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La femme orientale dans deux récits de de Nerval et de Flaubert par Léna DER KALOUSTIAN Mémoire de maîtrise soumis à la Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de Maîtrise ès Lettres Département de langue et littérature françaises Université McGill Montréal, Québec Juillet 1993 ® Lénn Der Knloustian

La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

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La femme orientale dans deux récits de yoya~

de Nerval et de Flaubert

par

Léna DER KALOUSTIAN

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche

en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises

Université McGill

Montréal, Québec

Juillet 1993

® Lénn Der Knloustian

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RÉSUM~

Au X IX(;') siècle, le voyage en Orient est à la fois une source

d'information et une quête personnelle. Cette rencontre avec un monde

nouveau est a8sociée à la révélat.ion d'un univers féminin différent. La

représentation de la femme orientale dans Le voya~e en Orient de Nerval et

~..ll.Q.1&s de yQya~e en Orient de Flaubert, est la mise en texte d'une

expérience vécue. Cette transposition obéit à des lois internes et à des

contraintes culturelles et personnelles que ce mémoire tente de déchiffrer et

de décomposer.

Il est divisé en trois parties. La première partie est consacrée à

J'intention didactique du récit de voyage qui, pour satisfaire aux exigences

descriptives de cohérence et d'intelligibilité, fragmente et catégorise la femme

orient.ale selon une perception limitée aux apparences. La description est en

même temps soumise aux schémas conventionnels établis par des siècles

d'études orientalistes.

La seconde partie intitulée l'organisation narrative du récit de

voyage montre que les épisodes féminins constituent des unités narratives

quasi autonomes qui réflètent le rythme du voyage, alors que sa dimension

autobiographique est un facteur d'unité.

Ii~nfin, dans une dernière partie, nous abordons la représentation

de la femme orientale en fonction d'une interprétation globale de

l'Orient. Elle est alors à la fois influencée par les attitudes et les idées de la

collectivité de l'époque et par l'univers poétique spécifique de chaque auteur­

voyageur.

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ABSTRACT

The portrayal of the middle eastern woman in LI;' voyacc l'Il Qril'nt. of

Nerval and Les notes de voya~e en Orient. of Flaubert jg tIlt' w,"it,Ü'1l

representation of a personal experience. The transposi tion of observntiom; to

literary images is subject to cultural and personal constrall1t.s that. the

pre3ent thesis aims at deciphering and analysing.

We have entitled Informational intent t.he first Ht'cllOTl of our

research, in which we have discovered that intelligiblc descript.ions tend to

the fragmentation and the eategorization of the middle CHst,('rn womull. 'l'his

approach has led us to find that the authors' perceptions arp oncn limitl'd to

appearances. Moreover, our literary analysis have confirmed t.hat, the

representations follow the laws and patterns established by cpnturies of

oriental studies.

The second section, entitled The narrative organization shows that

the episodes where women are involved have been organized into quasi­

autonomous narrative entities reflecting the rythm of the travel. On thp

other hand, the autobiographical expression serves as a uni(ymg clement.

In the last sE!ction, The woman as part of a global interpretation

of the Middle East, we have realized that her represcntations are

influeneed by the attitudes and cultural context of the time as wel1 as the

specifie poetie world of the authors .

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TABLE DES MATIÈRES

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE: L'INTENTION DIDACTIQUE

CHAPITRE 1 L'INTENTION INFORMATIVE

A L'observation et l'art de vovalfer

1) Un faisceau de "choses vues"

2) Le caractère secret de l'univers féminin oriental

1\

1

14

15

17

3) La perception extérieure de l'auteur-voyageur 18

B Désir de voir et "pouvoir voir' 18

1) L'aspect temporel et spatial tH

2) Rôle du hasard 22

3) Le déguisement 23

4) ''Le porte-regard" 24

C Imentaire et classement 25

D Valeur de l'jnformation 2H

CHAPITRE II LES TECHNIQUES DESCRIP'frVES 30 • ,fJ

A L'orpnisatjoQ de l'informatioQ 32

1) Le choix des niveaux de perception 32

2) Fragmentation du visible et exhaustivité 33

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3) Plans et cadrages

B Le déchiffra" de l'ipformation

1) Les corrélations directes et causales

III

36

38

39

2) Les corrélations implicites ou caractérielles 40

3) Le visible, le dévoilé, le surpris 41

C Extériorité de la représentation et théâtraUsation 42

D Fonction didactique et fOnctiOn d'empbase 44

CHAPITRE III LA CONFORMITÉ CONVENTIONNELLE

A Relations intertextuelles et vraisemblance

B Le genre du récit de voyage

1) Les manifestations du savoir

2) La surdétermination

C L'hégémonie de l'orientalisme

D Une esthétique de la répétition

E La conformité à l'opiniOn commune

1) L'exotisme féminin

2) La fantaisie sexuelle

F Valeur de l'iptertexte

DEUXIÈME PARTIE: L'ORGANISATION NARRATIVE

CHAPITRE 1: LA DIMENSION AUTOBIOGRAPHIQUE

A Valeur référentielle du rIE.

B Le témoin

48

48

49

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58

60

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62

63

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IV

1) Le cadre événementiel

2) Le narrateur distant du texte

C L'expérience personnelle HS

1) Le narrateur-acteur 71

D FonctiQn textuelle du couple JE et ELLE 7:1

CHAPITRE II: LES RENCONTRES FÉMININES ET LES CONTRAINTES NARRATIVES DU RÉCl'r DIl~ VOYAGg 7H

A Les contraintes narratives de l'itinéraire

B Le schéma de la ''Rencontre''

C Valeur dramatique du couple JE 1 ELLE

D 1& double registre de représentation

E La composition mélodjque

TROISIÈME PARTIE LA REPRÉSENTATION DE LA FEMME

ORIENTALE ET LE SENS DU RÉCIT DE VOYAGE

CHAPITRE 1: L'IDÉOLOGIE ORIENTALISTE ET LA FEMME ORIENTALE

SO

81

85

87

91

94

A Le djscoun sur l'Orient et le discours sur la femme 94

B La dichotomie Orient 1 Occidept 95

C L'Orient opposé à l'Occident 96

D L'Orient complémentaire de l'Occidept 98

1) L'Orient miroir du passé 99

2) L'Orient, une compensation pour l'Occident 101

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E L'usage de l'autre

1) Appropriation culturelle et domination

2) Immobilisation et marginalisation

CHAPITRE II LA REPRÉSENTATION DE LA FEMME ORIENTALE ET LA QUETE PERSONNELLE DE NERVAL ET DE FLAUBERT

v

103

104

106

109

A L'enjeu personDel du Voyage en Orient de Nerval 109

1) Rôle de la femme orientale

2) Le schéma d'une initiation

3) L'usage du matériau oriental

B La quête esthétique de Flaubert

1) L'harmonie des choses disparates

2) L'immobilisme oriental

C Persistance du thème de la femme orientale

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

111

113

115

116

116

119

120

124

134

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INTRODUCTION"

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2

Malgré les vicissitudes historiques, les relations entre l'Europe et

l'Orient ont toujours été maintenues. Mais c'est surtout à partir de la

Henaissance et des premières Capitulations de 1535 que les liens entre la

France et le Proche-Orient se sont resserrés. Et lorsque le marquis de

Villeneuve, ambassadeur de France auprès du Sultan, renouvelle les

Capitulations en 1740,1 le profil du voyageur en Orient a déjà évolué. Aux

voyageurs médiévaux, essentiellement des moines et des chevaliers, se sont

joints les march:..:.nds, les diplomates et les explorateurs. Cette multiplication

des contacts permet une meilleure connaissance de l'Orient puisque les

rapports des diplomates, les récits de voyage des missionnaires et des

marchands constituent déjà une précieuse source d'information.

Mais peu à peu, la France va disposer d'un savoir systématique et

institutionnalisé sur l'Orient. Systématique, parce que l'Orient devient un

corpus d'études organis~es en fonction de disciplines scientifiques telles que

l'ethnologie, la philosophie, l'histoire. Institutionnalisé, car cet orientalisme

naissant crée ses propres organismes, comme l'École des Langues Orientales

de Paris en 1795, ou la Société Asiatique de Paris en 1822. Si l'orientalisme

reste généralement associé à une certaine tradition universitaire, il a été

aussi encouragé par les exigences politiques et commerciales dans la mesure

:Jù le savO.r concernant l'Orient représente un instrument de pouvoir et

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d'expansion. Colbert protégeait les voyageurs et les aidait à publier l('ur~

relations de voyage. Il suffit de citer Thévenot, Tavernier ct Chardin. 1)('

même Bonaparte, lors de son expédition d'Egypte, s'est entouré d'érudits qui

ont publié collectivement une monumentale Description de 1'''~~ypt~.2 À

cause de ces motivations d'ordre politique ou scientifique, et parce 'lm'

l'Orient reste un sujet de réflexion géré par des professionn('ls spécialiHé:-;,

l'intention didactique du récit de voyage va prédominer jusqu'au début du

XIXe siècle. Elle trouve son apogée chez Volney qui voulait en faire une

annexe de l'histoire.

Il faudra attendre Chateaubriand pour que des raisons personnelles

de voyage soient invoquées: "J'allais chercher des images, voilà tout",a écrira­

t-il à propos de son voyage en Orient, inaugurant ainsi une nouvelle lignée de

voyageurs pour qui le voyage, au-delà de son aspect informatif, est vécu

comme une expérience personnelle, la réalisation d'un projet profondément

senti et pressant.

En effet, tout voyage implique une possibilité de renaissance et de

liberté retrouvée; il répond ainsi à une nécessité vitale de fuir hors de soi ct

de s'étaler dans l'espace. Dans une lettre à Louise Colet, datée du 13 août

1846, Flaubert écrit: "Je porte en moi la mélancolie des races barbares avec

ses instincts de migration et ses dégoûts innés de vie qui leur faisait quitter

leur pays comme pour se quitter eux-mêmes."4 Il s'agit donc d'un besoin de

s'arracher à la vie routinière et de chercher un remède à un état chronique de •

mélancolie. Cette même attitude est à l'origine du départ de Nerval qui

espère revenir différent, "autre", pour faire face à la vic et au monde qui

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4

l'entoure. "Il fallait sortir de là par une grande entreprise qui ... me donnât

aux yeux des gens une physionomie nouvelle",5 écrit-il à son père, car il

considérait précisément son voyage comme une sorte de convalescence:

"Lequel vaut mieux, de garder près de lui son fils, ou de le savoir bien

portant. gagnant des forces et satisfait au moins d'un désir accompli ?"6

De plus, la destinati~n du voyage correspond aux obsessions et aux

exigences personnelles des voyageurs dont les aspirations, les structures

morales et esthétiques ont besoin de l'Orient. Ainsi d'autres raisons que

celles de sa santé ont poussé Nerval au voyage. Lors d'un séjour en Autriche,

il rencontre une Abyssine assise sur le siège avant de la calèche d'un prince:

"Je ne sais si le regard éclatant de l'Abyssine ne fut pas encore pour moi un

des coups d'oeil vainqueurs de la trompeuse Loreley, depuis ce jour je ne fais

que rêver à l'Orient."7 Nerval est sans doute parti sur les traces de sa

mythologie personnelle, à la recherche d'un nouvel ordre esthétique et

spirituel. D'ailleurs, au début du Voya~e en Orient, dans le chapitre intitulé

"Les Amours de Vienne", Nerval se compare au Capitaine Cook: " ... Il rêvait

des îles inconnues ct parfumées et finissait par aborder un soir dans ces

retraites du pur amour et de l'éternelle beauté."B Quant à Flaubert, il a

l'intime conviction que sa véritable patrie est l'Orient. "Je crois que j'ai été

transplanté par les vents dans un pays de boue, et que je suis né ailleurs, car

j'ai toujours eu comme des souvenirs ou des instincts de mers bleues",9 dit-il.

I~n 1842, Flaubert précise ses projets dans une lettre à Ernest Chevalier:

"Mais nom de Dieu, est-ce que je ne marcherai avec mes pieds sur le sable de

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5

Syrie? ... "10 Le désir de l'Orient s'exprime ainsi chez Nerval comme chez

Flaubert par des images de vie idéale.

Dans cette perspective plus personnelle du voyage, la définition mf>tllC'

de la nature et des limites de l'espace oriental devient ambiguë. Pour ICH

grands écrivains romantiques, l'Orient est un lieu d'inspiration ct. dt'

méditation: "L'Orient, soit comme une image, soit comme une pensée est

devenu ... une sorte de préoccupation générale",ll écrit Victor Hugo dans la

préface des Orientales. Et lorsque Goethe, dans «Le Diyan occidental­

orientaI.) exhorte au voyage, il évoque moins une réalité géObJ"faphique qu'un

horizon poétique: "Le Nord, l'Ouest, le Sud volent en éclats. Les trônes st'

brisent, les empires tremblent. Sauve-toi. Va dans le pur Orient respirer

l'air des patriarches."12

De la même façon, le voyageur réel définit l'Orient selon ses

connaissances ou ses rêves. Il s'y réÎert. toujours comme à une unité

géographique et culturelle. Or, il s'agit en fait d'un territoire immense qui

commence à l'est de la France et s'étend aux confins de l'Asie. 11 a dCH

capacités presque infinies de subdivisions et il abrite une multitude de

peuples et d'ethnies. Mais lorsque Hachette publie en 1861 le Guide Joanne,

il n'inclut dans sa définition de l'Orient que les pays de souveraineté

ottomane, y compris la Grèce. C'est ce qui explique les limites de J'itinéraire

traditionnel des voyageurs du XI Xe siècle; itinéraire inventé par

Chateaubriand, puis repris avec quelques variantes par beaucoup d'autres,

dont Nerval et Flaubert. Il comprend l'Egypte, la Syrie, la Palestine,

Constantinople et la Grèce.

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6

On pourrait s'interroger sur les raisons qui fixent le voyage au XIXe

siède dans cet espace Levantin, autour du Mare Nostrum. Dans La poétiQue

de )'espace,13 Gaston Bachelard montre qu'un espace physique peut acquérir

un sens émotionnel ou rationnel par les expériences et les sentiments qui y

sont associés. Le Proche-Orient méditerranéen, par son passé hellénique et

biblique, est chargé de signification pour l'Européen qui part retrouver ses

origines culturelles et religieuses. C'est le retour à la "terre rnatemelle",14

selon l'expression même de Nerval. D'un autre côté, l'Orient islamique

suscite suffisamment l'attrait du mystérieux et procure le plaisir de l'inédit.

Cette combinaison du familier et de l'inconnu, séduisante et sécuritaire en

même temps, crée une pratique du voyage qui empêche de sortir des sentiers

battus et qui, par son caractère rituel, ressemble fort à une initiation.

Espace géographique ou espace mythique, l'Orient reste toujours

distinct de l'Occident; une ligne de démarcation qui correspond autant à une

réalité géographique qu'à une tradition de pensée, sépare ces deux entités

opposées. Cette division permet aux voyageurs de désigner l'espace européen

et français comme "le nôtre" et le territoire au-delà comme "le leur",

établissant du même coup une différenciation entre "nous" et les "autres".

C'est donc à partir d'un cadre de références personnelles que va s'amorcer la

connaissance des autres. Déjà Hérodote avait ouvert la voie en posant un

regard grec sur le monde non grec.

Lors de cette découverte "des autres", l'intérêt des voyageurs pour la

femme est primordial puisqu'elle est une composante essentielle de tout

espace social nouveau. Ainsi les attitudes d'un Bougainville débarquant à

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,.., ,

• Tahiti et celles de Nerval et Flaubert sont similaires dans leur l'fTort de suü.i r

et de comprendre la place et le rôle de la femme au sein de son milieu ct pat·

rapport aux critères occidentaux. Mais indépendamment de cette curiosité

sociologique et sur le plan plus personnel, quelle peut Hre la signification dt'

la féminité orientale pour les voyageurs?

Si à l'origine de tout départ se trouve le rapport insatisfaction/d0si r,

- désir de l'autre ou désir d'une vie nouvelle - la femme oril'ntale devil'l1t.

parfois l'incarnation de ce double désir. D'une part, la découvel·te d'un

univers féminin différent reste associée à la promesse d'une spxualité

différente. Or, les fantasmes engendrJs par la traduction des Mille et. url(,'

ll.lÙ.t.§.15 de Galland ont contribué a entretenir l'image d'un univl'rs fémini Il

oriental fait de sensualité et de volupté, et où la sexualité serait. moins

réprimée. Dans une lettre de mars 1842, Flaubert exprime ainsi son rêve de

la femme orientale: "Dans ces pays-là, les étoiles sont quatre fois comme les

nôtres, le soleil y brûle, les femmes s'y tordent et bondissent dans les baisers,

sous les étreintes."16 D'autre part, l'idée persistante de la femme assumant Il'

premier trait d'union entre sa race et les étrangers laisse espérer l'mitiation il

un nouvel art de vivre. Cette notion de mélange des races domine le voyag('

de Nerval. "Il faut que je m'unisse à quelque fille ingénue de ce sol sacré qui

est notre première patrie à tous, que je me retrempe à ces sources vivantes de

l'humanité d'où ont découlé la poésie et les croyances de nOR pères." 17 Plutôt

qu'une révélation, Nerval souhaite un retour à des valeurs perdues.

Mais le voyage en Orient, une fois réalisé, pourquoi faudrait-il le

représenter, le mettre en texte? D'après Michel Butor, les voyageurs qui

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8

laissent des traces de leur passage sur les sites visités manifestent déjà le

bef;oin d'enrq.,ristrer leur voyage. "À la marque directe on peut préférer une

marque plus respectueuse, plus décisive, par objets représentatifs, le livre

étant un exemple émment ")1-{ Une étroite parenté existe ainsi entre les livres

et le voyage; les hvres prOJetés et écrits pendant ou après les voyages, ou les

livres lus en vue du voyage. Nerval ne cachait pas qu'il partait pour trouver

matière à article. ",J'31 voyagé pour trouver des sUJets de feuilletons", écrit-il

il Htadler en décembre 1840YJ Il méditait aussi un beau livre d'images en

faveur ch, qUOl il aVaIt aclll'té un daguerréotype. "J'ai placé avantageusement

mon voyage d'li~gypte qui fera un volume avec gravures, et j'ai acquis des

matériaux pour au mOIns deux ans."20 Pour Fla~lbert, le voyage était déjà

éel"iture puisqu'il tente de r6chger un journal quotidien auquel il renonce pour

se contpnter dp notes rapides qu'il utilisera après son retour. 21 Quant aux

ledures qu'ils ont faites, des études précises révèlent les sources

docuTnpnt.aires de chacun. 22 D'ailleurs, Flaubert lui-même affirme à

Emmanucl Vasse, dans une lettre datée du 15 septembre 1846, avoir lu le

Coran, comme il ),(\T11cJ'cie Louise Colet en janvier 1847 de lui avoir envoyé

son V () lr1l'y. ~:l

Le f~lit. d'aSSOCIer le voyage à la lecture et à l'écriture confere aux

t.ext.es éCJ'lb une autorité accrue. En effet, lorsque les ouvrages scientifiques

ou littérmres sc réfèrent constamment les uns aux autres, ils créent un savoir

ct. une expertise qui l'l\mplaccnt souvent l'obsei·vation. Claude Pichois

congtate il PI'OPOg de Nerval: "Il voit moins qu'il ne lit. Souvent il ne voit que

gl'ùcc aux livres. Parfois. il nous fait voir ce qu'il n'a pas vu sans

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qu'apparaisse la différence entre ce qu'il a lu et cc qu'il a réellement vu."2.\

En même temps, ces renvois au déjà lu ou au déjà narré incitent. il une pri~l'

de position par rapport au matériau oriental ~mr lequel l'auteur g'apPl.il' ou

dont il s'écarte. Nerval et Flaubert ont tous deux emprunté sans v<.'rgogne ù

William Lane dont le livre sur les égyptiens était paru <.'n IH:Hi25. Par contn'.

Nerval a voulu se distinguer de Lamartine et de Chateaubriand. Seloll

Claude Pichois, "il négligera Athènes et Jérusalem magnifié<.\s par Sl'~

illustres prédécesseurs."26

Enfin, si le livre est le principal moyen par lequel le voyageur marque

le lieu de son passage, "il lui est loisible en travaillant sur le livre d<.'

travailler considérablement sur cette marque."27 AutrenlC'nt dit, l'éCl;t.Urt'

permet de vivre ou de revivre le voyage tout en le façonnant selon dPH unit(is

d'information sélectionnées, organisées et hiérarchisées, l11<llS aussi selon la

signification globale du récit de voyage qui exige une unité formelle pt

structurelle. Aussi la double finalité du voyage en Orient au XIXl' SIècle sp

retrouve au niveau du récit qui oscille constamment entre ces deux pôles.

tantôt le moi de l'auteur reste subordonné au souci didactiquc, tantôt il cst

dominant et médiatise tout ce que le texte dit sur l'Orient.

La question qui se pose pour nous est de savoir comment la

représentation de la femme orientale s'intègre à ce système codé où la réalité

sociale orientale et les aspirations des auteurs-voyageurs prennent fèJrm('

ensemble. D'un côté, le caractère référentiel de la représentation multiplie

les détails et modifie les points de vue adoptés, de façon à traduire la

complexité de l'univers féminin oriental, et d'un autre côté l'espace textuel

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10

ks détails et modifie les points de vue adoptés, de façon à traduire la

complexité de l'univers féminin oriental, et d'un autre côté l'espace textuel

agit en tant que principe organisateur et contraignant. Toutefois, il faudrait

ajouter que ces ('{,,; ·traintes textuelles ne sont pas nécessairement inhibitrices

mais productives dans la mesure où l'auteur, dans sa tentative de

reconstruction et de ré appropriation de l'univers féminin oriental, crée sa

propre pratique de représentation dont l'organisation et les lois internes sont

déchiffrables.

Il s'agit donc pour nous de délimiter, dans les deux récits de Nerval et

de J·'laubert, les unités de texte évoquant les figures féminines et de les

comparer entre elles pour montrer comment l'intention informative justifie

les nécessités descriptives de cohérence et d'intelligibilité, ainsi que la

conformité à un savoir spécialisé. Dans un deuxième temps, il faudra mettre

à jour le réseau de contraintes et de conventions imposé par la dimension

autobiographique et les structures narratives du récit de voyage. Enfin, en

plaçant la représentation de la femme orientale dans la perspective d'une

signification globale du récit de voyage, nous pourrons déterminer l'influence

des attitudes et des idées de la collectivité de l'époque ainsi que celle de

l'univers poétique de chaque auteur .

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11

NOTES

1 Le Larousse du XXe siècle donne la définition suivante des Capitulation::;: « Traités qui garantissent aux sujets des nations chrét.iennes qui ré::;idl'Iü temporairement ou d'une manière permanente dans les pays dit.s ho .. ::; chrétienté, le droit d'être sOl'..straits à l'action des autorités locales l't dl' relever de leurs autorités nationales représentées par leurs commIs.»

2-. Au retour de l'expéditior. d'Égypte, Bonaparte exigea de::; savants qui l'avaient accompagné, la préparation d'un ouvrage collectif int.itulé: Description de l'E~te ou Recueil des observations ct des rechrrch('s (lui ont été faites en E"ypte pendant l'expédition de l'armée l'rançahH.' et publié par les ordres de Sa Majesté l'Empereur Napoléon le Grand, Imprimerie Impériale, Faris, 1809-1828, 23 vol ..

3 Chateaubriand, François-René de, ~vrçs rOIllHn('sqU('S et Voyuli!cs, ,T. II, Gallimard, Paris, 1969, p. 702.

4 Flaubert, Gustave, Correspondances, dans Oeuvres, '1'.1., Bibliothèque de la Pléiade, cd. Gallimard, Paris, 1973, p. 300.

5 Carré, J. M., Yoya~eurs et écrivains français en 1~"YDte, Imprimerie de l'Institut d'archéologie orientale, Le Caire, 1932, p. 8.

6 Nerval, Gérard de, Correspondances, dans Oeuvres, Bibliothèque dt' la Pléiade, ed. Gallimard, Paris, 1952, p. 856.

7. Carré, J. M., op. cit., p. 6.

8 Nerval, Gérard de, Voya2e en Orient dans Oeuvres complètes. 'l'. Il, Bibliothèque de la Pléiade, ed. Gallimard, Paris, 1981, p. 201.

9. Flaubert, Gustave, Correspondances, T. J, op. cit., p. 76.

10. Thid., T. I, p. 99.

11 Hugo, Victor, Les Orientales. T. J, ed. Pierre Albouy, Ga11imard, Paris, 1964, p. 580.

12. Goethe, Wolfgang, Westostlicher Diwan, 1819. Traduction française: J& Divan occidental-oriental, Aubier Montaigne, Paris. Tiré du poème "Hé'" 54 gue, p. .

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12

13 Bachelard, Gaston, La poétique de l'espace, P.U.F., Paris, 1957.

14. Nerval, Gérard de, YQya~e en Orient, op. cit., p. 515.

15. La première traduction - expurgée - de Galland, publiée en 1704, s'empara de l'imagination du public. Et bien que les contes soient marqués d'une forte spiritualité, les thèmes de sexualité, d'amour et de violence furent retenùs.

16 Flaubert, Gustave, CQrrespondances, 'f'. l, op. cit., p. 99.

17. Nerval, Gérard de, Yoya~e en Orient, op. cit., p. 506.

18 Butor, Michel, "Le voyage et l'écriture", dans Romantisme, 4,1972, p. 4 à 19.

lB. Nerval, Gérard de, Correspondances, op. cit., p. 835.

20. lhld., p. 894.

21. Biasi, Pierre-Marc de, dans l"'lntroduction" au Voya~e en Égypte, Grasset, Paris, 1991, p.78 explique que Flaubert rédige le chapitre intitulé "La Cange" durant le voyage, et le reste après son retour à Croisset.

22. Les sources documentaires de Nerval sont citées par Claude Pichois dans la "Notice" au Yoya~e en Orient, QP. cit. p.1378 à 1380, et celles de I:laubert, par Pienc-Marc de Biasi dans l"'lntroduction" au Voyage en EgYDte, op. cit. p.46 ..

2:3. Flaubert, Gustave, Correspondances, T. l, op. cit., p. 835.

24. Pichois, Claude, op. cit., p. 1379.

25 Lane, E.W., An accQunt Qf the manners and customs of modern I~~gyptians, 2 vol., Londres, 1836 (ré-édition Londres, J. M. Dent, 1936, éd. avec introduction de Musi Saad el Din, 1963).

26 Pichois, Claude, op. cit., p. 1377.

27 Butor, Michel, 9~., p. 4 à 19 .

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PREMIÈRE PARTIE

L'INTENTION DIDACTIQUE

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CHAPITRE l

L'INTENTION INFORMATIVE

14

L'art de voyager implique, au même titre que tous les arts et métiers,

un apprentissage et une attitude d'esprit spécifique. Bien regarder et bien

voir pour comprendre les contrées et les civilisations nouvelles, puis les

expliquer à ses compatriotes. Dans cette perspective, le voyageur se trouve

investi d'une responsabilité cognitive et didactique, et il doit faire appel à ses

compétenres d'observateur et de descripteur. Car l'intention informative du

récit de voyage repose sur une activité de transformation qui consiste à

passer des structul'es du monde réel aux structures textuelles grâce à

l'observation et à la description qui sont les opérateurs solidaires de cette

transposition.

A L'observation et l'art de voyager.

En effet, pendant le voyage, l'observation est une forme de

connaissance directe et immédiate, elle est donnée par les voyageurs comme

]\~qlliva]ent du regard de l'enfant qui découvre le monde: ",J'ouvre les yeux

sur tout, naïvement et simplement"l, écrit déjà Flaubert lors d'un séjour à

Gênes. Dans un deuxième temps, l'observation permet, comme dans les

Selences de la nature, d'organiser le visible en savoir. Elle guide la

description vers une synthèse objective et écrite de la réalité perçue. Par

Page 23: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

t f,

conséquent, plus le récit de voyage :'-;C' rl'ft>l'l' Ù une rpalit6 ll1in\ltll'II~l'll\l'llt

observée, plus sa valeur informatiVl' dl'vil'nt crédibll' l't plll~ Ji ~l' th'fin t

comme un texte scientifiquC' par oppo~it IOn au rOllwn, Il l'st \'ral qUl' dan~ ln

tradition grecque l'historien l'st bien "cl'1ui qui voit l't <111i racontt' Ù partir d ·

son regard,"~ Sans aller jusqu'à prétendre, comnw VoJ.H''y, f' .. in' OI'\lVI'l'

d'historien, Nerval exploIte quand mê>me cette distinction l'ntt'(' vPl'itL' pt,

fiction pour mieux se situer en marge de la litt.ératurC' l't. par cpt art.ifil'l'.

garantir l'authenticité de son témoignage ct. dl' Hl'~ mf'ornwt JOns,

L'humble vérite n'a pa!:. Il'~ n\~,>ourcl'f-, IIllIlII'Il"I''' <II'''

combinmsons dramatH\lWf-, ou IOll1alH'~qlll'~ ,JI' n'('1I1'11I1' lIll '1

un des évenrmcnt'> qUI n'ont de' llwntp qU(' par h'lll' !.impli(·it{·

mêmp, Il vaut Ilneu" Cl' Ill!' <'l'mhl(', dlr(' naïv('llwut (,OIllIlH'

les anClünh nnvIg:ltf'UI'<', ü·) JOUI' 11011" n'avon" VlI l'Il lIH'r qll'lIl1

morceau de hOls qUI OO\.l'lIt a l'aV('lltllll', 1,1') aU!II' 1111 g(l('):llld

aux m!C',> gri!:.cs:3

Il est significatif que les mêmes termes de !lai veté et dl' si mpl iCI 1,(. SP

retrouvent chez Nerval et. chez Flaubert pour caractériser une approdll' qui

se veut informative et objective,

1) Un faisceau de "choses vues".

Cette "soif de voir" des voyages, concerne autant les monument.s ('1, I(·s

sites historiques que les milieux humains, Nerval "S't'st surtc)1lt at.l.ach(· li

nous montrer l'Egypte vivantc"4, remarque son élmi Edmond TpXH'r FlaulH'rt

aussi révèle souvent l'ennui que 1 U1 inspi re les temple~ (~g'yptJ(~n~;1 alors qu'il

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16

se passionne pour les détails de la vie quotidienne et ce qu'il appelle les

observations morales: "Mon genre d'observation est surtout morale; je

n'aurais jamais soupçonné ce côté au voyage: le côté psychologique, rumain,

comique y est abondant."6 Aussi, un des aspects du récit de voyag~ sera de

rcconstituer le système social oriental et en particulier l'univers féminin

oriental à partir d'un faisceau de "choses vues." Or, toute chose vue suppose

un regardant, et les difficultés sont considérables pour qui veut se mêler à la

vie civile et relibrieuse de la population sans être musulman. C'est que

l'Européen est avant tout un étranger, pour les hommes comme pour les

femmes. "Quelle fatalité d'avoir un frengui dans ce quartier!"7, s'exclame le

logeur de Nerval. Si l'étranger inspire presque toujours de la curiosité,

comme à ces femmes de la plaine de la Békaa au Liban qui s'arrêtent et

regardent "avec avidité et étrangeté"8 le passage de Flaubert et de ses

compagnons, il peut aussi sUb.::iter des craintes variées. Lorsque Flaubert

l'cncontre en Haute Egypte l'almée Kutchouk Hanem, celle-ci refuse de

garder des étrangers sous son toit. "Elle ne se souciait pas trop que nous

restions chez elle de peur des voleurs qui viennent lorsqu'ils savent qu'il y a

des étrangers."9 Dans le pire des cas, l'Européen est le giaour, l'infidèle

méprisé, qu'il vaut mieux éviter. Sur le bateau qui l'emmène vers la Syrie,

Nerval fait face à l'hostilité des matelots qui lui dénient le droit de garder une

esclave musulmane. Ils disent "que j'avais tort, étant croyante, de rester avec

un infidèle"lo, lui explique l'esclave et, à la première occasion, elle-même ne

manque pas d'user de l'insulte.ll

Page 25: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

17

2) Le caractère secret de l'univers féminin oriental.

En plus de cette méfiance générale à l'égard des étrangers, le

voyageur se heurte plus particulièrement au caractère secret et prot(\gé dl'

l'univers féminin oriental. Il constate que la femme orientc'lle ('st maintC'nue

à l'écart du monde, physiquement et socialement. Elle vit dans dl'::;

appartements spéciaux, "Il faut qu'on sache aussi que chaque maison était

divisée en deux parties tout à fait séparées, l'une consacrée aux hommes l'I,

l'autre aux femmes"12, raconte Nerval. De plus, des grillages de hois placé::;

aux fenêtres, les moucharabiyés, jouent le rôle de barrières entre elle ct I('s

autres. Quand elle sort, les habits et les voiles cachent son corps et son

visage, la privant ainsi de toute existence individualisée. "II faut avouer que

le habbara noir ... fait de toute femme un paquet sans forme"1:I, constate

Nerval. Même la vie sociale de la femme se limite à la fréquentation des

autres femmes et des hommes dont le lien de parenté est étroit. Ceux-ci sont

d'ailleurs les gardiens vigilants de ces habitudes sociales: le VOy~lgcur turc,

sur le même bateau que Nerval, laisse ses femmes et ses esclaves il l'arncre,

dans une sorte de parc fermé par des bal ustrades afin de les soustrai re au

"contact dangereux des Francs"14. Cette protection est moins stricte sur lGfl

vaisseaux qui ne transportent que des passagers levantins, admet Ncrval.l!i

La femme elle·même est tellement habituée à cette vie recluse qu'elle réagit

violemment à toute intrusion masculine, rédIe ou supposée, qui viole son

intimité. Nerval rapporte avec amusement les plaintes de la khanoum, sa

voisine, une veuve de cinquante ans. "De ce côté, me dit Abdallah, est le

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18

jardin :l'une khan oum (darne principale d'une maison) qui s'est plainte de ce

que vous avez regardé chez elle". Nerval niant avoir regardé, Abdallah

répond: ":E;lIe vous a vu, elle, cela suffit."16

3) La perception extérieure de l'auteur-voyageur.

Le voyageur européen assume ainsi une double différence, celle de son

statut d'étranger et cel1e de son sexe: il sc trouve toujours à distance de la

femme orientale. Sans COITlpter que l'obstacle de la langue est infranchissable

ct que la communication, lorsqu'elle a lieu, passe par un interprète. Nerval a

recours à Madame Bonhomme pour converser avec l'esclave Zeynab et

[i')auhert commente avec ironie une situation peu propice à l'échange intime:

"Faire l'amour par interprète!"17, s'exclame-t-il, révélant ainsi la présence

incongrue de son drogman Joseph. Par conséquent, l'observation et la

description de la femme orientale ne peuvent se faire le plus souvent que

selon une perception extérieure limitée aux apparences et au comportement.

ComnH' l' expliq ue Fla u bort à Louise Colet, c'est une connaIssance

essentiellement sensorielle: "Je formulais seulement de la façon la plus

courte l'indispensable, c'est cl dire les sensations, non le rêve."18

B Désir de voir et "pouyoir voir",

Cependant, cette fonction de voir réc1all1e des justifications. Pour

Philippe Hamon, le voir d'un personnage "suppose un pouvoir voir [et] un

vouloir voir de ce personnage",19 destinés à assurer la vraisemblance des

Page 27: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

19

représentations. À cause même de la tradition orientale du secret, Icl:'

circonstances de l'observation des femlTIes doivent être explicitées. Pourquoi

et comm.ent la femme orientale a·t-elle pu être approchée?

Le désir de voir est tributaire d'un trait caractériel comme le désir de

s'instruire et la curiosité qui sont à l'origine même du départ. Ceg

motivations initiales, qui se spécifient en des nuances particulièreg, sont.

toutes dérivées de l'attrait qu'exerce l'exotisme oriental sur les voyageurs du

XIXe siècle, qu'il s'agisse d'un exotisme culturel, esthétique ou d'un désir

d'aventure. Mais tout autant que par l'objet de l'observation, le Msir de voir

est stÏInulé par la possibilité d'une transgression, malgré les risques qU'l'lie

comporte, de l'interdit qui entoure les femmes. "Qui oserait pénétrer dans ceH

forteresses du pouvoir marital et paternel, ou plutôt qui n'aurait la tentation

de l'oser?"20, se demande Nerval. Paradoxalement, le "vouloir voir" devient,lc

corollaire de l'impossibilité ou de la difficulté de voi r: autant par simple

voyeurisme que pour surprendre ce qui est habituellement hors de la vue des

voyageurs.

1) L'aspect temporel et spatial.

Toujours est-il que l'envie de voir reste elle-même dépendante des

conditions d'une bonne vision dont les éléments cssentiels sont les

circonstances temporelles et spatiales. Pour Nerval et Flaubert, l(l "pouvoir

voir" se confond avec l'éloge de la lenteur et de la patienl.!c. "Pourquoi passer

si vite?"21, se demande Nerval lorsqu'il déambule dans les rues du Caire

faisant allusion aux Européens frivoles "qui abandonnent Le Caire après huit

Page 28: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

20

jours."22 De même, Flaubert écrit à sa mère: "Nous voyageons lentement, ne

nous fatiguant pas, regardant avec de longues contemplations ce qui nous

passe sous le nez."23 Cette disponibilité temporelle concerne autant la durée

du séjour que celle du regard. Si Nerval décide de rester plus longtemps au

Caire, les opportunités de rencontres vont se multiplier. Et les longues

contemplations de Flaubert lui laissent le temps de mobiliser toutes les

ressources de l'oeil pour mieux voir ou, du moins, voir différemment des

autres. "Il y a en tout de l'inexploré"24, affirme-t-il.

L'aspect temporel du "pouvoir voir" n'est pas seulement défini par la

durée, mais à l'autre extrême, par l'instantanéité d'un moment privilégié,

comme lorsqu'une femme soulève un coin de voile ou révèle un détaïl

physique plus personnel. "Vous rencontrerez une femme dont la démarche,

dont la tai11e, dont la grâce, dont quelque chose qui se dérange dans le voile

ou dans la coiffure indique la jeunesse ou l'envie de paraître aimable."25 Ici,

c'est bien le caractère furtif de l'observation qui lui confère sa valeur. Cette

thématique justificatrice des circonstances temporelles de l'observation outre

qu'elle explicite les conditions d'un "pouvoir voir", introduit aussi, sur le plan

textuel, les pauses et les arrêts correspondant au temps de la description et

de la transmission de l'information. Selon Philippe Hamon, ces fractions de

secondes ou ces minutes "chiffrent à la fois une pause dans l'énoncé, un temps

de l'aventure, Inais aussi rythment et mesurent métaphoriquement un temps

de lecture."26

L'observation doit aussi être envisagée dans ses rapports avec

l'espace. Les déplacements et les visites, inhérents à l'essence même du

Page 29: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

21

voyage, diversifient les lieux de l'observation et déclenchent dl's possihili t.~8

nouvelles, Une précision géographique minutieuse n'ste la lTleil1cul'l' P"l'llV('

de la réalité d'une rencontre, Décl;vant une toute jeune proHtitu~l', ~'lallbel't

semble communiquer son adresse: "Dans la rue qui contil1l~l' Il' bazar ('n

suivant tout droit pour aller à Birr-Amber, passé l'épicil'r grec,"27 Mais

surtout les traits de spatialité définissent deux modes difTér('nts du "pouvoir

, " VOIr.

Un «pouvoir voir» qui fige le regardant à son poste d'obsprvation et

délimite un champ visuel précis, souvent un espace clos. Flaubert, enr('rm~

dans une chambre et assis dans un fauteuil, assiste à la dansl' dp \'alm~('

Kutchouk Hanem.28 Dans la salle du théâtre du Caire, Nerval a le loisir ck

contempler les coiffures et les toilettes des femmes débarrassées de leur voilt-.

L'observation s'achève lorsque le voyageur quitte les lieux ou lon;que la

femme sort du champ visuel: "À la sortie du théâtre, tout.es ces femmes Hi

richement parées avaient revêtu l'uniforme habbarah de tafTctas noir, couvert

leurs traits de borghot blanc et remontaient sur des ânes ,. "2!1 Divers

éléments de l'espace pratique de la vie des femmes, comme les baIeons, h's

jardins, les fenêtres avec leur grillage de bois, favorisent ce cadrage du champ

visuel en un plan fixe qui découpe une aire précise d'observation. "Les

femmes montaient dans la maison où elles quittaient leurs voiles ct J'on

n'apercevait plus que la forme vague, les couleurs et le rayonnement de leun;

costumes et de leurs bijoux à travers le treillis de bois tourné.":10

Dans d'autres cas, l'observation est dynamisée par le regard ambulant.

du voyageur qui, au fur et à mesure de sa promenade, SaIsit la réalité de Hon

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22

entourage en un enchaînement de tableaux animés. Ainsi Nerval errant dans

le dédale des rues du Caire observe les femmes dans "les bazars, les rues et

les jardins ... marchant seules à l'aventure, ou deux ensemble, ou

accompagnées d'un enfant."31 De même, Flaubert visitant ce qu'il appelle "le

quartier des garces" juxtapose une série de portraits de femmes "assises

devant leur porte sur des nattes ou debout."32 Le "pouvoir voir" réside alors

dans la mobilité d~l regardant qui découvre un espace ou un milieu neuf à

exp1orer.

2) Rôle du hasard.

Indépendamment des facteurs spatio-temporels, le fait même qu'il y

ait une rencontre avec les femmes nécessite une justification. Le hasard est

alors le plus souvent invoqué; le voyageur, grâce à un concours heureux de

circonstances, se trouve au bon endroit, au bon moment. Parce qu'il s'était

couché de bonne heure, Nerval a pu voir passer le cortège de la mariée sous

ses fenêtres. 33 Flaubert introduit plus directement le hasard avec des

notations circonstancielles. "Un jour nous rencontrons derrière l'hôtel

Orient une noce qui passe"34 ou "nous tombons tout à coup dans le quartier

des garces."35 Mais il arrive aussi que les rencontres soient arrangées par

des intermédiaires de toutes sortes qui constituent en Orient une classe

sociale à part, gravitant autour des voyageurs. Le drogman Abdallah de

Nerval, l'interprète Joseph de Flaubert, ainsi que le Juif Youssef ou Madame

Carlès appartiennent à cette catégorie de personnages-truchements qui

facilitent ou initient les rencontres. Nerval commence ses visites aux "filles à

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marier" grâce au Juif Youssef dont "les connaissances sur 1('8 quest.ions dl's

mariages"36 étaient très grandes. Abdallah lui sert de guide au marché dl'S

esclaves et Madame Carlès lui présente Salèma. Plus pl·osHlquellll'nt,

Flaubert visite les almées et les courtisanes de la Hautl' Ji~gyptl, avec l'aidl' dl'

Joseph qui est d'abord envoyé en éclaireur. "Il r('ntrc de la ville; il a été voir

une fille qui tiept des ... (avec le geste d'une citrouille) et qui sont comm(' ~~a ...

(en frappant sur la table où j'écris)" ,37 raconte Flaubert qui décide d'y alll'I"

après avoir écouté cette description.

3) Le déguisement.

L'accès à la femme orientale peut devenir difficile au point que le

recours au subterfuge du déguisement s'impose. Déjà expérimenté par de

nombreux voyageurs dont William Lane, le port du costume oripnlé.ll est un

moyen prudent de pénétrer au sein de la société musulmane.

"Heureusement, j'avais acheté un de ces manteaux de poil de chameau

nommés machlah qui couvrent un homme des épaules aux pieds; av('c ma

barbe déjà longue et un mouchoir tordu autour de la tête, le déguisement

était complet"38, écrit Nerval qui se transforme en personnage orienlul pour

se mêler à un cortège nuptial. Il est vrai que le déguisement rédUIt

provisoirement les différences et facilite l'intégration dans l'environnement.

social oriental. Mais surtout, le déguisement procure une griserie qui ouvre

la voie à toutes les audaces. Car changer de vêtement c'est un peu

changer de peau, renoncer à soi, devenir autre. D'où la satisfaction de Nerval

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24

d'avoir assisté à la noce et surtout "d'avoir figuré comme un véritable

habitant du Caire et [s]'être assez bien comporté à cette cérémonie."39

4) ''Le porte-regard".

Enfin, dans le cas où l'observation est tout à fait impossible, le

voyageur sera contraint d'exploiter le "pouvoir voir" d'un tiers, généralement

un personnage qui, par son statut ou sa compétence, est en mesure de rendre

compte de ses propres observations. Celui-ci joue alors le rôle de ce que

Philippe Hamon appelle le "porte-regard ou le porte-parole" du voyageur.

Nerval ne pouvait raisonnablement justifier une entrée, même clandestine,

dans un harem. Profitant de l'absence du vice-roi, il entreprend alors la visite

de son palais et des appartements des femmes en compagnie d'un cheikh

musulman. Grâce à un jeu de questions et de réponses, le cheikh révèle les

habitudes de la vie domestique du harem et rend visible ce qu'aucun

Européen ne pouvait voir. "Nous parcourions, causant ainsi, les sentiers

pavés de cailloux ovales .... Je voyais en idée les blanches cadines se

disperser dans les allées, traîner leurs babouches sur le pavé de mosaïque et

s'assembler dans les cabinets de verdure où de grands ifs se découpaient en

balustres et en arcades ... "40 "Pouvoir voir" et faire voir sont assumés ici

indirectemf.mt à travers les explication du cheikh musulman .

Page 33: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

25

C Inyentaire et classement.

L'observation établit donc le lien avec le monde et garantit la vérité de

l'information. Au niveau textuel elle prend cn chargc l'introduction et la

clôture des unités évoquant les rencontres féminines puisqu'clle explicite le

lieu, le moment et les circonstances de ces rencontres. Mais est-cc que

l'observation présente une simple copie du réel? Est-ce qu'elle transcrit., selon

les expressions de Nerval et de Flaubert, "naïvement ct simplement" un

répertoire des femmes vues? Ou est-ce que l'observation choisit et contrôIl'

une typologie féminine suffisamment significative et pertinente au niveau de

l'information? Autrement dit, est-ce que l'inventaire des figures féminines est

associé à une forme de classement?

Dans la perspective d'un inventaire de toutes les rencontres

féminines, la liste déclinée ne serait réglementée par aucun ordonnancement.

si ce n'est l'axe chronologique du déroulement du voyage. Chaque figure

féminine constituerait dans son entité une unité informative autonome. Mais

en réalité, dans la richesse confuse de l'univers féminin oriental qui s'offre ù

la représentation, le regard du voyageur est plutôt attiré par certains détails

porteurs d'un sens précis et sûr. Flaubert écrit à propos d'un groupe de

femmes: "Elles ont des vêtements bleu ciel, jaune vif, rose rouge; tout cela

tranche sur la couleur des peaux."41 Il ne retient ici de l'apparence de ces

femmes que les détails producteurs de deux informations distinctes: la

couleur des vêtements et la variété raciale. Comme Flaubert l'explique lui-

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26

même, en Orient, "le détail vous saisit, il vous empoigne, il vous pince et, plus

il vous occupe, moins vous saisissez l'ensemble. Puis, peu à peu, cela

s'harmonise et se place soi-même avec toutes les exigences de la

perspective."42 De même, Nerval combine dans son ouvrage ce que Pichois

appelle les deux formes des "impressions de voyage [et du] roman-voyage", 43

la première privilégiant plutôt les détails de scènes prises sur le vif.

Par conséquent, pour satisfaire à son projet informatif, l'auteur­

voyageur va tâcher d'accumuler un ensemble raisonnablement saturé de

détails producteurs d'informations sur la femme orientale. Ces détails

ordonnés selon un certain nombre de variables vont constituer un système où

viennent s'insérer les femmes qui illustrent le mieux telle ou telle de ces

nécessités informatives. D'ailleurs Nerval et Flaubert posent presque la

même grille, construisent le même réseau de renseignements en incorporant

par exemple des scènes de noces, de danses des almées, de marchés

d'esclaves, de rencontres à la fontaine. Tous deux citent les mesures d'exil

des danseuses du Caire prises par Abbas Pacha et l'épisode de la femme

européenne convertie par son mariage à l'Islam.

D Valeur de l'informatiop.

On devine bien quelle est la finalité profonde de ce mode d'inventaire

ct de classement qui fragmente la femme en des unités significatives variées.

Outre qu'il évite les répétitions qu'aurait entraîné une énumération

purement chronologique, il a le mérite de concentrer le sens, de l'épurer de

Page 35: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

27

façon à faire passer l'information du banal à l'original. En effet., ce qui

compte dans ce système est l'information différente, le détail supplémentaire

que peut apporter chaque femme par rapport au fond bunal de leurs

caractéristiques communes. La valeur de l'information n'est pas tant sa

fréquence que le sens nouveau et donc plus fort qu'elle acquiert ainsi.

D'où l'insistance des auteurs voyageurs sur le caractère rare ou

exceptionnel de certaines de leurs observations. 11 est vrai que cc côtü

inattendu des récits de voyage cor:-espond aux attenLc,;:i des lecteurs. Le

voyageur, en transmettant ses découvertes, se pose en observateur aver·ti qui

diffuse un savoir appris lors du voyage. Et le lecteur qui voyage assis dans

son fauteuil se trouve dans la situation de l'élève qui souhaite recevoir un

savoir nouveau ou, tout au moins, des détails qu'il identifierait comme

nouveaux ou différents de son propre mode de vie. Or l'Orient a perdu son

originalité première bien avant les visites de Nerval ct de Flaubert. ".Je n'ai

pas entrepris de peindre Constantinople; ses palais, ses mosquées, ses bains

et ses rivages ont été tant de fois décrits; j'ai voulu seulement donner l'idée

d'une promenade à travers ses rues et ses p~aces à l'époque des principales

fêtes"44, précise Nerval qui prépare ainsi un nouvel horizon d'aUente pour le

lecteur. Au lieu de l'inédit, il va lui présenter un éclairage différent, une

dimension nouvelle ou un détail insolite, cet "inexploré" dont parle J·'lauberl.

Au marché des esclaves, Nerval, ému par les plaintes ct les pleurs d'une

femme, est détrompé pur son drogman qui lui explique, à sa grande surprise,

que le chagrin ~xprime la crainte de perdre un maître ou de ne pas en

Page 36: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

28

trouver. "J'étais encore tout rempli des préjugés de l'Europe et je n'apprenais

pas ces détails sans quelque surprise"45, dit-il.

Cette approche de l'univers féminin oriental qui part du détail, de

1'unité informative, pour représenter l'ensemble, renforce la valeur didactique

de l'information; mais eHe est peut-être aussi un moyen de maîtriser la

réalité multiple et plurielle de l'Orient. Diviser, fragmenter et disperser ses

composantes permet de saisir et de dominer séparément chacun de ses

aspects. Edward Said considère cette difficulté à absorber l'Orient dans sa

globalité comme "une difficult.é épistémologique"46 que l'Occident a tâché de

résoudre par la science de l'orientalisme qui, elle-même, se sous-spécialise

pour pouvoir étudier un Orient fragmenté et classifié selon des disciplines

variées telles que la géographie, l'histoire, la linguistique, l'anthropologie, la

numismatique .

Page 37: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

NOTES

1. Flaubert, Gustave, COl'resJ)ondanç('g 'l'. l, Bihiiothl'qlll' dt' la Pkmdl" Gallimard, Paris, 1973, p. 225 à 22(j. Cl'st nous qui ::;otdignon::;.

2. Foucault, Michel, Les mots ('t, les ChOSl'S, Caillmard, Pari::; l~)(l(;. p. 1,1~.

3 Nerval, Gérard de, Voyage cn Ot·il'tlt. op. cil .. p 4:3!l (C·t.'st. nous qUI soulignons).

4. Pichois, Claude, dans la "NotIel''' au Voya~p {'Il 01 Il'U1. D12L..!.'!.L. p. t:n7.

5 Flaubert, Gustavc, Voyagl' (ln l·~gyptl'. {;ra:-;~l'I. Pans. 1 ~)~) 1 A \;, P:ll~(' 327, Flaubcrt éent: "Rônl'xion: I('s ü'mplps PgVptll'IlS 1I1't·Ill!lt·t('1I1 profondément"

6. Flaubert, Gustave, COl'respondancl's, T. 1. op. Clt., Il 70,1.

7. Nerval, Gérard de, Voyage en Oripnl, op. t.:it., p. :311.

8 Flaubert, Gustave, Not,('s de voyage en Oripnl, dans OPlIVI'('S COJllpJ(:tl,,\S, Seuil, Paris, 1964, T. TI, p. 625.

9. Flaubert, Gustave, Voyage ('11 Egyp{,e, op. cit. , p. ~H(j.

10. Nerval, Gérard de, Voyag(' en Ot;l'l1t, op. dL, p. 440.

11. Ibid .. p. 441.

12. 1..J;;lliL p. 372.

13. Ibid .. p. 289.

14. Ibid .. p. 566.

15. Ibid .. p. 566.

16. Ibid .. p. :310.

17. Flaubert, Gustave, Voyage en I·~gyptc. op. ciL p. 1~)H.

18. Flaubert, Gustave, Correspondanceti, T. I, op. cit.. p. 19H .

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30

19 Hamon, Philippe, Introduction à l'analyse du descriptif, Hachette, Paris, 1981, p. ] 86.

20 Nerval, Gérard de, Voya~e en Orient. op. cit.. p. 472.

21. l.1:illL... p. 260.

22 .I..b.U;L p. 260.

23 Flaubert, Gustave, Correspondances, T. l, op. cit.. p. 598.

24. Flaubert, Gustave, "Lettre à Maupassant", citée par René Dumesnil dans Gustave Flaubert. l'homme et l'oeuvre, p. 418.

25 Nerval, Gérard de, Voyage (ln Orient. op. cit.. p. 285.

26 Hamon, Philippe, op. cit., p. 191.

27 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit.. p. 271.

28 Ibid., p. 2R3.

2B Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit.. p. 328.

:w Ibid., p. 265.

:n. Ihid., p. 2fiO.

:12 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit., p. 271.

3:t Nerval, Gérard de, Voyage en Ql;ent, op. cit., p. 263.

31. Flauhert, Gustave, Voyage en Egypte, op. ciL p. 194. (C'est nous qui soulignons.)

an . .!!llil., p. 270. (C'est nous qui soulignons.)

:J6. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit.. p.293.

:17 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit.. p. 263.

as. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit.. p. 360.

:19 lhld., p. :361.

4 {). llllilo p. :37 0 .

41 Flaubc'l't, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit.. p. 271.

Page 39: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

42. Flaubert, Gustave, Correspondances. T. I, op. cit" p. 5():3.

43. Pichois, Claude, dans la "Notice" au Voyage en Orirnt. op. ciL, p. 13H 1.

44. Nerval, Gérard de, Voya~e en Orient, op. cit.. p. 788.

45. Ibid., p. 316.

46. Said, Edward, L'Orientalisme. l'Orient créé par l'Occidf.'nt. Seuil, Pm·jR, 1980, p. 217 .

Page 40: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

CHAPITRE II

LES TECHNIQUES DESCRIPI'IVES

A L'oruanisation de l'information,

Comment se présentent, dans ces deux récits de voyage, les relations

spécifiques de l'observation et de la description? Selon quel processus la

description transcrit-elle l'information fournie par l'observation? Autrement

dit, et pour poser le problème dans une perspective beaucoup plus large,

comment un objet réel peut-il être converti en langage? D'après Michel

Foucault, "la structure, en limitant et filtrant le visible, lui permet de se

transcrire dans le langage."l La participation d'une volonté sélective au

service de l'observation permet donc la délimitation des unités informatives.

La description ne se veut plus alors une simple compilation de notations

hétéroclites, mais au contraire un instrument d'ordre et de structuration.

Pour représenter la femme orientale, elle va solliciter divers systèmes de

catégorisation et d'organisation en vue d'augmenter la cohérence et

l'intelligibilité de l'information transmise.

1) Le choix des niveaux de perception.

L'observation, au lieu d'appréhender le réel dans la totalité et la

simultanéité de ses différents niveaux de perception, s'arrête à un niveau

Page 41: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

choisi, celui justement où l'intelligibilité du message il transmettre Cf~t. la

meilleure. Le coup d'oeil de l'auteur-voyageur traduit alors une dl;cisioll qu'il

impose au niveau de l'écriture. Lorsque Flaubert. écrit: "Deux HutreH

femmes: la première, à ne:r. fort, droit, accroupie à gauche - la dl'llxil'Il11'.

petite, noire, assez jolie de profil ... "2, il révèle un choix qu'il fixe dans la

description de quelques traits précis avec leurs prédicat.s: au lll'Z (fort. ct.

droit), à la position (accroupie) pour la première femme; ù la couleur (1101n-).

à la taille (petite) et au profil (joli) en ce qui concerne la deUX1ènll'. La

cohérence descriptive s'acquiert ainsi par une réduction des possil)1lit.~:;;

infinies offertes par le champ visuel au profit de la force informative.

2) Fragmentation du visible et exhaustivité.

Lorsque l'observation se fragmente et sc focalise sur les détails, "1('

référent à décrire est considéré comme une surface, comme un espace

rationalisé-rationalisable, articulé, découpé, segment.é, grillé" /1 expliqu('

Philippe Hamon. La femme orientale est ainsi soumise il une décomposit.ion

des différents aspects de son apparence. Cette décomposlt.101l pst.

nécessairement suivie d'une mise en série de ses diflërents éléments pour

servir la linéarité du langage. D'où ce que Hamon appel1e "un effet de Iist.e".<1

Flaubert présentf! ainsi KU\chouk Hanem, l'almée rencont.rée en Haute

Egypte:

Kutchouk Hanem est une grande et splendide créature -

plus blanche qu'une Arabe - elle est de Dama,> - sa pC'au,

surtout son corps, est un peu cafetée-quand elle s'asseoil cIe

côté, elle a des bourrelets de bronze sur les flancs-ses yeux sont

noirs et démesurés, ses sourcils noirs, ses nannes fendues,

Page 42: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

larges épaules solides, sems abondants, pomme- elle portait un

tarbouch large, garni au sommet d'un disque bombé en or au

milieu duquel étaIt une pierre verte imitant l'émeraude- le

gland bleu de son tarbouch était étalé en éventail, descendait

et lui caressait les épaules- devant le bord du tarbouch, posé

sur les cheveux et allant d'une oreille à l'autre, elle avait une

petite branche de fleurs blanches, factices.5

34

Flaubert évoque les charmes physiques de Kvf:.houk Ranem dans

l'ordre traditionnel du "blason" qui va du visage vers le corps. Cette mise en

place stimule une tendance à l'exhaustivité, un désir d'épuiser l'information

par un balayage aussi systématique que possible du champ visuel.

Cependant, ici deux "listes" sont convoquées dans un agencement combiné:

une liste des attributs physiques (les yeux, le sourcil, les narines, les épaules,

les seins) et une liste des composantes de la toilette (le tarbouch, le gland, les

bandeaux, les bijoux). Ces deux listes correspondent justement aux deux

variables principaks qui vont définir la femme orientale. D'abord le

phénotype racial qui commande la description des traits physiques et qui est

le critère de référence privilégié des voyageurs. C'est pour cette raison que

Flaubert, dérogeant une seule fois à l'ordre du blason, révèle en premier la

couleur de la peau et l'origine damascène de la jeune femme (une couleur de

peau à mi-chemin du noir exotiqüe et de la blancheur, conforme aux canons

de la beauté européenne). Puis, le costume des femmes avec les sous-

variables que sont la coiffure et les bijoux servent d'axes directeurs aux

portraits de la plupart des femmes .

Page 43: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Selon ce même procédé Nerval fait le portrait de 1'L'::;clavL' :l.l\ynab.

mais cette fois "le dépli de la liste" comporte deux étapl'::;. Lors de la prL'mil'l'l'

rencontre au marché des esclaves, les niveaux dl\ perception auxqul'Is s'arl'l'(e

le regard de Nerval; "J'oeil en amande, la pallpiè>re obhqlll', ll's clH'Vl\llX

d'acajou et la carnation jaune"6 sont les unités Rignificat.Jvcs dL' la l'a ct'

javanaise et les facteurs qui motivent son choix. Dans la gl'il1p dt's variablt's

définissant la femme orientale, seule la case "origine racIHle" l'st l'pmplip.

Mais plus tard, Nerval va poursuivre le portrait physique de Zpynah ('Il

reprenant l'ordre traditionnel du blason, seulement dans Ull(' optHllH'

inversée. Au lieu de louer les charmes de la femme, il va la d6mystifier (In

pointant les défauts.

Seulement je vis avec peine que cette pauvre fille avait sous

le bandeau rouge qui ceignait son front Ulle plllcP brülf>f'

grande comme un écu de six livres il partir dps prl'IllIPrS

cheveux. On voyait sur sa pOltrme une autre brûlure cl(' mi'm('

forme, et sur ces deux marques un tatouage qUI rpprr"l'lltalt

une sorte de soleil. Le menton étUlt aussi Latouf' {'n fer dp

lance, et la narine gauche percée de manière il recevOIr un

anneau. Quant aux cheveux, Ils étaient rognés par-devant il

partir des tempes et autour du front et, saufla partie brûlée,

ils tombaient ainsi jusqu'aux sourcils qu'une lIgne noire

proloOlgeait et réunissait selon la coutume Quant aux bra ... el

aux pieds temts de couleur orange, Je savais que c'<'lmt l'em't

d'une préparation de henné qui ne laissait aucune marque au

bout de quelques jours 7

Page 44: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

36

Une seule liste est déclinée, celle des caractéristiques physiques; par

conséquent, seule la variable du phénotype racial est complétée.

L'exhaustivité est ici au service d'une intention négative; le discours

descriptif fragmenté, territorialisé, ne s'arrête sur des espaces précis du

visage et du corps que pour mieux révéler les aspects décevants de l'exotisme

oriental.

3) Plans et cadrages.

Ces portraits de femmes qui suivent un énoncé linéaire ordonné

autour d'une ou plusieurs variables exigent un cadrage en plan fixe et

impliquent de la part du regardant une posture figée de spectateur, le temps

d'épuiser l'information fournie par les paradigmes descriptifs choisis. Il est

évident que cette technique s'applique généralement aux figures féminines de

premier plan, celles dont le rôle narratif est plus grand, - comme l'almée

Kutchouk Ranem de Flaubert ou l'esclave Zeynab achetée par Nerval- ou

cel1es qui représentent un message informatif important comme les quatre

portraits que fait Nerval à Constantinople "de quatre belles personnes qui,

par un hasard pittoresque ou un choix particulier, se trouvaient présenter

chacune un type oriental distinct". 8

Cependant, la fragmentation du visible, au lieu de s'organiser par

accumulation à l'intérieur de classes homogènes (le phénotype racial ou la

toilette) peut se distrlbuer selon des grilles de classifications variées, définies

par un aspect particulier de la variable toilette, par exemple. Alors qu'il

assiste au spectacle du théâtre du Caire, Nerval intervient personnellement

Page 45: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

pour signaler le critère précis, producteur d'information, qui n~git sa

description; "c'est la coiffure seule qui distingue les raccs; le costUllH' cst il

peu près le même pour toutes les autres partics".9 Ll'~ unités ll1r()l"ll\at.ivl'~

sont déjà pré-découpées par une pratique sociale sur laquel1p s'art.ieull' la

description. Les coiffures sont catégorisées en fonction de la divl'I"Sl t.{,

ethnique des femmes présentes dans la salle, les Grecques, ll's Arml'nil'fl11l'H.

les Juives.

On distinguait les Grecques au taktItos dt' drap rougp

festonné d'or qu'elles porlent lnclmé ,;ur l'ol"l,tllp, Ip~

Arméniennes, aux châles et aux gazillons qu'('IIP~ pnln'm[,lplü

pour se faire d'énormes coiffures Les JUives marl('('~, IH'

pouvant scion les prescription" rabhllllque<" lal<,~er vOIr Ipllr

chevelure, ont, à la place, des plumps dt' coq roul{>{·~ qUI

garnissent les tempes et figurent des touffes de chf'vCUX \0

La fragmentation du visible naît ici du parcours panoramique du regard qui

sectionne les unités significatives et les représente selon une organisation

descriptive très proche de la technique ci nématographique, par unü

succession de gros plans qui transmettent l'information.

Le parcours panoramique du regard peut aussi être assumé par un

regardant ambulant. Flaubert se promenant dans les rues, identifie les

femmes par quelques détails flagrants.

Femmes grosses en bleu, yeux noirs enfoncés, menton carré,

petites mains, les sourcils très peinl&, mr aImable

Petite fille à cheveux crépus descendant ~ur le front,

Page 46: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

marquée légèrement de petite vérole.- Une autre était vêtue

d'un habbar de Syrie bariolé.ll

38

Ce mode de description correspond souvent aux rencontres éphémères

et fortui tes, lorsque des personnages mobiles viennent traverser l'espace ou

lorsque le voyageur croise, au hasard de ses déplacements, des silhouettes de

femmes anonymes qu'il ne reverra plus. Mais ces grilles de classifications ne

sont pas rigides et leurs éléments permutables se recomposent entre eux pour

créer des réseaux enchevêtrés, imitant la complexité de l'univers féminin

oriental. Si toute description, selon Hamon, est le lieu de l'étalage d'un luxe,

ici la richesse n'est pas seulement d'ordre lexical, mais thématise le

foisonnement et la multiplicité orientale.

B Le déchiffrage de l'information,

L'intelligibilité de l'information n'est pas toujours évidente et

saisissable au premier coup d'oeil. Elle peut se présenter d'une manière

latente et ambiguë et nécessiter un effort de déchiffrage. À ce moment, la

femme orientale n'est plus "une mosaïque de territoires, de champs et de

discours à parcourir, mais considérée comme constituée de deux (ou

plusieurs) niveaux superposés qu'il faut traverser en allant du plus explicite

au moins explicite" .12 Il s'agit d'établir des rapports d'indication entre les

éléments visibles, matériels, concrets et ceux invisibles et immatériels, afin

de révéler les corrélations possibles entre les vêtements, les gestes, le

comportement d'une part et les traits sociaux ou caractériels d'autre part. La

Page 47: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

39

démarche demeure toujours informative puisqu'elle cherche à découvl;r une

réalité moins apparente mais suffisamment motivée.

1) Les corrélations directes et causales.

Cette relation entre le visible et l'invisible peut être directe et causale

lorsque Nerval et Flaubert donnent un sens anthropologique aux descriptions

des femmes. Les traits physiques sont alors associés au climat et à un ct'rtalll

mode de vie. Dans les souks couverts du Caire où les prOIlll'lll'\II"S sOlll

protégés des ardeurs du soleil, Nerval s'exclame: "Ccci (~xpliquc la blancheur

mate qu'un grand nombre de femmes conservent sous leur voile".I:\ :' Ion;

qu'au Liban "l'air vivifiant de la montagne et l'habitude du travail colof(-nt

fortement les lèvres et les joues" .14

Ailleurs, la différenciation vestimentaire appelle une diflërenciatioll

sociale: "Les grandes dam')s voilent leur taille sous le habbarah de tafletas

léger, tandis que les femmes du peuple se drapent gracieusement dans une

simple tunique bleue de laine et de cotOl ·15 ou un statut marital précis, ''l'UlH'

d'elle portait le tantour, ce qui indiquait sa condition d'épouse ou dc veuvc" .l l i

Le comportement des femmes peut aussi révéler des usagcs sociaux

bien établis - comme l'hospitalité des femmes de la montagne libanaisc - ou

une actualité politique récente. "La rrriestine avait une peur violcnte dc la

police, et qu'on ne fit du bruit chez e11e",17 écrit Flaubert, faisant allusion à

l'interdiction de danser dans les maisons publiques décidée par Abbas Pacha.

Ces types de relations causales incluent la femme orientale dans une

catégorie générale, une classe sociale, une collectivité précise. }1~lles renvoient

Page 48: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

40

à des lois et à des comportements de groupe, elles qualifient lil milieu, celui

des femmes de la classe supérieure ou celui des prostituées, celui des femmes

de la montagne ou des citadines, les veuves ou les mariées.

2) Les corrélations implicites ou caractérielles.

Il arrive aussi que certains signes vestimentaires ou gestuelles soient

symptomatiques d'une réalité plus subtile et plus personnelle. Ce rapport est

parfois mis en évidence et modalisé par l'auteur-voyageur lui-même qui prend

en charge de commenter l'analogie existant entre le geste et son implication.

F'laubert écrit à propos d'une toute jeune prostituée rencontrée en Egypte:

"geste de chatte triant les piastres dans ma main ... - elle me montre ses

bagues, son bracelet, ses boucles d'oreilles - avidité excessive".18 La femme

est ainsi réduite à un détail d'attitude qui devient le signe révélateur d'un

trait caractériel interprété par le voyageur. De la même façon, Nerval

explique la tristesse de la princesse druze Salèma; "ll me sembla que la jeune

fille druze jetait un regard assez triste sur ces ornements qui n'étaient plus

faits pour sa fortune".19

Dans d'autres cas, le message informat.if reste entièrement iInplicite

et ne transparaît que grâce à une compétence descriptive qui réussit à

évoquer une réalité à travers une autre. Ainsi, une sensualité diffuse se

dégage de la description de Hadély, une des femmes rencontrées par Flaubert

chez la Triestine au Caire .

Page 49: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

J'ai pris Hadély (la seconde), ('lIl' Il paSSt' dl'vanl mOI

portant un flambeau ft la mam " Sl'S chalouars Hmplt-'s

traînaient par terre et ses sandales claquHwnt sous ~l\S pH'ds il

chaque pas" brUIt d'l'toffe et de vent" froufrou doux par tprn' "

les piastres d'or d(' sa ch('ve)ure, en liglw au bout d(' fils ,1('

soie, bruissaIent - c'était un bruit chur et Jpnt " h' clair dt' JUIll'

passait par la fenêtre .. 20

Nous retrouvons une description équivalente chez Nerval:

De belles mains ornées de bagu(''i taltsmaniqucs l't dl'

bracelets d'argent, qu('lqucfOls des brns de marbre pl1)('

s'échappant tout entiers de leurs larges manche" rc)pvè('s au"

dessus de l'épaule, des plCds nus chargés d'anneaux quI' la

babouche abandonne à chaque pas, ct dont l('s chcvdl('H

résonnent d'un bruit argentin 21

41

Les bijoux ("bagues, bracel<,ts / piastres d'or"), le rythme et la cadenct'

de la démarche ("pied que la babouche abandonne à chaque pas / s<lndalt'H qui

claquaient sous les pieds à chaque pas"), les impressions auchtivcs ("brUIt

argentin / bruit clair et lent"), l'ampleur des vêtements ("larges manches 1

chalouars amples") sont les caractéristiques communes qui prouvpnt que la

sensualité de la femme orientale se dégage de sa façon de s'hahIller et de

marcher.

3) Le visible, le dévoilé, le surpris.

Cette technique descriptive qui cherche à rendre intelligihle

l'information implicite s'apparente à une quête d'identité et correspond ü une

volonté de découvrir, mais aussi de surprendre, de dévoiler. Ôter les masqueH

Page 50: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

42

et dévoiler sont, dans le contexte oriental, des actions à valeur concrète

autant que métaphorique. Aussi Nerval contemple-t-il avec insistance les

faces masquées des femmes dans l'espoir qu'une ouverture ou une fente, aussi

petites soient-elle, puissent lui révéler un détail physique ou vestimentaire

qui deviendrait l'indice d'une vérité cachée. Tour à tour, il exploite

"l'éclaircie"22 qui se manifeste entre le voile et le masque et qui laisse voir

"une tempe gracieuse" [ou] "une oreille petite et ferme"23, ou scrute l'effet

individualisant de certains bijoux, bagues ou bracelets, qui pourraient

témoif.,'ller d'un désir de séduction. "Voilà ce qu'il est permis d'admirer, de

deviner, de surprendre",24 écrit-il, énumérant les étapes d'une démarche qui

permettrait de franchir la barrière que constitue le voile.

C Extériorjté de la représentation et tbéâtralisatioQ.

Il reste que ces descriptions qui tendent à saisir uniquement les

détails réels diffusent un sens et une information qui n'appartiennent pas

toujours en propre à l'objet décrit. Au contraire, il seJl1ble qu'elles

maintiennent plutôt la femme orientale dans une situation d'inertie dans la

mesure où elle n'existe et ne reçoit de signification qu'à travers un support

matériel (ses habits, ses bijoux), ou une circonstance sociale (un mariage, un

veuvage), ou une caractéristique physique (sa couleur de peau ou sa

démarche).

Cette vision de la femme orientale, définie par son extériorité et

représentée par son apparence, correspond d'ailleurs, selon les conceptions de

Page 51: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Nerval et de Flaubert. à un aspect dl' sa n'alité, Invit6 Ù dilWI' clwz un l'Illll'

du Liban, Nerval remarque "dl'llX fl'm1l1l'~ t l'l'~ pan'l'~ a~~i~l's ~lll' h' dIvan .. ,

qui continuèrent pendant le n'pa::> il pO~l'l' sur l't'st l'a(k COIllIlll' dl'~ 1</0/1''';'' ~';l

Quant à Flaubert, il écrit ù pl'OpO~ dl' la fl'Jl1Illl' ont'nialt' dan~ lllH' Il,ttn' ;'1

Louise Colet: "Fumel', allt'r au ham. :-;l' lwmdn' k~ paUpIl'l'l':-' l't, bOl 1'(' dll t'afi.',

tel est le cercle d'occupation où tourne t'on l'xiStl'IH'('" ,~~t;

À se vouloir un pur regard, ù mainteni r l'et tp dl~t:l1H'l' vi~-ù-vIS dl' la

femme représentée, It' voyagt'ul' rt~qlH' dt' ~(' cOlllpllllll' dall~ lllH'

théâtralisation du réel. li~t. effeclivl'Il1l'I1t la notlOll dl' ~11l'rt:H'I(' ('~t :-,oIlVl'1l1

associée à ces représentatIOns de figures ()ri('ntalt'~ "1,'h:lIut I1Iv:-.I(·1 \('11 X d('~

femmes donne à la foule qui remplit les l'ues l'aspl'ct. d'un hal masqllP" ,~'7 l'l'nt.

Nerval. Le bal masqué, comme le théùtre, créent dps idpnliU's al'lifici(,lIps ('1.

provisoires, réfugiées dans la pUl'e appal'l'llCl', Dt' la mi'lIl<' f:I~'()Il, I(,s 1001('1I.('s

surchargées, le maquillage ct le masque dl'S f('lllllll':-' onl'lll a 1(,:-, l'Ill l'l'I \l'II!Il'nt.

l'ambiguïté, les réduisant à l'état "d'id()ll'~" qU(' k pl'Oc(':-':-'U:-' dl':-'l'Ilpi If' Il'!HI (1

renforcer, En cf Cet, un spectacle sollicit.e la VIW, :-'ll \'IOll 1 p;!\' Il' Il'11 c1I'S

couleurs et du mouvement. La bigal'run~ des fiHtll':-' f(.Il1I1IIJ\(,~, 1(,:-, IOllaltll's

contrastantes des couleurs de peaux, le~ actlvltl's d(' délJ]:-'I':-' 1'1, "Ioulps {'('S

allures indécises que prend au bal de l'Op('ra un dOllllJlo qlll V('1l1 ~('dUU'I,"L'H

sont les éléments privilégiés des descriptions, '·'ace a la Scl~n{' oril'Ilta 1(., 1<'

voyageur, souvent, se complaît dans la position de spectatpur .

Page 52: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

44

o Fonction didactique et fopction d'emphase.

Si "les lie11s du descriptif avec le didactique et le pédagogique sont

certainement, historiquement et structurellement privilégiés",29 la fonction

de connaissance est aussi liée au voyage qui est lui-même un phénomène

d'initiation et d'expérimentation d'une réalité nouvelle. La description

devient alors un moyen de faire passer un savoir, du plus informé au moins

informé; elle confère au texte une autorité qui atteste de la vérité de

l'information. L'exactitude descriptive étant entendue comme une absence de

fiction, la description devient la preuve de la réalité de l'observation. Plus

particulièrement, elle constitue une ouverture sur un monde féminin secret et

inconnu, ce qui lui donne ici presque le pouvoir mystérieux des textes

initiatiques ou magiques. D'ailleurs, Nerval lui-même nous suggère cette

direction de sa relation de voyage lorsqu'il prend pour modèle "les initiés

antiques"30 et leur démarche de connaissance par la patience.

Mais cette fonction àidactique est aussi une fonction d'emphase. La

femme orientale décrite est fragmentée, morcelée; sa représentation est le

résultat d'un choix, mais aussi d'une série d'amputations. Certains éléments

sont mis en relief parce ql.lC d'autres sont irrémédiablement voués à l'oubli.

Ainsi, lorsque Flaubert écrit:

Saleté des femmes de Korosko: elles se graissent les

cheveux avec de la graisse de mouton qu'elles délaissent dans

leur bouche-leurs mèches en sont collées de manière à ne

pouvoir reconnaître que ce soient des cheveux,31

----------

Page 53: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

45

il ne représente pas nécessairement l'essentiel par rapport à l'accessoire. Il

révèle un choix qui est ici d'ordre social, mais qui est ailleurs d'ordre-

esthétique.

Petite fille rousse, large front, grands yeux, nez un peu

épaté et reniflant; une autre enfant brune, à profil droit,

sourcils noirs magnifiques, bouche pincée. Quel charmant

groupe un peintre eût fait avec ces deux têtes et le paysage

alentour. 32

On voit ici que parfois la représent.ation dépasse les prérogatives de

l'observation et de la simple transmission du savoir. Elle place la femme

dans un système de comparaisons et d'oppositions virtuelles qui aboutit à une

forme d'évaluation .

Page 54: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

46

NOTES

1. Foucault, Michel, op. cit., p. 147.

2. Flaubert, Gustave, Yoya~e en E~ypte, op. cit .. p. 294.

3. Hamon, Philippe, op. cit., p. 61.

4. Thid.., p. 55.

5 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. dt., p. 282. (C'est nous qui soulignons)

6 Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit., p. 341.

7. Ibid., p. 348. (C'est nous qui soulignons)

8. Ibid., p. 631.

9. Ibid., p. 328.

10. Ibid., p. 328.

11. Flaubert, Gustave, Voyage en E~ypte, op. cit., p. 27l.

12. Hamon, Philippe, op. cit., p. 63.

13. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit., p. 287.

14. Thid., p. 487.

15 Ibid., p. 261.

16 Thid., p. 486.

17. Flaubert, Gustave, Voyage en E~pte, op. cit., p. 196.

18. Ibid., p. 268.

1!) Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit., p. 516.

20. Flaubert, Gustave, Voyage en E~ypte, op. cit., p. 197 .

Page 55: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

21. Nerval, Gérard de, Voya~e en Orient, op. clt., p.261.

22. 1hi.d., p. 261.

23. 1hi.d., p. 261.

24. 1hi.d., p. 261.

25. Ihid., p. 490. C'est nous qui soulignons.

26. Flaubert, GusT,ave, Correspondances, T. Il, op. cit., p. 283 ct 284.

27. Nerval, Gérard de, Voya~e en Orient, op. clt., p.261.

28. 1hi.d., p. 287.

29. Hamon, Philippe, op. cit., p. 53.

30. Nerval, Gérard de, VQya~e en Orient, op. clt., p.260.

31. Flaubert, Gustave, Voyaee en ElOOlte, op. cit., p.307 à 308.

32 Flaubert, Gustave, Notes de voya~e en Orienj" op. cit., p. 600 .

47

Page 56: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

CHAPITRE III

LA CONFORMITÉ CONVENTIONNELLE

A RelatioQs iptertextuelles et vraisemblance,

L'objectivité étant l'intention avouée des récits de voyage, on pourrait

se demander dans quelle mesure l'exactitude, la fidélité à une réalité

observée permet-elle d'atteindre cette "humble vérité"l dont parle Nerval. En

d'autres termes, est-ce que les descriptions des femmes orientales établissent

avec leurs référents ce que Todorov appelle "une relation de vérité",2 qui leur

donnerait la valeur d'un document historique ou scientifique? Or au niveau

textuel tout est re-présentation, grâce à la langue elle-même qui, pour

expliquer, indiquer, suggérer, met en oeuvre, comme nous l'avons vu, de

nombreux procédés créés et consacrés par le temps, l'usage et les institutions.

Par conséquent, la force, l'efficacité, la vérité apparente de tout écrit sur

l'Orient et sur la femme orientale repose autant sur les relations que les

systèmes descriptifs entretiennent avec d'autres mots, d'autres textes,

d'autres descriptions -donc avec le discours littéraire- que sur celles qu'ils

cn trctienncnt avec leurs modèles vivants .

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49

Ces relations intertextuelles apportent aux descriptions dl's "qualitl."~

de vraisemblance" distinctes des qualités de rigoureuse v6ritl~. "Le

vraisemblable pris dans ce sens désigne la relation de l'oeuvre av pc h.'

discours littéraire",3 écrit Todorov. Pour lui, un texte liu'(-raire produit

l'illusion du réalisme grâce à sa conformité à deux typ<,s de nOI"1lH'H

complémentaires. En premier lieu, la vraisemblance sc dl."finit par

l'appartenance de l'oeuvre à un genre littéraire ct le respect dl's tradItions pt

des règles de ce genre, comme celles du récit de voyage dans le cas dl' n()~

deux textes. En deuxième lieu, le vraisemblable ne doit pas c()ntn~dire Cl' quP

les lecteurs croient vrai, c'est à dire l'opinion commune qui est clic-même un

discours tiers extérieur à l'oeuvre.

B Le genre du récit de yoyage.

Si, au XIXe siècle, le récit de voyage refuse les contraintes sur le plan

formel, pour emprunter les techniques variées du dialogue, du journal, des

impressions de voyage, il se présente toujours, selon une tradition commencée

par Hérodote, poursuivie par Marco Polo et par les "tableaux raiRonné:;" de

Volney, comme une source d'information. Il est "une description, ct une

dissertation, liées à l'exploration, à la cartographie et à la géographie, il

l'histoire, à l'archéologie, à la linguistique, à l'ethnologie naissante",4 écrit

Pichois. Le récit de voyage devient donc nécessairement le lieu de la

démonstration d'un savoir. Un savoir acquis au cours du voyage bien sûr,

mais aussi et surtout un savoir antérieur ou postérieur au voyage, appris ct

Page 58: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

50

lu dans des livres ou des documents variés. Nerval et Flaubert citent souvent

dans leurs correspondances les nombreuses lectures faites dans la perspective

du voyage. Dans une lettre à son père du 18 novembre 1843, Nerval dit avoir

trouvé à l'Association littéraire d'Egypte "presque tous les livres anciens et

modernes qui ont été publiés sur le pays"5 qu'il va lire avant de remonter vers

la Haute Egypte. Quant à Flaubert, il s'était déjà plongé dans la lecture

d'ouvrages sur l'Orient pour la rédaction de La Tentation de Saint-An~.

I~t avant son départ pour l'Orient, en septembre 1848, la correspondance

échangée avec Maxime du Camp révèle la préparation d'une documentation

en vue du voyage. En septembre 1848 Maxime lui recommande l'ouvrage

célèbre de Bathélémy d'Herbelot intitulé La BibliothèQue orientale; "l'homme

qui saurait cela par coeur en saurait long",6 écrit-il. Nerval et Flaubert ont

certainement lu les relations de voyage de leurs prédécesseurs ainsi qu'une

somme d'ouvrages historiques spécialisés qui ont été répertoriés dans

certaines de leurs éditions. 7 Ce qui est important, en fait, est de voir de

quelle manière se manifeste dans la représentation de la femme orientale les

traces de lectures et d'érudition orientaliste.

1) Les manifestations du savoir.

Pour satisfaire aux exigenc('s du récit de voyage, la représentation de

la femme orientale met en jeu une certaine somme de savoir puisée à des

sources différentes. Pour Claude Pichois, l'utilisation des sources va de

"l'emprunt d'un détail à l'adoption de plusieurs pages",8 sans qu'il y ait

toujours une identification des origines textuelles. Cependant, la manifes-

Page 59: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

!lI

tation la plus flagrante cie cette connaissance spécialisl'l' pst l'elllploi d'un

champ lexical propre à l'érudItion orientalistl'. AInsi Nl'rval l't "'laulwrt

utilisent-ils les termes arabes précis pour désigl1l'r les multipll's composantl's

des habits des femmes: le "habbara", le "borghot", Il' "clwroual". Les coifli.In's

des femmes sont évoquées avec le "tantour" des fl'mnws druzl's ciu Llllall ou Il'

"taktitos" des femmes grecques. Flaubert parll' Ù plusll'urs rl'prisl's du

"zagharit", ou le cri de joie des femmes entourant la marit'l', COlllllH' d'ul1l'

notion tout à fait familière qUI nl' mérite pas d'l'xphcat ion.

Avec l'emploi de ce vocablIlaire spéCIalisé, Il's J"('JllllHSCPll('l'S

historiques et bibliques se désignent elles-mêmes comme l('s marqul's d'ulH'

culture acquise et la preuve d'un étalage savant. Lorsqup Nerval pn"SPIlÜ' Ull

exposé détaillé de la religion druzc après sa rencontn' avl'C la pnneps:w

Salèma, par exemple.

Mais d'une manière générale, les marques révélatrices dl' ces

références textuelles sont toujours bien gommées et les points de sutures

dissimulés. Pour Claude Pichois, un écrivain n'est pas tl'I1U d(' r{'v{,ll'I' SPS

sources; il tente souvent de brouil1er l'origine textueJJp dl' s('s Illfornwtiolls

Ainsi, Nerval attribue son intérêt pour la procession lIuptlale qUI P:U",!-l(' SOIIS

ses fenêtres à un souvenir artistique: "C'étaIt un manag(', Il n'y avait. pas il

s'y tromper. J'avais vu à Paris, dans les plcmchl's gravé<':", du citoy('n Ca!-lsas,

un tableau complet de ces cérémonies".!) Or, Pichois estime' que dans la

description du cortège nuptial "il y a peut-être le SOUVl'rlIr d'une chose vue.

Mais il ya surtout une lecture ... Tous les éléments qu'on trOUVé dans ces

pages sont présents dans l'ouvrage dc William Lanc". JO

Page 60: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

52

2) La surdétermination.

Il arrive aussi que des allusions délibérées et insistantes avertissent

le lecteur de ces opérations d'intertextualité. Quels sont alors les résultats

escomptés par ces références explicites à d'autres textes et à d'autres

auteurs? Dans le flux du récit, Nerval évoque, par le biais des suggestions de

lectures du consul de France, tous les écrits des voyageurs qui reconnaissent

avoir subi, comme lui, des pressions pour se décider au mariage avec une

femme d'Egypte: "M. Clot-Bey a enregistré ce détail dans son livre. M.

William Lane, le consul anglais, raconte dans le sien qu'il a été soumis lui­

même à cette nécessité. Bien plus, lisez l'ouvrage de Maillet, le consul

général de Louis XIV",11 recommande le consul. Le fait d'exhiber ses sources

documentaires ou de signaler le capital culturel possédé aboutit à une

surdétermination des procédés représentatifs de la femme orientale et à une

mise en relief des informations transmises. Philippe Hamon remarque que

"selon le genre épidictique, le roman grec et latin avaient coutume d'opérer

cette mise en relief en décrivant de préférence des objets déjà constitués

comme oeuvres d'art descriptives, et non pas directement la nature:

descriptions de tapisseries figuratives, descriptions de boucliers représentant

des scènes diverses, descriptions de peintures murales, etc ... ".12 Ainsi

Flaubert décrit des figurines féminines contemplées sur les murs d'une

ancienne église copte: "Des figurines de femmes, et surtout des femmes

léontoeéphales sont nombreuses --elles tiennent un lotus, la boule avec

l'uraeus. Sur une des colonnes, en dedans, le musicien Typhon, avec la lyre

Page 61: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

droite, qui est dans les planches de Grcutzcr" .13 La descript ion dl'S ppintul"l)::;

murales est ici en quelque sorte renforcée, autlll'ntifil~l' pal' la cit:ltion dl'

l'ouvrage de Greutzer que Flaubert connai::;sait. hien. COmtlll' Il' llll'n-f<mdé

des descriptions sociales de Nerval l'st confïnnt> par Il'fi observations

similaires de ses prédécesseurs. La réfôrence con::;tantl' Ù dl's PI'l'l'('dl'lltS

textuels ou artistiques génère un ensemble de pre::;cription::; d, dl's invanahlt,s

descriptives qui viennent se greffer et s'accumuler sur la rcpn"scnt.atlon

immédiate et vivante de la femme orient.ale.

C L'héuémonie de l'orientalisme.

Incorporer puis rediffuser un saVOll' est une nécessité du récit de

voyage. Mais cette pratique s'impose presqu'inévilablellwnt lorsqu'II s'ag-it de

l'Orient. En effet, au XIXè siècle, l'orienta1isme est. une dlsei plilH' bipll

structurée, avec ses institutions, ses experts, ses proprl'S codes de

représentation et un mode de discours spécifique. C'l'st un dOlllall1(~ de

recherche qui existe déjà depuis cinq siècles. li~dward Haid fait J·Pllwn!.pr la

naissance formelle de l'orientalisme à 1;~ 12, lorsque le cOIl('i l<~ dt· V1PnJW

"décide la création, auprès des princi pales universités, de chaires c"hrbreu, de

grec, d'arabe et de chaldéen".14 À cause de ccl investissenwnt continu d(·

forces considérables et pareo que l'Onent est aussi une préoccupation d'ordre

politique, le discours orientaliste, indépendamment des eorr<~spondanc(!s

réelles qu'il entretient ou qu'il n'entretient pas avec J'Orient, possi!df' tous les

attributs d'une force contraignante. Aussi la représentation de la femme

Page 62: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

54

orientale, pour être convaincante, pour paraître vraisemblable aux lecteurs,

doit inévitablement passer par le réseau compliqué des méthodes d'approche

et du système de connaissance acceptés sur l'Orient. Dans cette perspective,

et si l'on reprend le rai sonnement de Todorov, l'orientalisme fonctionne

comme une règle de genre qui engloberait le récit de voyage.

D Une esthétique de la répétition.

Le but de l'orientalisme est de confirmer l'Orient aux yeux de ses

lecteurs, et la règle de vraisemblance à respecter consiste alors à ne pas

ébranler les convictions déjà solidement ancrées par plusieurs siècles d'études

sur J'Orient. Il en résulte que la description des femmes orientales devient en

partie un exercice de réécriture qui exploite des unités d'informations pré­

existante:s qui circulent de textes en textes. C'est à dire que les mêmes sujets

fëminins, comme la multiplicité ethnique, le statut particulier de la femme

orientale, son comportement social, ses habits et son mode de vie se

retrouvent chez Nerval et li'laubert avec, comme on l'a vu, une succession de

scènes de mariage, de circoncision, de danse présentées, il est vrai, dans des

structures narratives variées ou dans une tonalité différente. Mais les

variations ne semblent scrvir ici que de prétcxte à la répétition. En

empruntant la tenl1inologie du langage musical, on pourrait parler de

"variations sur les mênles thèmes". Le thème de l'esclavage féminin, par

ex(\mple, suscite un grand intérêt dans l'Europe du XIXe siècle déjà

sensibilisée par l'esclavage noir aux États-Unis. Il va donc être traité par les

Page 63: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

55

deux écrivains, mais d'une manière différente. Nerval place sa visite, donc Ra

description du marché des esclaves, dans le contexte romanesque dl' la

recherche d'une solution à sa situation précaire de célibataire en tl'IT{'

d'Orient. Par contre, Flaubert décrit avec pragmatisme h's <,,'sclav{'s

rencontrées sur les bateaux des gellabs en constatant que la réHignatioll est

• leur unique option. 15 Cette permanence des motifs féminins offre alors au

lecteur, non pas tant le plaisir de la découverte que celui de la

reconnaissance. Plaisir d'être confort.é dans ce qu'il Hait, CP qUI

corollairement confirme l'autorité de l'énonciateur. Il sc l!rre ai nsi un(>

interdépendance qui lie l'Orient à l'orientalisme, ct l'oricntalislnc Il ses

consommateurs occidentaux. Une sorte de circuit fermé qui a tendance à sc

renforcer lui-même.

E La conformité à l'ovinion commune,

Par leur longueur d'existence et leur résistance au temps, les procédés

et les modes de représentation formulés d'abord par l'orientalisme vont

dépasser le cadre de la discipline scientifique pour proliférer par la suite dans

la culture générale et dans l'opinion commune. Ils font partie de cc que

Todorov définit comme "un discours diffus qui appartient en partir à chacun

des individus d'une société, mais dont aucun ne peut réclamer la propri(!·p".IG

La relation de vraisemblance s'établit alors par la conformité des descriptionB

de la femme orientale avec ce que les lecteurs croient vrai.

Page 64: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

56

Or, l'opinion ne retient de l'Orient, tel qu'il a été codifié par les

orientalistes, que les définitions générales et les formules schématisées. Pour

cela, la représentation de la femme orientale s'ordonne autour d'une série de

stéréotypes, de "topos", qui sont censés définir son orientalité. En fait, plus

les caractéristiques orientales ou reconnues comme telles sont accentuées,

plus la femme sera "orientalisée" et plus la présentation sera conforme aux

normes orientalistes qui tendent à marquer la différence entre Orient et

Occident. Parmi ces stéréotypes, les deux plus importants sont les motifs de

l'exotisme féminin et ceux du libertinage sexuel associé à la femme orientale.

1) L'exotisme féminin.

En examinant J'ensemble des descriptions de femmes orientales chez

Nerval, il apparaît que l'exotisme est essentiellement exploité de deux

manières différentes. Un exotisme qui sollicite la vue avec une multiplication

des descriptions de toilettes aux couleurs chatoyantes et un étalage très

complet d'une typologie ethnique et raciale. Et un exotisme des moeurs de la

femme orientale: les habitudes de vie du harem, les relations avec les

hommes, les superstitions, la vie des courtisanes ou celle des esclaves. S'il est

évident que l'envergure des oeuvres de Nerval et de Flaubert outrepasse les

limites imposées par les codifications orientalistes, il n'en demeure pas moins

que tous deux exploitent les matériaux traditionnels de l'exotisme féminin.

l~n consultant les titres et les sous-titres des différents chapitres, il est

possible d'évaluer le nombre de fois où les femmes sont impliquées dans la

relation de voyage. Chez Nerval, les titres sont les suivants: "Le masque et

Page 65: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

fi7

• le voile", "Une noce au flambeau", "Inconvéllients du célibat", "La khanoum",

"Le harem", etc .... ", ct chez Flaubert: "Soirée c11l'z la Tril'stllH''', "FI1Il'H Ù

Id t " "AI ' " "K t 1 k H ""A' 1" "\) l" .. so as, ïllees, u ClOU anClll, ZIZl' 1, )<lln )l'y , ct l' ..... Au

moins un cinquième deR titres sont consacrés aux fl'IllIlll'H.

2) La fantaisie sexuelle.

Depuis longtemps, l'Orient est associé il la f~H1t.aisll' Pl au hlwrt in:lgl'

sexuel, et la traduction des Mille et UTll' nuits confirnH' \'lIlwgl' lIHI{'ll'bih' d'ul1

monde orient.al érotique ct. violent malgré la Cork splnl lIahlp qUI SP (k'I~:,g('

de ces contes. Les califes, les eunuques ct ll's odalisqul's qui pa l'(\<klll d'ut\('

page à l'autre deviennent les clichés du l't'pertoiI'l' orrl'nlahs((" d':lIl1purs

largement illustré par les artistes p('intres du XVII li, l'I, XIXi' Sll'cll'. Il suflie.

de penser à la série d'odalisques et de haigneusl's px(\cul{'ps pal' Illgrps,

surtout à son Odalzsque avec esclave 17 où une fl'mll\<.' Iangoun'usl' s'{otln' slIr

de chatoyantes étoffes, la t.ête rejetée en arl'l (\ l'l', 1('8 dll'V<'IIX d{·j';lIts,

exprimant abandon et consentement. L'Orient slgnIfïl' :lInSI <I:\IIS Il's

fantasmes occidentaux, le lieu de passIOns effrént>ps et d'(·xc(·s 8pn<illl'ls, alors

qu'en Europe la sexualité met en jeu un ensemble d'obligatlOlls I{'gal('s <'1.

morales qui peuvent sembler encombrantes. Aussi N(')'v;d <,1, !t'laIlIH.'r\'

cultivent-ils, chacun à sa manière, l'image du hb('rtlnage s('xll(·1 "'I:lIll)('rt, ('n

fréquentant assidûment les borde1s d'Egypte ct en mull Ipliant les pxp('r'H'f1cPs

féminines, Nerval en poursuivant ses tentatlVl'S d'une IInIon ~télbl(· dont. I(!s

échecs lui permettent d'aBer d'un type fëmimn ù un autre. C(~Ue recherche

• d'une sexualité inaccessible en I!:urope est tellement évoquée par les

Page 66: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

58

voyageurs en Orient qu'elle finit par se banaliser et devient une marchandise

ordinaire de la culture de masse occidentale. Les lecteurs peuvent l'obtenir

sans être obligés d'aller en Orient.

F Valeur de l'jntertelte.

La valeur informative de la représentation de la femme orientale est

bien sûr produite grâce à une expérience personnelle de l'Orient. Mais à côté

de cette observation positive et fidèle de la réalité s'insinue un savoir indirect

appris par l'intermédiaire des livres et des manuscrits, un savoir conforme

aux normes textuelles exigées par le récit de voyage et les contraintes de

l'orientalisme autant que par les attentes des lecteurs. L'impact de l'Orient

sur le voyageur devient en définitive autant textuel que réel et vivant. Il se

crée ainsi une catégorie d'informations qui n'est ni complètement neuve, ni

complètement connue, et 1e r représentations de la femme orientale,

lorsqu'e11es se conforment aux schémas traditionnels, apparaissent comme les

versions différentes d'une vérité permanente .

Page 67: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

NOTI~S

1. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op cit., p. 435.

2 Todorov, Tzvetan, "Qu'est-ce que le structuralisme'!" dans Poét.i(luc'" ~, Reuil, Paris, 1968, p. 35.

3. Ibid., p. 36.

4. Pichois, Claude, op. cit., p. 1378.

5. Nerval, Gérard de, "Lettre à son père", cité par Pichois dans la "Noticp" au Voyage en Orient, op. cit., p.l379.

6 Camp, Maxime du, "Lettre à Flaubert", citée par Pichois dans la "Not.iCl'" au Voyage en Orient, op. cit., p. 1378.

7. Voir la note 22 de notre introduction.

8. Pichois, Claude, op Clt., p. 1378.

9. Nerval, Gérard de, Voyace en Ol;ent, cm. cit., p. 2G4.

10. Pichois, Claude, op. cit., p. 1379. (C'est nous qui soulignons)

11. Nerval. Gérard de, Voyace en Orient, op. dt., p. :315.

12. Hamon, Philippe, Q..Q. cit., p. 65.

13. Flaubert, Gustave, Voyace en (1:cypte, op. ciL, p. :3:n.

14. Edw~rd Said, L'orÏentahsme, op. ciL, 1980, p. ()(j. I·:xt.rait de l'histoire (ks conciles, Seuil, Paris, 1962, p. 83.

15. Flaubert, Gustave, Voyace en Egypte, op. cit., p. :315.

16. Todorov, Tzvetan, op. cit., p. :37.

17. Ingres, Dominique, Odalisque avec esclave. La toile peinte en 1 H42 He trouve à la Walters Art Gallery de Baltimore .

Page 68: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

DEUXIÈME PARTIE

L'ORGANISATION NARRATIVE

Page 69: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

CHAPITRI~ 1

LA DIMENSION AUTOBIOGRAPHIQUl~

Si la représentation de la femme orientale se fonde et s'appuil' sur

l'autorité des textes des Ol;entalistes ct des récit.s de voyagp ant.{>ril'urs, t'Ill'

tire aussi sa crédibilité de l'expérience direct.p dl' \'OrJl'nL L'allt.l'lIr­

voyageur est connu pour avoir nSsidé en Oriplü pt pour aVOIr pris contact.

avec la population locale. Aussi les rencontres fénllninl's qu'il t'voqUl' Sl'

veulent les transpositions textuelles d'une réalité qu'tI a v{'cup pt, plus

particulièrement, de moments précis dans le dén>ulenll'nt d'url<' t.randH'

de sa vie. Cette dimension autobiographIque du récit dl' voyag<' apportl' la

garantie d'une narration non fictive. Pour le lecteur, elle a la valPur d'ulH'

affirmation de véracité; elle est l'équivalent du topos populaire ".J'ai vu de

mes propres yeux vu ... t!. Surtout que le de n'est pas ici sirnplpllwnt

engendré par le texte (comme dans les paroles d'un personnagl' dl' roman)

et il ne se réfère pas non plus à un énonciateur anonyme et changeant

(comme le récitant ou le chanteur médiéval), mélis renvoJ(' allX H!l'ntlt,{·s

précises - inscrites à l'état civil - de Nerval pt de Flaubpl't lb-, sont de

plus tous deux chargés d'une mission d'étude pour le g(}uv(~rrwnwnt.1

Page 70: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

62

A valeur référeptielle du Je.

Dans le récit de voyage comme dans le récit autobiographique

l'énonciateur est donc en même temps le sujet de l'énoncé. De saint

Augustin à Rousseau et à Chateaubriand l'engagement du narrateur dans

le texte est assumé dès le début par une apostrophe explicative adressée au

destinataire de l'oeuvre; saint Augustin s'adresse à Dieu, Rousseau à ses

lecteurs éventuels, Nerval à l'ami2 auquel est dédié le Voya2'e en Orient.

J'ignore si tu prendras grand intérêt aux

pérégrinations d'un touriste parti de Paris en plein

novembre.3

écrit-il dans l'introduction, prenant ainsi son lecteur privilégié (et tous ses

lecteurs) comme compagnon de route, tout en se constituant personnage

principal d" récit à venir. Pour Flaubert, la situation est différente puisque

Les notes de voya2'e n'étaient pas destinées à la publication.4 Aussi

s'adresse-t-il à lui-même, ou plutôt au cahier de papier blanc dans lequel

cet autre lui-même a rédigé, dix ans plus tôt, le récit de son premier voyage

en Corse, puis l'a conservé "pour son prochain voyage". Il débute

justement le chapitre intitulé "La Cange" par une apostrophe à ce cahier.

Dors en paix sous ta couverture, pauvre papier blanc qui

devait contenIr des débordements d'enthousiasme et les cris

de joie de la fantaisie libre - ton format était trop petit et ta

couleur trop t<,ndre.

------------------ --

Page 71: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Mes mains plus vieilles rompront un jour tes cnclH'ts

poudreux. Mais qu'écrirai-je sur toi?

Il y a déjà dix ans de cela -aujourd'hui je suis sur le

Nil et nous venons de depassN Memphis.5

(i3

En fait, peu importe le destinataire désigné par le texte; ce qui compt.e, c'pst

l'acte rhétorique par lequel le narrateur s'introduit dans le récit dl' voyage

pour définir la valeur autoréférentielle du Je. En même temps, la place

qu'il s'assigne et qu'il assigne à son corrélat, le lecteur, con fi l'ml'

l'intention didactique du récit de voyage. S'il écrit, c'est pour communiquer

une expérience dont il estime qu'elle le dépasse, donc pour enseigner.

B Letémoin.

Dès lors, l'auteur-voyageur est le témoin vivant de la réali té orient.ale

et son expérience va se dérouler sur deux plans différents: d'abord au

niveau d'un cadrage événementiel et social de l'univers fëmmin orlent.al,

avec des éléments contrôlables et vérifiables par rapport au contexte'

historique de l'époque, mais aussi au niveau de ses relations indivIduelles

avec les femmes orientales, car l'expérience du vécu signifie

nécessairement des situations, des circonstances uniques ct un point de

vue particulier. La représentation de la femme va ainsi passer d'un plan il

l'autre sans qu'il soit possible de tracer une frontière précise entre ces deux

aspects qui coexistent, l'un dominant l'autre suivant les cas .

Page 72: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

64

1) Le cadre événementiel

L'auteur-voyageur multiplie les témoignages sur les cérémonies

officielles, les modèles de comportement des femmes, les lois et les

habitudes en usage. Il présente en somme une sorte de chronique de la vie

féminine orientale où le moi du narrateur s'efface derrière l'information.

Le caractère autobiographique du récit s'apparente alors à celui du

mémorialiste et de l'historien. Ainsi, l'interdiction des danses de femmes

reléguées à la clandestinité et remplacées par celles des travestis mâles

étai t une décision prise par Méhémet Ali en 1834 et bien connue par les

voyageurs. Nerval et Flaubert vont tous deux s'attarder sur cet aspect des

moeurs égyptiennes en privilégiant la neutralité et l'objectivité de

J'information.

Et maintenant voici les almées qui nous apparaissent

dans un nuage de poussière et de fumée de tabac. Enes me

frappèrent au premier abord par l'éclat des calottes d'or qui

surmontaient leur chevelure tressée. l ... ] À peine au milieu

du tournoiement rapide pouvait-on distinguer les tTflits de

ces séduisantes personnes... Il y en avait deux fort belles, à

la mine fière, aux yeux arabes avivés par le cohel, aux joues

pleines et délicates légèrement fardées; mais la troisième, il

faut bien le dire, trahissait un sexe moins tendre et une barbe

de hUIt Jours, de sorte qu'ft bien examiner les choses, et

quand, la danse étant finie, il me fut possible de distinguer

mIeux les trmts des deux autres, je ne tardai pas à me

convaincre que nous n'avions affaire là qu'à des almées ...

mâles.6

Page 73: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

GG

Nerval préfère avoir recours ici aux pronoms indéfinis, impl'rsoll1ll'ls ou Ù

la première personne du pluriel. La première perS011l1l' du slIlgulü'I" t'st

utilisée deux fois en position atone d'objet, dont une dans url(' tournure

impersonnelle. Le Je, sujet actif, apparaît juste à la fin du !'t'xte pOUl"

exprimer l'étonnement du narrateur.

Même procédé chez Flaubert où la première personne du pluriel pt la

tournure passive atténuent la référence explicite au Je du voyageur.

Nous avons eu ce Jour-là après notre déjeuner des danseurs,

le fameux Hassan el-Bilbesi et un autre avec dl's musiciN1S

Son compagnon eût été remarque sans lui 1. 1 La flûte

aigre -tarabouch, vous sonne dans la poitnn<, 7

Ailleurs Nerval aborde le problème de l'adultère et de l'apostm;ie

dans la société musulmane lorsqu'il tombe par hasard sur le corps décapi té

d'un Arménien "qui avait été surpris trois ans auparavant avec une femme

turque".8 Après avoir fait le récit des événements qui ont abouti ù cette

condamnation, Nerval se refuse à toute implication personnelle:

Je ne veux point, d'après ce triste épisode dont j'UI eu le

malheur d'être témoin, douter des tendances progressives de

la Turquie nouvelle.9

Cependant, un témoignage ne peut jamais être complètement

extérieur à la personne et à sa parole. Car la référence autobiographique

du Je renvoie toujours à celui qui tient le discours. Émile Benveniste, dans

Page 74: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

ffi

l'étude des Relations de temps dans le verbe françai.l2lO définit le discours -

l'énonciation supposant un locuteur par opposition à l'énonciation

historique ou récit - en fonction de certaines formes grammaticales dont

justement l'usage du Je ct l'emploi du présent et du passé composé ainsi

que certaines indications adverbiales de temps et de lieux. Par conséquent,

dans les rédts de voyage de Nerval et de Flaubert, il arrive que le locuteur

choisisse de rester à J'arrière-plan; mais c'est toujours lui qui parle. TI est

présent ct peut intervenir sans causer de surprise ou sans réellement

interrompre le cours du récit. En d'autres termes, la perspective

événementielle de la représentation de la femme n'éclipse que

partiellement et provisoirement l'économie du discours à la première

personne.

2) Le narrateur distant du texte.

QueUes sont donc les modalités d'intervention du Je dans le récit?

Grâce à un effet de distanciation vis-à-vis des épisodes racontés, Nerval et

Flaubert laissent au texte une certaine autonomie. Qu'il s'agisse d'une

chronique descriptive d'un fait social (la danse des travestis) ou qu'il

s'agisse d'un récit tendant à l'explication causale et conséquentielle (les

lois concernant l'adultère), le narrateur tente de s'effacer, mais le

paradigme même des substituts qu'il utilise (nous, on, tournures passives

ct impersonnelles) révèle un énonciateur qui se donne le statut d'un porte­

parole, d'un enseignant qui observe et qui évalue .

Page 75: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

De plus, par moments, le narrateur interrompt ouvC'rl.elllC'nt. le n"cit.

pour faire un exposé didactique ou une comparaison. Nerval rapporh\

ainsi, sur un ton apparemment impartial, les événements qui ont. conduit. ù

la décapitation de l'Arménien pour cause d'adultère. Mais dan~ le coul'~

du récit, au passé simple, - conformément aux observations de Benvenistp

- Nerval reprend la parole pour insérer des explications l'i. dC's jugl\llll'nh;

de valeur sur le fonctionnement de la justice turque en utilisant le pr~sl'nt.

qui est, par excellence, le temps du discours.

Des fanatiques ]e dénoncèrent, et. l'aut.orité t.urquH, quoique

fort tolérante alors, dut faire exécut.er la loi. Les consul!>

européens réclamèrent en sa faveur; mats que fuir<" contre

un texte précis? En Orient, ]a loi est. à la foi" civll(' et

religieuse; ]e Coran et ]e code ne font. qu'un La Ju~tice

turque est obligée de compter avec le fanati~me encore viol(>nt

des classes inférieures. Il

Dans d'autres cas, l'intervention de l'auteur peut sc manifester, comme

souvent chez Flaubert, par une appréciation personnelle qui vient à la fi n

d'une évocation aussi impersonnelle que possible.

Le soir, bal masqué dans ]a rue des bordels valaques. Il y

avait en tout deux masques ayant ]e physique de putains à :J

francs, spencers noirs avec des fourrures -grosse femme

maîtresse de l'établissement, table de jeu et consommation de

petits verres- c'était d'un comique frOId et stuplde. 12

Page 76: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Quelles que soient les modalités d'intervention de l'auteur-voyageur,

qu'il affiche son refus de juger ou qu'il exprime ses sentiments, ces

attitudes ont en commun une caractéristique principale, celle de le placer

dans une situation d'extériorité, de distance par rapport à l'univers

féminin représenté. Il est l'Européen parti étudier sur place l'Orient et les

moeurs orientales, et son discours aura tendance à se conformer aux

habitudes et aux normes impersonnelles des orientalistes.

c L'expérienœ neœmpeUe.

Cependant, si pour témoigner sur les lieux et les milieux sociaux, le

mOl de l'auteur tâche de s'effacer derrière l'information, il peut aussi

dominer et médiatiser tout ce que le texte dit sur l'Orient et les femmes

orientales. À ce moment là, l'autobiographie s'éloigne des mémoires et se

rapproche plus volontiers du journal ou des confessions intimes. Le récit

de voyage reste ainsi pris dans le carcan des conditions de la représentation

objective et traditionnelle de la femme orientale d'une part, et soumis

d'autre part aux forces de résistance de ces schémas hérités. Car

)'intertexte, le déjà lu ont leur vouloir dire qui ne coïncide pas toujours

parfaitement avec l'expérience du voyageur. Les points de vue personnels

se forment et se développent alors par une tentative d'émancipation vis-à­

vis des connaissances et des procédés de l'orientalisme officiel.

Déjà tout au début, dans l'introduction au Voya"e en Orient, Nerval

distingue les deux niveaux du voyage, celui des "mésaventures"

Page 77: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

personnelles, et celui des "tableaux" et des "descriptions" à faire, en 1ll1'nW

temps qu'il reconnaît le décalage immense qui existe entre les acquis

culturels et l'expérience de la réalité.

C'est une assez triste litanie de mésaventures, c'est une bi('n

pauvre description à faire, un tableau sans horizon, sans

paysage, où il devient impossible d'utiliser les troIS ou quatr{'

vues de Suisse ou d'Italie qu'on a faites avant df' partir. 13

Flaubert aussi explique dans une lettre à Louise Colet l'incompatibilité qu'il

a remarquée entre les représentations traditionnelles de l'Orient et sa

propre perception.

On a compris, jusqu'à présent, l'Orient comme quelque chose

de miroitant, de hurlant, de passionné, de heurté. On n'y a

vu que des bayadères et des sabres recourbés, le fanatISme, la

volupté, etc .. En un mot, on en reste encore à Byron Moi, je

l'ai senti différemment.14

C'est parce que ce décalage existe qu'il y a de la place pour une

expérience personnelle de l'Orient avec les émotions caractéristiqueH qui

l'accompagnent. On comprend alors l'importance que peuvent acquérir les

rencontres féminines qui deviennent des occasions de contacts directs et de

connaissances individualisées. Dans la multiplicité des figures féminines

mentionnées, quelques unes sont identifiées par leur prénom, leur passé,

leur relation avec le voyageur. Et sur le fond commun, toujours présent,

d'informations générales et banalisées sur la femme orientale, surgissent

Page 78: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

70

des détails anecdotiques ou intimes. Ainsi, la longue liste des visites de

Flaubert aux danseuses et aux courtisanes d'Egypte est conforme à ce que

Pierre Marc de Biasi appelle "l'automatisme de l'époque: l'Orient étant

synonyme d'érotisme".15 Mais à côté des évocations purement physiques,

Flaubert offre sa propre vision d'un univers féminin à la fois grotesque et

mélancolique, contribuant à démystifier en partie les images recueillies

dans les textes. Dans une lettre à Louise Colet, à qui il avait donné à lire les

Notes de yoya(W, il exprime sa réticence devant les versions embellies et

édulcorées de l'Orient:

Mais les gens de goût, les gens à enjolivements, à

purifications, à illusions, ceux qui font des manuels

d'anatomie pour les dames, de la science à la portée de tous,

du sentiment coquet et de l'art aimable, grattent, enièvent; et

ils sc prétendent classiques, les malheureux! 16

À part la démystification, la fuite dans l'imaginaire est un autre

moyen de faire intervenir sa sensibilité. Lorsque le souvenir d'un Orient

appris et espéré est en conflit avec l'Orient moderne, le refuge dans le rêve

devient la solution. Nerval écrit à Théophile Gautier en 1843:

Moi, J'ai perdu, royaume à royaume et province à province, la

plus bene moitié de l'univers, et bientôt je ne vais plus savoir

où réfugier mes rêves; mais c'est l'Egypte que je regrette le

plus d'avoir chassée de mon imagination pour la loger

tristement dans mes souvenirs.17

Page 79: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

71

Cette plainte du rêve trahi montre que l'auteur-voyageur attend du rÙel

perçu qu'il se modèle et se modifie en fonction de lui. Et chez Nerval,

malgré les déclarations formelles de fidélité à ln réalité, la narration ~e

perd souvent dans la fiction. Le récit de ses aventures rOmalll\gqlU.\H et.

amoureuses passe aisément d'un plan à l'autre sans qu'un indice Ill' le

signale en particulier. Les épisodes de l'esclave Zeynab et de la princrsse

Salèma ou les projets de mariage à l'Egyptienne, bien que tout il fait.

plausibles dans le contexte oriental de l'époque, sont des repré~entat.ions dt'

désirs imaginaires. Seuls les contes du calife Hakem et de la reine du

matin se Rituent franchement dans un monde mythologique. La démarche

de Nerval s'inscrit ainsi à contre courant de l'idéologie orientaliste qui se

veut un savoir systématique avec une méthode d'approche scienti fique el

objective.

1) w narrateur-acteur.

L'auteur-voyageur cesse d'être un observateur pour parler de Hon

expérience intime; il devient la matière même de son texte ct un

personnage actif dans cet univers féminin étranger. Il a désormais

quelque chose à désirer, quelque chose à entreprendre .

.. , J'aime à conduire ma vie comme un roman, et je

me place volontiers dans la situation d'un de ces héros actifs

et résolus qui veulent à tout prix créer autour d'eux le drame,

le noeud, l'intérêt, l'action en un mot,18

Page 80: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

72

écrit Nerval. Devenu un personnage de roman, il s'intègre à la foule qui

déambule dans les rues du Caire observant deux femmes voilées qui

l'entraînent dans une aventure plaisante au dénouement surprenant: c'est

"Une aventure au Besestain".

Deux femmes s'étaient arrêtées derrière moi et

riaient de ma curiosité. Je me retourne et je vois bien à leur

mantille de taffetas noir, à leur pardessus de lévantine verte

qu'elles n'appartenaient pas à la classe des marchandes

ri'oranges du Mouski. Je m'élance au-devant d'elles, mais

elles baissent leur voile et m'échappent. Je les suis et j'arrive

bientôt dans une longue rue qui tn~verse toutes la ville. 19

On voit comment la première personne du singulier est ici un sujet actif

assumant l'initiative de ses actions. En fait, Nerval va pratiquement jouer

tous les rôles possibles face aux femmes orientales. TI est le prétendant au

mariage lorsqu'il cherche une épouse en Egypte et l'amoureux anxieux

avec Salèma. Il est aussi le notable oriental (plus ou moins) aisé qui

s'achète une esclave et ensuite le maître soupçonneux et trompé lors de

l'idylle de Zeynab aver l'AI ménien, sur le bateau.

Si la garde d'une femme est difficile pour un mari,

que ne sera-ce pour un maître! C'est la position d'Arnolphe

et de Geùrges Dandin 20

s'cxclamc Nerval qUl, par une sorte de dédoublement, arrive à s'observer

dans ses rôles.

Page 81: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Quant à Flaubert, il est souvent à la recherche du plaisir physiqu('

avec les "danseuses" égyptiennes. Mais lui aussi, par moments, fit' lais~e

prendre par l'illusion de vivre une histoire sentimentale dont il fil'rait 1('

héros. Après la nuit passée avec Kutchouk Hanem, il écrit:

... quelle douceur ce serait pour l'orgueil si en partant 011

était sûr de laisser un souvenir et qu'elle pcnserlIIt Il VOliS

plus qu'aux autres, que vous resterez en son COPtlf À deux

heures troil> quarts elle sc réveille; rccoup!i plclIl d<>

tendresse, nous nous serrions les mains; nous nous !'ommcs

aimés, je le crois du moms.21

Malgré, ou peut-être à cause des interférenceR romanesques ou

imaginaires, le récit des rencontres personnelles avec les femmefi

orientales est partie intégrante du discours autobiographiqU(l. Car la

situation même de celui qui parle est le lieu des significations les plus

importantes. Nerval et Flaubert apportent dans leur découverte de

l'univers féminin oriental, en plus de leurs attitudes culturelles générales,

une mythologie personnelle, les traces de leurs sentiments ct de leur rêve,

ainsi que nous le verrons plus loin.

D Fonction textuelle du couple JE et ELlE,

Dans le déroulement temporel du voyage le Je constitue l'axe

événementiel autour duquel s'ordonnent les rencontres féminines dans

leur succession et leur diversité. Au niveau textuel, les relations de

Page 82: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

74

l'auteur-voyageur avec la femme orientale s'organisent en une opposition

formelle, une polarisation entre Je et Elle. La valeur référentielle du ,Je

reste stable et solide; eUe renvoie constamment au locuteur, ce qui crée une

unité, une isotopie dans le discours. La femme orientale est toujours

représentée par la troisième personne du singulier, mais contrairement au

.Je, sa valeur référentielle est mouvante et multiple. Tour à tour le pronom

Elle se réfère à une femme unique représentant la femm.e orientale en

général:

Il ne m'a pas semblé indifférent d'étudier dans une

seule femme d'Orient le caractère probable de beaucoup

d'autres 22

ou la femme orientale dans sa permanence passée et future:

Il faut que je m'unisse à quelque fille ingénue de ce

sol sacré qui est notre première patrie à tous.23

Par moments, elle est assimilée à une entité abstraite et immuable sans

possibilité d'évolution.

La femme musulmane est barricadée,24

commente ironiquement Flaubert à propos de ses vêtements. À d'autres

moments elle est une personne nettement ind;"ridualisée avec qui le

voyageur entretient des relations intimes. Mais à aucun moment la femme

Page 83: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

orientale n'est directement interpelléc, et jamais le VOlLS ou Ic Tu rH' vont 8t'

substituer à Elle, d'où l'absence d'une situation de dialogue.

Il est vrai que le problème du langage empêche' toute communient aon

qui se passerait d'interprète, Mme Bonhomme, Mnl(' Carlès, le drogman

Joseph sont toujours présents. Et les rares tC'ntatÎves d(' Nl'rval dt'

s'adresser directement à Zeynab donnent lieu à des Inalentendus. Mais

l'exclusion de tout dialogue est symptomatique d'une rclation

fondamentalement inégalitaire entre le Je re~r{>st'ntant la c()n:~cietH'('

européenne et masculine, et le Elle confiné dans le rô1l' d'une lll'l'{'('

personne passive. Car l'auteur-voyageur, outre qu'il vipnt d'ull pays

puissant, possède le savoir alors qu'clle ne l'a pas. Nerval essail' en vain

d'enseigner le français à Zeynab. Et, de plus, l'expérience rl"v("dl' qu(' non

seulement Zeynab est illettrée, mais ignorante des princip<'s élémcnlai n'B

de lecture et d'écriture.

Elle avait cru que, toutes les foil> qu'on pensait Il une

chose en promenant au hasard la plume sur le papier, l'iMe

devait ainsi se traduire clairement pour l'oeil du lcctf'ur .Je

la détrompais ... 25

Le voyageur possède aussi l'argent qu'il dépense comme il l'entend.

Nerval se fait prier pour acheter de nouveaux vêtements à 'l.eynab, alors quI'

Flaubert compte les piastres payées aux courtisan(~s. VÜ.;JLanl unI'

prostituée en compagnie de Maxime du Camp, il héslte sur)(' prix a payer,

mais prend sa décision sans échanger un seul mot avec la fcmm(!

Page 84: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

• L

Dix piastres pour nous deux, on trouve que c'est peu·

Je mateJot à la porte affirme que c'est suffisant.26

76

Par conséquent, autour de ce couple Je / Elle - supérieur/inférieur,

sujet/objet, actif/passif - s'organise un univers actantiel sous-jacent qui

sert de support au déroulement textuel, mais qui, en surface, se morcelle et

He divise en de nombreuses séquences narratives .

Page 85: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

77

NOTES

1 Flaubert était nomn1é chargé de mission du Minist(·l't' dt' l'Agneu1tuI'l' et du Commerce: il devait enquêter sur les productions industrH'lks pt agricoles des rébrions visItées. Pour Nerval, .Jl'an HlclH'l' parle aussI dl' la possibilité d'une mission, suggérée par h· l'aIl qu'il l'tait autOl'\Sl' il voyager sur les bateaux de l'étal l'Il payant Sl'l'l'l"t l'Ill l' Ill, h' pn x d(' sa nourriture.

2 D'après Pi ChOiS, cet ami seratt Théophdl' \)ond('y qUI aV:llt pl'lS Ip pseudonyme de Pll1lotée O'Nl'ddy.

3 Nerval, Gérard de, V()ya~e l'Il Orient" op. cil, p. 17:3.

4 Biasi, Pierre-Marc de, dans "l'lnlrodudlOn" au VOy;t~l' ('Il 1;;~y~,!.1J.h tih p. 97, écrit: "Le Voyage l~~gyptl' n(' l:>e présl'llI,(' pas COIllIlH' Ull

manuscrit définitif préparé pour la puhhc:.ltioll, IllalS (,OIllIlH' IIll :-.i mpll' développement de noies de voyages."

5 Flaubert, Gustave, Voyage en Ii~gyptl', op. cit ,p. 1 :~().

6 Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. ('iL, p. :HlH. (C'est nous !J11i soulignons)

7 Flaubert, Gustave, Voyage en Ii~gyptt', op. ciL, p. 2:Hi. (C'est nous !j11i soulignons)

8 Nerval, Gérard de, Voyage en Ol'lpnt, ilP cit, Il 'i07.

9 Ibid., p. 608.

10 Benveniste, Emile, Les retatlOns dl' LPrnps dans le Vl'r1){' fl':llI\,al:-', dans Problème de linguistique gént>rale, Gallimard, Pari~, !!)(if), p. ~:n a 2riO

11 Nerval, Gérard de, Voyage en Onpnt, op ciL, p ()07

12 Flaubert, Gustave, Voyag-C' en Egypt(', op. ciL, p. 2.~:3

13 Nerval, Gérard de, Voyag-e cn Onent, op. clt, p. 17:3.

14 Flaubert, Gustave, Correspondances, T. II, op. çiL, p. :U~:t

Page 86: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

78

15 Biasi, Pierre Marc de, dans la note 38 au Voyage en Egypte de Gustave Flauhert, op. Clt., p. 70.

16 Flauhert, Gustave, Correspondances, T. II, op. cit., p. 284.

17 Nerval, Gérard de, Correspondances, T. I, op. cit. p. 881.

18 Nerval, Gérard de, Voyage en Odent, op. ciL, p. 506.

19 Thid.., p. 286. (C'est nous qui soulignons)

20 Thi.d., p. :351.

21 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit., p. 287 et 288.

2'2 Nerval, Gérard de, Voyage en Ol;ent, op. cit., p. 379.

2.1 Ihid., p. 50(-).

2tI Flauhert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cil., p. 197.

25 Nerval, Gérard de, Voyage en Odent, op. cit., p. 376.

26 Flaubert., Gustave, Voyage en Egyph, op. cit., p. 264 .

Page 87: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

• CHAPITRE II

LES RENCONTRES Fl<jMININgS I~T

LES CONTRAINTES NARRATIVES DU RÉCrI' DIl; VOYAG}l~

Un récit de voyage €'xprime toujours une possibilit.é d'aventure ou dp

succession d'aventures. Déjà dans l'Odyssée le ret.our d'Ulyssp il. Ithaqul'

est retardé par les difficultés qu'il rencontre et qu'il doit sunnollL('1" avant.

de poursuivre sa navigation. De sorte que le récit c!p son voyagp dt'vient.,

selon la formule de Todorov, "un récit de récits".1 ll~n ce qUI COllCpl"IW \P8

textes de Nerval et de Flaubert, l'itinéraire sert égalenH'llt de support. aux

déplacements, et se matérialise par les étapes et les visÎt(IS dps vi Iles l't. dps

sites touristiques. De plus, l'itinéraire s'inscrit dans une dur(I(I, url('

progression au caractère irréversible. Par conséquent, II' Lemps ct l'espaee

constituent l'armature de leur récit de voyage. Aussi n'pst-il pas {·tonnant

de constater que les coordonnées spatio-temporelles déterrl1Inl'nt 1('8

rencontres féminines, c'est-à-dire qu'e1les inaugurent O\l cone!tH'nt d('s

scénarios qui restent pratiquement fermés sur eux-mêmes, le début. d'une

aventure ne survenant qu'après la fin de la précédente pour cause de

déplacement .

Page 88: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

A Les coptraintes narratives de l'itinéraire,

Dans la chaîne logico-temporelle de la narrativité, les épisodes

féminins apportent une perspective événementielle chronologique, un

avant et un après qui rythment la progression du voyageur. D'où le

caractère irrégulier de leur insertion dans le déroulement du récit. À

certains passages denses, au rythme d'apparitions serrées de présences

féminines, répondent des moments d'absence et de désintérêt. Flaubert, au

début de son séjour en Egypte, multiplie les rencontres féminiI1.Js qui

diminuent au Liban et à Jérusalem pour reprendre à Constantinople.

Nerval aussi oublie par moments ce qu'il appelle les "Inconvénients du

célibat", pour se livrer au tourisme dans les rues du Caire. Il est vrai que

la pratique de la discontinuité est censée reproduire le mode de vie du

voyage même, régi par les seuls principes du plaisir et de l'imprévu comme

l'explique Nerval.

Je complotais une idée plus belle encore: c'était de me

faire conduire au point le plus embrouillé de la ville ... et puis

d'errer à l'aventure, sans interprète et sans compagnon,

et d'ajouter plus loin, comme une justification à cette disponibilité à

l'aventure,

D'ailleurs, qu'est-ce Qu'une belle perspective, un monument,

un détail curieux, sans le hasard, sans l'Imprévu? 2

Page 89: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Ce même plaisir de l'errance sans but est ressenti par Flaubert:

Je me prl)mène tout seul dans Lp Cmn" par un bran sole·JI,

dans le quartier conlprÏ1, entre Caram('idnn l't ln porte dl'

Boulak; Je me perds dans les ruelles et J'arrive il lb. nIls-<h'­

sac.3

Hl .

Par conséquent, l'accumulation d'expériences dispersées l\ngt'ndl'l'

une rupture entre les différents épisodes du voyage, La question qui SP pOH<'

alors est de savoir si le récit brisé au niveau séquentiel retr'ouv(' UlH' unit(·

au niveau de la structure constante des rapports enti'l' les IH'l'sonnagl'S, au

niveau des registres de narration et au niveau d'une harmOnlt' globah'.

B 1& schéma de la ''Rencontre'',

Lorsque l'on considère le couple Je 1 E" - représentant l'aute l lr-

voyageur et la femme orientale sous ses identités multiples --- dans la

structure de leur rapport, toutes les présences féminiTH's l)('uvent ('tr('

envisagées comme les différentes réalisations possibles d'un rnodll('

narratif construit sur le schéma de la "Rencontre". I·~n effet, f('group(; t'n

dehors du contexte et réduit à ses termes les plus simples, chaqu(· (;plsod(~

féminin révèle une organisation séquentielle semblable. l1J)(~ clrconstanc('

temporelle ou spatiale - un déplacement, une VÏtHtC Il un llIoment donn('

- permet ou entraîne la vision - ou son corollaire, l'apparit.ion -- d'une

femme qui devient l'objet d'une curiosité ou d'un désir qui se r(~sOdH!nt.

dans le départ. Ces articulations, bien que toujours présentes, sont. plus

Page 90: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

82

clairement perceptibles dans les mini récits de rencontre comme celle des

deux femmes druzes de la montagne libanaise qui offrent du lait à Nerval.

Je pris congé de ce Turc et, comme je savais que mes

compagnons resteraient encore à Bethmérie pendant la plus

grande chaleur du jour, je me dirigeai vers le quartier des

Druzes, accompagné du se',ll Moussa 4

Ainsi commence par une double détermination spatiale et temporelle

le premier des trois paragraphes consacrés à cet épisode. Puis, le second

paragraphe se concentre sur ce que Nerval appelle "l'examen rapide"5 de

cc groupe, motivé par la curiosité de voir que "les traits de la population

druze ont quelque rapport avec ceux de la race persane". 6 Après la fin du

troisième paragraphe, le "J'allais plus loin"7 de Nerval met

automatiqut'ment fin à la séquence. On voit ici le modèle de tous les

épisodes de rencontre avec) bien sûr, des variations circonstancielles

possibles, une diversification dans la modulation et les degrés du désir et de

la curiosité, et toujours un départ inévitable; qu'il soit souhaité ou refusé.

Ainsi, la relation avec Zeynab, malgré sa durée et ses péripéties

vm;écs, reprend le même schéma. Elle débute à l'occasion d'une visite au

marché d'psc1avps du Caire où le voyageur est attiré par les traits exotiques

dl' la ,J avanaise. Ellt' manque de se terminer une première fois lorsque

Nerval pPllse l'affranchir avant de quitter l'Egypte. Mais, comme ils

prennPllt It' bateau ensemble pour le Liban, la séquence ne s'achève

n~('llcm(lnt qu'après le départ précipité de Nerval pour Constantinople.

Page 91: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Évidemment, les espaces qui séparent les différents momcrüs lTuciaux

sont d'une durée inégale: la vue, le désir et la décision dl' Nprval sont quasi

simultanés, alors qu'un grand nombre d'incidents He produü·wnt l'nt.I'l' h'

deuxième temps et la rupture définitive. Cepl'ndnnt., 1(' dénOlWIl\l'Ilt

s'impose inexorablement car le voyageur doit. partir et pourHuivrt\ Hon

périple. Ainsi, le lien causal très faible entre les diver~ épiROdl'8 t'Hl au

contraire impératif à l'intérieur de chaque scénario car il lie l'arri V(\l' du

voyageur à son départ. Nerval voudrait bien 6chapppr Ù l'pUe "fat.altt.{> du

voyage"8 et renouer les liens rompus, maIS il :';:l1t qu'tIIw foiH l'{>plsodl'

terminé, les situations vécues ne sont pas réverHibles et Il ne }wut. y aVOIr

d'interférences possibles avec les épisodes suivants.

Mais que résoudre? SI je retourne en Syrie plus tard,

je verrai renaître cette fièvre qU(' J'UI cu 1(> mlllhpur d'y

prendre: c'est l'opimon des médeCinS '~uallt fi flllrc Vl'lIlr Ici

la femme que j'avais ChOISie, ne ~enllt-ce pa~ l'expohPr <,11(,­

même à ces terribles maladies qui emportent dans ln!> pay~

du nord les trois quarts des fnmmes d'OTlPnt qu'on y

transplante?9

Il peut arriver toutefois que deux lignes narra ti veH courerl t

parallèlement pendant un certain temps. L'aventure de ~eynab He pourHuit

alors que Salèma entre en scène, mai s le lien ùe causalité pntn' ces deux

épisodes reste au niveau syntagmatique (contrairnrnent au niveau

symbolique) superficiel: c'est simplement parce que le voyageur a conduit

Page 92: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Zeynab chez Mme Carlès qu'il va rencontrer Salèma. Juste un concours de

circonstances, en somme.

Chez Flaubert, la rencontre avec Kutchouk Hanem, qui est la

rencontre féminine la plus importante du récit, coïncide avec le séjour à

J~sneh. :F;lle commence par une impression visuelle:

Sur J'escalier, en face de nous, la lumière l'entourant, et se

détachant sur le fond b1eu du cie1, une femme debout ... 10

ct sc termine par les adieux. Comme Flaubert l'explique plus tard à Louise

Colet, les contraintes et la fatalité du voyage limitent les relations dans le

temps ct l'espace.

J'en reviens à Kutchouk ... Nous faisons de l'esthétique sur

son compte, tandis que ce fameux voyageur si intéressant qui

a eu les honneurs de sa cou~he est complètement parti de son

souvenir comme bien d'autres. Ah' cela rend modeste de

voyager, on voit quelle petite place on occupe dans 1e

monde. Il

c Valeyr dramatique du couple Je 1 EUe.

L'ordre des ~pisodes ne permet pas de repérer une progression

narrative ou la production d'une causalité d'un épisode à l'autre. Par

contre, le sch6nla dl~ la "Rencontre" définit un dynamisme, une

dramatisation dans les relations de Je à Elle. Autour de ce couple

Page 93: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

surgissent et s'interposent sporadiquement les "Aut.res". les traductpu1"s.

les intermédiaires, les hôteliers qui peuvent facili t.el- ((,011\11H' M HW

Bonhomme) ou compliquer (comme l'Arménien gUI" Il' bateau) la Bituat.lOl1

Que leur rôle soit positif ou négatif. la nécessite' de Il'ur pn:'st'IH'P confi nlH'

l'écart et la polarisation entre de et Elle. Il (,8t dit qu'il existp aussi l'Il

Orient une autre force, extérieure aux hOlllIlle8, pt, dont l'lIlfllll'IH'(\ l'st.

reconnue par les protagonistes. C'est la fatalité qui intprfl'rp dans Il'ur Vil'

et les prive de liberté, ce qui accentue la tensioll orallldt.iqul'. Au 1ll01lll'1\t.

de quitter le Liban, Nerval s'en remet ainsi à Dieu ct à la f~lt.alit{>.

Mon ami, l'homme s'agite et Dipu le m(\I](, Il t'LilI.

sans doute étabh de toute éternité quP JP 'H' pOllrr:\I~ 1111'

marier ni en Egypte, ni en Syne, pay~ où I('~ UIlIOI1~ <.,onl.

pourtant d'une faCilité qUi touche à l'absurde 1 ~

D Le double registre de représentation,

Le deuxième facteur de cohérence dans la composition de l'univers

féminin orientaJ découle de la distinction déjà établie entre Ips deux

modalités d'intervention du sujet énonciateur dans le t.exte. CeUp

distinction entraîne un double plan de représentat.lOn: celUI du voyageur

orientaliste, érudit, contemplatif qui révèle une attItude deSCrIptive (!t

cognitive, et celUl du sujet impliqué dans l'aelion qUI (!xhl he UIH' volont/! dt·

participation. Dans le schéma narratif de la "I{cncontrc". I(!~ tllotJvaLIlHlS

de l'orientaliste sont évidemment beaucoup plus souvent de l'()rdf(~ de )a

Page 94: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

curiosité que du désir, Il faudrait cependant ajouter que ces deux plans

d'expression sont étroitement entremêlés, qu'ils se croisent., 8l'

superposent, se succèdent sans qu'il soit toujours possible de les séparer.

Je me fis raconter en détail les aventures de crUe

pauvre fille, Cela ressemblait à toutes les histoirrs d'csclnvrs

possibles, à l'Adrienne de Térence, à Mlle Aissé. Il est birn

entendu que je ne me flattais pas d'obtenir la vérité complèü·.

Issue de nobles parents, enlevée toute petite au bord de III

mer, chose qui serait invr81semblable aujourd'hui dans la

Méditerranée, mais qui reste probable au point de vue drs

mers du sud. Et d'ailleurs, d'où serait-ene venue? Il n'y

avait pas à douter de son origine malaise. Les sujets de

l'empire ottoman ne peuvent être vendus sous aucun

prétexte. 13

Dans un passage pareil, où Nerval raconte l'histoire de la vie de l'esela ve

qu'il s'est choisie, il est pratiquement impossible de délimiter les deux

plans du discours et de la narration, de savoir si les connaissances érudites

et les informations historiques sont sciemment greffées sur les moti fs

narratifs, comme une technique d'amplification et d'enrichissement, ou

s'il s'agit d'une mise en récit, d'une recherche de l'action pour rai rl'

passer les détails purement informatifs.

Toujours est-il que ce double registre, qui est une constante, est un

facteur de cohérence interne, Il communique au réei t de voyage une

tonalité particulière et se situe au point de convergence de la douhle

Page 95: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

intention du récit de voyage au XIXe siècle, qui est informative autant que

narrative et personnelle.

E La OOQIpositjQn plé1odigye.

On peut envisager une architecture globale du récit de voyage qui

donnerait à la présence de la femme orientale une fonction musicale. Elle

porte ainsi une mélodie identique (alors que le phrasé peut se diversifier)

qui parcourt le texte, parfois en sourdine, parfois en forte, créant un

équilibre ou une harmonie mobile entre les différents aspects de sa

représentation. Cette structure musicale nermet d'intégrer avec facilité les

observations objectives autant que les déformations de la ré~1ité ou les

digressions romanesques. Elle s'accommode facilement du mélange des

tons et des registres du discours. Elle justifie aussi les ruptures entre les

séquences narratives. La représentation de la femme orientale, à la fois

préservée de la contamination pureulent narrative et du discours

orientaliste, apparaît comme un thème aux modulations variées qui se

manifeste par un jeu subtil de récurrences, d'échos, de contrepoints et

d'analogies.

Gerald Schaeffer, dans son étude sur le YoyaKe en Orient de Nerval a

bien montré comment les rencontres féminines sont justement composées

les unes en fonction des autres selon des critères d'opposition, de répétition

et d'analogie. D'abord, l'opposition fondamentale entre les femInes

d'Orient et les femmes d'Occident est proposée par la division de l'ouvrage

Page 96: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

en deux parties, vers l'Orient/l'Orient. "La dualité du récit <lu'rxprime la

division vers l'Orien tll'Orient implique le jru de Il\ouvelllrntg ('l dp

personnages homologues, destinés à peindre l'afl'rontet11rnt de l'Ot'cüfl'nt. pt

de l'Orient".14 Cette opération se manifeste par le thème du cont.raste l'ntrl'

les femmes blondes et les femmes brunes, un thème tenace et récUl'rc-nt. qui

apparaît à Vienne, puis au Caire:

Une femme blanche doit ressortir admirablement !lU milieu

de ces fines de la nuit. 15

puis, plus tard au Liban, lorsque Zeynab forme avec Salèma un couple

antithétique,

Elles sont bien ensemble; c'est comme le jour et la nuit. 16

s'exclalYle Mme Carlès.

Les critères d'analogie créent une résonance, un écho entre leg

diverses apparitions de femlYles. Ainsi, d'après Gerald Schaeffer, "Une

aventure au Besestain", où Nerval, dans le dédale des rues du Cai re, Huit

deux femmes - aux mantilles noires et aux masques blancs - "nous

ramène à l'épisode viennois puisque, d'origine européenne, elles

ressemblent aux dOlYlinos de l'Opéra''.17 De la même façon, tous les

scénarios de mariages abandonnés du Caire annoncent les projets d'union

avec Salèma. Et toujours présent le refrain inlassablement répété sur la

beauté des femmes, à Genève, à Vienne, au Caire, au Liban, à

Page 97: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Constantinople. Dans cette construction au caractère musical, la femme

orientale est un thème important aux variations infinies, comme en

mutation constante dans le dér~'.!lement du texte.

Chez Flaubert, la mélodie de la femme suit de plus près la linéarité

du texte, favorisée en cela par ce que Pierre Marc de Biasi appelle "une

écriture minimaliste", où l'expression se lim.ite volontairement au strict

minimum. Le thème de la femme y est récurrent mais d'une manière

syncopée, dans des segments répartis à divers endroits de la chaîne

syntagmatique avec un decrescendo sensible après le départ d'Egypte. Là

aussi, une composition en contrepoint, en contraste, pour révéler non plus

la multiplicité féminine comme chez Nerval, mais les discordances parfois

grinçantes de l'univers féminin oriental: l'or, le clinquant opposé au

dérisoire, comme cette image de la maison d'une f'l'ostituée:

C'était sous une hutte en terre, à peine assez haute

pour Qu'une femme s'y tînt, dans un quartier hors de la ville,

tout en ruines, et ruines à ras de terre, au milieu de ce

silence, ces femmes en rouge et en or.18

En alternant ainsi la présence et l'absence de la femme, en l'oubliant

pour la faire surgir plus loin, sous une autre forme, la narration se joue de

la discontinuité pour faire de la femme orientale un motif musical

permanent et durable .

Page 98: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

NOTES

1 Todorov, Tzvetan, Poétique de la prose, Seuil, Paris, 1971, p. 74.

2 Nerval, Gérard de, voya~e en Orient, op. cit., p. 283.

3 Flaubert, Gustave, voyaiW en Ee:ypte, op. cit., p. 243 et 244.

4 Nerval, Gérard de, voya~ en Orient, op. cit., p. 486.

5 Ihid., p. 486.

6 lhûL, p. 487.

7 IhllL, p. 487.

8 Scbaeffer, Gerald, Le yoya"e en Orient de Neryal. Études des structures, La Baconnière, Neuchâtel, 1967, p. 301.

9 Nerval, Gérard de, Voya~e en Orient, op. cit., p. 600.

10 Flaubert, Gustave, voya~e en ElO'Pte, op. cit., p. 280.

11 Flaubert, Gustave, Correspondances, T. Il, op. clt., p. 284.

12 Nerval, Gérard de, voyai€ en Orient, op. cit., p. 599.

13 Ibid., p. 357.

14 Schaeffer, Gerald, op. cit., p. 302.

15 Nerval, Gérard de, Yoya~ en Orient, op. cit., p. 323.

16 Ibid., p. 512.

17 Schaeffer, Gerald, op. cit., p. 320.

18. Flaubert, Gustave, Voya~e en Ecpte, QP. cit., p. 295 et 296 .

Page 99: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

TROISIÈME PARTIE

LA REPRÉSENTATION DE LA FEMME ORIENTALE

ET LE SENS DU RÉCIT DU VOYAGE

Page 100: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

La représentation de la femme orientale a été envisagée jm:;ql1(\ Iii l'n

fonction de l'observation et de l'expérience de l'auteur-voyag<.'ur, dCH

conventions culturelles et des contraintes du récit de voyage. Elk H(' r<"vNp

une combinaison complexe de connaissances concrètes et livl'(\squl'S, un

mélange de fictions romanesques et de souvenirs autobiogrllphiqlH'H

répartis en des îlots narratifs discontinus ct autonoml's. On pl'ut alors SP

demander Ri ces différentes composantes de la repréHentation (Il> la fpmm('

orientale ne sont pas liées à une signification global<.' du récit dl' voyagt'

Une signification dont on voit bien qu'elle n'est ni déterminél' par un

enchaînement logique nécessai re, ni imposée par u ne réa 1 i t~

immédiatement sensible, maiE qui découlerait d'un ordre de relations qui

existe entre les diverses représentations, et entre les représent.ations pt

l'auteur-voyageur. Pour Michel Foucault,

L'ordre, c'est à la fois ce qui se donne dans I(>s choses

comme leur loi intérieure, le réseau secret selon Ipqupl ell(·s

se regardent en quelque sorte les unes les autr!'s et ce qUI

n'existe qu'à travers la grille d'un regard, d'une attentIOn,

d'un langage. 1

Donc, en plus de l'organisation interne déjà étudiée, il s'agit

d'identifier les origines et les caractéristiques des axes directeurs de la

Page 101: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

significatIon globale du récit de voyage et les prises de position qu'elle

détermine par rapport à la représentation de la femme orientale.

Les codes fondamentaux de la culture collective européenne

concernant l'Orient et les grands courants de pensée de l'époque fixent

d'entrée de jeu, pour chaque homme, les postulats, les croyances, les

schémas perceptifs ct les types d'images et de fantasmes auxquels il aura

affaire. L'usage et le mode d'application de ce système imposé plutôt que

créé par l'auteur-voyageur expriment des attitudes et des options

personnel1es. (1)

Puis, cette cohérence peut être recherchée au niveau de la personne de

l'auteur-voyageur, de sa sensibilité, de ses aspirations et des circonstances

particulières de son discours. (II)

La représentation de la femme orientale sera alors tout à fait conforme

à l'articulation centrale du récit de voyage: une relation au monde et une

expression de soi. "En son essence propre, la représentation est à la fois

indication ct apparaître; rapport à un objet et manifestation de soi",2

souligne Michel Foucault .

Page 102: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

CHAPITRE 1

A Le discours Sur l'Olient et le discours sur la f(~mml',

Si l'on conçoit, comme Todorov, que ce quo on HPlH'lIl' aujourd'hlll lllH'

idéologie c'est "}'ensenlble de positions, d'aUrludl'~ Pt. d'ielt'·ps parl.agt"l's par

la collectivité à un nlOmcnt de Ron histoire",:l on lwuL dln' qu'II l'xistp :tll

XIXe siècle une idéologie ori('ntahste Elle e~t fortlw(' d'ull 1ll{·langp cil'

savoir scientifiqur, nourri par les thèses des hist.OIïPIlS, 1'1, d'ull v{'ntahlt·

engouement pour l'Ol;ent qui afCecte autant les domai !WS de J:. (1{·t'(Wal.lolI,

de la mode, que l('s oeuvres des poètes cl dps l'ssa'yi~t.l's. À t.pl pOIllt. qllt'

Victor Hugo voit duns cette passion une oripntaLIOll clIlt.ul·('II(·

fondamentale. "Au siècle de Louis XIV on étmt 11l'l1éniste, malnt(·rwnt. on

est orientaliste",4 écrit-il en 1829.

Ces principes du dispositif idéologique qui contribuent ù la formation

du discours orientaliste s'appliquent aussi à la productIOn du discours sur

la femme. Pendant des siècles, les écrits sur les femnws sp ~ont r{'c1arn('s

de l'objectivité scientifiqu~ ct du hon bens populéure pour \,r·n!.('r d'(·tabllr

une "nature féminine" spéc:i fiquc. L'article ""'pm me", publ i{> dans 1(> tOIlW

de 1872 du Grand dictionnaire de Pierre Larousse, rôvele quelqlles asp(~eLs

de cette idéologie qui fonde, par exemple, la sensibilité ct l'imagination

Page 103: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

excessive des femmes sur des données biologiques.5 La volonté commune

de ces deme idéologies consiste à maintenir le concept de la différence.

L'Orient se définit par son "orientalité" et la femme par sa "fémÎnité".

n'où les comparatifs et les caractérisants stéréotypés qui leur sont accolés,

comme "splendeur orientale" ou "inconstance féminine", ou aussi

l'émotivité qui cst à la fois féminine et orientale. Et c'est justement parce

que la femme orientale sc trouve au point de rencontre de ces deux discours

- E,ur la Femme et sur J'Orient - que les analogies et les transpositions de

l'un à J'autre sont inévItables. Par conséquent, la femme participe aux

tentatives d'in terprétations globales dp l'Orient, comme toute vision de

l'Orient s'applique aussi à la femme orientale.

B La dichotomie Orient 1 Occident,

L'approche et la conn~l1ssance de l'Orient se placent toujours sous le

signe de la dichotomie Orient 1 Occident. Les frontières géographiques

entre les deux conti nents s'accompagnent de distinctions sociales,

culturelles et ethniques. Par une pratique presque universelle, les gens

définissent leur espace familier, leur identité, par opposition aux territoires

voisins, inconnus, différents, "barbares". Probablement con1me le citoyen

d'Athènl's devait se sentir autant non barbare que positivement athénien,

l'l·~llrop(' du X IXl' sil'cle dôfini t négativement son identité en s'opposant à

l'Orient. Il faut dire que cette attitude est le résultat d'un long

cheminement historique. La Grèce avait dû déjà préserver son identité en

livrant bataille aux Perses de Xerxès. Puis, Alexandre le Grand,

Page 104: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

conquérant et humaniste, a propagé la culture hellénique t'Il Oripnt. ll~nfin,

les Croisé::; pensaient défendre leur appartenance l'pligi('us(' face il un

Islam victorieux. La littérature qui s'est édifiée à partir d" ceR "xpl~ril'Ill·(,~.

des Perses d'Eschyle à la Chanson de Roland. perpétue l'imagl' d'un Oril'nt

hostile à l'Occident. Aussi le motif de danger associé à l'OrÎ('nt n'st,(\ arl('n.~

dans les esprits et se transpose naturellement dam; la p('rcpption dl's

relations avec la femme orientale. Surtout que la femme ('lIe-mêl1w l'st

regardée comme une menace potE'ntielle depuis que la r('liJ-~on chrét.iennt'

lui a fait assumer la responsabilité de la faute originelle.

C L'Orient OPPOSé à l'Occident.

Cette menace féminine, toujours présente à l'état latent, s'incarne en

Orient dans deux types de séductrices. D'abord la séductrice aux charm('s

insidieux et discrets qui subjugue le voyageur. Ainsi Nerval, absorbé par la

contemplation de Zeynab et Salèma s'amusant ensemble, prend

instinctivement conscience du danger qui le guette: "Ce spedacle avait un

charme dangereux pour moi: je ne tardai pas à l'éprouvcr".(;

Mais aussi la femme fatale qui, telle une mante religieuse, est prête ù

dévorer le mâle peu méfiant. Ce sont les figures fémi nines de tludit.h,

Cléopâtre, Salomé ou Isis qui, par leur jmpérieuse présence charnelle,

hantent l'imaginaire collectif. Il est tout à fait symptomatique de constater

que Flaubert, auprès de Kutchouk Hanem, se prend à songer à Judith, à

cette femme qui étrangla son amant au réveil. Car la relation avec la helle

Page 105: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

courtisane suscite, presque automatiquement et sans raison apparente, le

signal du danger.

À part le péril physique, transposé dans les relations avec les femmes,

l'Orient menace l'esprit rationnel par lequel l'Ocddent aime à se définir.

Aux valeurs cartésiennes de réflexion et d'efficacité, il oppose ses excès

sensuels ou émotionnels. Parlant de cette démesure générale, Flaubert

écrit il sa mère, "Tu me demandes si l'Orient est à la hauteur de ce que

j'i maginais. À la hauteur, oui, et de plus il dépasse en largeur la

supposition que j'en faisais".7 Alors que Nerval, par un réflexe de défense,

tâche de relativiser ces excès en les plaçant dans les limites de la loi

fJlusulmane. "I] suffit de dire que la loi musulmane ne signale aucun

péché dans cette ardeur des sens, utile à l'exil'tence des populations

méridionales décimées tant de foÏs par les pestes et les guerres".8

À la manière des univers magiques et mythologiques, l'Orient a ses

propres conventions, ses superstitions, ses mystères et fonctionne comme

un système fermé où les femmes sont ce qu'elles sont une fois pour toute,

pour des raisons qu'aucune donnée empirique ne peut corriger ou

modifier. Nerval et Flaubert ne peuvent que constater ce qui leur semble à

contre-courant de la logique. "Voilà un singulier pays où les esclaves ne

veulC'nt pas de la liberté"9, s'exclame Nerval.

Mais peu à peu le mystèrp et l'ambiguïté orientale finissent par

exercer une fascination troublante et corruptrice sur les voyageurs. "C'est

souvent comme si je retrouvais tout à coup de vieux rêves oubliés"lO confie

Page 106: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Flaubert à sa mpre. De son côté, Nerval, dl's h's pn'TllH'rs .lOlll'~ dl' ~on

séjour en Egypte, déchue: "C'est bll'n lil Il' pays d('~ rl\\'l'~ pt dl' l'illusion!"11

Puis il se laisse graduellement. séduu'(' pal' cd l'spact' Illy! hHIUl' Ir<\\'I'I"S(' dl'

pulsions contradictoires. Pour Cerald Schadli.'r I,_,s 1 r()i~ plus lI11porlanll's

rencontres féminines de Nerval t'l'préSl'lltl'l1t ~'p!h' Il'Illl' cll'~t'l'Iltl' "l'rs \Ps

demeures secrètes ct imag-lI1ain's dl' ),Oril'nt. L'('scla,,!' ",('YIl.lh ('si lllll'

réalité, mais l'Ile a appartenu cl l'ami ck Nl'rval, FOlll'r('dl', PUIS S:t1i'lll:l, la

princesse druze, est une pure fiction, maIs COITl's])ond au cOllte'!l' s()cio­

politique du L1ban, elle est donc une fig-un' fi."mlllinp vrais<'lllhlahk. l~:nlill.

Balkis participe au seul mythe. "En race dl' ces troIS rl'Ill111I'S, k }>O('I.l'

ressent et décrit la réalité de son évolution spirit.ul'lIl' 1 ... 1 où s'a!>oIISS('1l1. Il's

notions du réel et de l'imaginaire".12

D L'Orient complémentaire de l'Occid(~nt.

Avec l'amélioration des conditions matériC'lIes du voyage, les S('.I0llrs

en Orient vont sc multiplier annonçant d6jù le tourisllH' <1<- IlI:1S"!' du XXI'

siècle. Le Proche-Orient, plus souvent visité St'ra lIlil'llX connu, plus

familier, par opposition à l'Extrême Ol'ient encore in{·dit et 1Il('xplor'{" Cd!,!'

domestication de l'Orient méditerranpen atténue le spntillH'nt du dflng<'t' ('1.

permet la vision normale d'un Orient compl('mcntairp de' l'()('cldpnt; un

miroir de son passé culturel, ou une compensatIon il ~('S p,'oprc's f:1\ hlpsses .

Page 107: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

1) L'Orient miroir du passé.

Pour exhumer son passé, la démarche du voyageur est

essentiellement archéologique: fouiner, mettre à jour, trouver les traces

des origines de la civilisation occidentale. Puis les déchiffrer et les

interpréter. Edward Said remarque qu'une des images de prédilection du

Romantisme est celle du signe enfoui, du sens obscurci qui peut devenir

accessible si l'on prend la peine d'aller à la découverte des ruines, de

déterrer les souvenirs ou les secrets oubliés. Ainsi tout récit de voyage en

Orient "tire sa forme, son style et son intention de l'idée de pèlerinage en

Orient" .13 C~r l'idée ou le désir d'un retour au pays natal se confond avec

la recherche de "cette première patrie à tous".14

Les voyageurs sont ainsi à l'affût de détails susceptibles de rappeler un

passé hellénique ou biblique. La physionomie des femmes est scrutée en

vue de prouver cette filiation du présent au passé. "L'ovale parfait de leur

tête, l'emmanchement gracieux de leur col, la sérénité de leur physionomie

leur donnaient l'air de ces madones peintes d'Italie dont la couleur a jauni

par le temps. C'étaient des Abyssiniennes catholiques, des descendantes

peut-être du prêtre Jean ou de la reine Candace",15 suppose Nerval. Les

gestes les plus simples de la vie quotidienne des femmes, comme aller

chercher de l'eau à la fontaine, revêtent une signification profonde dans la

mesure où elles actualisent les images de la Bible et des Évangiles.

-Autre endroit où l'on voit une énorme table en pierre,

ou plutôt un rocher plat, sur laqueHe Jésus, avant et après sa

résurrection, a plusieurs fois mangé uvec ses apôtres.

Page 108: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Femmes à la fontaine, criant et se disputant; elles

sont fort belles ici, et de haut style, avec le bas de leur robe à

deux fentes volant au vent; cruches sur la tHe, mises sur le

flanc. Plusieurs sont blondes". 16

100

Sans aucune allusion directe aux Écritures, mais par le contexte

immédiat, par l'insistance sur la noblesse de l'attitude, de la blondeur plus

volontiers associée avec l'Occident et la chrétienté, Flaubert donne à ceUe

scène de femmes à la fontaine une signification biblique. Chez Nerval, la

relation est en général plus explicite et plus clairement formulée. Ainsi la

princesse druze se mêle aux travaux routiniers et descend "aux fontaines

avec les filles du village, ainsi que la Rebecca de la Bible et la Nam~icuu

d'Homère",17

Dans cette perspective, la thématique du dévoilement que nous avons

vue dans l'étude des techniques descriptives, prend ici une nouvelle valeur.

Car au delà de la curiosité et du plaisir de la possession par le regard d'un

visage nu, le dévoilement symbolise cette démarche herméneutique; c'est-

à-dire une volonté de dépasser les apparences, de comprendre ce qui est

dissimulé derrière ou dessous. Flaubert s'interroge devant les visages

voilés: "Femmes dans des carrosses, pâleur naturelle sous leur voile ou

donnée plutôt par leur voile même?"18 Le voile obscurcit et altère le vrai

visage des femmes, il masque leur identité véritable. Aussi chaque détail

physique saisi à la dérobée devient l'indice d'une étape franchie vers

l'intimité de la femme orientale, et par une secrète correspondance vers

l'identité première de l'Orient. "La ville elle-même, comme ses habitantes,

Page 109: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

101

ne dévoile que peu à peu ses retraites les plus ombragées, ses intérieurs les

plus charmants",19

Il ne faut pas dès lors s'étonner que pour Nerval, par exemple, toute

tentative d'union avec la femme orientale est vécue comme une forme de

communion avec le passé. "Il faut que je m'unisse à quelque fille ingénue

de ce sol :lacré qui est notre première patrie à tous"20 déclare-t-il. La

recherche obstinée d'une épouse orientale est un moyen de se retremper

aux "sources vivifiantes de l'humanité",21 de retrouver la race primitive de

ses aïeux. D'après Claude Pichois "Il y a chez Nerval comme chez

Gobineau (dont l'essai sur l'inégalité des races humaines parut entre 1853

et 1855) une nostalgie, héritée du XVIIè siècle, de la pureté primitive de la

race comme de la langue".22 Or justement, la découverte du Sanscrit

eomme l'ancêtre de toutes les langues indo-européennes, outre qu'elle

favorise ces extrapolations, montre bien comment l'idéologie et le discours

orientalistes, forgés à partir de véritables découvertes scientifiques,

pénètrent les textes érudits autant que les écrits littéraires ou politiques.

2) L'Orient, une compensation pour l'Oœident.

Plus précisément, l'Occident s'en va à la recherche de ses propres

fantasmes en ce qui concerne la séduction féminine. La tolérance à l'égard

de la polygamie, l'apparente docilité de la femme orientale toujours prête à

satisfaire le moindre désir masculin, laissent croire à des retrouvailles

avec l'ère révolue de la suprématie masculine. "En Europe où les

institutions ont supprimé la force matérielle, la femme est devenue trop

forte. Avec toute la puissance de séduction, de ruse, de persévérance et de

Page 110: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

10'2

persuasion que le ciel lui a départie, la femme de nos pays est socialem~nt

l'égale de l'homme, c'est plus qu'il n'en faut pour que ce dernier soit

toujours à coup sûr vaincu".23 L'évolution des moeurs occidentales est bien

ressentie par Nerval comme une perte d'identité et une défaite. Quant à

Flaubert, il semble satisfait de voir que la femme orientale se suffit à elle­

même. Toujours disponible, elle n'exprime pourtant aucune exigence

affective. "La femme orientale est Olne machine, rien de plus: elle ne fait

aucune différence entre un homme et un autre homme",24 écrit-il à Louise

Colet.

D'un autre côté et selon toute évidence, la présence féminine n'est pas

purement individuelle, elle reflète des institutions, des moeurs et surtout

un art de vivre de plus en plus inaccessible en Occident. Avec

l'industrialisation, l'Europe vit à l'heure du progrès, de la double

rentabilité du travail et du temps. Confronté au rythme de vie orientale,

l'auteur-voyageur pressent une forme de bonheur qui exige de lui une

véritable conversion. Qui mieux que la femme orientale, dont le style de vie

même est caractérisé par l'oisiveté et l'absence de toute fébrilité, pourrait

en donner l'exemple?

Profiter des délices d'un climat fortuné, aller au bain, se parer, boire

du café, fumer, sont les occupations principales des femmes. D'ai1Jeurs

Zeynab résiste farouchement à toutes les possibilités de travail suggérées

par Nerval. Le refus de la notion de responsabilité joint à la recherche du

plaisir ancré dans l'instant présent que confirme la pratique du kief, -

sorte de rêverie immobile, avec les paupières entrouvertes - font qu'en

Page 111: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

103

Orient le temps semhle s'écouler plus lentement, et la vie paraît moins

courte. "J'ignore pourquoi en Europe on vieillit si vite!"25 s'exclame

Nerval, et il ajoutt': "Il me semhle depuis peu de mois, que j'ai remonté le

cerc1e de mes jours, je me sens plus jeune, en effet je le suis, je n'ai que

vingt an8".26 Même les habits orientaux lui semblent conçus pour

favoriser la détente et la lihération du corps. Il oppose "Les robes flottantes,

lef, caleçons à vastes plis [aux] vêtements étriqués de l'Europe".27 Il

exprime ainsi la nostalgie de tout un art de vivre perdu à jamais pour

J'Occident qui est sur le point d'achever sa révolution industrielle et

soeiale.

E L'usaU'e de l'Autre.

À partit, de ces VISIons globales de l'Orient, qui s'incarnent dans la

femme, vont se définir les difTérentes attitudes envers L'Orient et la femme

orientait'. Il faut d'abord remarquer que la capacité de l'Occident à

articuler J'OI'ient, à vouloir connaître ses habitants, à les représenter,

instaur(' un rapport d'inégalité entre l'observateur et l'objet représenté,

('ntre le détenteur du savoir et la femme orientale. Cet usage de l'Autre,

qu'il soit réel ou textuel, affirme la supériOrIté de l'attitude occidentale.

Ainsi, lorsque Flaubert l'(\ncontre Kutchouk Hanem, celle-ci ne parle pas,

n'exprim.? aucun sentiment, ne raconte pas son histoire. C'est Flaubert

qm la représente cl explique en quoi, cl son avis, elle est une orientale. Par

un ét.range phénomène de sexualisation, la relation Occident / Orient

ressembl(' aux rapports entre Flaubert et Kutchouk Hanem. En effet,

Page 112: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

104

l'Occident explique l'Orient et parle pour lui, en le représentant sous g('s

différents aspects. Et par une association constante de l'Orient. ('t dl' la

sexualité, par le choix de ses caractérisants (charme, sensualité,

indolence, ... ), le discours occidental semble féminiser l'Orient pour mieux

le conquérir et le posséder.

1) Appropriation culturelle et domination.

C'est dans le contexte historique qu'il faut aussi replacer l'attitude des

auteurs-voyageurs envers les femmes d'Orient. En effet, à la fin du XIXp

siècle, l'Orient présente le spectacle d'une décomposition générnle. Il a

perdu et sa puissance militaire et son' àyonnement culturel. Le pouvoir

ottoman qui s'exerce sur toute la région n'apporte que l'insécurité, la

misère et la stagnation. Ce décalage entre la gloire pasflée et la

dégénérescence actuelle apparaît comme un vide à combler, un espace ù

remplir.

Dans le Moyen-Âge, nous avons tout reçu de l'Orient;

maintenant nous voudrions raDPorter à cette source

commune de l'humanité les puissances dont elle nous a

douées, pour faire grande de nouveau, la mère universelle.28

C'est peut-être une manière de conjurer le danger et de sécuriser le futur

que de se présenter ainsi chargé de la mission d'insumer sa propre vie et

son propre savoir à un Orient qui en a besoin. L'appropriation eulture11e

prépare ainsi la voie à une colonisation douce qui prend l'allure d'un acte

de bienfaisance. Et effectivement, l'une des formes les plus courantes de

Page 113: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

105

l'attitude de supériorité masculine et occidentale envers la femme orientale

est la responsabilité éducative dont se charge l'auteur-voyageur. Nerval

essaie successivement d'enseigner le français à Zeynab, puis un métier, et

surtout le concept inconnu de liberté. Voulant affranchir l'esclave, Nerval

s'attend il une explosion de joie. "Libre! dit-elle, et que voulez-vous que je

fasse? Libre! Mais où irais-je?"29 La déclaration de Zeynab ressemble fort

aux arguments des colonialistes qui estimaient que les pays orientaux ne

sauraient profiter correctement de leur indépendance.

C'est bien aussi une appropriation culturelle que le retour symbolique

à la terre natale. On a vu que même l'union avec une femme du pays est

considérée par Nerval comme une communion avec le passé. Or,

retrouver à tout prix les origines de sa civilisation, 1 ecouvrer son héritage,

impliquent, dans une certaine mesure, la disqualification de l'Orient

contemporain et de ses structures actuelles. Se promenant dans les rues

du Caire. Nerval remarque:

La conqu(>tp arabe n'a jamais pu transformer à ce

point Ip caracti>re des habitants; n'est-ce pas toujours

d'ailleurs la terre antIque et maternelle où notre Europe, à

travers le monde grec et romain, sent remonter ses

ol'igines,?30

Mais au lieu du retour espéré au passé glorieux, l'Orient risque de

commencC'r à ressembler à l'Occident, ou plutôt à prendre son visage

caricatural. I·'laubert constate avec ironie le caractère inévitable de la

transformation .

Page 114: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Dans cent ans le harem sera aboli en Orient,

l'exempl\:' des femmes européennes est contagieux, un de ces

jours elles vont se mettre à lire des romans. Adi('u la

tranquiHité turque! Tout craque de vétusté partout.:n

2) Immobilisation et marginalisation.

JŒi

L'Orient a raté sa marche vers le progrès. Il n'a pas su accomplir sa

propre révolution. Les institutions, les moeurs et tout l'univers féminin

oriental semblent condamnés à rester figés ou à copier l'Occident.

L'Orient est ainsi marginalisé, réduit à une proie entre les mains dl'S

grandes puissances ou à un objet de curiosité et d'étude pour les savants et

les artistes. En tenant toujours compte de cette équivalence entre l'Orient

et la femme orientale, on peut se dire que Nerval et Flaubert ont tous deux

exploité et manipulé, pour leur usage esthétique personnel, leur

expérience de l'Orient et de la femme orientale. C'est ce que nous al10ns

voir dans le prochain chapitre .

Page 115: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

107

NOTES

l Foucault, Michel: Les mots et les choses, op. cit., p. 11.

2. .I.bi.d., p. 79.

3. 'fodorov, Tzvetan, dans "Préface" de L'Orientalisme. op. cit., p.7.

4. Hugo, Victor, Oeuvres poétiques, éd. Pierre Albouy, Gallimard, Paris, 1964., p. 580.

5. Larousse, Pierre, Grand Dictionaire, Paris, 1872.

fi Nerval, Gérard de, VoyaiN en Orient. QP. cit., p. 513.

7. Flaubert, Gustave, Correspondanceti, T. 1, op. cit., p. 562.

R Nerval, Gérard de, Voyage en Orient. op. cit., p. 786.

9. Ibid., p. 382.

10. Flaubert, Gustave, CQrrespondances, T. 1, op. cit .. p. 562.

11. Nerval, Gérard de, YoyaiN en Orient. op. cit.. p. 262.

12. Schaeffer, Gerald, Le voya~e en Orient de Nerval. Étude des structures. op. cit., p. 492.

l:~ Said, Edward, L'Orientalisme. op. cit., p. 195.

14. Nerval, Gérard de, maiN en Orient. op. cit., p. 504.

15 Thid., p. 341.

16. Flaubert, Gustave, Notes de vQyae;e en Orient. op. cit., p. 610.

17. Nerval, Gérard de, voyae;e en Orient. op. cit., p. 323.

18. Flaubert, Gustave, Notes de yoyae;e en Orient. op. cit., p.647.

19. Nerval, Gérard de, Voyae;e en Orient. op. cit., p. 262.

~. lhid., p. 506 .

Page 116: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

• 2l Ibid., p. 506.

22. Pichois, Claude, dans la "Notice" au Voyage en Orient., op. cit, p. l:Jt~:l.

23. Nerval, Gérard de, Voyal:e en Orient. op. dt., p. 506.

24. Flaubert, Gustave, Correspondances. T. II, op. cit., p. 283 ct 284.

25. Nerval, Gérard de, Voyal:e en Orient. op. cit.. p. 504.

~. lhid.., p. 504.

'n. lhid.., p. 505.

28. Thid.., p. 774.

29. lhid..,p. 381.

30. lhid.. ,p. 346.

3l Flaubert, Gustave, Notes de voyage en Orient. op. cit., p. 649 .

Page 117: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

CHAPITRE II

LA REPRÉSENTATION DE LA FEMME ORIENTALE ET LA QUÊTE PERSONNELLE DE NERVAL ET FLAUBERT

Pour Nerval et pour Flaubert, le voyage en Orient rejoint une quête

intime et se confond avec la recherche d'un univers nouveau en accord avec

leurs aspirations esthétiques et spirituelles. À une signification globale du

récit de voyage déterminée par les grands courants de pensée s'ajoute donc

une finalité plus personnelle. L'Orient est visité et exploité en fonction des

exigences variées de l'imagination et de la création littéraire. Les

motivations du départ ne sont pas toujours les mêmes chez Nerval et chez

Flaubert, mais pour tous les deux l'expérience passée du voyage est évoquée

au présent, c'est-à-dire au moment de l'écriture.! Chaque détail est ainsi

vu sous un double éclairage: en fonction de sa singularité et en fonction de

la signification globale de l'oeuvre. Flaubert et Nerval vont donc pouvoir

jouer consciemment avec les limites du discours oI'Ïentaliste pour mieux

servir leurs projets d'écriture.

A L'egjrJl personnel du Voyae en Orient de NeryaJ.

TI faut d'abord chercher l'enjeu personnel du voyage de Nerval dans sa

vie même. Il veut partir pour trouver une nouvelle source d'ins}Jiration,

aussi bien que pour faire oublier sa maladie et recouvrer son prestige

Page 118: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

110

devant ses amis. Il écrit à son père, de Constantinople: "Le meilll'Ul', C'l'f;t,

que j'ai acquis de la besogne pour longtemps, et je me suis créé, COIllIl\(' on

dit, une spécialité. J'ai fait oublier ma maladie par un voyage; jl\ ml' suis

instruit, je me suis même amusé."2 Le double but de l'écrit.ul'l\ l't. d(\ la

guérison est donc clairement indiqué, Les Carnets du Caire révèlent. all~Hi,

à côté des notes à caractère historique ou philosophique. dl'R f('1l1arqll('S

dispersées sur les intérêts personnels poursuivis durant. le voyage, Tout. au

début, Nerval écrit: "Je sens le besoin de m'assimiler toute la ,".ature, , ..

poursuivre les mêmes traits dans des femmes diverses" ,:J puis, plus loin,

"Désir de l'Orient, ... le rêve se réalise",4 Enfin, dans le cours du r{'cit d<­

voyage, Nerval se compare à plusieurs reprises au Yorick du Voyalt(,'

sentimental de Sterne, parti à la recherche, ou sur les traces, de SPS

sentiments et de ses rêves.

Ces points de repère permettent donc une lecture du Voyalte en Qri~

qUI révèle, en dessous du reportage informatif, une quête amoureuse Pt.

mystique qui en est la tranle profonde, Pour Gerald Schaeffer, la qU(lt,p

mythique de Nerval transparaît dans la structure de l'oeuvre; l'Ile est )('

critère décisif de composition, et ses différents éléments sc combinent "pour

animer à travers toute l'oeuvre, une figure féminine complexe, analngue

aux diverses constructions esthétiques et morales qui m;surent la

composition générale".5 D'une manière plus restrei nte, cc qui est

important pour nous est de voir quel est l'apport spécifique de la femme

orientale à cette mythologie amoureuse de Nerval.

Page 119: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

111

1) Rôle de la femme orientale.

Indépendamment de toute interprétation psychanalytique, Gerald

Schaeffer constate que "C'est toujours en termes d'unités dialectiques que

Nerva] vivra ses diverses aventures sentimentales".6 Autrement dit, la

quête amoureuse s'accomp1it par le désir et l'effort d'apprivoiser et d'unir

]a division des contraires incarnée par la femme.

L'opposition première et génétique, pourrait-on dire, découle de

l'association de la femme à la nature et à la culture. "Le poète se persuade

que chaque région de ]a terre modèle un type de femme". 7 Alors qu'il est

généralement attiré par un certain type de femme blonde, "la femme idéale

deR tableaux de l'école itaIienne"8, il découvre à Vienne, sur la route de

l'Orient, l'opposit.lOn entre les femmes européennes du nord et celles du

midi. Une Anglaise blonde et une Italienne brune, courtisées par le poète,

incarnent cette dualité féminine difficile à réduire. Or l'Orient, par sa

multiplicité raciale et ethnique, élargit l'éventail des oppositions possibles,

l'exemple parfait étant incarné par la rencontre de Zeynab et de Salèma,

l'esclavl' javanaise à la chevelure et à la peau brunes, et la pdncesse druze,

blonde à ]a peau blanche. Dans une vaine tentative de conciliation, Nerval

espère garder les deux en même temps, comme il l'explique au Pacha

d'Acre.

Épouser la jeune fille dont je vous ai parlé, à qui je

donnerai l'esclave comm(> présent de noces, comme douaire;

eHes sont amies, ell(>s vivront ensemble.9

Page 120: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

112

La diversité raciale entraîne inévitablement des différence::; cul t.urelles

qui sont à l'origine d'une autre série d'opposit.iong à surmonÜ'r. L'Olil'llt,

"berceau de toutes les croyances",IO "terre des patriarches", Il "pll'mii'n'

patrie",12 incarne la résurrection d'un passé culturel et porte la pn IllNiSP

d'une union entre 1eR civilisations judéo-chrétienne (,t islamique. La

princesse Salèma n'est-elle pas une druze et Nerval fils dC" franc-ma~on"

Le voyageur saura atténuer les différences de religion: la fran,'­

maçonnerie se rattache aux templiers et, à son avis, les Druzes sont. Il'H

descendants spirituels de ces templiers qui ont occt!:1é la montagnt'

libanaise aux temps des croisades. D'ailleurs, observe-t-il, "La croyance

des druzes n'est qu'un syncrétisme de t.outes le::~ religions et de toutes les

philosophies antérieures" .13

Enfin, le couple idéal, aux yeux de Nerval, doit réussir une unIOn

totale autant charnelle que spit;tuelle dont le meilleur exemph' est donné

par la mythologie orientale. C'est l'union dans la mort entre Adoniram ct.

Balkis, femme-déesse et épouse en même temps, racontée dans "L'Hist.oire

de la reine du matin et de Soliman, prince des génies". La femme

salvatrice correspond donc à un modèle créé et nourri par l'imaginaire

collectif oriental. L'antagonisme fondamental entre l'Occident et l'Orient

sur lequel s'articule le récit de voyage pourrait ainsi être transcendé grâce

à la rencontre de deux cultures et de deux univers mythiques, Nerval

s'identifiant volontiers avec le héros mythique Adoniram qu'il place face il

la reine de Saba dans son récit .

Page 121: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

113

2) Le schéma d'une initiation.

Ce schéma dialectique de la quête amoureuse est donc un parcours

d'obstacles, représenté dans les projets sucr::essifs de mariage en\;sagés

par Nerval. D'après Gerald Schaeffer, chaque tentative qui échoue, chaque

projet abandonné, annonce et prépare l'épreuve suivante jusqu'à la

révélation finale de Constantinople et de l'effigie idéale de la reine de Saba

ou Balkis. Nerval expose ainsi au ~acha d'Acre l'enchaînement des

événements.

C'est en Egypte qu'on m'a donné l'idée du maraige:

la chose y paraît si simple, ... mais je suis difficile, je l'avoue,

et puis, sans doute, beaucoup d'Européens ne se font là­

dessus aucun scrupule ... cependant cet achat de filles à

leurs parents m'a toujours semblé quelque chose de révoltant

... J'ai hésité, j'ai réfléchi, j'ai fini pal' acheter une esclave

avec le prix que j'aurais mis à une épouse. Mais on ne

touche guère impunément aux moeurs d'un monde dont on

n'est pas.14

On voit que dans l'expérience nervalienne, l'union avec la femme

orientale s'inscrit dans un contexte difficile, de dilemmes et d'échecs. Elle

est impossible tant que l'abolition de l'antithèse entre l'Orient et l'Occident

est vécue comme une transgression, comme une faute qui mérite le

châtiment. C'est pour cela qu'elle ne peut se réaliser que dans un mythe.

Seule la figure de Balkis peut concilier tous les contraires. Au terme de son

anxieuse recherche et après un itinéraire à base d'épreuves et de

Page 122: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

114

dépassements, quand le voyageur comprend cette vérité, il est à la fin de

son initiation. L'accès à la femme orientale et la nlarche vers ia lumièn'

suivent obligatoirement le même cheminement. Une démarche dont

Nerval a eu l'intuition dès le premier jour de son séjour au Caire. Dans le

chapitre intitulé "Le masque et le voile", après avoir fait l'éloge des initiés

antiques, Nerval décrit l'Egyptienne voilée.

Reste le voile qui, peut-être, n'établit pas une barrièrt,

aussi farouche que )'on croit ... Le masque est composé d'une

pièce de crin noir étroite et longue qui descend de la tête au

pied et qui est percée de deus trous comme la cagoule d'un

pénitent; quelques annelets bri\lants sont enfIlés dUlls

l'intervalle qui joint le front à la barbe du masque, pt c'pst

derrière ce rempart que des yeux ardents vous attendent,

armés de toutes les séductions qu'ils peuvent. emprunter à

l'art. 15

"Barrière farouche", "rempart", "attendent armés" sont bien les

variations d'un champ lexical évoquant le combat et la lutte. Mais

l'ambivalence caractérise ce vocabulaire qui peut être aussi celui de

l'amour précieux. Si l'on considère en plus que le regard de la femme

égyptienne concentre toutes les possibilités de séduction et de

communication et que, selon une très longue tradition, les yeux définissent

métonyrniquement la femme en tant qu'objet d'amour, l'on comprend que

Nerval, dès le début, identifie la quête de la femme orientale avec sa quête

amoureuse et mystique. C'est pour cela que If' voyageur contemple avec

insistance le visage masqué des femmes, dans l'espoir de pouvoir écarter

Page 123: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

115

ou vaincre l'obstacle à la t.ransparence que constitue le voile. "Point de

passion plus essentielle que celle qui le pousse à traverser écrans et

trames, à marcher vers la profondeur défendue, à dévoiler l'être"16,

souligne Jean-Pierre Richard.

3) L'usage du matériau orientaL

Nerval est prêt à saisir les principes secrets de l'univers féminin

oriental qui correspondent à sa sensibilité. Mais il attend de ce monde

nouveau qu'il puisse satisfaire ses désirs; aussi va-t-il prendre une liberté

de plus en plus grande vis-à-vis du matériau orientaliste traditionnel. Car

le décalage entre les espoirs du départ et ce que l'Orient a pu offrir va être

effacé au moment de la mise en texte. L'écriture est un moyen de revivre le

voyage tout en le façonnant; de fixer et de sauvegarder les souvenirs et, en

même temps, de les modeler selon les désirs insatisfaits. Dans un premier

temps, les données du réel sont métamorphosées, enrichies par leur

intégration dans un décor ou une intrigue romanesque. Nous voyons ainsi

Zeynab participer à plusieurs épisodes vaudevillesques.

Mais c'est surtout en superposant les souvenirs et les rêves sur la

réalité perçue que Nerval crée un univers féminin capable de satisfaire ses

désirs. Lorsqu'il croit à la possibilité d'épouser Salèma, Nerval prend tout

à coup conscience du miracle: "Mon ami, j'ai tout compris, tout deviné en

un instant; mon rêve absurde devient ma vie, l'impossible s'est réalisé!"17

D'ailleurs, la différenciation entre le rêve et la réalité, entre l'illusion et la

certitude, est inutile: "Ah! Je crois être amoureux, ah! Je crois être

malade, n'est-ce pas? l'Aais si je crois l'être, je le SUiS!"18

Page 124: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

1W

Ainsi, la femme orientale, à la fois observée et imagin6e, se trouve au

point de jonction de la réalité et du rêve, du passé et du pr6sl'nt. Sa

représentation s'éloigne ainsi de la finalité inforn1.ative et "ori('ntalistl''' du

récit de voyage pour devenir l'incarnation d'une expérienee plus intime.

Une fois arrivé à Malte, Nerval constate qu'il est maintenant dans les pays

du froid et "l'Orient n'est plus pour [1 ui] qu'un de ces rêves du matin

auxquels viennent bientôt succéder les ennuis du jour".lg

B La quête estbétiuue de t1aubert,

1) L'harmonie des choses disparates.

Si l'Orient personnel de Nerval est un univers onirique, ambigu, celui

de Flaubert est éminemment ancré dans la réalité la plus concrèt.e.

Pourtant, avant son départ, il croyait aller à la rencontre du pittoresque:

"Je recherche la couleur, la poésie, ce qui est sonore, ce qui est chaud, <:e

qui est beau ... ",20 écrit·il à Emmanuel Vasse. Or, lorsqu'il parcourt

effectivement l'Orient, celui-ci lui donne l'impression de décrépitude, de

sénescence. Comme Nerval, il a la vision d'un Orient vidé, usé. Mais au

lieu de projeter sur lui son univers intérieur, il va se laisser surprendre

par le côté grotesque et inattendu de la réalité orientale.

Il ya un élément nouveau, que je ne m'attendais pas

à voir et qui est immense ici, c'est le grotesque. Tout le vieux

comique de l'esclave rossé, du vendeur de femmes bourru, du

marchand filou, est ici très jeune, très vrai, très charmant 21

Page 125: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

117

Les Romantiques n'ignoraient pas le grotesque qui faisait partie de

leur esthétique. Mais il n'avait pas sa place dans leur Orient. Chez

Flaubert, il faut y voir un désir et un besoin car, avoue-t-il:

Le grotesque triste a pour moi un charme inouï. Il

correspond aux besoins intimes de ma nature bouffonnement

amère. Il ne me fait pas rire mais rêver longuement.22

L'univers féminin oriental lui offre d'emblée la synthèse d'éléments

contradictoires qui flattent son oeil et répondent à son sens esthétique. Au

lieu de privilégier l'exotisme, il raconte des anecdotes obscènes sur les

femmes et rapporte les traits de moeurs choquantes comme ces "femmes

stériles [qui] s'allaient mettre sous la parabole d'urine [d'un marabout] et

s'cn arrosaient".23 Même dans ses relations personnelles avec les femmes

orientales, il n'essaie jamais de réduire les incongruités qu'il voit devant

lui. Lors d'une visite à une prostituée, il remarque:

Il faut ramper pour y entrer. On ne peut y tenir que

courbé ou à genoux, la lampe est dans un trou pratiqué dans

l'épaisseur du mur, cette fille a une gueule affreuse, bel

effet ... 24

Il aime aUSSI en Kutchouk Hanem l'odeur de punaise mêlée au

parfum de santal, car justement il reconnaît la poésie particulière de

l'Orient dans ces oppositions. Dans une lettre à Louise Colet datée de mars

1853, il explique sa vision esthétique de l'Orient:

Page 126: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Ce que j'aime au contraire dans l'Orient, c'est cette

grandeur qui s'ignore, et cette harmonie des choses

disparates. Je me rappelle un baigneur qui avait au bras

gauche un bracelet d'argent, et à l'autre un vt"slcatoirf'

Voilà l'Orient vrai et partant, poétique' des grt>dms en

haillons galonnés et tout couverts de vermine Laissez donc

la vermine, elle fait au soleIl des arabesques d'or. 'ru me dIs

que les punaises de Kutchouk Hanem te la Mgradent: c'est

là, moi, ce qui m'enchantait.25

118

Pour Flaubert, la poésie est présente partout en Orient; il suffit de

changer sa façon de regarder.

Autrefois on croyait que la canne à sucre seule

donnait le sucre. On en tire à peu près de tout maintenant; il

en est de même de la poésie.26

Son usage du matériau orientaliste devient ainsi tout à fait personnel;

il va dédaigner l'exotisme miroitant pour mieux montrer l'cnv~rs de la

scène orientale avec ses misères et son caractère dérisoire. Cette vision

esthétique de Flaubert dessine une ligne secrète qui relie l'Orient Ù

Madame Bovary et l'envers de l'exotisme oriental à l'envers du

romanesque .

Page 127: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

119

2) L'jmmobilisme oriental

En Orient, une sorte d'engourdissement s'empare de Flaubert et il en

devient conscient. Dans une lettre à sa mère, après avoir tracé un tableau

du pays, il écrit "Pour moi je rêvasse de toute cette vieille littérature, je

tâche d'empoigner tout ça. Je voudrais bien imaginer quelque chose, mais

je ne sais quoi. Il me semble que je deviens bête comme un pot".27 Ces

répugnances à participer à ce qu'il voit, à s'engager dans une activité, sont

rapportées dans les Souvenirs littéraires de Maxime du Camp qui ne

manque pas de s'étonner de cette apathie. Mais en réalité ces difficultés

intérieures de Flaubert se trouvent en harmonie, en communion avec la

réalité orientale environnante. Les sentiments d'indifférence et de vide

qu'il exprime à sa mère, il les retrouve dans le regard des femmes. "J'ai

vu des danseuses dont le corps se balançait avec la régularité ou la furie

insensible d'un palmier. Cet oeil, si plein de profondeurs et où il y a des

épaisseurs de teintes comme à la mer, n'exprime rien que le calme, le

calme et le vide, comme le désert" ,28 constate-il. Ce thème de

l'immobilisme est aussi un thème constant de l'esthétique flaubertienne.

Dans l'Éducation sentimentale, Frédéric est atteint d'une sorte de

prostration; il laisse couler les jours sans leur imprimer sa marque; il

subit les événements sans pouvoir rien changer.

Cette vie au ralenti, dénuée de relief, que Flaubert découvre en Orient,

devient l'occasion pour iu}. de donner libre cours aux errements de son

Page 128: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

lal

esprit. Mais ses rêves, contrairement à ceux de Nerval qui avaient. un

pouvoir transfiguratif, viennent ici accuser la monotonie et la dl"l"ision dl'

sa vie. Couché auprès de Kutchouk Hanem, il pense:

Je la regardai dortmr Je songNlis il des nutrt's nuits

où je regardais d'autres femmes dormlf, et tout<,s l('s nutrC's

nuits que j'ai passées. blanches. Je T('P<'IlSHIS à tout., jl'

m'abîmais de tristesse et de rêveries 29

C Persjsfanoo du thème de la femme orientale.

Pour ces deux auteurs-voyageurs, l'Orient est comme un endroit. d6jù

vu, déjà visité, grâce aux multiples lectures qu'ils avaient. (~lit.l .. 'H avant. leur

départ. Mais c'est aussi un endroit où ils vont fréquemment rclourner ('n

pensée après le véritable voyage. Car ni pour Flaubert., ni pour Nprval,

l'Orient n'est épuisé par l'usage qu'ils en ont fait.. L'Oricnt. et le monde

féminin oriental font désormais partie de leur univers intérieur. Le

désappointement ou la mystification qu'ils ont subis n'affecte pas la

fascination que celui-ci continue d'exercer sur leurs oeuvrl's. Chc:r. Nerval,

Aurélia et le Voya~e en Orient. se recoupent ct sc complètent par les

réminiscences et les souvenirs mythiques d'Orient qui s'y rnêll'nL Dans

Aurélia, le narrateur décide un soir de ne pas rentrer chez lUi. Comme

son ami l'interroge, "Où vas-tu? -Vers l'Orient" dit-il, avant d'ajouter:

"Dans cette étoile sont ceux qui m'attendent._ Laisse-moi les rejomdrc car

Page 129: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

121

celle que j'aime leur appartient, et c'est là que nous devons nous

retrouver".30

Quant à Flaubert, l'Orient apparaissait déjà dans la première version

de I..Ja tentation de saint Antoine, mais il est aussi présent dans les deux

versions suivantes, aussi bien que dans Hérodias, ou SalammbÔ et dans les

nombreuses notes de lecture ou de scénarios ébauchés, qui ont été étudiées

par Bruneau.31 Plus spécifiquement, Kutchouk Hanem a servi dans une

large mesure au prototype de Salammbô et de Salomé, ainsi que de

certaines versions des tentatrices de son saint Antoine. Mais surtout,

Flaubert a rapporté avec lui la confirmation de sa vision esthétique du

monde .

Page 130: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

122

NOTI~S

L Flaubert a écrit un seul chapitre, intitulé "La Cangl,1I durant, Il' voyage.

2. Nerval, Gérard de, Correspondances, op. cil., p. 87a.

3. Nerval, Gérard de, Le carnet du Caire, dam; QCllVI'(,'8 cOllmIN(,'s, '1'. Il, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1 B84, p. R44.

4. Ibid., p. 853.

5. Schaeffer, Gerald, Le Voyage en al'ient de N (,'}"VH 1. I;~tud(,' d!.'S structures, op. cit., p. 421.

6. Ibid., p. 421.

7. Ibid .• p. 420.

8. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient. op. cil., p. f>HO.

9. Ibid., p. 590.

10. Ibid., p. 506.

11. Ibid., p. 506.

12. Ibid., p. 522.

13. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient. op. ciL, p. ~37fi.

14. Ibid., p. 590.

15. Ibid., p. 261. (C'est nous qui soulignons)

16. Richard, Jeaî-Pierre, Poésie ct profondeur, Seuil, Paris, 19!)!), p. 21.

17. Ibid., p. 595.

18. Ibid., p. 514.

19. Ibid., p. 790 .

Page 131: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

00. Flaubert, Gustave, Correspondances. op. cit., T. II, p. 344.

21 Ibid., p. 5~,B.

22. lhid., p. 307.

Zl Flaubert, Gustave, VoyaiN en Emte. op. cit., p. 200.

2Il Ibid., p. 264.

25 Flaubert, Gustave, Correspondances. op. cit., T. II, p. 283.

~ Ihid.., T. II, p. 283.

'Xl. Ibid., T. l, p. 614.

28. Ihid.., T. II, p. 284.

~. Flaubert, Gustave, Voya2e en E~te. op. cit., p. 287.

123

30. Nerval, Gérard de, Aurélia, dans Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gal1imard, Paris, 1952, p. 362.

:n. Bruneau, J., Le "Contf! oriental" de Flaubert, Denoël, Paris, 1973 .

Page 132: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

CONCLUSION

Page 133: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

125

Dans cette étude, nous nous sommes efforcée de départager, puis de

décomposer les différents plans d'énoncé qui définissent la représentation

de la femme orientale dans les récits de voyage de Nerval et de Flaubert.

Au lieu de porter sur ces textes un regard unificateur pour dégager la

signification singulière de cette représentation, nous avons disloqué et

démantelé ses éléments constitutifs pour montrer comment la présence

textuelle de la femme orientale est plutôt le résultat de la superposition de

plusieurs couches de significations. Nous avons séparé trois niveaux

d'énoncé, qui ne sont liés par aucun ordre hiérarchique, mais qui sont

organisés en des réseaux serrés, autonomes, mais interdépendants.

Le premier niveau d'énoncé délimité est lié à l'intention didactique

du récit de voyage qui a toujours été considéré comme une source de

documentation et d'information. Cette prétention scientifique exige

l'adoption d'une méthode de connaissance rigoureuse, basée sur une

observation réelle. Nerval et Flaubert ont effectivement fondé la

représentation de la femme orientale sur un faisceau de "choses vues"

puisqu'il s ont résidé en Orient. Mais pour eux, la difficulté majeure de

cette méthode d'approche provient du caractère secret de l'univers féminin

oriental. Aussi, comme nous l'avons vu, les circonstances spatiales et

temporelles autant que le hasard sont les facteurs déterminants d'un

"pouvoir voir" qui a besoin de justifications. Parfois même, l'observation

Page 134: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

1~;

est contrainte d'avoir recours à des subterfuges, comme 1(' déh'1.1i~H.\mt'nt. ou

d'user de moyens détournés, comme l'observation au second degn'l, ("pst-il­

dire rapportée par une tierce personne dont la compétcnc(' est indiscutahle.

Cependant, au moment de la transposition textuelle du n~(\I, se dl"ga~t' dt'Jù

un premIer principe, Au lieu d'une copie passIve' de' la r0alttp,

l'observation pose un filtre, une grille qui chOIsi t ct s{' It'ctiontH' dH'z la

femIne orientale le caractère pertinent qui illustre Il' Illll'UX h' pro,wt

informatif. Ce système d'inventaire, qui fragmente la fl'BlnW pn (ks 1lI11t{IS

significatives variées, privilégie le détail différent, rare ou PxcpptÎonlll'1 dl'

l'information apportée par chaque figure féminml' évoquée' Lp mpssagl'

transmis répond alors à l'attente du lecteur qui vput le pl U,Ol'(lsqUl' ,

l'inattendu ou "l'inexploré".

Après l'observation, qui est un instrument de srlcction, la dPSlTÎ pt.IOII

est le deuxième opérateur textuel de la représl'ntation au mv('au tn'c)rmald',

Il est un instrument d'ordre et de cohérence qui visp a assuJ'('1'

l'intelligibilité du message. Les niveaux de perception choisis sont alol's

organisés et catégorisés principalement autour de deux axps pal'adl~~llla­

tiques et leurs sous-variables: l'origine raciale et la spécificit,{1 d(·s

costumes et des toilettes. Puis ils sont à(~c1inùs dans un souel

d'exhaustivité, créant "un effet de liste", ou distrIbués selon dl'S cnt,('I'(,h d(·

classification définis par un sel'l aspect de ces vanahle<;. Qu'pile' (,XI~(' Urt

cadrage en plan fixe ou qu'elle suive le regard ambulant du voyagf'lIl', WH!

telle description est l'expression d'une connaissance de la femme orl{'ntal('

qui reste extérieure. Pourtant, l'information nécessite parfoiH un effort de

Page 135: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

127

déchiffrage qui vise à dépasser les apparences et à établir des corrélations

entre les traits visibles et les traits invisibles, caractériels ou sociaux. Dans

ce cas, le message informatif reste implicite et requiert, pour sa mise en

évidence, l'intervention de l'auteur-voyageur. C'est là que nous pouvons

constater le premier rapport de force entre une description scientifique, qui

se veut impersonnelle et ohjective, et celle où le descripteur joue le rôle

d'initiateur d'un univers secret. Par ses choix et ses interprétations,

comme par ses oublis, l'auteur-voyageur dépasse sa fonction didactique et

exhibe une volonté d'emphase qui place la femme orientale dans son propre

système d'évaluation.

Une autre ligne de tension oppose l'observation réelle au système de

connaissance construit par des siècles d'études et de recherches

orientalistes. Des modèles livresques s'interposent inévitablement entre la

réalité perçue et sa représentation finale qui est à la fois soumise aux lois

de l'observation et de la description et à celles de la conformité

conventionnelle à des schémas préexistants. La diversité de la vision

personnelle de chaque auteur est reposée sur un fond commun de

ressemblances, imposé par la collectivité et ses codes culturels, ainsi que

par les lecteurs qui y reconnaissent l'évidence et "la réalité". C'est ce fond

commun qui donne une impression de parenté entre les deux textes de

Nerval et de Flaubert.

Le deuxième niveau d'énoncé délimité est celui des modèles narratifs

dans lesquels s'intègre la représentation de la femme orientale. La

dimension autobiographique du récit de voyage justifie les intrusions d'un

Page 136: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

narrateur clairement individualisé, en l'occurrence Nerval ou Flaubert,

qui, selon les cas, s'efface derrière l'information ou devient un acteur qui

admire etJou désire. La valeur auto-référentielle du ~'e reste donc siahll';

elle est un facteur de cohérence et apporte la rn'i.Jlbilité du V~cu il

l'évocation des figures féminines dont la mise en oeuvre ne sl'mhle obéir'

qu'à la fantaisie et au hasard des déplacements du voyage. f.:n ('frd, Il'H

épisodes variés (d'importance inégale) consacrés aux femmes constitul'nt.

une composition desserrée, sans relation causale, avec toutefois une

différence majeure entre li'laubert et Nerval. Alors que dans le récit dl'

Flaubert le fait de retrancher tel ou tel morceau ne compromet pal"

l'intelligibilité et l'intérêt de l'ensemble, chez Nerval chaque épisode

autonome représentant une femme orientale apporte une lumière nouvl'Ilc

qui, de proche en proche, conduit à la révélation finale d'une figure

féminine mythique, celle de la reine de Saba. Néanmoins, l'efficacité

dramatique et structurelle de la représentation de la femme orientale dans

les deux textes réside moins, selon nous, dans l'enchaînement IOhrique des

épisodes féminins que dans la polarisation entre Je et Elle au sein d'ulll'

relation fondamentalement inégalitaire.

À ce point du travail de décomposition, il est clair que chaque niveau

d'énoncé constitue un investissement de sens supplémentaire, mais aucun

élément de n'importe quel niveau d'énoncé ne domine les autres, le sens

multiple de la représentation de la femme orientale dépendant plutôt de

leur cohésion systématique. Seule une forme de composition de type

musical peut sauvegarder cette unité structurelle et intégrer les différents

Page 137: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

129

aspects de cette représentation. À notre avis, la femme orientale a, dans le

récit de voyage, une fonction mélodique. Elle est un thème aux variations

multiples, caractérisé par des registres de tons différents. Le rythme de ses

apparitions, fait d'un Jeu de présences et d'absences, crée chez le lecteur le

désir et l'attente de son retour.

Enfin, le troibième niveau de signification présente la femme

orientale dans le contexte d'une interprétation globale de l'Orient, qui est

inévitablement influencée par le~ attitudes sociales et culturelles de

l'époque. L'ensemble des codes socio-culturels forme ce qu'on appelle une

idéologie, dont la pl'ésence enchaîne la représentation de la femme

orientale à son époque. Pour les Homantiques, le pèlerinage en Orient est

étroitement associé à l'idée de la résurrection du passé. Les voyageurs

séduits y trouvent une jouissance intellectuelle ct esthéCque. Mais à

l'arl'ière-plan de cet enthousiasme sc profilent les effets du di mat politique

et social de la France. L'Orient incarne la permane lce face aux

changements politiques ct aux mutations sociales et éconlJ!l1iquef. qUI,

depuis 1(' début du siècle, bouleversent la France. Tandis que

l'immobilisme et la stagnation de l'Orient suggèrent à Nerval et à Flaubert,

comme avant eux à Lamartine, la possibilité d'une mission civilisatrice de

la France au Proche-Orient. Par un étrange phénomène de transposition,

la femme orit'ntale, assimilée cl l'Orient tout entier, incarne à la fois cette

nostalgit' d'un mode de vic perdu et le désir de conquête et de possession.

Mais l'Orient cst aussi interprété en fonction de motivations d'ordre

personnel qui visent. à sat.isfaire des désirs et des choix esthétiques précis .

Page 138: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

Or, cette quête intime de l'Orient va se réali~l'r l)('aucoup plu~ Ù tnlVl'l'~

l'écriture et la représentation de la femme orÏl'I1t.all' qw' par l'('xpéril'nc('

directe qui comporte son lot de déception:;; et de désillusion:; rapportt-l':-; dall:-;

la correspondance des voyageurs. Nl'rval d. Flaul1l'rt. chacull :l\'('C ~()ll

économie esthétique particulière. exploitent l'Oril'Ilt. comllH' un hl'll

spacieux et riche de possibilités. Parti à la recherche dl' :-;0\ l't. dl' la fi.'IllIll('

idéale, Nerval rencontre partout les sign('s de la ch'g'radat.ioll Pt. du

vieillissement. En insufflant sa propre vie au paysngp ('i. aux f('mnws

rencontrées, il les façonne selon ses rêvps et bl'H désirs. FlauhPI'L lui,

surmonte sa déception par une volonté de démyst.ification qlll \P IHlllSSP Ù

représenter l'envers du décor de l'exotisme onl'nt.aI. Malgrt- 1('

désenchantement qui transparaît, et l'Onent ct la femBU' orient.alt' l'l'stPllt,

pour les deux écrivains, une source d'in:;;pi ration pou r leu n, OL'UVn'H

ultérieures.

Ces oppositions, qui se situent à tous les flIVl'atlX d'énonc(\,

définissent les conditions mêmes de la production du l'(!cit dl' voyagp au

XIXe siècle, qui tente de faire comcider l'information t't la H('nsil)lhtt­

personnelle. L'originalité des oeuvres de Nerval et de J·'la uberl, vwnt

justement du fait qu'elles dépendent des formes traditionnell(!f, dp

l'orientalisme officiel sans en faire vraiment part.1e !,pllr l'('pd's('ntatlOn

de la femme orientale est tout autant. influencée par l'Id{'ologie orJ(·nt.alil-iI,{·,

le souci du reportage, que par les habitudes de penser de chaque <tul,eu r.

Cette décomposition d'un système particulier de repf(~~('ntatlOn

soulève un ensemble de questions de plus grande envergure qui concernent

toute tentative de représentation d'une autre cult.ure. Comment

Page 139: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

131

représenter les autres sans partir de son propre cadre de références? En

d'autres termes, la représentation des autres est-elle inévitablement

destinée à valoriser et à renforcer son propre système de valeurs? Cette

étude répond partiellement à ces questions puisque nous avons vu qu'une

observation strictement impartiale réduit l'univers féminin oriental à une

scène de théâtre, et l'auteur-voyageur à un spectateur distant qui suit les

évolutions des figures féminines surgies devant ses yeux, l'Orient devenant

alors un monde de costumes et de décors. À l'autre extrême, les

interventions répétées de la conscience personnelle et européenne du

narrateur aboutissent toujours à une forme de comparaison et

d'évaluation, quand la représentation de l'autre n'est pas purement et

simplement le prétexte d'un discours sur soi dont la forme extrême se

trouve chez Chateaubriand.

Alors, devant ces alternatives, faut-il croire à l'affirmation que seule

une Orientale peut parler des Orientales, comme on dirait que seul un Noir

peut parler des Noirs et un chrétien de la religion chrétienne ou une femme

des autres femmes? Ces critères raciaux, religieux, culturels ou sexuels

sont tous déterminants dans la représentation de la femme orientale. Yen

aurait-il d'autres?

Ceci entraîne la nécessité de définir les normes de l'altérité. Pendant

des siècles, l'opposition entre l'Orient et l'Occident s'est fondée sur des

di stinctions culturelles, religieuses et raciales. Or aujourd'hui, les

différences économiques sont aussi importantes. Elles dessinent une

nouvelle ligne de démarcation entre le Nord et le Sud, entre les riches et les

Page 140: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

pauvres, Une SCIence et un discours de ln puuvl'<.'té l'isqul'I'ail'Ilt dl' ~p

former sur le modèle du discours orientaliste avpl' dp::-\ institutIOns

similaires et des systèmes de représentation qui sc dl'placl'rHll'Ilt. d'un tl'xh'

à l'autre,

Parce que l'influence de l'orientalisme univPl"sit.ai re Li éh' d{>tl'!'mi­

nante sur nos deux écrivains, on doit aussi s'intt'l'I'ogl'r sur les rplat.ions

d'interdépendance du savoir universitair'e, du pouvoir polit.iqul', et dl' la

création littéraire, Pour Edward Sald, pouvOIr Pt. savoir :--ont d('s notllll\S

étroltemènt solidaires, le savoir donnant Il' pouvoir Pt. Il' pOllvoir l'xlgl'ant

un savoir accru. Le rappol't dl' forct' sous-Jacent l'nl.l'(' h' savant \'t. son suj('(,

est en faveur du premier, Appliqu{> il l'orlent.allsllH', Cl' stlll'lIIa signifïl'

qu'un savoir aussi bien orgamsé ne peut être lI1nOCl'llt L\~l.udl', la COl1llaIS­

sance et la représentation sont les instrument.s d'une domination culturl'lIl'

facilitée par la passivité et l'absence de moyen de résistancl', L't'xl'Illpll' II'

plus évident qu'on peut donner à cet égard est l'l'xp{>dition dl' BOllaparte ('n

Egypte, Le nombre impressionnant de savants ct d'{'l'u(lIts dont il s'{·tait

entouré a sûrement cu une mnuence positIve sur l'Issue dl' la carnpaglll'

militaire. Appliqué à la femme, ce schéma Sl' révèle t.Ollt aussi d'ficac('

Pendant des siècles, le discours sur la femme et se!:> reprps('ntatlOns

littéraires et scientifiques J'ont maintenue dans une sitllation de

dépendance culturelle qu'elle a acceptée avec résignation, LI' (lIs('ourM <,st

donc toujours un instrument de mampulatlOn volontélll'e ou Illvolor!t:llf(!

En ce qui concerne la représentatIOn de la femme orJc·n1.ale par

Nerval et Flaubert, on ne peut pas dire qu'el1e a di recLement renforcé les

Page 141: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

133

pensées hégémonistes de la France. Mais cette étude a tenté de montrer

que, par certains aspects analogiques, la représentation de la femme

orientale dépend autant du discours politique orientaliste que du discours

sur la femme.

n ne faut certainement pas perdre de vue que l'art garde toujours son

indépendance vis-à-vis de l'idéologie; il n'est en aucune manière le produit

d'une situation et d'un système. Mais parce que l'acte littéraire auquel

aboutit finalement le voyage établit une double jonction entre le désir initial

du départ et le vécu, comme entre les attitudes culturelles et la sensibilité

personnelle, il devient impossible de séparer la lecture informative de la

lecture esthétique ou politique. Ce qu'il faut voir, au contraire, c'est leur

nécessaire cheminement .

Page 142: La femme orientale dans deux récits de yoya~ de Nerval et de

BIBLIOGRAPHIE

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