If you can't read please download the document
Upload
danganh
View
217
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Universit Bordeaux IV
Colloque organis par la Chaire UNESCO
Pauvret et dveloppement durable
22 et 23 novembre 2001
La financiarisation de lconomie contre la soutenabilit ?
Examen de quelques modles
Jean-Marie Harribey
(Centre dconomie du dveloppement)
Les deux dernires dcennies du XXme sicle ont t marques par un processus de
financiarisation de lconomie capitaliste mondiale dont le principal facteur fut la libert
totale de circulation accorde aux capitaux. Celle-ci devait, selon la doctrine dominante,
assurer une allocation optimale des ressources dont tous les pays et toutes les populations
devaient tirer bnfice en termes de dveloppement conomique, condition quils acceptent
douvrir leurs frontires et de sinsrer dans le march mondial. Dans le mme temps, la
communaut internationale, linitiative notamment de lONU, prenait conscience des
contraintes de plus en plus lourdes que faisait peser le dveloppement conomique sur les
cosystmes : pollutions de lair, de leau, puisement des sols, dsertification, rarfaction de
certaines ressources non renouvelables, diminution de la diversit biologique, rchauffement
climatique, sont autant datteintes la nature quaux conditions de vie des gnrations
prsentes et futures. Cest dans ce contexte que simposa le concept de dveloppement
soutenable ou durable, cens assurer la promotion des plus pauvres de la plante objectif
jamais atteint malgr plusieurs dcennies du dveloppement proclames et la
sauvegarde des quilibres cologiques malmens par deux sicles de croissance des pays
riches et dautant plus menacs que les pays en dveloppement imiteraient les premiers .
La financiarisation de lconomie et la soutenabilit font lobjet danalyses thoriques
approfondies mais spares. Dun ct, la financiarisation dsigne un nouveau rgime
daccumulation du capital dans lequel les processus de production sont subordonns des
exigences de rentabilit leve en provenance essentiellement des groupes et institutions
financiers au sein desquels lintrt des actionnaires est primordial. Sous le couvert de
2
cration de valeur pour lactionnaire se dissimule un mouvement de captation de la valeur
produite lchelle mondiale, et sous celui de mondialisation samplifie la dynamique de
marchandisation de toutes les activits humaines et de toutes les ressources de la vie
[Chesnais, 1994 et 1996 ; Dumnil, Lvy, 1999, Harribey, 2001-b, Husson, 2001]. De lautre
ct, depuis la publication du rapport Brundtland [1987], nombreuses sont les analyses ayant
montr les implications de la soutenabilit en termes bio-physiques, thiques, politiques et
culturels avant conomiques [Odum E.P., 1971 ; Odum H.T., 1971 ; Georgescu-Roegen,
1979 ; Jonas, 1979 ; Passet, 1979 ; Anand, Sen, 2000 ; Sen, 2000], ou ayant soulev les
ambiguts, les limites et les contradictions de ce concept [Pearce, 1974 ; Daly, 1992 ;
Latouche, 1994 ; Sachs, Esteva, 1996 ; Harribey, 1997, 1998 et 1999] tenant principalement
limpossibilit physique dune croissance conomique plantaire perptuelle et laporie dune
recherche dune valeur conomique intrinsque de la nature [Harribey, 1996, 1997, 1998,
1999 ; Angel, 1998].1
Lobjectif de cet article est de croiser les deux questions de la financiarisation et de la
soutenabilit afin dexaminer leur compatibilit. Plus prcisment, un dveloppement humain
soutenable socialement et cologiquement est-il possible au sein dun rgime daccumulation
financire ? Si lon sollicite les modles danalyse dinspiration marxienne et keynsienne, la
rponse ne fait gure de doute : elle est ngative, et, de plus, fondamentalement, tout rgime
daccumulation du capital sans rgulation publique ne peut que laisser de ct des
proccupations sociales ou cologiques. Nous le montrerons en utilisant un modle de partage
des gains de productivit. Si lon fait appel des modles dinspiration no-classique,
parvient-on un rsultat diffrent ? Cela nest pas certain : nous montrerons ce paradoxe en
utilisant successivement quelques uns des modles couramment utiliss au sein de ce
paradigme.
1. La finance capte les gains de productivit qui pourraient tre employs
prparer la soutenabilit
La question examine ici est celle des rapports entre dveloppement conomique et
rpartition dans une perspective de soutenabilit.
Appelons :
1 . Pour un tat des atteintes lenvironnement et un bilan des mesures de protection, voir Banque Mondiale[2000] et O.C.D.E. [2001].
3
y le taux de variation du produit global Y,
p le taux de variation de la productivit de lunit de travail (par exemple de la
productivit horaire),
q le taux de variation de la productivit par tte,
t le taux de variation de la dure individuelle moyenne du travail,
n le taux de variation du nombre demplois,
w le taux de variation des salaires,
v le taux de variation des investissements,
le taux de variation de la rente financire.
w* la part des salaires et assimils (prestations) dans le produit global,
v* la part des investissements (ou des profits rinvestis), supposs tous soutenables
socialement et cologiquement, dans le produit global,
* = 1-w*-v* la part de la rente financire dans le produit global,
On peut crire :
salaires = w*Y,
investissements = v*Y,
rente financire = *Y= (1-w*-v* )Y,
taux de croissance conomique = y = ww*+vv*+ * .
Dfinissons le rgime daccumulation financire comme celui qui tend faire crotre le
taux de croissance de la rente financire. Si cette progression est plus rapide que celle y du
produit global, cela implique ncessairement une modification de la rpartition prjudiciable
la soutenabilit.
1er cas de figure
La rente financire et les investissements soutenables croissent plus vite que le produit
global : > y et v > y.
Cela impose que w < y.
La nouvelle part de la rente financire dans le produit global accru est gale :
( * *)( )( )
( * *)( )1 11
1 11
++
= ++
w v Yy Y
w vy
Lancienne part de la rente financire tait gale 1-w*-v* . Comme (1+) > (1+y), la
part de la rente financire dans la valeur ajoute a donc augment.
4
La nouvelle part des investissements v v Yy Y
v vy
*( )( )
*( )( )
11
11
++ =
++ a augment puisque v > y.
La nouvelle part des salaires w w Yy Y
w wy
*( )( )
*( )( )
11
11
++ =
++ a baiss puisque w < y. Cest une
premire marque de linsoutenabilit envisage sur le plan social car on ne peut assurer
quelle serait automatiquement compense par les amliorations apportes par les
investissements dont la croissance est, dans ce cas de figure, suprieure celle de la
production.
Si la productivit progresse au mme rythme que la production (p = y), dure
individuelle du travail inchange (t = 0), le nombre demplois ne varie pas (n = 0) et le
chmage augmente si la population active saccrot.
Si p > y, dure individuelle du travail inchange (t = 0), le nombre demplois diminue
(n < 0).
Si p < y, dure individuelle du travail inchange (t = 0), le nombre demplois
augmente (n > 0).
2me cas de figure
Sous la pression des marchs financiers, seule la rente financire crot plus vite que le
produit global : > y.
Alors, v < y et w < y.
Par consquent, les parts des investissements et des salaires dans le produit global ont
diminu : v v vy
* *( )( )
< ++1
1 et w w w
y* *( )
( )< ++
11
.
Dans la situation extrme o tout laccroissement du produit irait en rente financire, il
serait alors gal laccroissement de celle-ci : yY = *Y y = * .
Gnralisation
Le taux de croissance de la rente financire peut sexprimer en fonction des autres
variables : = y ww vv* *
* .
Pour un taux de croissance conomique donn, le taux de croissance de la rente
financire est dautant plus lev que les taux de croissance des salaires et des investissements
pondrs par les parts de ceux-ci dans le produit global sont faibles. Il est noter que le taux
5
de croissance de la rente financire est inversement proportionnel la part dj acquise dans
le produit global.
Si lon fait intervenir les variables de la productivit : (1+y) = (1+p)(1+t)(1+n),
=+ + + ( )( )( ) * *
*1 1 1 1p t n ww vv .
Si lon raisonne sur des variables continues : y = p + t + n, et alors on peut crire :
=+ + p t n ww vv* *
* ,
ou bien , en variables continues :
=+ + p t n ww vv* *
* .
Pour un taux de croissance de la productivit et une part de la rente financire dans le
produit global donns, le taux de croissance de la rente financire est dautant plus lev que
le temps de travail augmente, que lemploi augmente et que la croissance des salaires et des
investissements pondrs par leur part respective est faible.
La maximisation de la rente financire est donc incompatible avec une perspective de
soutenabilit qui exigerait que toute la population bnficie quitablement de la croissance de
la production (soutenabilit sociale) et que des investissements croissants soient consacrs
amliorer les procds techniques pour conomiser la nature (soutenabilit cologique).
On peut conclure cette premire partie par trois remarques. Primo, le propos de Keynes
[1936, p. 369] il y a plus de soixante ans sur la ncessaire euthanasie des rentiers avait
quelque chose de visionnaire. Secundo, laugmentation de la rente financire revt la figure de
la valeur pour lactionnaire ou economic value added qui, dans lanalyse financire, est
gale la diffrence entre, dun ct, les recettes et, de lautre, les cots incluant une
rmunration moyenne du capital2. Si cette augmentation a pour origine le fait que les profits
croissent plus rapidement que la productivit du travail, elle correspond ce que Marx [1867,
chapitre XII] appelait la plus-value relative. Si elle provient dun meilleur positionnement
face aux capitaux concurrents, elle correspond ce que Marx [1867, chapitre XII] appelait la
plus-value extra. Face ses concurrents, le but de chaque capitaliste est de produire de la
plus-value extra. La gnralisation dun tel comportement micro-conomique aboutit une
hausse gnrale de la productivit et donc de la plus-value relative. Tertio, un tel rgime
daccumulation financire peut nanmoins faire cohabiter laugmentation relative de la plus-
6
value et llvation absolue du salaire rel moyen. Augmentation du taux dexploitation de la
force de travail et croissance conomique ne sont donc pas incompatibles. Ainsi peut
sexpliquer laccroissement simultan des ingalits et du niveau de vie moyen que la plupart
des statistiques mondiales enregistrent3.
2. La finance soppose la soutenabilit faible, a fortiori forte
Selon la thorie no-classique, le march permet de dfinir une exploitation optimale
des ressources naturelles au mme titre que les facteurs de production habituels, travail et
capital, condition de privatiser les lments jusque-l en libre accs. Alors, ressources
naturelles, travail et capital sont considrs comme substituables. Cest la conception de la
soutenabilit dite faible dont lorigine remonte Hotelling [1931] et trouve son aboutissement
dans la rgle de compensation nonce par Hartwick [1977] garantissant lquit entre les
gnrations actuelles et futures. Cette rgle stipule que des rentes gales la diffrence entre
le prix et le cot marginal des ressources doivent tre prleves au fur et mesure de
lpuisement des ressources ; elles doivent ensuite tre rinvesties pour produire du capital
substitut aux ressources puises ; elles doivent enfin crotre de priode en priode dun taux
gal au taux dactualisation.
La conception de la soutenabilit faible est formalise dans le modle de Stiglitz [1974]
qui utilise des fonctions de production rendements constants de type Cobb-Douglas qui
scrivent : Q = L K E, avec Q la production, L le facteur travail, K le facteur capital et E le
facteur environnement, et avec les lasticits partielles , , de la production par rapport
chacun des facteurs qui correspondent aussi aux parts respectives de chacun dans le produit.
Nous avons montr ailleurs [Harribey, 1999] que, dans la mesure o la dtrioration de
lenvironnement provoque une diminution de llasticit partielle de la production par rapport
ce facteur, paralllement la croissance de la production, le facteur environnement, dont
lexposant tend vers zro, tend lui-mme vers un : selon une telle fonction multiplicative,
lconomie pourrait donc se passer de la nature.4 Internaliser les effets externes ngatifs ne
serait mme plus ncessaire. Et cela est bien commode puisque lexternalit est en fait un
2 . Voir Harribey [2001-b].3 . Voir PNUD [2001].4 . Il ny a pas plus de raison de considrer constante llasticit de la production par rapport lenvironnementquil ny en a de considrer constantes les autres lasticits partielles. Dailleurs Dubois [1990, p. 843] indiqueque les parts de la rmunration du travail et du capital dans la valeur ajoute, qui correspondent dans unefonction Cobb-Douglas aux lasticits partielles, peuvent varier.
7
rsidu du march non assimilable.5 Sauf si lon suppose quune dfaillance de march serait
corrige par un nouveau march dont la dfaillance son tour ncessiterait encore un march
supplmentaire, et ainsi de suite dans une rgression linfini. Mais alors, cela signifierait la
marchandisation absolue du monde, ce qui est logiquement impossible puisque le march ne
peut se passer de cadre social.
Mais, outre les difficults analytiques prcdentes, on peut mettre en vidence les
consquences du rgime daccumulation financire sur la soutenabilit. Introduisons un
quatrime facteur dans la fonction de production, la finance, pour le diffrencier du facteur
capital entendu dans son sens technique dj prsent6 : Q = L K E F. Si la croissance de la
rente financire se traduit par une hausse de la part de la rente dans le produit global, alors
augmente vers sa limite 1. Les parts qui vont aux salaires, au renouvellement du capital et la
prservation ou la restauration de lenvironnement diminuent. Lhypothse de substituabilit
des facteurs ne suffirait mme plus assurer une soutenabilit faible ds lors quune partie
croissante du produit global serait servie en rente financire.
La soutenabilit impliquant lquit intergnrationnelle, est-il possible de maximiser
lutilit retire par les rentiers de la rente qui leur est verse au cours du temps tout en
sauvegardant le bien-tre des gnrations futures qui ne seront pas composes que de
rentiers ? La rponse cette question peut tre donne en utilisant un modle sinspirant de
celui de R.T Page [1977], la diffrence prs que la maximisation de lutilit retire de la
consommation est remplace par celle retire de lobtention de la rente financire. Soit donc
le modle o :
U est lutilit,
F est la rente financire,
I est linvestissement,
t est le temps,
i est le taux dactualisation mesurant la prfrence du prsent par rapport au futur qui
traduit lexigence financire des rentiers,
r est le taux de rentabilit relle du capital investi.
5 . Linternalisation, qui nest possible de toute faon que si les externalits sont mesurables montairement,engendre dautres effets externes, cest--dire elle provoque des effets pervers pour lenvironnement commelont montr Pearce [1974] et Altvater [1997].6 . En se plaant dans le cadre noclassique, en introduisant la finance dans la fonction de production, on faitcomme si la finance tait productive, ce qui na aucun sens.
8
La fonction objectif est :
Max U Fi
U F ittn
t
nt( ) ( )
11
0 1+( )= +( )
sous la contrainte : It + Ft = (1 + r) It 1 mesurant le surplus de la priode t
Formons le lagrangien :
L U F i r I I Ftt
t t t t= +( ) + + [ ]{ } ( ) ( )1 1 1Les conditions de maximisation du 1er ordre sont :
LF
U F it
tt
t= +( ) =( )1 0 (1)
LI
ri
t t= + =+( )1 01 (2)
De (2) on tire : t t t trr
= ++( ) =+( )
11
1 0 ou
Dans (1) : U F ii
rt t
tt
t( )= +( ) =+( )+( )
1 11
0
Or le multiplicateur de Lagrange 0 correspond lutilit marginale de la rente retire
du desserrement de la contrainte dune unit montaire par le rentier de la gnration 0.
U F U Fi
rU FU F
i
rt
t
tt
t
t( ) ( )( )( )
= +( )+( )
= +( )+( )
00
1
1
1
1 ou
Si U FU F
t( )( )0
> 1, cela signifie que lutilit marginale de la rente retire du desserrement de
la contrainte dune unit montaire par le rentier de la gnration t est suprieure celle
retire par le rentier de la gnration 0. Cest le cas ds que i > r, cest--dire ds que
lexigence financire des rentiers dpasse le taux de surplus conomique rel. Ce ne pourrait
tre quaux dpens de la soutenabilit tant sociale qucologique.
Le rsultat prcdent peut tre retrouv laide des modles gnrations imbriques.
Lide de dpart de tels modles est que chaque gnration vit deux priodes et entre donc en
change avec la gnration qui la prcde et celle qui la suit. Dans tous ces modles horizon
infini seul cas o les anticipations rationnelles ne permettent pas des prvisions parfaites ,
les biens changs entre gnrations tant prissables, lusage de la monnaie comme
instrument de rserve et de transmission parat a priori indispensable. Pour notre propos, la
question de la compatibilit entre la soutenabilit et la financiarisation de lconomie mrite
9
dautant plus un examen que la financiarisation peut tre analyse comme un processus de
privatisation de la monnaie en tant quinstitution sociale [Orlan, 1999, Harribey, 2001-b].
Deux sries de choses peuvent tre avances. Premirement, dans un modle
gnrations imbriques, toute proccupation dquit intragnrationnelle est carte puisque,
par hypothse, chaque gnration nest compose que dindividus indiffrencis. Le problme
de la soutenabilit sociale est donc rsolu avant davoir t pos grce la notion irraliste
dagent reprsentatif7.
Deuximement, un modle gnrations imbriques aboutit une infinit de solutions
dquilibre et mme un continuum de solutions [Guerrien, 1996, p. 226-233].
Lindtermination du modle provient de la multitude de possibilits de fixation du prix initial
du bien transmis la deuxime gnration dont il sensuit une infinit de trajectoires
ultrieures. A cette indtermination sajoute la sous-optimalit de ces quilibres
concurrentiels en nombre infini qui est due au fait que les changes entre les gnrations
samenuisent contre leur gr pour conduire lautarcie intergnrationnelle au fur et
mesure que les prix slvent dans le temps.
Ces limites gnrales sont confirmes lorsquon applique les modles gnrations
imbriques au problme de la soutenabilit [Howarth, Norgaard, 1992]. Ces deux auteurs ont
montr8 que lallocation des ressources entre les gnrations ne conduisait pas lquit
intergnrationnelle. Lanalyse est la suivante.
Un modle gnrations imbriques standard suppose chaque agent conomique
maximisant son utilit procure par sa consommation sur chacune des deux priodes pendant
lesquelles il vit. Pendant sa priode active de jeunesse, il travaille et pargne un stock de
capital quil vendra quand il sera vieux et inactif la gnration suivante pour que celle-ci le
mette en uvre productivement. En appelant C1 et C2 les consommations aux deux priodes
successives, chaque agent maximise sa fonction dutilit U(C1, C2). Pendant sa priode active,
il peroit un revenu W1. Son pargne est gale W1- C1 quil place au taux dintrt i2 suppos
gal la productivit marginale du capital. Son revenu pendant la seconde priode est gal
(W1- C1)(1+ i2) quil consomme intgralement.
Le problme de maximisation scrit :
Max U(C1, C2) sous la contrainte C2 = (W1- C1)(1+ i2).
L U C C C W C i= + +[ ]( , ) ( )( )1 2 2 1 1 21
7 . Faucheux et Nol [1995, p. 275] crivent : Les individus dune gnration quelconque sont identiques detelle sorte quaucune question dquit intragnrationnelle nest aborde. 8 . Voir Faucheux, Nol [1995, p. 275-277].
10
LC
U C i1
1 21 0= + + =( ) ( )
LC
U C2
2 0= + =( )
Do : U CU C
i( )( )
1
221= +
Le consommateur se comporte de telle sorte que sa satisfaction marginale dcroisse
dune priode lautre du taux dintrt de la deuxime priode. Comme tous les agents
adoptent la mme attitude de priode en priode, lquit intergnrationnelle parat assure.
Mais quadvient-il si, au lieu dinvestir une partie de ses ressources, lagent reprsentatif en
dpense la totalit improductivement ? Non seulement, il naura pas de revenu pour sa
priode de vieillesse, mais il rompt la chane entre les gnrations. Celle qui le suit na aucun
stock sur lequel elle peut sactiver et devra se contenter dune productivit mdiocre et donc
de faibles revenus dont les consquences se feront sentir sur la gnration suivante, etc.
Si la version faible de la soutenabilit ne peut tre assure, la soutenabilit forte peut
ltre encore moins puisque celle-ci est dfinie par le maintien du stock de ressources
naturelles sans faire appel la substitution entre lments naturels et capital manufactur
[Pearce, Warford, 1993].9 La dmarche de la soutenabilit faible tait oblige de faire
abstraction de la contrainte de complmentarit car substituabilit et complmentarit des
types de capital peuvent difficilement cohabiter dans la mme quation. La dmarche de la
soutenabilit forte retient lhypothse de la ncessaire complmentarit des facteurs. Mais elle
aboutit la conclusion des limites de lextension possible du capital produit. En effet, on ne
peut pas produire du capital artificiel sans prlever des ressources naturelles dont les rserves
diminuent en permanence sil sagit de ressources non renouvelables et dont les rserves
diminuent lorsque le taux de prlvement est suprieur au taux de rgnration sil sagit de
ressources renouvelables. La difficult de mettre en place une stratgie tourne vers la
soutenabilit est donc renforce par la confiscation dune part du revenu global par la rente
financire.
Au total, le doute est permis au sujet de la compatibilit entre lvolution dune socit
qui serait commande par une exigence de plus en plus leve de rentabilit financire
touchant tous les aspects de la vie et une stratgie de soutenabilit qui tenterait, la fois sur
le plan social et cologique, de promouvoir une quit intra et intergnrationnelle. Le
9 . Pour une prsentation, voir Harribey [1996, p. 305-309, ou 1997, p. 99-100, ou 1998, p. 36-38].
11
problme se pose pour les pays dvelopps car depuis une vingtaine dannes lessentiel des
gains de productivit ont t appropris sous forme de profits financiers sans que
linvestissement en bnficie proportionnellement. Mais il se pose une chelle plus vaste
encore pour les pays en dveloppement, tout particulirement pour les pays les plus pauvres,
souvent trs endetts, dont beaucoup subissent les consquences des plans dajustement
structurel qui ont t appliqus jusquici sans gard pour les politiques publiques dordre
social ou environnemental. Enfin, la rptition des crises financires internationales est
dautant plus dommageable que celles-ci frappent toujours en premier lieu les rgions du
monde (Amrique du sud et Asie du sud-est) dont le dveloppement est amorc mais demeure
fragile cause de leur assujettissement la volatilit des capitaux ou une monnaie
dominante comme le dollar. Dans ces conditions, la rduction de la pauvret, composante
essentielle dun dveloppement soutenable durablement, parat difficile. Et lon voit mal
comment la composante cologique dun tel dveloppement pourrait son tour tre assure.
Ce ne serait pas le moindre des paradoxes qualors, en guise de dveloppement durable, nous
ayons un dveloppement insoutenable durablement. Prenons garde au pige des mots : le
capitalisme insoutenable pour certains et/ou pour une part de la plante est capable de durer.
Si la soutenabilit du dveloppement constitue un objectif vritable pour la communaut
internationale et sil se confirmait que le rgime daccumulation financire la rendait
impossible parce quil aggrave les contradictions sociales et cologiques [Harribey, 2001-a],
il serait indispensable de retrouver une certaine matrise des flux financiers progressivement
abandonne depuis deux dcennies, afin que la libert accorde aux capitaux cesse dtre un
obstacle ce que les liberts fondamentales thoriquement accessibles tous les humains
deviennent les capabilits relles dont parle A. Sen. La mise en place de procdures et
rgles de rpartition des gains de productivit plus conformes aux principes de
responsabilit [Jonas, 1979], de solidarit et dconomie [Harribey, 1996, 1997] en serait
une condition ncessaire. Lquit intragnrationnelle et lquit intergnrationnelle sont
sans doute ce prix.
12
Bibliographie
Anand S., Sen A., [2000], Human Development and Economic Sustainability , World Development,vol. 28, n 12, p. 2029-2049.
Altvater E. [1997], Les contradictions de lconomie politique librale dans un monde de ressourcesnaturelles fini, Cots globaux de cette socit industrielle , Page 2, La nature bons comptes ,Numro spcial, n 8-9, janvier-fvrier, p. 23-39.
Angel M. [1998], La nature a-t-elle un prix ? Critique de lvaluation montaire des biensenvironnementaux, Paris, Les Presses de lEcole des Mines.
Banque Mondiale [2000], Le dveloppement au seuil du XXIe sicle, Rapport sur le dveloppementdans le monde, 1999-2000, Paris, Ed. Eska.
Chesnais F. [1994], La mondialisation du capital, Paris, Syros.(sous la coord. de) [1996], La mondialisation financire, Gense, cot et enjeux, Paris, Syros.
Commission mondiale sur l'environnement et le dveloppement (C.M.E.D.) [1987], RapportBrundtland, Notre avenir tous, Montral, Fleuve.
Daly H.E. [1992], Il ny a pas de croissance durable , Transversales Science/Culture, n 13,janvier-fvrier, p. 10-11.
Dubois P. [1990], Production et productivit , in Greffe X., Mairesse J., Reiffers J.L., Encyclopdieconomique, Paris, Economica, p. 817-846.
Dumnil G., Lvy D. (sous la dir. de) [1999], Le triangle infernal, Crise - Mondialisation -Financiarisation, Paris, P.U.F., Col. Actuel Marx Confrontation.
Faucheux S., Nol J.F. [1995], Economie des ressources naturelles et de lenvironnement, Paris, A.Colin.
Georgescu-Roegen N. [1979], La dcroissance : Entropie-Ecologie-Economie, 2 d. fr. 1995, Paris,Sang de la terre.
Guerrien B. [1996], Dictionnaire danalyse conomique, Microconomie, macroconomie, thorie desjeux, etc., Paris, La Dcouverte.
Harribey J.M. [1996], Dveloppement soutenable et rduction du temps de travail, Analyse critiqueapplique au cas de la France , Thse de doctorat en Sciences conomiques, Universit Paris I-Panthon-Sorbonne.
[1997], Lconomie conome, Le dveloppement soutenable par la rduction du temps detravail, Paris, LHarmattan.
[1998], Le dveloppement soutenable, Paris, Economica.[1999], La soutenabilit : une question de valeur(s) , Habilitation diriger des recherches en
sciences conomiques, Universit Bordeaux IV, Document de travail du C.E.D., n 34.[2001-a], Marxisme cologique ou cologie politique marxienne , dans Bidet J., Kouvelakis
E., Dictionnaire Marx contemporain, Paris, PUF.[2001-b], La financiarisation du capitalisme et la captation de la valeur , in Delaunay J.C.,
Capitalisme contemporain : questions de fond, Paris, LHarmattan, p. 68-111.
Hartwick J.M. [1977], Intergenerational Equity and the Investing of Rents from ExhaustibleRessources , American Economic Review, vol. 67, n 5, p. 972-974.
13
Hotelling H. [1931], The Economics of Exhaustible Resources, Journal of Political Economy, vol. 39, n 2, p.137-175.
Howarth R.B., Norgaard R.B., Environmental Valuation under Sustainability , American EconomicReview, Vol 82, p. 473-477.
Husson M. [2001], Le grand bluff capitaliste, Paris, La Dispute.
Jonas H. [1979], Le principe responsabilit, Une thique pour la civilisation technologique, Paris, Ed.du Cerf, 1990.
Keynes J.M. [1936], Thorie gnrale, de lemploi, de lintrt et de la monnaie, Paris, Payot, 1969.
Marx K. [1867], Le Capital, Livre I, Paris, Gallimard, La Pliade, 1965.
Latouche S. [1994], Dveloppement durable : un concept alibi, Main invisible et mainmise sur lanature , Revue Tiers-Monde, tome XXXV, n 137, janvier-mars, p. 77-94.
O.C.D.E. [2001], Perspectives de lenvironnement de lOCDE, Paris.
Odum E.P. [1971], Fundamentals of Ecology, W.B. Saunders Company, Philadelphie, 3 d.
Odum H.T. [1971], Environment Power and Society, New York, Wiley-Interscience.
Orlan A. [1999], Le pouvoir de la finance, Paris, O. Jacob.
Page T.R. [1977], Conservation and Economic Efficiency, An Approach to Material Policy, Baltimore,MY, Johns Hopkins University Press, Resources for the Future, Washington, DC.
Passet R. [1979], L'conomique et le vivant, Paris, Payot, 2 d., Paris, Economica, 1996.
Pearce D. [1974], Economics and Ecology , Surrey Papers in Economics, n 10, July.
Pearce D.W., Warford J.J. [1993], World without End, Economics, Environment, and SustainableDevelopment, Washington, The World Bank, New-York, Oxford University Press.
PNUD [2001], Rapport mondial sur le dveloppement humain 2001, Bruxelles, De Boeck & Larcier.
Sachs W., Esteva G. [1996], Des ruines du dveloppement, Montral, Ed. Ecosocit.
Sen A. [2000], Un nouveau modle conomique, Dveloppement, Justice, Libert, Paris, O. Jacob.
Stiglitz J. [1974], Growth with Exhaustible Natural Resources : Efficient and Optimal GrowthPaths , Review of Economic Studies, Symposium on the Economics of Exhaustible Resources,Edinburgh, Longman Group Limited, vol. 41, p. 123-137.