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179 Fabian BALTHAZART La lente émancipation de l’orchestre dans le motet à grand chœur versaillais Introduction « Le Roi est mort ! Vive le Roi ! » Par ce célèbre adage, l’on signifiait que si la personne physique du roi régnant n’était plus, la fonction royale perdurait sans discontinuer par l’intronisation du successeur. Cette subordination de l’homme, le roi, à une fonction de droit divin, la royauté, était, sous l’Ancien Régime, représentée par une symbolique souvent immuable qui se transmettait de roi en roi. Citons, entre autre exemple, l’héraldique fleur de lys. Incontestable- ment, les motets à grands chœurs 1 joués à la messe quotidienne des trois derniers Bourbon, et ce depuis la prise de règne effective de Louis XIV en 1663, jusqu’à l’abolition de la royauté en 1792, sont un exemple parfait de cette symbolique. Mais en quoi ce genre musical est-il pérenne ? Durant ce siècle et demi qui a vu la musique passer de l’esthétique baroque au style classique, comment ce genre s’est-il adapté, quels en furent les changements les plus marquants ? Le présent article propose de parcourir ce genre majeur de la musique sacrée à travers un élément immuable 2 de celui-ci – le chœur – dans sa relation avec l’orchestre à cordes « à la française 3 » qui lui, en revanche, s’est métamorphosé au cours du temps. Précisons que, notre article se focalisant sur le rapport entre ces deux formations musi- cales, nous n’aborderons pas l’écriture orchestrale des récits et des 1 Nous préférons la dénomination « motet à grand chœur » qui était utilisée aux XVII e et XVIII e siècles pour désigner ce genre, plutôt que celle, pourtant plus usitée, de « grand motet français ». 2 À l’inverse de l’orchestre, le chœur de la Chapelle-Royale conservera toutes ses spécificités (cf. infra « les spécificités du chœur à la française ») de la fin de la Renaissance à la Révolution. 3 Précisons qu’en France, comme dans le reste de l’Europe, l’orchestre n’est pas une formation standardisée. Dans le présent article, lorsque nous parlons de l’orchestre, nous sous-entendons l’orchestre à cordes « à la française » (ou « de type lullyste ») à savoir, deux parties principales (le dessus de violon et la basse) et deux ou trois parties intermédiaires.

La lente émancipation de l’orchestre dans le motet à … · de la Renaissance à la Révolution. ... Alors qu’en Italie, ... est un espace entre la tessiture des dessus et la

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Fabian BALTHAZART

La lente émancipation de l’orchestre dans

le motet à grand chœur versaillais

Introduction

« Le Roi est mort ! Vive le Roi ! » Par ce célèbre adage, l’on

signifiait que si la personne physique du roi régnant n’était plus, la fonction royale perdurait sans discontinuer par l’intronisation du successeur. Cette subordination de l’homme, le roi, à une fonction de droit divin, la royauté, était, sous l’Ancien Régime, représentée par une symbolique souvent immuable qui se transmettait de roi en roi. Citons, entre autre exemple, l’héraldique fleur de lys. Incontestable-ment, les motets à grands chœurs1 joués à la messe quotidienne des trois derniers Bourbon, et ce depuis la prise de règne effective de Louis XIV en 1663, jusqu’à l’abolition de la royauté en 1792, sont un exemple parfait de cette symbolique. Mais en quoi ce genre musical est-il pérenne ? Durant ce siècle et demi qui a vu la musique passer de l’esthétique baroque au style classique, comment ce genre s’est-il adapté, quels en furent les changements les plus marquants ?

Le présent article propose de parcourir ce genre majeur de la musique sacrée à travers un élément immuable2 de celui-ci – le chœur – dans sa relation avec l’orchestre à cordes « à la française3 » qui lui, en revanche, s’est métamorphosé au cours du temps. Précisons que, notre article se focalisant sur le rapport entre ces deux formations musi-cales, nous n’aborderons pas l’écriture orchestrale des récits et des

1 Nous préférons la dénomination « motet à grand chœur » qui était utilisée aux XVIIe et XVIIIe siècles pour désigner ce genre, plutôt que celle, pourtant plus usitée, de « grand motet français ». 2 À l’inverse de l’orchestre, le chœur de la Chapelle-Royale conservera toutes ses spécificités (cf. infra « les spécificités du chœur à la française ») de la fin de la Renaissance à la Révolution. 3 Précisons qu’en France, comme dans le reste de l’Europe, l’orchestre n’est pas une formation standardisée. Dans le présent article, lorsque nous parlons de l’orchestre, nous sous-entendons l’orchestre à cordes « à la française » (ou « de type lullyste ») à savoir, deux parties principales (le dessus de violon et la basse) et deux ou trois parties intermédiaires.

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ritournelles. De même, nous ne traiterons ici que des compositeurs actifs à la Chapelle-Royale, ou qui y ont directement été associés. Nous ne parlerons donc pas des différentes pratiques du motet à grand chœur dans les grands centres religieux de Paris ou de province. De plus, voulant observer et comprendre un processus évolutif d’un état à un autre, nous limiterons dans le temps nos investigations : de la naissance du genre autour de 1660 aux années 1740 qui ont vu la fin de la carrière d’André Campra (1660-1744) et l’avènement d’une nou-velle génération de musiciens tels que Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1771). 1. Le motet à grand chœur versaillais : quelques

considérations historiques et formelles

Du sacre de Louis XIV en 1655 à sa prise de règne effective

en 1661, les grandes cérémonies religieuses soulignant d’importants événements dynastiques vont toujours vers plus de faste et de splen-deur. Lors de ces célébrations, les musiciens de la Chapelle-Royale s’associent, de plus en plus fréquemment, aux Vingt-quatre Violons du roi1, d’abord hors des églises, conformément au statut du violon alors instrument de plein air, puis dans les églises. Ces réunions extraor-dinaires, auxquelles s’adjoignent ponctuellement les musiciens de la Chambre et les hautbois de l’Écurie, se multiplient entre 1659 et 1661 lors des festivités marquant le traité de paix avec l’Espagne, le mariage du roi avec l’infante Marie-Thérèse d’Autriche, et la nais-sance du Grand Dauphin. Ces déploiements de force concourant à la magnificence de la cérémonie influent sur les formes musicales sacrées en vigueur. Les compositeurs exploitant ces nouvelles sonorités en jouant notamment sur les contrastes de masses et le rapport chœur/ orchestre, c’est la forme même qui évolue donnant ainsi naissance au genre appelé « motet à grand chœur ».

Tous les grands centres religieux de France imitent dès lors ce royal modèle, invitent ainsi la monarchie dans le culte et rappro-chent leurs fidèles du roi. Ceci est particulièrement visible dans les textes exploités par les compositeurs où la figure de David est confondue avec celle du roi, ou dans les Te Deum qui célébraient tout événement heureux lié à la monarchie. À partir de 1663 et du recru-tement de Henry Du Mont (1610-1684) et Pierre Robert (ca. 1615-

1 « Orchestre à cordes attaché à la Musique de la Chambre, du début du XVIIe siècle à 1761, appelé aussi Grande Bande » : BENOIT, 1996.

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1699), la forme s’impose à la messe quotidienne du roi. Mais seul l’effectif permanent de la Chapelle, c’est-à-dire le chœur avec quelques musiciens mais sans la symphonie, est requis. Il faut attendre 1683 et l’installation de la Cour à Versailles pour que les effectifs des cérémonies extraordinaires soient transposés aux célébrations ordinaires.

À cette occasion, Louis XIV réorganise sa Chapelle et recrute, sur concours, quatre nouveaux sous-maîtres1. L’orchestre, également restructuré, est augmenté de « symphonistes2 » et permet désormais l’exécution de motets à grand chœur à la messe quotidienne du roi3. De cette nouvelle génération de compositeurs, Michel-Richard de Lalande (1757-1726) émergera et marquera la Chapelle-Royale de sa longue carrière (43 ans). Il suit l’évolution stylistique de la musique et l’adapte au motet à grand chœur en s’inscrivant dans la continuité de ses prédécesseurs. Il fixe un modèle formel dont les caractéristiques fonda-mentales resteront identiques jusqu’à l’extinction du genre à la fin de l’Ancien Régime. Un des grands changements que Lalande apporte au genre est son organisation par numéros distincts. Dans les motets des compositeurs de la génération de Du Mont et Robert, les versets mis en musique sont unifiés par des symphonies et donc, récits et chœurs se succèdent sans guère d’interruption. Un motet de Lully ou de Du Mont se structure en trois ou quatre grandes sections. Lalande quant à lui, organise en entités autonomes bien distinctes chaque partie du texte mis en musique. Si le verset est généralement la cellule organique qui détermine la découpe du texte, dans un texte non biblique, c’est le vers ou la strophe. Quoiqu’il en soit, chaque partie du texte est maintenant traitée indépendamment des autres avec un début, une fin, une unité musicale thématique et un effectif propre. C’est la tonalité générale de l’œuvre et la succession des modulations qui unifient désormais le motet.

1 La Chapelle-Musique était placée sous l’autorité du maître de chapelle, fonc-tion honorifique confiée à un ecclésiastique de haut rang. Les sous-maîtres, en nombre variable de un à quatre, étaient des musiciens, prêtres ou laïcs, et avaient, entre autres charges, la responsabilité des exécutions musicales de la messe du roi. Voir MARAL, 2002 : 63-65. 2 « Celuy qui joue des instruments, ou qui compose les pièces qu’on jouë dessus » : FURETIÈRE, 1690. 3 Avant 1683, l’effectif ordinaire de la Chapelle-Musique se compose, en plus du chœur et des solistes, de la basse continue et de seulement deux dessus de violon. En 1692, l’État de la France recense quatre dessus, une haute-contre, une taille, une quinte et deux basses de violon, deux flûtes d’Alle-magne, une grosse basse ou théorbe, deux bassons et une basse de cromorne. Voir MARAL, 2002 : 78.

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S’il est impossible de définir un plan type du « motet à numé-ros » tant les possibilités offertes par cette forme sont multiples et l’imagination des compositeurs sans limites, nous pouvons en revanche tenter un relevé d’éléments d’organisation suffisamment redondants pour les instituer en modèles. Ainsi, se retrouvent très souvent dans les motets à grand chœur du XVIIIe siècle jusqu’à environ 1780, période de déclin du genre, les éléments suivants :

1. une symphonie liminaire directement enchainée à 2. un récit, le plus souvent pour soliste ou duo de solistes et

dont le matériau musical a été annoncé dans la symphonie qui l’a précédé ;

3. un chœur ; 4. une succession de récits en solo, duo, trio ou quatuor et de

chœurs en ordre et nombre variable entrecoupés ou non de ritournelles instrumentales ;

5. un grand chœur final, parfois fugué.

2. Les spécificités du chœur « à la française »

Pour bien comprendre le rapport qui régit le chœur et

l’orchestre dans le grand motet français, il faut d’abord s’intéresser aux caractéristiques de ceux-ci. Alors qu’en Italie, le chœur passe progressivement au cours du XVIIe siècle de cinq à quatre parties, le chœur « à la française » reste, dans la tradition polyphonique de la renaissance, à cinq voix et non mixte : quatre voix chantées par des hommes (hautes-contre, tailles, basses-tailles et basses) et une par des enfants (dessus). Une des caractéristiques inhérentes à cette disposition est un espace entre la tessiture des dessus et la voix de haute-contre venant juste en dessous. Pour dénommer ce vide, nous reprendrons l’expression de « creux français » employée par Jean Duron (1990 : 101).

Figure 1 : Les tessitures du chœur à la française

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Les trois parties de hautes-contre, de tailles et de basses-tailles cor-respondent à trois voix de ténors et ont pour rôle de colorer la partie des basses. La partie de dessus évolue bien au-dessus de ce quatuor de voix d’hommes « compact et sombre » (DURON, 1990 : 101), puisqu’il existe ordinairement un intervalle supérieur à la sixte entre dessus et hautes-contre.

Le premier rôle de l’orchestre dans les chœurs est simplement de doubler les chanteurs. La nomenclature des voix et de l’orchestre est à ce sujet sans équivoque. À chaque partie du chœur correspond une tessiture de violon (Dessus (D)1 – Dessus de violon (Dvn) ; Haute-contre (Hc) – Haute-contre de violon (Hcvn) ; Taille (T) – Taille de violon (Tvn) ; Basse-taille (Bt) – Quinte de violon (Qvn) ; Basse (B) – Basse de violon (Bvn) / Basse continue (Bc)). Mais les compositeurs ne vont pas systéma-tiquement respecter cet ordre établi. Au contraire, ils vont profiter de ce rôle de doublure pour combler le « creux français » en doublant à l’octave telle ou telle autre voix. Pour illustrer ce propos, voici un exemple extrait du Beati quorum de Michel-Richard de Lalande.

Figure 2 : Michel-Richard de LALANDE, Beati quorum Remissæ sunt S.5,

mes. 89-100

1 Par commodité, dans les exemples musicaux qui suivront, nous userons des abréviations ci-après entre parenthèses.

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Nous remarquons qu’en octaviant à la haute-contre de violon, d’abord les tailles (mes. 89-92) puis les basses-tailles (mes. 95-99), Lalande com-ble systématiquement tout intervalle supérieur à la quarte. Comme nous pouvons le voir sur le deuxième temps de la mesure 97, il n’hésite pas à quitter la voix de Bt pour combler la sixte en ajoutant un ré formant ainsi un accord de sixte et quinte.

Bien que ces techniques puissent être facilement résumées en un tableau, leur utilisation diffère selon les compositeurs et les époques.

Droite Taille octaviée Basse-taille octaviée

D Dvn D Dvn D Dvn

Hc Hcvn Hc 8va Hcvn Hc 8va Hcvn

T Tvn T Tvn T Tvn

Bt Qvn Bt Qvn Bt Qvn

B Bc B Bc B Bc

Les seules constantes que nous pouvons observer sont les doublures du Dessus par les Dessus de violon, et celles de la basse par la Basse continue. Si, comme à toute règle, il y a souvent des exceptions, ce tableau met néanmoins en lumière le rôle primordial des parties inter-médiaires puisque c’est d’elles que dépendront les variations de sono-rité de l’orchestre.

Dans les chœurs, le rôle de l’orchestre est donc de renforcer le contrepoint vocal en le doublant, ainsi que de pallier la faiblesse de celui-ci en comblant le « creux français ». Cependant, l’évolution du motet à grand chœur en une succession de tableaux indépendants va peu à peu libérer l’orchestre de son assujettissement à la polypho-nie vocale. C’est cette lente émancipation que nous nous proposons d’observer au travers des œuvres des compositeurs s’étant succédé au service du roi en sa Chapelle.

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3. Le rôle de l’orchestre : de la doublure à l’illustration

3.1. La génération de 1663 : la naissance du genre

Avant 1683, comme nous l’avons expliqué, il convient de distin-

guer cérémonies ordinaires et extraordinaires. L’objet de notre propos étant le rapport chœur/orchestre, nous ne nous préoccuperons logique-ment que des œuvres où les deux formations sont présentes. Or, comme nous l’avons précisé plus haut, l’orchestre à cordes lullyste n’est en con-frontation avec le chœur que lors des cérémonies extraordinaires. Ce qui pose d’emblée un problème de source. Examinons la situation de cha-cun des compositeurs de cette génération.

En 1662, Jean Veillot, en poste depuis 1651, meurt, laissant à Thomas Gobert seul la charge de sous-maître que celui-ci détenait depuis 1638. Du premier ne nous sont parvenus que trois motets dont un, daté de 1644, est trop ancien pour notre étude et les deux autres Motets de Mr Veillot (O filii et filiae et Sacris solemniis) ont été copiés par l’atelier d’André Danican Philidor entre 1690 et 1700. Si ces deux œuvres présentent toutes les caractéristiques du motet pré-versaillais, il pourrait s’agir de révisions. Néanmoins, nous remar-quons que les doublures de l’orchestre sont strictes par rapport aux voix et que Veillot semble privilégier la Basse-taille octaviée à la haute-contre.

Du deuxième, Thomas Gobert, tous les motets à grand chœur ont été perdus. De Gabriel Expilly (ca. 1630-ca. 1690), en poste de 1664 à 1669, n’aurait été publié que les Motets et élévations dont seuls les textes subsistent. Les figures les plus marquantes de cette génération de sous-maître sont sans conteste Henry Du Mont (1610-1684) et Pierre Robert (ca. 1615-1699) tout deux engagés en 1663 et retraités en 1683. La source principale de leurs motets est une luxueuse édition de Christophe Ballard (ROBERT, Motets pour la Chapelle du Roy..., 1684, et DU MONT, Motets pour la Chapelle du Roy..., 1686) datée d’après l’installation de la cour à Versailles et de la réforme de la Chapelle qui s’ensuivit. Originellement destinées au cadre ordinaire de la messe quotidienne du roi et donc à un orchestre restreint, ces œuvres ont été révisées afin de les conformer à la nouvelle esthétique voulue par Louis XIV pour sa Chapelle. De récentes études musicologiques ont relevé de « troublantes incohérences musicales » (LECONTE, 2008 :

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136) dans l’édition de ces motets1. Ces révisions, et les incohérences qui y sont liées, touchant exclusivement l’orchestre, nous ne pouvons consi-dérer ces œuvres comme représentatives du motet pré-versaillais et ne les prendrons dès lors pas en compte pour notre étude.

Reste donc Jean-Baptiste Lully (1632-1687). Lequel, bien qu’il ne fût jamais sous-maître, écrivit néanmoins de magnifiques grands motets destinés à des cérémonies extraordinaires. Au nombre de onze, les motets de Lully peuvent être classés en trois groupes distincts dans le temps :

- les premières productions : Jubilate Deo omnis terra LWV 77/16

(1660) ; Miserere LWV 25 (1664) ; O lachrymæ LWV 26 (1664) ; Plaude lætare LWV 37 (1668) ;

- le Te Deum LWV 55, daté de 1677, seule pièce du genre de cette décennie ;

- les dernières œuvres : De profundis LWV 62 (1683) ; Dies iræ LWV 64/1 (1683) ; Exaudiat LWV 77/15 (1685) ; Quare fremuerunt LWV 67 (1685).

À cette liste s’ajoutent le Benedictus LWV 64/2, et le Notus in Judea Deus LWV 77/17 qui, à ce jour, n’ont pu être datés précisément. Le premier, présent dans l’édition Ballard de 1684 (Motets à deux chœurs pour la Chapelle du Roy...) est donc antérieur à cette date. Absent de cette même édition, le second est communément considéré comme postérieur à 1684 et serait donc un des derniers motets à grand chœur de Lully.

Pour les motets de la première période, nous avons concentré nos observations sur le Miserere et le Plaude lætare. Nous pouvons dire que dans ces deux œuvres, l’orchestre se borne à doubler les voix. Cependant, il semble que Lully oscille entre deux logiques bien diffé-rentes. L’une, très simple, où chaque voix de l’orchestre double son homonyme du chœur, l’autre, plus complexe où Lully passe très rapide-ment d’un système de doublure à un autre, ce qui a pour effet de recréer un nouveau contrepoint à l’orchestre.

1 J. Duron relève dans l’édition Ballard des motets de Du Mont des erreurs de contrepoint qu’il est impossible d’attribuer au compositeur. Son hypo-thèse est que les parties de haute-contre et taille de violon ont été réalisées par un arrangeur peu habile (voir DURON, 2005).

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Figure 3 : Jean-Baptiste LULLY, Plaude lætare Gallia LWV 37, mes. 12-25

Cet extrait montre la première intervention des chœurs du Plaude lætare

Gallia juste après la symphonie d’introduction. Il réunit un orchestre « à

la française » à cinq parties et, ce qui est caractéristique des motets pré-

versaillais, un petit chœur de solistes et un grand chœur. Nous pouvons

le diviser en trois sections : la première (mes. 12 à 17) joue sur l’alter-

nance petit chœur/grand chœur ; la seconde, très courte (mes. 18-19)

reprend ce jeu mais en opposant l’orchestre et les deux chœurs ; la

troisième (mes. 20-25) conclut ce premier énoncé du premier vers en

unissant toutes les forces en présence.

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Les dessus de violon et la basse continue doublant respective-ment les dessus et basse du chœur, nous remarquons que Lully passe sans cesse d’un système de doublure à un autre. Dans la première section de ce court extrait, la voix de haute-contre de violon va suc-cessivement doubler les seconds dessus du petit chœur, les basses-tailles à l’octave, à nouveau les seconds dessus, les hautes-contre, mesure seize les tailles puis les basses-tailles octaviées, et enfin, à nou-veau les hautes-contre. En plus de parcourir tous les types de dou-blures possibles en six mesures, Lully écrit également un contrepoint indépendant du chœur (mes. 15 tierce, quinte et puis sixte de la basse) qui lui permet de combler les dixièmes et octaves entre dessus et haute-contre.

Si le petit chœur, le grand chœur et l’orchestre interagissent entre eux par des jeux d’alternance, l’examen des doublures1 révèle qu’il s’agit bien de trois entités indépendantes auxquelles il faut ajouter le groupe réalisant la basse continue et que toutes sont écrites pour sonner de manière pleine et entière seules. Dans ce type d’écri-ture, les différents groupes sont additionnés et non pas fusionnés comme c’est le cas lors de doublures d’une voix par une autre sur plu-sieurs mesures. Nous avons pu le constater dans l’exemple de Lalande cité plus haut. Dans son Notus in Judea Deus, plus tardif, Lully semble avoir également intégré ce système de doublure moins complexe où chœur et orchestre semblent se fondre en une seule entité. Ceci est particulièrement clair pour la voix de haute-contre qui oscille sans cesse entre une doublure droite des hautes-contre du chœur et les basses-tailles octaviées. Cette tendance qui se confirme dans l’Exaudiat et le Quare fremuerunt, est une première évolution dans le rapport chœur/orchestre. Dans les manuscrits du Dies iræ et du De profundis que nous avons pu consulter pour la présente recherche, l’orchestre est copié en réduction ce qui ne nous a pas permis d’observer les systèmes de doublures.

3.2. La génération de 1683 : le motet versaillais

L’installation définitive de la cour au château de Versailles, en 1682, donne lieu l’année suivante à une nouvelle réorganisation de la Chapelle. Mis à la retraite, Henry Du Mont et Pierre Robert sont remplacés par quatre nouveaux sous-maîtres recrutés sur concours :

1 Pour une étude des doublures entre grand chœur et petit chœur dans les grands motets pré-versaillais, nous renvoyons à : LECONTE, 2008.

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Nicolas Goupillet (ca. 1650-1713), Pascal Colasse (1649-1709), Guil-laume Minoret (1650-1720) et Michel Richard de Lalande (1757-1726). Louis XIV en personne donne à cette occasion une nouvelle direction esthétique à la Chapelle-Musique en demandant que soient intégrés à sa messe quotidienne des motets avec symphonies tels que ceux joués dans les cérémonies extraordinaires. Chez les compositeurs de cette géné-ration, les grands chœurs homorythmiques, initiés par Lully dans son Te Deum mais pratiquement absents des motets de Robert et Du Mont, vont se généraliser. Écrits le plus souvent avec des rythmes récurrents, des accords parfaits et très peu de notes de figurations, ces chœurs renforcent l’effet de grandeur, de gloire et de majesté voulu par le pouvoir royal. Ce type d’écriture qui s’émancipe de la tradition polyphonique héritée de la Renaissance va renforcer le lien chœur/orchestre en les unissant en une seule entité.

Toutes les œuvres de Goupillet ayant disparues, il nous reste de cette génération, outre l’abondante production de Lalande sur laquelle nous reviendrons, trois motets à grand chœur de Colasse et six de Minoret. Tous les motets de ce dernier ont été composés avant 1697 (BABA, 2008). Quant aux trois motets de Pascal Colasse, il s’agit d’une copie de Philidor de 1704 mais ils sont probablement bien antérieurs à cette date. Ces neuf partitions sont donc de la première génération des motets à grand chœur versaillais héritières directes des dernières œuvres sacrées de Lully. La grande majorité des chœurs chez Colasse sont homorythmiques et les doublures sont toujours droites. L’orchestre est donc une simple réplique instrumentale du chœur1. Bien plus complexe est l’écriture orchestrale de Minoret.

Les six motets retrouvés sont des œuvres composées tôt dans sa carrière et ne représentent, selon la musicologue Yuriko Baba, que le dixième de sa production totale. Très proche des derniers motets de Lully, Minoret favorise la doublure de la basse-taille à l’octave aux hautes-contre de violon. Cependant, nous avons remarqué que ponc-tuellement, les dessus de violon peuvent, pendant une mesure ou deux, s’éloigner de la doublure stricte au profit d’une écriture plus instrumentale.

1 La banalité de la réalisation des parties intermédiaires de l’orchestre nous fait sérieusement douter qu’elles puissent être de l’auteur de la première tempête musicale, dans la tragédie lyrique Thétis et Pélée, ou du Ballet des saisons. Un examen rapide à cette dernière partition confirme notre senti-ment.

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Figure 4 : Guillaume MINORET, Venite exultemus, p 12 1r système

Nous ne ferons pas ici l’inventaire des diverses sources des quelques soixante-dix-sept motets à grand chœur de Lalande recensés à ce jour (SAWKINS, 2006). Nous nous concentrerons sur deux sources princi-pales essentielles pour notre étude : les dix volumes copiés par Philidor l’Aîné par ordre du roi en 1689, et la collection « Cauvin » du nom de ce collectionneur qui fit copier autour de 1742 des motets de Lalande d’après des sources antérieures. Réalisées plus de quinze ans après la mort du compositeur, ces partitions font appel à un orchestre à quatre, avec deux parties intérieures, et non plus à cinq. La partie de quinte de violon est désormais absente de l’orchestre. Mais outre ce changement de morphologie, c’est l’écriture orchestrale dans son ensemble qui est repensée.

Durant toute sa carrière, Lalande a souvent remanié ses compo-sitions parfois de manière très profonde, nous laissant ainsi d’un même motet des versions très différentes. Pour ce qui est semblable dans les chœurs des sept motets communs aux collections Philidor de 1689 et Cauvin1, nous rencontrons différentes situations :

- La texture à cinq parties est recréée en divisant le pupitre des

dessus de violon, ce qui donne lieu à une nouvelle répartition des voix à l’orchestre. Très souvent, une des voix intérieures du

1 Pour les concordances des sources des motets de Lalande, on consultera : SAWKINS, 2008.

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chœur (taille ou basse-taille), est doublée à l’octave supérieure au dessus de violon1, passant ainsi au-dessus des dessus de violons2 qui doublent les dessus du chœur. (ex : Miserere chœur Avertes faciem tuam).

- La partie de quinte est tout simplement enlevée sans autre modification (ex : Exaudi Deus deprecationem). Un orchestre à quatre parties double donc le chœur à cinq voix.

- Les dessus de violon sont divisés mais les premiers dessus ne doublent pas de voix du chœur et jouent une partie libre souvent plus concertante, les seconds dessus assurant la doublure des dessus du chœur. (ex : Te Deum chœur Et lauda-mus). Nous avons donc ici une texture orchestrale à cinq dont quatre doublent le chœur.

- Les deux parties de dessus de violon jouent des parties libres concertantes laissant aux seules deux parties intermédiaires le soin de doubler le chœur. Celles-ci doublant alternative-ment les voix de haute-contre, taille et basse-taille, les dessus du chœur ne sont plus doublés.

Cette dernière situation est la plus éclairante du changement qui s’opère dans la conception du rôle de l’orchestre dans les motets à grand chœur de la première moitié du XVIIIe siècle. Mais d’où vient la nécessité de ce changement de conception, pourquoi les compo-siteurs ont-ils ressenti le besoin d’écrire à l’orchestre des parties concertantes indépendantes du chœur ? Un motet étant la mise en musique d’un texte, c’est dans le sens de celui-ci que nous trouverons réponse à nos interrogations. Examinons à titre d’exemple la mise en musique par Lalande des deux derniers vers du psaume 50 Miserere mei Deus dans les versions Philidor et Cauvin. Cette demande de pardon se termine sur une prière du roi David afin que ses péchés ne soient pas préjudiciables au peuple d’Israël :

Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion : ut ædificentur muri Jeru-salem. Tunc acceptabis sacrificium justitiæ, oblationes & holocausta ; tunc imponent super altare tuum vitulos1.

1 « Que mes péchés, Seigneur, n’arrêtent pas le cours de vos bontés sur Sion ; faites que nous puissions bâtir les murs de Jérusalem. Alors vous accepterez avec joie mes offrandes, & mes holocaustes, comme les sacrifices d’un homme que la pénitence aura justifié ; alors le peuple, à mon exemple, chargera vos autels de victimes. » Trad. : LALLEMAND, 1715 : 163-164.

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Lalande divise ces derniers versets en trois parties dans le grand chœur final du motet. La première partie, commence en sol mineur, ton de la dominante, et les mots Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion sont énoncés deux fois d’abord par le petit chœur puis le grand. L’écriture strictement homorythmique et la mesure à 3/2 impliquant un tempo relativement lent évoquent la figure de David implorant le Seigneur. Très peu de différences existent entre les deux versions de ce verset. Soulignons néanmoins dans l’écriture pour orches-tre dans le grand chœur, la doublure des hautes-contre à l’octave par les premiers dessus de violon et l’ajout de diminutions dans les deux parties de violons. Ces ajouts assurant une continuité de noires presque ininterrompue avant le repos cadentiel rendent cette version moins monolithique et plus cantabile que la version Philidor.

Cependant, l’homorythmie totale chœur / orchestre de cette version antérieure souligne mieux la prosodie, notamment sur le mot Domine particulièrement bien mis en valeur. Dans la deuxième partie, a 4 tems tres vifs, comme nous pouvons le lire sur le manuscrit Cauvin, la démarche est la même. L’introduction de doubles croches aux deux parties de violon renforce le contraste avec le verset précédent, ajoute à la nervosité de la musique et au sentiment d’urgence qui se dégage de cette écriture plus polyphonique au détriment de la mise en valeur du mot muri. Pour le dernier vers, un nouveau changement de tempo, vivement, et un retour à une écriture majoritairement homorythmique.

Entre ces deux versions, ce que la mise en musique de ces versets a gagné en évocation, elle l’a perdu en sémantique. C’est donc le sentiment poétique qui prime désormais sur la mise en valeur du sens littéral du verset. Pour renforcer ce pouvoir évocateur, l’écriture instrumentale, influencée par la musique italienne et les formes profanes comme l’opéra, va aller vers plus de virtuosité et d’autono-mie. Le problème de ce manuscrit Cauvin est que nous ne savons pas exactement dans quelles circonstances ces versions des motets de Lalande furent jouées. Qu’en est-il à Versailles à la même époque ?

3.3. La génération de 1723 : les musiciens du régent

En 1722, après la régence, Louis XV réintègre Versailles et réorganise les différentes institutions dont la Chapelle. Sont nommés aux côtés de Lalande : André Campra (1660-1744), Nicolas Bernier (1664-1734) et Charles-Hubert Gervais (1671-1744). Ne pouvant prétendre atteindre l’exhaustivité dans le cadre imparti à cet article, et notre but étant de montrer un processus évolutif, nous n’exami-

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nerons pas dans le détail les productions de ces compositeurs. Mais, pour se convaincre que la Chapelle-Royale a suivi l’évolution que nous avons pu observer depuis les manuscrits copiés par Philidor en 1689, nous porterons notre regard sur le Notus in Judea Deus de André Campra (Pseaumes mis en musique à grand chœur..., Livre premier, 1737). Dans le dernier verset de ce psaume Terribili, & ei qui offert spiritum principum, terribili apud reges terræ1, Campra écrit à l’orchestre des bat-teries, des gammes et des arpèges en double croches rapides évoquant la violence de ce texte.

Figure 5 : CAMPARA, Notus in Judea Deus, p 60-61

Remarquons que dans ce chœur, plus aucun instrument ne double de voix. Ce type d’écriture très virtuose mais particulièrement évoca-teur requiert toutes les forces instrumentales en présence et demande donc un orchestre totalement indépendant du chœur. Par compa-raison, Lully, dans la mise en musique du même verset de ce psaume, use d’un tout autre procédé. Il met en valeur aux voix extrêmes le mot terribili par un saut mélodique entre la première et la deuxième syllabe. 1 « Faites des vœux à ce Dieu terrible, qui ôte quand il lui plaît, la vie aux princes, & qui se rend redoutable à tous les Rois de la terre. » Trad. : LALLEMAND, 1715 : 243.

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Figure 6 : LULLY, Notus in Judea Deus, p 103

Comme dans la première version des motets de Lalande, c’est ici le mot qui prime sur l’image.

3.4. Les successeurs

Les recrutements de Henri Madin (1698-1748) en 1737, et de Antoine Blanchard (1696-1770) en 1738 assurèrent la continuité. Mais l’arrivée de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1771) dès 1740, montre à l’évidence la volonté des autorités de la Chapelle de maintenir sa musique en phase avec son temps. Ces compositeurs, tout en respectant les modèles du genre établis par Lalande, aban-donnent définitivement l’orchestre lullyste, et feront des chœurs de véritables tableaux. Nous refermerons ici notre exploration du rapport chœur/orchestre dans ce répertoire en laissant la parole à un témoin de l’époque sur l’effet produit par le sixième verset1 du psaume Cæli enarrant gloriam Dei mis en musique par Mondonville :

« Mais voici, Monsieur, le grand, le sublime morceau, qui dans ce Motet de toutes beautés, éleve, ravit, transporte l’ame & lui offre le plus beau spectacle de la nature : c’est le morceau qui rend le cinquième & le

1 Exultavit ut gigas ad currendam viam, a summo cælo egressio ejus / « Il va plein d’ardeur comme un géant commencer sa course : il part d’un bout du ciel et il passe jusqu’à l’autre sans qu’il y ait personne qui se cache à sa chaleur ». Trad. : LALLEMAND, 1715 : 50.

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sixième verset du Pseaume, où le Prophète, pour nous peindre la gloire & la grandeur de Dieu, s’attache au plus beau de ses ouvrages, au soleil qu’il peint comme un Epoux &c. Une mélodie douce & majestueuse prépare le récit d’une Basse taille qui s’élevant d’une manière insen-sible, annonce l’astre du jour, le fait voir dans tout l’éclat de son cours, & semble décrire avec lui sa brillante carriere. [...] Bientôt la mélodie devient plus forte, le Chœur s’unit à la Basse-taille pour représenter avec plus d’énergie l’ascension du soleil sur l’horizon & la chaleur qu’il répand sur toute la nature. [...] Enfin, après ce morceau admi-rable, la Basse-taille, chante seule, chaque parole du premier verset, que le Chœur reprend ensuite. Cette reprise est d’un goût d’autant plus analogue au sujet que les premières paroles sont comme la conséquence de toute la pièce : les Cieux publient la gloire de Dieu. » (JOANNET, 1756 : 303. Cité dans FAVIER, 2009 : 231)

4. Mise en perspective de la démarche

Notre projet consiste à observer, sur une période d’un peu

moins d’un siècle, un unique paramètre de l’évolution de l’orchestre dans les motets à grand chœur : l’accompagnement orchestral des chœurs. Mais ce focus est à mettre en perspective, d’une part, avec la forme du grand motet dans sa globalité (l’écriture pour orchestre évolue-t-elle parallèlement dans l’accompagnement des récits ?) et, d’autre part, avec l’évolution des formes profanes telles que l’opéra. Cependant, si limitée que la perspective puisse paraître, elle nous permet d’ouvrir nos observations à l’évolution suivie par la pensée créatrice au XVIIIe siècle. Les changements observés dans l’orchestre reflètent plus une évolution de la pensée musicale qu’un simple changement d’esthétique. L’étude de la mise en musique d’un texte sacré ne peut être déconnecté de son contexte spirituel.

Les motets de Robert, Du Mont ou Lully sont encore ancrés dans une pensée rhétorique. La musique est soumise au texte et doit mettre en valeur le sens littéral de celui-ci. À l’époque où Lalande commence sa carrière de compositeur, s’installe chez des penseurs comme Boileau ou Fénelon la notion de sublime : « Le sublime n’est pas proprement une chose qui se prouve et qui se démontre ; mais c’est un merveilleux qui saisit, qui frappe et qui se fait sentir » (BOILEAU-DESPRÉAUX, 1966 : 546. Cité dans FAVIER, 2008 : 125). Le texte sacré va, dans cette esthétique de l’effet, être exprimé non plus uniquement litté-ralement au moyen de figures de style, mais aussi par la description du ressenti poétique du texte. L’affect prend le pas sur la rhétorique. Dans cette nouvelle perspective, c’est à l’orchestre, phalange instrumentale du

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motet à grand chœur et donc non-assujetti aux mots, d’assumer la des-cription de ce « merveilleux » qui se ressent mais ne se dit pas.

Comprendre le contexte spirituel dans lequel étaient plongés les compositeurs de la Chapelle-Royale de Versailles est aussi important pour la connaissance de l’écriture orchestrale dans les motets à grand chœur que les paramètres techniques comme l’harmonie et le contre-point, ou encore que l’organologie. Cette approche sémantique trouvera une application directe dans la restauration des parties intérieures de l’orchestre. Nous n’avons qu’à peine évoqué cette problématique lorsque nous avons parlé des sources du Dies iræ et du De profundis de Lully. Mais, à l’époque dont il est question ici, il n’est pas rare que pour des raisons musicales, de gain de temps et d’économie, les œuvres ne soient pas toujours copiées dans leur intégralité. Elles ne contiennent que les parties principales : chœurs, solistes, dessus de violon et basse continue. Pour restituer cette musique aujourd’hui, les « parties » manquantes (haute-contre, taille et quinte de violon) doivent être recomposées selon les critères esthétiques de l’époque.

Cette recherche ne fait que lever un coin du voile sur cette problématique complexe qu’est le rapport chœur/orchestre. Néanmoins, elle nourrira notre pratique de la restauration et, de facto, contribuera à la diffusion de ces musiques auprès du public. Bibliographie

1. Sources manuscrites (partitions)

− COLLASSE P., 1704, Motets de monsieur Colasse, Maître de Musique de la

Chapelle du Roy, & Maître de Musique & Compositeur de la Chambre de sa Majesté. Copiez par Ordre exprés de son Altesse Serenissime Monsei-gneur le Comte de Toulouze, par M. Philidor l’aîné, Ordinaire de la Musique du Roy, & Garde de toute sa Bibliothèque de Musique, & par son fils aîné, Versailles (F-Pn, Rés F-1678).

− MINORET G., 1697, Motets de Monsieur Minoret, Maitre De musique de la Chapelle du Roy. Copiez par Philidor Laisné ordinaire de la musique du Roy et l’un des deux gardiens de la bibliotheque de musique de sa Majesté, 2 tomes, Versailles (F-Pn, Rés F-932 (1-2)).

− LALANDE M.-R. de, ca. 1740, Motets à grand chœur de M. de la lande, Maître de Musique de la Chapelle, 21 tomes, n.l. (F-V, Ms mus 216-237).

− LALANDE M.-R. de, 1689, Motets de M De Lalande Sur-intendant de la Musique de la Chambre Et maistre de Musique de la Chapelle du Roy Recueillis par Philidor Laisne en 1689, 10 tomes, Versailles (F-V, Ms mus 8-17).

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− LULLY J.-B., 1700, Benedictus & De profundis, copié par A. Philidor, Versailles (F-Pn, Rés-Vma Ms 1215 (3)).

− LULLY J.-B., 1690-1700, Partitions de plusieurs grands motets de Mons.r de Lully, copié par A. Philidor, Versailles (F-Pn, Rés F-669).

− LULLY J.-B., 1700, Miserere et Te Deum Laudamus de Mr de Lully, copié par A. Philidor, Versailles (F-Pn, Rés-Vma Ms 1215 (1)).

− LULLY J.-B., 1700, Notus In judea de Mr de lully et Miserere mei deus Italien de Mr de lully [attr. Rayée], copié par A. Philidor, Versailles (F-Pn, Rés-Vma Ms 1215 (5)).

− LULLY J.-B., 1700, Exaudiat te Dominus ; Quare fremuerunt, copié par A. Philidor, Versailles (F-Pn, Rés-Vma Ms 1215 (4)).

− LULLY J.-B., 1700, Plaude Laetare galia et Dies Irae dies Illa De Mr Delully, copié par A. Philidor, Versailles (F-Pn, Rés-Vma Ms 1215 (2)).

− VEILLOT J., Motets de Mr Veillot, copié par Fr. Fossard entre 1690 et 1700, ( F-Pn, Rés. F-542).

2. Sources imprimées

2.1. Partitions

− CAMPRA A., 1737, Pseaumes mis en musique à grand chœur… Livre

premier, Paris : M. de La Croix, veuve Boivin, Le Clerc (F-Pn, Vm1 – 1090).

− DU MONT H., 1686, Motets pour la Chapelle du Roy..., Paris : Christophe Ballard (F-Pn, Rés Vm1 – 98(1-16)).

− LULLY J.-B., 1684, Motets à deux chœurs pour la Chapelle du Roy..., Paris : Christophe Ballard (F-Pn, Vm1 – 1039).

− ROBERT P., 1684, Motets pour la Chapelle du Roy..., Paris : Christophe Ballard (F-Pn, Vm1 – 1038).

2.2. Ouvrages

− BOILEAU-DESPRÉAUX N., 1966 [1710], Réflexion X ou réfutation d’une dissertation de Monsieur Le Clerc contre Longin, dans Œuvres complètes, éd. A. Adam, Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».

− EXPILLY G., Motets et élévations de M. Expilly. Pour le quartier de juillet, aoust & septembre 1666, s.l., s.n., s.d. (F-Pn, B-2524)

− FURETIÈRE A., 1690, Dictionnaire universel, La Haye : A. et R. Leers. − JOANNET J.-B., 1756, Lettre sur les ouvrages et œuvres de piétés, dédiées à

la reine, t. 2, Paris : Lambert. − LALLEMAND J.-P. (Le P.), 1715 [1708], Le sens propre et littéral des

pseaumes de David, Paris : François Montalant, (5e éd.).

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3. Ouvrages et articles des XXe et XXIe siècles

− BABA Y., 2008, « Introduction à », G. Minoret, les motets vol. I et II,

Versailles : Éd. du CMBV. − BARTHÉLEMY M., 1990, André Campra : sa vie et son œuvre (1660-1744),

Arles : Éd. Actes Sud. − BENOIT M. (éd.), 1992, Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et

XVIIIe siècles, Paris : Éd. Fayard. − DURON J., 2008, « Oüyt-on, jamais, telle muzique ? Les nouveaux canons

de la musique française sous le règne de Louis XIV (1650-1675) », dans J. DURON (èd.), Regards sur la musique : La naissance du style français 1650-1673, Wavre : Éd. Pierre Mardaga, p. 11-52.

− DURON J., 1990, « Le rapport chœur-orchestre dans les grands motets de Lully », dans J. DE LA GORCE, H. SCHNEIDER (éd.), Jean-Baptiste Lully. Actes du colloque, St-Germain-en-Laye-Heidelberg 1987, Laaber : Laaber-Verlag, p. 99-144.

− DURON J., 1984, L’orchestre à cordes français avant 1715, Nouveaux problèmes : les quintes de violon, Revue de musicologie, 70/2, p. 260-269.

− DECOBERT L., 1994, « Les chœurs dans les grands motets de Henry Dumont (1610-1684) », Revue de musicologie, 80/1, p. 39-80.

− FAVIER Th., 2009, Le motet à grand chœur, Gloria in Gallia Deo, Paris : Éd. Fayard.

− FAVIER Th., 2008, « Lalande et le sublime : doctrines rhétoriques et tradi-tion oratoire dans ses premiers grands motets », dans L. SAWKINS (éd.), Lalande et ses contemporains, Actes du colloque international : Versailles 2001 Hommage à Marcelle Benoit, Marandeuil : Éd. des Abbesses, p. 119-142.

− LA GORCE J., 2002, Jean-Baptiste Lully, Paris, Éd. Fayard. − LECONTE Th., 2008, « Le petit chœur », dans J. DURON (èd.), Regards sur

la musique : La naissance du style français 1650-1673, Wavre : Éd. Pierre Mardaga, p. 135-180.

− MARAL A., 2002, La Chapelle royale de Versailles sous Louis XIV : céré-monial, liturgie et musique, Liège : Éd. Pierre Mardaga.

− MONTAGNIER J.-P. C., 2000, Chanter Dieu en la Chapelle royale : le grand motet et ses supports littéraires, Revue de musicologie, 86/2, p. 217-263.

− SAWKINS L., 2008, « Lalande’s grands motets : source revision and execusion », dans L. SAWKINS (éd.), Lalande et ses contemporains, Actes du colloque international : Versailles 2001 Hommage à Marcelle Benoit, Maran-deuil : Éd. des Abbesses, p. 151-167.

− SAWKINS L., 2006, A Thematic Catalogue of the Works of Michel-Richard de Lalande (1757-1726), New York : Oxford University Press.

− SAWKINS L., 1989, « Chronology and Evolution of the Grand Motet at the Court of Louis XIV : Evidence from the Livres du Roi and the Works of Perrin, the sous-maitres and Lully », dans J. HAJDU HEYER (éd.), Jean-Baptiste Lully and the Music of the French Baroque, Cam-bridge : Cambridge University Press, p. 41-79.

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− TESSIER A., 1931, Un catalogue de la bibliothèque de la Musique du Roi au château de Versailles, Revue de musicologie, 12.

4. Partitions en éditions modernes

− CAMPRA A., 2007, Grand dixit Dominus, Collection Chœur & Orchestre, Versailles : Éd. du Centre de Musique Baroque de Versailles.

− LALANDE M.-R. de, 2004, Audite Cæli, Cahiers de musique 95, Versail-les : Éd. du Centre de Musique Baroque de Versailles.

− LALANDE M.-R. de, 2004, Quam dilecta (version primitive : avant 1683) [S. 12], Cahiers de musique 98, Versailles : Éd. du Centre de Musi-que Baroque de Versailles.

− LALANDE M.-R. de, 2003, Beati quorum Remissæ sunt [S.5], Cahiers de musique 96, Versailles : Éd. du Centre de Musique Baroque de Ver-sailles.

− LALANDE M.-R. de, 2002, Deitatis majestatem, Cahiers de musique 96, Versailles : Éd. du Centre de Musique Baroque de Versailles.

− MINORET G., 2008, Les motets, vol. 1 : Venite exultemus Domino ; Currite populi ; Prope es tu Domine, anthologies : motets III. 5, éd. de Yuriko Baba, Versailles : Éd. du Centre de Musique Baroque de Versailles.