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La marche atopique existe-t-elle ? Does the atopic march exist? A. Deschildre a, * , F. Rancé b a Unité de pneumologie-allergologie pédiatriques, hôpital Jeanne-de-Flandre, CHRU, 59037 Lille cedex, France b Service d’allergologie et pneumologie, hôpital des Enfants, 330, avenue de Grande-Bretagne, TSA 70034, 31059 Toulouse cedex, France Disponible sur Internet le 5 mars 2009 Résumé Les études de suivi de cohorte sont en faveur d’une carrière de l’allergique ou « marche atopique ». Les données récentes obtenues à partir de mutations génétiques d’une protéine de la barrière cutanée, la filaggrine, sont bien la confirmation de l’existence de la marche atopique. L’immunothérapie spécifique pourrait agir sur la marche atopique, en réduisant le risque de développer d’autres manifestions atopiques ou d’autres sensibilisations. La marche atopique peut se présenter sous différents tableaux cliniques et les symptômes peuvent apparaître en parallèle ou dans le désordre. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Marche atopique ; Dermatite atopique ; Asthme ; Filaggrine Abstract Longitudinal studies of cohorts favour an allergic course or ‘‘atopic march’’. Recent data obtained on genetic mutations of the cutaneous barrier protein, filaggrin, provide good evidence for the existence of the atopic march. Specific immunotherapy might act on the atopic march through reduction of the risk of developing other atopic manifestations or other sensitivities. The atopic march could be represented by different clinical pictures and symptoms might appear in parallel or in disorder. # 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Atopic march; Atopic eczema; Asthma; Filaggrin 1. Introduction Le clinicien observe régulièrement le passage d’une maladie allergique à l’autre, par exemple, de l’eczéma ou de l’allergie alimentaire à l’asthme, ou encore l’association de manifesta- tions allergiques (syndrome dermorespiratoire ou syndrome des allergies multiples). Il s’agit donc d’une marche atopique ou d’une carrière allergique, qui est aussi illustrée par les données de cohortes. En amont, des travaux ont montré que l’exposition aux allergènes pouvait favoriser l’acquisition d’une sensibilisa- tion, puis le passage à la maladie allergique. Toutefois, il existe manifestement des données contradictoires, et des arguments en faveur de facteurs modificateurs de cette marche atopique. Des travaux se sont enfin intéressés aux traitements susceptibles de la modifier. 1.1. Les preuves de la marche atopique par les études épidémiologiques Intéressons nous d’abord au risque de développer une sensibilisation allergique. Pour les aéro-allergènes, celui-ci a été rattaché à la charge allergénique. Sporik et al. évoquaient, dès 1990, la notion de seuil d’acquisition d’une sensibilisa- tion aux acariens (2 mg/g de poussière) et de développement d’un asthme (10 mg/g de poussière de maison) [1]. Plus récemment, à partir de la cohorte allemande MAS, Lau et al. confirmaient le rôle du niveau d’exposition aux acariens dans les premiers mois de vie sur la survenue d’une sensibilisation [2]. Dans la même étude, les auteurs montraient que le risque d’asthme était lié à l’acquisition d’une sensibilisation, sans Revue française d’allergologie 49 (2009) 244246 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Deschildre). 1877-0320/$ see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reval.2009.01.033

La marche atopique existe-t-elle ?

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La marche atopique existe-t-elle ?

Does the atopic march exist?

A. Deschildre a,*, F. Rancé b

a Unité de pneumologie-allergologie pédiatriques, hôpital Jeanne-de-Flandre, CHRU, 59037 Lille cedex, Franceb Service d’allergologie et pneumologie, hôpital des Enfants, 330, avenue de Grande-Bretagne, TSA 70034, 31059 Toulouse cedex, France

Disponible sur Internet le 5 mars 2009

Résumé

Les études de suivi de cohorte sont en faveur d’une carrière de l’allergique ou « marche atopique ». Les données récentes obtenues à partir demutations génétiques d’une protéine de la barrière cutanée, la filaggrine, sont bien la confirmation de l’existence de la marche atopique.L’immunothérapie spécifique pourrait agir sur la marche atopique, en réduisant le risque de développer d’autres manifestions atopiques ou d’autressensibilisations. La marche atopique peut se présenter sous différents tableaux cliniques et les symptômes peuvent apparaître en parallèle ou dans ledésordre.# 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Marche atopique ; Dermatite atopique ; Asthme ; Filaggrine

Abstract

Longitudinal studies of cohorts favour an allergic course or ‘‘atopic march’’. Recent data obtained on genetic mutations of the cutaneous barrierprotein, filaggrin, provide good evidence for the existence of the atopic march. Specific immunotherapy might act on the atopic march throughreduction of the risk of developing other atopic manifestations or other sensitivities. The atopic march could be represented by different clinicalpictures and symptoms might appear in parallel or in disorder.# 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Atopic march; Atopic eczema; Asthma; Filaggrin

Revue française d’allergologie 49 (2009) 244–246

1. Introduction

Le clinicien observe régulièrement le passage d’une maladieallergique à l’autre, par exemple, de l’eczéma ou de l’allergiealimentaire à l’asthme, ou encore l’association de manifesta-tions allergiques (syndrome dermorespiratoire ou syndrome desallergies multiples). Il s’agit donc d’une marche atopique oud’une carrière allergique, qui est aussi illustrée par les donnéesde cohortes. En amont, des travaux ont montré que l’expositionaux allergènes pouvait favoriser l’acquisition d’une sensibilisa-tion, puis le passage à la maladie allergique. Toutefois, il existemanifestement des données contradictoires, et des argumentsen faveur de facteurs modificateurs de cette marche atopique.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Deschildre).

1877-0320/$ – see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservdoi:10.1016/j.reval.2009.01.033

Des travaux se sont enfin intéressés aux traitements susceptiblesde la modifier.

1.1. Les preuves de la marche atopique par les étudesépidémiologiques

Intéressons nous d’abord au risque de développer unesensibilisation allergique. Pour les aéro-allergènes, celui-ci aété rattaché à la charge allergénique. Sporik et al. évoquaient,dès 1990, la notion de seuil d’acquisition d’une sensibilisa-tion aux acariens (2 mg/g de poussière) et de développementd’un asthme (10 mg/g de poussière de maison) [1]. Plusrécemment, à partir de la cohorte allemande MAS, Lau et al.confirmaient le rôle du niveau d’exposition aux acariens dansles premiers mois de vie sur la survenue d’une sensibilisation[2]. Dans la même étude, les auteurs montraient que le risqued’asthme était lié à l’acquisition d’une sensibilisation, sans

és.

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toutefois de lien entre ce risque et le niveau d’exposition auxacariens.

Il faut nuancer ces résultats, car le lien entre exposition etsensibilisation n’a pas été confirmé par toutes les études decohorte [3]. De plus, toujours à partir de la cohorte MAS, lesauteurs ont montré que le risque d’asthme était associé àl’acquisition d’une sensibilisation, témoin de l’atopie, mais qued’autres facteurs intervenaient, notamment le profil persistantdes sensibilisations ou les antécédents familiaux d’asthme et demaladie allergique [4]. Dans le même sens, à partir des donnéesde la cohorte de Tucson, Castro-Rodriguez et al. développaientpour les nourrissons siffleurs un index prédictif d’évolution versun authentique asthme allergique. À côté de la sensibilisationaux aéro-allergènes, ils considéraient comme critères majeursdes antécédents d’asthme chez les parents et un diagnosticmédical de dermatite atopique (DA) du nourrisson [5].

Pour le clinicien, la marche atopique est caractérisée par lepassage d’une maladie allergique à l’autre, ou l’apparitiond’une nouvelle maladie allergique. Cela a été observé pour laDA, comme l’illustre les données de la cohorte australienne [6].Ainsi, 8583 enfants, âgés de sept ans en 1968 ont été suivisrégulièrement. Les auteurs ont montré que la DA de l’enfantconstituait un facteur de risque d’asthme, y compris à l’âgeadulte ! D’autres études ont montré le passage de la rhinite àl’asthme [7].

1.2. La confirmation de l’existence de la marche atopique :la filaggrine

La filaggrine est une protéine de la barrière cutanée qui joueun rôle essentiel dans la formation du stratum cornéum, enfavorisant les agrégats de kératine dans celui-ci. Le gène de lafilaggrine est localisé dans le chromosome 1q21 et comportetrois exons. Les mutations de la filaggrine ont initialement étéimpliquées dans l’ichtyose [8], puis dans la prédisposition àl’eczéma [9] et à l’asthme [10]. Des travaux récents ont émisl’hypothèse d’une altération de la barrière cutanée issue demutations de la filaggrine. Celle-ci pourrait favoriser lapénétration cutanée des allergènes dans le derme et le tissusous épithélial et donc l’interaction avec les cellulesprésentatrice de l’antigène (cellules de Langerhans etdendritiques) et ainsi conduire au développement des maladiesallergiques comme l’asthme et la rhinite allergique. Ainsi,Palmer et al., à partir de la cohorte Breathe ont étudié lesmutations de la filaggrine, dites « nulles » (R501X et 2282 del4), chez 874 asthmatiques âgés de trois à 22 ans, dont 458 auxantécédents de DA. Ils ont montré que les patients porteurs dela mutation nulle R501X et développant une DA, étaient àrisque d’asthme, dont la sévérité était de surcroît plusimportante [10]. Toutefois, la marche atopique est démontréechez le garçon et non chez la fille [11].

1.3. Les données contradictoires et les facteursmodificateurs

Les données contradictoires viennent de l’observationd’une marche atopique « désordonnée », ne respectant pas

le cheminement DA, puis expression respiratoire [12].Cela serait en faveur d’un terrain allergique propice audéveloppement de manifestations allergiques, quelles qu’ellessoient, plutôt que d’une évolution linéaire. D’autres auteursévoquent plutôt une évolution parallèle de l’allergie et del’asthme [2].

Les progrès de la génétique ont permis de préciser desfacteurs susceptibles d’intervenir sur la marche allergique. Destravaux illustrent en effet l’importance des interactions entre leterrain génétique et l’environnement, au sens large, c’est-à-dire non seulement les allergènes mais également, parexemple, les endotoxines. Ainsi, Celedon et al. ont évalué lerisque de maladie respiratoire allergique en regard del’exposition aux acariens et aux endotoxines mesurée dansle premier trimestre de vie [13]. Si l’exposition à desconcentrations élevées d’acariens augmente le risque d’acqui-sition d’un asthme, de façon significative, les auteurs ontmontré que la charge en endotoxine dans la poussière demaison agissait inversement comme facteur protecteur,rejoignant la théorie hygiéniste. Confortant l’importance desinteractions terrain génétique–environnement, Simpson et al.,à partir de la cohorte anglaise MAAS, ont montré que le risquede sensibilisation était lié à la charge en endotoxines et àcertains polymorphismes du gène codant pour le CD14,récepteur des lipopolysaccharides, principaux composants desendotoxines [14].

1.4. Peut-on modifier la marche atopique ?

La notion de carrière allergique, c’est-à-dire d’acquisitiond’une sensibilisation, puis d’une maladie allergique etd’évolution d’une maladie à l’autre, ont suscité des travauxsur la prévention chez des patients à risque (préventionsecondaire). D’emblée, il faut signaler les résultats négatifs desétudes qui se sont intéressées à l’environnement, ou encore auxmodalités de l’alimentation et de la diversification. Dans lemême sens, les études ayant étudié l’impact des antihistami-niques chez des patients présentant une DA n’ont pas observéd’impact sur l’acquisition d’un asthme. Plus récemment, destravaux sur la désensibilisation ont montré des résultatsintéressants et peut être une piste pour modifier l’histoirenaturelle de l’allergie. Ainsi, dans l’étude allemande PAT,205 enfants présentant une rhinite pollinique ont bénéficiéd’une désensibilisation injectable pendant trois saisonspolliniques successives et ont été suivis pendant dix ans[15]. Les auteurs ont montré que ce traitement protégeaitsignificativement de l’acquisition d’un asthme. Des travaux,toutefois de qualité méthodologique moindre, ont montrél’impact de la désensibilisation sublinguale sur le développe-ment de nouvelles sensibilisations aux aéro-allergènes ouencore d’un asthme [16,17]. Enfin, Pajno et al. ont traité pardésensibilisation sublinguale aux acariens 56 enfants présen-tant une DA [18]. Ils ont montré, après 18 mois dedésensibilisation, un impact favorable sur l’évolution de laDA, significatif chez les patients présentant une forme légère àmodérée. Il sera intéressant d’analyser l’impact en termed’évolution vers une rhinite ou un asthme.

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2. Conclusion

La marche atopique existe et les études vont dans le sensd’une association forte entre sensibilisation allergique, DA,rhinite et asthme. Toutefois, les études montrent quesensibilisation et maladie allergique peuvent s’installer enparallèle plutôt que successivement, que le terrain génétique estimportant et qu’il existe des facteurs modificateurs, notammentliés au terrain génétique. Concernant les interventions possiblessur l’histoire de l’allergie, il faut signaler les résultatsencourageants obtenus avec l’immunothérapie spécifique.Dans tous les cas, il paraît important d’avancer dans laconnaissance des critères identifiant les enfants s’engageantdans une authentique marche atopique et de valider sur cespopulations les modalités d’une prévention.

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[18] Pajno GB, Caminiti L, Vita D, et al. Sublingual immunotherapy in mite-sensitized children with atopic dermatitis: a randomized, double-blind,placebo-controlled study. J Allergy Clin Immunol 2007;120:164–70.