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4 actualités Actualités pharmaceutiques n° 474 Mai 2008 Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) depuis le 27 novembre 2007, s’exprime sur les attaques contre le monopole pharmaceutique, le dossier pharmaceutique, le libre accès des médicaments à prescription médicale facultative ou encore l’ouverture du capital des officines. Il nous livre ainsi le point de vue de la Fédération sur une actualité brûlante. Actualités pharmaceutiques : Après les rapports Attali, Beigbeder..., une nouvelle attaque du monopole pharma- ceutique a récemment pris forme avec la diffusion d’une campagne de publicité des centres E. Leclerc demandant une modification législative leur permettant de vendre les médicaments à prescrip- tion médicale facultative. Quel est votre sentiment et a-t-on franchi là une étape supplémentaire en essayant de convain- cre l’opinion publique ? Philippe Gaertner : Mon premier sentiment est que je m’interroge sur la position éton- nante prise par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). En effet, la publicité télévi- suelle n’est pas censée exprimer d’opinion politique. Or, cette campagne demande clairement une modification de la loi. Ensuite, il faut bien voir que cette attaque n’est pas la première. Elle arrive simplement après le rejet par les pouvoirs publics des demandes d’ouverture du monopole exprimées dans différents rapports et, notamment, suite à la position très claire du président de la République qui, au moment de la remise du rapport Attali, a exclu toute ouverture du monopole, indiquant que la répartition démogéographique des officines est capitale pour l’aménagement du territoire. Monsieur Leclerc a donc voulu relancer le débat face à toutes les positions prises allant à l’encontre des rapports. Par ailleurs, cette campagne de publicité interpelle les Français en utilisant un certain nombre d’informations erronées. Elle sous-entend ainsi que le rhume n’est plus du tout pris en charge par l’Assu- rance maladie, ce qui est faux. Savez-vous que la dépense moyenne de médicaments non remboursée par la Sécurité sociale est infé- rieure à 30 euros par an et par Français en 2007 ? Il affirme pouvoir vendre moins cher, mais moins cher que qui ? Moins cher que les officines qui pratiquent les prix les plus élevés ? Il est clair que Monsieur Leclerc veut étendre sa gamme de produits par rapport à ce qu’il propose. Vendre des produits de santé lui permettrait à la fois d’augmenter son chiffre d’affaires et d’amé- liorer son image de marque. Comme l’a très justement indiqué la ministre de la Santé, il s’agit tout simplement d’une « publicité mensongère ». AP : Vous parlez de M me Roselyne Bache- lot-Narquin. Pensez-vous qu’elle défend suffisamment votre profession ? P.G. : Sans aucun doute. Elle a à la fois une bonne connaissance de l’exercice officinal et affiche clairement sa volonté de vouloir défendre la santé publique. Je dois admettre qu’elle y met beaucoup d’énergie, dans un contexte politique général difficile, notamment en prenant en compte le pouvoir d’achat des ménages. AP : Pour quelles raisons êtes-vous opposé à l’éventuelle perte de monopole voulue par certains ? P.G. : Tout d’abord, nous disposons aujourd’hui, tout le monde en convient, d’un des circuits du médicament les plus sécurisés, notamment grâce à la présence pharmaceutique et à l’accom- pagnement des patients. La France est l’un des pays européens les plus sûrs en matière de lutte contre les contrefaçons. Ensuite, pour obtenir des prix très bas, on peut penser que les circuits d’approvisionnement devront être différents. Or, quel système de santé souhaite-t-on pour le pays et les patients, au moment même où nous devons faire face au défi du vieillissement de la population ? La phar- macie constitue un point d’entrée des soins de premier recours car elle est très bien implantée sur le territoire, elle a un accès facile et elle est sécurisée, notamment grâce au déploiement du dossier pharmaceutique. AP : Justement, pensez-vous que le dos- sier pharmaceutique constitue un moyen de protéger le monopole officinal ? P.G. : Oui, bien sûr, car les officinaux veulent œuvrer pour rendre le meilleur service possi- ble aux patients, ce qui passe par la sécurisa- tion des dispensations et par des prix justes. AP : Pensez-vous que le projet de libre accès des médicaments à prescription médicale facultative est de nature à faire baisser les prix de ces médicaments ? Est-ce une réponse au problème de pou- voir d’achat avancé par Michel-Édouard Leclerc ? P.G. : La politique de libre accès doit donner plus de lisibilité sur la disponibilité des pro- duits. Une charte a été signée à Pharmagora 1 entre les industriels et les syndicats pour permettre l’accès aux médicaments à un meilleur coût sur l’ensemble du territoire. Cela devrait permettre de limiter les écarts de prix d’achat pour les pharmaciens, qu’ils aient des capacités d’achat importantes ou non. Michel-Édouard Leclerc cite beaucoup l’Italie où la libéralisation du marché a permis de faire baisser le prix des médicaments. Mais La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France veut communiquer sur les qualités du réseau officinal à la française © DR « Nous disposons d’un des circuits du médicament les plus sécurisés »

La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France veut communiquer sur les qualités du réseau officinal à la française

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Actualités pharmaceutiques • n° 474 • Mai 2008

Philippe Gaertner, président

de la Fédération des syndicats

pharmaceutiques de France

(FSPF) depuis le 27 novembre

2007, s’exprime sur les

attaques contre le monopole

pharmaceutique, le dossier

pharmaceutique, le libre

accès des médicaments

à prescription médicale

facultative ou encore

l’ouverture du capital

des officines. Il nous livre ainsi

le point de vue de la Fédération

sur une actualité brûlante.

Actualités pharmaceutiques : Après les rapports Attali, Beigbeder..., une nouvelle attaque du monopole pharma-ceutique a récemment pris forme avec la diffusion d’une campagne de publicité des centres E. Leclerc demandant une modification législative leur permettant de vendre les médicaments à prescrip-tion médicale facultative. Quel est votre sentiment et a-t-on franchi là une étape supplémentaire en essayant de convain-cre l’opinion publique ?Philippe Gaertner : Mon premier sentiment est que je m’interroge sur la position éton-nante prise par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). En effet, la publicité télévi-suelle n’est pas censée exprimer d’opinion politique. Or, cette campagne demande clairement une modification de la loi. Ensuite, il faut bien voir que cette attaque n’est pas la première. Elle arrive simplement après le rejet par les pouvoirs publics des demandes d’ouverture du monopole exprimées dans différents rapports et, notamment, suite à la position très claire du président de la République qui, au moment de la remise du rapport Attali, a exclu toute ouverture

du monopole, indiquant que la répartition démogéographique des officines est capitale pour l’aménagement du territoire. Monsieur Leclerc a donc voulu relancer le débat face à toutes les positions prises allant à l’encontre des rapports. Par ailleurs, cette campagne de publicité interpelle les Français en utilisant un certain nombre d’informations erronées. Elle sous-entend ainsi que le rhume n’est plus du tout pris en charge par l’Assu-rance maladie, ce qui est faux. Savez-vous que la dépense moyenne de médicaments non remboursée par la Sécurité sociale est infé-rieure à 30 euros par an et par Français en 2007 ? Il affirme pouvoir vendre moins cher, mais moins cher que qui ? Moins cher que les officines qui pratiquent les prix les plus élevés ? Il est clair que Monsieur Leclerc veut étendre sa gamme de produits par rapport à ce qu’il propose. Vendre des produits de santé lui permettrait à la fois d’augmenter son chiffre d’affaires et d’amé-liorer son image de marque. Comme l’a très justement indiqué la ministre de la Santé, il s’agit tout simplement d’une « publicité mensongère ».

AP : Vous parlez de Mme Roselyne Bache-lot-Narquin. Pensez-vous qu’elle défend suffisamment votre profession ?P.G. : Sans aucun doute. Elle a à la fois une bonne connaissance de l’exercice officinal et affiche clairement sa volonté de vouloir défendre la santé publique. Je dois admettre qu’elle y met beaucoup d’énergie, dans un contexte politique général difficile, notamment en prenant en compte le pouvoir d’achat des ménages.

AP : Pour quelles raisons êtes-vous opposé à l’éventuelle perte de monopole voulue par certains ?P.G. : Tout d’abord, nous disposons aujourd’hui, tout le monde en convient, d’un des circuits du médicament les plus

sécurisés, notamment grâce à la présence pharmaceutique et à l’accom-pagnement des patients. La France est l’un des pays européens les plus sûrs en matière de lutte contre les contrefaçons. Ensuite, pour obtenir des prix très bas, on peut penser que les circuits d’approvisionnement devront être différents. Or, quel système de

santé souhaite-t-on pour le pays et les patients, au moment même où nous devons faire face au défi du

vieillissement de la population ? La phar-macie constitue un point d’entrée des soins de premier recours car elle est très bien implantée sur le territoire, elle a un accès facile et elle est sécurisée, notamment grâce au déploiement du dossier pharmaceutique.

AP : Justement, pensez-vous que le dos-sier pharmaceutique constitue un moyen de protéger le monopole officinal ?P.G. : Oui, bien sûr, car les officinaux veulent œuvrer pour rendre le meilleur service possi-ble aux patients, ce qui passe par la sécurisa-tion des dispensations et par des prix justes.

AP : Pensez-vous que le projet de libre accès des médicaments à prescription médicale facultative est de nature à faire baisser les prix de ces médicaments ? Est-ce une réponse au problème de pou-voir d’achat avancé par Michel-Édouard Leclerc ?P.G. : La politique de libre accès doit donner plus de lisibilité sur la disponibilité des pro-duits. Une charte a été signée à Pharmagora1 entre les industriels et les syndicats pour permettre l’accès aux médicaments à un meilleur coût sur l’ensemble du territoire. Cela devrait permettre de limiter les écarts de prix d’achat pour les pharmaciens, qu’ils aient des capacités d’achat importantes ou non. Michel-Édouard Leclerc cite beaucoup l’Italie où la libéralisation du marché a permis de faire baisser le prix des médicaments. Mais

La Fédération des syndicats pharmaceutiques

de France veut communiquer

sur les qualités du réseau officinal à la française

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« Nous disposons d’un des circuits du médicament les plus sécurisés »

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Actualités pharmaceutiques • n° 474 • Mai 2008

il faut savoir que les produits y sont vendus deux fois plus cher qu’en France. À titre d’exemple, Nurofen® est vendu en moyenne 6,30 € en Italie contre 2,96 € en France. Nous avons déjà les prix parmi les plus bas d’Eu-rope, sans compter qu’avec les génériques, il est possible de trouver encore des produits sûrs moins chers. Avec la signature de cette charte, les officines pourront vendre des médicaments peut-être même moins cher que ce que propose Monsieur Leclerc. C’est ce qui se passe déjà avec la parapharmacie.

AP : Finalement, quelle réponse souhaitez-vous apporter à cette nouvelle attaque ?P.G. : Nous comptons déployer deux types de réponse. Tout d’abord, il nous faut œuvrer pour renforcer le professionnalisme du pharmacien, qui a déjà bien avancé avec le développement de la qualité à l’officine et la formation continue pharmaceutique qui doit devenir une obligation. Un conseil pharma-ceutique devra accompagner toutes les ven-tes de boîtes de médicaments en libre accès. Dans certains cas, le pharmacien va devoir refuser de vendre des médicaments que des patients, devenus consommateurs, ont déjà dans les mains. Cela doit donc amener à une organisation du lieu de vente qui impose un passage obligatoire du patient par un phar-macien ou un préparateur pour y recevoir un conseil systématique. Une clarté dans l’agen-cement sera absolument nécessaire pour éviter un mélange entre des médicaments et d’autres produits par exemple.

Nous envisageons ensuite de communi-quer vers les politiques et les Français, par le biais d’une campagne nationale, dans le but de faire prendre conscience de l’intérêt du réseau officinal tel qu’il est actuellement organisé. Et pour cela, nous prévoyons une campagne choc, très différente de tout ce qui a été fait jusqu’à présent (presse générale, presse quotidienne régionale, voire plus...). Cette opération avait été initiée par la Fédé-ration, il y a quelque temps déjà, suite aux différentes attaques que nous subissons, notamment de la Commission européenne. Mais nous nous plaçons bien dans une logi-que de défense de la profession et non de promotion de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Nous avons pris des contacts avec les autres orga-nisations. Nous leur laissons le temps de se positionner, sachant que le rédactionnel et les visuels de la campagne ne peuvent pas être diffusés. Cette opération d’envergure, puisque son coût pourrait avoisiner le million d’euros, sera financée par les pharmaciens eux-mêmes. C’est pourquoi nous avons lancé un appel de fonds. Je peux d’ores et déjà vous dire que notre appel semble entendu... La campagne sera sur pied pour la fin mai. Nous jugerons alors du moment le plus opportun pour sa diffusion.

AP : Concernant l’ouverture du capital, quel est votre point de vue ?P.G. : L’organisation du système officinal actuel repose sur trois piliers : la réparti-

tion démo-géographique, le monopole et le capital. Si on touche à l’un de ces trois piliers, le système est déstabilisé. Les groupes financiers qui veulent entrer dans les capitaux des officines demanderont des retours sur investissement. Comme l’augmentation globale des ventes est peu probable dans un pays comme le nôtre, dont il est dit que la consommation est déjà trop importante, le seul moyen de valoriser l’officine acquise sera de prendre des parts de marché aux officines avoisinantes, ce qui fragilisera l’organisation actuelle du réseau. Pour la FSPF, une ouverture partielle du capital n’est également pas envisageable. Le niveau d’ouverture risquerait d’être remis en cause par la Commission européenne.

AP : D’autres syndicats sont plus modé-rés que vous à ce sujet...P.G. : Peut-être, mais une forte majorité de pharmaciens partage notre point de vue. Avec des groupes financiers, le pharma-cien aura des objectifs de rentabilité, il perdra de vue sa mission principale qu’est la santé publique. Encore une fois, la ques-tion est de savoir quelle pharmacie nous voulons pour la France... �

Propos recueillis par

Sébastien Faure

[email protected]

L e Collectif national des groupe-ments de pharmaciens d’officine (CNGPO) a souhaité réagir vive-

ment, dans un communiqué1, au mes-sage des centres E. Leclerc affirmant que les prix qu’ils pratiqueraient sur les médicaments dans leurs grandes sur-faces seraient 25 % moins élevés que ceux pratiqués en officine.Le CNGPO s’interroge : « Mais moins chers par rapport à qui, par rapport à quoi ? » Le collectif rappelle en effet que la concurrence, en ce qui concerne le prix des médicaments, existe déjà et depuis longtemps, au sein du réseau

pharmaceutique et entre produits contenant le même principe actif. Les prix pratiqués par les pharmacies grou-pées2 sont ainsi lisibles et affichés, ce qui permet de les comparer.De plus, pour le collectif, le manque de concurrence dans la grande distribu-tion et les écarts de prix d’une même enseigne d’un lieu à un autre, dénoncés récemment, ne garantiraient nullement une baisse des prix.Enfin, à la différence des enseignes de grande distribution, « les pharmaciens d’officine ne sont pas que des com-merçants » et « un médicament n’est

pas une boîte de conserve », s’indigne Pascal Louis, président du collectif, qui rappelle que la banalisation des médicaments est porteuse de dérives qui peuvent être préjudiciables pour la santé publique.

Élisa Derrien

Notes1. Communiqué du 7 avril 2008.

2. Le Collectif national des groupements

de pharmaciens d’officine (CNGPO) réunit,

au travers de 11 groupements (Alrheas, Apsara,

Ceido, Cofisanté, Évolupharm, Forum Santé,

Giphar, Giropharm, Optipharm, Plus Pharmacie,

Réseau Santé), 8 500 pharmacies.

Réaction

Médicament et grande distribution, une alliance improbable ?

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op

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Note1. Le Salon Pharmagora s’est déroulé

du 29 au 31 mars 2008, à Paris.