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© William Beaucardet © Karen Bareffot La forêt française face au changement climatique La forêt française face au changement climatique I l est maintenant établi que les forêts connaîtront une nette évolution du climat d’ici cent, voire cinquante ans. Vont-elles s’adapter, se modifier radicalement ou dépérir ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs de l’Inra travaillent à décrypter le fonctionnement de ces écosystèmes complexes ainsi que le dialogue intime qu’ils entretiennent avec le climat. Car si les forêts vont subir les assauts du changement climatique, elles sont aussi capables de l’atténuer. Les recherches de l’Inra ont également l’objectif finalisé de donner des solutions à la filière forêt-bois pour une gestion durable de la ressource. Pour un sylviculteur, cent ans, c’est aussi l’âge moyen d’exploitation d’un arbre. Il faut donc agir dès maintenant.

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Il est maintenant établi que les forêts connaîtront une nette évolution du climatd’ici cent, voire cinquante ans. Vont-elles s’adapter, se modifier radicalement ou dépérir ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs de l’Inra travaillent à décrypter le fonctionnement de ces écosystèmes complexes ainsi que

le dialogue intime qu’ils entretiennent avec le climat. Car si les forêts vont subir les assauts du changement climatique, elles sont aussi capables de l’atténuer. Les recherches de l’Inra ont également l’objectif finalisé de donner des solutions à la filière forêt-bois pour une gestion durable de la ressource. Pour un sylviculteur,cent ans, c’est aussi l’âge moyen d’exploitation d’un arbre. Il faut donc agir dès maintenant.

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2 011 a été déclarée « annéeinternationale des forêts »par l’assemblée générale del’ONU. Si les forêts sont ainsi

mises à l’honneur, c’est en raison desnombreux services qu’elles rendent àla société. Stockage du CO2, produc-tion d’eau de qualité, action sur lemicroclimat, protection des solscontre l’érosion ou tout simplementaccueil du public, leur apport est loinde se cantonner à la production debois. L’usage du bois lui-même va sediversifier avec de nouvelles utilisa-tions énergétiques de la biomasseligneuse (chaufferies bois, biocarbu-rant). Au niveau national, l’impor-tance de cette multifonctionnalité aété rappelée en 2007 par les conclu-

sions du Grenelle de l’environnementet des Assises de la forêt.La forêt est également un réservoir debiodiversité, car elle reste un écosys-tème protégé où l’homme intervientpeu en comparaison avec les zonescultivées. La diversité de la forêt fran-çaise métropolitaine est d’ailleursunique en Europe. La France étantsituée au carrefour de quatre zonesbioclimatiques, on y compte autantd’écosystèmes forestiers différents : laforêt de plaine atlantique, dont la forêtde pin maritime en Aquitaine, la forêtde plaine semi-continentale, la forêt demontagne et la forêt méditerranéenne.A l’Inra, plusieurs centres (Nancy, Bordeaux, Orléans et Avignon) s’em-ploient à élucider les impacts du chan-

Le changement climatique modifie le fonctionnement de l’arbre et de l’écosystème forestieren général. Certains effets peuvent être bénéfiques, la plupart sont néfastes en l’absenced’adaptation. Les extrêmes climatiques pourraient aussi jouer un rôle décisif. Malgré des incertitudes, les nombreuses recherches de l’Inra permettent d’entrevoir les impacts à venir, les peuplements les plus vulnérables ainsi que des pistes d’adaptation.

gement climatique sur chacun de cesécosystèmes, en tenant compte de leursspécificités (sol, essences, climat local,pratiques sylvicoles).

Changements multiples, effets contrastés L’intensité des changements à venirfait encore débat, en raison d’incerti-tudes inhérentes aux prévisions desémissions de gaz à effet de serre (GES).En revanche, la nature de ces évolu-tions est maintenant bien connue :augmentation de la concentration enCO2 dans l’atmosphère, hausse destempératures, modifications du régimepluviométrique. A ces tendancesmoyennes s’ajoutent des épisodesextrêmes (sécheresses, canicules, tem-

Changement climatique : à quoi peut-on s’attendre ?

1© Inra / Michel Meuret

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pêtes) potentiellement plus fréquentset la progression des stress biotiques(ravageurs, maladies).Quelles sont les conséquences de cesévolutions sur la production de la forêtet donc sur sa capacité à stocker ducarbone ? En réalité, les effets des dif-férentes composantes du changementclimatique sont contrastés. Deux fac-teurs agissent dans le sens d’une amé-lioration de la productivité : d’unepart, l’augmentation de la concentra-tion en CO2 de l’atmosphère (+ 40%depuis le milieu du XXe siècle) qui sti-mule l’activité photosynthétique desarbres. D’autre part, une hausse mesu-rée des températures allonge la saisonde végétation des arbres, en avançantles stades de développement au prin-temps et en retardant l’arrêt physio-logique à l’automne. Par contre, lahausse des températures augmente lesbesoins en eau des végétaux, demandequi pourrait être plus difficile à satis-faire à l’avenir en raison de l’augmen-tation de l’évapotranspiration et de ladiminution des précipitations. Lesmodèles climatiques prévoient en effetdes précipitations parfois plus impor-tantes en hiver, mais globalement plusrares en été au moment où la végéta-tion en a le plus besoin. Quel sera le bilan au final ? Cette question pose un véritable défi à larecherche. En effet, l’analyse dendro-métrique (1), qui a longtemps servi àprévoir la productivité des forêts, nes’applique plus sur les bases classiquesqui supposent un environ nementconstant. Il faut donc aller plus loinet approfondir les connaissances surle fonctionnement primaire de laforêt : les flux et les stocks de carbone,d’eau, de minéraux. Mesurer ces cyclescouplés sur le long terme, depuis lesol jusqu’à l’atmosphère, constitue

justement l’un des objectifs de l’observatoire de recherche et d’expé-rimentation en environnement « F-ORE-T » mis en place en 2002 parl’Inra et ses partenaires (2). La dyna-mique des communautés d’organis-mes associés (champignons, bactéries,microfaune du sol, pathogènes...) y est

Le changement climatiquefavorise aussi la propagationde certains bioagresseurs desespèces forestières. L’expan-sion de la processionnaire dupin vers le nord et en altitudeest emblématique de ce phé-nomène. A tel point que l’Onerc* considère cette progression comme un bio-indicateur du changement cli-matique. Les chenilles de cetinsecte se régalent desaiguilles de différents pinscomme de celles des cèdreset peuvent considérablementfreiner le développement deces essences. De plus, héris-sées de poils urticants, elles posent également un problème sanitaire pour l’hommeet les animaux en provoquant des allergies. Les chenilles de la processionnaire du pin meurent en dessous de -16°C. D’autrepart, pour se nourrir, elles ont besoin à la fois d’une température dans le nid supérieureà 9 °C pendant la journée et d’une température ambiante supérieure à 0°c pendant lanuit. Le réchauffement climatique augmente donc le nombre de jours au cours desquelselles peuvent se nourrir et progresser entre octobre et mars. L’augmentation destempératures a rendu l’ensemble de la région parisienne propice à leur développementdès 2004. La question est donc de savoir à quelle vitesse l’espèce va avancer dans cetespace devenu accueillant. L’unité de zoologie forestière du centre Inra d’Orléans amodélisé le front d’expansion de la processionnaire du pin en fonction des possibili-tés d’évolution du climat. Le scénario le plus optimiste indique une colonisation attei-gnant Paris dès 2025. Leur apparition en zone urbaine est d’autant plus inquiétante queles populations ne sont pas habituées à s’en méfier. La prévision des futures zones àrisques constitue donc un enjeu majeur pour cibler les mesures de prévention.* Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique

Des chenilles qui ne perdent pas le nord

également analysée. Cet observatoirecomprend un réseau dense de placet-tes d’observation et une quinzaine desites-ateliers équipés de nombreuxinstruments de mesure. In fine, il per-mettra de comprendre l’influence duclimat sur la production forestière et dedévelopper des modèles d’évolutiondes écosystèmes forestiers qui en tien-nent compte, tout en intégrant égale-ment l’effet des pratiques sylvicoles etdes changements d’usage des terres.

Histoire d’eauProfitant de cet outil puissant, les cher-cheurs de l’Inra ont développé unmodèle de fonctionnement primairedes forêts centré sur les cycles couplésde l’eau et du carbone (3). A partirdes premiers scénarios climatiques etdes nombreux relevés réalisés par l’in-ventaire forestier national (IFN), celui-ci a permis de calculer le potentielclimatique de production à l’horizon2100. Il prévoyait alors une baisse deproductivité sur la moitié sud de laFrance et la façade ouest de la France©

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CORTÈGE de chenilles processionnaires dans un pin.

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R en raison du cycle saisonnier des préci -pitations. En revanche, pour la partiecentre et nord-est, l’effet apparaissaitneutre voire même positif. Depuis,cette prévision a été affinée au niveaurégional, grâce aux progrès de la com-munauté des climatologues et aux scénarios climatiques les plus récentsdu GIEC (4). Les résultats sont encoremoins optimistes et prédisent desimpacts négatifs pour les forêts defeuillus et de conifères quel que soitle site en France (5). Néanmoins, les arbres à feuilles caduques résisteraientmieux car ils préservent mieux lesréserves d’eau du sol, notamment enhiver. En effet, la perte de leurs feuillesa deux conséquences : d’une part, iln’y a plus d’évapotranspiration, doncmoins d’eau pompée dans la terre,d’autre part, l’eau de pluie n’est pasarrêtée et nourrit les réserves du sol.Les contraintes principales sont eneffet les sécheresses du sol et de l’air. Aufinal, une sylviculture économe en eauet ajustée en fonction des réservoirsaquifères des sols serait la voie d’adap -ta tion à privilégier.

Le visage de la forêt en 2100Les chercheurs ont aussi tenté d’esti-mer les aires de répartition potentiellesdes espèces en 2100 (6). A partir de lasituation actuelle, ils ont établi desmodèles de probabilité de présencedes essences forestières en fonction decertains paramètres climatiques(rayonnement, précipitation, tempé-rature, évapotranspiration, jours degels…). En injectant dans ces modèlesles prévisions climatiques pour le siècleprochain, ils ont obtenu une visuali-sation de la future répartition desessences. Deux cas sont embléma-tiques. Le chêne vert, essence médi-terranéenne, connaîtrait une grandeexpansion et pourrait même remonterjusqu’à la Loire. A l’opposé, le hêtre,qui est actuellement présent surpresque tout le territoire, pourrait for-tement régresser en raison de sa sen-sibilité au manque d’eau. Plusgénéralement, les chercheurs ont classéles espèces par grands groupes bio-géographiques et ont constaté la pro-gression des groupes méditerranéenset du sud-ouest, accompagnée d’unerégression des groupes montagnards.Là aussi, si les tendances sont cohé-rentes entre toutes les modélisationsd’impacts évaluées, les modèles cli-matiques introduisent des incertitudessur les limites géographiques. En outre,d’autres paramètres restent à étudierpour obtenir une vision plus précise

du visage de la forêt en 2100. Quellesera la capacité des espèces à se dépla-cer et coloniser de nouvelles nichesface à des changements si rapides,quand on sait que les chênes ont misprès de 2 000 ans à traverser la Franceà l’ère post-glaciaire ? Va-t-on assis-ter à des vagues de dépérissement pourles espèces qui ne peuvent plus survi-vre dans leur niche actuelle ou bienune mortalité plus diffuse touchera-t-elle les arbres les moins bien adaptés ?

Sécheresse et caniculeCette année encore la France manqued’eau, mais le cas des forêts reste peumédiatisé. Or, les forêts sont encoresous le choc des sécheresses de 2003 et2006, comme l’attestent certains symp-tômes réversibles (perte de croissance,dégradation de l’état de santé, vulné-rabilité accrue aux bio-agresseurs...)mais aussi des taux de mortalité anor-maux. Il devient donc urgent de comprendre la vulnérabilité des forêtsau manque d’eau. Le programmeANR (7) Dryade coordonné entre2007 et 2010 par Nathalie Bréda (8) apermis d’apporter de nombreusesréponses débouchant sur un guide degestion des forêts en crise (9). Unrésultat majeur a démontré que c’est larécurrence des sécheresses, plus queleur intensité, qui semble avoir pro-voqué le plus de dégâts. Les chercheursont aussi constaté que pour un peu-plement, l’adéquation du sol à l’enra-cinement et sa capacité à stocker l’eausont primordiaux, tout comme leseffets d’une sylvi culture peu dyna-mique (forte densité, éclaircie tardiveet faible). Au niveau de l’arbre lui-même, les facteurs décisifs sont

l’espèce, le lieu d’origine, mais aussiune forte croissance au jeune âge oujuste avant l’aléa. Ainsi, les arbres lesplus performants en termes de crois-sance seraient les plus fragiles en cas desécheresse. Ce qui obligerait à revoir lescritères de sélections sylvicoles basésaujourd’hui sur des objectifs de pro-ductivité, avec de nouveaux compro-mis entre la performance de croissanceet la résistance aux contraintes. Quidde la canicule ? « Si les températuresextrêmes de l’été 2003 ont aggravé leseffets de la sécheresse, elles ont surtoutété le révélateur de l’état de stresshydrique des forêts aux yeux du grandpublic » explique Nathalie Bréda. « Le déficit en eau des sols en 2003 acommencé dès les mois de mai-juin,entraînant une régulation de l’évapo-transpiration par fermeture des stoma-tes. Quand la canicule est intervenueau mois d’août, les stomates de certainesespèces étaient quasi-fermés. Résultat :sans possibilité de refroidis sement pouraffronter de telles températures, les tis-sus foliaires ont brûlé et pris des cou-leurs anormales ». Contrairement àleur habitude, les forêts ne souffraientplus en silence…

(1) Hauteur, diamètre, volume et âge des arbres.(2) Cirad, CNRS, ONF, Andra, GIP Ecofor.(3) Projet Carbofor, coordonné par Denis Loustau,directeur de l’unité Ephyse du centre Inra de Bordeaux.(4) Groupe d’experts intergouvernental sur l’évolution du climat.(5) Projet ANR Climator (2007-2010) coordonné parNadine Brisson, directrice de recherche au sein de l’unitéAgroclim, centre Inra d’Avignon.(6) Projet Climator et projet ANR « Quantification des effets des changements globaux sur la diversitévégétale ».(7) Agence nationale de la recherche.(8) Directrice de recherche au sein de l’unité Ecologie et écophysiologie forestière du centre Inra de Nancy.(9) Guide de gestion des forêts en crise sanitaire, 2011,Xavier Gauquelin, coord., ONF / IDF.

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Comprendre pour faire face 2Afin d’offrir des solutions pour adapter les forêts au changement climatique, les scientifiquesde l’Inra doivent comprendre le fonctionnement de ces écosystèmes complexes. Depuis le rôle de la diversité génétique jusqu’aux mouvements du vent lors d’une tempête,leurs recherches se font sur tous les fronts et à de nombreuses échelles. En voici quelques exemples.

N ous avons tous fait de ladendrochronologie encomptant les cernes d’unarbre coupé pour connaî-

tre son âge. Les chercheurs se livrentau même exercice en prélevant despetites carottes de bois dans le tronc,mais ils en retirent quelques infor-mations supplémentaires... En mesu-rant très précisément la largeur descernes, ils peuvent évaluer la pro-ductivité des forêts année aprèsannée. Grâce, entre autres, aux cher-cheurs de Nancy, cette approche afourni un des résultats les plus impor-tants en recherche forestière de cesdernières années : les forêts poussent

de plus en plus rapidement depuisenviron un siècle et notamment enEurope depuis quelques décennies.Dans quelle mesure le phénomèneest-il dû aux effets du changementclimatique, à l’augmentation desdépôts atmosphériques d’azote ouaux pratiques sylvicoles ? Pour élu-cider la question, les chercheurs ana-lysent de plus en plus finement lacomposition chimique des cernes debois. Les progrès dans ce domainepermettent non seulement de déter-miner l’impact de l’évolution desconditions environnementales maisils autorisent aussi une plongée aucœur du fonctionnement de l’arbre.

Quand les arbres font la fineboucheDe nombreuses recherches reposentactuellement sur l’étrange propriétéqu’ont les plantes de « choisir » le typede carbone qu’elles assimilent.Comme tous les éléments, celui-ciexiste sous plusieurs formes plus oumoins répandues : les isotopes. L’at-mosphère renferme par exemple envi-ron 99 % de carbone 12 (12C) et 1%de carbone 13 (13C). Or, pendant laphotosynthèse le 12C, plus léger, estplus facilement assimilé. Il existe doncune différence de composition entre lecarbone présent dans l’atmosphère etcelui de la biomasse qui présente un

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moindre taux de carbone lourd 13C.Le phénomène devient encore plusintéressant quand on sait que cettediscrimination varie en fonction del’environnement. Ainsi, en période destress hydrique, les arbres ne se per-mettent plus de choisir et on retrouveun plus fort taux de carbone lourddans le bois. En dosant précisémentces isotopes dans la cellulose du bois,les chercheurs obtiennent donc unvéritable enregistreur en continu dufonctionnement passé de l’arbre enlien avec son environnement. Ilsdécoupent même les cernes en tran-ches très fines pour accéder à l’infor-mation semaine après semainependant une saison de végétation.D’autres éléments comme l’oxygèneou l’azote sont étudiés de près. Lasignature isotopique de l’oxygènedans la plante et dans le sol permet,entre autres, de savoir quelle sourced’eau elle utilise, pluies récentes, eaudes couches profondes du sol ou bienremontée des nappes phréatiques. Infine, grâce à ces études, les chercheursespèrent comprendre le comporte-ment physiologique des essences souscontraintes hydriques ou nutrition-nelles. Il s’agit de répondre à des ques-tions essentielles. Comment réagitchaque essence face au manque d’eaupar exemple ? Met-elle le carbone enréserve pour mieux résister aux rava-geurs et repartir de plus belle la saisonsuivante ou bien l’utilise-t-elle pourconstruire des racines qui vont aller

puiser plus profond ? Quelles straté-gies d’acquisition de l’eau et de l’azotesont les mieux adaptées aux contrain-tes futures ? De quoi éclairer les choixà faire pour l’avenir.

La diversité comme moyend’adaptation et de résistanceLes arbres forestiers renferment unediversité génétique hors norme. Cer-taines données permettent même d’affirmer qu’elle serait environ troisfois supérieure à celle des êtreshumains. Pour des espèces amenées àvivre aussi longtemps, ce trésor cons-titue la meilleure assurance pour

s’adapter aux changements environ-nementaux. Les scientifiques cher-chent à comprendre comment et dansquelle mesure la diversité génétiquepermettra une adaptation à des évo-lutions aussi rapides. Là aussi, le but estde fournir des réponses aux sylviculteurs en leur indiquant éven-tuellement quelles espèces et quellesprovenances introduire, mais aussiquelles pratiques permettent à la foisde préserver et d’utiliser au mieux cettediversité. La tâche semble déjà arduemais elle ne s’arrête pas là. L’arbre nevit pas isolé mais en étroite inter actionavec d’autres organismes vivantscomme les insectes ravageurs ou leschampignons symbiotiques. Afin dedéterminer l’évolution possible d’unécosystème forestier, il faudra déter-miner pour chaque espèce quels gènessont susceptibles de procurer un avan-tage adaptatif et estimer leur diversitédans les populations actuelles.Devant ce travail de titan, 25 labora-toires provenant de 15 pays européensse sont mobilisés entre 2006 et 2010,dans le cadre d’un réseau d’excellencebaptisé Evoltree. Coordonné parl’Inra de Bordeaux, celui-ci a permisde jeter les bases d’une nouvellescience à la frontière de la génétique,la génomique, de l’écologie et de l’évolution : la génomique des popu-lations. Pour ce faire, sept sites d’étu-des intensives, dont trois en Francemétro politaine (1) ont été mis enplace afin d’étudier la dynamique dela diversité en fonction des processuslocaux et des flux de gènes à longuedistance. Les bases de données éma-nant de ces divers sites seront mises

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Depuis les tempêtes de 1999 et 2009, les chercheurs s’intéressent à la force des-tructrice du vent pour proposer des solutions d’aménagement qui permettent delimiter les dégâts. Ces derniers présentent un fort effet de seuil. Qu’il s’agisse de laforêt des Landes ou de Lorraine, les vents ne provoquent que peu de dégâts endessous de 110 km/h mais ils sont catastrophiques au-dessus de 140 km/h. Sansrévolutionner le paysage, on peut imaginer que relever ce seuil de quelques km/haurait déjà un impact économique énorme. D’ores et déjà, des études sur des peu-plements homogènes ont mis en lumière l’importance de paramètres comme lahauteur des arbres, leur densité ou la répartition du feuillage. A présent, les chercheurss’attaquent à un problème encore plus complexe : modéliser les turbulences qui secréent quand le vent s’engouffre dans une parcelle forestière. « Bien plus que lavitesse moyenne du vent, ce sont ces rafales brutales qui provoquent les pires dom-mages, commente Yves Brunet, spécialiste de la mécanique environnementale au seinde l’unité Ephyse. Longtemps elles ont été considérées comme aléatoires mais main-tenant, des modèles complexes nous permettent de les simuler très finement, à l’échelledu mètre ». Il s’agit notamment d’estimer comment les rafales se forment dans le peu-plement et comment les arbres y réagissent. En parallèle, les chercheurs exami-nent aussi l’écoulement du vent en sortie de lisière. Ces résultats évaluent l’impactdes clairières, des éclaircies ou des pare-feux. C’est leur intégration à grande échellequi permettra de prendre en compte la fragmentation du paysage et de passer derecommandations purement sylvicoles à des notions d’aménagements.

Forêt en zone de turbulence

SITE DU BRAY. Tour de mesures dans une forêt de pins maritimes, vers Bordeaux, pour l'étude des mécanismes physiques régissant les transferts entre le couvert végétal et l'atmosphère.

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en réseaux à l’intérieur d’un « labo-ratoire sans mur ». Enfin, les ADNd’arbres provenant de toute l’Europesont conservés à Vienne dans un cen-tre de ressources génétiques uniqueau monde.Si la diversité génétique à l’intérieurd’une espèce est très importante pourl’adaptation, le rôle fonctionnel de ladiversité des espèces dans l’écosys-tème l’est tout autant. Les chercheursde l’Inra l’ont illustré en étudiant leseffets de l’introduction d’îlots defeuillus au milieu d’un peuplementpur de pin maritime. La présence defeuillus permet de faire chuter leniveau d’infestation des pins par leurspires ennemis : la pyrale du tronc et laprocessionnaire du pin. Plusieurs phé-nomènes essentiels entrent en jeu.Tout d’abord, les insectes utilisentsouvent un système olfactif pourreconnaître leur arbre préféré. Cesignal peut être brouillé ou masquépar les essences introduites, ce quiréduit le nombre d’arbres-hôtespotentiellement détectés. Ensuite, lesfeuillus sont de vrais havres de paixpour les prédateurs de la pyrale et dela processionnaire. En leur offrant desproies alternatives, d’autres ressourcesalimentaires, des abris ou des sites depontes, ces arbres les rendent encoreplus redoutables pour les ravageurs.Ces résultats plaident pour la pro-

motion de la biodiversité des forêtsmélangées. Encore faut-il en évaluerla productivité, ce qui appelle d’autresrecherches. Il faut par exemple explo-

rer les relations de compétition entreles différents types d’arbres pour l’accès à l’eau, aux minéraux ou à lalumière. De nombreux travaux s’yattachent actuellement. Ils pourraientprendre une autre dimension grâceau Lidar, une technologie de pointerécemment acquise par l’Inra deNancy (2).

La 3D arrive en forêtLe Lidar est un outil d’analyse del’espace en trois dimensions, com-posé d’un système de télédétectionqui émet un faisceau laser et enregis-tre la direction et la distance du pointayant réfléchi la lumière. Balayantautomatiquement l’espace dans unrayon de 120 m autour de lui, l’appareil délivre un nuage de pointsen trois dimensions correspondantaux premiers obstacles rencontrés parle faisceau. Les applications aéropor-tées de ce type d’outil sont déjàconnues pour les mesures à grandeéchelle des hauteurs de canopées etdu relief. Le Lidar terrestre, lui, estfixe, même si son embarquement dansun véhicule terrestre est envisageable.

IMAGE DE FORÊT reconstituée d’après les mesures enregistrées par le Lidar.

LARVE DE PYRALE DU TRONC. L’introduction d’îlots de feuillus limitel’infestation des forêts de pins maritimes par ce ravageur.

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Son but est de décrire précisément (àun grain de 3 mm) une placette fores-tière. Auparavant, pour obtenir uneinformation comparable, les cher-cheurs procédaient point par pointavec un appareil semblable à celui desgéomètres et abattaient ensuite l’ar-bre pour finir leurs mesures. Le Lidarpermet d’avoir des données beaucoupplus précises en quelques minutes, ycompris sur l’enchevêtrement com-plexe des branches et feuilles du houp-pier. Néanmoins, un lourd traitementinformatique est ensuite nécessairepour « transformer le nuage depoints » en branches, troncs ou feuillesmais aussi pour combler de manière plausible les espaces masqués par lavégétation au premier plan. L’auto-matisation du traitement est donc unenjeu du développement de la technique, et ouvre de nombreuxchamps de recherche comme la recon-naissance automatique de l’essence àpartir de la texture de l’écorce.Cette méthode performante trouveune application évidente pour l’éva-luation de la biomasse et l’inventaireforestier. Les chercheurs de l’Inra s’in-téressent en particulier aux contrain-tes mécaniques liées à la forme del’arbre et qui influent sur la qualité dubois. De plus, le Lidar étant non des-tructif, il permet de suivre l’évolutionde la placette dans le temps. Commentle couvert se referme-t-il ? Quels arbres

prennent le pas sur les autres ? Desquestions essentielles pour compren-dre et modéliser le fonctionnementdes forêts mélangées.

Amélioration génétique et arbres plastiques Améliorer, dans un contexte de chan-gement climatique, des espèces quivivent pendant 80 voire 120 ans, n’estpas chose aisée. Gilles Pilate, direc-teur de l’unité de recherche AGPF (3)précise « Nous devons fournir desvariétés qui répondent à la diversifica-tion des usages tout en permettant unegestion durable des forêts. Au-delà deces aspects, il s’agit aussi de se tenir prêtà affronter les changements à venir ».Pour les chercheurs, ces nouvelles exi-gences impliquent de trouver des stra-tégies d’amélioration innovantes. C’est le but du programme européenNovelTree, coordonné par CatherineBastien de l’unité AGPF, qui se foca-lisera sur le pin sylvestre, le pin mari-time, l’épicéa et le peuplier. Lescaractères ciblés sont maintenant bienconnus : efficacité de l’utilisation del’eau, qualité du bois, résistances mul-tiples aux pathogènes et une phéno-logie qui permet une longue périodede végétation, évite le gel des bour-geons et les périodes de sécheresse.Le défi réside dorénavant dans laconnaissance des gènes impliquésdans chaque caractère et dans la

recherche d’une forte plasticité phé-notypique. C'est-à-dire la capacitéd’un génotype donné à adopter dif-férents comportements en fonctionde son environnement, une aptitudeimportante pour la capacité d’adap-tation. Afin de l’évaluer, les espècesaméliorées seront placées dans desenvironnements contrastés. Des études de génétique d’associationseront menées en combinant deuxapproches. D’un côté, des relationsstatistiques seront établies entre lesvariations du phénotype et la varia-tion des génotypes des populationsnaturelles. De l’autre, les chercheursexploreront quelles parties du génomesont impliquées dans chaque carac-tère et développeront des marqueursmoléculaires permettant de pister cesrégions dans les programmes de sélec-tion. Une approche particulièrementutile pour les espèces forestières dontcertains caractères phénotypiques nesont visibles qu’au bout de plusieursdizaines d’années.

(1) Situés sur le Mont Ventoux, les Landes et les peupleraies naturelles des bords de Loire.(2) Laboratoire d’études des ressources forêt-bois de l’Inra, en partenariat avec l’IFN et l’ONF, dans le cadredu programme ANR Emerge dédié à l’estimation de la biomasse.(3) Amélioration, génétique et physiologie forestières,Inra d’Orléans.

PEUPLIERS HYBRIDES À ORLÉANS. Les scientifiques améliorent leur productivité, leur résistance aux pathogèneset l’efficience d’utilisation de l’eau. Ils adaptent aussi leur période de croissance à différentes situations climatiques.

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Vers une gestion durable de la forêt

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L a forêt peut apporter deuxgrands types de « services »dans la problématique de l’atténuation du changement

climatique. D’abord, en stockant ducarbone dans le bois, par le processusde la photosynthèse et dans le sol sousforme de matière organique. Ensuite,en fournissant des bioproduits ensubsti tution à d’autres matériaux,ainsi que de l’énergie (chaleur, bio-carburant (1)) avec un bilan net d’émissions de GES plus favorable

que l’énergie fossile : le bioéthanolissu de la biomasse par exemple per-mettrait de réduire les émissions deGES (CO2 surtout) de 60 à 80 % parrapport aux émissions à partir de car-burants d’origine fossile. Les objectifsde la Commission européenne en lamatière sont ambitieux, avec la règledes « trois vingt » : 20% de diminu-tion du rejet de GES en 2020, avec20% de la consommation énergétiquede l’UE sous forme d’énergies renou-velables (et 10% de biocarburants

dans la consommation totale desvéhicules). Une forêt durable doitaussi être pensée pour s’adapter auxconditions climatiques qui prévau-dront dans le futur, avec une rési-lience accrue à la sécheresse, voireaux tempêtes.Ce questionnement trouve une illus-tration dans le cas du massif fores-tier des Landes de Gascogne qu’ils’agit de reconstruire de façon dura-ble après les dégâts des deux tempêtesde 1999 et 2009.

Les recherches de l’Inra donnent un éclairage pour concevoir des forêts à la fois productiveset adaptées au changement climatique. Mais aussi pour développer des filières valorisant labiomasse et donc le carbone renouvelable, comme par exemple la production de biocarburantde deuxième génération à partir de bois.

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O ccupant près d’un milliond’ha en France, la forêtlandaise a perdu la moitiéde son stock de bois à la

suite de deux tempêtes survenues àdix ans d’intervalle, alors que des épi-sodes aussi extrêmes ne se produi-sent en moyenne que tous les centans. Ces dégâts fragilisent fortementla filière forêt-bois régionale (34 000emplois directs hors sylviculteurs)confrontée à moyen terme à des pro-blèmes d’approvisionnement. Uneurgence donc : reboiser, après avoirnettoyé les arbres tombés à terre, quiont favorisé une explosion alarmanted’insectes ravageurs comme les sco-lytes. Avec ses montagnes de boisstockés en attente d’évacuation, visi-bles depuis l’autoroute Bordeaux-Espagne, le massif landais est devenule plus gros chantier de nettoyage-reboisement d’Europe. Pour Jean-Michel Carnus (2) « le sentiment quel’écosystème est fragile est partagé entreles acteurs : propriétaires, forestiers,industriels, usagers, chercheurs. Lecontexte est différent de celui des années40, où la moitié de la forêt avait aussidisparu lors des grands incendies, etoù le massif avait été reconstitué pourla production à l’époque de résine etde bois. Cette fois, il s’agit de penserune forêt plus résiliente aux risques cli-matiques, tout en assurant les besoinsen bois de la filière et en tenant comptede la très forte demande en biomasse -

énergie. La recherche se mobilise avectous les acteurs pour explorer des pistesd’avenir ».

Choisir les bonnes essencesLa première question qui se pose est lechoix des espèces à replanter. La résis-tance à la sécheresse sera une qualitédéterminante dans le contexte de chan-gement climatique. Des programmesse mettent en place à l’Inra de Bordeaux (3) pour sélectionner cecaractère chez le pin maritime, quireste à ce jour l’essence de prédilec-tion pour la production de bois dansles Landes.Les regards se portent néanmoinssimultanément sur d’autres espècesde pins, voire sur d’autres conifères.Dans les réseaux expérimentaux, leschercheurs répertorient les essencesrésistantes à la sécheresse déjà présentes en Aquitaine. Parallèlement,des plantations sont en cours sur plu-sieurs sites (Dordogne, Landes,Adour-Pyrénées) pour tester l’adap-tation d’essences méditerranéennes(cèdre du Liban, croisement entrepins des Landes et pins du Maroc oude Corse...).Enfin, des mélanges interspécifiquesinnovants sont à l’étude. Au domaineexpérimental de l’Hermitage, à l’Inrade Pierroton, vers Bordeaux, les cher-cheurs de l’Inra testent des associa-tions de pins et d’autres espèces(eucalyptus, robiniers, ajoncs ...). Des

recherches sur plusieurs années ontégalement démontré que l’installa-tion de feuillus en îlots et en lisièresétait bénéfique pour la santé des pins,car la faune abritée par les feuillusprotège les pins contre leurs rava-geurs (voir ci-avant en partie 2).

Diversifier la production En plus de tester les essences, lesrecherches de l’Inra s’intéressent auxsystèmes de culture. La forêt landaiseest une forêt à des fins industriellesconsacrée à la production de bois,mais quelle production développer ?Jusqu’ici, la production de bois d’œu-vre voisinait avec la production depapier, qui utilise les déchets du bois.Le premier secteur (parquets, lam-bris) tend à perdre du terrain et lespapetiers s’orientent vers l’utilisationde biomasse pour produire de la chaleur et de l’électricité dans des centrales de cogénération. De nou-veaux systèmes sylvicoles doiventdonc être étudiés pour anticiper cesévolutions, en particulier, ceux quifavorisent la production de biomasse,avec des plantations plus denses, sanséclaircies, récoltées au bout de 15-20 ans. Ces itinéraires présententmoins de risques face aux tempêtesque les itinéraires classiques utiliséspour la production de bois d’œuvredans lesquels les arbres restent surpied plus longtemps (35-40 ans), avecdes éclaircies qui peuvent fragiliserles peuplements. Du point de vue éco-logique, les chercheurs de l’Inra vontétudier les conséquences de chacunde ces itinéraires ainsi que d’itinérairesintermédiaires, établis en concerta-tion avec des partenaires profession-nels (4). Afin de surveiller et préserverla fragile fertilité des sols landais, ilsmesureront la teneur en élémentsminéraux du sol et des arbres. Ils étu-dieront également les cycles du car-bone et de l’eau dans ces différentssystèmes culturaux. In fine, le choix du type d’exploitation

La forêt landaise à la croisée des chemins

Stock de bois dans le massiflandais :Avant les tempêtes 150 millions de m3

Après la tempête Martin de 1999120 millions de m3

Après la tempête Klaus de 200975 millions de m3

Quelques chiffres

PLAQUETTES DE BOIS

utilisées pour lechauffage.

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revient aux propriétaires privés, quipossèdent environ 90% de la forêt landaise, et qui ont à estimer desretours sur investissement sur 50 ans.Des économistes de l’Inra, StéphaneCouture et Marielle Brunette (5) sesont intéressés à cette prise de déci-sion difficile et ont réalisé des simu-lations où plusieurs propriétaires ontété placés dans différentes situationsde choix. « Les composantes indivi-duelles d’aversion au risque semblentdéterminantes, indique StéphaneCouture. Très peu de propriétaires sontassurés contre les risques tels que les

L a biomasse forestière repré-sente la moitié des énergiesrenouvelables en France, loindevant l’hydraulique, les

déchets, la géothermie, l’éolien et lesolaire. Si les essences du sud (pin,eucalyptus) sont adaptées à la pro-duction de chaleur, l’espèce de pré-dilection pour la production debiocarburant (bioéthanol) est plutôtune essence du nord : le peuplier, quipousse sur des terrains souvent peuvalorisables pour l’agriculture et secaractérise par une croissance rapide.

Le peuplier, essence de choixL’Inra coordonne un projet d’enver-gure consacré au peuplier à vocationénergétique, Energy Poplar (7). PourFrancis Martin, de l’Inra de Nancy,qui coordonne le projet « en 2012,nous aurons rempli notre contrat avecl’UE, qui était de fournir à la filière cinqnouveaux cultivars de peupliers pré-sentant la plupart des caractéristiquesrequises pour une production optimalede bioéthanol, à savoir : une produc-tion rapide de biomasse aérienne, unsystème racinaire abondant et efficace etun ratio cellulose/lignine favorable à laproduction de bioéthanol. Nous som-mes en phase finale de l’évaluation

Essence pas ordinaire

tempêtes. Une aide de l’Etat contin-gente à une prise d’assurance seraitsans doute plus efficace en ce sensqu’une aide forfaitaire après sinistre ». Actuellement, environ 1 000 ha (unesoixantaine de propriétés) ont étéplantés à des fins de culture énergé-tique, principalement pour la pro-duction de plaquettes à destinationdes chaudières collectives et de l’in-dustrie (6). Un équilibre se dessine en Aquitaineentre les cultures pour le bois d’œuvre, qui favorisent le stockagede carbone, et les cultures énergé-

tiques qui permettront la substitu-tion de carbone renouvelable au car-bone fossile. Les outils fournis par larecherche pour quantifier les stocksde carbone et la capacité de séques-tration des forêts sont utilisés pourles politiques régionales. Ainsi, larégion Aquitaine met en place un« fonds volontaire pour le carbone »,grâce auquel des collectivités ou desopérateurs peuvent compenser leursémissions de carbone en achetant descrédits carbone, les fonds recueillispouvant servir à financer la reconsti-tution forestière.

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Une prospective menée conjointement par le Conseil régional d’Aquitaine et l’Inra examine les futurs possibles des Landesde Gascogne et rendra ses conclusions en octobre 2011. « En réunissant toute la gamme des acteurs (propriétaires,coopératives, collectivités territoriales, industriels, habitants), explique Olivier Mora*, cette prospective considère le massifdes Landes de Gascogne non pas seulement du point de vue de la filière-bois, mais comme un territoire avec toutes ses com-posantes (enjeux démographiques, résidentiels, touristiques, énergétiques, climatiques). L’élaboration de scénarios pour 2050montre qu’il faut faire des choix clairs qui engagent sur le long terme. L’intro duction d’îlots ou de lisières de feuillus par exem-ple, étudiée depuis longtemps mais jamais mise en œuvre dans les Landes, est symbolique des tensions, mais aussi des com-plémentarités possibles, entre intensification et biodiversité. Sa mise en place suppose une forte coordination entre les acteurs ».

* Délégation à l’expertise scientifique collective, à la prospective et aux études, Inra Paris.

Une étude prospective sur le territoire des Landes de Gascogne

ÉCLAIRCIE SYSTÉMATIQUE dans une futaie de mélèzes.

d’une trentaine de cultivars « élites »dont nous mesurons actuel lement lestaux de transformation de la lignocel-lulose en glucose, puis en bioéthanol

ainsi que leur capacité de croissance etd’enracinement. Nous avons égalementvérifié que ces cultivars à caractéris-tiques de croissance améliorées n’avaient

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Dossier rédigé par GéraudChabriat et Pascale MollierResponsable scientifique :Jean-Marc Guehl chef dudépartement Ecologie des forêts,prairies et milieux aquatiques (Inra, Nancy)

+d’infosOweb :www.inra.fr/la_science_et_vous/le_point_sur/les_forets

pas d’effets négatifs sur la diversitémicrobienne du sol des plantations ».Ces cultivars ont été repérés parmi desmilliers de génotypes précédemmentobtenus par création variétale au seindu GIS Peuplier (8). Pour effectuercette sélection, les chercheurs ont iden-tifié plusieurs marqueurs génétiquesassociés à la croissance des systèmesaériens et racinaires. Ils ont égalementoptimisé de nouveaux outils à hautdébit, tels que la spectrométrie infra-rouge, afin de mesurer les teneurs enlignocellulose à partir de poudre debois. Les rendements de transforma-tion de la cellulose du bois en étha-nol sont très variables entre lescultivars testés, confirmant tout l’in-térêt d’une sélection génétique indi-viduelle.

Limiter la concurrence avecles cultures alimentairesUn des enjeux majeurs de la produc-tion de biocarburant est d’éviter lacompétition avec les cultures alimen-taires. Il est donc crucial de produireun maximum de biomasse sur des ter-ritoires réduits ou impropres à l’agri-culture. Dans cet objectif, les chercheurs del'Inra d'Orléans et de Nancy testentdeux méthodes de production : lesTaillis à Courte Rotation et les Futaiesà Courte Révolution (respectivementTCR et FCR). La première correspondà des arbres capables de faire des rejetsaprès une coupe, tels que le peuplier, lerobinier et le saule. Touffus, ces arbresfournissent une biomasse abondanterapidement et peuvent être récoltésaprès deux à sept ans, alors qu’il fautattendre une vingtaine d’années pourles futaies. Dans ce système de TCR, leschercheurs s'attachent à optimiser l'efficience de l'utilisation de l'eau etdes nutriments pour réduire la fertili-sation et l’irrigation. Ils expérimen-tent pour cela l’effet de la densité deplantation, du choix des espèces et dela diversité génétique à l’intérieurd’une espèce, dans un réseau de sitesateliers écologiquement contrastés(Bourgogne, Centre, Bretagne (9)).Pour optimiser la phase de produc-tion d’éthanol, l’Inra est associé audéveloppement d’un pilote à Pomacle -Bazincourt, près de Reims, capable detraiter quotidiennement une à troistonnes de biomasse pour produireenviron 500 litres de bioéthanol. Aupilote succédera un prototype (échellex 50) avant le passage à l’échelle del’usine (échelle x 2 500) (10).Les recherches de l’Inra explorent les

(1) Après avoir éliminé la lignine, on produit de l’éthanol à partir de la cellulose du bois, sous l’action de champignons et de levures.(2) Inra de Bordeaux. Coordinateur de Xyloforest, projetsélectionné en 2011 dans le cadre des« Investissements d’avenir », qui permettra l’acquisitiond’équipements pour favoriser l’innovation depuisl’adaptation des forêts cultivées au changementclimatique, jusqu’à l’ingénierie du bois et la production de biomasse.(3) Xylomic, un des plateaux techniques de Xyloforest.(4) Plateforme Ecosylve de Xyloforest sur 40 ha au domaine de l’Hermitage.(5) Respectivement unité de recherche biométrie etintelligence artificielle de l’Inra de Toulouse et laboratoire d’économie forestière de l’Inra de Nancy.(6) Dans le cadre du projet Climaq, avec le soutien de la Coopérative agricole et forestière sud-atlantique.(7) Energy poplar, projet européen (2008-2012),partenaires : Suède, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni,Italie. Objectif : obtenir des peupliers optimisés pour la production de bioéthanol.(8) Le GIS Peuplier associe les compétences de l'Inra,du FCBA et du Cemagref pour conduire en France les travaux de R&D en matière de génétique, sélection et protection phytosanitaire du peuplier.(9) Projets ANR Sylvabiom (2009-2012) et Intens&Fix (2011-2014).(10) Projet Futurol, 11 actionnaires financiers et de recherche-développement, 50 équivalents tempsplein, plus de 60 actions de recherche dont 30 thèses,onze unités Inra impliquées.

nouvelles filières d’exploitation dubois, de l’arbre au produit final, enintégrant les aspects physiologiques,génétiques et écologiques pour chaquesystème de culture. Le volet écono-mique n’est pas oublié. Le projetEnergy Poplar a inclu une évaluationdu coût monétaire de la productiond’éthanol à partir de cultures de peu-pliers. Les résultats montrent que cetteproduction est rentable car moinschère que le pétrole au cours actuel.Francis Martin relève cependant deuxfacteurs qui lui semblent limitantspour une production à grande échelleselon les objectifs de la Commissioneuropéenne : l’espace et les capacitésd’investis sement. Trouver suffisam-ment d’espace nécessiterait une poli-tique d’aménagement du territoire auniveau européen, certains pays (Béné-lux, Royaume-Uni) étant limités sur cepoint. Quant à l’attraction des inves-tisseurs, elle dépendra du « coût del’argent », c’est-à-dire des taux d’inté-rêt des banques centrales. Le labora-toire d’économie forestière de l’Inrade Nancy, qui a établi le premiermodèle du secteur forêt-bois français,donne d’autres éléments de réflexion.D’abord, le coût économique d'uneaugmentation massive et rapide de laproduction de biomasse énergie

EXPLOITATION D’UN TAILLIS à très courte rotation de saules de deux ans.

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d'origine forestière apparaît élevé.Ensuite, en termes de bilan GES, etsur la période 2010-2020, il est plusefficace de stocker du bois in situ quede produire du bois énergie, mais cerésultat devrait s’inverser sur des pasde temps plus longs, du fait que lestockage de bois est limité à terme,alors que les émissions de GES évitéesà travers la valorisation énergétiquede la biomasse sont cumulables d’année en année. ●