La financiarisation de l’économie contre la soutenabilité ...harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/monnaie/finance-insoutenable.pdf · parvient-on à un résultat ... La maximisation

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  • Universit Bordeaux IV

    Colloque organis par la Chaire UNESCO

    Pauvret et dveloppement durable

    22 et 23 novembre 2001

    La financiarisation de lconomie contre la soutenabilit ?

    Examen de quelques modles

    Jean-Marie Harribey

    (Centre dconomie du dveloppement)

    Les deux dernires dcennies du XXme sicle ont t marques par un processus de

    financiarisation de lconomie capitaliste mondiale dont le principal facteur fut la libert

    totale de circulation accorde aux capitaux. Celle-ci devait, selon la doctrine dominante,

    assurer une allocation optimale des ressources dont tous les pays et toutes les populations

    devaient tirer bnfice en termes de dveloppement conomique, condition quils acceptent

    douvrir leurs frontires et de sinsrer dans le march mondial. Dans le mme temps, la

    communaut internationale, linitiative notamment de lONU, prenait conscience des

    contraintes de plus en plus lourdes que faisait peser le dveloppement conomique sur les

    cosystmes : pollutions de lair, de leau, puisement des sols, dsertification, rarfaction de

    certaines ressources non renouvelables, diminution de la diversit biologique, rchauffement

    climatique, sont autant datteintes la nature quaux conditions de vie des gnrations

    prsentes et futures. Cest dans ce contexte que simposa le concept de dveloppement

    soutenable ou durable, cens assurer la promotion des plus pauvres de la plante objectif

    jamais atteint malgr plusieurs dcennies du dveloppement proclames et la

    sauvegarde des quilibres cologiques malmens par deux sicles de croissance des pays

    riches et dautant plus menacs que les pays en dveloppement imiteraient les premiers .

    La financiarisation de lconomie et la soutenabilit font lobjet danalyses thoriques

    approfondies mais spares. Dun ct, la financiarisation dsigne un nouveau rgime

    daccumulation du capital dans lequel les processus de production sont subordonns des

    exigences de rentabilit leve en provenance essentiellement des groupes et institutions

    financiers au sein desquels lintrt des actionnaires est primordial. Sous le couvert de

  • 2

    cration de valeur pour lactionnaire se dissimule un mouvement de captation de la valeur

    produite lchelle mondiale, et sous celui de mondialisation samplifie la dynamique de

    marchandisation de toutes les activits humaines et de toutes les ressources de la vie

    [Chesnais, 1994 et 1996 ; Dumnil, Lvy, 1999, Harribey, 2001-b, Husson, 2001]. De lautre

    ct, depuis la publication du rapport Brundtland [1987], nombreuses sont les analyses ayant

    montr les implications de la soutenabilit en termes bio-physiques, thiques, politiques et

    culturels avant conomiques [Odum E.P., 1971 ; Odum H.T., 1971 ; Georgescu-Roegen,

    1979 ; Jonas, 1979 ; Passet, 1979 ; Anand, Sen, 2000 ; Sen, 2000], ou ayant soulev les

    ambiguts, les limites et les contradictions de ce concept [Pearce, 1974 ; Daly, 1992 ;

    Latouche, 1994 ; Sachs, Esteva, 1996 ; Harribey, 1997, 1998 et 1999] tenant principalement

    limpossibilit physique dune croissance conomique plantaire perptuelle et laporie dune

    recherche dune valeur conomique intrinsque de la nature [Harribey, 1996, 1997, 1998,

    1999 ; Angel, 1998].1

    Lobjectif de cet article est de croiser les deux questions de la financiarisation et de la

    soutenabilit afin dexaminer leur compatibilit. Plus prcisment, un dveloppement humain

    soutenable socialement et cologiquement est-il possible au sein dun rgime daccumulation

    financire ? Si lon sollicite les modles danalyse dinspiration marxienne et keynsienne, la

    rponse ne fait gure de doute : elle est ngative, et, de plus, fondamentalement, tout rgime

    daccumulation du capital sans rgulation publique ne peut que laisser de ct des

    proccupations sociales ou cologiques. Nous le montrerons en utilisant un modle de partage

    des gains de productivit. Si lon fait appel des modles dinspiration no-classique,

    parvient-on un rsultat diffrent ? Cela nest pas certain : nous montrerons ce paradoxe en

    utilisant successivement quelques uns des modles couramment utiliss au sein de ce

    paradigme.

    1. La finance capte les gains de productivit qui pourraient tre employs

    prparer la soutenabilit

    La question examine ici est celle des rapports entre dveloppement conomique et

    rpartition dans une perspective de soutenabilit.

    Appelons :

    1 . Pour un tat des atteintes lenvironnement et un bilan des mesures de protection, voir Banque Mondiale[2000] et O.C.D.E. [2001].

  • 3

    y le taux de variation du produit global Y,

    p le taux de variation de la productivit de lunit de travail (par exemple de la

    productivit horaire),

    q le taux de variation de la productivit par tte,

    t le taux de variation de la dure individuelle moyenne du travail,

    n le taux de variation du nombre demplois,

    w le taux de variation des salaires,

    v le taux de variation des investissements,

    le taux de variation de la rente financire.

    w* la part des salaires et assimils (prestations) dans le produit global,

    v* la part des investissements (ou des profits rinvestis), supposs tous soutenables

    socialement et cologiquement, dans le produit global,

    * = 1-w*-v* la part de la rente financire dans le produit global,

    On peut crire :

    salaires = w*Y,

    investissements = v*Y,

    rente financire = *Y= (1-w*-v* )Y,

    taux de croissance conomique = y = ww*+vv*+ * .

    Dfinissons le rgime daccumulation financire comme celui qui tend faire crotre le

    taux de croissance de la rente financire. Si cette progression est plus rapide que celle y du

    produit global, cela implique ncessairement une modification de la rpartition prjudiciable

    la soutenabilit.

    1er cas de figure

    La rente financire et les investissements soutenables croissent plus vite que le produit

    global : > y et v > y.

    Cela impose que w < y.

    La nouvelle part de la rente financire dans le produit global accru est gale :

    ( * *)( )( )

    ( * *)( )1 11

    1 11

    ++

    = ++

    w v Yy Y

    w vy

    Lancienne part de la rente financire tait gale 1-w*-v* . Comme (1+) > (1+y), la

    part de la rente financire dans la valeur ajoute a donc augment.

  • 4

    La nouvelle part des investissements v v Yy Y

    v vy

    *( )( )

    *( )( )

    11

    11

    ++ =

    ++ a augment puisque v > y.

    La nouvelle part des salaires w w Yy Y

    w wy

    *( )( )

    *( )( )

    11

    11

    ++ =

    ++ a baiss puisque w < y. Cest une

    premire marque de linsoutenabilit envisage sur le plan social car on ne peut assurer

    quelle serait automatiquement compense par les amliorations apportes par les

    investissements dont la croissance est, dans ce cas de figure, suprieure celle de la

    production.

    Si la productivit progresse au mme rythme que la production (p = y), dure

    individuelle du travail inchange (t = 0), le nombre demplois ne varie pas (n = 0) et le

    chmage augmente si la population active saccrot.

    Si p > y, dure individuelle du travail inchange (t = 0), le nombre demplois diminue

    (n < 0).

    Si p < y, dure individuelle du travail inchange (t = 0), le nombre demplois

    augmente (n > 0).

    2me cas de figure

    Sous la pression des marchs financiers, seule la rente financire crot plus vite que le

    produit global : > y.

    Alors, v < y et w < y.

    Par consquent, les parts des investissements et des salaires dans le produit global ont

    diminu : v v vy

    * *( )( )

    < ++1

    1 et w w w

    y* *( )

    ( )< ++

    11

    .

    Dans la situation extrme o tout laccroissement du produit irait en rente financire, il

    serait alors gal laccroissement de celle-ci : yY = *Y y = * .

    Gnralisation

    Le taux de croissance de la rente financire peut sexprimer en fonction des autres

    variables : = y ww vv* *

    * .

    Pour un taux de croissance conomique donn, le taux de croissance de la rente

    financire est dautant plus lev que les taux de croissance des salaires et des investissements

    pondrs par les parts de ceux-ci dans le produit global sont faibles. Il est noter que le taux

  • 5

    de croissance de la rente financire est inversement proportionnel la part dj acquise dans

    le produit global.

    Si lon fait intervenir les variables de la productivit : (1+y) = (1+p)(1+t)(1+n),

    =+ + + ( )( )( ) * *

    *1 1 1 1p t n ww vv .

    Si lon raisonne sur des variables continues : y = p + t + n, et alors on peut crire :

    =+ + p t n ww vv* *

    * ,

    ou bien , en variables continues :

    =+ + p t n ww vv* *

    * .

    Pour un taux de croissance de la productivit et une part de la rente financire dans le

    produit global donns, le taux de croissance de la rente financire est dautant plus lev que

    le temps de travail augmente, que lemploi augmente et que la croissance des salaires et des

    investissements pondrs par leur part respective est faible.

    La maximisation de la rente financire est donc incompatible avec une perspective de

    soutenabilit qui exigerait que toute la population bnficie quitablement de la croissance de

    la production (soutenabilit sociale) et que des investissements croissants soient consacrs

    amliorer les procds techniques pour conomiser la nature (soutenabilit cologique).

    On peut conclure cette premire partie par trois remarques. Primo, le propos de Keynes

    [1936, p. 369] il y a plus de soixante ans sur la ncessaire euthanasie des rentiers avait

    quelque chose de visionnaire. Secundo, laugmentation de la rente financire revt la figure de

    la valeur pour lactionnaire ou economic value added qui, dans lanalyse financire, est

    gale la diffrence entre, dun ct, les recettes et, de lautre, les cots incluant une

    rmunration moyenne du capital2. Si cette augmentation a pour origine le fait que les profits

    croissent plus rapidement que la productivit du travail, elle correspond ce que Marx [1867,

    chapitre XII] appelait la plus-value relative. Si elle provient dun meilleur positionnement

    face aux capitaux concurrents, elle correspond ce que Marx [1867, chapitre XII] appelait la

    plus-value extra. Face ses concurrents, le but de chaque capitaliste est de produire de la

    plus-value extra. La gnralisation dun tel comportement micro-conomique aboutit une

    hausse gnrale de la productivit et donc de la plus-value relative. Tertio, un tel rgime

    daccumulation financire peut nanmoins faire cohabiter laugmentation relative de la plus-

  • 6

    value et llvation absolue du salaire rel moyen. Augmentation du taux dexploitation de la

    force de travail et croissance conomique ne sont donc pas incompatibles. Ainsi peut

    sexpliquer laccroissement simultan des ingalits et du niveau de vie moyen que la plupart

    des statistiques mondiales enregistrent3.

    2. La finance soppose la soutenabilit faible, a fortiori forte

    Selon la thorie no-classique, le march permet de dfinir une exploitation optimale

    des ressources naturelles au mme titre que les facteurs de production habituels, travail et

    capital, condition de privatiser les lments jusque-l en libre accs. Alors, ressources

    naturelles, travail et capital sont considrs comme substituables. Cest la conception de la

    soutenabilit dite faible dont lorigine remonte Hotelling [1931] et trouve son aboutissement

    dans la rgle de compensation nonce par Hartwick [1977] garantissant lquit entre les

    gnrations actuelles et futures. Cette rgle stipule que des rentes gales la diffrence entre

    le prix et le cot marginal des ressources doivent tre prleves au fur et mesure de

    lpuisement des ressources ; elles doivent ensuite tre rinvesties pour produire du capital

    substitut aux ressources puises ; elles doivent enfin crotre de priode en priode dun taux

    gal au taux dactualisation.

    La conception de la soutenabilit faible est formalise dans le modle de Stiglitz [1974]

    qui utilise des fonctions de production rendements constants de type Cobb-Douglas qui

    scrivent : Q = L K E, avec Q la production, L le facteur travail, K le facteur capital et E le

    facteur environnement, et avec les lasticits partielles , , de la production par rapport

    chacun des facteurs qui correspondent aussi aux parts respectives de chacun dans le produit.

    Nous avons montr ailleurs [Harribey, 1999] que, dans la mesure o la dtrioration de

    lenvironnement provoque une diminution de llasticit partielle de la production par rapport

    ce facteur, paralllement la croissance de la production, le facteur environnement, dont

    lexposant tend vers zro, tend lui-mme vers un : selon une telle fonction multiplicative,

    lconomie pourrait donc se passer de la nature.4 Internaliser les effets externes ngatifs ne

    serait mme plus ncessaire. Et cela est bien commode puisque lexternalit est en fait un

    2 . Voir Harribey [2001-b].3 . Voir PNUD [2001].4 . Il ny a pas plus de raison de considrer constante llasticit de la production par rapport lenvironnementquil ny en a de considrer constantes les autres lasticits partielles. Dailleurs Dubois [1990, p. 843] indiqueque les parts de la rmunration du travail et du capital dans la valeur ajoute, qui correspondent dans unefonction Cobb-Douglas aux lasticits partielles, peuvent varier.

  • 7

    rsidu du march non assimilable.5 Sauf si lon suppose quune dfaillance de march serait

    corrige par un nouveau march dont la dfaillance son tour ncessiterait encore un march

    supplmentaire, et ainsi de suite dans une rgression linfini. Mais alors, cela signifierait la

    marchandisation absolue du monde, ce qui est logiquement impossible puisque le march ne

    peut se passer de cadre social.

    Mais, outre les difficults analytiques prcdentes, on peut mettre en vidence les

    consquences du rgime daccumulation financire sur la soutenabilit. Introduisons un

    quatrime facteur dans la fonction de production, la finance, pour le diffrencier du facteur

    capital entendu dans son sens technique dj prsent6 : Q = L K E F. Si la croissance de la

    rente financire se traduit par une hausse de la part de la rente dans le produit global, alors

    augmente vers sa limite 1. Les parts qui vont aux salaires, au renouvellement du capital et la

    prservation ou la restauration de lenvironnement diminuent. Lhypothse de substituabilit

    des facteurs ne suffirait mme plus assurer une soutenabilit faible ds lors quune partie

    croissante du produit global serait servie en rente financire.

    La soutenabilit impliquant lquit intergnrationnelle, est-il possible de maximiser

    lutilit retire par les rentiers de la rente qui leur est verse au cours du temps tout en

    sauvegardant le bien-tre des gnrations futures qui ne seront pas composes que de

    rentiers ? La rponse cette question peut tre donne en utilisant un modle sinspirant de

    celui de R.T Page [1977], la diffrence prs que la maximisation de lutilit retire de la

    consommation est remplace par celle retire de lobtention de la rente financire. Soit donc

    le modle o :

    U est lutilit,

    F est la rente financire,

    I est linvestissement,

    t est le temps,

    i est le taux dactualisation mesurant la prfrence du prsent par rapport au futur qui

    traduit lexigence financire des rentiers,

    r est le taux de rentabilit relle du capital investi.

    5 . Linternalisation, qui nest possible de toute faon que si les externalits sont mesurables montairement,engendre dautres effets externes, cest--dire elle provoque des effets pervers pour lenvironnement commelont montr Pearce [1974] et Altvater [1997].6 . En se plaant dans le cadre noclassique, en introduisant la finance dans la fonction de production, on faitcomme si la finance tait productive, ce qui na aucun sens.

  • 8

    La fonction objectif est :

    Max U Fi

    U F ittn

    t

    nt( ) ( )

    11

    0 1+( )= +( )

    sous la contrainte : It + Ft = (1 + r) It 1 mesurant le surplus de la priode t

    Formons le lagrangien :

    L U F i r I I Ftt

    t t t t= +( ) + + [ ]{ } ( ) ( )1 1 1Les conditions de maximisation du 1er ordre sont :

    LF

    U F it

    tt

    t= +( ) =( )1 0 (1)

    LI

    ri

    t t= + =+( )1 01 (2)

    De (2) on tire : t t t trr

    = ++( ) =+( )

    11

    1 0 ou

    Dans (1) : U F ii

    rt t

    tt

    t( )= +( ) =+( )+( )

    1 11

    0

    Or le multiplicateur de Lagrange 0 correspond lutilit marginale de la rente retire

    du desserrement de la contrainte dune unit montaire par le rentier de la gnration 0.

    U F U Fi

    rU FU F

    i

    rt

    t

    tt

    t

    t( ) ( )( )( )

    = +( )+( )

    = +( )+( )

    00

    1

    1

    1

    1 ou

    Si U FU F

    t( )( )0

    > 1, cela signifie que lutilit marginale de la rente retire du desserrement de

    la contrainte dune unit montaire par le rentier de la gnration t est suprieure celle

    retire par le rentier de la gnration 0. Cest le cas ds que i > r, cest--dire ds que

    lexigence financire des rentiers dpasse le taux de surplus conomique rel. Ce ne pourrait

    tre quaux dpens de la soutenabilit tant sociale qucologique.

    Le rsultat prcdent peut tre retrouv laide des modles gnrations imbriques.

    Lide de dpart de tels modles est que chaque gnration vit deux priodes et entre donc en

    change avec la gnration qui la prcde et celle qui la suit. Dans tous ces modles horizon

    infini seul cas o les anticipations rationnelles ne permettent pas des prvisions parfaites ,

    les biens changs entre gnrations tant prissables, lusage de la monnaie comme

    instrument de rserve et de transmission parat a priori indispensable. Pour notre propos, la

    question de la compatibilit entre la soutenabilit et la financiarisation de lconomie mrite

  • 9

    dautant plus un examen que la financiarisation peut tre analyse comme un processus de

    privatisation de la monnaie en tant quinstitution sociale [Orlan, 1999, Harribey, 2001-b].

    Deux sries de choses peuvent tre avances. Premirement, dans un modle

    gnrations imbriques, toute proccupation dquit intragnrationnelle est carte puisque,

    par hypothse, chaque gnration nest compose que dindividus indiffrencis. Le problme

    de la soutenabilit sociale est donc rsolu avant davoir t pos grce la notion irraliste

    dagent reprsentatif7.

    Deuximement, un modle gnrations imbriques aboutit une infinit de solutions

    dquilibre et mme un continuum de solutions [Guerrien, 1996, p. 226-233].

    Lindtermination du modle provient de la multitude de possibilits de fixation du prix initial

    du bien transmis la deuxime gnration dont il sensuit une infinit de trajectoires

    ultrieures. A cette indtermination sajoute la sous-optimalit de ces quilibres

    concurrentiels en nombre infini qui est due au fait que les changes entre les gnrations

    samenuisent contre leur gr pour conduire lautarcie intergnrationnelle au fur et

    mesure que les prix slvent dans le temps.

    Ces limites gnrales sont confirmes lorsquon applique les modles gnrations

    imbriques au problme de la soutenabilit [Howarth, Norgaard, 1992]. Ces deux auteurs ont

    montr8 que lallocation des ressources entre les gnrations ne conduisait pas lquit

    intergnrationnelle. Lanalyse est la suivante.

    Un modle gnrations imbriques standard suppose chaque agent conomique

    maximisant son utilit procure par sa consommation sur chacune des deux priodes pendant

    lesquelles il vit. Pendant sa priode active de jeunesse, il travaille et pargne un stock de

    capital quil vendra quand il sera vieux et inactif la gnration suivante pour que celle-ci le

    mette en uvre productivement. En appelant C1 et C2 les consommations aux deux priodes

    successives, chaque agent maximise sa fonction dutilit U(C1, C2). Pendant sa priode active,

    il peroit un revenu W1. Son pargne est gale W1- C1 quil place au taux dintrt i2 suppos

    gal la productivit marginale du capital. Son revenu pendant la seconde priode est gal

    (W1- C1)(1+ i2) quil consomme intgralement.

    Le problme de maximisation scrit :

    Max U(C1, C2) sous la contrainte C2 = (W1- C1)(1+ i2).

    L U C C C W C i= + +[ ]( , ) ( )( )1 2 2 1 1 21

    7 . Faucheux et Nol [1995, p. 275] crivent : Les individus dune gnration quelconque sont identiques detelle sorte quaucune question dquit intragnrationnelle nest aborde. 8 . Voir Faucheux, Nol [1995, p. 275-277].

  • 10

    LC

    U C i1

    1 21 0= + + =( ) ( )

    LC

    U C2

    2 0= + =( )

    Do : U CU C

    i( )( )

    1

    221= +

    Le consommateur se comporte de telle sorte que sa satisfaction marginale dcroisse

    dune priode lautre du taux dintrt de la deuxime priode. Comme tous les agents

    adoptent la mme attitude de priode en priode, lquit intergnrationnelle parat assure.

    Mais quadvient-il si, au lieu dinvestir une partie de ses ressources, lagent reprsentatif en

    dpense la totalit improductivement ? Non seulement, il naura pas de revenu pour sa

    priode de vieillesse, mais il rompt la chane entre les gnrations. Celle qui le suit na aucun

    stock sur lequel elle peut sactiver et devra se contenter dune productivit mdiocre et donc

    de faibles revenus dont les consquences se feront sentir sur la gnration suivante, etc.

    Si la version faible de la soutenabilit ne peut tre assure, la soutenabilit forte peut

    ltre encore moins puisque celle-ci est dfinie par le maintien du stock de ressources

    naturelles sans faire appel la substitution entre lments naturels et capital manufactur

    [Pearce, Warford, 1993].9 La dmarche de la soutenabilit faible tait oblige de faire

    abstraction de la contrainte de complmentarit car substituabilit et complmentarit des

    types de capital peuvent difficilement cohabiter dans la mme quation. La dmarche de la

    soutenabilit forte retient lhypothse de la ncessaire complmentarit des facteurs. Mais elle

    aboutit la conclusion des limites de lextension possible du capital produit. En effet, on ne

    peut pas produire du capital artificiel sans prlever des ressources naturelles dont les rserves

    diminuent en permanence sil sagit de ressources non renouvelables et dont les rserves

    diminuent lorsque le taux de prlvement est suprieur au taux de rgnration sil sagit de

    ressources renouvelables. La difficult de mettre en place une stratgie tourne vers la

    soutenabilit est donc renforce par la confiscation dune part du revenu global par la rente

    financire.

    Au total, le doute est permis au sujet de la compatibilit entre lvolution dune socit

    qui serait commande par une exigence de plus en plus leve de rentabilit financire

    touchant tous les aspects de la vie et une stratgie de soutenabilit qui tenterait, la fois sur

    le plan social et cologique, de promouvoir une quit intra et intergnrationnelle. Le

    9 . Pour une prsentation, voir Harribey [1996, p. 305-309, ou 1997, p. 99-100, ou 1998, p. 36-38].

  • 11

    problme se pose pour les pays dvelopps car depuis une vingtaine dannes lessentiel des

    gains de productivit ont t appropris sous forme de profits financiers sans que

    linvestissement en bnficie proportionnellement. Mais il se pose une chelle plus vaste

    encore pour les pays en dveloppement, tout particulirement pour les pays les plus pauvres,

    souvent trs endetts, dont beaucoup subissent les consquences des plans dajustement

    structurel qui ont t appliqus jusquici sans gard pour les politiques publiques dordre

    social ou environnemental. Enfin, la rptition des crises financires internationales est

    dautant plus dommageable que celles-ci frappent toujours en premier lieu les rgions du

    monde (Amrique du sud et Asie du sud-est) dont le dveloppement est amorc mais demeure

    fragile cause de leur assujettissement la volatilit des capitaux ou une monnaie

    dominante comme le dollar. Dans ces conditions, la rduction de la pauvret, composante

    essentielle dun dveloppement soutenable durablement, parat difficile. Et lon voit mal

    comment la composante cologique dun tel dveloppement pourrait son tour tre assure.

    Ce ne serait pas le moindre des paradoxes qualors, en guise de dveloppement durable, nous

    ayons un dveloppement insoutenable durablement. Prenons garde au pige des mots : le

    capitalisme insoutenable pour certains et/ou pour une part de la plante est capable de durer.

    Si la soutenabilit du dveloppement constitue un objectif vritable pour la communaut

    internationale et sil se confirmait que le rgime daccumulation financire la rendait

    impossible parce quil aggrave les contradictions sociales et cologiques [Harribey, 2001-a],

    il serait indispensable de retrouver une certaine matrise des flux financiers progressivement

    abandonne depuis deux dcennies, afin que la libert accorde aux capitaux cesse dtre un

    obstacle ce que les liberts fondamentales thoriquement accessibles tous les humains

    deviennent les capabilits relles dont parle A. Sen. La mise en place de procdures et

    rgles de rpartition des gains de productivit plus conformes aux principes de

    responsabilit [Jonas, 1979], de solidarit et dconomie [Harribey, 1996, 1997] en serait

    une condition ncessaire. Lquit intragnrationnelle et lquit intergnrationnelle sont

    sans doute ce prix.

  • 12

    Bibliographie

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