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LA GUERRE DE L’ÉTOILE LES CONTROVERSES SUR L’ANTIQUITÉ MACÉDONIENNE ENTRE LA GRÈCE ET LA RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE Tchavdar MARINOV * RÉSUMÉ Le présent article est consacré à la mobilisation identitaire du patrimoine macédonien ancien en Grèce contemporaine et dans la République (ex-yougoslave) de Macédoine. Il essaie de tracer l’évolution, depuis le XIX e s., des références à la Macédoine ancienne – et à ses figures emblématiques Philippe II et Alexandre III (Alexandre le Grand) – dans les discours nationaux grec et (slavo-)macédonien. La mise en récit de l’histoire de l’État ancien et la construction de son patrimoine à travers l’historiographie et l’archéologie en Grèce et en Macédoine (pendant et après l’époque yougoslave) sont examinées ici, en tenant compte de la multiplicité des acteurs impliqués. Une attention particulière est portée à l’instrumentalisation des références à l’Antiquité dans l’espace public en République de Macédoine aujourd’hui. Les « batailles » entre Skopje et Athènes autour de l’appartenance « ethnique » de Philippe II et d’Alexandre le Grand sont interprétées dans cet article comme les symptômes du refoulement de problèmes identitaires spécifiques, hérités de l’époque moderne. LE CONTEXTE INTERNATIONAL : LA GRÈCE FACE À L’INDÉPENDANCE DE LA RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE En septembre 1991, la république la plus méridionale de la Yougoslavie socialiste a proclamé son indépendance. Sa capitale Skopje, ville multiethnique avec un riche patrimoine culturel ottoman, est devenue centre administratif d’un État souverain. Mais la désignation constitutionnelle de celui-ci – République de Macédoine (Republika Makedonija) – a tout de suite provoqué la colère de son voisin du sud : la Grèce. Celle-ci a refusé de reconnaître un pays qui porte la désignation « Macédoine », sous quelque forme que ce soit. Selon la classe politique d’Athènes, « Skopje » aurait « usurpé » une appellation grecque qui remonte à l’Antiquité hellénique et ainsi fait partie intégrante du patrimoine grec. Un autre problème, plus immédiat que l’histoire ancienne, est l’existence d’une région en Grèce du Nord dont la capitale est Thessalonique et qui s’appelle aussi Macédoine (Makedonía) (fig. 1). C’est pourquoi la Grèce a accusé le nouvel État d’irrédentisme envers cette autre Macédoine qui, selon le point de vue grec, est la seule Macédoine légitime. Et effectivement, un certain irrédentisme transparaît dans J.-C. DAVID, S. MÜLLER CELKA, Patrimoines culturels en Méditerranée orientale : recherche scientifique et enjeux identitaires. 2 e atelier : Identités nationales et recherche archéologique (séminaire complémentaire du 24 novembre 2011), Lyon, 2011. http://www.mom.fr/2eme-atelier.html. * Membre scientifique de l’École Française d’Athènes.

LA GUERRE DE L'ÉTOILE

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LA GUERRE DE L’ÉTOILE

LES CONTROVERSES SUR L’ANTIQUITÉ MACÉDONIENNE

ENTRE LA GRÈCE ET LA RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE

Tchavdar Marinov *

Résumé

Le présent article est consacré à la mobilisation identitaire du patrimoine macédonien ancien en Grèce contemporaine et dans la République (ex-yougoslave) de Macédoine. Il essaie de tracer l’évolution, depuis le xixe s., des références à la Macédoine ancienne – et à ses figures emblématiques Philippe II et Alexandre III (Alexandre le Grand) – dans les discours nationaux grec et (slavo-)macédonien. La mise en  récit  de  l’histoire de  l’État  ancien  et  la  construction de  son patrimoine à  travers  l’historiographie et  l’archéologie  en  Grèce  et  en  Macédoine  (pendant  et  après  l’époque  yougoslave)  sont  examinées ici, en tenant compte de la multiplicité des acteurs impliqués. Une attention particulière est portée à l’instrumentalisation des références à l’Antiquité dans l’espace public en République de Macédoine aujourd’hui. Les « batailles » entre Skopje et Athènes autour de l’appartenance « ethnique » de Philippe II et d’Alexandre le Grand sont interprétées dans cet article comme les symptômes du refoulement de problèmes identitaires spécifiques, hérités de l’époque moderne.

Le conTexTe inTeRnaTionaL : La GRèce face à L’indépendance

de La RépubLique de Macédoine

en septembre 1991, la république la plus méridionale de la Yougoslavie socialiste a proclamé son indépendance. Sa capitale Skopje, ville multiethnique avec un riche patrimoine culturel ottoman, est devenue centre administratif d’un état souverain. Mais la désignation constitutionnelle de celui-ci – République de Macédoine (Republika Makedonija) – a tout de suite provoqué la colère de son voisin du sud : la Grèce. celle-ci a refusé de reconnaître un pays qui porte la désignation « Macédoine », sous quelque forme que ce soit. Selon la classe politique d’athènes, « Skopje » aurait « usurpé » une appellation grecque qui remonte à l’antiquité hellénique et ainsi fait partie intégrante du patrimoine grec.

un autre problème, plus immédiat que l’histoire ancienne, est l’existence d’une région en Grèce du nord dont la capitale est Thessalonique et qui s’appelle aussi Macédoine (Makedonía) (fig. 1). c’est pourquoi la Grèce a accusé le nouvel état d’irrédentisme envers cette autre Macédoine qui, selon le point de vue grec, est la seule Macédoine légitime. et effectivement, un certain irrédentisme transparaît dans

J.-c. david, S. Müller celka, Patrimoines culturels en Méditerranée orientale : recherche scientifique et enjeux identitaires.  2e atelier : Identités nationales et recherche archéologique (séminaire complémentaire du 24 novembre 2011),

Lyon, 2011. http://www.mom.fr/2eme-atelier.html.

* Membrescientifiquedel’ÉcoleFrançaised’Athènes.

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certaines dispositions de la république ex-yougoslave. Par exemple, un article de sa Constitution concernait initialement les minorités ethniques macédoniennes habitant dans les « pays voisins ». Les autorités d’Athènes avaient raison de supposer que ce texte impliquait des revendications concernant une partie de la population de la Grèce du Nord.

Le nom du nouvel État reste jusqu’à aujourd’hui le grand point contentieux entre les deux pays. Entre-temps, la Grèce a proposé des appellations alternatives pour son voisin du Nord. Mais malgré sa revendication de droits exclusifs sur le nom « Macédoine », une variante de compromis s’est imposée peu à peu sur le plan international : c’est l’appellation « Ancienne république yougoslave de Macédoine », en anglais Former Yugoslav Republic of Macedonia. L’acronyme FYROM est ainsi devenu le nom « correct » exigé par la Grèce, mais rejeté par l’État concerné. La reconnaissance inattendue, en 1994, de la Macédoine sous son nom constitutionnel par des pays européens importants comme la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie (et plus tard parles États-Unis) a provoqué la frustration de la Grèce qui a répondu par un blocage total de la frontière avec son nouveau voisin. En mars 1994, à Thessalonique, environ un million de personnes sont sorties dans les rues pour scander que « La Macédoine est une et elle est grecque » 1.

1. Sur les rapports tendus entre Athènes et Skopje pendant la première moitié des années 1990, voir Shea 1997.

Fig. 1 - Les frontières des différentes Macédoines : la Macédoine ancienne, la « Macédoine géographique » moderne, la région grecque de Macédoine et la République (ex-yougoslave) de Macédoine

(source : http://en.wikipedia.org/wiki/File:Macedonia_overview.svg, dernier accès : 19/06/2012).

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Mais en septembre 1995 à new York, les représentants d’athènes et de Skopje ont signé un accord temporaire de normalisation des rapports bilatéraux : la Macédoine a accepté certaines des exigences grecques. elle a abandonné, par exemple, les dispositions problématiques de sa constitution. de son côté, la Grèce s’est engagée à ne pas mettre d’obstacles à l’intégration du nouvel état au sein de l’oTan et de l’union européenne. pourtant, les négociations autour du nom du pays sont entrées ensuite dans une impasse. athènes a accusé à plusieurs reprises Skopje de ne pas vouloir faire les pas nécessaires à la résolution du problème.Skopje,quantàelle,arefuséquelquemodificationquecesoitdesonnomconstitutionnel.Onenest arrivé ainsi à la situation d’avril 2008, où athènes a bloqué l’invitation de Skopje à l’oTan pendant la rencontre au sommet de bucarest. Skopje a répondu par une plainte contre la Grèce à la cour internationale de justice à La Haye : l’état macédonien estimait que son voisin avait violé l’accord de new York. en décembre2011, laCouraacceptécette interprétationenconfirmantquelaGrèce,entre-tempsdéchiréepar la crise de sa dette publique, n’a pas respecté la formule de 1995. cette décision n’a pas contribué à la solution des problèmes entre les deux états, problèmes qui se sont largement aggravés depuis 2008.

L’enJeu du paTRiMoine Macédonien anTique : « L’éToiLe de VeRGina »

coMMe SYMboLe idenTiTaiRe

Parmilesobjetsprincipauxdespolémiques,figurelepatrimoinemacédonienancien,quijouedansce contexte le rôle de capital culturel d’importance primaire. Le nom même Macédoine est étroitement lié à l’antiquité hellénique – comme le souligne régulièrement la Grèce. Mais il s’agit aussi d’un symbole concret. en 1992, la République de Macédoine, nouvellement proclamée, a adopté un drapeau national

sur lequel figurait «l’Étoile (oule Soleil) de Vergina », rem-plaçant l’étoile communiste àcinqbranchesquifigurait sur ledrapeau macédonien de l’époque yougoslave. La nouvelle étoile est à seize rayons et elle apparaît sur une larnax en or trouvé en 1977 par l’archéologue grec Manolis andronikos (1919-1992) (fig. 2). c’est à Vergina, dans la région grecque de Macédoine, que ce dernier a découvert la tombe supposée du célèbre roi macédonien philippe ii : la larnax faisait partie de son inventaire 2. à cette époque, on n’imaginait certainement pas les controverses politiques que la grande découverte du profes-seur de l’université aristote de Thessalonique allait provoquer.

Le drapeau avec « l’étoile de Vergina » utilisé par Skopje a immédiatement déclenché l’indignation d’athènes. des hommes politiques etdesscientifiquesontalertélepublicgreccontrecette«appropriationdupatrimoinehelléniqueancien».

2. pour une analyse ethnographique de la découverte faite par andronikos, voir « The archaeologist as Shaman : the Sensory national archaeology of Manolis andronikos », chap. 4, in Hamilakis 2007, p. 125-167.

Fig. 2 - La larnax.de la tombe de Philippe II (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Image_larnax_of_philip.jpg, 

dernier accès : 19/06/2012).

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Evangelos Kofos, historien et conseiller au Ministère des Affaires étrangères à Athènes, a illustré la situation de la manière suivante : « C’est comme si un voleur avait pénétré dans ma maison et avait pris mes bijoux précieux – mon histoire, ma culture, mon identité » (Danforth 1995, p. 35). Outre le « cambriolage » de patrimoine culturel, le choix de ce symbole par la république ex‑yougoslave pouvait signifier qu’elle avait des prétentions territoriales, dans la mesure où Vergina (dont le site est identifié avec la capitale macédonienne ancienne Aigai) et les autres centres du royaume macédonien (Pella, Dion) se trouvent sur le territoire de la Grèce actuelle.

À la suite de l’accord temporaire de 1995, la République de Macédoine a de nouveau changé de drapeau : « l’Étoile de Vergina » a été remplacée par un soleil stylisé à huit rayons (fig. 3). Cependant, le drapeau précédent n’a jamais été complètement abandonné. Il a été fréquemment brandi par certains milieux nationalistes macédoniens, à l’intérieur et en dehors de la république ex-yougoslave. Depuis le veto grec contre l’intégration de celle-ci à l’OTAN, « l’Étoile de Vergina » a réapparu un peu partout dans le paysage public de la Macédoine ex-yougoslave, bien que d’une façon informelle : on la retrouve sur des drapeaux, des souvenirs touristiques et même sur des façades de bâtiments (fig. 4).

Malgré cette obstination, du point de vue grec, la nation slavophone de la république ex-yougoslave ne peut pas avoir, par définition, de liens historiques avec les anciens Macédoniens, sans quoi leur langue et leur culture auraient été helléniques. L’irrédentisme de Skopje serait du même coup absurde car, non seulement sur le plan historique mais aujourd’hui aussi, selon les Grecs la Macédoine est grecque : ils affirment que sa population est grecque et que son territoire appartient en tout cas à l’État hellénique. Le territoire de la république ex-yougoslave correspondrait plutôt à la Péonie ancienne, tout en comprenant des parties de la Dardanie et de l’Illyrie 3.

Les acteurs nationalistes de la République de Macédoine disposent, bien entendu, de leur propre argumentaire. D’après celui-ci, les anciens Macédoniens n’étaient pas grecs sur le plan « ethnique » car leur langue et leur culture étaient différentes de celles des Grecs. Pour le démontrer, ils citent souvent les auteurs anciens qui, comme Démosthène, stigmatisaient les Macédoniens comme Barbares ou bien faisaient référence, comme Quinte-Curce dans son  Histoire  d’Alexandre  le Grand, à l’existence d’une langue macédonienne distincte. Des publications historiques et archéologiques contemporaines qui remettent en cause l’identité hellénique des anciens Macédoniens – surtout celles d’Eugene Borza (par exemple, Borza 1990) – sont particulièrement utilisées. Selon le discours national(iste) macédonien, les Macédoniens contemporains seraient les descendants des anciens Macédoniens, bien que, du point de vue linguistique, ils soient slavophones. D’après l’interprétation historique qu’on peut considérer comme dominante aujourd’hui encore, les anciens Macédoniens auraient été assimilés par les Slaves qui se sont installés dans les Balkans au vi

e-viie s. ap. J.-C. (cf. Ristovski 1999, p. 13).

3. Pour une présentation plus élaborée du point de vue grec, avec une discussion conceptuelle des catégories identitaires dans l’Antiquité : Hatzopoulos 2010. Sur la question compliquée de la nature de la langue macédonienne ancienne : idem, « The Speech of the Ancient Macedonians, in the Light of Recent Epigraphic Discoveries », accessible sur http://macedonia-evidence.org/macedonian-tongue.html (dernier accès : 19/06/2012).

Fig. 3 - Les drapeaux de la République de Macédoine (de gauche à droite): drapeau de la période yougoslave ; le drapeau avec « l’Étoile de Vergina » ; drapeau actuel 

(source : http://en.wikipedia.org/wiki/Flag_of_the_Republic_of_Macedonia, dernier accès : 19/06/2012).

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Les académiciens de Skopje ne manquent jamais de relever également la présence historique d’une population slavophone sur le territoire qui correspond à présent à la Grèce du nord. en réalité, jusqu’à

la fin de l’époque ottomane(c’est-à-dire avant les Guerres balkaniques de 1912-1913), les Slaves constituaient la population majoritaire d’une bonne partie des districts actuels de la Macédoine grecque. L’intellectuel nationaliste macédonien le plus important du début du xx

e s., Krste Misirkov (1874-1926), est natif d’un village qui s’appelait postol à l’époque et pella aujourd’hui. Les ruines de la capitale macédonienne antique, généreusement montrées aux touristes étrangers par des tour-opérateurs grecs, se trouvent aux marges d’un village qui était complètement slavophone il y a un siècle.

Fig. 4 - Ohrid, République de Macédoine (juillet 2011, photos de l’auteur).

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La Macédoine ancienne dans Le discours nationaL grec,

XiXe-XXe siècLes

en fait, dans les deux cas – le grec aussi bien que le macédonien slave – la référence identitaire à la Macédoine ancienne n’est pas si ancienne que cela. Pendant ses premiers pas, le nationalisme grec moderne n’avait pas d’attitude claire sur les mérites historiques des anciens Macédoniens et de leurs rois Philippe ii et alexandre le grand. entre les années 1790 et 1840, quatorze illustres intellectuels grecs, y compris

adamantios Koraïs (1748-1833), le plus célèbre érudit des Lumières grecques, étaient d’avis que les Macédoniens étaient les conquérants de la grèce ancienne et qu’ils étaient des envahisseurs barbares (roudometof 2001, p. 102). Le rejet n’était cependant pas total : rigas Vélestinlis (ou Féréos, 1757-1798), célèbre précurseur de la révolution grecque et auteur du premier projet de « république Hellénique » balkano-anatolienne, était un admirateur avoué d’alexandre : il a même fait imprimer une gravure avec son portrait. Enfin, c’est l’autorité du père de l’historio-graphie grecque moderne, constantin Paparrigopoulos (1815-1891) – auteur de l’Histoire de la Nation hellène en plusieurs volumes – qui, dès les années 1850, a inclus alexandre et les anciens Macédoniens dans le récit patriotique (Hamilakis 2007, p. 117). désormais, ces derniers étaient censés compléter la longue continuité historique du peuple grec. ils sont devenus symboles de l’unité nationale grecque : on accepte l’idée que

Fig. 5 - Vergina (avril 2011) : drapeau avec « l’Étoile de

Vergina » sur arrière-plan bleu, représentant l’appartenance hellénique de la Macédoine ;

boutique de souvenirs (photos de l’auteur).

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PhilippeIIn’auraitpasconquismais«unifié»lesdifférentespoleis helléniques. ainsi, les Macédoniens ont été transformés en épitomé de la gloire grecque : au lieu d’être des « barbares », ce sont eux qui auraient diffusé la civilisation hellénique dans le monde barbare.

on peut facilement imaginer les enjeux politiques qui sous-tendent cette ré-interprétation. circonscrit d’abord autour d’athènes, la ville exaltée par le culte occidental de l’antiquité classique, vers le milieu du xix

e s., le petit royaume grec développe un vaste projet irrédentiste connu comme la « Grande idée » (Megali Idea).Dansceprojet,laMacédoinedétientlaposition-clef:sanselle,l’unificationdesterritoirespeuplés par les Grecs serait impossible. dès les années 1880, la même région est pourtant convoitée par l’irrédentismebulgare:Sofiaconsidèrequelanombreusepopulationslavophonemacédonienneest,surleplan ethno-linguistique, bulgare.

dans ce contexte, l’image de la Macédoine ancienne, avec philippe ii et alexandre le Grand, est instrumentalisée par la Grèce pour démontrer le caractère hellénique de la région. en 1896, Margaritis dimitsas (1829-1903), natif de la ville d’ohrid (aujourd’hui en République de Macédoine), publie sa grande description de monuments épigraphiques et artistiques intitulée La Macédoine en pierres parlantes, censée prouver la continuité historique et la domination de la culture grecque en Macédoine depuis l’antiquité (dimitsas 1896). La lutte propagandiste autour de l’histoire de la Macédoine prend, entre 1904 et 1908, le caractère d’une campagne armée, connue comme la « Lutte macédonienne » (Makedonikos Agonas) : bien qu’elle se déroule sur un territoire toujours ottoman, la lutte est dirigée principalement contre les nationalistes (macédo-)bulgares de la région (cf. dakin 1966).

La seconde « Lutte macédonienne » de la Grèce, heureusement sans recours aux armes, commence huit décennies plus tard. cette fois-ci, l’adversaire est le nationalisme macédonien. c’est le moment d’une activation politique de la grande diaspora macédonienne slave résidant en amérique du nord et en australie et des premières revendications de droits de minorité ethnique pour les habitants de la région grecque de Macédoine (danforth 1995, p. 79-141). L’existence de tensions est évidente en 1983 lorsque des académiciens grecs publient le volume impressionnant La Macédoine :  4000  ans  d’histoire  et  de culture hellénique (Sakellariou 1983). ce n’est sans doute pas un hasard si, en 1988, le Ministère de Grèce du nord a été renommé Ministère de Macédoine et de Thrace (Ypourgeio Makedonias-Thrakis). dans ce contexte, les découvertes de Manolis andronikos à Vergina ont été particulièrement investies de symbolisme identitaire (fig. 5).

Le déVeLoppeMenT de L’aRcHéoLoGie GRecque en Macédoine

L’archéologie joue certes un rôle central dans la construction de l’image d’une Macédoine hellénique depuis la nuit des temps. Mais à quelques exceptions près, avant les années 1970, la Macédoine grecque n’a bénéficiéd’aucunprojetarchéologiquecomparableàceuxdelamoitiéméridionaledelaGrèce(Kotsakis1998). Les missions archéologiques étrangères, actives en Grèce depuis le xix

e s., regardaient la Macédoine, d’après Kostas Kotsakis, avec une relative indifférence : le modèle philologique de l’archéologie ainsi que son alliance étroite avec l’histoire de l’art ont mis les grands sites de Grèce centrale et méridionale au centre des préoccupations des spécialistes.

Tout cela ne veut pas dire que les archéologues, qu’ils soient grecs ou occidentaux, n’ont pas entrepris de missions en Macédoine. Le membre de l’École Française d’Athènes Léon Heuzey (1831-1922) aeffectué en 1861 les premières fouilles dans le site de Vergina. Heuzey a travaillé également à philippes et à dion 4. Très tôt après l’incorporation de la plus grande partie de la Macédoine géographique dans l’état grec, celui-ci crée le Service archéologique de Macédoine. une série de fouilles ont alors été initiées,

4. Les résultats des recherches entreprises par Heuzey et par l’architecte Honoré daumet sont présentés dans leur Mission archéologique de Macédoine (daumet, Heuzey 1876). en fait, la Vergina moderne n’a été fondée qu’en 1926 à partir des villages de Koutles et de barbes, propriété foncière du bey de palatitsa.

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par exemple, celles de Vergina dirigées par Konstantinos Romaios (1874-1966) ou bien celles de Dion, commencées en 1928 par Georgios Sotiriadis (1852-1942), recteur de l’Université de Thessalonique.

Mais en fait, comme le montre Kotsakis, pendant une longue période la Macédoine est restée associée, à travers les recherches archéologiques, au Moyen Âge byzantin plutôt qu’à l’Antiquité hellénique. Le grand patrimoine tardo-antique et médiéval de Thessalonique, capitale géographique de la région mais aussi ancienne résidence de l’empereur Galère et symprotevousa (« co-capitale ») de l’Empire byzantin, a attiré dès le début l’intérêt des spécialistes. Des archéologues et des historiens de l’art, comme les membres de l’École Française d’Athènes Gabriel Millet (1867-1952) et Paul Perdrizet (1870-1938), ont travaillé en Macédoine. À part Thessalonique, ils ont étudié le patrimoine byzantin de villes comme Meleniko (aujourd’hui Melnik, dans la petite partie de la région annexée par la Bulgarie en 1913) ou bien Serres et Kastoria, en Macédoine grecque actuelle. Ainsi, tandis qu’Athènes incarnait l’Antiquité classique, la Macédoine et Thessalonique étaient liées à la grandeur byzantine, elle aussi réhabilitée et incluse dans le récit historique grec par le grand historien national Paparrigopoulos.

Pourtant, on peut observer aujourd’hui l’imaginaire d’une Macédoine largement plus antique que médiévale. D’après les statistiques de Kostas Kotsakis, la plupart des publications grecques contemporaines, aussi bien spécialisées que destinées à un public plus large (comme le volume La Macédoine : 4000 ans d’histoire et de culture hellénique), consacrent à la période antique plus d’attention qu’à l’époque byzantine. Depuis la découverte spectaculaire de Manolis Andronikos en 1977, la Macédoine grecque a été pratiquement colonisée par les antiquisants. Vergina a mis l’archéologie au centre de l’intérêt public en Grèce, tout en déplaçant le centre des recherches archéologiques, financées par l’État, vers le Nord. Cette évolution est certainement dictée aussi par le besoin de consolider la cause nationale contre les « falsifications » de l’histoire hellénique provenant du Nord slave.

La rÉfÉreNCe à La MaCÉdoiNe aNCieNNe daNs Le NatioNaLisMe

sLavo-MaCÉdoNieN, xixe-xxe sièCLes

En effet, l’argumentaire historique macédonien slave est, à bien des égards, vulnérable, et pas seulement dans le domaine de l’histoire ancienne. Au xix

e et au début du xxe s., la population slavophone de la

Macédoine ottomane n’avait pas encore, comme aujourd’hui, l’identité nationale macédonienne. L’identité macédonienne existait certainement mais plutôt sous forme d’un « patriotisme local » 5 qui présentait des affinités électives avec trois nationalismes balkaniques présents dans la région : grec, bulgare et serbe. à la veille du xx

e s., les Slaves macédoniens se disaient souvent « Bulgares », fait constamment souligné par les historiens de sofia. Une autre partie de cette population, surtout dans les zones méridionales – les mêmes qui constituent aujourd’hui la région grecque de Macédoine – était hellénophile : plusieurs partisans locaux du nationalisme grec ne parlaient en réalité que slave. Dans certains petits districts du nord-ouest de ce qui est aujourd’hui la République de Macédoine, les Slaves locaux se considéraient aussi comme « Serbes » 6.

Toutefois, l’identité macédonienne s’émancipe progressivement. L’ironie veut qu’elle constitue, dans un premier temps, un produit de la scolarisation grecque des slaves : en fait, les écoles grecques étaient les plus nombreux et les mieux organisées de Macédoine ottomane. C’est grâce à cette éducation et cette propagande nationale que les Slaves macédoniens ont fait connaissance avec les exploits des anciens rois Philippe et alexandre. vers la fin de l’époque ottomane, des propagandistes grecs ont même publié des proclamations et des brochures en langue slave macédonienne, mais avec des caractères grecs, qui relataient l’histoire antique de la Macédoine (Voss 2003). Le but était de convaincre les Slaves locaux qu’ils étaient descendants des anciens Macédoniens – c’est-à-dire des Grecs, et non des Bulgares. et, effectivement, dès

�. expression d’un fin connaisseur britannique de la région (Brailsford 1906, p. 10�, 121-122).

6. Les luttes bulgaro-gréco-serbes en Macédoine ottomane sont bien présentées et analysées chez Aarbakke 2003.

la guerre de l’étoile  �

les années 1860-1870, les Slaves commencent à s’approprier philippe ii et alexandre le Grand comme emblèmesdefiertélocale.

dans un premier temps, cette appropriation ne génère pas forcément une identité nationale distincte. par exemple, l’enseignant dimitar Makedonski (1848-1898), né à embore (aujourd’hui emborio Kozanis enGrèce),affirmaitqueles«Bulgaresmacédoniens»étaientlesdescendantsdesanciensMacédoniens. Le folkloriste dimitrija Miladinov (1870-1962) – lui aussi d’identité nationale bulgare – a essayé de convaincre un instituteur grec que non seulement philippe, alexandre et les anciens Macédoniens étaient Slaves mais aussi Homère, démosthène et Strabon (cf. Ristovski 1989, p. 219). cependant, dans les années 1870, on assiste déjà aux premières manifestations d’un nationalisme slave macédonien individualisé. par exemple, le lexicographe et historien autodidacte Gjorgji pulevski (1817-1893) pensait que philippe et alexandre étaient Slaves et du même coup rejetait l’identité bulgare des Macédoniens.

Enfin, apparaissent aussi des nationalistes macédoniens qui ne montrent pas d’intérêt particulierpour les anciens Macédoniens : curieusement, c’est le cas de Krste Misirkov, mentionné plus haut, malgré la proximité de son village natal avec l’ancienne Pella. Il faut en tout cas préciser que, jusqu’à la finde l’époque ottomane, le nationalisme macédonien reste une idéologie marginale. on ne peut pas parler nonplusd’unerechercheprofessionnelleoud’unetraditionscientifiquemacédoniennedistinctesdansledomaine de l’histoire ancienne. Les premiers archéologues de Macédoine, par exemple l’épigraphiste grec dimitsas et l’archéologue bulgare Georgi balasčev (1869-1936), tous les deux natifs de la ville d’ohrid, n’avaient pas d’identité nationale macédonienne.

en revanche, après la première Guerre mondiale, le nationalisme macédonien se développe très visiblement. Dans le contexte spécifique de laMacédoine de l’Entre-deux-guerres, divisée entre troisétats balkaniques (la Grèce, la Yougoslavie et la bulgarie), les jeunes générations slaves développent une identité macédonienne exempte des sympathies pro-bulgares de l’époque précédente. Le processus est particulièrement important dans la zone qui appartenait à la Yougoslavie royale. cependant, on constate que la référence identitaire à la Macédoine antique disparaît presque complètement pendant cette période. La nouvelle génération de nationalistes macédoniens puise ses références historiques dans l’époque slave médiévale et dans les luttes révolutionnaires de l’époque ottomane. c’est cette génération qui s’oppose à l’occupation bulgare de la Macédoine pendant la Seconde Guerre mondiale et, en 1944, établit la République macédonienne au sein de la Yougoslavie fédérative socialiste. L’histoire et l’archéologie macédoniennes ne font leurs premiers pas que dans le contexte politique et culturel de la nouvelle Macédoine yougoslave.

L’aRcHéoLoGie eT La paTRiMoniaLiSaTion deS SiTeS aRcHéoLoGiqueS

en RépubLique YouGoSLaVe de Macédoine

L’archéologie macédonienne est donc nettement plus jeune que celle de Grèce : on peut même douter qu’elles soient comparables en tant que traditions scientifiques. Les spécialistes macédoniens, surtout les premiers, ont fait leurs études le plus souvent à belgrade et ils travaillent en coopération étroite avec leurs collègues yougoslaves ; en fait, certains des archéologues les plus importants (boško babić, ivan Mikulčić etc.) sont venus d’autres républiques yougoslaves. en Macédoine, les études et les recherches archéologiques sont concentrées au sein de l’institut d’histoire de l’art et d’archéologie de la faculté de philosophie de l’université de Skopje. cet institut, d’abord nommé Groupe d’histoire de l’art et d’archéologie, n’est fondé qu’en 1973-1974. L’association archéologique macédonienne est créée en 1972. des activités archéologiques sont également menées par les différents instituts de protection des monuments culturels, dont l’institut central se trouve bien entendu à Skopje.

Lesantiquisantslocauxontconsacrédenombreuxtravauxauxsiteslesplussignificatifsduterritoirede la petite république, comme Stobi dans la vallée du Vardar, Scoupi près de Skopje, Heraclea Lyncestis à côté de la ville de bitola ou Lychnidos à ohrid et Trebeništa qui se trouve à proximité 7. ces sites avaient

7. pour une bibliographie de l’archéologie macédonienne entre 1945 et 2000 – voir Miladinovska 2001.

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été étudiés avant la création de l’état macédonien yougoslave déjà, par des archéologues serbes et bulgares, mais ils ne seront patrimonialisés que pendant l’époque communiste.

notons tout de même qu’on ne peut pas parler d’une « industrie identitaire » autour de ces sites. Même ceux qui sont liés à l’histoire de la Macédoine antique de manière certaine – comme Heraclea Lyncestis, ville fondée par Philippe II– n’ont jamais bénéficiéd’un intérêt plus intense que celui de publications spécialisées et de visites sporadiques de touristes, très souvent étrangers. en Macédoine yougoslave et post-yougoslave, la principale destination touristique, qui a presque balayé les autres, reste la ville d’ohrid, avec son riche patrimoine de l’époque byzantine et ottomane. Jusqu’à présent, peu d’objets issus de sites antiques sont entrés dans l’imaginaire collectif et ont été popularisés comme symboles de la culture du pays. il y en a toutefois des exemples, comme la statuette de la « Ménade de Tetovo » (vi

e s. av. J.-c.) ou le masque en or de Trebeništa (vi

e-ves. av. J-C.), qui figurent depuis 1996 sur les

billets de banque de la nouvelle monnaie macédonienne, le denar (fig. 6).

du point de vue historiographique, au cours de la période communiste yougoslave, les historiens macédoniens n’ont manifesté qu’un intérêt minime pour la Macédoine de philippe et d’alexandre. on trouve très peu de publications,

avant la fin des années 1980, qui portent une attention particulière aux Macédoniens antiques. Cesderniers sont certainement présents dans le récit général, mais pour les historiens académiques, les Macédoniens actuels sont un peuple slave et leurs premières manifestations politiques propres

Fig. 6 - Billets de banque macédoniens avec la « ménade de tetovo » et le masque de trebeništa (source : http://www.nbrm.mk/default.asp?itemid=5ecd92b2ae5a054bbf800b994cca68e5,

dernier accès : 19/06/2012).

la guerre de l’étoile  11

ne remontent qu’à l’époque médiévale. L’appellation ethnique « Macédoniens » provient, d’après l’historiographie de l’époque communiste, de la désignation traditionnelle de la région. en général, les chercheurs macédoniens de cette époque étaient beaucoup plus occupés à contrecarrer les attaques de l’historiographiebulgare,quileurrappelaitsanscessequebiendesfiguresdel’histoiredelaMacédoine – du Moyen Âge aux luttes révolutionnaires du début du xx

e s. – étaient désignées ou se considéraient commedes«Bulgares».DanslecontextedesbatailleshistoriographiquesentreSkopjeetSofia,laquestionde la Macédoine antique restait négligée 8.

Le déVeLoppeMenT du « MacédoniSMe anTique » à La VeiLLe eT apRèS

L’indépendance de La RépubLique de Macédoine

Verslafindesannées1980,cettesituationchange.Commencentlespremières«modifications»durécit national. elles sont lancées, en réalité, par la grande diaspora macédonienne résidant en australie, au canada et aux états-unis. philippe ii et alexandre le Grand semblent être les personnages qui avivent le pluslafierténationaledesémigrés.DanslapressemacédoniennepubliéeàToronto,Détroit,Melbourneou Sydney, des amateurs para-historiens entrent avec aplomb dans le passé antique. ils s’attaquent en particulier aux « stéréotypes » yougoslaves qui réduisent les « descendants » d’alexandre le Grand à des Slaves « quelconques ». Le drapeau orné de « l’étoile de Vergina » a été lancé notamment par la diaspora d’australie (brown 2000, danforth 1995, p. 142-184) (fig. 7).

8. Sur l’historiographie macédonienne de l’époque communiste yougoslave, voir Troebst 1983.

Fig. 7 - Manifestation de la diaspora macédonienne à Sydney (mai 1993) (source : http://www.antickimakedonci.com.mk/sliki.html, dernier accès : 19/06/2012).

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L’explication de ce phénomène est certainement complexe. d’un côté, philippe et alexandre fournissent un bon « label » dans la société d’accueil : ce sont des personnages historiques célèbres dans le monde entier, à la différence des héros historiques slaves. d’un autre côté, les émigrés macédoniens slavophones sont souvent natifs de la Macédoine grecque et ils ont initialement été éduqués et socialisés dansdesmilieuxgrecs.Grâceauxinformationsqu’ilsavaientsurlecontextegrec,ilsconnaissaientparexemple les découvertes de Vergina et leur utilisation en Grèce comme symboles de la Macédoine antique. on peut donc parler, dans ce cas aussi, d’une sorte de ré-appropriation du récit hellénique dans le but de construire une identité à part.

La référence identitaire à la Macédoine antique trouve un terrain propice au moment de la décomposition de la fédération yougoslave gouvernée par belgrade. à la suite de la proclamation de l’indépendance de la République de Macédoine, la mise en cause de l’ancien establishment politique – et académique – va de pair avec celle de l’ancien récit historique. à Skopje, les Macédoniens antiques envahissent la presse, les éditions populaires, mais aussi le discours de certains politiques. La Macédoine antique apparaît comme un symbole capable de mobiliser le soutien populaire nécessaire à un état dépourvu de sa légitimité préalable,commecellequ’avaitlagrandeYougoslaviedeJosipBrozTito,oùsixpeuplesslavesprofitaientd’une prospérité économique relative tout en tissant de nombreux contacts et une culture populaire commune. La référence à la « grandeur » de philippe et d’alexandre permet aussi de construire une identité exempte de références aux « frères » slaves dont certains nourrissent des aspirations pour le territoire de la république ex-yougoslave. c’est pourquoi le slogan du journal nationaliste Makedonsko sonce (« Le Soleil macédonien ») stipule que « seuls ceux qui se considèrent comme les descendants directs de philippe et d’alexandre, dans une continuité historique ininterrompue, resteront immunisés contre les propagandes assimilationnistes des états voisins et ne trahiront jamais la race macédonienne » 9.

Être «Slave» signifie de plus en plus être «Yougoslave» et certainement «pro-communiste».ainsi, dès le début des années 1990, l’imaginaire antique s’entrelace avec un positionnement politique anticommuniste et anti-yougoslave caractérisant en particulier le parti politique VMRo-dpMne. en revanche, Kiro Gligorov (1917-2012), premier président de la nouvelle république et membre de l’ancienne nomenklatura yougoslave, accrédite la thèse selon laquelle les Macédoniens actuels sont d’origine purement slave, sans rapports avec les Macédoniens antiques. aujourd’hui encore, beaucoup de gens liés à l’ancienrégimepolitiquegardentuneattitudeméfianteetmêmeironiqueparrapportàl’idéedes«originesantiques » de leur nation. pourtant, dans le contexte de la désintégration de la Yougoslavie et en l’absence d’unrécitconcurrentielpuissant,lavoguedesanciensMacédonienss’affirmecommepartieintégrantedelavulgatehistoriographique–maisaussidel’historiographieofficielle.

Résultat : l’Histoire du peuple macédonien, publiée en 1969 par l’institut d’histoire nationale à Skopje, consacre 20 pages seulement à la Macédoine antique, mais 200 pages dans la nouvelle édition de l’année 2000 (cf. panov 2000). dans cette dernière, on considère que l’époque antique a été sérieusement « sous-estimée » par rapport au Moyen Âge slave. dès les années 1990, plusieurs ouvrages académiques sur l’antiquité voient le jour, par exemple, les Études sur les Anciens Macédoniens de l’historienne nade Proeva(Proeva1997)oulestravauxdel’archéologued’OhridPaskoKuzman.Celui-cis’affirme,aufildutemps, comme l’archéologue numéro 1 de la république.

en réalité, comme en bien d’autres pays de l’europe de l’est, la poussée nationaliste de l’époque post-communiste entraîne en Macédoine l’effacement des frontières entre la « haute » historiographie et l’activité d’entrepreneurs patriotiques en tout genre. ce processus s’est singulièrement aggravé depuis 2006 avec l’arrivée au pouvoir du parti VMRo-dpMne mené par le premier ministre actuel nikola Gruevski.

9. cité par drezov 1999, p. 47.

la guerre de l’étoile 13

« L’antiquisation » de L’identité macédonienne aujourd’hui

À la fin de l’année 2006, le gouvernement de Nikola Gruevski donne à l’Aéroport de Skopje le nom d’Alexandre le Grand et assigne plus tard la même appellation à l’autoroute principale de la république. En mars 2007, on installe devant le bâtiment même du Conseil des ministres à Skopje des statues antiques, qui donnent à l’édifice à peu près l’apparence d’un musée archéologique. En février 2009, le stade de Skopje est nommé « Arène Philippe II ». Plusieurs rues changent de nom et le choix des nouvelles désignations est révélateur : en juin 2012, on annonce par exemple que la Rue Lénine dans la capitale portera désormais le nom d’Amyntas III, père de Philippe II de Macédoine. Entre-temps, la place centrale de la ville de Bitola reçoit un monument à Philippe II, tandis que d’autres villes comme Prilep et Štip hébergent des monuments à Alexandre le Grand. En juin 2011, une statue colossale d’Alexandre est dressée sur la place centrale de la capitale, Skopje, et elle est suivie en mai 2012 par une autre qui représente, bien entendu, Philippe II (fig. 8).

Enfin, ces statues font partie d’un projet ambitieux de reconstruction du centre de Skopje qui est en passe de modifier à jamais le paysage urbain. Intitulé « Skopje 2014 », le projet est dans une large mesure déjà réalisé. Il comprend la construction d’une série de monuments en marbre et en bronze représentant des figures de l’histoire nationale macédonienne ainsi que des fontaines, un arc de triomphe et des bâtiments administratifs d’un style néo-classicisant largement éclectique. À cette occasion, l’architecte Vangel Božinovski a expliqué que le baroque incarnait un style national macédonien : la place Saint-Pierre à Rome aurait eu pour modèle le forum ovale de la ville jordanienne de Jerash, construit par des architectes macédoniens 10.

10. « Barokot ne e tugj za Skopje [Le baroque n’est pas étranger à Skopje] », Dnevnik, 7 juin 2010, http://www.dnevnik.com.mk/?ItemID=2801524FCC95874B990A8C431D0AFDC6 (dernier accès : 19/06/2012).

Fig. 8 - Alexandre à Skopje et Philippe à Bitola (juillet 2011, photos de l’auteur).

1�  t. marinov

Danscecas,ils’agitd’unepolitiqueidentitaireofficielle,lancéeetfinancéeparlegouvernement.Ellea été désignée comme antikvizacija (« antiquisation ») par ses adversaires à l’intérieur de la République de Macédoine : pour ceux-ci, l’administration de Gruevski est en train d’effectuer un « engineering » identitaire anachronique (cf. Vangeli 2011). L’antiquisation a pris un tour burlesque en juillet 2008, lorsque le premier ministre et d’autres représentants de l’état et de l’église orthodoxe macédonienne ont solennellement accueilli le prince Ghazanfar ali Khan, chef de la tribu pakistanaise de Hunza, aussi appelée bourouchos, qui prétend tirer son origine des soldats d’alexandre le Grand. en outre, le linguiste macédonien de Sydney ilija Čašule a découvert un lien entre sa langue – le bourouchaski – et le macédonien : il a établi des parallèles entre le bourouchaski et le phrygien, cette dernière langue étant considérée comme une émanation de la langue des bryges, première population de la Macédoine d’après Hérodote (Čašule 2004). Le linguiste considère également que le macédonien contemporain a préservé plusieurs mots bryges. ainsi, en 2008, les hommes politiques de la VMRo-dpMne étaient heureux d’accueillir des « cousins » dont ils auraient été séparés pendant deux mille trois cents ans. il faut cependant rappeler que des Grecs enthousiastes avaient déjà découvert une autre communauté pakistanaise – les Kalash – qui se considèrent aussi comme les héritiers d’alexandre (neofotistos 2011) 11.

La différence entre science et pseudo-science n’est nullement évidente dans la quête d’une continuité historique depuis les temps anciens. en 2006, deux professeurs ingénieurs, dont l’un est membre de l’académie macédonienne des sciences et des arts, ont déclaré qu’ils avaient déchiffré l’inscription centrale sur la pierre de Rosette et qu’elle était rédigée en macédonien. ils prétendaient y avoir reconnu des mots et des expressions de la langue macédonienne actuelle. il est bien sûr question du texte qui est en réalité rédigé en langue égyptienne et en écriture démotique. Même si des linguistes comme l’académicien petar ilievski ont tout de suite attaqué la « découverte » et ont démontré son caractère charlatanesque (ilievski 2008), unebonnepartiedugrandpublicmacédonienagardél’impressionquelaPierredeRosetteconfirmaitsonorigine antique.

L’archéologie macédonienne a été particulièrement instrumentalisée pour la démonstration de cette origine. Dans ce domaine, la figure la plus populaire reste celle de PaskoKuzman, ami personnel dupremier ministre et concepteur d’une bonne partie des innovations de l’antiquisation. en novembre 2011, Kuzman a même déclaré qu’il avait localisé la tombe d’alexandre le Grand, qu’elle se trouvait bien sur le territoire de la République de Macédoine, mais qu’il ne voulait pas y lancer des fouilles, notamment pour éviter une guerre avec la Grèce 12. cependant, l’époque de philippe et d’alexandre n’est pas le seul objet de spéculations : les acteurs de l’antiquisation recherchent le point de départ de la continuité historique de leur nation encore plus loin dans le passé.

près de sa ville natale, pasko Kuzman a fait reconstruire, sur le modèle des cités lacustres de l’arc alpin, tout un village néolithique qui a été solennellement inauguré par le premier ministre macédonien àlafinde2008(fig. 9). à part attirer les touristes, le village préhistorique est censé attester les racines profondesde lacivilisationmacédonienne:Kuzmanl’a identifiécommeunelocalitébryge13. en 2007 déjà, le musée de la ville de bitola abritait une exposition sur l’époque néolithique « macédonienne » et ses concepteurs voulaient démontrer, en particulier, que les désignations « Macédoine » et « Macédoniens » avaient été utilisées dès l’époque néolithique 14.

11. en 2003, la télévision publique grecque eRT a consacré aux Kalash un documentaire accessible sur http://www.ert-archives.gr/V3/public/main/page-assetview.aspx?tid=0000068695&tsz=0&autostart=0 (dernier accès : 19/06/2012).

12. « pronajden grobot na aleksandar Makedonski? [Le tombeau d’alexandre le Macédonien est-il découvert ?] », Kurir, 10 novembre 2011, http://www.kurir.mk/makedonija/vesti/49133-pronajden-grobot-na-aleksandar-Makedonski (dernier accès : 19/06/2012).

13. « ohrigjani patuvaat niz vremeto [Les citadins d’ohrid voyagent dans le temps] », Ohridnews.com, 8 décembre 2008, http://ohridnews.com/index.php?mod=1&id=9066 (dernier accès : 19/06/2012).

14. Voir la réaction du philosophe Žarko Trajanoski : « Veruvale ili ne: Makedonski neolit [que vous le croyiez ou non : néolithique macédonien] », Zombifikacija, 12 septembre 2007, http://jasnesumjas.blogspot.gr/2007/09/blog-post_11.html (dernier accès : 19/06/2012). L’époque néolithique risque pourtant d’être trop tardive pour servir d’origine à l’identité macédonienne. en effet, le charlatanisme a pris l’aspect d’un racisme choquant avec la vidéo intitulée «Prièremacédonienne»,diffuséeàlafinde2008parlapremièrechaînedelatélévisionpubliquemacédonienne,dans

la guerre de l’étoile  1�

pouRquoi ceTTe obSeSSion de La Macédoine anTique ? LeS TRauMaS

du paSSé RécenT

Le blocage par la Grèce de l’intégration « atlantique » et européenne de la république ex-yougoslave ne fait visiblement que renforcer les mythes identitaires de celle-ci. en même temps, la simple évocation de la République de Macédoine provoque en Grèce des réactions souvent inexplicables pour les observateurs internationaux. dans les deux pays, on assiste à une focalisation populiste sur le passé ancien dont les formes sont tantôt anecdotiques, tantôt monstrueuses. Reste néanmoins la question « pourquoi ? ». quelle est la raison de cette obsession pour la Macédoine de philippe et d’alexandre ?

dans le cas grec, il s’agit sans doute de l’aboutissement de certaines frustrations historiques actualisées par les crises politiques du moment. ces frustrations sont dues au fait que la Macédoine moderne n’est pas aussi grecque que celle des anciens rois. il y a un siècle, une bonne partie de la population de la région qui constitue aujourd’hui la Macédoine grecque parlait le slave et d’autres langues, et non le grec. pendant la décennie précédant les Guerres balkaniques, cette région s’est transformée en champ de bataille entre nationalistes grecs et bulgares (ou macédo-bulgares). à l’époque du Makedonikos Agonas, la perspective

laquelle c’est le dieu chrétien qui apparaît pour déclarer que toute la « race blanche » provient de Macédoine et que les « blancs » du monde entier sont, dans des proportions diverses, d’origine macédonienne. Le matériel reste accessible sur http://www.youtube.com/watch?v=xm0bG3q-4zM (dernier accès : 19/06/2012). Malheureusement, les critiques et les protestations exprimées à cette occasion par des intellectuels comme Trajanoski n’ont pas pu stopper la politique d’antiquisation.

Fig. 9 - La cité lacustre dans le Lac d’Ohrid (juillet 2011, photo de l’auteur).

16 t.marinov

que la Macédoine devienne bulgare était un véritable cauchemar pour les politiques et les intellectuels grecs tels que Ion Dragoumis (1878-1920), idéologue de la « Lutte macédonienne » 15.

L’héritage de cette lutte ne prendrait cependant pas autant d’importance sans le scénario d’une séparation de la région macédonienne, annexée par la Grèce en 1913 puis en 1919, scénario qui est apparu dès les années 1920. Fidèle à la ligne politique du Komintern, le Parti Communiste de Grèce (KKE) a soutenu ce scénario en 1924. Le même parti est ensuite devenu l’un des protagonistes principaux de la macabre Guerre civile grecque (1946-1949), pendant laquelle le slogan de la Macédoine indépendante a été réitéré par les dirigeants communistes (cf. Kofos 1964). Sans surprise, la population slave macédonienne a participé massivement à la guerre du côté du KKE. Ce fait, puis l’exode d’une partie considérable de cette population, son activisme diasporique et les obstacles opposés par l’État grec à son rapatriement constituent certains des éléments qui remettent en cause l’image d’une Macédoine parfaitement hellénique depuis la nuit des temps 16. Ces expériences du passé ont profondément marqué la culture politique grecque. Elles expliquent, au moins en partie, la fixation de la classe politique athénienne sur l’appellation « Macédoine » et sur la question du patrimoine hellénique antique.

Pourquoi, enfin, cette obsession de la Macédoine antique en République de Macédoine ? La réponse n’est pas évidente : pendant l’époque communiste yougoslave Philippe et Alexandre ne figuraient pas parmi les personnages historiques centraux du panthéon national macédonien. Après une première phase de fascination pour la Macédoine antique au début des années 1990, celle-ci a réintégré sa place marginale dans l’imaginaire macédonien, avant que l’antiquisation ne soit lancée, d’une façon plutôt surprenante, par l’administration de Gruevski. La réponse à cette question exige un examen détaillé de l’évolution des relectures du passé récent en République de Macédoine, depuis son indépendance.

L’État macédonien a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale par le mouvement communiste yougoslave de résistance, en tant qu’une des six républiques constitutives de la nouvelle Yougoslavie. Très naturellement, la proclamation de l’indépendance de la république en 1991 a entraîné des dilemmes à la fois dans la production historiographique et dans les articulations publiques de la mémoire nationale. En l’occurrence, une révision du passé communiste yougoslave était indispensable à la légitimation du nouvel État souverain, mais quasiment toutes les institutions et formes symboliques de la nation macédonienne avaient été construites pendant l’ancien régime. Ce n’est qu’après 1944 que les Macédoniens ont obtenu leur alphabet, leur langue standard et la possibilité de développer une culture nationale complètement émancipée des influences bulgares du passé. Le récit historique national a pris sa forme définitive dans un contexte politique et culturel yougoslave et communiste. Et, dans le cas macédonien, il n’existe pas de tradition historiographique pré-communiste, revendiquant un caractère macédonien national, dont les auteurs et les textes « classiques » auraient pu être ressuscités et servir d’inspiration pour la construction d’une version anti- ou non-communiste du passé.

Au cours des années 1990, il y a pourtant eu beaucoup de tentatives de réexamen de l’histoire nationale. Mais leurs résultats étaient en général contre-productifs (Brunnbauer 2005). En réalité, pendant cette première période presque toutes les révisions aboutissaient à des interprétations qui rappelaient de près les thèses bulgares niant l’existence et l’histoire d’une identité slave macédonienne différente de l’identité bulgare. De plus, les mêmes révisionnistes étaient en général issus du parti anticommuniste et anti-yougoslave VMRO-DPMNE, ce même parti qui abrite aussi, sans doute paradoxalement, les « antiquisants ». Il suffit de rappeler le cas de Ljubčo Georgievski, ancien chef du parti et Premier ministre de la Macédoine entre 1998 et 2002, qui a par la suite sollicité la nationalité bulgare et l’a obtenue en 2006. Tout cela a largement compromis le parti et, en général, la jeune droite macédonienne aux yeux du grand public. Face à ces développements embarrassants et à une évaluation toujours incertaine du communisme yougoslave, les nouvelles autorités du VMRO-DPMNE cherchent évidemment d’autres formes de légitimation historique. Et elles les trouvent loin de l’histoire récente qui reste si problématique – dans un passé quasiment légendaire.

15. Son ouvrage Le Sang des martyrs et des héros (Dragoumis 1907) est très représentatif à cet égard.

16. Sur le sort de ces émigrés, voir Monova 2001.

la guerre de l’étoile 17

Enfin, dans le cas d’Athènes aussi bien que dans celui de Skopje, la fixation sur l’histoire de la Macédoine antique est le symptôme du refoulement de problèmes identitaires certainement hérités de l’époque moderne. Très curieusement, dans les deux cas, l’histoire ancienne est entrelacée avec une idéologie par excellence moderne – le communisme : dans une certaine mesure, la référence au passé antique représente une réaction par rapport à l’héritage laissé par les partis communistes. Or, dans les deux cas, il s’agit d’une quête idéologique de ce que, dans leur volume sur les « méta-histoires grecques », l’anthropologue Keith Brown et l’archéologue Yannis Hamalakis ont défini comme usable past (Brown, Hamilakis 2003) : un passé interprété à travers les exigences du présent et utilisé pour consolider la cause nationale. Cette « guerre de l’Étoile » montre, dans le même temps, à quel point même le passé le plus lointain n’est jamais un objet d’étude innocent, ni isolé des expériences traumatiques et des stratégies politiques du présent.

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