelles deservices une grande opacité et une absencede lien évident entre l'activité visible despersonnes et les effets. Cela pose unedeuxième difficulté : davantage d'inobser-vable dans les situations de travail entraînedavantage de subjectivité dans l’évaluationdes performances. Comment savoir quequelqu’un est un bon conseiller ? Quels sontles indicateurs d’efficacité du service qu’ilrend ? Est-ce que les indicateurs d'efficacitésont dans la satisfaction du bénéficiaire ? Aqui revient-il de déterminer les effetsattendus ? Au praticien, à la structure quil'emploie, au bénéficiaire, au commandi-taire ?

    La question de l'évaluation n'a d'intérêt quesi elle aide le professionnel à savoir s'il faitbien ce qu'il fait. Tout professionnel abesoin de savoir si ce qu'il fait est conformeà ce que l'on attend de lui. On ne peutréaliser un travail si l'on ne sait pas à quoijuger qu’on le fait bien, si la pratique n'est

    15Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • régulée que par sa propre intuition, sonpropre sentiment. Quand on ne sait pasquels moyens on mobilise ni ce que l'onveut produire, on risque d'être dans lasimple répétition de ce que l'on fait d'habi-tude.

    VI. DÉVELOPPER LE PROFESSIONNALISME

    Etre capable de réflexivité

    Tout professionnel peut s'interroger sur sapratique, sa pratique prescrite, déclarée.Tous nous affirmons réaliser des choses quicorrespondent en fait rarement à ce qui estfait. Parce que l'on a plutôt envie d'afficherce que l'on aimerait faire et le plus souventparce que l'on n'est pas bien conscient dece que l'on fait. Un des éléments essentielsdu professionnalisme aujourd'hui, c'est dese mettre un petit peu au-dessus et depouvoir vraiment se questionner sur ce quel'on met en oeuvre, sur ses automatismes…Si je veux être en capacité d'aider au mieuxles gens, j'ai besoin de savoir ce que je fais,comment je m'y prends, ce qui fait que jepose cette question-là, etc... On ne peutdévelopper un professionnalisme de l'entre-tien sans un regard objectif, un observateurou une trace.

    Etre capable de décider

    L'accompagnement peut être engagé surdeux types d'objectifs très différents :

    • aider la personne à prendre consciencedes paramètres de sa situation, des élé-

    ments personnels, des éléments qui vontlui permettre de clarifier la situation, etc...

    On le fait beaucoup et en règle générale,on le fait très bien ; on demande : "quepensez-vous de la situation ? ", ce n'est pasforcément un moyen d'agir.

    • aider quelqu'un à avancer, mais surtout àrésoudre le problème qui est le sien.

    Il s'agit d'une vision plus pragmatique del'accompagnement dans laquelle le profes-sionnel est préoccupé par le problème etessaie de travailler avec la personne sur lessolutions qu'elle peut elle-même mettre enœuvre ; on demande : "s'il n'y avait qu'unechose que vous puissiez faire d'ici lasemaine prochaine, ce serait quoi ?".

    Le résultat sera lié à la modalité utilisée, onn'est pas du tout sur le même champ. Oraujourd'hui, dans les pratiques d'entretien,on mélange un peu les deux, sans être tou-jours au clair sur l'influence que l'on s'auto-rise. Le professionnel est celui qui possèdeune capacité à décider en situation pouraller dans un but identifié, une capacité àrendre explicites des choses implicites.

    Etre capable d'inventer

    Si je sais que je peux décider, je clarifie mazone de pouvoir et je peux renvoyer à lapersonne son propre pouvoir. Ce sont lesconditions pour inventer et innover. A partirdu moment où j'ai délimité mon pouvoird'action, je peux tout inventer. Si je suis

    16 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • dans des automatismes de techniques d'en-tretien, je risque de reproduire ce que je faisle plus souvent et je ne vais pas innover. Leprofessionnel de l'entretien se tient toujoursdans une position originale, singulière. Cequi va l'amener à aider au mieux la per-sonne qu'il accompagne, c'est justementd'avoir conscience de son propre style.

    A partir de là, il peut décider des choses etrevendiquer son pouvoir d'intervention ; s'ila déterminé cela, tout est possible. C'est laconscience de l'implicite qui va nous faireavancer : la conscience que j'interprète, queparfois je suis centré sur moi et pas surl'autre, ma capacité à me décentrer et àapprivoiser tout cela.

    Si j'ai insisté sur les pratiques d'interventionstratégique, c'est que l'on a aujourd'hui uneperversion des systèmes d'accompagne-ment : à force de valoriser l'autonomie, lacentration sur la personne, on favorise lanorme d'internalité. Le propos extrêmeselon lequel on ne pourrait rien décider mesemble dangereux car il empêche toutestratégie et renvoie à la personne la respon-sabilité de tout. Sans aller le moins dumonde dans une quête de normalisation, jedirais qu'il faut apprivoiser les choses et enmême temps, il faut s'apprivoiser soi-mêmeen tant que praticien. La conscience de ceque je fais, la conscience de ce qui me meten difficulté, la conscience de mes interpré-tations, c'est le moyen de les apprivoiser etc'est le moyen de mieux me centrer surl'autre, au-delà des discours.

    17Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • Le grand critère de positionnement profes-sionnel sur le type d'entretien est le niveaud'expertise, du moins directif au plusexpert.

    • L'entretien d'accompagnement nondirectif se caractérise par l'absence d'ex-pertise et la centration sur la personne.

    • L'entretien d'investigation que l'on auraitnaguère rangé dans l'expertise avec lesrenseignements généraux et la policejudiciaire, trouve aujourd'hui sa placedans une démarche d'accompagnementcentrée sur la personne. On est dans l'en-quête, dans le questionnement, l'explicita-tion et en même temps dans la compré-hension. Par exemple, pour la validationdes acquis de l'expérience, on a besoinde mener un entretien qui permette d'ensavoir plus et de recueillir des faits.

    • L'intervention stratégique constitue untroisième type d'entretien dont on parleencore peu dans le champ de l'accompa-gnement. Le praticien décide de fairequelque chose stratégiquement, il choisitdes métaphores, des analogies, des ques-tions, il explore le système de la personnedans sa complexité avec un objectif derésolution de problème.

    • Avec le diagnostic-conseil, beaucoup tra-vaillé en bilan de compétence, on entre

    dans la zone d'expertise. Certains typesse recouvrent et en particulier stratégie etdiagnostic-conseil : dans le même entre-tien, il peut y avoir beaucoup d'ambiguïtéentre l'expertise (on utilise des outils d'é-valuation et on produit des préconisa-tions) et la logique d'accompagnement(dans laquelle c'est la personne qui sait).

    • L'expertise forte correspond à l'entretiende sélection, avec un positionnement trèsclair sur une logique de mesure.

    Ce sont là des catégories un peu formellesmais elles ressemblent assez à ce qui peutapparaître dans la pratique. Elles doiventsimplement permettre la réflexion et ledébat. Cette distinction expertise / accom-pagnement avec la question des outils àmettre en œuvre est au cœur de nos pra-tiques.

    A partir de cette typologie, les échanges enateliers ont permis d'aborder quelquesquestions :

    Quelles sont les pratiques d’entretiensrepérées comme efficaces ?

    Dans quels cas et avec quelles limites ?

    18 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

    COMPTE-RENDU DES ATELIERSLe questionnement des ateliers s'est appuyé sur une typologie d'entretien

    présentée par André CHAUVET

  • UNE DIVERSITÉ DE PRATIQUES

    Pas d'exclusive

    La typologie d’entretien présentée a permisde repérer des pratiques. Les participantsne font pas d’exclusive sur un type d’entre-tien ni de rejet d’une modalité ou d’uneautre : il n'y a pas "une" pratique d'entre-tien repérée comme efficace, une pratiquepouvant être efficace dans une situation etpas dans une autre. Ils déclarent utiliser unediversité de techniques d’entretien selon lasituation et la personne rencontrée, selon lemoment dans l’accompagnement ou lemoment dans l’entretien. Il peut y avoir desséquences différentes dans un même entre-tien qui font varier ces différents registres.Quelqu'un a utilisé l'idée d'un curseurqu'on déplace, tantôt vers le non directif,tantôt davantage vers l'expertise selon lebesoin.

    Bricolage

    Suivant la demande, le dispositif, le contexteet le chemin déjà parcouru par l'usager,l'accompagnateur va ajuster sa pratique. Ildoit être dans une posture souple, devantsans cesse prendre du recul vis-à-vis de cequi se passe pour adapter le cadre de l'en-tretien, pour inventer en situation. Cesarrangements sont de l'ordre du bricolagedans un sens d'ouverture vers la situationprésente. La compétence de l'accompagna-teur peut être qualifiée de plurielle dans lamesure où elle emprunte à des expérienceset pratiques multiples.

    L’efficacité consiste à adapter la technique,la modalité au moment et à la personne, àchoisir en fonction de certains paramètres letype d’entretien qui convient.

    Quelques contraintes

    Certaines situations sont signalées, noncomme des contraintes avec lesquelles ons'arrange, mais comme des difficultésmajeures pour la réussite d'un entretien :

    • la présence d'une tierce personne(parents, conjoint),

    • le fait que les personnes bénéficient deplusieurs accompagnements en mêmetemps (redondance d'un certain nombred'éléments) ou successivement (personnesballottées d'une structure à l'autre quirépètent leur histoire…).

    Certains paramètres sont identifiés commeengageant à l'utilisation d'un type d'entre-tien particulier :

    • Le temps : quand on se doit d'aboutir àquelque chose dans un délai imparti.

    • L'obligation de résultats : l'entretien seravraisemblablement plus directif.

    • Le moment de la démarche : en début dedémarche, on a besoin de recueillir desfaits et on utilise davantage l'entretiend'explicitation, la reformulation, l'écoute ;à la fin et en fonction des contraintes pré-cédentes, on peut se montrer plus directif.

    19Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • • L'implication de la personne : on ne vapas utiliser les mêmes méthodes d'entre-tien quand une personne ne s'exprimepas et quand elle parle spontanément.

    L'entretien situationnel

    Ces arrangements se précisent dans l'ac-tion, en fonction de ce qu'on ressent quandon rencontre la personne. Au cours de l'en-tretien, l'accompagnateur doit être à l'écoutede ce qui est en train de se passer, il doits'ouvrir à la singularité de chaque situationtout en maintenant une distanciation pourêtre en mesure de réagir. En même tempsqu'il agit dans la situation, il maintient unedistance. L'écrit peut être un outil pour favo-riser ce double mouvement d'implication etde distanciation.

    La fluctuation constitue l'une des caractéris-tiques de la pratique d'accompagnement etdes entretiens : sa première marque d'effi-cacité. Entre bricolage (pris dans son senspositif de petits arrangements quotidiens)des cadres d'action, arrangements dansl'instant, négociations, allers-retours entreimplication et distanciation. Pratique del'entre-deux qui se débrouille de la contra-diction, pratiques de l'ouverture vers l'autreet des ajustements avec l'autre. On pourraparler "d’entretien situationnel".

    QUELQUES POINTS D'EFFICACITÉ…

    Etre créatif et inattendu

    Le praticien doit veiller à ne pas être pri-sonnier des méthodes, à ne pas pousser les

    gens vers ce qu'il veut entendre en fonctionde ses outils habituels, de ses prestationsstandardisées. Il peut s'appuyer sur sonexpérience ou sa personnalité pourrebondir sur l'inattendu, sur une phrase del'accompagné à laquelle il ne s'attendaitpas.

    Il ne faut pas refuser la créativité, l'intuition :certains praticiens utilisent au cours de l'en-tretien des dessins, des métaphores… Celapermet de dénouer certaines choses, desortir de l'implicite. Le dessin permet surtoutd'être moins inquisiteur.

    Il faut réaliser des choses conscientes, ne pasrester sur les stéréotypes.

    De la confiance

    La réussite de l'entretien tient pour beau-coup à la disponibilité du professionnel, àl'écoute qu'il est capable de mettre enœuvre et à la confiance qu'il va instaurer,avec la limite bien sûr qu'il n'est pas là pourêtre gentil ni pour être aimé. Cette néces-saire confiance peut s'entendre selon undouble mouvement pour le praticien :

    • Mettre en confiance, c’est permettre à lapersonne de prendre la parole, de s’ex-primer librement.

    • Faire confiance, c’est permettre que lapersonne entre en contact avec unélément de son expérience, découvrequelque chose pour elle-même et par elle-même.

    20 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • De la clarté

    Ce qui compte aussi pour beaucoup, c’est lecontrat posé avec des éléments de durée, delimites ; c’est l’inscription de l’accompagne-ment dans une commande institutionnelleclaire avec son mandat et ses objectifs. Il ya parfois lieu de s'interroger sur le mandatqui nous est donné ou les missions dévoluesà la structure : "est-ce que cela, c'est encorede l'accompagnement ?". Ce qui rend l'en-tretien efficace, c'est tout ce qui permet deréduire l'implicite. Tout le monde est d'ac-cord pour dire que plus on est clair, mieuxcela marche, et être clair c'est aussi veillerau langage utilisé (sigles, jargon…). Tout ceque l'on va essayer de mettre en œuvrefonctionnera d'autant mieux que l'on auraété transparent avec la personne.

    Oser dire, oser s'opposer

    Assumer avec fermeté les contraintesappartient au devoir de l'accompagnateur.Il est tenu également d'assumer son proprepoint de vue, sa propre opinion. Être à l'é-coute de l'autre ne signifie pas être d'ac-cord en permanence avec ses propos et sesprises de décision. En exposant sa manièrede voir, il place l'usager en position de jus-tifier ses propres propos, de les discuter etde les relativiser. Il ne s'agit pas non plusd'être contre systématiquement mais d'êtredans la discussion comme avec toute per-sonne considérée comme responsable etlibre de ses opinions. Oser dire lorsqu'onn'est pas d'accord est donc avant tout lesigne d'une considération et une marque derespect.

    CONTRAINTES ET LIMITES

    Les vertus du cadre

    L'arrangement des contraintes est l'un desoutils dont dispose l'accompagnateur pourajuster sa pratique. En bricolant, voire ennégociant les limites de l'entretien, il favo-rise la mobilisation de l'usager. Il s'agitavant tout de libérer ce dernier de prises dedécision qui ne sont pas de sa responsabi-lité : organisation de l'entretien, outils mis àdisposition, actions à mettre en œuvre. Enassumant avec fermeté certaines prises dedécision, l'accompagnateur favorise ladisponibilité de la personne sur d'autresplans : désirs, projets, regard sur l'histoirepersonnelle. Penser et disposer les cadresde l'action, c'est ce qui permettra à l'usagerde se libérer sur ce qui constitue le fond del'entretien.

    Des objectifs à définir :

    Le praticien doit travailler avec trois niveauxd'objectifs :

    • les objectifs de l'accompagné,

    • les objectifs du cadre institutionnel : finan-ceur et employeur,

    • ses objectifs d'accompagnateur.

    C'est une sorte de triangle dans lequel il fautfaire en sorte que la logique des trois soitrespectée. Pour cela, il convient d'annoncerles objectifs de chacun, de clarifier les rôleset les positions assumées. Ce travail per-mettra de définir, pour la séquence d'ac-

    21Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

  • compagnement dans laquelle on est, unobjectif opérationnel immédiat.

    Connaître ses limites

    Ce sont souvent nos propres limites (ce quel'on peut ou veut entendre) qui dirigent etclôturent un entretien. Pour nous aider àsurmonter ce que l'on entend et doncdépasser nos limites, certains ont évoqué lamise en place d'une supervision extérieurequi permet de voir jusqu'où l'on peut aller.Certains participants ont témoigné de larichesse des entretiens menés à deux(tutorat des accompagnateurs).

    Nos limites correspondent aussi aux forma-tions suivies qui ont construit notre profes-sionnalisme. On peut y distinguer trois axes :

    • Un axe technique : chacun dispose deplus ou moins d'outils, de méthodes, quilui procurent plus ou moins de latitudedans l'action (avec la réserve que l'on n'apas toujours conscience d'utiliser telle outelle méthode).

    • Un axe de l'analyse des pratiques : pourêtre au mieux à l’écoute de la personne,le praticien doit avoir accès à la réflexivité(parfois grâce à un observateur exté-rieur), il doit s'efforcer à la lucidité sur cequ'il fait, à la prise de recul. Cette dimen-sion là est aussi importante que sa techni-cité.

    • Un axe de l'appropriation, de la connais-sance de soi : la latitude d'action de l'ac-compagnateur dépend aussi largement dutravail sur soi qu'il a pu entreprendre :bien se connaître, savoir ce que l'on veutet ce que l'on ne veut pas. Un participanta parlé de la "sécurité ontologique" del’accompagnateur. Ne pas oublier nonplus que l'on est singulier, "faire le silenceen soi", "ne pas oublier où j'ai étéformé", "ne pas oublier ce que je sais".

    22 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • Je vais tenter d'aller à l'essentiel en retenantquelques mots qui me paraissent des clefspar rapport à tout ce que j'ai entendu.

    Le premier mot qui me vient à l'esprit envous écoutant et en vous observant, c'est ceque j'appelle l'implication. La pratiqued'entretien est une pratique implicante quiengage le professionnel en tant que per-sonne. On voit bien dans les débats, voireles oppositions qui peuvent se manifester, àquel point la pratique nous touche person-nellement, bien au-delà des points de vuetechniques, stratégiques, etc. C'est d'abordune personne qui mène l'entretien, ce quinous est dit nous touche, je crois que laconscience de cela peut être essentielle.

    Le deuxième point que je retiendrai est lepoids des contextes : on a beaucoup parlédes prestations, des prescripteurs, desfinanceurs. Aujourd'hui, les pratiques del'entretien ne peuvent être examinées sansprendre en considération les pressions exté-rieures, pressions légitimes. On ne peutignorer que toute situation d'accompagne-ment se situe dans un contexte ayant sesrègles du jeu, on ne peut se centrer exclusi-vement sur la personne en évacuant lescontextes d'un revers de la main. Il y a unequestion de positionnement qui est essen-tielle : peut-on travailler avec une personne

    en prenant en compte les contextes tout enévitant de la manipuler ?

    Le troisième mot qui me vient à l'esprit,parce que c'est un mot qui m'intéressebeaucoup aujourd'hui dans les pratiquesd'entretien et globalement dans toutes lespratiques d'aide, c'est la notion de transac-tion. Il me semble que ce qui se joue pour lapersonne par rapport à la gestion de sonavenir relève d'une transaction par rapportà son environnement. Le professionnel del'entretien est lui-même dans une logique detransaction entre les désirs de la personne,ses représentations, les objectifs d'un com-manditaire, ses propres valeurs de profes-sionnel… La définition d'objectifs contrac-tuels conjuguant plusieurs niveaux d'objec-tifs relève bien d'une logique de transaction.Il faut une grande clarté sur ces différentspôles et sur la transaction que l'on va mettreen œuvre.

    Un quatrième mot qui me semble au cœurdu débat, c'est le mot limites.L'accompagnement, où est-ce que cela s'ar-rête ? Où est-ce que cela commence ? Est-ce que l'on parle d'accompagnement ? Est-ce que cela en est encore ?L'accompagnateur doit toujours penserl'absence d'accompagnement et identifierles limites de son intervention, ce qu'il

    23Les Cahiers de l’AccompagnementEdition CARIF Poitou-Charentes

    EN CONCLUSION...André CHAUVET

  • apporte comme plus-value dans la situationde la personne. L'accompagnateur n'estpas un sauveur. S'il repousse à chaque foisles limites, son surinvestissement seracontre-productif en générant de l'inaction.

    Le cinquième mot qui me semble extrême-ment important, que j'ai entendu je croisdans tous les groupes, c'est la notion decadre. Plus on est au clair sur les position-nements des uns et des autres, plus on a dechance de faire un travail satisfaisant à des-tination de la personne. Il y a une croyanceautour du fait que la directivité est nocivedans la relation d'accompagnement. Jecrois pour ma part que c'est une illusion etque la fonction d'accompagnement estd'abord une fonction de cadre, de conte-nant, qui donne à la personne les règles dujeu qui lui permettent de se situer dans unenvironnement complexe.

    Le sixième mot que je voudrais donner, c'estl'autre. Est-ce qu'on ne peut pas s'oublierun peu soi-même en tant que professionnelpour se poser la question de la personne ?Je suis frappé par la difficulté à nous sortirde nos injonctions, de nos contextes, de nosstructures, pour nous recentrer sur la per-sonne en tant que sujet, en tant qu'autre.

    J'ajouterai pour terminer : tout n'est pas vraidans toutes les situations. Nous avonsinventé cet après-midi le concept d'entre-tien situationnel. Ce qui veut dire que vousutilisez à tout moment en fonction de lasituation tous les registres techniques quisont dans mon tableau, mais la consciencede les choisir et de les utiliser va sans douteles rendre plus efficaces. Appuyez-vous surun cadre structurant dans lequel vous serezcapables d'inventer, mélangez consciem-ment les stratégies dans une situation d'en-tretien, adaptez-les à la situation danslaquelle se trouve la personne.

    24 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

  • ACCOMPAGNER, RENCONTRE OU CONFRONTATION

    Accompagner, c’est être sur le mêmechemin, c’est rencontrer, c’est tenter quequelque chose se noue entre deux per-sonnes qui ne sont pas à la même place : unprofessionnel qui est dans son rôle, sonmétier et un être humain en quête, endevenir, en interrogation ; un professionnelqui travaille et un autre qui tente de vivre,de se dépasser. Entre les deux, il y a uneénigme : qu’est-ce qui fait réussite, qu'est-cequi fait rencontre ?

    Le professionnel vient avec ses outils, sestechniques, ses médiations, ses dispositifs ;c’est un professionnel bien intentionné quivoudrait que l’autre se transforme, évolue,quitte ses difficultés.

    L’énigme de la rencontre est contenue dansle mot "accompagnement" : on ne peut pasfaire à la place de l’autre, c'est notre

    impuissance, il y a toujours de l’altérité.L’autre dans son énigme : Qui est-il ? Queveut-il ? Où va-t-il ? Pourquoi ne suit-il pasmes bons conseils ? Pourquoi résiste-t-il à laprise en charge ? Pourquoi stagne-t-il ?Qu’est-ce qui va lui permettre de devenir unhomme ou une femme qui puisse prendre uneplace dans cette société, avec les autres ? Ilconvient d’accompagner la question de l’é-nigme de l’autre, ne pas lui donner la réponsequi étoufferait la question.

    Une autre caractéristique de l’accompagne-ment est l'instauration d'un dialogue, insé-parable d’un engagement. L’engagementest d'ordre professionnel mais c’est aussimoi et toi, j'y éprouve des sentiments, desenvies, des espoirs et des désespoirs ; c’estune rencontre où le pire et le meilleurpeuvent advenir.

    La question qui traverse tous nos métiers estla suivante : Qu’est-ce qui permet d’a-vancer, de grandir, de guérir, de se poser ?Certains disent qu’il faut de l’écoute, de la

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    LES LIMITES DE L’ACCOMPAGNEMENTConférence de Mireille CIFALI, docteur en Sciences de l’Éducation,

    historienne et psychanalyste, Université de Genève,,22 novembre 2002

    Deuxième partie : Les limites de l’accompagnement

  • bienveillance, de l’empathie, qu'il faut semettre au service de l'autre. L'autre est unsujet qu’il nous faut respecter, ne pas bous-culer. C'est notre générosité qui sera béné-fique. D’autres disent que ce qui permet àl'autre d'avancer, ce sont nos techniques,nos méthodes. D'autres enfin, soulignentl’importance de la confrontation car ongrandit en entrant dans le conflit, la résis-tance, la révolte, la colère, la transgression.

    Les professionnels ne supportent plus leconflit, la contrainte, l’agressivité. Noussommes dans un désir d’harmonie, derespect mutuel, de bonté, de non directivité.Or, il faut se garder des trop bons senti-ments car on ne grandit pas, on ne guéritpas, on ne se transforme pas sans combat,sans opposition, sans qu’un autre accepted’être le mauvais contre lequel on s’oppose,mais qui nous construit. Comment suppor-tons-nous d'être l'objet de l'agressivité del'autre ? Comment acceptons-nous parfoisde le contraindre ? Quel est notre rapport àcette violence, à cette contrainte ? Est-ce quenous nous l'autorisons ? Ce sont là les pointsessentiels sur lesquels interroger nos limitesdans l'accompagnement.

    A L’ÉCOUTE DE NOS PROPRES ÉMOTIONS

    Dans une relation d'accompagnement, onne peut être neutre, indifférent, extérieur carl’autre éveille des choses en nous. Noussommes dans ce métier pour gagner notre

    vie mais aussi une estime de nous-mêmes.Nous avons envie de réussir, de plaire,d’être acceptés, de nous sentir bons… Il y ade part et d’autre émergence de sentimentset d’émotions que l'on peut nommer, ce sontceux de la vie de tous les jours : amour,bienveillance, compassion, haine, rejet,exclusion, agacement, envie de détruire,envie de construire… et un autre sentimentqui envahit aujourd'hui nos métiers : celuide l'impuissance.

    Il est essentiel d’être à l’écoute de ces senti-ments, de les nommer et de les écrire. Carils ne se disent pas dans les théories maisbien plutôt dans la littérature. En les inscri-vant dans des histoires, dans des textescomposés, nous arrivons à éprouver nosangoisses, notre désarroi, nos pertes derepères, nous pouvons dire et faire passernotre impuissance, nos frustrations, notredésir de réparer, nos déceptions.

    Accompagner quelqu'un, c'est nécessaire-ment être proche de soi, à l’écoute de ce quise passe à l’intérieur. Voilà notre guide pourcomprendre l'état de notre lien à l'autre, ceque l'autre nous fait. Car on ne peut pasaccompagner en proximité sans êtreentamé, sans être impliqué.

    Nous ne devons donc pas laisser de côté lessentiments qui nous adviennent et les consi-dérer comme indus en les écartant de notreanalyse, de notre réflexion sur la situation.

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  • 27Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

    Tout particulièrement en face de personnesen situation de répétition d'échecs, lorqu'onse trouve dans un sentiment d’impuissanceet que tout semble bloqué, quelque chosedoit advenir, faire événement, faire surprise,pour rétablir le professionnel dans sonpouvoir d’agir. Accompagner, c'est aller aubout de ce que l'on ne peut plus et, à unmoment, trouver "la chose" qui déroge(impulsion, écart, parole, regard, geste…).On ne peut pas la trouver si l'on est à l'ex-tériorité de ce qui se passe. Cela vient denous en rapport à l'autre, il faut le sur-prendre pour l’entraîner sur une autre scèneque celle où nous sommes arrêtés.

    Cela nécessite de se risquer et de s'impli-quer, en continuel dialogue avec ce qui sepasse en moi et en l'autre. On ne peut pasaccompagner sans travailler sa subjectivitéet son lien aux autres, surtout lorsqu'ils sonten détresse, en remaniement identitaire.

    DON ET CONTRE-DON

    A quelle place sommes-nous face à l’autre ?Sommes-nous à la place d'un professionnelou d'un humain qui s'implique ? Sommes-nous dans une place d'extériorité ou dansune place de don de soi ?

    Et l'autre, comment est-il face à nous ?Qu'attend-il de nous ? Est-ce qu'il nousréduit à être un professionnel à qui il permetde gagner sa vie ? Ou alors, nous

    demande-t-il de lui donner ce qu'il n'a pasreçu, de réparer ce qui ne lui a jamais étédonné ? Nous ne pourrons jamais donner àl'autre tout ce qu'il attend et il va donc for-cément être déçu.

    En tant qu’accompagnateur, j’offre cons-tance, présence, fiabilité pour que l’autretrouve ses propres pistes et puisse se passerde moi. Tous les métiers de l’éducation sontdans ce nœud-là, surtout avec les exclus, lesblessés, carencés, en attente folle de conso-lation qui nous enjoignent de réparer lablessure. Ils s'interrogent sur notre fiabilité etpensent que nous avons le pouvoir maisnous savons qu'il leur appartient de trouverle chemin. L’accompagnement suscite tou-jours cet espoir-là et cette déception.

    A ses côtés, nous devons accueillir à la foisses projections, ses espoirs, ses transfertssur nous ainsi que sa déception, mais aussifaire en sorte qu'il la dépasse, trouve en luiles forces vives et se remette en marche,redevienne actif.

    Mais les êtres qui ont été blessés, humiliés,rejetés, qui ont subi des injustices, nepeuvent pas être dans le don et le contre-don. Ils sont dans la dette, dans le sentimentqu’on leur doit réparation.

    Accompagner, c’est permettre de rétablir lepassage et l'échange entre le don et lecontre-don (je te donne / tu me donnes).

  • Or, ils ne peuvent pas entendre que l'autreleur apporte autre chose que le "paiement"d'une dette. Ils ne donnent rien car tout leurest dû, ils mobilisent toutes leurs forces pourdire "je suis victime". Et c'est là une grandedouleur pour les professionnels que de seconfronter à des êtres qui ne donnent plusrien et demandent tout, et s'enferment danscet état de victime qui ne leur permet plusd'avancer.

    Toute rencontre humaine est une occasionpour que ce négatif se "transmute" enquelque chose de positif, transmutationd’une douleur en une force, passage d'unedestruction à quelque chose qui commenced'être une construction.

    Qu'est-ce qui va faire que le basculement seproduit ? Ce n'est pas seulement le fait denotre intervention mais une multiplicité defacteurs qui se mettent au bon moment à labonne place. En tant que professionnel, ony peut quelque chose mais on n’y peut pastout. C'est important de le savoir car en casd'échec, on gardera l'espoir que ça se pro-duise à un autre moment.

    L'autre nous fait vivre notre ignorance, notreéchec, mais c'est justement quand on estimpuissant que l'on va faire le geste qu'ilpourra reprendre plus tard. Il s'agit biend'une co-construction : "c'est parce que tum'as donné que j'ai réagi et que je peuxfaire ce geste qui va avoir un sens pour toi".Si l'autre fait échouer ce que je lui donne,

    c'est qu'il y a des forces qui ne sont pasencore tombées. Il est important de donnersans attendre de recevoir, d'être dans ledon gratuit et d'accepter la frustration. Leseffets ne sont pas immédiats, il faut parfoisbeaucoup d'échecs…

    On peut rapprocher cette situation de cellede l'interprétation psychanalytique qui peuttomber "à côté de la plaque", si elle n'estpas co-construite avec l'autre et arrive à unmoment inopportun pour lui. L'interprétationqui fait mouche, c'est celle qui est produitepar moi et par l'autre, c'est une constructioncommune que l'autre est capable d'en-tendre, de prendre, à un moment donné.

    Le temps (celui du professionnel, de la per-sonne et de l’institution) est une conditionpour qu’il advienne quelque chose. Les pro-fessionnels ont souvent du mal avec ceslimites-là, avec les contraintes du temps,mais la réalité temporelle est structurante :les limites existent heureusement et il faut lesdire. On peut se battre ailleurs pour que ceslimites changent mais on ne doit pas lesfaire payer à l’autre ni le leurrer.

    Il y a un stade ultime de l’accompagnement,quand les forces de destruction sont tropfortes : il reste à accompagner vers la mort.Nous n’avons pas à exiger le progrès, nousn’avons pas à abandonner l’autre dans lafin. Nous pouvons l'accompagner dans sadestruction, ne pas le laisser solitaire danssa difficulté.

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  • Il faut vivre dans le don sans avoir de retour,en y trouvant le bénéfice du don même.

    VIVRE LES TENSIONS ET LES CONFLITS

    Pourquoi se sent-on coupable dans le conflitou l’impuissance ? Si l'on tient l’autre pourune victime, on va l’épargner, si l'on se sentcoupable, on est entraîné dans les forcesnégatives avec lui. C’est le regard que l’onporte qui fait retrouver les forces de vie. Laculpabilité, c’est notre rapport au mal, àfaire mal. On préfère parfois s’apitoyer etlà, on laisse l’autre où il est. Entrer en conflitavec des êtres dans la détresse, c’est lesconsidérer comme des êtres capables denous résister. La passivité est source de des-truction lente.

    Accompagner, c'est croire que l'autre peutévoluer, même si pour l'instant, il est dans larésistance. Certains professionnels tirenttout le bénéfice de leur métier des avancéesde l'autre. C'est là une attitude égocentriquedans laquelle l'autre doit nous apporter uneimage narcissiquement bonne. Il faut savoirlâcher, admettre qu'il ne puisse pas actuel-lement être autre chose que ce qu'il est. Ilfaut accepter la frustration de ne pas voirl’autre se transformer sous nos yeux.

    La tension se joue ici : parfois je pousse lapersonne à être dans autre chose que cequ'elle vit aujourd'hui ; parfois je me

    contente d'être présent pour l'autre dans unlien qui ne le laisse pas solitaire dans sa dif-ficulté.

    En bilan de compétences ou en orientation,l'autre arrive parfois avec des rêves de cequ'il n'est pas et le professionnel doit alorsramener celui qui rêve à une réalité, à uneraison qui tue le rêve. Nous connaissonstous cette difficulté de la représentation desmétiers, nous savons aussi que plus onconnaît de frustrations dans la réalité, plusle rêve est le moyen psychique de survivre.

    En bilan de compétences, on explore lesforces et faiblesses de la personne, ce quiest possible ou impossible en termes deprojet. Alors comment lui permettre de rêvertout en approchant la réalité ? Commentaccueillir celui qui rêve ? Comment l'ac-compagner à faire le deuil de ses rêves etlui permettre de retrouver l’estime de soidans son quotidien sans courir après desrêves ?

    Pousser dans la réalité, c'est faire violence ;maintenir dans le rêve, c'est leurrer.Accompagner, c'est être en permanencedans cette tension-là : entre faire violence etleurrer. Accompagner, c'est permettre àl’autre d’être là et pas dans le passé oudans la fiction d’une image, c'est lui per-mettre de reconquérir son intériorité. Cestensions dans le geste d'accompagner exis-tent partout où il y a de l'altérité. Noussommes dans des paradoxes, des tensions

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  • entre les contraires et nous ne devons pasespérer les dépasser mais bien au contraireaccepter la dualité, l'ambivalence, l'amouret la haine, le bien et le mal, le mauvais etle bon. Il faut accepter d'être dans cettetension permanente, entre le rêve et laréalité, le sentiment et la raison.

    Accompagner, c'est être sur cette tangenteoù l'on risque de basculer d'un côté ou del'autre. Le terme est chargé de connotationspositives qui mettent en avant le respect etl’altruisme, or il faut permettre à l'autre des'opposer à nous pour se retrouver.Aujourd’hui, les adultes n’occupent pluscette place d'autorité qui permet à l'autre des'opposer à nous, qui nous fait entrer enconflit, qui fait qu'on nous rejette.

    Trop respecter l'autre, c'est le laisser à saplace ("tu veux être comme ça, tu as ledroit, tu as raison, reste comme tu es") etc'est le contraire de l'accompagnement.Eduquer, c’est bousculer, c'est faire vio-lence, c'est contraindre, c’est dire non, c’estne pas laisser l’autre là où il est au nom durespect ou de la tolérance. Avancer est dou-loureux, une violence peut être constructive.

    LA DÉMARCHE CLINIQUE

    La posture clinique n'oppose pas les techni-ciens et les cliniciens. Elle est commune àtous les professionnels. Il s'agit de l'obser-vation "au lit du patient" qui consiste à

    construire du savoir dans les situationsvivantes et singulières que nous rencon-trons.

    L'attitude clinique consiste en l’intelligencede la situation, de l’instant, c'est le flair, l’in-tuition, le bon sens, l'écoute, la présence, lacuriosité, l’implication… C'est une intelli-gence du temps et des objets mouvants.Aucune situation humaine ne ressemble àune autre, il faut donc penser dans la sin-gularité.

    Quel est alors le rôle de la théorie, desmodèles, des techniques ? Les théories nouspermettent de voir, d'entendre, d'écouter,mais quand on applique de la théorie surdu vivant, on tombe à côté. Et nous sommesdes praticiens qui rencontrons un autre quiest vivant.

    Nous devons développer une intelligence"métisse", faite de qualités intérieures et desavoirs, de la capacité de sentir dans l'ins-tant. Pour penser, il faut sentir, éprouver,comprendre, parler, écrire. La pensée estd'abord dans le corps : le corps est lepremier guide.

    Donner à chaque professionnel laconfiance qu’il peut construire cette intelli-gence du présent, travailler sa subjectivité.Dans la démarche clinique, le savoir vientdu corps de l’autre (les symptômes). Laméfiance envers le corps et ce qu’il nous

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  • apprend est une construction historique. Il ya pourtant là toute la puissance de l’expé-rience. L’interprétation ne doit pas être pro-duite par le professionnel, elle doit être uneconstruction commune. Il y a là un autrerapport au modèle, à la théorie, un autretravail sur l’expérience et l’événement.

    Dans la démarche clinique, il faut de la pré-sence : on ne peut être face à l'autre et êtreailleurs… Il s'agit d'être intéressé parl'autre, de l'appréhender non comme unennemi mais comme une énigme, quel-qu'un qui nous surprend, qui chamboulenos modèles. Notre savoir vient de l’autre,notre cécité à l'autre est notre principalesouffrance. En démarche clinique, toutesituation devrait piquer notre curiosité ; ilnous faut être attentif à ce que l’on ne saitpas, comprendre les situations où l’outiléchoue pour trouver d‘autres outils.

    Beaucoup, surtout les jeunes professionnels,ont le désir d’être sûrs, le désir de savoir cequ’il faut faire à tout coup. La formation estapprentissage de savoirs extérieurs, de pro-cédures d’aveuglement au concret au nomde la théorie. Il y a de l’humain dans toutmétier, il faut faire en sorte que l’homme nesoit pas soumis à la technique. La techniquedoit être mise au service de la rencontre :apprendre du vivant est une posture quel'on a oubliée.

    Certes, il est difficile pour le professionneld’abandonner ce qu’il a appris, les codes,les modèles. On travaille au quotidien sur

    des procédures, des habitudes, on nesaurait être attentif à chaque instant mais nepas s’impliquer du tout, c’est éviter la ren-contre. Il faut être capable de quitter la pro-cédure pour inventer la relation. Si l'on n’estpas du tout clinicien, mieux vaut le savoir etconnaître son style et ses limites. Etre clini-cien, c’est ne pas avoir peur du vide, dusilence, c’est interroger ses mécanismes dedéfense. Il convient de lier la technique etl’humanisme.

    Faut-il expliciter le savoir qui se construit ensituation, en faire le récit par exemple ?Fustier10 dit qu’il faut laisser l’énigme àl’autre. On sait en le disant ou en ne ledisant pas ; ce qui est important, c’est d’êtreattentif aux conséquences de ce qu’on a ditou pas dit. Le savoir construit dans la situa-tion est bénéfique et écrire (un journal deformation, le journal de bord d’une expé-rience…), c’est mettre à distance, serepérer. L’expérience ne suffit pas, ce qu’ilfaut valoriser, c’est l’expérience réfléchie,l’expérience racontée qui crée le savoir. Toutprofessionnel devrait être dans une dyna-mique de recherche et de publication, touteinstitution devrait favoriser la pensée.

    10. Paul FUSTIER : Le lien d’accompagnement : entre don et contratsalarial - Dunod - 2000.

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  • LES LIMITES DE L’ACCOMPAGNEMENT

    Si l'on identifie quatre types de limites :

    • les limites propres de la personne accom-pagnée (celles qu’elle va se fixer),

    • les limites de l’accompagnateur,

    • les limites de l’institution,

    • les limites de l’environnement (contexte del’accompagnement).

    Les limites de l’accompagnement se situe-raient ailleurs que dans la somme desquatre, plutôt à l’intersection et, en toutcas, sur la plus basse limite. Il peut êtrenécessaire de contractualiser cette limitepar une co-construction lors d’un contratd’objectif avec engagement de toutes lesparties.

    Il convient d'être vigilant pour mieux cernerles limites de l’accompagnement. Le profes-sionnel ne connaît pas au départ les limitesde ce qu'il peut supporter, cela s’acquiertavec l’expérience.

    Il faut veiller à ne pas atteindre la résigna-tion, ni aller jusqu'au sentiment d’impuis-sance. On doit savoir s’arrêter avant oupasser la main.

    Notre compétence peut empêcher l’autre deréussir. Il ne faut pas lui imposer notrevision, ce qui nous semble bien pour lui, nidécréter l'accompagnement. Il est néces-saire de rester professionnel et d’avoir une"bonne" proximité avec l’accompagné (àdéfinir). La distanciation est nécessaire carni la sympathie, ni une trop grande distancene rendent objectif. Il faut faire attention auxliens de dépendance et pour cela leur repé-rage est vital.

    On le voit, ces limites de l'accompagnementsont floues ; elles dépendent de notrepropre personnalité et des relations que l’ontisse avec la personne accompagnée.

    Les limites de l’accompagnement sont leslimites du système dans lequel on vit.

    CONFRONTATION ET RELATION DE POUVOIR

    La relation de pouvoir dans l'accompagne-ment s'établit selon plusieurs facteurs :

    • La place socialement reconnue de l'ac-compagnateur et de l'accompagné

    • Le rapport au savoir dans l'accompagne-ment

    32 Les Cahiers de l’Accompagnement Edition CARIF Poitou-Charentes

    COMPTE-RENDU DES ATELIERS

  • Les relations de pouvoir accompagnateur / accompagné

    Parce qu’une personne vient demander del’aide à un professionnel, une relation depouvoir s’installe. Sa position institution-nelle, reconnue par les uns et les autres,confère à l’accompagnateur un pouvoirqu’il peut exercer sur l’accompagné.

    Cette domination peut se traduire par l’atti-tude physique et psychique du professionnelvis-à-vis des personnes qu’il accueille etaccompagne. Elle se traduit aussi par lesdécisions qu’il peut prendre concernant leparcours de la personne accompagnée. Ellese manifeste également lorsque l’accompa-gnateur fait appel à son propre savoir pourtrouver des solutions aux problèmes ren-contrés.

    Si cette relation est utile dans bien des situa-tions d’accompagnement, en aucun cas leprofessionnel ne doit abuser de sonpouvoir. Il importe qu’il considère l’accom-pagné en tant que sujet et non en tantqu’objet. Cette relation s’avère incontour-nable et également utile. En effet, certainessituations nécessitent la mise en place decontraintes, pour faciliter des démarches,pour pousser l’usager indécis ou peuconfiant. L’accompagnateur est doncamené à imposer des contraintes. Il s’ap-puie pour cela sur le pouvoir qu'il détient.

    La relation de pouvoir accompagné / accompagnateur

    Pour ne pas abuser de son pouvoir, il estessentiel que le professionnel sache quittersa place de "dominant". Il importe que l’ac-compagné soit responsabilisé, qu’il ait lapossibilité de prendre des décisions maisaussi qu’il puisse utiliser son propre savoirpour trouver sa place sociale et profession-nelle.

    C’est paradoxalement en mettant en placedes contraintes que la relation de pouvoirpourra peut-être s’inverser. Parce qu’il y aun cadre, parce que certains éléments de lasituation sont imposés, l’accompagné setrouve libéré de certaines prises de décisionet peut se responsabiliser sur un autre plan.

    De même qu’il ne doit pas craindre decontraindre, le professionnel ne doit pascraindre de dire "non" lorsqu’il n’est pas enaccord avec l’accompagné.

    Dire non, cela ne signifie pas empêcherl’autre d’aller là où il le souhaite si l’on n’estpas d’accord, mais plutôt donner son pointde vue, prévenir, comme on le fait enverstoute personne que l’on respecte. Seconfronter à l’autre, c’est le mettre en posi-tion de bouger, de se positionner, de réflé-chir à là où il veut aller.

    Lui dire non tout en le laissant libre de sadécision lui permettra de se confronter àune réalité, à des conditions qu’il n’avait

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  • peut-être pas bien mesurées. C’est lui laisserla responsabilité d’évaluer son expériencetout en maintenant la porte ouverte s’il sou-haite poursuivre la relation d’accompagne-ment.

    Dans cette confrontation entre rêve et dés-illusion, la relation de pouvoir peut aussis’inverser si le professionnel quitte sa posi-tion d’expert détenant seul et définitivementle savoir, pour accepter le précieux savoirde l’accompagné : Qui sait mieux que lui cequi lui arrive ? Qui connaît mieux que lui lesfondements de ses désirs ?

    LE RAPPORT À L'AUTRE ET LES BÉNÉFICES DE L'ACCOMPAGNEMENT

    On peut entendre le bénéfice de l'accom-pagnement comme la "retombée" sur l'ac-compagnateur, l'accompagné, le rapportdes deux.

    On a pu identifier 3 niveaux de bénéfices :

    • les bénéfices pour la personne accompa-gnée,

    • le bénéfice par rapport à l'institution,

    • le bénéfice pour soi en tant que profes-sionnel, et un bénéfice au croisement desautres : le bénéfice pour la relation.

    Les bénéfices pour l'accompagné

    Le bénéfice est généralement entenducomme positif mais un bénéfice "négatif"peut être nécessaire avant d'aller mieux. Lesbénéfices ne peuvent pas toujours êtreobjectivés, mesurés, nommés. Cela peut s'é-clairer à un autre moment, lors de situationsrécurrentes. L'essentiel est qu'il se passequelque chose. On est comme dans la vie,dans un processus avec fluctuation – cons-truction – recul. Au moment où les choses serésolvent, il faut savoir accompagner encoreun peu car la personne est alors fragiliséepar la transformation de sa situation. Lesbénéfices peuvent apparaître au-delà del'objectif exprimé : par exemple dans le casd'une validation d'acquis où la personnequi accède ainsi à la certification développeun sentiment de fierté, voire une transfor-mation de ses pratiques.

    Les bénéfices pour l'accompagnateur

    Les bénéfices peuvent se situer par rapportaux questionnements sur ses propres limites.Les bénéfices personnels de l'accompagna-teur sont dans son rapport à l'autre qui semodifie, investi peut-être d'un sentiment deplus grande cohérence personnelle : "j'aiappris qu'il est possible d'aider et d'avoirdu bénéfice pour soi". Quand on repère unbénéfice, il faut essayer de le nommer (onretrace l'expérience). Ce travail deréflexion, par la verbalisation notamment,est nécessaire pour l'autre mais aussi pour

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  • soi : "j'ai eu besoin de théoriser, besoin denommer pour travailler autrement". Il arriveque l'accompagnateur n'identifie pas quelpeut être le bénéfice pour le demandeur,d'où l'importance de la formation, de laprise de recul pour les professionnels quimanquent souvent de repères théoriques,conceptuels. Pour certains, cela peut passerpar un travail de recherche universitaire.Ou à l'inverse : "j'ai eu besoin de pratiquerpour accepter l'émotion, le vivant, tout cequ'on n'a pas appris". Enfin, l'accompa-gnateur peut se sentir utile d'un point de vue"esthétique" ("je trouve ça beau…").

    Les bénéfices pour l'institution

    Il convient de distinguer la notion de "béné-fice" et la notion de "résultat" car le progrèspeut se faire ailleurs que là où était la com-mande, ailleurs que sur le résultat attendu.Pour le commanditaire, les résultatsattendus s'énoncent souvent de cette façon :"qu'est-ce que ça apporte ?". La clarté desobjectifs n'entraîne pas directement unequalité de résultats. Les résultats peuventêtre intéressants avec des objectifs moinsclairement définis. Le commanditaire et lel'accompagnateur n'entendent peut-êtrepas la commande de la même façon. Lesobligations de l'accompagnateur s'énon-cent davantage en termes de moyens quede résultats. D'autres questions peuvent seposer : quelle lisibilité a-t-on du bénéfice ?A certains moments, faut-il continuer letravail ou pas ?

    Les bénéfices pour la relation

    Il s'agit du bénéfice qui se trouve dans le"pot commun" entre les différentes partiesprenantes de l'accompagnement. Il setrouve dans la relation, l'interactivité. Larencontre se noue dans l'échanges : "Plusj'avance, plus j'aime les gens, plus je lestrouve intéressants, plus je les trouve créatifset ils le sentent et ça les aide ; le bénéfice estlà".

    L’accompagnement définit-il un type derelation à l'autre particulière ? La notion de"proximité" est souligné mais jusqu'où peut-elle aller ? Peut-on devenir l'ami d’une per-sonne accompagnée ? Peut-on assurer l'ac-compagnement d'un ami ? Si l'on met del'amitié dans l'accompagnement, est-ontoujours professionnel ? Même bordé parun cadre et des objectifs, l'affect est de toutefaçon présent dans la relation d'accompa-gnement. On accepte l'idée que le tempsproduise un changement dans la nature dela relation. Si la relation perdure au-delà del'accompagnement, on passe à un autreniveau avec d'autres objectifs. La responsa-bilité est d'un autre ordre quand on est dansune relation d'amitié. Comment repérer cequi se passe dans la relation ? Il fautpouvoir lâcher la théorie mais cela signifieune perte de certitudes, une