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1 Edmond TRUFFAUT SAVOIR ETTE ANNÉE-LÀ, un haut fourneau spécialement équipé, avait été déménagé de Marseille, réinstallé et remis à feu à Outreau à quelques kilomètres du port de Boulogne. Les hauts fourneaux de Saint Louis à Marseille étaient alors la der- nière des trois usines françaises pion- nières qui, en première mondiale, avaient "inventé" le procédé en 1875; cette année-là, ces trois usines réussi- rent à mettre au point la fabrication au haut fourneau du ferromanganèse, c'est-à-dire d'une fonte à 75-80% de manganèse ; jusque là, cette fabrication était réputée impossible. On parlera donc de "durée de vie" du procédé en France de 1875 à 2003. Peut-on parler pour autant de "cycle de vie"? De l 'invention du procédé, à son développement, sa maturité et son dé- clin par obsolescence? C'est la question que nous nous posons en tentant d'écrire l'histoire française du procédé industriel de fabrication du ferromanga- nèse au haut fourneau. Mais auparavant nous désignerons les sites français qui ont mis en œuvre le procédé, et préciserons les sources co n- sultées, très différentes selon les épo- ques et les entreprises. Le procédé de fabrication du ferro- manganèse au haut fourneau est né en France en 1875. Il a ensuite été mis en œuvre sans discontinuer, successivement, par plusieurs usi- nes françaises. En 2003, la société exploitant le dernier site restant à Boulogne sur mer décidait de ces- ser ses activités; le procédé fonc- tionnait de façon continue dans la région depuis 1902. La fabrication du ferro-manganèse au haut-fourneau en France, 1875-2003 Naissance, vie et mort d’un procédé industriel 1906, Site d’Outreau, remontage HF de Saint- Louis [archives APO] u

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Edmond TRUFFAUT

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ETTE ANNÉE-LÀ, un hautfourneau spécialement

équipé, avait été déménagé deMarseille, réinstallé et remis à feu

à Outreau à quelqueskilomètres du port de

Boulogne. Les hauts fourneaux de SaintLouis à Marseille étaient alors la der-nière des trois usines françaises pion-nières qui, en première mondiale,avaient "inventé" le procédé en 1875;cette année-là, ces trois usines réussi-rent à mettre au point la fabrication auhaut fourneau du ferromanganèse,c'est-à-dire d'une fonte à 75-80% demanganèse ; jusque là, cette fabricationétait réputée impossible.

On parlera donc de "durée de vie" duprocédé en France de 1875 à 2003.Peut-on parler pour autant de "cycle devie"? De l 'invention du procédé, à sondéveloppement, sa maturité et son dé-clin par obsolescence? C'est la questionque nous nous posons en tentantd'écrire l'histoire française du procédéindustriel de fabrication du ferromanga-nèse au haut fourneau.

Mais auparavant nous désignerons lessites français qui ont mis en œuvre leprocédé, et préciserons les sources con-sultées, très différentes selon les épo-ques et les entreprises.

Le procédé de fabrication du ferro-manganèse au haut fourneau est néen France en 1875. Il a ensuite étémis en œuvre sans discontinuer,successivement, par plusieurs usi-nes françaises. En 2003, la sociétéexploitant le dernier site restant àBoulogne sur mer décidait de ces-ser ses activités; le procédé fonc-tionnait de façon continue dans larégion depuis 1902.

La fabricationdu ferro-manganèse

au haut-fourneau en France,1875-2003

Naissance, vie et mort d’un procédé industriel

1906, Site d’Outreau, remontage HF de Saint-Louis [archives APO]u

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1875-2003Les sites français de pro-duction de ferromanganèseau haut fourneauSi l'on excepte quelques applicationssans lendemain par des usines inté-grées1, le nombre de sites où le procé-dé a été mis en œuvre en France selimite à sept. Pour simplifier, nous dési-gnerons ces sites par le nom des usinesplutôt que par celui des sociétés ex-ploitantes.Ainsi le procédé a été inventé par Ter-renoire, Saint-Louis et Montluçon.L'usine de Terrenoire appartient à la"Compagnie des fonderies et forges deTerrenoire, La Voulte et Bessèges",premier producteur d'acier Bessemer enFrance en 19692. Elle cesse son activitéaprès la faillite de la société en 1886.Du nom d'un quartier du port de Ma r-seille, l'usine de Saint-Louis appartientà la "Société de l’éclairage au gaz, deshauts fourneaux et fonderies de Mar-seille, et des Mines de Portes et de Sé-néchas"; elle produit dans les années1870 des fontes destinées à la secondefusion, et notamment des fontes Bes-semer et du spiegel. En 1906 elle arrêteses hauts fourneaux et transfère sonactivité à l'usine d' Outreau des "Acié-ries de Paris et d'Outreau".L'usine de Montluçon appartient à"Boigues, Rambourg et Cie, sociétécollective et en commandite pourl’exploitation des mines de Commentry,et des Forges et fonderies de Four-chambault et Montluçon". L’usine deMontluçon fait partie dans les années1870 d' un vaste ensemble industrielqui comprend deux houillères et leurscokeries (Commentry et Montvicq), desusines sidérurgiques intégrées à Mont-luçon et Fourchambault. Elle produit del'acier Bessemer et du ferromanganèse 1. Dans la première moitié du XXème siécle,quelques usines qui transformaient le mine-rai de fer en demi-produits par les trois éta-pes classiques: haut fourneaux-aciérie-laminoirs, réservaient leurs hauts fourneauxen fin de campagne à la production de fer-romanganèse. Elles abandonnèrent cettepratique quand elles se rendirent comptequ'il était plus économique d'acheter le fer-romanganèse à un producteur spécialisé.2. En 1969, la capacité totale des convertis-seurs installés en France est de 84 tonnespermettant théoriquement une productionannuelle de 90000 tonnes. La productionréelle atteint cette année-là 52400 tonnes,assurée pour 29500 tonnes par Terrenoireavec 30 tonnes de capacité installée.

de 1874 à 1883; elle arrête ces fabrica-tions lorsque se développe la sidérurgielorraine à l'apparition du procédé Tho-mas.

Quatre sites ont ensuite produit du fe r-romanganèse au haut fourneau de fa-çon continue.L'usine du Boucau près de Bayonneappartient à la "Compagnie des Forgeset Aciéries de la Marine". Créée en1882, elle produit aussi des fontes deseconde fusion et du spiegel. L'usinecesse ses activités vers 1970.L'usine d'Outreau près de Boulogne surmer appartient à partir de 1902 à lasociété des "Aciéries de Paris et d'Ou-treau". Elle produit des fontes de se-conde fusion, et du ferromanganèse,après le transfert d'un haut fourneau deSaint-Louis en 1906. A partir des an-nées 1950, elle ne produit plus que duferromanganèse, fournissant 10% de laconsommation mondiale. La sociétédépose son bilan en 1978 et l'usined'Outreau est définitivement arrêtée.L'usine de Pompey entre Metz et Nancyappartient à la Société des Forges etAciéries de Pompey. C'est une usinesidérurgique intégrée qui se lance dansla production de ferromanganèse à par-tir de 1922, fabrication poursuivie jus-qu'à l'arrêt de l'usine en 1986.L'usine de Boulogne sur mer est crééepar les "Aciéries de Paris et d'Outreau"en 1960, entièrement vouée à la pro-duction du ferromanganèse. En 1979,son exploitation est reprise par la "So-ciété du Ferromanganèse Paris-Outreau". En 1996, elle passe souscontrôle de la société "Comilog France"qui cesse son activité sur le site en2003.

Les sources consultéesLes archives d'entreprises ont la plupartdu temps disparues avec la société ex-ploitante ; quand elles existent encore(c'est le cas du site de Montluçon3),elles fournissent peu d'informationstechniques sur les fabrications. Nousavons pourtant bénéficié d'une sourceexceptionnelle concernant le transfertde la fabrication du ferromanganèse du 3. Société anonyme de Commentry-Fourchambault. Houillères de Commentry etde Montvicq. Hauts fourneaux, forges etfonderies de Fourchambault, Montluçon, LaPique et Imphy (Archives Nationales et Ar-chives historiques du Crédit Lyonnais).

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site de Saint-Louis à Marseille, au sited'Outreau4.Pour la période 1875-1950, les sourceset travaux utilisés sont essentiellementceux rassemblés à l'occasion d'unethèse en histoire soutenue en juin 2000: Manganèse et acier. Contribution àl'histoire de la sidérurgie en France.1774-1906 5.Pour la période 1954-1987, les sourceset travaux utilisés sont celles offertespar la littérature technique de l'époqueet de nos archives personnelles rassem-blant des notes sur le procédé prisescomme ingénieur, chef de service puisdirecteur technique sur les sites d'Ou-treau et de Boulogne sur mer.Pour la période récente, de 1987 à nosjours, nous n'avons pas cherché à con-sulter les archives techniques du site deBoulogne, qui, par le jeu des prises decontrôles successives, sont devenuespropriété de la dernière société exploi-tante ; celle-ci fabrique toujours duferromanganèse, ailleurs qu'en Franceet au haut fourneau. Nos sources éma-nent de la presse, locale, profession-nelle, économique, et, pour les annéesles plus récentes des rapports aux ac-tionnaires et des informations diffuséessur Internet par les sociétés exploitan-tes.

On sait combien une recherche histori-que portant sur des années récentespeut être hasardeuse et critiquable. Enl'absence d'archives d'entreprises, nousavons cherché à travailler comme unhistorien pourra le faire dans quelquesannées, avec l'avantage sur celui-ci dedisposer d'archives personnelles fortprécieuses quand il s'agit d'écrire l'his-toire, fort technique, d'un procédé in-dustriel. Peut-on être en même tempsacteur et historien sans transgresser lesrègles d'objectivité qui s'impose au se-cond? Peut-être eut-il fallu intituler cetarticle à l'instar des auteurs du XIXèmesiècle : " Mémoire pour servir à l'his-toire…"?La fabrication du ferromanganèse auhaut fourneau n'a jamais fait l'objet de 4. Archives des Aciéries de Paris etd’Outreau. Registre des délibérations duconseil d’administration de la Société ano-nyme des Aciéries de Paris et d’Outreau.Procès-verbaux des séances du 12 décembre1902 au 28 juillet 1916. Ms.5. Edmond Truffaut, Manganèse et acier.Contribution à l'histoire de la sidérurgie enFrance. 1774-1906, thèse de doctorat, direc-tion Denis Woronoff, Université de Paris IPanthéon-Sorbonne. Juin 2000.Villeneuve d'Ascq, A.N.R.T., 2002

demande de brevet et les rares publi-cations dont elle a été l'objet, ou four-nissent des indications forcément fortgénérales6 ou décrivent des cas particu-liers ; on verra qu'elle relève, comme laplupart des procédés industriels d'unsavoir-faire propre à chaque entreprisequi ne peut être connu que de l'intérieurde cette entreprise. De ce point de vue,le double statut d'acteur et d'historienprocure un irremplaçable éclairage quiautrement aurait été irrémédiablementperdu.

L'origine du procédéLe procédé trouve son origine dans unefabrication connue au XVIIIème sièclepar les Voyages métallurgiques de Jarset Duhamel7, et surtout par la Disserta-tion sur les mines de fer blanches dusuédois Bergman8 qui le premier an-nonce dans ces mines la présence demanganèse, élément dont la naturemétallique a été démontrée cette annéelà. De ces mines "d'acier", on tire desfontes manganèsées dont l'affinage aufoyer d'affinerie donne de l'acier natu-rel : l'acier d'Allemagne. Les aciéristesde Rives en France produisent égale-ment de l'acier naturel par affinage defontes à "acier" surtout dauphinoises ousavoyardes, sans d'ailleurs pouvoir sa-tisfaire la demande nationale, ni enquantité, ni en qualité.Les fontes à "acier" deviendront au mi-lieu du XIXème une matière premièrerecherchée pour la fabrication de l'acierpuddlé sous des noms divers : spiege-leisen, fontes blanches miroitantes,fontes blanches du Rhin. Elles ferontl'objet de 1803 à 1845 d'une vingtainede mémoires : publications dans lesAnnales des Mines ou journaux devoyage manuscrits des élèves de l'Ecoledes Mines.En 1864, huit ans après l'annonce deson invention par Bessemer la fabrica-tion du spiegeleisen au Siegerland de-vient pour les hauts fournistes français,la première école de la métallurgie dumanganèse. Cette année là, SansonJordan, futur professeur de métallurgieà l'Ecole Centrale publie Etat de la mé- 6 Edmond Truffaut, "Métallurgie des ferroal-liages. Ferromanganèse élaboré au hautfourneau", Traité de métallurgie, Techniquesde l’ingénieur, M 2445, Paris, 19897. Jars, Voyages métallurgiques, ou recher-ches et observations sur les mines et forgesde fer, Lyon, 1774.8. Bergman T., 1774, Dissertation sur lesmines de fer blanches, traduction de Guytonde Morveau Paris, 1774

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tallurgie du fer dans le pays de Siegen 9

;ce mémoire est suivi cinq ans plus tardde celui de Douvillé sur les Dispositionsde quelques hauts fourneaux de Sie-gen10. Dans son introduction Jordanindique que les fontes du Rhin, aprèsquelques années de relatif oubli, sontdevenues indispensables à la nouvelleméthode d'affinage Bessemer. Leurconsommation qui s'est largement ac-crue en Allemagne et en Angleterrecommence à se développer en Franceoù peu d'usines peuvent se livrer selonlui à ce genre de fabrication : Nieder-bronn, Allevard, Ria et "maintenant,l'usine au coke de Saint-Louis"11.

Les hauts fourneaux du pays de Siegenproduisent chacun une dizaine de ton-nes par jour de spiegeleisen en con-sommant charbon de bois ou coke. Surleur construction, Jordan rapportent desindications qui lui seront précieuses parla suite, notamment sur l'usure du gar-nissage réfractaire, sur les appareils derécupération de la chaleur au gueulard,sur le chauffage du vent… Les informa-tions qu'il recueille sur le réglage de lamarche préfigurent les conditions d'éla-boration du ferromanganèse au hautfourneau : l'augmentation de la pres-sion et de la température du vent à300°C permet d'augmenter jusqu'à 8-10% la teneur en manganèse du spie-geleisen et l'emploi de fondant calcaireréduit sensiblement la perte de manga-nèse dans le laitier.En 1869, quand Douvillé visite les usi-nes de Siegen, la fabrication de spie-geleisen s'y développe au rythme decelle de l'acier Bessemer12. Douvilléconfirme et renforce les observations deJordan : la construction des hauts four-neaux a été consolidée et leur produc-tion journalière augmente 13. Le spie-geleisen largement exporté en France, 9. Sanson Jordan, ingénieur, répétiteur demétallurgie, à l'Ecole Centrale des Arts etManufactures, Etudes sidérurgiques à pro-pos de l'Exposition de 1862. Etat actuel surla métallurgie du fer dans le Pays de Siegen(Prusse) et notamment des fontes aciéreu-ses, Paris et Liège, 1864 (24.009).10. Douvillé, Annales des Mines, 1869, tome1511. Sanson Jordan deviendra administrateur-délégué des hauts fourneaux de Saint-Louis.12. De 21000 tonnes en 1840 la productionde spiegeleisen en Prusse rhénane passe à45000 tonnes en 1850 et 211000 tonnes en1865 (Revue Maritime et Coloniale, janvier-avril 1869, p.7)13. Edmond Truffaut, Manganèse et acier…,op. cit., pp 517-518

en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis…perd son nom allemand et y gagne uneappellation internationale : il devient le"spiegel".

Limites del'emploi du spiegelPour une teneur en manganèse de 10%,le spiegel contient 5% de carbone ; sonaddition en fin de conversion est doncrecarburante, mais beaucoup trop re-carburante… A.S.Hewitt, commissaireaméricain à l’Exposition universelle de1867 expose le problème14:«L’application du procédé Bessemer à lafabrication de tôles pour chaudières,navires, poutrelles, etc., est l’une desplus importantes qui pourrait être ef-fectuée... Malgré cela, en Angleterre, letonnage de métal utilisé pour ces appli-cations est bien inférieur à celui qui estconsacré à d’autres emplois. Cela est duà une certaine méfiance envers la tôled’acier... Le secret de cette méfiancepour les tôles Bessemer en Angleterretient au fait que presque toujours, lateneur en carbone du métal est tropélevée. Le spiegel utilisé en Angleterren’est pas particulièrement riche enmanganèse (rarement plus de 9%),tandis qu’il contient en général 4 à4.5% de carbone. C’est pourquoi il estdifficile avec un tel produit de désoxydersuffisamment le métal sans augmenterfortement sa teneur en carbone... ».Dès lors, l'emploi d'un ferroalliage plusriche en manganèse et relativementmoins riche en carbone s'impose.

14. H. Bessemer, An autobiography...,op.cit., pp.273-27

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1868Terrenoire à la recherched'un procédéEn France, le problème se pose pourTerrenoire15. Deux procédés ont étébrevetés à l'époque : le premier parl'allemand Prieger pour la fabrication aucreuset, le second par l'anglais Hender-son pour la fabrication au four à sole.Dès 1868, l'entreprise se lance dans lafabrication au creuset mais l'abandonneun an plus tard ; les résultats, tanttechniques qu'économiques, sont dé-sastreux16.La fabrication est transférée l'annéesuivante dans un four Martin-Siemenstransformé pour la circonstance. Lateneur en manganèse du ferromanga-nèse obtenue est comprise entre 50 et80%. La production atteint une tonnepar jour d'alliage à 50% contre quel-ques dizaines de kilos pour le procédéau creuset et, en terme de manganèsecontenu, le ferroalliage est compétitifavec le spiegel. Mais la faible producti-vité de l'investissement, les coûts d'en-tretien du four (mauvaise tenue du gar-nissage réfractaire), les pertes de man-ganèse par volatilisation… restent pro-hibitifs. Faute d'autre technologie, Ter-renoire utilisera le four Martin transfor-mé jusqu’en 1875, sans concurrence :la fabrication est jugée trop difficile 17.

1873-1906La naissance du procédé"L'invention appartient aux procédéscumulatifs de la connaissance, (qu') ellese nourrit d'analogies, d'emprunts, desubstitutions, de combinaisons et deperfectionnements. Toutes ces prati-ques sont favorisées par les collections,les échanges, les voyages, les concur- 15. A. Pourcel, « Le ferromanganèse », LeGénie Civil, 1885, 7, pp. 3-5, 21-23 et 50-5216. A poids égal de manganèse ajouté en finde conversion, l'addition de ferromanganèsefabriqué au creuset coûte trois fois plus cherque celle de spiegeleisen: le prix de revientde l'acier Bessemer augmente de 15%.17. Pendant quelques années Terrenoire seraainsi la seule entreprise sidérurgique à pro-duire difficilement mais industriellement duferromanganèse à haute teneur. Cela luiprocurera une avance considérable sur sesconcurrents dans la connaissance des phé-nomènes de désoxydation de l'acier

rences et les complémentarités entrefabricants…"18

Un haut-fourneau autrichien enallure de ferromanganèse.Grüner, professeur de métallurgie àl'Ecole des Mines, remarque àl’Exposition universelle de Vienne en1873, les échantillons de ferromanga-nèse obtenu au haut fourneau par uneusine autrichienne : leur teneur enmanganèse est supérieure à 30%, maisselon lui, "le haut fourneau ne peutconserver cette allure sans danger quependant peu de jours".Alertée, Terrenoire envoie en Autricheun de ses ingénieurs, F. Gautier19 quien rapporte des indications précieuses.L’usine produit effectivement jusqu'à 4tonnes par jour de ferromanganèse à40% dans un haut fourneau consom-mant 10-15 tonnes de charbon de bois ;le prix de revient, en terme de manga-nèse contenu20, est sensiblement infé-rieur à celui de Terrenoire. Surtout,Gautier apprend des hauts fournistesautrichiens qu’il faut régler l’allure del'appareil de façon à laisser au manga-nèse, «le temps de se réduire» : la pro-duction journalière qui est de 10 tonnesen allure de spiegel à 10-12%, tombe à8 tonnes pour une teneur en manga-nèse de 25%, et à 3 tonnes pour duferromanganèse à 40%.

Mais qu'entend t'on par "allure du hautfourneau"? Aujourd'hui, cette allure «secaractérise par le débit de vent soufflé ;elle est dite normale lorsque, pour un litde fusion donné, elle assure une pro-duction de fonte souhaitée, de qualitérégulière et de prix de revient mini- 18. Liliane Hilaire-Perez , Pratiques inventi-ves, cheminements innovants, crédits etlégitimations, Les chemins de la nouveauté, (Liliane Hilaire-Pérez et Anne-Françoise Gar-çon dir.), CTHS, Paris, 2001, p. 3119. F.Gautier, "Alliages ferrométalliques (leurfabrication, leurs propriétés, leurs emplois)",1889-Congrès international des mines et dela métallurgie, Bulletin de la Société de l'In-dustrie minérale, tome 3, 188920. Le prix de revient n'est plus calculé partonne de ferroalliage mais par tonne demanganèse métallique; dans le cas présent,le prix de revient de 1 tonne de manganèsemétallique correspond à celui de 2.5 tonnesde ferromanganèse à 40%. Ce mode decalcul en "manganèse contenu" permet decomparer les prix de revient de différentsferromanganèses selon leurs teneurs enmanganèse...

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mal»21; en deçà et au-delà de cetteallure normale les résultats du hautfourneau se dégradent.L'allure dont parle les hauts fournistesautrichiens ne se caractérise pas par ledébit de vent soufflé mais par la naturede la fonte fabriquée, spiegel à 10-25%ou ferromanganèse à 40%. Ils ignorentque la chaleur nécessaire à la réductionde l'oxyde de manganèse et la tempé-rature à partir de laquelle cette réduc-tion devient possible sont largementsupérieures à celles réclamées parl'oxyde de fer. Leur démarche, parfaiteillustration de l'explication selon laquellela mise au point d'un nouveau procédésidérurgique relève plus de l’empirismeque du savoir scientifique, consistedonc, à consommation inchangée decombustible, à ajuster la charge duhaut fourneau en fonction de la teneuren manganèse de la fonte à produire :spiegel ou ferromanganèse à 40%, laquantité d'oxyde de manganèse à ré-duire reste la même.

Les mémoires de Jordan et Douvilléavaient appris aux hauts fournistes deTerrenoire que le remplacement ducharbon de bois par le coke et le ré-chauffement du vent étaient des condi-tions favorables à une augmentation dela teneur en manganèse du ferroman-ganèse, mais que tout excès d'oxyde demanganèse chargé était perdu dans lelaitier. Ils savent désormais que « laprétendue irréductibilité du manganèseau haut fourneau n’était qu’une diffi-culté relative». Ils savent que pour pro-duire du ferromanganèse à haute te-neur, il leur faut rassembler les condi-tions favorables à l'obtention d'une«grande quantité de chaleur», et parréglage de la composition de la chargeet du débit de vent soufflé atteindre uneallure stable de l'appareil, "une allure deferromanganèse"22.

On sait par Pourcel, chef du servicehauts fourneaux de Terrenoire, que sil'usine avait disposé en 1873 d'un hautfourneau produisant du spiegeleisen etsurtout d'appareils réchauffeurs de ventperformants (elle n'en sera équipée que 21. J.Corbion, Le savoir...faire. Glossaire duhaut fourneau.., op.cit., article Allure, p.A18.22. Le haut fourneau autrichien consommaitdu charbon de bois dont la combustion dé-gage une température inférieure à celle ducoke. C'est la raison pour laquelle l’usine neprogresse plus les années suivantes et selimite à la production d'un ferromanganèse à40-60% de manganèse.

l'année suivante), les essais de produc-tion de ferromanganèse à haute teneurauraient commencé aussitôt. On auraitpu dire alors que Terrenoire, premièreusine à le mettre en œuvre, avait in-venté le procédé de fabrication du fe r-romanganèse au haut fourneau, unepriorité qu'elle méritait bien.Mais deux autres compétiteurs françaisse présentent. Saint-Louis produit duspiegeleisen à 25% dès 1874 et duferromanganèse à 70-80% l'année sui-vante. Montluçon, contrainte jus-qu'alors d'acheter au prix fort à Terre-noire du ferromanganèse à 50% pourles besoins de son aciérie Bessemerproduit du ferromanganèse à 70% à lafin de l'année 74.

Le seul récit de la mise au point du pro-cédé de fabrication du ferromanganèsequi nous soit parvenu raconte l'expé-rience de Terrenoire ; il a été établi parPourcel à partir de ses archives person-nelles23 et publié en 1885 dix ans aprèsles faits.Le nouveau procédé se distingue duprocédé de fabrication de la fonte clas-sique par le fait que le manganèse rem-place le fer comme constituant principaldu produit. Dès les premières expéri-mentations se manifestent l'importancede la composition de la charge, du ré-glage de la marche, et dans une moin-dre mesure de la construction et del'équipement du haut fourneau.

Composition de la charge. La récu-pération du fer contenu dans le mineraide fer ou de manganèse est pratique-ment totale. Au contraire la réductiondu manganèse est partielle : on parlealors de "rendement en manganèse". Cerendement résulte, d'une part de la"quantité de chaleur" disponible pour laréduction des oxydes métalliques24,d'autre part de la quantité et de la com-position du laitier produit en mêmetemps que le ferroalliage.Jordan avait noté au cours de sonvoyage dans le Siegerland l'avantage ducoke sur le charbon de bois. Les hautsfournistes de Terrenoire remarquent 23. A. Pourcel, « Le ferromanganèse », LeGénie Civil, 1885, 7, pp. 3-5, 21-23 et 50-52. On trouvera une analyse des essais me-nés à Terrenoire de 1875 à 1878 dans Truf-faut, "Manganèse et acier…", op. cit., pp.567-572.24. La quantité de chaleur disponible dépen-dant elle-même de la qualité du combustibleutilisé (le coke pour le ferromanganèse àplus de 70% de manganèse), et du rapportpoids de combustible/poids de minerai.

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très vite l'importance de la teneur encendres du coke. Ils remarquent enmême temps l'importance de la compo-sition des minerais de manganèse en-trant dans la charge (rapport des te-neurs en fer et manganèse, teneurs enéléments scorifiables) et de la régularitéde cette composition. Comme Jordan,ils vérifient l'effet favorable d'une addi-tion de fondants calcaire, magnésien etbarytique qui neutralise la silice (pré-sente dans les minerais ou les cendresdu coke25) et limite la perte de manga-nèse dans le laitier. Pourcel expliqueque le calcul de la charge du haut four-neau en allure de ferromanganèse im-plique donc deux hypothèses26 sur lesconditions susceptibles de procurer àl'appareil une marche régulière et éco-nomique, l'une sur le rapportcoke/minerai, l'autre sur le rendementen manganèse. La réglage du hautfourneau est donc empirique : il faudraau vu des résultats de marche corrigerles hypothèses prises en compte. Deplus, une inconnue supplémentaire in-tervient dans ce réglage lorsqu'il s'agitd'explorer, comme le fait Terrenoire lespossibilités d'augmentation de la teneuren manganèse du ferroalliage produit.

Construction du haut-fourneau.Pourcel avait regretté en 1873 queTerrenoire ne dispose pas d'un hautfourneau en allure de spiegel. En fait,l'essai est effectué dans un appareilfabriquant habituellement 40-45 tonnespar jour de fonte qualité Bessemer27 etconsommant 38 à 43 tonnes de coke.Les dimensions du haut fourneau diffè-rent un peu de celles de l'appareil dé-crit par Jordan en 1864: la pente desétalages est un peu moins forte.Lors du premier essai, le débit de ventest réglé de façon à brûler 40 tonnes decoke par jour ; ce débit est réduit demoitié au cours du second essai ; enmême temps, les trois tuyères souf-flantes sont enfoncées dans le creusetde 20 à 25 centimètres. On a sansdoute cherché à souffler du vent pluschaud : la température du vent aug-mente en effet de 150°C du premieressai au second, mais en même temps 25. Le coke utilisé par Terrenoire pour lesessais contenait 15% de cendres26. Quatre si l'on tient compte de la volatili-sation d'une partie du manganèse et de lateneur en silicium du ferromanganèse pro-duit.27. La fonte qualité Bessemer contenait 2-3% de manganèse qui facilitait l'opération enfin de conversion

on a rapproché le profil des étalages decelui d'un haut fourneau en allure despiegel et concentré la chaleur au ni-veau des tuyères. Dans le creuset et lesétalages, le haut fourneau est revêtud'un garnissage réfractaire en carbonequi donne satisfaction : il résiste bien àl'action corrosive du laitier28.En septembre 1875, au cours dudeuxième essai, Terrenoire produit duferromanganèse à 70% moyennant uneconsommation en coke de 1900 kilospar tonne de produit ; le rendement enmanganèse est de 67% (1350 kilos delaitier à 32% de manganèse). La tem-pérature du vent atteint 750°C.

Il n'est pas possible d'attribuer à Terre-noire la priorité de l'invention d'un pro-cédé que Saint-Louis et Montluçon ontappliqué simultanément ; les ingénieursdes trois sites étaient membres del'influente Société de l'Industrie Miné-rale, lieu d'échanges techniques perma-nent, et donc informés des essais enpréparation. Mais sans nul doute, Ter-renoire, riche en 1875 d'une expé-rience de plusieurs années dans la pro-duction du ferromanganèse au creusetet au four à réverbère est le véritablepromoteur du procédé.

Diffusion du procédé en Franceet à l'étranger.Au cours des années 1875-1878, Terre-noire, Saint-Louis et Montluçon obtien-dront des ferromanganèses à 80 etmême 85%, au prix d'une augmenta-tion de la consommation de coke (2700kilos), en atteignant des rendements enmanganèse de 75-80%. Mais le rende-ment en manganèse intervient forte-ment sur le prix de revient: les mineraisde manganèse importés de l'étrangercoûtent cher. Pour des raisons écono-miques ou purement pratiques (au-delàde 80% le ferromanganèse n'est passtable vis à vis des agents atmosphéri-ques), la course aux hautes teneurs enmanganèse s'arrête. La teneur en man-ganèse du ferromanganèse commercialse fixe à 75-80%Le nouveau procédé de fabrication dif-fuse rapidement à l'étranger : en Ouralvers 1876, dans la Rhur l'année sui-vante, en Grande Bretagne à partir de1878 (Cleveland, puis Pyle et Blaina).Terrenoire qui a créé une "Société desfers et alliages de manganèse" pour 28. Cette utilisation du carbone, trop bonconducteur de la chaleur, ne sera pas con-firmée.

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exporter ses brevets contribue à cerapide développement. En France, desimitateurs se manifestent à Tamaris,Saint-Montan (Beaucaire), Montluçon-Saint-Jacques (Châtillon-Commentry);en 1882, les Aciéries de la Marinecréent l'usine du Boucau près deBayonne.

Les crises successives des années 1880et la concurrence de la nouvelle sidé-rurgie lorraine après l'invention du pro-cédé Thomas frappent Montluçon etTerrenoire. La fabrication du ferroman-ganèse s'arrête à Montluçon vers 1883après celle de l'acier Bessemer ; elles'arrête sans doute l'année suivante àTerrenoire29 qui connaît en 1887 unefaillite retentissante.Quant à Saint-Louis qui fonctionne tou-jours, le rapport sur la grosse métallur-gie de l'Exposition Universelle de 1900renseigne sur les dimensions de seshauts fourneaux et de leurs annexes :appareils réchauffeurs de vent (sansindiquer la température obtenue), ins-tallation d'épuration du gaz30 Le rap-porteur écrit que " l'usine de Saint-Louis a réussi à régler d'une manièresatisfaisante cette fabrication (celle duferromanganèse) et à éviter la produc-tion au gueulard de températures tropélevées dues à une consommation exa-gérée de combustible" : aucun résultattechnique… mais l'usine s'est toujoursmontrée très discrète.En 1900 après 15 ans d'un monopoleprécaire et une tentative de diversifica-tion dans d'autres ferroalliages, Saint-Louis reste en France le seul producteurpermanent de ferromanganèse: la ré-gularité de ses fabrications et la préci-sion de ses classements lui permettentde conserver ses débouchés. Deux usi-nes françaises dont Le Boucau, produi-sent épisodiquement, du ferromanga-nèse ; d'autres produisent des spiegelsà 10 et 25% (Isbergues, Tamaris) et duferromanganèse à 50% (Berdoulet enAriège).

29. Pourcel quitte l'entreprise en 1885 pourBilbao.30. Le gaz est débarrassé de la majeurepartie des poussières qu'il entraîne hors duhaut fourneau par précipitation à sec dansdes conduites de grand diamètre; l'efficacitéd'un tel dispositif devait être assez faiblepuisque les réchauffeurs de vent les plusmodernes, chauffés au gaz de haut fourneau,sont équipés d'un système automatique deraclage pour évacuer les poussières de gazqui s'y déposent..

Cinq ans plus tard, la société qui con-trôle Saint-Louis doit faire face à unlourd programme d'investissements :elle décide de vendre ses hauts four-neaux et trouve à Outreau près deBoulogne-sur-mer un producteur defontes de moulage et d'affinage dontl'usine vient d'être modernisée et quisouhaite élargir son programme de fa-brication. En 1906, un haut fourneauest "déménagé" de Marseille à Outreau; l'opération de transfert, remarquable-ment réussie, dure un an au bout du-quel le haut fourneau remonté produitde façon tout à fait satisfaisante duferromanganèse. Selon l'expression duprésident du conseil d'administrationd'Outreau, la fabrication du ferroman-ganèse à Outreau doit être considérée"comme la suite de celle de Marseille".

1906-1990Le développementdu procédé à Outreauet Boulogne"…L'usage du secret – et partant de satransgression – fait à ce point partie du"paysage technique", qu'il fut peu ouprou entièrement assimilé à l'espion-nage. A tort, toutefois le secret fut, etdemeure peut être l'un des modes or-donnateurs de la pensée technique oc-cidentale"31

Etat du procédé en 1906Le directeur des hauts fourneaux d'Ou-treau, Bernard, visite Saint-Louis avantle transfert : son rapport fait le pointsur la fabrication du ferromanganèse en1906. Il remarque les paliers qui en-tourent la cuve du haut fourneau etpermettent d'entretenir la cuve du hautfourneau toujours très chaude et quis'use rapidement en allure de ferro-manganèse, les trois rangées de boîtesà circulation d'eau qui refroidissent lamaçonnerie; il remarque les quatretuyères soufflantes, le creuset blindéqu'on évite d'arroser (donc de refroidir.Il s'étonne surtout du profil du hautfourneau: " le haut fourneau de Saint-Louis est de type élancé, le ventre haut,disposition qui serait très mauvaisepour d'autres fontes, par exemple pourl'hématite. Le haut fourneau de Saint- 31. Anne-Francoise Garçon, "Comment retra-cer historiquement les chemins de la nova-tions", Les chemins de la nouveauté , op. cit.,p. 467

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Louis bien que de 18 mètres, ne feraitpas plus de production en hématite quele nôtre de 16 mètres".Bernard rapporte aussi de sa visite àSaint-Louis les éléments permettantd'établir un prix de revient prévisionnelpour la production à Outreau de 800tonnes par mois de ferromanganèse à80%, notamment la consommation decoke à 10% de cendres (mise au mille)de 2500 kilos par tonne de ferromanga-nèse et le rendement en manganèse de80%. La charge prévue est composéeuniquement de minerais de manganèse: minerai de manganèse riche (40% etplus) et minerai de manganèse ferrifèrequi à égalité de manganèse contenucoûte trois fois moins cher que le mi-nerai de manganèse riche importé.L'addition de fondants (castine et dolo-mie) est de 1000 kilos par tonne deferromanganèse32.La mise au mille coke de 2500 kilosretenue par Bernard dans son calcul estcelle "obtenue habituellement par Saint-Louis " ; mais il reste prudent : " nousn'en garantirons rien puisque certainescirconstances comme de l'air mieuxchauffé, peuvent réduire la consomma-tion de coke, tandis que d'autrescomme la nature du minerai employépourraient l'augmenter". 32. Addition justifiée pour un tiers par lasilice des cendres du coke et pour le restepar la silice apportée par le minerai de man-ganèse du type Caucase. La quantité delaitier par tonne de ferromanganèse produitedevait atteindre 1000 kilos entraînant uneperte de quelques 120 kilos de manganèse.

En 1911, la mise au mille au cokeconstatée à Outreau est de l'ordre de2000 kilos33.

Le procédé de fabrication du ferroman-ganèse au haut fourneau (désigné dansce qui suit, pour alléger l'écriture,comme "le procédé") est donc installé àOutreau en 1906. Il se différencie decelui de la fonte classique:- au niveau de la technologie, par unprofil adapté du haut fourneau en "al-lure de ferromanganèse"34, par desdispositifs de refroidissement du garnis-sage réfractaire strictement limités auxzones sollicitées pour éviter les pertesde chaleur, par des réchauffeurs devent à haute température, par des ins-tallations d'épuration du gaz le débar-rassant des poussières produites par lavolatilisation du manganèse,- au niveau de la composition du lit defusion par l'existence d'un rendementen manganèse nécessitant un calcul dela charge dans lequel interviennent plu-sieurs hypothèses sur les résultats at-tendus (rendement en manganèse, con-sommation de coke…)- au niveau de la conduite du haut four-neau35, un réglage empirique et perma-nent de la composition de la charge enfonction des écarts constatés entre ré-sultats attendus et obtenus, réglagebasé sur l'observation de la températurede flamme aux tuyères soufflantes, latempérature du laitier à la coulée, lacassure d'échantillons de laitiers et latempérature du ferromanganèse à lacoulée.

Comme Saint-Louis, Outreau resteratoujours discret sur ses techniques defabrication… Le procédé y est si biendéveloppé qu'après 1950, le ferroman-ganèse devient l'unique fabrication dusite qui assure alors 10% de la produc-tion mondiale.

En 1925, la bibliothèque d'Outreau ac-quiert l'ouvrage d'Aimé Coutagne sur 33. Il est fort probable que les appareils ré-chauffeurs de vent Cowper d'Outreau don-naient une température de vent bien supé-rieure à celle des vieux appareils Whitwell deSaint-Louis.34. Ceci est vrai pour Saint-Louis et Outreau;nous ne savons pas si, à l'époque, cela étaitvrai pour les autres sites français ou étran-gers.35. Les sources ne renseignent pas sur ceréglage empirique. Ce paragraphe procèdede notre propre expérience de la fabrication.

1907, moteurs à gaz

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1908, Convertis-seur acier{

1908, Panoramades aciériesd’Outreauu

v. 1920, Outreau,coulée de fonte[carte postale,

archives APO] y

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les ferroalliages36. Un des chapitres estconsacré à la fabrication du ferroman-ganèse au haut fourneau : l'aute ur ysouligne "le silence de la littérature".On y trouve une étude des résultats demarche de 7 hauts fourneaux améri-cains en 1918-1920 au cours de 40campagne s de production de ferroman-ganèse. Ces résultats sont en net re-trait sur ceux d'Outreau en 1911: unemoyenne de 40 résultats donne unemise au mille de coke de 2386 kilos etun rendement en manganèse de 75%pour une production journalière de 52tonnes de ferromanganèse à 75% demanganèse avec une température devent de l'ordre de 600°.

Etat du procédé à Outreau à lafin des années 1930Rédigée après le déclenchement dudeuxième conflit mondial et l'arrêt del'usine d'Outreau, une étude réaliséepar le directeur des hauts fourneaux,Jean Sanson, renseigne sur le dévelop-pement du procédé à la fin des années193037. Il s'agit d'un document interne 36. Aimé Coutagne, La fabrication des fer-roalliages, Paris, 1925 [04.020].37. On compte en France en 1930 trois pro-ducteurs de ferromanganèse au haut four-neau: Outreau (25000 tonnes par an), Pom-pey (13000) et Le Boucau ( 6000), et quel-ques producteurs au four électrique

non destiné à la publication de 130feuillets dactylographiés portant denombreuses corrections manuscrites.Dans ses trente chapitres, l'étudedresse l'état et les conditions d'applica-tion du procédé à Outreau et proposeun certain nombre d'améliorations ;décrivant dans le détail, les conditionsde sa mise en œuvre elle informe sur lapart prise par les fondeurs, gaziers,chargeurs dans la constitution du sa-voir-faire.Les informations sont regroupées ici enquatre rubriques: résultats de marche,composition de la charge, constructionet conduite du haut fourneau.

- Résultats de marche. La teneur enmanganèse du produit ne dépasse pas80% ; au-delà, il se délite. La mise aumille de coke est de 1650 kilos. Le ren-dement en manganèse atteint 87-90% ;5% de manganèse sont perdus dans lelaitier, 5% dans les poussières de gaz.En trente ans, la mise au mille de cokea baissé de 300 kilos et le rendementen manganèse, augmenté de 10%.

- Composition de la charge. Le cokecontient 11 à 12% de cendres; on re-cherche un coke exempt de fines, so-lide, peu réactif.Les minerais sont d'origines diverses. Leminerai de Poti (URSS) constitue 50%de la charge de minerai, dont le resteest composé suivant les réceptions deminerais d'Ouest-Afrique (Ghana), deBou Arfa (Afrique du nord), des Indes,du Brésil et de cendres de pyrites bri-quetées et agglomérées par l'usine. Lefer nécessaire est apporté par le mineraide Bou Arfa et les briquettes de pyrites.La quantité de laitier formé par tonnede ferromanganèse est de 600-700kilos, due surtout à la silice apportéepar les cendres de coke et le minerai dePoti. On vise un laitier polybasiquecontenant chaux, magnésie et baryte,très calcaire (rapport silice/bases égal à0,60) ; sa teneur en oxyde de manga-nèse, de 9% environ, est le résultat ducompromis recherché entre fluidité etrendement en manganèse. Cette com-position du laitier a été obtenu aprèsdes années d'expérimentations grâce àl'augmentation de la température duvent et à la polybasicité : en 1929, lelaitier contenait encore 18% d'oxyde demanganèse avec un indice de 0.68. Onenvisage une poursuite de l'expéri-mentation sans le secours de référencesétrangères en espérant atteindre lesvaleurs 3.5% et 0.46 par remplacement

1929, haut-fourneau avant reconstruction[archives APO]

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d'une partie de la chaux par la magné-sie et la baryte.

- Construction du haut fourneau. .On considère que le haut fourneau enallure de ferromanganèse est un hautfourneau en fonte modifié pour concen-trer la chaleur dans l'ouvrage38 et obte-nir au gueulard la plus faible tempéra-ture de gaz possible. Un bilan thermiquedétaillé de l'appareil montre que c'estdans l'ouvrage que se fait à plus de laréduction de l'oxyde de manganèse39.Pour y concentrer la chaleur, on réduitle nombre de tuyères qui sont autant depoints froids, la vitesse du vent au ni-veau des tuyères est de 300 m/sec(trois fois supérieure ce qu'elle est enfabrication de fonte) et on hésite àaugmenter le diamètre du creuset car"le travail dans l'ouvrage devient trèsrapidement plus difficile pour une faibleaugmentation du creuset".Par contre, la doctrine en matière de"profil" n'est pas très explicite40. Levolume spécifique du haut fourneau estdouble de celui de la fonte mais pouréviter l'écrasement du coke on limite lahauteur de l'appareil ; on estime que lesétalages pourraient être moins hauts etplus raides que ceux du haut fourneauen fonte, que la cuve pourrait à la li-mite être cylindrique compte tenu del'absence d'accrochages qu'un granddiamètre du gueulard est favorableparce qu'il limite l'entraînement depoussières. Finalement, la comparaisondu profil retenu à Outreau s'inscrit dansla suite des profils de hauts fourneauxspécialement construits pour la fabrica-tion du ferromanganèse depuis Terre-noire et Saint Louis.La construction du haut fourneau nemanque pas de poser plusieurs pro-blèmes. 38. Zone des étalages située juste au dessusdu creuset39. On constate à l'occasion de l'établisse-ment de ce bilan thermique que les chaleursde réduction des oxydes de fer et de manga-nèse sont maintenant connues.40. Une note interne du 7 mars 1934 con-cernant la reconstruction du haut fourneau 2d'Outreau se plaint de la nécessité d'utiliserles charpentes anciennes qui empêchentl'usine d'Outreau de diminuer le ventre deces fourneaux, mais elle a cherché à amé-liorer le profil des fourneaux en augmentantle diamètre des creusets dans la limite despossibilités permises par les charpentesexistantes… Malgré cette amélioration, lesventres sont encore trop volumineux et il s'yproduit fréquemment des garnissages quiperturbent la marche des fourneaux".

L'engorgement progressif ducreuset par le graphite provoque unemontée progressive des étalages etimpose la mise hors feu définitive del'appareil. On évite donc pour le creusetun garnissage en carbone trop conduc-teur de la chaleur et les refroidisseurs.

La partie supérieure des étala-ges est souvent sujette à de petitespercées : on envisage de blinder lesétalages avec une tôle épaisse refroidiepar ruissellement d'eau ; l'installationde boîtes de refroidissement est prohi-bée : elles provoquent une descente dela charge par chutes très pénalisantepour le rendement en manganèse ;percées possibles également à la marâ-tre (jonction des étalages et de la cuve)dont la construction doit être très soi-gnée.

La cuve souffre plus qu'en fonte; elle est construite en brique réfracta i-res (à 40-42% d'alumine pour les deuxtiers inférieurs), qui fondent partielle-ment après la mise à feu de l'appareil ;la cuve est maintenue par des cercles.Comme dans les étalages, les boîtes derefroidissement sont prohibées.

Au gueulard, un joint de sablerend la cuve indépendante de l'appareilde chargement (système Stähler). Cedernier, robuste, est muni de largesclapets d'explosion. Pour abaisser latempérature au gueulard qui en marchenormale varie entre 500 et 800° (900°en marche perturbée), de l'eau y estpulvérisée ; la température s'abaissealors à 350-650°. Mais la pulvérisationreste difficile à contrôler.

Les 6 appareils réchauffeurs devent cowper fournissent un vent chaudà 950° (deux autres en instance demodernisation: à 700°)41. Quatre cha-pitres de l'étude évaluent l'intérêtd'une suroxygénation42 ou d'une dessic- 41. Enquête de la Commission d'Etudestechniques sur la production dans l'industriesidérurgique avril mai 1938. Une lettre duPrésident-directeur –général au directeurd'Outreau signale son intention de modernisedeux appareils cowper qui s'ajouteront auxdeux autres présents pour assurer une mar-che à deux hauts fourneau en ferromanga-nèse dans les meilleures conditions. Quatreappareils cowper ont donc été modernisésentre 1933 et 193842. La suroxygénation du vent pourraitpermettre, pense t'on, la production deferro-silicium et peut être d'autres fabrica-tions. A l'époque la technique avait été tes-tée pendant six jours au haut fourneaud'Oberhausen dans la Rhur, mais les résul-tats obtenus (très médiocres: mise au millecoke de 2190 kilos et rendement en manga-nèse de 70%) et la trop courte durée de

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cation du vent et concluent que l'élé-vation de la température du vent (onespère 1000°C dans un avenir proche)reste l'objectif prioritaire.

L'obtention de haute tempéra-ture de vent dans des appareils cowpern'est rendue possible que par l'épura-tion parfaite du gaz de haut fourneauutilisé pour les chauffer. Celui-ci sort duhaut fourneau avec 29 grammes parmètre cube de poussière "impalpable",à 20% et plus d'oxyde de manganèse.Cette épuration est réalisée en troisétapes, épuration statique, épurationélectrique et enfin épuration hydrauli-que fonctionnant en véritable piège àpoussière: le gaz épuré contient moinsde 5 milligrammes de poussières parmètre cube 43.

- La conduite du haut fourneau.Il n'est pas possible de citer ici tous lespoints de l'étude illustrant la répartitiondu savoir-faire entre les différents mé-tiers ; nous nous limiterons à quelquesexemples concernant les fondeurs etleurs contremaîtres. Les fondeurs gè-rent les opérations de coulée du métalet du laitier en portant beaucoup d'a t-tention au bouchage du haut fourneauet à la confection des rigoles qui con-duisent le métal liquide vers les bacs desable où il refroidit en couche de 10-15centimètres d'épaisseur44. Ils observentla combustion du coke aux tuyères pourprévenir les effets d'une évolution dubilan thermique ou une percée avecintroduction d'eau dans le haut four-neau. Le laitier, quelquefois visqueux etchargé de gouttelettes métalliques, estalors coulé en même temps que le mé-tal malgré le risque de brûler ou d'en-gorger les tuyères. Les fondeurs sur-veillent en permanence l'état des étala-ges, de la cuve, pour intervenir au plusvite au départ d'une percée… Mais leurcontribution la plus importante au "réglage" du haut fourneau est certa i-nement la prise à chaque coulée, d'un l'expérimentation, interdisaient toute conclu-sion.43. Jusqu'en 1926 l'usine consommait auxbrûleurs des appareils cowper du gaz brutencore chargé de poussières dont l'oxyde demanganèse attaquait les briques réfractairesportées à 1400°. Il a fallu dix ans pourconstruire et mettre au point l'atelier d'épu-ration décrit ici..44. Un bouchage défectueux, des rigoles malséchées, peuvent être à l'origine d'un"bouillonnage" : réaction explosive entre leferromanganèse liquide, l'eau et le sable,avec formation d'hydrogène et scorificationde la coulée.

échantillon de métal liquide "représen-tatif" qui sera envoyé en urgence aulaboratoire de chimie pour analyse, etsurtout détermination rapide de la te-neur en silicium45

Les contremaîtres surveillent la fluiditédes laitiers à la coulée et l'aspect deséchantillons prélevés: couleur et ca s-sure. Sur la base de leurs observationset de l'évolution des teneurs en siliciumannoncées par le laboratoire, l'ingénieurde hauts fourneaux pratiquera si néces-saire une correction de charge46.Tous les "métiers" participent au ré-glage de la marche du haut fourneau.

1940Bilan de l'évolutiondu procédé depuisson « invention » en 1875Saint-Louis s'étant le premier spécialisédans la fabrication du ferromanganèseau haut fourneau, Outreau, Le Boucauet Pompey, qui viennent à sa suite,confirment l'importance d'une marchecontinue pour obtenir le meilleur ré-glage et les meilleurs résultats du pro-cédé ; une fabrication permanente leurdonne un gros avantage sur leurs con-currents sidérurgistes, nationaux ouétrangers47, qui produisent du ferro-manganèse par campagnes, au gré deleurs besoins.L'importance de la qualité des mineraisde manganèse et cokes, pour une in-dustrie de matières premières qui re-présentent 80% du prix de revient s'estrévélée avec le temps.L'influence bénéfique de l'augmentationde température du vent sur la mise aumille de coke s'est trouvée confirmée,sans qu'on ait trouvé de limite à cetteaugmentation ; de même a été confirméla sensibilité du rendement en manga-nèse à la composition du laitier. 45. la teneur en silicium du ferromanganèsede la coulée est le meilleur indicateur del'état thermique du haut fourneau et sonsuivi de coulée à coulée permet le réglage dela marche.46. Ces retouches permanentes sont néces-saires pour prendre en compte les variationsinévitables de composition des matièrespremières par rapport à leur standard deréception (par exemple hausse accidentellede la teneur en eau des fondants qui affecteau bout de quelques heures le rendement enmanganèse).47. Saint Louis est exportateur de ferroman-ganèse; Outreau le devient dès 1908.

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L'étude de la thermodynamique desréactions chimiques apparue à la fin duXIXème a permis de déterminer la tem-pérature seuil de déclenchement de laréduction de l'oxyde de manganèse parle carbone, nettement plus élevée quecelle de l'oxyde de fer, et de chiffrer lesquantités de chaleur nécessaires auxdeux réactions.Un point reste encore assez mystérieux: celui du meilleur profil à adopter pourle haut fourneau en allure de ferroman-ganèse, d'un haut fourneau qui est ra-pidement apparu différent de celui duhaut fourneau en fonte. Se souvient-onencore comme le remarquaient leshauts fournistes autrichiens à l'originedu procédé en 1873: il faut laisser aumanganèse "le temps de se réduire"? Ast'on pris en compte le fait que la chargede coke, minerai de manganèse et fon-dants, devait se présenter dans l'ou-vrage, aussi bien sinon mieux échaufféequ'une charge pour fonte deux à troisfois moins volumineuse? Le fait est qu'àOutreau en 1940, on en restait, comptetenu des contraintes imposées par lesinstallations existantes sur le site(constructions métalliques, hauteur duplancher de chargement…), à un com-promis préservant à la fois le temps deséjour de la charge dans le haut four-neau (environ 19 heures) et l'intensitéde combustion du coke (environ 20tonnes / m² de surface de creuset/jour.Un problème qui sera pour Outreau etBoulogne celui des quarante annéessuivantes, se profilait déjà, contrariantla recherche d'un effet d'échelle desinvestissements : comment augmenterla capacité d'un haut fourneau en allurede ferromanganèse (en bref, augmenterson diamètre au creuset) sans réduireson volume (c'est à dire le temps deséjour de la charge dans l'appareil).

Etat du procédé à Outreauen 1960Il nous est connu par une communica-tion interne prononcée en décembre1960 par le responsable du servicehauts fourneaux48.Les hauts fourneaux d'Outreau ont étéremis à feu après la deuxième guerremondiale : en 1948, sur trois hautsfourneaux en marche, un seul produitencore de la fonte ou du spiegel. A 48. Pierre des Rochettes, "La division hautsfourneaux depuis dix ans", Archives desAciéries de Paris et d'Outreau, MS 1960. (13feuillets)

partir de 1950, l'usine ne produira plusque du ferromanganèse pour répondreà la demande en progression constantede la sidérurgie mondiale. De 1952 à1957, sa production journalière passerade 250 tonnes à 500 tonnes grâce àune augmentation des moyens de souf-flage : nombre de tuyères soufflantes,surface de chauffe des appareils cow-per, puissance des soufflantes, enrichis-sement en oxygène du vent pour unhaut fourneau à partir de 1956. Leshauts fourneaux s'usent rapidement: ilssont tous reconstruits de 1950 à 1959.Les normes de construction arrêtéespar l'étude de 1940 sont globalementrespectées mais les impératifs de pro-duction amènent à augmenter l'intensitéde combustion du coke (tonnage decoke brûlé par jour et par m² de surfacede creuset) et le temps de séjour de lacharge diminue.L'augmentation de la teneur en oxygènedu vent à 29.5% permet d'augmenterde 30% environ la production du hautfourneau concerné ; mais le coût del'énergie électrique nécessaire pourl'enrichissement, les difficultés d'e x-ploitation de la centrale à oxygène et lecomportement du haut fourneau49 fe-ront que la technique ne sera pas dé-veloppée dans les années suivantes.A l'occasion d'une conjoncture plus fa i-ble en 1958, le haut fourneau 2 estreconstruit dans une conception nou-velle. Il est entièrement blindé, sansjoints, autoportant et refroidi extérie u-rement par ruissellement d'eau. Pour luidonner un profil qualifié de "naturel",ses dimensions intérieures ont été dé-terminées après observation des profilsd'usure des hauts fourneaux à la misehors service ; ses dimensions respec-tent toujours les normes arrêtées en1940 mais tiennent compte des don-nées recueillies depuis dix ans sur leseffets favorables d'une augmentation del'intensité de combustion du coke auxtuyères.

On vise une production de 180 ton-nes/jour en augmentant le diamètre aucreuset d'une soixantaine de centimè 49. Le volume de gaz produit par tonne decoke brûlé diminue d'un tiers environ, ce quiest équivalent à une augmentation (favora-ble) du temps de séjour de la charge.Maiscela pose en même temps un problème derépartition d'un débit de gaz réduit dans unvolume offert inchangé; pour améliorer lecontact gaz-minerai défectueux dans certai-nes zones de la cuve du haut fourneau, desessais visant à modifier la répartition radialedu minerai dans la cuve sont entrepris.

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p1925, Outreau

u 1965, Outreau

1960, Outreau 1959 [archi-ves APO]q

1950, Outreau, soufflantes[archives APO]y

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tres (les informations disponibles sur lesrésultats de marche des gros hautsfourneaux américains en allure de fe r-romanganèse50 ne plaidaient pas pourune augmentation plus importante). Lenouveau haut fourneau doit servir demodèle pour la construction du premierhaut fourneau (230 tonnes/jour) prévusur le site de Boulogne où les travauxont commencé.Remis à feu dans les premiers mois de1959, le haut fourneau affiche une pro-duction de 180 tonnes/jour, une miseau mille de coke de 1480 kilos et unrendement en manganèse de 89%.

Evolutiondu marché internationaldes minerais de manga-nèseL'évolution du marché international desminerais de manganèse a eu une pro-fonde influence sur le procédé.En 1875, les ressources nationales enminerais de manganèse des premierspays sidérurgistes se sont révélées in-existantes ou inadaptées à la fabricationdu ferromanganèse. Très rapidement leminerai de manganèse fait l'objet d'unmarché international alimenté dès 1890par la Russie et l'Inde suivis par le Gha-na (Ouest Afrique), le Brésil et l'Afriquedu sud.

Après le deuxième conflit mondial quiinterrompt l'extraction des mines duCaucase et d'Ukraine, l'U.R.S.S. est demoins en moins présente sur le marchéinternational . En 1948, elle décidel'embargo sur les exportations à desti-nations des Etats-Unis mais continue àimporter en France. Le minerai de man-ganèse devient une matière premièrestratégique.

A la liste des pays exportateurs s'ajou-tent de 1940 à 1960 le Maroc, Cuba etle Congo Belge la Côte d'Ivoire… En 50. Nous n'avons pas retrouvé les informa-tions en question sur les résultats des hautsfourneaux américains (de 1953 à 1962, laproduction annuelle de ferromanganèse auhaut fourneau est de l'ordre de 0.5 à 0.7millions) Par contre à l'époque, on signalait un hautfourneau russe de 7.2 mètres de diamètre aucreuset, alimenté en vent enrichi et mar-chant en contrepression, qui produisait 460tonnes/jour de ferromanganèse à 73%, avecune mise au mille de coke de 1424 kilos, etun rendement en manganèse de 81%.

Boulogne 1960 :pp l’usinep appontement minéralier

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1956, la fermeture du canal de Suezcoupe les pays sidérurgiques du mineraides Indes ; cette situation profite àl'Afrique du sud dont les réserves serévèlent très importantes.

De 1945 à 1960, la production mondialed'acier passe de 110 à 320 millions detonnes annuelles; les pays sidérurg i-ques qui cherchent à sécuriser leur ap-provisionnement en manganèse, favori-sent la recherche et la mise en exploi-tation de nouveaux gisements en Afri-que du Sud, au Gabon, en Australie, auBrésil.

Ces minerais se différencient par leursteneurs en manganèse et en fer plus,mais aussi par des teneurs en élémentsscorifiables très différentes. Le produc-teur de ferromanganèse doit prendre encompte toutes ces teneurs pour compo-ser le lit de fusion du haut fourneau etévaluer le rendement en manganèsequ'il lui sera possible d'obtenir ; il attri-bue donc à chaque minerai, une "valeurd'usage" fixée par son analyse chimi-que.Cetains minerais contiennent égale-ment des éléments qui fixent la puretédu ferromanganèse produit : phos-phore, arsenic…, ou d'autres éléments(plomb, métaux alcalins) qui perturbentle fonctionnement du procédé ou com-promettent à terme la tenue du hautfourneau51. 51. Le plomb contenus par les minerais ma-rocains à hauteur de 1% s'accumulent dans

Le procédé est adapté à la consomma-tion de ces nouveaux minerais, maro-cains d'abord puis gabonais, sud afri-cains australien, brésiliens…52 La com-position des laitiers est affectée par lesteneurs en matières scorifiables53, trèsdifférentes d'un minerai à l'autre. Larecherche d'une composition de laitier àtrès basse teneur en oxyde de manga-nèse (moins de 5%) devient illusoire:elle est abandonnée, sans bien sûr quel'optimisation du rendement en manga-nèse, objectif majeur pour l'économiedu procédé, ne soit abandonné (la com-position du laitier est réglée pour obte-nir une valeur de 0.6 du rapport Silice/Chaux+Magnésie).

1960Création dusite de BoulogneDevant l'impossibilité matérielle d'aug-menter la production du site d'Outreau,l'exploitant décide la création d'un nou-veau site au port de Boulogne sur mersur un terre-plein gagné sur la mer.Trois hauts fourneaux y seront mis àfeu en 1961, 1964 et 1972.

Les critères retenus pour le dernierappareil reconstruit à Outreau sont res-pectés : augmentation prudente54 dudiamètre du creuset (de 3.6 mètres à 4mètres puis 4.50) et du nombre detuyères, volume utile important, inten-sité de combustion du coke soutenue. les creusets qui gonflent et éclatent. Lesalcalins dont certains minerais de manganèsesont relativement riches (Brésiliens Urucum,Amapa et Carajas, Australien Groote Eylandt,Gabonais Moanda, Marocain Imini…) peuventse condenser dans la cuve du haut four-neau, redescendre avec les charges sur les-quelles ils se sont condensés et se trouverengagés dans un recyclage qui provoqueaccumulation, engorgement et blocage duhaut fourneau.52. Les minerais de manganèse sont soumissur le carreau des mines, à des traitements(concassage, criblage, lavage, ébourbage,agglomération dans le cas des minerais pul-vérulents marocains…) qui les transformenten produits marchands.53. Notamment leur teneurs en silice etalumine dont le rapport varie de 10 pour lesuns, à ½ pour les autres.54. Lors de la construction du deuxième hautfourneau du site de Boulogne, la questions'est posée de savoir s'il convenait de repro-duire le premier haut fourneau du site (4mètres de diamètre au creuset) ou au con-traire de revenir aux dimensions du dernierappareil construit à Outreau (3,60 mètres dediamètre au creuset).

Boulogne 1971

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Les appareils cowpers sont progressi-vement modifiés pour porter la tempé-rature du vent à 1250 et 1300°C. Avecl'augmentation du volume du haut four-neau, la répartition radiale d'un lit defusion composé de minerais de manga-nèse et de fondants de compositionschimiques très différentes devient unproblème : le dernier haut fourneauconstruit à Boulogne au début des an-nées 1970 est doté d'une installationd'homogénéisation (en fait de mélange)des minerais et fondants calibrés avantchargement. Le mélange intime de tousles constituants de la charge assure entous points du rayon du haut fourneau,la même composition du lit de fusion.Une agglomération complète de lacharge n'est pas recherchée ; les pre-mières expériences de consommationde minerai marocain aggloméré avaientconfirmé la théorie : il n'y avait pasd'économies à rechercher dans cettevoie.

Le développement du site de Boulognerépond à la très forte demande de lasidérurgie mondiale dont la productiondouble de 350 à 700 millions de tonnesd'acier par an entre 1960 et 1975; lesprévisionnistes annoncent un milliard detonnes avant la fin du siècle. Quelquessidérurgistes auto producteurs de fer-romanganèse abandonnent cette pro-duction pour celle de la fonte et deman-dent au marché de les approvisionner.L'extension du site Boulogne est déci-dée avec deux hauts fourneaux supplé-mentaires dont un seul sera finalementconstruit et mis à feu en 1972.Le site d' Outreau continue à produiredu ferromanganèse. A partir de 1962, lafabrication au haut fourneau de silico-manganèse y est mise au point ; ceferroalliage est alors produit par cam-pagnes de quelques mois, en alte r-nance avec le ferromanganèse stan-dard. La nouvelle fabrication n'est pos-sible que grâce à l'enrichissement duvent en oxygène. La production d'oxy-gène d'Outreau se révèle rapidementinsuffisante ; une nouvelle centrale estconstruite et reliée au site de Boulogneau début des années 1970.

Autres sites, autres prati-ques : les hauts fourneauxconcurrentsEn 1969 les deux premiers hauts four-neaux du site de Boulogne (4 mètres dediamètre au creuset) accusent une pro-

duction journalière de 275 tonnes, uneconsommation de coke de 1182 kilospar tonne et un rendement en manga-nèse de 88%. Cette année là, se tie n-nent à Paris les "Journées du Manga-nèse", colloque technique portant sur lafabrication du ferromanganèse au hautfourneau ou au four électrique. Exceptédeux producteurs anglais au haut four-neau, la plupart des spécialistes pré-sents restent discrets sur leurs résultatsde marche. L' Institut de Recherches dela Sidérurgie française ( IRSID) proposepourtant une étude statistique portantsur quelques résultats de marche pu-bliés de hauts fourneaux de 5 à 7 mè-tres de diamètre au creuset : les pro-ductions journalières s'étagent de 228 à545 tonnes, les consommations de cokede 1385 à 2220 kilos par tonne pourdes températures de vent comprisesentre 900 et 1050°. L'examen de cesquelques données brutes incitent Boulo-gne à la prudence lorsqu'il faut déciderdu diamètre au creuset du prochainhaut fourneau ; l'augmentation, d'abordtestée à l'occasion de reconstructionspartielles des hauts fourneaux existantssera limitée à 50 centimètres.En 1973, les trois hauts fourneaux deBoulogne ont 4.5 mètres de diamètreau creuset et produisent 375000 ton-nes de ferromanganèse. La consomma-tion de coke est de 1155 kilos par tonneet le rendement en manganèse est de89% environ.La réticence de Boulogne à agrandir seshauts fourneaux conduit à les multiplier; en même temps, les investissementspar tonne de capacité de productioninstallée demeurent élevés. Le procédéatteint alors une de ses limites : la diffi-culté de réaliser des économiesd'échelle.

Un procédé concurrent :le four électriqueEn 1925, Aimé Coutagne écrivait que lafabrication électrothermique du ferro-manganèse, inventée dès 1890, nes'était développée industriellement quependant et depuis le premier conflitmondial, en France et en Suède, "à lafaveur du prix élevé du coke et de l'ac-croissement des forces hydrauliquesdisponibles". Economiquement, la ré-duction du manganèse au four électri-que est encore difficile à l'époque. En1940, l'étude d'Outreau sur la fabrica-tion du ferromanganèse au haut four-neau consacre un bref chapitre au pro-

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cédé concurrent ; elle conclut que leseul avantage du four électrique est unplus faible coût d'investissement. Apartir de 1950, la demande de ferro-manganèse de la sidérurgie mondialeaugmentant régulièrement, la concur-rence du four électrique se développe.Le nombre et la puissance des foursaugmentent55.

Dès 1967, on compare à Boulogne lesprix de revient du ferromanganèse pro-duit par l'un et l'autre des deux procé-dés. La comparaison porte :° sur le poste énergie qui se ventiledans une des premières études56,

- au haut fourneau57, en coke(95%) et énergie éle ctrique (5%)

- au four électrique58, en éner-gie électrique (47%), coke(31%) et pâte de rechargementpour les électrodes consomma-bles (22%).

L'avantage est de 12% pour le fourélectrique ; cet avantage peut monterà 25% pour quelques producteurs bé-néficiant d'une alimentation privée enénergie électrique. Après les deux chocspétroliers, les prix des différentes for-mes d'énergie sont tous en hausse maisle bilan de la comparaison reste lemême.° Sur le rendement en manganèse.Le procédé de fabrication du ferroman-ganèse au four électrique se présentesous deux versions, différentes par lacomposition du laitier produit. La ve r-sion la plus pratiquée est celle d'unemarche en laitier pauvre en chaux59 etmagnésie et riche en oxyde du manga-nèse qui procure une marche plus faciledu four mais en même temps un ren- 55. Un constructeur allemand installe - 20fours de production de ferroalliages (d'unepuissance de 2 à 16.5 MVA) de 1951 à 1959en Allemagne, Suède, Espagne, Afrique dusud et USA, - 29 fours (1.6 à 48 MVA) de1960 à 1969 dans les pays précédents et enNorvège, Canada, Mexique, Yougoslavie,Nouvelle Calédonie, - 16 fours (6.5 à 60MVA) de 1970 à 1976, Tchécoslovaquie etPortugal s'ajoutant aux pays précédents.En 1972, le constructeur norvégien Elkemannonce 300 fours installés dans le mondepour une puissance totale de 6600 MVA56. Comparaison Boulogne/ Australie en197057. 1230 kilos de coke et 200 Kwk par tonnede ferromanganèse58. 2800 Kwh, 312 kilos de coke et 17 kilosde pâte d'électrode par tonne de ferroman-ganèse59. Cela empêche la consommation au fourélectrique de certains minerais de manga-nèse carbonatés.

dement en manganèse médiocre, envi-ron 80%. Le recyclage du laitier richeen fabrication de silicomanganèse per-met de récupérer une grande partie dumanganèse scorifié mais implique unrapport des productions des deux fe r-roalliages qui ne reflète pas forcémentla demande des sidérurgistes60.° Sur la productivité . La comparaisondes frais de fabrication place à égalitéhaut fourneau et four électrique à causede la production journalière plus im-portante du premier. On compte 2 à 3heures travaillées par tonne de ferro-manganèse au four électrique ou auhaut fourneau.° Sur l'investissement. La compara i-son est très favorable au four électrique(rapport ½); mais l'avantage disparaîtquand il faut construire un four pourfabriquer du silicomanganèse.° Sur la situation de l'usine produc-trice. La comparaison, qui n'est possiblequ'au cas par cas, est essentielle pourapprécier "en situation"l'économie del'un ou l'autre des procédés. L'implan-tation de l'usine conditionne les coûtsd'investissement (multipliés par troislorsque cette implantation est faite dansdes lieux écartés ou difficiles) les coûtsdes approvisionnements importés, letransport du produit fini…° Sur l'apprentissage du procédé,plus facile au four électrique développéedans la deuxième moitié du XXèmesiècle dans le cadre d'une économie trèsindustrialisée: les constructeurs de fouren donne le mode d'emploi.Au final, la comparaison des prix derevient des deux procédés confirmeBoulogne dans sa position face à la con-currence.

Avec le temps, le four électrique, plusfacile à installer, l'emporte sur le hautfourneau ; il est aussi responsable de lasurcapacité mondiale qui s'installe du-rablement après 1980.

60. Retrouver un rendement en manganèseglobal de 97% suppose la production de troiscent kilos à une tonne de silicomanganèsepar tonne de ferromanganèse suivant lesminerais utilisés (étude Tasmanian 1967,dans le cas du minerai australien; étudeSogaferro 1976, dans le cas du Moanda). Ilfaut de plus que la demande du marché soitdans le rapport des productions des deuxferroalliages, ce qui n'est pas le cas: en1970, les sidérurgistes consomme plutôt de100 kilos de silicomanganèse pour une tonnede ferromanganèse. On notera toutefois quece rapport évolue en même temps que lesprogrès techniques de la sidérurgie..

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En 1987, le haut fourneau ne repré-sente plus que 23% des 3,750 millionsde tonnes de capacité de production(alliages de manganèse) du mondeoccidental ; Boulogne crédité de420000 tonnes par an y participe pourplus de 10%61. L'Allemagne, la Grande-Bretagne…cessent ensuite de produiredu ferromanganèse au haut fourneau.En 2003, alors que les deux procédéscoexistent encore en Chine et peut êtredans certains pays de l'ex-COMECON,Boulogne annonce encore une capacitéde production annuelle de 300000 ton-nes par an62.

Fermeturedu site d'Outreau.Boulogne de 1978 à 1991En 1978, après les deux chocs pétrolierset l'installation durable en récession dela sidérurgie mondiale, la Société desAciéries de Paris et d'Outreau qui con-trôle Outreau et Boulogne depuis 1906,est incapable d'assurer les frais finan-ciers engendrés par la construction dudernier haut fourneau et fait faillite. Lesite d'Outreau est définitivement arrêté; le site de Boulogne passe sous le con-trôle de la société minière Comilog quidevient à cette occasion mineur-producteur.

Le statut du producteur de ferromanga-nèse diffère suivant qu'il s'agisse, d'unproducteur indépendant qui traite duminerai acheté à des compagnies mi-nières et vend son produit à des socié-tés sidérurgiques (Outreau et Boulo-gne), d'un mineur-producteur qui traiteson minerai (Boulogne après 1978), oud'un sidérurgiste-producteur (Pompeyou Le Boucau) qui achète le minerai demanganèse et consomme dans sesaciéries (et vend) son produit. 61. Les autres producteurs de ferromanga-nèse au haut fourneau du monde occidentalsont alors l'Allemagne de l'Ouest avec180000 tonnes, la Grande-Bretagne avec130000 tonnes et le Japon avec 90000 ton-nes. Les producteurs au four électrique sontimplantés, en Amérique du nord: Canada etEtats-Unis, en Amérique Centrale et enAmérique du sud: Mexique, Brésil, Argentine,Chili, Venezuela, en Europe: Belgique, Alle-magne de l'Ouest, Angleterre, France, Italie,Norvège, Espagne et Portugal, en Asie: Inde,Japon, Corée du sud et Taiwan, en Afrique:Afrique du sud, et en Océanie: Australie.IMI198762. www.eramet.fr

En mauvaise conjoncture, le producteurindépendant est pris en ciseau entre lessociétés minières qui défendent le prixde leur minerai et les consommateurssidérurgistes à la recherche des prix deferromanganèse les plus bas ; c'est lasituation que connaissent Outreau etBoulogne à partir de 1975.En ce qui concerne l'approvisionnementen minerais, le rapport entre sociétéexploitante et procédé varie selon lestatut du producteur. Un producteurindépendant cherche à acheter dans lesmeilleures conditions les minerais demanganèse qui lui donneront lesmeilleurs résultats de marche ; le mi-neur-producteur privilégie la consom-mation de son minerai dont le prix decession à sa section transformationdevient un prix d'ordre ; le producteur-consommateur approvisionne les mine-rais qui lui permettront l'usage optimaldes moyens techniques dont il dispose.A Boulogne, le rapport entre sociétéexploitante et procédé change d'autantplus que la prise de contrôle par lanouvelle société exploitante s'accompa-gne d'une réduction d'effectif. Nousavons vu que le savoir-faire du procédéy était partagé entre encadrement,maîtrise et ouvriers.Une redéfinition des effectifs entraînedonc une certaine perte de savoir-faire,à tout le moins une redistribution ; elletouche en effet le personnel d'encadre-ment et des services et préserve maî-trise haut-fourneau et fondeurs dont laprésence est considérée comme primor-diale pour la poursuite de l'activité et latransmission du savoir-faire. L'entre-prise connaît alors une période d'insta-bilité classique dans les cas analogues.A cette réduction d'effectif et à l'arrêtdéfinitif du site d'Outreau, correspon-dent de réels désinvestissements : lastation d'homogénéisation des mineraisdu troisième haut fourneau de Boulogneet la centrale de production d'oxygèneindustriel reliée aux deux sites, sontdéfinitivement arrêtées.

Dans ses premières années d'existence,la nouvelle société exploitante conservela pratique du procédé dans son étatprécédent, notamment le chargementau haut fourneau d'un lit de fusioncomposite; l'approvisionnement en mi-nerais de manganèse étrangers63 estrégularisé. Les résultats de marche, 63. Ces minerais d'Afrique du sud intervien-nent pour 40% du lit de fusion des hautsfourneaux

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consommation de coke et rendement enmanganèse, s'améliorent.Les caractéristiques des hauts four-neaux restent inchangées et la recher-che de plus hautes températures duvent est poursuivie. A partir de 1983,des torches à plasma64 sont installéessur le circuit de vent chaud d'un desappareils ; elles permettent d'élever latempérature du vent jusqu'à 1800°C65.La fabrication de silicomanganèse àBoulogne redevient possible.Mais la conjoncture est de plus en plusdifficile ; la production de la sidérurgiestagne. De plus, le développement desaciéries à l'oxygène entraîne une dimi-nution de la consommation de manga-nèse. Le prix des minerais de manga-nèse est en baisse continue (30% enmonnaie constante en cinq ans). En1983, la société Comilog souhaite queles hauts fourneaux de Boulogne con-somment exclusivement le minerai desa mine de Moanda. A Boulogne qui atoujours traité un lit de fusion composéde plusieurs minerais, la pratique duprocédé est sensiblement modifiée. Lescaractéristiques chimiques et physiquesde l'unique minerai chargé affectentdirectement le fonctionnement du hautfourneau ; la consommation d'un lit defusion composite permettait en quelquesorte de corriger les minerais, l'un parl'autre. La nouvelle pratique est pro-gressivement mise au point donnantdes résultats de marche satisfaisants ence qui concerne la consommation decoke, en baisse assez sensible pour lerendement en manganèse.Quatre ans plus tard, la marche esttoujours jugée améliorable: la teneur enalcalins, et corrélées avec cette pré-sence d'alcalins, l'humidité et la granu-lométrie sont mises en cause mais lasolution technique n'est pas encoretrouvée66. 64. La torche à plasma transforme directe-ment l'énergie électrique en énergie calorifi-que transmise au vent déjà porté par lescowpers à 1250°-1300°. La températuremaximum qu'il est possible d'atteindre estainsi de 1800° température limite fixée parles propriétés réfractaires des matériaux quigarnissent les éléments de canalisation.65. L'étude préalable de l'effet sur la mise aumille de coke par tonne de ferromanganèseprévoyait pour une référence de 1126 kilosde coke par tonne de ferromanganèse avecun vent à 1200°C, 125 kilos de coke gagnéspour 1400°, 216 kilos pour 1600 et 285 kilospour 1800°.66. Un essai des années 1970 rendait pru-dent: un des hauts fourneaux de Boulogneavait consommé une charge composée ex-clusivement de minerai brésilien d'Amapa

Autre modification importante du procé-dé, la production simultanée de ferro-manganèse et d'un laitier riche en man-ganèse est étudiée en 1984, et réussiel'année suivante : jusqu'alors la prati-que du procédé à Boulogne conduisait àun laitier "épuisé" contenant 10% demanganèse environ. Ce laitier riche estvendu à des producteurs de silicoman-ganèse au four électrique ; l'absence dephosphore en fait un composant decharge apprécié67. Les résultats de mar-che sont satisfaisants: la consommationde coke marche une légère baisse et lateneur en manganèse du laitier est del'ordre de 31%.

Une autre modification est recherchée,sans succès cette fois.On a vu plus haut l'importance accordéeau suivi, coulée après coulée, de la te-neur en siliciumdu ferromanganèse comme indicateurde l'état thermique du haut fourneau68.Dans les années 1970, l'analyse spec-trographique, plus rapide que la mé-thode classique, permet de gagner enrapidité mais la préparation de l'échan-tillon demande toujours autant de soin.La mesure au thermocouple de la tem-pérature de chaque coulée a amélioré lesuivi de l'état thermique du haut four-neau. Elle a permis une baisse de lateneur en silicium (sans toutefois rem-placer le contrôle de celle-ci) des en-virons de 1% qui était la règle en 1950à 0,5%. La baisse est apprécié par lesidérurgiste consommateur qui, habituéaux teneurs très basses (0,1-0,2%) duferromanganèse produit au four électri-que, voudrait encore mieux. Un essaiprolongé en 1987 de marche en laitiertrès calcaire donne effectivement cestrès basses teneurs mais aboutit enquelques semaines à un déréglagecomplet de l'appareil : la consommationde coke augmente et le rendement en aggloméré sous forme de pellets. Le mineraid'Amapa est un des minerais de manganèseles plus riches en alcalins; sa pelletisationabaissait la température du gaz au gueulardau point d'empêcher l'évacuation des alca-lins. Ceux-ci s'étaient accumulés dans lehaut fourneau qui s'est bloqué au bout d'unmois.67. Rappelons que la pratique habituelle (laplus économe en énergie) du four électriquefabriquant du ferromanganèse donne unlaitier riche en manganèse qui est recyclé enproduction de silicomanganèse.68. Voir page 9.

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manganèse s'effondre. Le procédémontrait-il alors une de ses limites69?

En fait cette dernière expérience (ouplutôt sa prolongation au-delà des quel-ques jours après lesquels il était possi-ble de revenir à un fonctionnement ha-bituel sans dégradation des résultats demarche), était le signe d'un appauvris-sement du savoir-faire collectif dans leréglage du procédé qui faisait toujourslargement appel à l'empirisme malgréles perfectionnements acquis70. Dansune conjoncture économique dégradéedepuis 1981, ces perfectionnementsn'avaient pas apporté à Boulogned'avantages économiques décisifs etl'entreprise avait été contrainte pourréduire ses coûts à diminuer ses effec-tifs et à externaliser toutes les fonctionsqui pouvaient l'être. Dans ces condi-tions, le savoir-faire collectif, de moinsen moins partagé, s'émousse et perd envigilance.

En 1986 Pompey arrête définitivementson activité sidérurgique et en mêmetemps sa fabrication de ferromanganèseau haut fourneau. A la même époque,au Japon, une grande firme sidérurgi-que produisant jusqu'alors du ferro-manganèse au four électrique met aupoint un nouveau procédé de fabrica-tion dans un petit haut fourneau de 14mètres de hauteur pour réduire sa con-sommation d'énergie électrique. Dansles deux cas, les diamètres au creuset(5 et 5.40 mètres) sont légèrement 69. Au moins dans les conditions où il estalors mis en pratique à Boulogne. L'étudedes paramètres de marche du haut fourneauau cours de cet essai a montré qu'unehausse de la teneur moyenne en silicium dumétal améliorait beaucoup plus le rende-ment en manganèse qu'une augmentation dela basicité du laitier. On touche dans ce casun des mécanismes de fonctionnement duprocédé: on a montré qu'au haut fourneauen ferromanganèse, la réduction du siliciumcommandait en quelque sorte celle du man-ganèse : dans la zone d'élaboration du fer-romanganèse, la teneur en silicium du métaldécroît jusqu'à la teneur finale constatée à lacoulée (Heynert et al., ).70. Les observations faites au cours de cettemarche confirment le rôle primordial de lazone du haut fourneau où s'effectue la ré-duction du manganèse. A un niveau de tem-pérature de l'ordre de 1500°, les expéri-mentations qui permettraient de vérifier lesphénomènes très complexes qui y intervien-nent et une modélisation informatique, nesont pas possibles. Ceci explique que la con-duite du procédé relève de l'empirisme(Truffaut, 1992)

supérieurs à ceux des hauts fourneauxde Boulogne ; grâce à l'enrichissementdu vent en oxygène (disponible sur dessites sidérurgiques qui ne fonctionnentpas à pleine capacité), les résultats demarche soutiennent la comparaisonavec ceux obtenus à Boulogne dont ilsconfirment en même temps l'économiede la pratique.

1991-1996Un procédé en sursisEn 1987, Boulogne reste seul produc-teur français de ferromanganèse auhaut fourneau71. L'usine réduit ses ef-fectifs de 130 salariés en deux ans.Pendant neuf ans le procédé originalcontinue à être appliqué, les trois hautsfourneaux présents fonctionnant suivantles besoins du marché. Ils consommentexclusivement du minerai de moanda(marche toujours qualifiée de délicate) :un essai de consommation de mineraiaggloméré ne donne pas de résultatsprobants et la technique est définitive-ment écartée en 1988. Une partie ducoke consommé est importé de Chine,d'Egypte…Le réglage de la marche à très hautetempérature de vent (torches à plasma)se poursuit ; on songe même à la gé-néraliser aux deux autres hauts four-neaux … Mais, après un arrêt de quel-ques mois pour gros entretien, le hautfourneau équipé redémarre fin 1992sans torches à plasma : la technique aété abandonnée et il n'en sera plusquestion par la suite72.De 1988 à 1990 les résultats de l'entre-prise sont positifs ; en 1990, Boulogneproduit 401000 tonnes de ferromanga-nèse (cette année là, la productionmondiale est de 3 millions de tonnes).Cette production record signifie que lesrésultats de marche (consommation decoke et rendement en manganèse) qui 71. La période est marquée par une querelled'actionnaires (peut être motivée par le prixde cession du minerai de manganèse par lamine à l'usine) qui se traduit par un dépôt debilan en 1994. L'événement, étranger à notrepropos, n'interrompt pas le fonctionnementde l'usine de Boulogne qui continue à fonc-tionner normalement.Rappelons aussi que c'est à partir de 1987que nos sources changent de nature.72. La vente à EDF de l'énergie électriquesous-produite par l'usine aurait alors étépréférée à sa consommation par les torchesplasma et à l'économie de coke qu'elle pro-curait.

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ne sont pas publiés, se sont maintenusau meilleur niveau.La société est très perturbée par l'an-nonce de l'implantation d'un four éle c-trique destiné à la production annuellede 100000 tonnes de ferromanganèse àSollac-Dunkerque.

Très vite au cours de ces neuf ans, l'im-plantation des hauts fourneaux est re-mise en cause par des aménageursétrangers sollicités sur le problème del'avenir portuaire de Boulogne, de façontrès médiatique quelquefois73: la co-existence est-elle possible entre desactivités halieutiques, touristiques etmétallurgiques? Sinon des installationsde protection de l'environnement, lasociété exploitante n'investit plus àBoulogne; elle prend des participationsdans des usines produisant du silico-manganèse 74 au four électrique, enItalie (1988), et en France (1992). De-puis 1990, la conjoncture est mauvaise: les prix sont au plus bas.Boulogne qui songe à se diversifier,monte un projet de transformationd'une partie de sa production en unevariété de ferromanganèse à moyenneteneur en carbone ; soumis à enquêtepublique, le projet n'obtient fin 1995 unavis officiel favorable mais réservé.Boulogne emploie alors 445 salariés.Son directeur de fabrication qui connaîtle procédé depuis quarante ans part enretraite. Les ingénieurs qui y travaillentalors n'ont découvert le procédé quedepuis moins de dix ans. La transmis-sion du savoir-faire devient aléatoire :le procédé est en sursis.

1996-2003« Nouveau » procédé :la perte du savoir-faireEn 1997 le groupe Eramet75 prend lecontrôle de Comilog et donc de l'usine 73. Le rapport d'un cabinet parisien parle del'usine de Boulogne comme une "verrue"dans le paysage! Ces cabinets sont verte-ment contestés.74. La consommation mondiale de silicoman-ganèse augmente au dépens de celle deferromanganèse.75. A l'origine du groupe ERAMET, la SociétéMétallurgique Le Nickel –SLN exploite desmines de nickel en Nouvelle Calédonie de-puis 1880, des fonderies de nickel (en 1990,le minerai est traité dans des fours électri-ques de 33MVA), et une usine de raffinageélectrolytique de nickel en France. En 1990-1991, ERAMET crée ERASTEEL en rachetant

de Boulogne; il devient au cours desannées suivantes leader mondial desalliages de manganèse après avoir ra-cheté les usines chinoises de Guangxi etShaoxing (1995), la société norvégienneElkem (1999) et l'usine chinoise de Gui-lin (2002): Boulogne est alors un deshuit sites de production d'alliages demanganèse que le groupe exploite dansle monde 76…La situation de Boulogne change unefois de plus ; producteur indépendantjusqu'en 1979, puis contrôlé par unesociété minière (du secteur manga-nèse), le site l'est maintenant par ungroupe international à la fois minier,transformateur et utilisateur dans lessecteurs nickel et manganèse ; la per-ception de l'originalité technique duprocédé industriel mis en œuvre à Bou-logne échappe un peu plus à l'instancequi la dirige.Le projet de fabrication de ferromanga-nèse à teneur moyenne en carbone estabandonné dès 1997; la constructiond'une usine d'agglomération au Gabonet le doublement de capacité d'un deshauts fourneaux de Boulogne sont mis àl'étude. Mais la mauvaise conjoncturese prolonge: le prix du ferromanga-nèse77 baisse de 15% en 1996, stagneen 1997 et 1998 et chute de nouveaude 16% en 1999, obligeant Eramet àréexaminer la compétitivité du site deBoulogne78. Pour réduire les coûts defabrication, assurer la pérennité de des entreprises spécialisées dans la produc-tion d'aciers rapides en France et en Suède.En 1995, le groupe devient l'actionnaireprincipal de COMILOG et actionnaire majori-taire deux ans plus tard. En 1997, la crise enNouvelle Calédonie l'amène à céder unepartie des mines de nickel qu'il y exploite;ERAMET fusionne avec le producteur françaisd'aciers spéciaux AUBERT & DUVAL en 1999.(Paulo de Sa, Le Nickel, Paris, Economica,1990 et http://www.eramet.fr, 17 avril 2004)76. Les usines italiennes précédemmentcontrôlées par SFPO reprennent leur indé-pendance à l'occasion de la prise de contrôled' ERAMET .77. Vincent Trélut, Manganese MarketTrends, Ryan's Notes Conference, October27-29, 200278. En avril 1999, La revue spécialisée MetalBulletin Monthly évalue la compétitivité dessites de production de ferroalliages sur labase de quatre "avantages": approvisionne-ment en minerai de manganèse, disponibilitéen électricité, approvisionnement en coke,coût de la main d'œuvre. Chaque fois le sitede Boulogne est le plus mal placé (mais leclassement de MBM ignore l'avantage com-mercial que représente sa situation por-tuaire).

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l'entreprise et maintenir la capacité deproduction, les travaux permettant ledoublement de la production du hautfourneau 7 sont décidés, en mêmetemps qu'une réduction des effectifs etl'arrêt définitif du haut fourneau 6. Aterme, Boulogne79 fabriquera 350000tonnes de ferromanganèse avec deuxhauts fourneaux et 335 salariés.Les hauts fourneaux seront alimentésen minerai de manganèse de moandaaggloméré au Gabon avec des finesd'anthracite et de la chaux, dans uneinstallation dont la construction débutedès 1999. Les propriétés phys ico-chimiques de l'aggloméré seront amé-liorées par rapport au minerai brut : ilsera notamment plus riche (59% demanganèse), plus fusible, et réputémoins poussiéreux.Les travaux de transformation du hautfourneau 7 commencent en juin200080. Le haut de la cuve est conservé,tandis que creuset et étalages sont dé-posés et remplacés par des élémentspréfabriqués de huit mètres cinquantede diamètre. Le dispositif de charge-ment est remplacé par un système sanscloche qui permet le réglage de la ré-partition du minerai et du coke. L'épu-ration du gaz de haut fourneau estremplacée par une épuration sèche quiévite les rejets en mer d'effluents pol-lués. Complétant une première installa-tion mise en place en 1997, un nouveausystème de coulée du ferromanganèsepermet le captage de la totalité desfumées produites lors de la coulée81.L'ensemble de l'opération est présentécomme une redéfinition du site de Bou-logne. Le "changement du process defabrication" est revendiqué parmi lesobjectifs de cette redéfinition. La con-sommation exclusive de minerai demoanda aggloméré relève à l'évidencede ce changement ; par contre l'agran-dissement du haut fourneau 7 a sansdoute été perçue comme une opérationvisant l'économie d'échelle autant qu'un 79. SFPO devient Comilog France en octobre1999.80. Ces travaux sont retardés par la menaced'une application d'une "écotaxe" frappant latonne de coke consommée et qui aurait si-gnifié l'arrêt définitif de Boulogne.81. Nouvelle technique d'épuration des gazde haut fourneau, nouveau dispositif decoulée, dispositif de captage des fumées sontdes améliorations importantes. Ce ne sontpas des modifications qui affectent le fonc-tionnement du procédé, c'est-à-dire du hautfourneau

Comilog 2000 p et 2001 q [coupures de presse]

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changement de process82, l'objectifétant de produire avec deux hauts four-neaux ce qui l'était auparavant avectrois.

En fait, c'est à une transformation com-plète du procédé que conduisent lesdispositions prises pour doubler la capa-cité du haut fourneau 7:

- Agrandissement du creuset,modification du profil du hautfourneau et augmentation dunombre de tuyères.

- Consommation exclusive de mi-nerai de Moanda aggloméré.

- Mise en place d'un dispositifautomatique de chargement.

Les résultats de marche attendus sontune production journalière de 700 ton-nes de ferromanganèse et une baisse dela consommation de coke83 (mise aumille).

Ces modifications radicales justifientl'expression de "nouveau procédé".La première de ces modifications estl'évolution du profil résultant de l'aug-mentation du diamètre du creuset àcapacité égale. Les hauts fourneaux deBoulogne ont été construits sur le mo-dèle étudié et expérimenté à Outreau(1959). Leurs dimensions ont été pru-demment revues, le diamètre au creu-set passant successivement à 4 mètrespour en rester à 4,50 mètres après1972 tandis que le profil interne étaitconservé et la hauteur légèrementaugmentée. Le haut fourneau 7 agrandien 2000 a un diamètre au creuset del'ordre de 7 mètres et un profil modifiése rapprochant de celui des hauts four-neaux en allure de fonte d'affinage ; sahauteur est inchangée. Il est équipé dequinze à seize tuyères (la pratiqueconstamment appliquée à Outreau et deBoulogne voulait qu'on limite le nombre 82. Quand Eramet prend la direction deBoulogne, vingt-cinq ans se sont passésdepuis la mise à feu du haut fourneau 7 etl'abandon, deux ans plus tard, du projet d'unquatrième haut fourneau qui justifiait unepartie des lourds investissements consentispour la construction du dernier (De même,en 1966, la construction du haut fourneau 6avait bénéficié d'une partie des investisse-ments déjà réalisés à l'occasion de celle duhaut fourneau 5). Visitant le site en 1997, unobservateur ne pouvait manquer d'être frap-pé par l'importance des investissementsconsentis pour la construction d'un hautfourneau isolé.83. Les sources ne fournissent pas d'indica-tions chiffrées sur la baisse attendue ; envaleur relative, elles évoquent une réductionde la mise au mille de coke de 10 à 20%.

de tuyères considérées comme autantde points de refroidissement du creu-set).La consommation exclusive de mineraide moanda aggloméré est la secondemodification. Jusqu'au début des années1970, les hauts fourneaux d'Outreau etde Boulogne avaient consommé pourpartie de leur charge des minerais demanganèse agglomérés sur chaîne ;aucune amélioration des résultats demarche n'avait été constatée à cetteoccasion. Nous avons évoqué le graveincident de marche causé par la con-sommation d'une charge d'essai compo-sée exclusivement de minerai brésilienpelletisé. Après 1979, aucune conclu-sion définitive n'avait été tirée des es-sais de consommation partielle de mi-nerai de moanda aggloméré à Boulo-gne84 . On observait notamment que labaisse de température du gaz au gueu-lard du haut fourneau (conséquence del'agglomération du minerai) freinait ouempêchait l'évacuation des alcalins quecontient le moanda ; ceux-ci s'accu-mulaient dans le haut fourneau dontles paramètres de marche se dégra-daient.Le chargement par gueulard sans clocheest la troisième modification importantedu procédé. Jusqu'alors les hauts four-neaux de Boulogne étaient équipés d'undispositif très simple dont la rusticitérestait compatible avec les fortes tem-pératures rencontrées lors de marchesdéréglées85. Le gueulard sans clochefonctionne grâce à une goulotte instal-lée dans le haut fourneau, réglable enposition, et qui ne doit pas être sou-mise à des températures trop élevées:ce dernier point avait jusqu'alors dis-suadé Boulogne d'essayer la techniquemalgré les avantages qu'elle pouvaitprocurer.

84. Rappelons que le réglage d'une marche dehaut fourneau demande plusieurs mois etrequiert la disponibilité de plusieurs dizainesde milliers de tonne du minerai à essayer: untonnage inenvisageable dans le cadre d'unessai. La décision prise en 1997 conduisaitdonc à un changement important du procé-dé. Le bon réglage semble avoir été obtenuau haut fourneau 5, non transformé, avecdes résultats de marche "satisfaisants".85. Ce dispositif comprenait une benne rondedestinée à recevoir le coke, les minerais etles fondants qui était mise en rotation lors deson remplissage. Le contenu de la benneétait déversé par gravité dans la trémie dechargement située au gueulard du haut four-neau ; un simple cône de fermeture isolait latrémie du haut fourneau.

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Le fonctionnementdu haut fourneau agrandiLe haut fourneau 7 agrandi est mis àfeu en février 2001; son allure est pro-gressivement augmentée. Il se bloqueau mois d'août. Pour l'année la produc-tion de Boulogne atteint 204000 tonnes,le haut fourneau 7 y contribuant pourquelques 90000 tonnes soit 45% de sacapacité; En fin d'année il atteint 70%de son allure nominale avec 500 ton-nes/jour.En 2002 le haut fourneau subit deuxincidents majeurs: "le 16 mars, suite àune double percée de tuyères, une ex-plosion a lieu dans l'épuration consécu-tivement à l'arrêt". Deux mois sont né-cessaires pour réparer et mettre enplace de nouveaux systèmes de sécuritéavant de pouvoir le remettre à feu. Le16 juin, suite à une importante percéede tuyères, du coke incandescent estprojeté hors de l'appareil. Suite à cedeuxième incident, l'exploitation estbloquée par les autorités en attente del'identification et d'une résolution com-plète des problèmes. Après de nom-breuses études et modifications, le re-démarrage a lieu en septembre"86.Pendant ces arrêts prolongés du hautfourneau 7 agrandi, le haut fourneau 5seul en marche fonctionne de manièresatisfaisante. La production annuelleatteint 202000 tonnes en 2002.

En septembre de l'année suivante, l'ex-ploitant décide de cesser ses activités àBoulogne en évoquant la conjoncture, lemanque de compétitivité de l'usine,malgré "des améliorations réelles aprèsl'agrandissement du haut fourneau 7mais en deçà des objectifs et de toutesfaçons insuffisantes". Les problèmestechniques du haut fourneau 7 sontchroniques et il n'a jamais produit les700 tonnes/jour prévues. Après un ul-time incident en novembre, l'usine deBoulogne est définitivement arrêtée.

Faute de renseigner sur les paramètresde marche du haut fourneau, les sour-ces disponibles ne permettent pasd'identifier les causes techniques del'échec du "nouveau procédé". Les ex-ploitants ont rapidement identifié lespercées de tuyères comme le signe du 86. J.-L. Reboul, "Incidents HF7 2002: Des-cription, causes et gestion des redémarragessous contrôle de la DRIRE", AssociationTechnique de la Sidérurgie, Mini-Congrès (LaSécurité), le 27 mai 2003, Saint-GobainPont-à-Mousson, juin 2003.

Comilog 2001 p et 2003 q [coupures de presse]

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mauvais fonctionnement du haut four-neau. A quoi étaient dues ces percées?L'explication par la qualité du mineraiaggloméré semblant devoir être aban-donnée, à tout le moins considéréecomme secondaire, les percées detuyères traduisaient vraisemblablementun déficit thermique au niveau du creu-set agrandi qui s'engorgeait localement.Parmi les dispositions prises pour dou-bler la capacité du haut fourneau, ilsemble donc que l'agrandissement ducreuset et la modification du profilsoient la cause première de l'échec dunouveau procédé. Cette hypothèse estconfortée par le fonctionnement du hautfourneau 5 resté dans sa définition an-cienne et consommant sans doute lemême minerai qualifié de satisfaisant.

Avant de conclure définitivement surcette hypothèse, il reste à aborder unequestion sur laquelle nos sources sontdécidément muettes. Doubler la pro-duction du haut fourneau, c'est, à éga-lité de mise au mille, doubler sa con-sommation de coke. Or la description del'investissement consenti87 ne com-prend, ni modifications de la soufflerieet des appareils cowpers réchauffeursde vent, ni possibilités d'enrichissementen oxygène du vent. Dans ces condi-tions, comment brûler le tonnage decoke correspondant au projet de dou-blement à 700 tonnes de la productionjournalière du haut fourneau ? Calculéesur la base des meilleures performancesdu haut fourneau avant sa transforma-tion et corrigée d'une baisse (espérée)de mise au mille de 20%88, la consom-mation journalière de coke à prévoirétait encore de 700 tonnes ; prévisionque, poussés au maximum, les appa-reils cowpers existants ne permettaientpas d'atteindre. Sans répondre à laquestion, on se bornera à constater que 87. L'investissement annoncé est de trentemillions d'euros (200 millions de francs) soit1481 francs (2001) par tonne de capacitésupplémentaire. Dans les années 1970, lecoût de construction d'un quatrième hautfourneau à Boulogne produisant 350 tonnesjour avait été estimé à 186 millions de francs1978, soit 1377 francs (1978) par tonne decapacité!88. Une source (presse locale) affirme qu'enréduisant de moitié la quantité d'oxygèneliée au manganèse (MnO² passant à l'état deMnO), l'agglomération du minerai permet deréduire de moitié la mise au mille de coke!!!On imagine ce qu'un historien des techniquespeut retirer, dans quelques dizaines d'an-nées, d'une telle information.

le déficit thermique au niveau du creu-set s'en serait trouvé renforcé 89.

Obsolescence du procédé ouperte du savoir-faire? L'histoire française du procédé indus-triel très spécifique qu'est la fabricationau haut fourneau du ferromanganèses'inscrit dans la longue durée. Il appa-raît en France en 1875, se répand rapi-dement en France et à l'étranger, et sedéveloppe ensuite, surtout pendant les"Trente glorieuses" dans le secret d'uneentreprise qui devient le premier pro-ducteur mondial de ferromanganèse.Après 1979, sa mise en œuvre se faitdans des conditions plus ouvertes pardeux sociétés successives ; mais latransmission du savoir-faire est de plusen plus difficile et finalement s'inte r-rompt: après 2000, le procédé est per-du.Répondant à la demande du marchésidérurgique, le procédé est né et s'estdéveloppé dans des "communautésinnovantes"90: Sava en Autriche, Terre-noire, Saint-Louis, Outreau et Boulogne.D'une usine à l'autre, le savoir-faires'est transmis de façon tacite, sans ja-mais être codifié ni publié. Des démar-ches empiriques ont progressivementenrichi ce savoir-faire, recherchant pourle haut fourneau, l'allure propre à lais-ser au manganèse le temps de se ré-duire, l'équilibre thermique de la zoneoù s'élabore le ferromanganèse, lemeilleur profil, la plus grande capacitépar augmentations successives et me-surées du diamètre du creuset, à profilconstant et hauteur utile augmentéeLe procédé a connu une réussite exem-plaire. Implanté à Outreau, en 1906,dans une usine récemment modernisée,il connaît sa première phase de déve-loppement. La seconde commence avecles "Trente glorieuses", soutenue par unmarché constamment porteur : delourds investissements sont rentabilisésdans la foulée. Boulogne devient lepremier producteur mondial de ferro-manganèse : un rang que les entrepri-ses qui s'y succèdent, revendiquerontjusqu'en 2003. 89. Un haut fourneau de dimensions donnéesne supporte pas de modifications importan-tes de son allure nominale sans dégradationsdes paramètres de marche et surtout de lamise au mille de coke.90. Anne Françoise Garçon, "Comment retra-cer historiquement les chemins de la nova-tions", Les chemins de la nouveauté , op. cit.,p. 449

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Mais avec le dernier quart du XXèmesiècle, la sidérurgie mondiale connaîtune crise persistante. Le coke se raréfie; son prix augmente. Les sociétés mi-nières maintiennent le prix du mineraide manganèse, mais le font aux dépensde leurs clients captifs producteurs deferromanganèse. Pour diminuer leurscoûts de fabrication réduisent Boulogneréduit son personnel et tente sans suc-cès les solutions techniques que la si-dérurgie a développées depuis cin-quante ans dans le domaine des hautsfourneaux91, un"nouveau procédé" defabrication qui se révèle un échec. Lacompétitivité du site de Boulogne parta-gé entre deux procédés, dans est défi-nitivement compromise. Le procédé quia fait sa fortune en d'autres temps, estperdu.

Comment expliquer cette perte finale duprocédé?D'abord sans doute par l'atmosphère desecret dans laquelle il s'est développé.Pendant près de quatre-vingt ans,Saint-Louis, Outreau puis Boulogne, ontappliqué une politique de secret, justi-fiée dès l'origine par la concurrenceinternationale et après 1945 par le dé-veloppement d'un procédé concurrent,le four électrique. Cette pratique dusecret a empêché toute codification dusavoir-faire. Mais la codification d'unsavoir-faire acquis de façon aussi empi-rique était-elle possible?La deuxième explication relève du modede diffusion et de l'exercice du savoir-faire. Purement solitaire dans le cas del'artisanat, ce mode a une dimensioncollective dans le cas d'un procédé in-dustriel: le savoir-faire y est partagé.Au lieu de se faire simplement et sûre-ment du maître à l'élève dans le pre-mier cas, la transmission du savoir-faireest plus aléatoire dans le second oùelle se fait au gré des arrivées, départsen retraite, démissions, licenciements …De plus, au sein d'une entreprise in-dustrielle, l'identification de ceux quidétiennent ou exercent une part dusavoir-faire aussi bien que le contenu de 91. L'étude du fonctionnement du hautfourneau en allure de fonte d'affinage con-naît un grand développement à partir de1950, notamment avec les travaux de l'Ins-titut de Recherches de la Sidérurgie Fran-çaise (I.R.S.I.D.). La consommation de cokebaisse de 1000 à 330 kilos par tonne defonte grâce à la consommation exclusive deminerais de fer aggloméré. Agrandis, leshauts fourneaux produisent journellementplus de 10000 tonnes de fonte.

cette part est malaisé. On a vu qu'àBoulogne le partage du savoir-faireavait varié selon le statut de l'entreprise: producteur indépendant, filiale d'unesociété minière, d'un grand groupe in-ternational ; le passage d'un statut àl'autre n'implique pas forcément letransfert de la part du savoir-faire quirelève par exemple des dirigeants del'entreprise 92. Il est remarquable à cepropos que le procédé industriel de fa-brication au haut fourneau du ferro-manganèse s'est développé pour l'es-sentiel à Saint-Louis, Outreau et Boulo-gne dans deux entreprises au statut deproducteur indépendant. Ensuite, dansune industrie en crise, l'importance desinvestissements à consentir a eu uneffet dissuasif sur les opérateurs deBoulogne ; d'autant plus que la partdes investissements consacrés à laprotection de l'environnement aug-mentait de façon sensible, leur défini-tion et leur mise au point contribuant àdétourner l'attention des opérateursdu procédé lui-même.Une troisième explication est beaucoupplus immédiate. Pour réussir, le nou-veau procédé devait permettre de dou-bler la production du haut fourneau,avec une consommation de coke partonne de ferromanganèse maintenuesinon diminuée. La pénurie mondiale decoke a provoqué, à partir de 2002, uneaugmentation continue du prix du cokeimporté qui avait pratiquement doubléfin 2003. Cette augmentation annihilaittout espoir d'obtenir d'un nouveau pro-cédé en cours de réglage des résultatséconomiques. Comparant les deux pro-cédés de fabrication du ferromanga-nèse, four électrique et haut fourneau,Eramet indique en 2004, que les raresproducteurs de ferroalliages au hautfourneau étaient "tous, sauf un japonaiset quelques producteurs marginaux enEurope de l'Est (sont) basés en Chine"et que "compte tenu de la hausse desprix du coke et des problèmes de dispo-nibilité physique de ce produit , ce pro-cédé (le haut fourneau) n'est pas com-pétitif en dehors de la Chine"93…

Le procédé industriel de fabrication auhaut fourneau du ferromanganèse, créé 92. Suivant le statut de l'entreprise, la pré-sence du savoir-faire dans les motivations lesanalyses et les stratégies des dirigeants del'entreprise ne sera pas la même.93. Groupe Eramet, Enjeux et opportunitésde la branche Eramet Manganese,http://www.eramet.fr/actionnaires/pres_finin.php, juin 2004

Page 29: La fabrication du ferro-manganèse au haut-fourneau en ...soleildacier.ouvaton.org/savoir/fr/DNA02-S2-W.pdf · mines de fer blanches, traduction de Guyton de Morveau Paris, 1774

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en France de 1875 et développé aucours du XXème siècle est il arrivé en2003, au terme de son cycle de vie94?Est-il frappé d'obsolescence, dépassépar la concurrence du four électrique?La réponse est négative si l'on songeque, dans sa définition de 1962, le hautfourneau 5 de Boulogne, a fonctionnéjusqu'au bout de façon satisfaisante. Enfait, selon le dernier exploitant, ce sontles conditions techniques et économi-ques d'une pérennisation de la fabrica-tion à Boulogne qui ont définitivementdisparu.

A condition d'un transfert du savoir-faire toujours possible, un nouveauchapitre de l'histoire du procédé originalpeut s'inscrire dans les pays, comme laChine, dont les sidérurgies connaissentaujourd'hui un développement compa-rable à celles des pays occidentaux ausiècle dernier.

Quant au nouveau procédé, a t'il bénéfi-cié du temps nécessaire à sa mise aupoint? Le souci de rentabilité rapide dessociétés actuelles n'est guère compati-ble avec les longues années souventnécessaires au développement d'unprocédé : une rentabilité à court termede toutes façons compromise par lahausse drastique du prix du coke im-porté à partir de 2002.

Ce nouveau procédé était-il rentable àterme? Les sources d'informations dis-ponibles, émanant surtout de la pressed'actualité plus riche en effets d'an-nonce qu'en informations précises, nepermettent pas de répondre à la ques- 94. On identifie ici le cycle de vie du procédéindustriel au cycle de vie du produit fabriquéen l'occurrence le ferromanganèse. On a vuque si la consommation spécifique de cedernier avait tendance à baisser, elle necorrespond pas à une obsolescence à courtterme du produit: en 2002, les spécialistesprévoyaient une consommation mondialestable jusqu'en 2007, de l'ordre de 3,5 mil-lions de tonnes soit 3,9 kilos par tonned'acier brut (V.Trelut, Manganese MarketTrends, Ryan's Note Conference, octobre2002)Contrairement à la théorie qui explique queles produits nouveaux apparaissent dans despays innovants qui les exportent puis lesabandonnent au profit de pays concurrentsqui les exportent à leur tour, le ferromanga-nèse apparu en 1875 en France a continué ày être produit; la France est restée un ex-portateur important jusqu'au début duXXIème siècle: les performances du procédéde fabrication l'ont emporté sur le produitlui-même.

tion. Il manque ici l'histoire du nouveauprocédé établie à partir des archivestechniques de l'entreprise…¤