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Presses Universitaires du Mirail Memoria de mis putas tristes. (Literatura Mondadori, n° 246) by Gabriel GARCÍA MÁRQUEZ Review by: Jacques GILARD Caravelle (1988-), No. 83, La France et les cinémas d'Amérique latine (Décembre 2004), pp. 302- 305 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40854188 . Accessed: 15/06/2014 15:34 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.37 on Sun, 15 Jun 2014 15:34:13 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La France et les cinémas d'Amérique latine || Memoria de mis putas tristes. (Literatura Mondadori, n° 246)by Gabriel GARCÍA MÁRQUEZ

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Presses Universitaires du Mirail

Memoria de mis putas tristes. (Literatura Mondadori, n° 246) by Gabriel GARCÍA MÁRQUEZReview by: Jacques GILARDCaravelle (1988-), No. 83, La France et les cinémas d'Amérique latine (Décembre 2004), pp. 302-305Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40854188 .

Accessed: 15/06/2014 15:34

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Gabriel GARCÍA MÁRQUEZ.- Memoria de mis putas tristes.- Madrid, Mondadori, 2004.- 109 p. (Literatura Mondadori, n° 246)

Depuis Crónica de una muerte anunciada, l'apparition d'un nouveau roman de García Márquez est toujours orchestrée comme un événement. Il en est ainsi avec Memoria de mis putas tristes et son million d'exemplaires, d'autant qu'une péripétie, insolite quoique « macondienne » (la mise en vente d'une édition pirate en Colombie), a imposé de précipiter la sortie du livre autorisé (le 21 octobre 2004, anniversaire de l'attribution du prix Nobel, au lieu du 27 octobre comme prévu) et même incité l'auteur à retoucher le dernier chapitre - où l'on croit déceler une suture incertaine (p. 98).

Ce roman reste dans la ligne thématique qui a dominé l'oeuvre et on peut même dire qu'il l'épure - à sa façon, nouvelle et unique, mais n'est-ce pas ce que l'on aurait pu dire en chaque occasion depuis que El coronel no tiene quien le escriba a succédé à La hojarasca ? Le fait est que l'on trouve ici la même interrogation sur le temps, la vie et la mort, avec le catalyseur - de plus en plus actif avec le passage des années - du thème de l'amour. Le temps, la vie et la mort, comme depuis les débuts, avec un seuil d'intensification qui peut être El otoño del patriarca ou, plus sûrement, Crónica de una muerte anunciada. Un autre catalyseur est le thème corrélatif de la vieillesse, très fort dans le présent roman (il parle des amours d'un nonagénaire), apparu avec El otoño del patriarca, souligné dans El amor en los tiempos del colera et dramatisé dans El general en su laberinto (qui était aussi un adieu à la thématique du pouvoir). Dans Memoria de mis putas tristes, la vieillesse rejoint l'amour fou et marque une continuité - qu'accentuent divers éléments de l'anecdote - avec Del amor y otros demonios. García Márquez n'en finit pas de couronner une oeuvre qui semblait avoir, avec chacun de ses précédents romans, trouvé sa culmination.

Avec une insistance notable sur un « aujourd'hui » qui dit simplement qu'il y a de l'écriture et de la vie («hoy», aux p. 10, 15, 28, 36, 62, etc.), le protagoniste de Memoria de mis putas tristes semble renvoyer aux morts conscients, soit narrateurs soit focalisant la narration, des nouvelles inaugurales : nous suivons le récit et la pensée, sinon d'un mort, du moins d'un homme qui pourrait ou devrait être mort, puisqu'il vit et écrit, « aujourd'hui », après avoir passé le cap de son quatre-vingt-onzième anniversaire. Il a une certaine familiarité avec l'idée de la mort, mais non avec celle de la vieillesse - superflue ou parasitaire là où il est question de vie et de mort -, et il peut donc s'adonner aux affres et aux joies du changement alors qu'il est entré depuis longtemps dans l'étape qui nie en principe toute nouveauté. La nouveauté est pour lui la découverte de l'amour alors qu'il s'est contenté jusqu'alors de la fréquentation de prostituées. Le personnage estime qu'il a commencé à quatre-vingt-dix ans «una nueva vida» (p. 10), peut évoquer avec commisération sa «vida anterior» (p. 65), ouvre son cœur «a las delicias del azar» (p. 66), pour proclamer à la dernière page que c'est enfin «la vida real» (p. 109). Cette dernière affirmation est à opposer à ce qu'il voyait dans le passé comme «mi vida real» (ses visites aux maisons de prostitution, p. 19) et à relier à son acceptation de l'idée, formulée au début de l'aventure par la proxénète qui est sa complice, que «el bolero es la vida» (p. 28). Le boléro, fond sonore récurrent de toute l'histoire, est bien l'expression la plus parfaite des vieux mythes de l'amour au XXe siècle et, pourquoi pas si l'on en croit García Márquez, au XXIe. Comme dans Del amor y otros demonios et dans

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quelques récits antérieurs, l'amour-passion est là pour conjurer la mort et postuler la pérennité de la vie.

Le protagoniste, vivant en sursis prolongé, est ici, comme rarement chez García Márquez, narrateur autodiégétique et même scripteur - un scripteur particulier qui ne se reconnaît aucun don pour narrer et s'assume comme le plumitif routinier qu'il a été au long de son interminable vie dans un quotidien local (p. 12). Distance est ainsi prise avec la littérature, qui sera bien sûr constamment présente de façon subreptice, et se pose alors la question de la nature de ce récit. Pour le scripteur il s'agit de produire «un registro» (p. 16), «una relación» (p. 17) ; bref, un mémoire, ce qui renvoie au titre. Mais la passion amoureuse détourne le scripteur et du titre et de ce qui était un vieux projet - il voulait récapituler ses étreintes tarifées, et cette récapitulation se serait intitulée «Memoria de mis putas tristes» (p. 18). Il ne trahit pas complètement ce projet, puisque sa passion de nonagénaire recourt à la médiation d'une vieille et savante maquerelle (à qui le vieil homme réclame une adolescente vierge pour ses quatre- vingt-dix ans), mais en même temps il le dépasse puisque la sordide affaire du début se transforme en passion, le mémoire devenant histoire et roman d'amour. Avant même que le vieux projet ne soit évoqué, il est question de «esta memoria de mi grande amor» (p. 12) et, vers la fin du récit, de «la determinación que me hacía falta no sólo para escribir esta memoria, sino para empezarla sin pudores con el amor de Delgadina» (p. 93). En fait, le récit ne va pas plus loin que cette histoire d'acceptation joyeuse de la vie et de l'amour. De l'inventaire projeté on ne connaît que le début (fort tardivement, p. 104-106) et cette Memoria... est à la fois un mémoire tronqué et une histoire totale ; les fréquentations d'antan sont oubliées au profit de la seule passion crépusculaire.

La réalité de cette passion est incertaine puisqu'elle reste confinée à la subjectivité du protagoniste. L'adolescente objet de son amour est un personnage insaisissable, à la limite de l'imaginaire. On ne connaît sa vie qu'à travers la douteuse parole de la vieille entremetteuse et le protagoniste ne la voit qu'endormie. Si elle semble bien être une adolescente, sa virginité n'est pas vérifiée, puisque le soupirant-client, amoureux contemplatif, ne passe jamais à l'acte. L'érotisme reste d'ailleurs de l'ordre des mots et de la littérature puisque le prénom que le vieil homme attribue à son aimée est emprunté au romance de Delgadina, dramatique histoire d'un inceste non consommé qui, chez Garcia Márquez, cesse d'être un inceste et s'achève dans une sorte de béatitude : la bien- aimée traverse tout le livre, nuit après nuit, profondément endormie et on ne l'entend parler que la seule fois où elle rêve à haute voix. Peut-être même ne s'agit-il pas toujours de la même personne, car on peut se demander si le protagoniste serait assez lucide pour se rendre compte d'une substitution toujours possible. C'est ce qu'insinue une scène de retrouvailles, mais il est vrai (et la proxénète sait jouer de l'argument) que l'adolescence est précisément l'âge où les corps se transforment.

Dans ce qui n'est jamais qu'un petit « clandé » tropical, le nonagénaire n'en vit pas moins sa passion. Le lieu est tout aussi impropice et les amours tout aussi chastes, mutatis mutandis (et, surtout, la sensualité en moins), que dans Del amor y otros demonios. Tout se passe dans l'esprit du nonagénaire qui dérive peu à peu vers l'amour fou («...estaba muñéndome de amor. Pero también me di cuenta de que era válida la verdad contraria: no habría cambiado por nada del mundo las delicias de mi pesadumbre», p. 83), non sans savourer -comme Delaura et

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Sierva María dans Del amor... - «aquel género de vida doméstica» (p. 76). Finalement, il lui suffit d'entendre dire, par sa Celestine tropicale, que la belle endormie «está lela de amor por ti» (p. 109) pour ajouter foi à ce douteux propos et s'installer définitivement dans son amour et dans le monde.

Fidèle à sa thématique fondamentale, García Márquez en donne donc, avec Memoria de mis putas tristes, un développement inattendu, pathétique, et pleinement maîtrisé. Les réticences qu'expriment les premières critiques de la presse espagnole, notamment sur la temporalité, incitent à souligner l'habileté de la construction de ce livre court (cent pages d'une typographie très aérée). Expédions d'abord la question de la chronologie : seule l'ignorance de l'histoire colombienne (maniée par García Márquez avec discrétion et doigté) peut conduire à penser que le protagoniste a moins de quatre-vingt-dix ans. Le livre est divisé en cinq chapitres qui couvrent, quant à l'histoire principale, un an et un jour : d'un 28 août au 29 août de l'année suivante. Le premier chapitre rapporte les deux premiers jours de ce qui n'est pas encore une histoire d'amour, s'enrichissant et s'allongeant d'un bon nombre d'analepses externes. Le deuxième rapporte les deux jours suivants. Le troisième embrasse de septembre au Jour de l'An. Le quatrième rapporte les péripéties d'un mois de janvier quelque peu incertain, et le cinquième, qui embrasse jusqu'au mois d'août suivant, annonce le dépassement d'un siècle d'existence et s'ouvre sur une « vraie » vie, illuminée d'amour. Les analepses, presque inexistantes dans les chapitres 3, 4 et 5, font une discrète réapparition dans le cinquième (une découverte tardive sur la mère depuis longtemps défunte, et le retour sur la première expérience sexuelle, évidemment avec une prostituée). La construction subtile, dans son apparente simplicité, est liée à ce qui fait l'essence même du livre : l'irruption de la passion dans une vie routinière, la transformation d'un mémoire en roman d'amour.

C'est ici que se révèle, comme toujours chez García Márquez mais plus nettement que jamais, semble-t-il, la secrète tension autobiographique qui fait vibrer ses récits. Le protagoniste sans nom, obscur journaliste provincial, est ce que García Márquez aurait été s'il avait passé sa vie à écrire une colonne quotidienne dans El Heraldo de Barranquilla (au lieu de s'en éloigner, comme il l'a fait, à vingt-cinq ans) ; à la longue, l'auteur aurait été ce terne chroniqueur que la fiction transforme en poète inspiré par l'amour. D'autre part, l'âge aidant, le facteur temporel imprègne ce qui, chez l'un (le protagoniste) comme chez l'autre (l'auteur), prend la tonalité du bilan. Sans cet amour à la fois pitoyable et providentiel, le protagoniste resterait parfaitement anachronique : formé dans l'autre fin de siècle, il est - sans que cela soit dit - un pur moderniste et il a donc été rejeté par ses lecteurs lorsque le XXe siècle s'est imposé avec un «ímpetu ciego», lorsque les avions ont volé sur la ville et que le courrier aérien y a fait son apparition (p. 41), autrement dit lorsque s'est imposée la sensibilité des avant- gardes (qui ne sont pas nommées non plus). Sans la grâce de la poésie qui l'a projeté dans un ailleurs imprévisible, García Márquez le rédacteur de El Heraldo serait aujourd'hui tout aussi anachronique que l'était son personnage avant la découverte de la passion.

Les allusions à l'avion et au courrier aérien incitent à compléter la réflexion par un regard sur l'espace où se déroule l'action. Elles renvoient à l'aventure de l'aviation à Barranquilla - que, visiblement, le romancier a vérifiée dans un livre d'histoire locale. Car la ville où le protagoniste passe toute sa vie, «esta ciudad de mi aima» (p. 16), est évidemment Barranquilla, présente dans Memoria de mis

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putas tristes comme jamais elle ne l'avait été dans ses récits antérieurs : reconnaissable dans les détails les plus intimes, débarrassée de la démagogie du mythe officiel et du cliché populiste, masquée sous de légères inexactitudes («el vasto horizonte del río grande de la Magdalena a veinte leguas de su estuario», p. 1 1) et jamais désignée sous son nom. C'est la ville des années 1950 - le temps du jeune rédacteur de El Heraldo -, retouchée d'infimes anachronismes, qui disent des attachements affectifs (l'allusion au peintre «Figurita», mort en 1961), mais qui se combinent à tout le reste pour privilégier l'aventure intellectuelle et artistique (les allusions à l'ami Cepeda Samudio et au musicien Pedro Biava) : alors que le protagoniste n'a rien ressenti de son époque (ni mutations, ni guerres, ni débats idéologiques), il est dérangé dans sa quotidienneté de célibataire égoïste par le signe de la «Violencia» que représentent les militaires présents dans cette ville pacifique. Le personnage de fiction en finit avec sa longue et creuse vie dans le milieu où le jeune García Márquez a commencé à déployer ses ailes. L'un et l'autre écrivent, l'un et l'autre conjurent la peur de la mort en exaltant par l'écriture la vie et l'amour. C'est aussi un bel hommage que García Márquez rend, avec Memoria de mis putas tristes^ à la ville qui joua un rôle capital dans sa formation.

Jacques GILARD Université de Toulouse-Le Mirail

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