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LA GESTION SOCIALE DU RISQUE. L'EXEMPLE DU SIDA ET DES FAITS DE MALADIE EN GENERAL A ABIDJAN Laurent VIDAL l et Auguste-Didier BLIBüLü 2 I. Introduction Dans le. contexte épidémiologique ivoirien d'une prévalence du élevée depuis de nombreuses années, une approche socioanthropologique du sida ne peut faire l'économie d'une réflexion sur le rapport au risque. Au sein d'une société dont au moins 10% des adultes sont contaminés par le VIH 3 se crée inévitablement une forme de proximité avec la maladie. Cette proximité revêt différentes formes et débouche sur des attitudes variées. Un parent, un voisin ou un ami peut être atteint, ou chacun peut avoir côtoyé des malades, à l'hôpital (en particulier au Service des Maladies infectieuses). En conséquence un sentiment de menace, de peur de la maladie est à même d'être renforcé: dans le même temps peut aussi se développer l'image d'une banalisation du sida, affection devenue courante qui n'épargne personne. Situations et impressions multiples qui nous amènent à nous interroger sur la nature du rapport noué par chacun avec le risque représenté par le VIH, suivant sa proximité avec la maladie. Les premières approches sur lesquelles il convient de se pencher sont celles proposées par les personnes atteintes, dont nous avons pu montrer la richesse de leur expérience individuelle, tant en matière de prise en charge que de prévention (Vidal, 1996). Chez les personnes infectées, la compréhension des mécanismes à l'origine de l'exposition au risque (d'infecter le partenaire ou de se ré-infester) est inséparable de pratiques sociales précises comme - par exemple - la recherche de soins, le rapport singulier aux thérapeutes, les relations dans le couple. Ainsi, le parcours du malade à la recherche de soins mobilise des conseils et des aides de proches qui, à leur tour, tiennent un discours sur le risque de contaminer autrui ou d'être contaminé: partant de là, l'itinéraire thérapeutique du séropositif ne peut être compris indépendamment de l'image que ce dernier a de son exposition personnelle au risque et du risque auquel il expose 1 Anthropologue. I"IRD (anciennement ORSTOM ; Abidjan, Centre de Pctit-Bassarn). 2 Sociologue, allocataire à l'IRD (anciennement ORSTOM ; Abidjan, Centre de Petit-Bassam). 3 En 1997, ont été relevées à Abidjan des prévalences du VIH de 15,3% chez les femmes enceintes (Msellati et al.. 1998), 441ft, chez les tuberculeux en traitement et 63% chez des prostituées (Greenberg et al, 1997). 12

La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

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Page 1: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

LA GESTION SOCIALE DU RISQUE.

L'EXEMPLE DU SIDA ET DES FAITS DE MALADIE EN GENERAL A

ABIDJAN

Laurent VIDAL l et Auguste-Didier BLIBĂĽLĂĽ2

I. Introduction

Dans le. contexte épidémiologique ivoirien d'une prévalence du ~IH élevée depuis

de nombreuses années, une approche socioanthropologique du sida ne peut faire

l'économie d'une réflexion sur le rapport au risque. Au sein d'une société dont au moins

10% des adultes sont contaminés par le VIH 3 se crée inévitablement une forme de

proximité avec la maladie. Cette proximité revêt différentes formes et débouche sur des

attitudes variées. Un parent, un voisin ou un ami peut être atteint, ou chacun peut avoir

côtoyé des malades, à l'hôpital (en particulier au Service des Maladies infectieuses). En

conséquence un sentiment de menace, de peur de la maladie est à même d'être

renforcé: dans le même temps peut aussi se développer l'image d'une banalisation du

sida, affection devenue courante qui n'Ă©pargne personne. Situations et impressions

multiples qui nous amènent à nous interroger sur la nature du rapport noué par chacun

avec le risque représenté par le VIH, suivant sa proximité avec la maladie.

Les premières approches sur lesquelles il convient de se pencher sont celles

proposées par les personnes atteintes, dont nous avons pu montrer la richesse de leur

expérience individuelle, tant en matière de prise en charge que de prévention (Vidal,

1996). Chez les personnes infectées, la compréhension des mécanismes à l'origine de

l'exposition au risque (d'infecter le partenaire ou de se ré-infester) est inséparable de

pratiques sociales précises comme - par exemple - la recherche de soins, le rapport

singulier aux thérapeutes, les relations dans le couple. Ainsi, le parcours du malade à la

recherche de soins mobilise des conseils et des aides de proches qui, Ă  leur tour, tiennent

un discours sur le risque de contaminer autrui ou d'être contaminé: partant de là,

l'itinéraire thérapeutique du séropositif ne peut être compris indépendamment de l'image

que ce dernier a de son exposition personnelle au risque et du risque auquel il expose

1 Anthropologue. I"IRD (anciennement ORSTOM ; Abidjan, Centre de Pctit-Bassarn).2 Sociologue, allocataire à l'IRD (anciennement ORSTOM ; Abidjan, Centre de Petit-Bassam).3 En 1997, ont été relevées à Abidjan des prévalences du VIH de 15,3% chez les femmes enceintes(Msellati et al.. 1998), 441ft, chez les tuberculeux en traitement et 63% chez des prostituées (Greenberg etal, 1997).

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autrui. D'autre part, suivant le type de relation engagée avec le médecin ou le guérisseur,

le malade entend un discours variable sur le risque et l'assimile plus ou moins aisément. TI

en est de mĂŞme au sein du couple oĂą la nature de la communication Ă©tablie tantĂ´t facilite

tantĂ´t complique la prise de conscience du risque et des mesures de protection Ă  adopter

en conséquence.

Ceci étant, il nous paraît essentiel d'insister ici sur le fait que ces relations aux

thérapeutes en général et aux médecins en particulier, ainsi qu'au partenaire et à

l'entourage familial, sont fortement déterminées par l'accès à l'information sur le sida

mais aussi par les capacités financières de chacun et par les rapports entretenus avec la

maladie en général (et pas uniquement le sida). L'ensemble de ces relations doivent donc

être analysées en fonction de contraintes et d'enjeux sanitaires et sociaux plus larges.

Nous émettons donc l'hypothèse - centrale dans la problématique de ce projet de

recherche - selon laquelle une anthropologie du risque représenté par le sida doit en

premier lieu se pencher sur la façon dont le risque constitué par toute autre pathologie

grave comme la tuberculose est représenté et vécu. En effet, partir de l'analyse comparée

de la gestion du risque en fonction de la pathologie, pennet de mieux comprendre les

ressorts spécifiques au risque représenté par le VIH. En second lieu, l'analyse des

influences entre connaissance d'un risque d'exposition Ă  la maladie et adaptation du

comportement ne peut ignorer le rôle des autres risques sociaux, moins directement liés à

la maladie, que côtoie chaque individu. Le postulat est ici que chacun hiérarchise les

risques sanitaires auxquels il fait face (le sida, la tuberculose, mais aussi le paludisme... )

en liaison étroite avec une hiérarchisation de risques sociaux actuels comme l'absence ou

la perte d'emploi, l'Ă©chec scolaire pour les plus jeunes, les ruptures et recompositions

familiales: hiérarchisations et conjugaisons qui sont autant de négociations des risques.

Dans ce cadre problématique, nous nous sommes fixés les objectifs suivants:

- Analyser les déterminants de l'exposition au risque de contamination par le VIH en

identifiant les stratégies de négociation du préservatif avec le conjoint et de gestion des

conseils de prévention émanant des parents ou des thérapeutes.

- Décrire et saisir les attitudes et représentations des acteurs de la santé et des malades au

regard de l'exposition au risque sanitaire: pour le sida en particulier et, de lĂ , pour toute

autre affection grave (exemple de la tuberculose).

- Proposer des stratégies de prévention du sida qui replacent l'exposition à cette affection

dans l'ensemble des risques sociaux et économiques auxquels l'individu est confronté et

qui sont donc susceptibles d'influer sur son approche du risque-sida.

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II. Recueil des données et système d'analyse.

Pour mener à bien cette tâche et compte-tenu du caractère déterminant pour

l'analyse des processus de négociations des risques de la question de la proximité avec la

maladie, nous avons choisi de travailler, à Abidjan, auprès de quatre groupes:

- des personnes infectées par le VIH (24: 188 entretiens réalisés), rencontrées au sein de

deux associations de personnes séropositives (Lumière Action et le Club des Amis) et

dans un Centre anti-tuberculeux. Nous appréhendons ici le rapport au risque de

personnes confrontées à la maladie en introduisant un élément de comparaison constitué

par le fait d'être atteint par la ,tuberculose. L. Vidal a travaillé auprès des membres

d'associations et A.p. Blibolo auprès des patients du Centre anti-tuberculeux (CAT) ;

- des anciens tuberculeux, séronégatifs au moment de la prise en charge de leur

tuberculose (9 : 52 entetiens réalisés) : rencontrés à partir d'un Centre anti-tuberculeux,

ces personnes ont une expérience particulière de l'infection à VIH dans la mesure où,

d'une part, elles ont souffert d'une pathologie fréquemment et de plus en plus associée au

sida et, d'autre part, elles ont reçu un conseil sur le VIH lors de leur test;

- des personnes habitant un quartier populaire d'Abidjan, dont le statut sérologique nous

était inconnu (27 : 139 entreteins réalisés) ;

Les entretiens au CAT de Treichville et dans la Commune de Koumassi ont été réalisés

par L. Vidal.

- des personnels de santé de deux structures sanitaires (19 : 107 entretiens réalisés) : l'une

pratiquant un dépistage systématique du VIH chez ses malades (un CAT) et l'autre

accueillant un projet de prise en charge de l'infection Ă  VIH (Une Formation sanitaire

urbaine: FSU): les soignants rencontrés ne faisaient pas partie de l'équipe travaillant

dans le cadre de ce projet. A.D. Blibolo a effectué les entretiens auprès des personnels du

CAT et L. Vidal ceux auprès des personnels de la Formation sanitaire.

Les entretiens ont eu lieu aussi bien sur le lieu de travail (pour les personnels de

santé), dans le centre de santé, au siège de l'association (pour les personnes

séropositives) ou au domicile (pour les personnes séropositives, les anciens tuberculeux

et les habitants du quartier).

Ils se sont étalés au maximum sur deux années (novembre 1996 - novembre 1998)

et suivant des fréquences variables. En effet, autant il a été aisé de suivre un groupe fixe

de personnes habitant le quartier de Koumassi, autant le travail auprès des personnels de

santé et de certaines personnes infectées par le VIH s'est avéré irrégulier. En effet, dans

les deux structures de santé, des départs de personnels, affectés dans d'autres structures

de la ville ou à l'intérieur du pays, ont interrompu des séries d'entretiens. Par ailleurs, il

n'a pas toujours été aisé d'avoir des entretiens dans des endroits isolés, au sein même de

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la structure, ce qui n'a pas toujours permis d'avoir des discussions suivies et

approfondies. Difficulté que l'on a tenté de contourner grâce à la répétition des rencontres.

En ce qui concerne les personnes infectées par le VIH, le contact avec les membres

d'associations a été plus aisé - au point où des demandes ont été exprimées pour

participer à notre suivi - que celui engagé avec les patients du Centre anti-tuberculeux.

Les premiers ont en général l'habitude d'avoir des discussions sur leur vie, leur

expérience personnelle et, même si les thèmes abordés ici ne le sont pas dans la

perspective journalistique à laquelle ils sont en général habitués, il n'en demeure pas

moins qu'ils font preuve d'une disponibilité que l'on ne rencontre pas toujours chez les

tuberculeux séropositifs des CAT. Ceci s'explique aussi par le fait que les patients des

CAT sont contactés alors qu'ils sont malades (en traitement pour une tuberculose) donc

moins facilement mobilisables pour des discussions répétées sur leur situation. Enfin -

si l'on excepte les aléas de ce type de démarche au long cours (déménagements, retour

au village ou au pays d'origine) -les anciens tuberculeux, non infectés, ont pu être

rencontrés sans difficulté, soit à leur domicile, soit sur leur lieu de travail.

Pour l'analyse qui suit n'ont été pris en compte, dans un premier temps, que les

suivis les plus poussés (le nombre moyen d'entretiens, très différent entre les membres

d'associations et les personnels de santé, s'explique par les raisons développées ci­

dessus) :

- pour les "habitants de Koumassi", ceux réalisés auprès de 14 personnes, rencontrées au

total 123 fois (près de 9 entretiens en moyenne) ;

- pour les "personnels de santé", ceux réalisés auprès de 19 personnes, rencontrées au

total 107 fois (près de 6 entretiens en moyenne) ;

- pour les anciens tuberculeux, ceux réalisés auprès de 7 personnes, rencontrées au total

49 fois (7 entretiens en moyenne) ;

- pour les membres des associations de personnes atteintes et les tuberculeux infectés par

le VIH, ceux réalisés auprès de 24 personnes, rencontrées au total 183 fois (près de 8

entretiens en moyenne).

Par suivis poussés nous entendons des séries d'entretiens qui apportent une

sonune d'informations que l'on jugera suffisante eu Ă©gard aux questions initiales que

nous posons (suivant le principe de saturation des données) : sont donc exclus des

entretiens exploités pour le corps de l'analyse ceux qui du ont être interrompus

prématurément ou qui se sont révélés rapidement répétitifs, sans que les questions initiales

n'aient obtenu de réponses.

Les entretiens pris en compte ont été analysés suivant cinq axes qui correspondent

Ă  autant d'Ă©tapes de la discussion.

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Présentant à nos interlocuteurs notre travail comme une réflexion sur le sida, les

attitudes et représentations qu'il génère, nous avons d'emblée abordé le théme des

connaissances de chacun sur cette maladie : ses modes de transmission et moyens de

prévention ainsi que les objectifs du test de dépistage et ses modalités de réalisation. Les

connaissances en matière de traitement et de prise en charge sont recueillies dans cette

partie (A). Le second thème traité est relatif à l'ensemble des perceptions de la maladie et

du malade que chacun développe. Il s'agit ici de relever les représentations du risque-sida

que ce soit dans sa vie personnelle ou professionnelle (dans le cas des soignants). Les

attitudes face au malade sont rassemblées ici ainsi que - chez les personnes atteintes ou

les anciens tuberculeux - les réactions à l'annonce de la séropositivité, de la

séronégativité ou de la maladie (la tuberculose). Ce faisant nous nous sommes penchés

sur les parcours thérapeutiques de ces divers patients (B). Dans un troisème temps, sont

compilées et étudiées l'ensemble des comportements déclarés en matière de prévention de

la transmission du VIH et de réalisation du test de dépistage (C). De là, nous passons aux

appréciations de chacune des campagnes de prévention, d'une part, et de la nature des

changements de comportements observés ou supposés, que ce soit chez les proches

(enfants, frères ou sœurs, parents, amis) ou en "population générale", d'autre part (0).

Enfin, cinquième théme abordé, au fil de nos entretiens (mais jamais dans les premiers),

celui relatif aux conditions de vie nous permet d'Ă©voquer les relations familiales de

l'individu et ses rapports au travail (E).

III. Analyse.

A. Connaissances sur l'infection Ă  VIH.

Transmissions.

Voie sexuelle.

Constater, suite aux entretiens effectués dans le quartier de Koumassi et auprès

des anciens tuberculeux, qu'en 1999 la transmission par voie sexuelle est la plus

spontanément citée, ne constitue pas une information aussi neutre ou banale que l'on

serait tenté de le croire. Il suffit pour s'en convaincre de se pencher sur les précisions,

nuances et analyses proposées par ceux qui mentionnent le risque de contamination lors

de rapports sexuels. Tout d'abord, le lien établi entre le sida et les MST mérite quelque

attention. Ce lien, fort les premières années de diffusion de l'information sur le sida, s'est

par la suite atténué quand le risque de contamination par voie sanguine a été évoqué et

lorsque la gravité de la maladie consécutive à l'infection par le VIH a été attestée. Le sida

est alors apparu comme Ă©tant plus qu'une MST (puisque le VIH passe aussi par le sang)

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et comme une MST de toute façon exceptionnelle car mortelle. Ceci, alors que les MST

sont déjà perçues comme porteuses de dangers, notamment celui de devenir stérile. Une

telle appréciation traduit un affinement des connaissances sur l'infection à VIH. Elle peut

aussi déboucher sur une confusion entre le nombre de contaminations par type de voie au

sein de la population générale (la majorité des personnes sont infectées par voie sexuelle)

et le risque de contamination lors de chaque exposition (par contact potentiellement

contaminant, le risque de contracter le VIH est nettement moindre lors d'un rapport sexuel

que durant un contact avec du sang contaminé). li sera alors affinné que le risque le plus

élevé survient lors de rapports sexuels non protégés car c'est le mode de transmission le

plus fréquent. Au regard des connaissances scientifiques sur la transmission du VIH nous

ne nous situons pas ici entièrement dans le registre de l'erreur proprement dite. En effet,

parallèlement à cette perception d'un risque plus élevé lors d'un rapport sexuel versus un

contact avec du sang contaminé, se profilent des représentations des modalités concrêtes

de passage du VIH qui mettent en jeu - dans la voie sexuelle - du sang. Rares sont

nos interlocuteurs qui mentionnent la présence de virus dans le spenne ou les sécrétions

vaginales: si le rapport sexuel contamine c'est parce qu'il y a contact avec du sang, Ă 

travers des plaies génitales, par exemple. Le risque associé au contact avec du sang infecté

n'est pas ignoré, y compris lorsque l'on pense à la voie sexuelle: nous avons là un

élément d'explication complémentaire de la mise en avant de la voie sexuelle lors des

tentatives de quantifier le risque de transmission. Les rares personnes qui n'associent pas

la transmission sexuelle du virus Ă  un quelconque Ă©change de sang, tendent par ailleurs Ă 

ne localiser le VIH que dans le spenne (et pas dans les sécrétions vaginales) ce qui a

naturellement pour conséquence d'amener à penser que les femmes sont plus exposées

que les hommes et que la contamination s'effectue des hommes aux femmes.

Compte-tenu de leur proximité avec l'infection à VIH, les soignants et les

personnes séropositives sont ceux qui ont les connaissances les plus exactes sur

l'infection Ă  VIH. NĂ©anmoins, surtout chez les personnes atteintes. avant qu'elles

apprennent leur statut sérologique et reçoivent une infonnation sur le sida, dominait

l'image d'une affection touchant les prostituées, les homosexuels ou les personnes ayant

de multiples partenaires sexuels. Images de "groupes à risque" qui sont aussi présentes

dans les remarques des personnels de santé qui ont toujours du composer avec un

sentiment d'exposition dans le travail quotidien: pour eux, dans les années 1980,

l'infection à VIH n'était alors pas seulement cette maladie éloignée, socialement (à travers

ces différents "groupes") ou géographiquement ("maladie qui vient du Zaïre").

Aujourd'hui, ces images vont de pair avec une connaissance générale exacte des voies de

transmission du VIH. Connaissance générale qui n'exclut pas certaines ambiguïtés, voire

insuffisances. ArrĂŞtons-nous ici sur le rapport aux connaissances sur le VIH des

personnels de santé du Centre anti-tuberculeux. Revient régulièrement dans leurs propos

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l'idée selon laquelle l'essentiel de leurs connaissances initiales, les premiers temps de

l'épidémie (existence de l'infection à VIH et modes de transmission) ont été obtenues

auprès de divers médias (presse, radio, télévision) et résultent d'une fonne d'auto­

fonnation. Les cours sur l'infection à VIH n'ont fait que progressivement leur entrée dans

les différentes filières de formation suivies par les personnels de santé et ceux qui ont été

fonnés avant 1995 n'ont pu en bénéficier. En somme, si la fonnation sur le VIH et la

tuberculose de ces soignants tend actuellement à s'homogénéiser elle se greffe sur des

niveaux et des types d'informations reçues fort variables. Un second point doit retenir

notre attention, lié à la spécificité du travail de ces personnels de santé qui prennent en

charge aussi et avant tout des tuberculeux. On constate .que les risques de confusion entre

le sida et la tuberculose - permanents .tant chez les malades que dans la population

générale, comme nous le verrons par la suite -, suite aux associations entre les deux

maladies, trouvent quelques fondements dans les propos des soignants. S'agissant des

conseils qu'ils donnent aux tuberculeux infectés par le VIH, ils énumèrent ainsi des

situations porteuses de risque pour la transmission du VIH et pour celle de la tuberculose

sans clairement préciser celles relevant de l'une ou de l'autre pathologie. Sont ainsi

mentionnés l'importance de soigner les maladies opportunistes, d'utiliser des préservatifs,

de ne pas avoir d'enfants, d'utiliser ses propres lames de rasoir et brosses Ă  dent, de

s'alimenter de façon saine et d'avoir une bonne hygiène corporelle.

Voies sanguine et de la mère à l'enfant.

Tout d'abord, un constat récurrent, en particulier dans les propos des habitants de

Koumassi et des anciens tuberculeux, en accord avec les représentations de la

transmission par voie sexuelle: la transmission de la mère à l'enfant n'est pas considérée

comme un mode de transmission autonome mais est rattachée à la transmission par voie

sanguine. Concrètement cela s'exprime par la grande difficulté à mentionner la

transmission de la mère à l'enfant du VIH en réponse à des questions sur les diverses

modalités de transmission du VIH. Ce n'est que lorsque que nous sommes amenés à

présenter la situation d'une femme. infectée par le VIH et enceinte, que s'établit un

consensus pour admettre qu'inévitablement l'enfant à venir sera séropositif, puis

développera le sida. Systématique, la transmission de la mère à l'enfant résulte du contact

pennanent entre le sang de l'une et celui de l'autre, que ce soit durant la grossesse,

l'accouchement ou l'allaitement. Contact vital ("la mère nourrit son enfant" par son sang)

qui rend difficilement pensable une absence de contamination de l'enfant puisque c'est "le

même sang". Le lien physique entre la mère et l'enfant comme facteur explicatif d'une

transmission du VIH renvoie à une logique de la disproportion : la proximité physique

entre la mère et l'enfant est telle, et les situations de contact entre leurs sangs si

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fréquentes, qu'il n'est guère concevable qu'une fennue infectée puisse ne pas transmettre

son affection Ă  son enfant. DĂ©crite connue une Ă©manation d'un mode de transmission (par

le sang) tout en étant systématique, la contamination de l'enfant par sa mère a ceci de

particulier qu'elle renvoie stricto sensu à un processus de transmission jugé systématique

et Ă©chappe au registre classificatoire des modes de diffusion du virus du sida (qui, dans ce

type de représentation, ne comprend plus que les voies sexuelle et sanguine).

Dans le registre de la transmission de la mère à l'enfant, la transmission par le lait

maternel est jugée systématique soit par analogie avec le passage d'autres affections ou

d'effets médicamenteux de la mère allaitante à son enfant, soit - de façon plus

restrictive - quand il y a présence de sang sur le sein. Un glissement s'opère alors entre

le sang et le lait. Le sein peut être blessé et la tétée constituer donc un risque pour l'enfant,

mais - remarque-t-on aussi - le lait contient du sang voire mĂŞme le sang "forme le

lait". Ce registre de représentations de la constitution et de la circulation des fluides

n'apparaît pas incompatible avec une connaissance des modes de transmission plus

scientifiquement attestée (un sein "blessé" peut représenter un foyer d'infection pour le

bébé). Avec néanmoins le risque de déboucher sur des représentations erronées de la

transmission par le lait: elle sera en effet jugée impossible dès lors que ni lait, ne le sein

ne sont ensanglantés.

Ajouté à ceux effectués lors de la présentation des données sur les transmission

par voies sexuelles et sanguines, ce constat confirme une double difficulté: la sur­

évaluation générale des risques de transmission pour chacune des voies de diffusion du

VIH et, plus généralement, leur très faible hiérarchisation. Il apparaît d'autant plus délicat

d'agir sur ce type d"'insuffisances" qu'elles sont en réalité plus un effet de connaissance

que le résultat d'une véritable ignorance. Prenons deux exemples. Penser comme

systématique le risque de contamination de l'enfant par sa mère infectée est le résultat

d'une analyse qui a intégré le fait que le VIH est présent dans le sang : celui-ci irriguant le

corps de la mère et les échanges avec le fœtus, il est inévitable que l'enfant soit par la suite

infecté; dans le même ordre d'idées, la prééminence des contaminations lors de rapports

sexuels est connue mais avec pour conséquence l'image d'une probabilité de transmission

du VIH par acte sexuel très élevée.

Prévention et test.

Situer au premier rang des risques celui de contracter le VIH lors d'un rapport

sexuel non protégé n'est pas sans conséquence sur les représentations des moyens de

prévention. Chez les personnes qui tirent l'essentiel de leur information sur le sida des

campagnes publiques de prévention - et bien moins de conseils médicaux

personnalisés, comme les personnes séropositives ou les anciens tuberculeux -le

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moyen de prévention le plus spontanément cité pour éviter le VIH reste l'utilisation du

préservatif. En termes de connaissances, une remarque analogue à celle effectuée pour la

transmission de la mère à l'enfant s'impose: les autres méthodes de prévention, comme

la fidélité ou l'abstinence sont peu citées d'emblée, non pas parce qu'elles sont inconnues

mais car relevant d'un autre registre que celui du préservatif. Deux caractéristiques

distinguent le préservatif, d'une part, de la fidélité et l'abstinence, de l'autre. Tout

d'abord, s'il arrive que l'utilisation du préservatif soit mentionnée à d'autres fins que la

prévention de la contamination par le VIH (notamment pour éviter des grossesses: nous y

revenons § C) elle demeure la plupart du temps fortement associée à la prévention de la

transmission du VIH. Ceci alors que l'abstinence et la fidélité - effectivement

mentionnées lorsque la discussion s'approfondit sur d'autres moyens de ne pas s'exposer

au VIH - peuvent se justifier pour d'autres raisons que le seul Ă©vitement de l'infection Ă 

VIH. En second lieu, il apparaît très nettement que la fidélité et l'abstinence s'apparentent

plus à un comportement social alors que l'utilisation du préservatif relèverait plus de ce

que l'on pourrait appeler un comportement technique.

En associant à des registres différents préservatif et abstinence-fidélité, nos

interlocuteurs attirent l'attention sur un type de contrainte susceptible de peser sur les

messages de prévention et altérer leur acceptation dans la population générale. Le

rééquilibrage des campagnes de prévention tendant à mettre sur le même plan et à

encourager aussi bien l'utilisation du préservatif, que l'abstinence et la fidélité ne réussit

pas à renverser une tendance forte des représentations populaires qui associent évitement

du sida à protection des relations sexuelles et, inversement, préservatif à prévention du

VIH. Le problème que nous soulevons ici n'est pas tant de savoir s'il faut encourager l'un

ou l'autre moyen de prévention mais plus exactement de souligner le fait que, quoi qu'il

en soit, ces moyens ne sont pas de nature comparable et qu'Ă  ce titre toute insistance Ă 

présenter de façon monolithique "la prévention du sida" risque de se heurter à des

hésitations voire à des incompréhensions chez leurs destinataires.

En matière d'utilisation du préservatif, deux questions soulevées par nos

interlocuteurs méritent une attention particulière. En premier lieu, figure l'inquiétude

récurrente relative à leur fiabilité: préoccupation ancienne, qui revient dans bon nombre

d'enquêtes sur les comportements sexuels et la perception des moyens de prévention,

mais qui est loin d'être obsolète. Les rumeurs qui ont toujours existé sur des préservatifs

défaillants doivent être d'autant plus prises en considération qu'elles s'inscrivent dans une

amélioration générale des connaissances sur l'infection à VIH. Aussi les réflexions de

ceux qui rapportent ces problèmes avec les préservatifs consistent moins à rejeter ce

moyen de prévention, qu'à l'admettre "faute de mieux" : les difficultés par rapport à

l'utilisation du préservatif ne sont pas imputables à un véritable refus de reconnaître ne

serait-ce que l'existence du sida et de sa menace. En liaison avec ces interrogations sur le

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l '

préservatif, nous avons relevé l'opinion selon laquelle la fidélité est "plus efficace" contre

le sida que la protection des relations sexuelles. Ces deux positions sont une nouvelle

illustration de ce que nous avons appelé l'effet de connaissance: certes, il serait possible

de corriger l'image du préservatif "peu sûr", mais il importe aussi de comprendre que

ceux qui la reprennent savent qu'il existe des alternatives Ă  son utilisation pour Ă©viter le

VIH. De leur gestion de ces alternatives dépend la forme du rapport au risque de chacun,

comme nous le verrons dans la partie consacrée aux comportements individuels face au

sida (C).

A l'instar de ces éléments d'analyse sur la compréhension des mesures de

prévention, les connaissances générales sur le test de dépistage du VIH se départissent

difficilement de jugements qui renvoient aussi aux comportements individuels. Il en est

ainsi de l'idée selon laquelle le test doit être répété : certains, aussi bien parmi les

personnes infectées par le VIH, les personnels de santé (en particulier du CAT) que parmi

celles de statut sérologique inconnu, insistent sur l'importance de répéter le test, à

intervalle régulier, soit pour confirmer une séropositivité soit, plus généralement, pour

s'assurer que l'on est resté séronégatif. Deux approches du test se dessinent alors. La

première renvoie à la réalisation technique du test: il doit être répété car un seul

prélèvement ne permet pas de décider du statut sérologique. La notion de "fenêtre de

séroconversion" n'est donc pas absente même si elle n'est pas définie avec justesse.

Ainsi, le délai nécessaire et suffisant entre les deux tests n'est pas connu avec précision,

que soit mentionné un intervalle d'une année ou, uniquement, une "répétition" de cet

examen. L'affirmation de l'importance de répéter le test traduit en second lieu une

incertitude sur la façon d'appréhender l'arrêt de l'utilisation du préservatif. Dans le

contexte d'une relation que l'on juge durable, le choix conjoint de ne plus se protéger est

associé à celui de se tester, y compris plusieurs fois. Cas emblématique d'une démarche

de prévention cohérente avec les messages diffusés mais qui - faute d'informations

suffisamment précises - donne naissance à des interprétations qui peuvent contredire

l'objectif initial: répéter le test pour pouvoir abandonner le préservatif, de même que le

répéter lorsque l'on est infecté par le VIH, c'est aussi, dans une certaine mesure,

s'interroger sur sa fiabilité. De ce point de vue, en réponse aux interrogations plus

particulières des personnes qtli ne connaissent pas leur statut sérologique, toute

explication sur l'existence d'une fenêtre de séroconversion doit insister sur le caractère

fiable du test, que pourrait mettre en doute l'idée même de sa répétition.

La répétition exprime aussi le souci de multiplier les précautions : une

préoccupation du même ordre nous paraît guider les propos sur la généralisation du test.

Chez les partisans de ce type de stratégie, il s'agit de proposer un dépistage systématique,

à l'occasion de consultations médicales et notamment prénatales. De la proposition à

l"'exigence", la frontière est parfois mince comme en témoigne la remarque selon laquelle

21

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tout malade, parce qu'il est en position de demande de soins ne peut ni ne doit refuser un

examen demandé par le médecin. Réflexion qui banalise le test du sida tout en n'imaginant

guère d'autres relations entre malades et soignants que celles qui existent actuellement.

Par généralisation du test nous comprenons aussi les réflexions suivant lesquelles "tout le

monde doit faire le test". Cette perception de l'importance du test a aussi son revers: si

l'on peut considérer comme une avancée dans la prise de conscience de la gravité de

l'infection à VIH le souhait que chacun effectue le test de dépistage, l'absence de nuance

suivant les comportements - à risque ou non - n'est pas sans poser de problème. TI

convient en effet de s'assurer que cette volonté de généraliser, multiplier, répéter le test ne

va pas de pair avec un relâchement dans la prévention de la transmission par voie

sexuelle: le test est un élément de la prévention mais n'est pas la prévention, comme le

laissent entendre certains "investissements" dont il est l'objet.

Recommandations.

En guise de conclusion Ă  cette partie sur les connaissances relatives Ă  l'infection Ă 

VIH, nous pourons formuler les recommandations suivantes:

- Introduire dans les messages de prévention des éléments de hiérarchisation et de

quantification des risques de transmission du VIH afin d'Ă©viter que des infonnations

erronées ne circulent sur ces points ou que prennent corps des attitudes de défiance vis-à­

vis du discours médical pouvant être accusé d'avoir occulté la réalité de ces données.

- Insister sur la fiabilité du préservatif et du test, ainsi que sur le déroulement du test

(contraintes posée par la fenêtre de séroconversion) et ses objectifs (connaître le statut

sérologique d'une personne, à un moment et dans une circonstance donnée et non le statut

sérologique d'une population dans son ensemble).

B. Perception de la maladie et du rapport individuel Ă  la maladie et au

malade.

Perceptions du risque.

Alors que les connaissances sur l'infection à VIH et sa prévention se développent,

la crainte de cette affection s'accroît: les deux vont nettement de pair. Il ne s'agit que d'un

paradoxe apparent. Ainsi le fait de savoir qu'aucun traitement curatif du sida, ni aucun

vaccin, ne sont disponibles n'est pas toujours compensé par le sentiment de pouvoir,

finalement - puisque les modes de transmission et les limites thérapeutiques de cette

22

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, 1

, 1

r •

affection sont connues - éviter cette maladie. Ainsi, parmi les mesures de prévention

connues et prônées, il en est une - la fidélité - qui n'en reste pas moins perçue comme

de plus en plus aléatoire, car devant être partagée par les deux partenaires. Une première

analyse de cette réflexion consisterait à souligner la difficulté, largement attestée, du

passage des connaissances (la fidélité protège) aux pratiques (la fidélité est illusoire). Une

seconde lecture possible de ce constat reviendrait Ă  dire que le sentiment de menace,

auparavant ignoré, dénié ou admis mais sur la base de connaissances erronées, est de plus

en plus corrélé à une connaissance précise des exigences de la prévention et des

caractéristiques de l'infection à VIH. Prenons un autre exemple. L'idée selon laquelle

"tout le monde est exposé [au VIH]" peut s'accorder avec la reconnaissance de risques

variables, suivant les comportements de chacun. Ici, l'amélioration des connaissances (les

risques d'exposition sont variables) peut fort bien générer ou conforter un sentiment de

menace.

Ce phénomène est particulièrement sensible autour des rapprochements effectués

entre la tuberculose et le sida. Les anciens tuberculeux ne sont pas les seuls Ă  s'interroger

sur la nature et les conséquences de ce lien épidémiologique. Des habitants de Koumassi

s'inquiètent ainsi du caractère mortel de la tuberculose et craignent cette affection depuis

que sa corrélation avec le sida a été soulignée. Certes, la tuberculose a toujours été une

maladie mortelle, dès lors qu'elle n'était pas ou était mal traitée: les avancées de la prise

en charge de la tuberculose en CĂ´te d'Ivoire, et notamment Ă  Abidjan, ont

progressivement ancré l'idée d'une maladie curable. Aussi, que l'on puisse en mourir,

d'une part, et que la tuberculose soit une manifestation clinique fréquente du sida, d'autre

part, sont deux données associées et qui contribuent à renforcer, conjointement, les peurs

associées à la tuberculose et au sida. Craintes qui reviennent constamment dans les propos

des anciens tuberculeux, dépistés séronégatifs lors de leur prise en charge au Centre anti­

tuberculeux. Précisons d'emblée que la proposition de test de dépistage du VIH qui leur

est faite au CAT est notamment justifiée par le lien qu'il y a entre la tuberculose (qui vient

d'être diagnostiquée chez eux) et l'infection à VIH. Parmi les tuberculeux qui se sont

avérés être infectés par le VIH, la corrélation entre les deux affections est totale : non

seulement ils constatent que la contamination par le VIH favorise la tuberculose mais

aussi, Ă  l'inverse, ils posent la tuberculose Ă  l'origine du sida. Les propos d'un patient du

CAT, séropositif, sont à cet égard explicites: "je n'avais pas cette maladie [le sida] avant.

C'est lorsque j'ai eu la tuberculose que j'ai attrapé la maladie [le sida] parce que vous

savez très bien que la tuberculose donne toujours le sida". Propos qui, par ailleurs,

illustre à nouveau la nécessité d'introduire des éléments de quantification du risque dans

les messages de santé publique: ici, sur le lien entre tuberculose et VIH, de façon à ne pas

laisser penser que tous les tuberculeux sont séropositifs et inversement, mais bien une

proportion importante d'entre eux.

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Maladie passée, la tuberculose représente une menace toujours actuelle dès lors

qu'une toux apparaît. Il est important de s'arrêter ici sur certaines manifestations cliniques

de la tuberculose. En particulier, l'amaigrissement du malade, avant sa mise sous

traitement, et les premières semaines de celui-ci, appellent fréquemment un diagnostic

"populaire" de sida. Avant de se rendre au CAT, le malade se trouve donc,

personnellement, dans l'incertitude sur la nature de sa maladie alors mĂŞme que circulent

déjà des rumeurs sur un possible sida. Rumeurs renforcées par une autre manifestation

clinique: la toux persistante. Il s'agit là d'un élément relativement nouveau dans

l'association tuberculose/sida, en termes de représentations populaires. Autant, par le

passé, ce sont .les signes cliniques du sida, comme l'amaigrissement, qui, à partir du

moment où ils sont observés chez un tuberculeux, faisaient penser au sida, autant

aujourd'hui ce sont des manifestations de tout temps associées à la tuberculose (la toux)

qui appellent un "diagnostic" de sida. A ce rapprochement au niveau des signes cliniques,

s'ajoute un cumul des réactions de l'entourage : celles dirigées vers le malade du sida se

voient associées à celles à destination du tuberculeux. Association mais aussi accélération

des réactions puisque une toux répétée introduit une "suspicion" de sida, avec son cortège

de sous-entendus, d'évitements progressifs. Il n'est alors guère surprenant que la prise en

charge par le CAT, lorsqu'elle est connue de l'entourage, tende Ă  fixer et canaliser les

réactions relatives au sida: le point de départ de la réfelxion est ici moins la simple

confusion entre la tuberculose et le sida qu'une connaissance de la tuberculose, maladie

d'autant plus crainte que fréquemment corrélée au sida.

Fondée sur des expériences personnelles difficiles de la maladie, la peur de la

tuberculose s'accompagne par ailleurs de perceptions de sa transmission qui dépassent les

informations recueillies au CAT. Nous citerons l'exemple de ce peintre qui a constaté que

la manipulation de peintures le fait tousser ce qui peut, selon lui, favoriser une rechute de

la tuberculose. Compte-tenu du lien posé entre tuberculose et sida, des peurs qui leur sont

associées, toute interprétation de l'origine de la tuberculose mérite que l'on s'y arrête dans

la mesure où elle est ipso facto en mesure d'élargir le champ des représentations de

l'origine du VIH. Nous verrons, ci-dessous, comment les conseils délivrés au CAT

peuvent participer de ce processus. Intéressons-nous maintenant à un autre

"enrichissement" possible des interprétations sur l'origine et la transmission de l'infection

Ă  VIH.

Le sentiment de menace évoqué précédemment est parfois rattaché à l'origine

supposée sorcellaire du sida. Dans ce cas, les modes de transmission et les moyens de

diagnostic de l'infection à VIH ne sont pas ignorés: bien au contraire, c'est parce que les

signes cliniques connus du sida ont été repérés chez un malade et que celui-ci - affirme­

t-on - a subi un ensemble de tests et d'examens qui se sont révélés négatifs qu'est

avancée l'hypothèse d'un acte de sorcellerie. Examen des signes cliniques et test ont été

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mobilisés, suite à un diagnostic "populaire" de sida et ce n'est qu'après ces démarches qui

témoignent d'une connaissance du processus de diagnostic médical de l'infection à VIH,

qu'une autre interprétation est alors suggérée. Nous avons aussi le cas d'une femme ayant

développé tous les signes attribués au sida et finalement guérie, ce qui exclut - dans

l'interprétation de celui qui rend compte de ce cas - l'infection par le virus du sida, par

définition incurable: l'éventualité d'une agression sorcellaire peut alors prendre corps.

De même que connaître les signes cliniques du sida n'empêche pas des

interprétations de la maladie qui renvoient à un acte de sorcellerie, connaître les modes de

transmission du VIH et son propre comportement au regard de ces risques n'exclut pas le

sentiment d'une exposition toujours possible au VIH. Les rapports au risque des

personnels de santé du Centre antituberculeux et de la Formation sanitaire l'attestent. On

constate tout d'abord que les personnels des CAT (où la prévalence du VIH est de l'ordre

de 45%) désignent plus spontanément la tuberculose que le sida comme une menace pour

leur propre santé, alors que ceux de la FSU s'inquiètent du risque de contamination par le

VIH dans une structure où la prévalence de cette affection demeure très inférieure à celle

du CAT. Au niveau du CAT, cette situation n'est paradoxale qu'en apparence compte­

tenu de la peur associée à la tuberculose: le sentiment d'exposition au risque de

contamination par le bacille de la tuberculose au sein du CAT est général, à l'exception de

deux personnels de santé qui s'estiment avant tout exposés en dehors du CAT, en ville,

du fait du caractère endémique de cette affection. Le "contact direct" avec les malades lors

des consultations ou discussions avec ces derniers, l'existence de souches résistantes de

BK, les manipulations de crachats sur des lames constituent autant de situations jugées

potentiellement Ă  risque pour la contamination par le bacille de la tuberculose. Ces craintes

sont renforcées par la mention de cas de collègues qui auraient contracté la tuberculose au

sein même du CAT. Quoi qu'il en soit, il apparaît nettement que la crainte de contracter la

tuberculose - au sein du CAT - est plus développée que celle du VIH. même si elle

est plus sensible chez les techniciens biologistes. Ces données sur les perceptions du

risque dans l'exercice professionnel doivent aussi se lire dans la durée: on se rend alors

compte que si le sentiment de pouvoir contracter la tuberculose, et incidemment le VIH,

reste présent, il préoccupe au fil du temps de moins en moins les personnels de santé des

CAT.

Chez les personnels de santé de la FS U, on observe le même sentiment de

précautions prises n'excluant pas une peur persistante de la contamination, par le VIH

cette fois-ci. Alors que des adaptations ont eu lieu pour Ă©viter la contamination par le VIH

(port de gants, stérilisation systématique du matériel) et que des séances de formation

(notamment pour la prise en charge des mères et enfants infectés par le VIH par les sages­

femmes) ont été organisées, subsistent de réels sentiments d'exposition au VIH. A la

maternité, le contact avec du sang lors d'accouchements mais aussi la simple présence de

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Page 15: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

femmes supposées infectées réactivent une perception du risque que les précautions par

ailleurs prises tendent à limiter considérablement, de l'avis même des sages-femmes. Le

même constat peut-être effectué pour les soins dentaires, entourés de précautions mais qui

n'empĂŞchent pas l'infirmier de mentionner la persistance d'un risque.

Nous sommes donc en présence de représentations du risque qui oscillent en

permanence, entre un risque réel et un risque résiduel. Le risque réel est perçu comme

Ă©tant en baisse mais dans le mĂŞme temps subsiste ce que l'on pourrait appeler un risque

résiduel, jugé présent malgré et au-delà des précautions mentionnées et dont l'évocation

renvoie à la crainte de travailler auprès de personnes infectées - que leur statut

sérologique soit connu ou supposé de la part du personnel de santé. En somme, on

constate que les connaissances sur le VIH et la tuberculose obtenues auprès du personnel

de santé s'ajoutent plus qu'elles ne se substituent à celles qui découlent de perceptions

extra-médicales de ces maladies: au fil des informations assimilées, les unes et les autres

s'étoffent et l'on assiste non pas à une élimination des connaissances dites "erronées" sur

le VIH ou la tuberculose mais Ă  leur insertion dans un complexe de connaissances,

perméable aux apports extérieurs.

Annonces de la maladie.

Sur l'ensemble des questions relatives Ă  la gestion de l'information sur le statut

sérologique, personnes atteintes d'une part et personnes séronégatives ou ignorant leur

statut, d'autre part, ont des positions parfois différentes. S'il est un point sur lequel tous

s'accordent c'est bien sur la nécessité d'annoncer au patient son statut sérologique, malgré

les difficultés que cela pose: il convient de dédramatiser l'infection à VIH (la

séropositivité "n'est pas la mort"), en préparant le patient à recevoir cette information. Les

habitants de Koumassi qui défendent ce point de vue ne sont pas plus précis sur le

contenu du discours médical susceptible d'accompagner l'annonce. En revanche, les

récits des personnes atteintes s'inscrivent dans le prolongement de ces propos lorsqu'ils

regrettent, pour certains d'entre eux, la rapidité du pré-test et la brutalité de l'annonce. Ils

soulèvent aussi une autre difficulté, partagée y compris par ceux qui n'ont pas fait leur test

: l'attente du résultat est une source d'angoisse pouvant avoir une incidence physique.

Aussi, ceux qui n'ont pas fait le test avancent des arguments de ce type pour refuser de

s'engager dans une démarche de test: ils n'expliquent bien évidemment pas à eux seuls

les hésitations face au test, mais doivent être pris en compte.

Chez ces mêmes personnes se systématise l'opinion selon laquelle un tiers peut

ĂŞtre mis dans la confidence. Si l'on exclut pour le moment le cas du partenaire sexuel, le

tiers en question aidera le patient à surmonter le choc de l'annonce. Ceci étant précisé, un

fossé se creuse entre ceux qui estiment que cette révélation à un tiers peut être prise en

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Page 16: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

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l

charge par le médecin, indépendamment de l'avis du patient, et ceux qui jugent qu'en

l'absence de ce consentement cette annonce n'est pas acceptable. Ces derniers sont les

moins nombreux : il sera jugé "anormal" d'informer un tiers et que si cela était à

envisager, ce dernier devrait être désigné par le patient. Se pose maintenant le cas

spécifique de l'information dans le couple. Des nuances apparaissent alors chez ceux qui

s'opposent à la révélation à un tiers, à l'insu du malade, entre, d'une part, ceux qui

pensent que le médecin ne peut de toute façon pas intervenir sans l'accord du conjoint

séropositif, et d'autre part ceux qui conçoivent que le praticien se passe de l'accord du

malade dès lors qu'il y a un risque de contamination du partenaire. Nous leur avons

soumis à cet effet le cas de figure suivant: quelle doit être l'attitude d'un médecin, ayant

informé un homme de sa séropositivité et des précautions à prendre, et qui constate que la

femme de ce dernier, par la suite, tombe enceinte? La plupart des personnes rencontrées

jugent acceptable la révélation à un tiers, même sans le consentement du malade: il nous

est alors expliqué que la santé du conjoint doit primer sur le respect du secret médical.

L'opinion la plus répandue est favorable à l'information par le médecin d'une

tierce personne, mĂŞme sans le consentement du malade. Plusieurs justifications sont alors

avancées. Nous avons la remarque suivant laquelle, dès lors qu'il accepte le test, le patient

consent à la révélation de son résultat à autrui. D'autres envisagent que le médecin "fasse

une enquĂŞte" pour identifier dans l'entourage du malade le parent le plus apte Ă  informer

ce dernier: ceux qui encouragent cette stratégie de révélation du statut d'abord - et pas

seulement aussi - à un parent estiment que c'est là la meilleure façon d'obtenir une

annonce qui soit acceptable par la personne infectée. S'il est jugé délicat d'informer le

patient lorsque l'on n'est pas proche de lui, à l'inverse il apparaît "dangereux" que le

malade n'informe pas son entourage familial. Ceci en particulier lorsqu'il s'agit du

partenaire sexuel. Un consensus s'établit pour estimer que le secret médical n'a plus lieu

d'être puisque ce qui relevait d'une forme de "contrat" entre le patient et le médecin (le

premier s'engage à protéger ses relations sexuelles) a été rompu. Il nous paraît important

d'insister ici sur le fait que cette position n'est pas construite sur l'ignorance des possibles

réactions négatives des tiers ainsi informés mais, plus exactement, sur le constat suivant

lequel, le sida Ă©tant largement connu, le risque de rejet du malade est aujourd'hui moins

important que par le passé. La levée du secret médical est alors évaluée à la fois au regard

de ce qui la justifie et de ses conséquences.

Prendre des libertés avec le secret médical, juger moins pressant le risque de rejet

pouvant en découler: ces prises de position ne signifient pas pour autant que la personne

infectée par le VIH puisse et doive parler de son statut sérologique à tout le monde. Il est

plus exactement signifié ici que la personne est en situation de pouvoir et, parfois, devoir

parler à un tiers de sa séropositivité. Nous avons là une illustration de la banalisation dans

la gravité du sida. Parce que c'est une affection mortelle, le sida ne peut ni être totalement

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• 1

occulté au proche exposé (le partenaire sexuel), ni largement révélé à tous car sa gravité

suscitera toujours des peurs. Dans le même temps, maladie largement répandue mais aussi

évoquée dans de multiples discours, le sida prend progressivement place dans les

affections graves courantes - et en ce sens-là "banales" - auxquelles sont confrontés

les gens. Cette banalité facilite ainsi le partage de l'information la concernant avec autrui.

Autour de cette question de l'annonce de la séropositivité et de la révélation de la

nature de son affection à une tierce personne, les personnes infectées par le VIH et les

tuberculeux défendent des attitudes plus mesurées et prudentes que ceux qui sont moins

directement concernés par la maladie. Désireuses de contrôler l'information sur leur statut

sérologique, les per~onnes séropositives adoptent néanmoins parfois des positions

paradoxa.1es. Ainsi, parmi ceux qui font des témoignages, si leur partenaire est informé,

les parents ne le sont pas nécessairement. Dans un premier temps, c'est moins la crainte

de l'évitement qui motive cette attitude que le souhait de ne pas choquer son père ou,

surtout, sa mère. De plus, conséquence de cette mauvaise nouvelle, les parents seraient

dans l'impossibilité de garder pour eux cette information traumatisante. En second lieu,

intervient le désir de la personne infectée par le VIH de pouvoir contrôler la diffusion à

des tiers de l'information sur son statut sérologique, menacée par un partage avec ses

parents (en particulier si ces derniers sont au village). Ce n'est donc pas le sida qui est

évoqué mais la tuberculose ou, dans le cas d'une jeune femme, une pathologie qui

empêche d'avoir des enfants: il s'agit là d'une nouvelle certes grave pour la mère qui

apprend que sa fille ne pourra pas avoir d'enfant mais qui - du point de vue de la

personne atteinte - ne porte pas les risques d'évitement ou de marginalisation attribués

au sida, dans le cas oĂą celui-ci serait connu d'un nombre important de personnes. Une

autre stratégie pour ne pas être en situation de devoir donner des explications - quel

qu'elles soient - sur la nature de sa maladie, consiste à réduire ses contacts avec

l'entourage, notamment la famille restée au village.

Cette volonté, persistante au fil des années, de vouloir maîtriser la circulation de

l'information sur son statut sérologique trouve sa source dans deux expériences : d'une

part celle de la difficulté de certains confidents à garder secrète l'information qui leur a été

délivrée et. d'autre part. les réactions des confidents eux-mêmes - soit exagérément

méfiants, soit artificiellement compatissants - qui font regretter à la personne

séropositive de lui avoir parlé de sa maladie. Soulignons enfin que des attitudes du même

ordre caractérisent la gestion de l'information sur sa maladie de la part du tuberculeux. A

la peur de la tuberculose, liée à son caractère contagieux, s'ajoute la crainte inspirée par un

de ses symptĂ´mes, l'amaigrissement, qui rappelle le sida.

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Page 18: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

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r •

Traitements et prise en charge.

En complément des perceptions du risque associé au VIH (et à la tuberculose), de

l'annonce de la séropositivité et de la révélation à l'entourage. le rapport à la maladie et au

malade comprend aussi l'ensemble des représentations et attitudes relatives aux

traitements et Ă  la prise en charge. Il importe Ă  nouveau ici de distinguer l'approche des

personnes infectées par le VIH et celles des individus séronégatifs ou qui ignorent leur

statut sérologique. Chez ces derniers - et ce n'est pas un constat nouveau - le

caractère incurable de l'infection à VIH contredit la représentation populaire selon laquelle

toute maladie a son traitement. De ce point de vue. l'idée de traitements, comme les

antirétroviraux. présentés comme un gain en matière de prise en charge. devant être pris

de façon continue et définitive sans que l'on ait pour autant une quelconque garantie de

guérison peut apparaître fondamentalement contradictoire avec la notion même de

"traitement". Le traitement c'est ce qui rend la personne séronégative: aujourd'hui ce type

de compréhension de la guérison de l'infection à VIH tend à se substituer à celle qui

considérait comme guérison toute disparition des signes cliniques du sida (notamment les

plus connus d'entre eux: amaigrissement. toux, boutons sur le corps). Cet affinement du

jugement sur ce que doit être la guérison n'empêche nullement que soient suggérées de

possibles solutions du côté de la médecine traditionnelle. Simplement, celle-ci sera jugée

efficace dès lors que le patient séropositif redeviendra séronégatif. Toujours dans le cadre

de cette compréhension de la guérison, cel1ains jugent au contraire inutile le recours aux

thérapeutiques traditionnelles et aux prières (dans un contexte où l'offre religieuse connaît

Ă  Abidjan une forte expansion).

Cette représentation de la guérison non nécessairement fondée sur la disparition de

signes cliniques prend une dimension particulière chez les tuberculeux séropositifs. Ils se

savent infectés par le VIH et connaissent le fort lien entre le sida et la tuberculose: ces

éléments de connaissance n'empêchent pas la persistance de confusions lors de l'annonce

de la guérison de la tuberculose. Certains s'interrogent (avoir le VIH et être déclarée

guérie de la tuberculose: comment est-ce possible ?), d'autres sont plus affirmatifs (la

guérison de la tuberculose peut entraîner celle du sida) : tous. finalement. ont entendu le

discours médical, délivré lors du dépistage du VIH à l'arrivée au CAT, sur l'association

tuberculose/sida. Mais, ce faisant, leurs représentations de ces deux pathologies évoluent

au point de se rapprocher jusque et y compris au niveau de leurs guérisons respectives.

Nous sommes la nettement dans le registre déjà évoqué des effets de connaissance qui

demandent à évalués avec précision et pris en compte dans les messages de prévention,

afin que ne se développent pas des idées erronées sur la transmission, le traitement et la

guérison de l'infection à VIH pourtant initialement fondées sur des éléments scientifiques

exacts.

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Les appréciations des personnes atteintes des traitements antirétroviraux, de la

prévention et du traitement des affections opportunistes ou de la prise en charge non

médicamenteuse de l'infection à VIH, sont le résultat d'expériences personnelles précises.

Les réticences face à l'accès aux antirétroviraux se fondent sur le coût de ces traitements et

leurs effets secondaires : ils savent très exactement ce que représente la recherche de

moyens financiers pour régler une ordonnance et bon nombre de membres des

associations de séropositifs ont participé à des essais thérapeutiques. Indépendamment

des bénéfices qu'ils ont pu en tirer, ils conservent une idée précise de ce que sont les

effets secondaires de traitements au long cours. En ce qui concerne la prise en charge hors

antirétroviraux, les personnes infectées insistent conjointement sur les insuffisances en

matière de soins ambulatoires, leur difficulté à troùver un réconfort moral dans les

services de santé auxquels ils s'adressent et les problèmes posés par leur mauvaise

alimentation. Ces thèmes donnent un juste aperçu du contenu de ce qu'est la "prise en

charge" globale du VIH. Arrêtons-nous sur les difficultés pour se nourrir

convenablement. Ce qui est un problème posé à toutes les personnes sans travail revêt une

dimension particulière dans le cas des personnes infectées par le VIH, non seulement

parce que leur état de santé peut pâtir d'une mauvaise alimentation mais aussi car la qualité

et, à tout le moins, la régularité de leur alimentation conditionne la prise de médicaments

(les antirétroviraux bien évidemment mais pas uniquement eux). Par ailleurs, cette

question de l'alimentation place le risque pour la santé représenté par l'inaccessibilité des

soins dans un rapport direct avec une difficulté sociale plus large, sur laquelle nous

reviendrons: ne pas avoir de sources de revenus, réguliers et suffisants.

Recommandations.

- Tant al/près des personnels de santé que de l'ensemble de la population, l'infonnation

doit clairement distinguer les modalités de transmission de la tuberculose et du VIH.· trop

de risques de confusion existent pour ne pas être précis sur ce point.

- Dans les fonnations à destination des personnels de santé. des données scientifiques

doivent être délivrées sur les risques nosocomiaux de façon à limiter au maximum les

sentiments d'exposition au risque fondés sur une appréciation erronée de la transmission

en milieu de soins.

- Lors des procédures de dépistage, il importe de faire en sorte que l'attente du résultat

soit réduite à quelques jours.

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C. Comportements personnels déclarés en matière de prévention de la

transmission du VIH.

Préservatif.

Avant de nous intéresser aux relations avec les hommes et aux stratégies de

sélection du partenaire qui éclairent le rapport individuel au risque-sida, nous allons nous

arrêter sur l'approche individuelle des moyens de prévention de la transmission sexuelle

du VIH : préservatif, abstinence, fidélité.

Panni les personnes rencontrées, nous identifions dans un premier temps celles

qui revendiquent une utilisation du préservatif. Celle-ci peut être associée à une faible

fréquence des rapports sexuels : des jeunes femmes, célibataires, se retrouvent rarement

avec leur compagnon et ont alors des relations protégées. Le préservatif n'est pas pour

autant absent des couples mariés, notamment lorsqu'ils vivent des périodes d'éloignement

géographique et que s'établit un accord sur la nécessité de se protéger, inévitablement

fondée sur une absence de confiance réciproque. Les divers témoignages qui se rapportent

à ces deux cas de figure nous amènent à nuancer l'image de l'utilisation du préservatif

comme étant le propre des relations sexuelles dites "occasionnelles" : la stabilité de la

relation - que les partenaires soient mariés ou, le plus souvent, qu'ils se fréquentent

depuis un certain temps - n'exclut pas la protection des rapports sexuels. Moyen

affirmé de prévention de l'infection à VIH, le préservatif se voit aussi investi de ses vertus

contraceptives. Ceci, tant chez les personnes qui ne connaissent pas leur statut

sérologique, que chez celles infectées par le VIH. La double fonction contraception /

prévention de la transmission du sida, permet alors de justifier la protection des relations

sexuelles à des fins contraceptives, aussi bien au partenaire qui ne connaît pas le statut

sérologique de la personne infectée qu'à celui qui est informé (quelque soit son statut

sérologique, l'argument est alors d'éviter une grossesse). Dans un second temps, nous

devons mentionner l'ensemble des comportements déclarés qui ne font pas explicitement

état de l'utilisation du préservatif mais plutôt de l'importance de "faire attention" ou de "se

méfier~. Peu précis mais suggérant un comportement de prévention, les attitudes

consistant à "moins sortir", "ranger sa vie" ou "ne pas prendre de risque" méritent aussi

d'être rapportées.

Les déclarations de refus d'utilisation des préservatifs mettent en avant, de façon

classique, leur manque de fiabilité ou la diminution du plaisir sexuel qu'ils provoquent.

Les rejets du préservatif fondés sur ce type d'appréciation ne signifient pas l'absence de

stratégie d'évitement du VIH. La fidélité dans la relation est alors évoquée, voire même

l'abstinence: comportements qui renvoient, chez les femmes rencontrées, à un regard

particulier sur l'Ă©volution des relations avec les hommes, comme nous l'expliquons ci-

31

Page 21: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

dessous. Parallèlement à ce type de motivations, l'absence de protection des relations

sexuelles, notamment de la part de personnes infectées, découle de la difficulté à imposer

le préservatif. La menace de rupture qui pèse sur le couple en cas d'insistance à avoir des

rapports protégés peut être motivée par un désir d'enfant du partenaire.

Lorsqu'elles analysent rétrospectivement leurs comportements, les personnes

infectées tendent à ne pas mettre explicitement en cause leur comportement sexuel ou, plus

largement, la voie de contamination sexuelle. De jeunes femmes, tuberculeuses et

séropositives, soit désignent le comportement de leur partenaire (qui avait des relations

sexuelles en dehors de leur couple), soit remarquent n'avoir eu qu'un voire deux

partenaires dans leur existence. Dans ce dernier cas, la contamination par le VIH apparaît

doublement incompréhensible: comment être infecté, si on n'a pas eu de comportement à

risque et pourquoi l'avoir été soi-même. Cette seconde réflexion ouvre la voie à des

interprétations de la cause de la contamination qui renverraient moins aux modes de

transmission connus du VIH qu'à des actions, dirigées contre la personne, de type

sorcellaire notamment ou au registre de la punition divine: la mise en avant de ce type

d'interprétation ("Dieu l'a voulu") peut alors s'accompagner d'un recours à des Eglises

pour trouver, plus qu'un réconfort spirituel, une guérison. D'autres personnes infectées

évoquent un possible contact avec le VIH par le biais d'objets souillés. Il apparaît

rapidement que ce type de discours est Ă  mettre en relation avec la perception que ces

personnes avaient du sida, avant le test, comme Ă©tant une maladie touchant des "groupes Ă 

risque" (prostituées, homosexuels, multipartenaires). Avec ses indéniables attendus

moralisateurs cette image globale du sida rend a posteriori difficile toute perception

objective de l'exposition personnelle au VIH. Ceci Ă©tant admis, le refus d'envisager

comme hypothèse première une contamination par voie sexuelle trouve un autre élément

d'explication dans la difficulté à hiérarchiser les risques. Il n'est en effet pas indifférent

qu'en ne mettant pas en cause la voie sexuelle de transmission du VIH (ce qui, en soi,

peut bien évidemment s'admettre) ces personnes désignent une situation de contamination

relativement rare, mais qui s'inscrit parfaitement dans la logique de discours médico­

préventifs se refusant à hiérarchiser et quantifier les risques de transmission du virus du

sida.

Rapports aux hommes, rapports aux femmes.

Si l'on prend un peu de distance par rapport aux déclarations en matière de

protection des relation sexuelles, on relève de la part des femmes un discours récurrent

sur la difficulté de "faire confiance" aux hommes. Cette absence de confiance est

présentée comme étant soit le résultat de l'expérience d'une relation durant laquelle la

femme a constaté l'infidélité de son partenaire ou son incapacité à prendre ses

32

Page 22: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

, 1

r '

responsabilités dès lors que survient une grossesse, soit le fruit d'une image générale des

relations avec les hommes, inévitablement basée sur l'absence de franchise. Ces constats

relativement stéréotypés se trouvent renforcés par l'argument du risque de s'exposer à des

"maladies", dont le sida. Evocation du comportement "habituel" et "inévitable" des

hommes, d'une part, peur du sida, de l'autre, se combinent alors pour donner corps Ă  des

comportements déclarés qui soulignent l'adoption de mesures de protection contre

l'infection à VIH. Utiliser le préservatif permettra aussi d'éviter une grossesse pour

laquelle on sait ne pas pouvoir compter sur l'aide de l'homme; refuser un rapport sexuel

s'inscrira dans une image plus générale de l'homme dont les hésitations à s'engager dans

une relation durable ou l'infidélité supposée nuisent à la confiance préalable à une relation.

Le risque de s'exposer au VIH se voit donc contourné en évitant le risque - plus

global - qui consisterait à débuter une relation fondée ni sur la franchise ni sur un

quelconque espoir de pérennité.

Parallèlement à ces gestions féminines du risque qui sont avant tout des approches

des relations avec les hommes, sont mentionnées des stratégies de sélection du partenaire

qui consistent Ă  Ă©valuer son comportement au moyen d'une forme d'enquĂŞte personnelle.

Nous décrivons ici des attitudes principalement masculines qui consistent. elles aussi, à

contourner le risque de s'exposer au sida en associant ou en substituant Ă  l'utilisation du

préservatif le principe du "choix" raisonné et organisé du partenaire. Les hommes qui font

état de la mise en œuvre de ce type de stratégies s'intéressent peu aux traits physiques de

la femme, susceptibles d'être associés aux images du sida : alors qu'il y a quelques

années l'amaigrissement était redouté, les hommes évitant tout contact avec des femmes

de faible corpulence, de nos jours, la connaissance de l'existence d'une séropositivité

asymptomatique se répand et il est de plus en plus admis que l'amaigrissement ne signifie

pas une atteinte par le VIH et que l'embonpoint n'est pas un gage de non infection. En

revanche, la vaste question de la "réputation" de la femme est l'objet d'une attention

particulière de la part de l'homme. Nous ne touchons pas là à une pratique de choix du

partenaire réellement originale - dans de nombreuses sociétés le choix de la femme à

marier résulte en partie d"'enquêtes de moralité" de ce type -, mais qui se trouve

réactualisée en liaison avec la menace du sida. L'homme s'inquiétera auprès de ses

proches de savoir si la jeune femme à laquelle il s'intéresse "sort beaucoup" et si ellè a des

amis. Éléments de choix qui renvoient moins au caractère personnel de la femme qu'à son

comportement sexuel. Dans le même temps, ces stratégies ont des limites reconnues par

ceux-là même qui les mettent en œuvre. Nous sommes ici dans un registre de réduction

supposée et non d'élimination des risques: en effet, alors que des témoignages

concordants et "négatifs" sur la "moralité" de la jeune femme mettent un terme à la relation

envisagée, les hommes savent bien qu'une femme qui passe avec succès cette "épreuve"

n'est pas de fait séronégative. Les observations effectuées et les conclusions tirées

33

Page 23: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

relatives au comportement de la jeune femme ne sont pas pour autant remises en cause.

Est en réalité ici soulignée la possibilité d'avoir été au contact du VIH par le biais d'une

intervention chirurgicale ou d'une transfusion sanguine, et pas uniquement au travers de

rapports sexuels. Nous avons lĂ  un nouvel effet de la connaissance croissante de

l'infection à VIH, qui débouche sur des approches du risque multipliant les éléments pris

en considération dans le choix du comportement à adopter.

Rapport au test.

Avant de nous arrĂŞter, pour conclure cette partie, sur les comportements des

personnels de santé dans leur travail, il nous paraît nécessaire de lire les comportements

en matière de pratique du test à la lumière de ce qui vient d'être dit relativement aux

stratégies de réduction des risques. D'une façon générale, nous pourrions résumer la

situation des personnes, soit séronégatives, soit ignorant leur statut sérologique, en disant

que la réalisation personnelle du test est soumise à une série de conditions qui, de ce fait,

Ă©largissent les champs d'application du risque. Rapporter les analyses des habitants de

Koumassi ainsi que des personnels de santé rencontrés concernant leur rapport au test

revient, toujours, à faire état de multiples conditions pour procéder - ou ne pas

procéder - au test. Conditions posées parfois très habituelles, parfois moins attendues.

Il en est ainsi des remarques qui justifient le refus de personnes d'effectuer le test du VIH

par l'absence de traitement efficace ou par l'absence de prise de risque. Les deux

arguments ne vont pas nécessairement de pair: on rapportera ici la remarque d'une jeune

femme qui, quelque soit son comportement sexuel et ses Ă©ventuelles prises de risque,

n'envisage pas le test tant qu'aucun traitement de l'infection Ă  VIH n'est disponible. Chez

d'autres, au contraire, dès lors qu'il y a une certitude de ne pas s'être exposé au VIH, la

démarche de test ou l'acceptation de sa proposition (cas des tuberculeux dépistés lors de

leur prise en charge) ont été naturelles. Aucune "peur du résultat" ne s'est manifestée.

C'est ici l'occasion d'insister sur l'importance des conseils ou incitations extérieures pour

faire le test: si le partenaire a effectué son test, ou si le médecin le demande, alors il peut

être envisagé de le faire. Un personnel de santé s'inscrit indirectement dans ce type de

démarche dès lors qu'il profite de son statut de soignant pour inciter sa femme à se faire

tester: elle accepte et lorsque son mari apprend qu'elle est séronégative, il décide de ne

pas procéder lui-même à un test de dépistage, s'estimant ipso facto séronégatif. La

possibilité de se tester n'est nullement une assurance de la mise en œuvre de la démarche.

Toutes ces conditions - existence d'un traitement, comportement Ă  risque, incitation par

autrui - ont un lien direct avec la présence du sida. Ce qui est moins le cas lorsque

l'argument avancé pour ne pas se tester est l'existence de difficultés et de préoccupations

dans la vie quotidienne qui rendent secondaire la perspective mĂŞme d'un test. Le test n'est

34

Page 24: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

. 1

. j

r '

alors pas ressenti comme une priorité, par-delà la connaissance de l'individu des

avantages et des inconvénients liés à cet examen.

Enfin, nous l'avons dit à partir de l'expérience d'habitants de Koumassi mais c'est

une remarque valable, aussi, pour certains personnels de santé, la gestion du test dans le

couple est un révélateur de la confiance dans l'autre et, ce faisant, le lieu d'incertitudes.

De la part d'un membre du personnel de santé du CAT, la répétition tous les six mois du

test n'est pas justifiée par un doute sur la fiabilité de cet examen : lui-même et son épouse

y voient là la possibilité de "contrôler" l'autre. Un même sentiment de doute, d'incertitude

se repère dans les couples dont l'un des membres, séropositif, demande à son partenaire

d'effectuer le test. S'agissant de jeunes femmes infectées, si elles n'ont pas informé

explicitement ce dernier de leur séropositivité, elles se heurtent à des refus de se tester -

ou à des accords mais qu'elles mettent néanmoins en doute par la suite, n'ayant jamais

accès au résultat du test de leur partenaire. La personne infectée doute de la réalité du test

de son partenaire qui lui-même n'est guère incité à le faire, en particulier parce qu'il ignore

la séropositivité de celle-ci : finalement, dans cet espace d'incertitudes partagées, la

protection des rapports sexuels devient extrêmement délicate à obtenir notamment dans le

cas oĂą le partenaire affirme avoir fait le test mais n'en donne pas la preuve Ă  la personne

qui le lui a demandé, mais qui n'a pas évoqué son statut sérologique.

Comportements professionnels des personnels de santé.

Face au sentiment d'un risque persistant. résiduel. dans l'exercice de leur travail,

les personnels des CAT adoptent diverses attitudes préventives. Tout d'abord, afin de se

protéger de la tuberculose, ils mettent à distance le patient lorsqu'ils l'accueillent pour sa

prise en charge. Certains aménagements des locaux leur semblent participer d'un effort

pour limiter le risque d'exposition au bacille de la tuberculose. C'est le cas de la mise en

place d'une salle d'attente dans le laboratoire, afin de réduire la promiscuité entre malades.

Les personnels de santé mentionnent aussi, de façon plus étonnante, la climatisation de

bureaux: or, de toute Ă©vidence, contrairement Ă  ce qu'ils pensent, une telle mesure n'a pu

être prise dans le but de réduire la circulation des microbes, car on sait fort bien que

l'aération est plus efficace que ta climatisation dont le principe est précisément de limiter le

renouvellement de l'air.

De façon plus individuelle, ils multiplient les examens de contrôle (intradermo­

réaction, radiographies, bacilloscopie) dès lors qu'ils ont un problème de santé leur

évoquant la tuberculose. En second lieu, dans le but de prévenir tout contact avec le Vlli

ils systématisent l'utilisation de gants au laboratoire ainsi que la stérilisation puis la

destruction des aiguilles et seringues. A ces précautions techniques s'ajoutent des

revendications précises. Certains agents demandent ainsi à leur ministère de tutelle à être

mutés dans un autre centre de santé qu'un CAT. Des primes de risque sont aussi

35

Page 25: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

. )

, '

demandées. Cette revendication répond certes parfois à un sentiment de menace. La

présence d'un risque n'est cependant pas toujours ressentie corrune une menace et elle sert

donc de prétexte pour demander des compensations financières.

Recommandations.

- Le conseil aiLl: personnes infectées doit insister:

- sur le caractère non condamnable de la contamination par le V/H, de façon à

prévenir tout sentiment de culpabilisation lié à la mise en cause d'un comportement

sexuel dans l'infection par le V/H;

-' sur l'importance pour le patient lui-mĂŞme d'Ă©viter tout contact avec le V/H.

- Les messages de prévention doivent continuer à encourager une utilisation systématique

du préservatif sans culpabiliser les utilisations occasionnelles, qui peuvent constituer des

étapes vers une meilleure prévention de la transmission sexuelle du V/H.

D. Changements de comportements d'autrui et campagnes de prévention.

Après nous être penché sur les changements de comportement personnels et les

rapports indi\"iduels aux risques, nous allons nous arrĂŞter sur la perception des

comportements des "autres", amis, voisins, enfants, parents, "population générale". Cette

distinction au ni\"eau de l'analyse entre comportement personnel et comportement des

autres ne doit pas nous faire oublier le fait que nos interlocuteurs parlent fréquemment de

leurs propres attitudes à travers un récit et des commentaires sur les comportements des

autres. Il s'agit d'évoquer d'une façon détournée son propre rapport au risque: stratégie

qui ne doit jamais être perdue de vue dans le bilan effectué ici.

Évolution des comportements: état des lieux et conséquences.

Tout en soulignant la difficulté d'uniformiser des points de vue variés sur la

perception des changements de comportements dans la société, une tendance générale,

recoupée au fil des entretiens, traduit des évolutions dans deux directions: soit une plus

grande protection des relations sexuelles associée au maintien du nombre de partenaires,

soit une réduction de celui-ci. Dans les deux cas nous sommes dans un registre de

réduction bien plus que d'élimination des risques. Réduction supposée qui est elle-même

tempérée par le constat d'une méfiance accrue entre horrunes et femmes : les soupçons

d'infidélité persistent et, par conséquent, la fidélité ne représente qu'une fausse

36

Page 26: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

, 1

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r '

protection. Les couples mariés (et en leur sein, plus particulièrement, les femmes) se

trouvent donc confrontés à une forme de dilemme caractérisé par le fait que le sentiment

d'un changement de comportement du partenaire, allant dans le sens d'une plus grande

fidélité, est immédiatement atténué par le sentiment inverse d'une menace persistante qui

associe clairement l'inévitable" infidélité masculine et l'existence du VIH. En d'autres

termes, la tendance à une réduction du risque chez les hommes (qu'ils aient moins de

partenaires ou qu'ils se protègent plus souvent) doit composer avec un "niveau

d'infidélité" inévitable, source de ressentiment et de méfiance à une époque où la présence

du sida est connue de tous.

Dans le mĂŞme registre de l'incertitude sur la nature exacte des changements de

comportements, nous mentionnerons les stratégies - déjà évoquées - de choix du

partenaire: le caractère illusoire de "se fier aux apparences" revient fréquemment et obéit à

deux considérations. Tout d'abord, une personne qui s'avérera limiter ses relations

sexuelles peut fort bien avoir contracté le VIH lors d'une hospitalisation, par exemple.

Les enquêtes de "moralité" sont alors sans effet sur l'évitement du VIH. Par ailleurs, et de

façon traditionnelle dans les rapports entre hommes et femmes, le manque de confiance

dans l'autre ne peut que renforcer le doute sur la réalité des changements déclarés ou

observés. Avec leurs enfants, les parents sont confrontés à une difficulté du même ordre:

leur donner des conseils sur le sida, la nécessité de se protéger, de "ne pas sortir" ne

garantit pas d'être effectivement écouté. Ce regret habituel des parents confrontés à

l'indiscipline de leurs enfants s'accompagne aussi de critiques Ă  l'encontre des parents

qui, non seulement n'arrivent pas Ă  contrĂ´ler les comportements de leurs enfants mais

qui, au contraire, acceptent, pour ne pas dire, encouragent leurs filles (c'est le cas de

figure rapporté) à avoir des relations rétribuées, avec des hommes plus aisés, de façon à

pouvoir, eux aussi, tirer profit de l'argent ainsi gagné.

Les personnes atteintes face aux changements.

Des changements mais toujours des points d'ombre : Ă  l'instar des habitants de

Koumassi, les personnes atteintes, membres d'association, ont une position mesurée sur

l'évolution des comportements dans la société. Leurs propos concernent plus les réactions

des autres à l'encontre de leur personne et des malades du sida en général, que le rapport

au risque Ă  travers les comportements sexuels. Ceci exprime clairement leurs

préoccupations centrales de contribuer à la transformation du regard porté par les autres

sur le malade. Ils s'élèvent alors contre le souhait de nombreuses personnes de voir des

malades du sida pour croire à la réalité de cette affection en Côte d'Ivoire. Forme de

voyeurisme qui laisse par ailleurs entendre que si l'on ne voit pas de malades on ne

prendrait pas conscience de la situation, ce qui, pour les membres d'associations, semble

37

Page 27: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

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, '

difficilement admissible de nos jours à Abidjan. Deux autres réflexions accompagnent

cette critique de la volonté de voir pour croire: d'une part, pour aucune autre maladie un

tel désir ne se manifeste (demande-t-on de voir une personne souffrant de paludisme pour

croire Ă  cette maladie, tout aussi mortelle ?) ; d'autre part, l'image de l'infection Ă  VIH Ă 

laquelle veulent être confrontés les gens est uniquement celle du sida dans sa phase

terminale, comme on le rencontre dans les services de maladies infectieuses des hĂ´pitaux.

Nous touchons là à un point important du travail en matière de sensibilisation sur le sida

mené par les personnes atteintes. Lorsqu'ils témoignent en public de leur expérience-

et notamment dans les villages - ils constatent régulièrement l'étonnement de leur

auditoire face à une personne séropositive mais pas malade, ne portant pas sur elle les

signes de la maladie. Cet Ă©tonnement est pour eux une source d'encouragement, car il

traduit plus un désir de mieux connaître l'infection à VIH qu'un déni ou une peur du sida.

La prévention: acquis et perspectives.

Convaincus, à travers ce type d'expérience, qu'il est important de mobiliser les

personnes séropositives pour participer aux campagnes de prévention, certaines

personnes atteintes regrettent de n'être pas plus associées à ces manifestations et de n'être

sollicitées que pour témoigner sur le sida, et pas sur sa prévention. Or un travail

important reste Ă  faire, en milieu rural, mais aussi dans les Ă©coles. Autant leur point de

vue diverge de celui des personnes non infectées sur l'importance ou non de voir des

malades hospitalisés pour prendre conscience du sida, autant tous s'accordent sur la

nécessité de développer des actions de prévention, sous la tutelle du PNLS, dans les

écoles mais aussi auprès de jeunes non scolarisés. Cet effort d'information doit être

couplé avec un travail d'éducation plus général, à destination des jeunes et des femmes,

de façon - concrètement - à inciter les jeunes à limiter le nombre de leurs partenaires

et les parents Ă  mieux "contrĂ´ler" les comportements de leurs enfants, filles en particulier.

Suggestion évidente, pourrait-on dire, mais qui a le mérite d'analyser le risque

d'exposition au VIH en fonction d'un accès variable à l'information et de rapports

d'autorité entre générations.

Alors que dans ces populations jeunes, un risque de sous-infonnation persiste, au

sein de la population adulte Ă©merge le sentiment d'une sur-infonnation sur le sida. Un

phénomène de banalisation de l'infection à VIH s'impose progressivement. Les messages

de prévention, répétés et standardisés ont été entendus, les gens "savent", au point que

voit le jour un sentiment ambigu de lassitude et de fatalité. Fatalité non pas fondée,

comme par le passé, sur une ignorance teintée de déni mais, explicitement, sur une claire

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Page 28: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

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conscience de la menace qui a été intégrée au point d'être banalisée dans sa gravité. Dire,

conune cela a été entendu de nombreuses fois, que l"'on parle assez du sida" pose un

problème majeur à la prévention du sida à Abidjan : car, nous l'avons remarqué

précédenunent, cela ne signifie pas que l'on a assez parlé du sida "à tout le monde" mais

que l'on a tenu un discours trop général, insuffisanunent "ciblé" sur les groupes et dans

les endroits qui en auraient le plus besoin. De ce fait, l'intérêt de la répétition pour faire

passer le message, tend à s'épuiser et à se retourner contre son objectif initial, en créant

une lassitude alors mĂŞme que ceux qui en font Ă©tat, soulignent dans le mĂŞme temps les

progrès à faire dans la diffusion de l'information préventive. Pour reprendre le

vocabulaire de la communication, les "cibles" de la prévention doivent être mieux

identifiées et définies: le contenu des messages lui aussi doit évoluer, en introduisant des

éléments de hiérarchisation et de quantification des risques de transmission du VIH pour

chacune de ses voies de diffusion. Les souhaits dans ce domaine des personnes

rencontrées ne sont pas toujours précis (du type: informer les femmes séropositives d'un

risque de transmission à l'enfant de 50%) mais ils ont le mérite d'introduire une réflexion

sur ce qui peut être dit en matière de risque relatif.

Recommandation.

- Développer des campagnes de prévention à destination de groupes précis (scolaires,

déscolarisés... ), en y associant des personnes infectées par le V/H: leur contribution ne

se limiterait pas à témoigner sur leur maladie mais bien à délivrer un message e

prévention. Ceci suppose une formation des personnes atteintes sur l'lEC en matière de

MST et de V/H.

E. Risques et contextes de vie.

Dès lors que l'on aborde l'ensemble des questions relatives aux conditions de vie

et aux projets professionnels, le rapport au risque - quoique moins explicitement

formulé que lorsqu'il est question du choix du partenaire - n'en demeure pas moins

l'objet de stratégies précises. Le point essehtiel qui émerge de nos contacts avec les

personnes de statut sérologique inconnu, les séropositifs et les anciens tuberculeux

pourrait se résumer de la façon suivante: une multiplicité de problèmes marquent le

rapport à l'activité source de revenus qui, loin de décourager les initiatives, s'accordent

avec des projets variés et une volonté sans cesse affirmée de vouloir subvenir à ses

propres besoins.

Projets et Ă©cueils de la vie quotidienne Ă  Koumassi.

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, .

Suivant les personnes et le rapport de chacune d'entre elles Ă  la maladie, ce constat

général prend des formes variables. Chez les jeunes femmes rencontrées à Koumassi,

transparaît le désir d'acquérir une autonomie financière qui passe par la mise sur pied

d'une activité commerciale ou la poursuite d'études et qui suppose une relative prise de

distance par rapport Ă  la tutelle d'un homme. Autonomisation qui ne signifie pas refus

d'avoir des relations durables avec un homme: au contraire, c'est en affichant son

autonomie financière, par exemple, que peut se renforcer la possibilité d"'avoir un mari".

En effet, revient fréquemment l'observation suivant laquelle les hommes sont plus

susceptibles de construire des projets de couple avec des femmes qui ont leurs propres

revenus. Chez les plus jeunes, cette remarque est le fruit d'une image du couple oĂą une

relative indépendance financière de la femme est à la fois profitable àcelle-ci et voulue par

l'homme. Chez les femmes ayant déjà connu la vie en couple, un tel choix est directement

le résultat de l'expérience d'une dépendance financière vis-à-vis d'un homme qui les a

laissées démunies lorsqu'est intervenue la séparation.

Les projets personnels évoqués (ouverture d'un commerce mais aussi paiement de

frais de scolarité ou de formation) se heurtent à des problèmes de financement. Tous,

dans un premier temps, s'adressent Ă  leur entourage familial ou amical pour constater, in

fine, la difficulté de réaliser leur projet en l'absence d'un minimum de soutien auprès de

personnes "bien placées". A cet égard, les femmes réintroduisent dans leurs propos la

menace du sida en affirmant refuser de répondre aux pressions de nature "sexuelle" qui

leurs permettraient soit de trouver l'argent nécessaire à leur projet, soit d'obtenir un

emploi. Les Ă©checs dans cette quĂŞte d'un travail modifient parfois la nature du projet mais

ne remettent pas en cause le principe d'acquérir une autonomie financière et de subvenir

aux besoins d'un groupe, dans le cas des personnes qui ont une famille Ă  charge. Par

ailleurs, cette difficile satisfaction de la volonté de travailler prend explicitement forme en

liaison avec une conscience du risque représenté par l'infection à VIH. Elle témoigne d'un

processus de négociation des risques - entendus au sens large - dans lequel

l'éventualité de ne pas trouver de travail est préférée à celle de s'exposer au VIH.

Personnes séropositives.

En ce qui concerne les personnes infectées par le VIH leur souhait de trouver une

activité source de revenus doit leur permettre non seulement de répondre à leurs besoins

personnels mais aussi, il ne faut pas l'oublier, aux sollicitations dont elles sont l'objet

dans leur propre réseau familial: le fait d'être connu comme séropositif ou d'être

effectivement malade ne dispense pas de répondre, d'une façon ou d'une autre, à des

demandes d'aides pour la scolarité de jeunes frères ou cousins. Sollicités mais aussi, bien

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i1'-

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l, 1

r '

évidemment, solliciteurs: de ce point de vue, les personnes séropositives voient

converger vers elles les difficultés propres à leur maladie et celles qui touchent tous les

citadins, sans emploi fixe et Ă  la recherche de moyens de subsistance. Ceci, tout en Ă©tant

insérés dans un système de relations familiales dont elles ne peuvent s'extraire sous

prétexte qu'elles sont malades et sans revenu. Bien au contraire, parce qu'elles sont

démunies, elles sont parfois contraintes d'aller vivre avec des proches dont elles partagent

les problèmes liés au manque de revenus.

A travers cette dernière démarche consistant à demander de l'aide à son entourage,

réapparaît le problème de l'information, par la personne infectée par le VIH, de celui dont

l'appui financier est sollicité. L'enjeu est ici de demander et d'obtenir un soutien sans être

tenu de fournir des précisions sur la nature des problèmes de santé qui empêchent, par

exemple, d'exercer un travail physiquement pénible. La personne séropositive se voit

donc tenue d'opérer un choix qui intègre le risque inhérent à la révélation de son statut

sérologique et celui découlant de l'incapacité à trouver, plus que des moyens de

subsistance ponctuels, une réelle autonomie financière.

La difficile - pour ne pas dire impossible - quête d'une autonomie financière

minimale crée un fort ressentiment chez les personnes séropositives militant dans des

associations. Conscients des problèmes que doivent surmonter ceux avec lesquels ils

vivent, ou les parents qu'ils sollicitent, ils constatent avec amertume que leur statut de

personne atteinte s'Ă©tant investie dans l'action sur le sida ne leur a aucunement garanti un

emploi, une activité source de revenus réguliers et corrects. Ils ont des projets, ils se sont

personnellement impliqués - dans les médias, sur le terrain des campagnes

d'information - et regrettent de ne tirer aucun bénéfice durable de cet "investissement".

Le risque représenté par le partage de l'information sur leur statut sérologique avec un

proche, se double d'un sentiment de vanité, à terme, de leur implication compte-tenu des

risques qu'elle comporte, au travers des témoignages publics sur leur maladie. Au sein

des associations, les situations sont variées : néanmoins, même chez ceux de leurs

membres les plus connus et sollicités pour participer à des actions d'information, des

émissions télévisées ou des conférences, perdure l'image de la précarité de leur situation

personnelle. Avoir des revenus ponctuels est une chose, obtenir un emploi est un autre

défi: rares sont ceux qui ont pu conserver leur travail une fois dans l'association ou qui

ont réussi à en trouver un nouveau depuis lors.

On remarquera ici que la mise en place des traitements antirétroviraux en Côte

d'lvoire, dans le cadre de l'Initiative Onusida, doit en principe favoriser l'accès _à ces

traitements aux membres des associations, qui bénéficient de tarifs préférentiels. C'est

une forme de reconnaissance de leur activité qui, si elle se concrétise dans le faits, est de

nature à modifier le regard mitigé qu'ils portent sur leur implication dans la "lutte contre le

sida".

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Page 31: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

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. l

r'

Recommandations.

- Les associations de personnes atteintes doivent être appuyées par des professionneLs en

mesure de Les aider dans Leurs démarches de recherche d'empLoi ou de mise sur pied de

projets. La pérennité de L'implication des personnes infectées dans Les actions de

prévention (cf recommandations § D) sera en effet d'autant pLus aisément assurée qu'elles

retrouveront une activité professionneLLe, Leur garantissant une reLative autonomie

financière.

IV. Conclusion et recommandations générales.

Les précédents constats sur les difficultés de la vie quotidienne de personnes dont

nous ne connaissons a priori pas le statut sérologique rappellent la menace du sida.

Cependant, ils ne se prêtent guère à de~ recommandations aussi précises, en matière de

prévention de l'infection à VIH, que les discours recueillis sur les modes de transmission.

De ce point de vue, dire que les rapports entre hommes et femmes, dans et en dehors des

relations de travail, doivent être modifiées ne constitue pas une information aisément

"traduisible" dans un message d'éducation pour la santé: il en est de même des

revendications des personnes atteintes relatives à une autonomie financière, susceptible de

leur faciliter l'accès à la prise en charge du VIH. On peut en revanche arriver à influer sur

les représentations à l'origine de pratiques qui exposent au risque si l'on part, plus

modestement, des regards portés par chacun - séropositif. séronégatif ou de statut

inconnu, tuberculeux ou non - sur les modes de transmission, l'intérêt du test, les

procédures d'annonce et d'information d'un tiers ainsi que les stratégies thérapeutiques.

A différents moments de notre analyse nous avons été amené à souligner la

difficulté à hiérarchiser les risques relatifs aux différents modes de transmission du VIH :

difficulté qui s'inscrit dans le prolongement direct des hésitations et des impossibilités à

quantifier, pour chacun d'entre eux, la probabilité de la contamination4. Concrètement,

prennent forme, au fil des entretiens, des sentiments individuels d'exposition au risque

qui mettent sur le mĂŞme plan le risque de contracter le VIH lors d'une relation sexuelle

non protégée, lors d'une transfusion ou lors d'utilisation de matériel souillé par du sang

infecté. Cette approche non hiérarchisée du risque reproduit les messages de prévention

qui se contentent le plus souvent d'énumérer des situations de transmission du VIH sans

y introduire quelque niveau variable de risque que ce soit. A l'instar de ce qui a été

~ On peut toutefois imaginer une hiérarchisation des risques - sous forme de classement, du plus aumoins probable - sans nécessairement une quantification précise de ces derniers.

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souligné pour la méconnaissance des probabilités de transmission du VIH lors de chacun

des modes de transmission, l'absence de hiérarchisation des risques a pour effet négatif

d'accroître la perception de la personne infectée par le VIH comme potentiellement

contaminante dans des situations qui, d'un point de vue épidémiologique, ne sont pas

attestées.

L'unifonnisation des risques ajoute Ă  la confusion sur la nature des situations de

contamination. Nous désirons attirer ici l'attention sur la tendance, récurrente dans divers

discours non médicaux, à insérer les modes de transmission les plus répandus du VIH

dans un ensemble d'activités qui relèvent de la vie sociale de l'individu et qui ne sont

nullement - ou très faiblement - porteuses de risque. Ceux qui mentionnent le passage

chez un coiffeur comme autant Ă  risque qu'une transfusion peuvent en effet ĂŞtre les

mêmes qui tendent à marquer leur défiance par rapport au partage de plats et de couverts

avec une personne infectée. Cette proximité illusoire avec le VIH se construit, elle aussi,

autour d'un processus de développement de la connaissance relative au sida qui associe

différents niveaux de connaissance. De nos jours, craindre de boire dans le même verre

ou de manger avec les mêmes couverts qu'une personne séropositive ne relève pas

uniquement d'une méconnaissance des voies de transmission du virus du sida et renvoie

clairement aux représentations de la transmission de la tuberculose. La plupart des gens à

Abidjan savent que le tuberculeux reçoit pour consignes de ne pas partager ses couverts:

l'élément nouveau dans cette construction du risque a trait à l'association ­

épidémiologique pourrait-on dire - entre la tuberculose et le sida. Ces mêmes

personnes ont compris que les deux affections sont fortement liées, pour l'avoir relevé

dans les discours préventifs ou médicaux sur le sida, ou pour en avoir fait l'expérience

dans leur proche entourage. Le problème demeure donc bien qu'une telle avancée de la

connaissance ne permet pas d'éviter de possibles attitudes de défiance vis-à-vis du

malade. L0rsque les voies de transmission de la tuberculose sont pensées comme pouvant

transmettre aussi le VIH, ce sont les images de peur associées à ces deux pathologies qui

se trouvent mutuellement renforcées (et non plus celles du seul sida). Il est essentiel de

relever qu'une telle situation n'est pas sans corrélation avec le phénomène - observé

par ailleurs - d'ignorance ou de confusion des parts respectives des différents risques'

potentiels de contamination: elle participe de la représentation, développée précédemment,

du sida comme pathologie dont la gravité suppose ipso facto une multiplicité de modes de

transmission, parmi lesquels des situations de la vie quotidienne, pourtant non

contaminantes.

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Page 33: La gestion sociale du risque : l'exemple du sida et des

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Publications et communications liées à ce projet de recherche.

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publique (à paraître).

Vidal L., 1999, "Anthropologie d'une distance. Le si~a, de réalités multiples en discours

uniformes", Autrepart (soumis).

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spécificités des situations vécues par les personnes atteintes (Abidjan, Côte

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Afrique, Abidjan, 7-11 décembre 1997, Abstract D 151.

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