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Campus adventiste du Salève Faculté adventiste de théologie La médiation pastorale Mémoire Présenté en vue de l’obtention d’un Master en théologie adventiste par Jean-Manuel SERALINE Directeur de recherche : Gabriel MONET Assesseurs : Geneviève AUROUZE et Daniel RANISAVLJEVIC Collonges-sous-Salève Juin 2013

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Campus adventiste du Salève

Faculté adventiste de théologie

La médiation pastorale

Mémoire

Présenté en vue de l’obtention d’un Master en théologie

adventiste

par

Jean-Manuel SERALINE

Directeur de recherche : Gabriel MONET

Assesseurs : Geneviève AUROUZE et Daniel

RANISAVLJEVIC

Collonges-sous-Salève

Juin 2013

2

Remerciements

Ce mémoire de Master en théologie constitue une étape décisive dans mon processus

de développement personnel. Sa préparation m’a donné l’opportunité de constater qu’évoluer

patiemment sous l’éclairage des connaissances régulièrement acquises, s’adapter, s’ouvrir

joyeusement à l’autre et au monde sans se renier est encore possible. Pour arriver à ces

conclusions, il m’a fallu rencontrer des hommes et des femmes tels que vous.

C’est donc à chacun de vous que j’adresse ces remerciements :

A mon directeur de recherche, Gabriel Monet, pour tous les conseils prodigués lors de

la réalisation de ce travail. Ses remarques judicieuses, son professionnalisme et ses

encouragements m’ont permis d’aller plus loin dans mes recherches.

A mes deux assesseurs, Geneviève Aurouze et Daniel Ranisavljevic pour leurs

corrections.

Aux professeurs de la F.A.T., qui durant ces cinq années vécues sur le campus du

Salève, ont su me stimuler afin que je donne toujours le meilleur de moi-même.

A la communauté adventiste du pays de Gex et sympathisants, pour leur accueil

chaleureux et soutien permanent durant ces trois dernières années passées ensemble. Ils m’ont

permis à la fois de mettre en application les connaissances acquises en cours et de les élargir

par leurs expériences propres.

A tous ceux (personnels de bibliothèque, proches, concitoyens…) qui par leur douce

influence ont contribué à la rédaction de ce travail.

A ma famille et belle-famille qui malgré l’éloignement géographique m’ont apporté

beaucoup de bonheur.

A ma tendre épouse, Marie-Agnès, pour ses délicates attentions durant toutes ces

années. Ses conseils didactiques m’ont été bien utiles.

En terminant, je loue Dieu, mon Père, pour les capacités et grâces particulières qu’Il

m’accorde pour la formation et le service aux autres. Que toute la gloire Lui revienne!

3

Liste des abréviations

Les abréviations utilisées pour les livres bibliques sont celles de la TOB (11e Ed), Société

Biblique Française, Villiers-le-Bel, Cerf, 2010.

A.T. = Ancien Testament.

Av. J.C. = avant Jésus-Christ.

Cf. = voir, comparer.

Chap. = chapitre.

Ed. = édition.

(éd.) = éditeur.

(éds.) = éditeurs.

NBS = Nouvelle Bible Second.

N.T. = Nouveau Testament

p. = page.

P.U.F.= Presses Universitaires de France.

P.U.R.= Presses Universitaires de Rennes.

ss. = les versets suivants.

T. = tome.

TOB = Traduction Œcuménique de la Bible.

V. = verset.

Vol. = volume.

4

Introduction générale De nos jours, parler de médiation est très en vogue. D’ailleurs, nous trouvons des

médiateurs dans plusieurs sphères de la vie courante telles que la famille, la justice,

l’éducation et le monde du travail, entre autres. Il est également possible d’entendre parler de

médiation dans les milieux religieux. Ainsi notre sujet porte-t-il sur la médiation vécue au sein

d’une communauté ecclésiale dans une perspective pastorale. La Bible en parle, plus encore,

elle nous présente un médiateur unique en la personne du Christ. Celui-ci aura pour mission

de réconcilier l’Homme en désaccord avec son Créateur. Car un médiateur est celui qui fait le

lien entre deux entités séparées ou en conflit1. C’est ainsi que les Saintes Ecritures déclarent

que « Jésus s’est donné en rançon pour tous » pour faire acte de médiation (1Tm 2.5-6)2. Il

conviendra pour nous de comprendre dans quelle mesure les principes de médiation

émergeant de la Bible, ainsi que ceux ressortant des médiations contemporaines, ont une

incidence ou non sur une médiation pastorale. Existe-t-il des éléments communs entre les

concepts de médiation du monde religieux et ceux du monde laïc ? Si oui, des liens sont-ils à

envisager ? Parallèlement, il serait intéressant de savoir si la notion de médiation a évolué

entre l’Ancien et le Nouveau Testament.

Après avoir apporté quelques précisions sur la signification du mot médiation, nous

focaliserons notre attention sur la notion de conflit. Cette étape est indispensable car c’est à

partir de conflits divers qu’ont été élaborées des méthodes de résolution, dont la médiation.

Suite à ces éclaircissements, nous proposerons un travail en trois parties, afin de répondre à la

problématique posée en amont. La première partie de notre étude s’intitule : Fondements

bibliques de la médiation dans une perspective pastorale. Il s’agira tout d’abord de faire une

recherche sur le vocabulaire biblique proche du thème de la médiation. Ensuite, nous

discuterons des caractéristiques des médiations et médiateurs présents dans les Saintes

Ecritures. Enfin, nous verrons si des liens sont possibles entre les deux Testaments. Les

éléments de médiations dévoilés dans la Bible pourraient interpeller, et même inspirer le

1 « Etre en conflit fait partie de la vie, ce n’est ni un bien ni un mal. Cela est, et nous devons apprendre à

transformer une telle situation de rupture entre deux individus, deux groupes d’individus, deux pays, mais aussi

soi-même. La violence est une force de vie qui habite en chacun de nous; il est important de reconnaître qu’elle

est là, qu’elle s’exprime chaque fois que l’on se retrouve confronté à l’opposition ». (Jacqueline MORINEAU,

L’esprit de la médiation, Toulouse, Eres, 2010, p. 30). 2 « Cette formule de 1Tm 2.5-6 résume et interprète à la fois le kérygme primitif, en faisant intervenir la

catégorie de médiation. Elle est structurée comme une confession à deux articles, l’une adressée au Dieu unique

et l’autre au Christ (cf. 1Co 8.6). Cet article christologique désigne le Christ à la fois selon son identité (Dieu) et

selon son action (rachat de l’homme) ». (Bernard SESBOUE, Jésus-Christ l’unique médiateur. Essai sur la

rédemption et le salut, Paris, Desclée, 1988, p. 88).

5

pasteur quant aux médiations qu’il pourrait mener. Le deuxième chapitre aura pour titre : Le

pasteur, un médiateur. Ici nous nous intéresserons aux responsabilités du pasteur vis-à-vis de

ses paroissiens. Nous y verrons aussi les attentes actuelles des membres d’Eglise vis-à-vis de

lui. Cette analyse nous permettra de voir comment mettre en place la médiation dans nos

paroisses. Car l’Eglise, nous semble-t-il, est un lieu où l’on favorise le partage entre individus.

On peut en effet y connaître des échanges fructueux, positifs, conduisant vers une harmonie

au sein de la communauté. Mais des tensions, des désaccords, des malentendus et même des

disputes peuvent y apparaître3. Face à cette réalité, le pasteur, en tant que leader spirituel, peut

jouer le rôle d’intermédiaire pour accompagner les protagonistes, afin qu’ils trouvent des

solutions face à leurs crises. Il a aussi le devoir de veiller à la formation/information de ses

paroissiens, ce qui reviendrait à faire de la prévention. Il nous semble que les dirigeants ne

doivent pas attendre que l’Eglise prenne feu pour réagir. Il vaut mieux qu’ils soient proactifs,

au lieu de jouer aux pompiers. Cependant, il reste clair que le pasteur n’est pas un faiseur de

miracles. Il peut être un soutien pour la communauté, mais chacun de ses membres reste libre

de ses choix. D’après Gelin :

Le pasteur-médiateur est : « là pour favoriser, encourager […] le

développement de relations par lesquelles l’Esprit Saint produit de la vie. […] Mais

la gestion des relations n’est pas une fin en soi, elle est une des conditions de la

vie4 ».

Pour aller plus loin, nous verrons que la médiation n’est pas une spécificité pastorale.

En revanche, certains professionnels possèdent les compétences/aptitudes nécessaires pour la

mettre en place au sein de notre société. D’ailleurs, il serait judicieux de savoir si la gestion de

tout type de conflits est du ressort du pasteur : celui-ci ne serait-il pas amené à passer le

flambeau à un acteur plus compétent (un autre médiateur) ? Le troisième chapitre : quelles

caractéristiques pour la médiation pastorale, nous permettra d’entrer dans toutes les

dimensions de la médiation. A savoir quel processus elle suivra, sous quelles formes, avec

quelles applications. En d’autres termes, comment fonctionne la médiation ? Cela nous

amènera à présenter succinctement d’autres méthodes de résolution de conflits, tout en

3 « Depuis plusieurs années nos sociétés occidentales manifestent un peu partout un intérêt grandissant pour la

question des conflits et des moyens à mettre en œuvre pour les gérer et les résoudre. Dans les différents champs

socioprofessionnels, on se rend compte qu’on ne peut s’épargner de réfléchir à cette question épineuse et

inéluctable qu’est le conflit social. Il en est de même dans l’Eglise, la famille ou le voisinage. Le mot conflit et

ses dizaines de synonymes font partie du vocabulaire quotidien. On admet assez facilement, à la veille du

troisième millénaire, et quel que soit le contexte ou la situation, que le conflit est une partie intrinsèque de notre

réalité terrestre ». (Juan José ROMERO, Michel SOMMER, « Entrée en conflits », Les Cahiers du Christ seul 3-

4 (1995), p. 53). 4 Richard GELIN, « Pasteur en relations, le ministère pastoral, une relation à vivre », Les cahiers de l’école

pastorale 42 (2002), p. 7.

6

mentionnant leurs différences d’avec la médiation. A ce moment-là, considérer des limites et

faiblesses de la médiation nous paraîtra judicieux. Pour terminer, nous présenterons quelques

perspectives de médiation au sein d’une communauté ecclésiale. Quant aux éléments de

conclusion, ils rappelleront l’essentiel de notre recherche et proposeront des méthodes

d’intégration des principes de médiation dans la vie pastorale. La considération de leurs

avantages et inconvénients spécifiques contribuera à ouvrir d’autres perspectives à notre

étude.

Avant d’entamer cette démarche, et même si l’ensemble des pages qui suivent

permettront d’approfondir, il nous paraît utile de clore cette introduction en définissant deux

notions clés pour notre sujet, à savoir la médiation et le conflit.

La médiation

Le terme médiation implique, dans son essence, la position de celui qui sert

« d’intermédiaire », qui se « tient entre »5, « est au milieu de

6 ». Le pourquoi de cette position

entre deux entités n’est pas toujours clairement défini. De ce fait, Michèle Guillaume-

Hofnung entrevoit la médiation en deux grandes perspectives : la médiation de différences et

la médiation des différends. La première se vit en dehors de tout conflit, et est de l’ordre du

normal. Car la différence est à la base de toute construction sociale. « Le lien social passe

toujours par la médiation d’un élément tiers. Celui-ci peut être un individu, un objet, ou

encore la langue, médiateur par excellence7 ». Deuxièmement, la médiation des différends :

elle est préconisée entre deux parties en vue d’anticiper tout conflit. Six va élargir le champ

d’action de la médiation et dira :

« Qu’une définition générale de la médiation doit prendre en compte quatre

sortes de médiation : la médiation créatrice ; la médiation rénovatrice ; la médiation

préventive ; la médiation curative. Les deux premières étant destinées à faire naître

ou renaître un lien, les deux autres étant destinées à parer aux conflits8 ».

Par conséquent, quand on parle de médiation, il n’y a pas forcément conflit. Le

médiateur peut être assimilé à un interprète, un traducteur au sens noble du terme, celui qui

traduit les mots d’une langue à l’autre pour faire le lien. Selon Morineau, la médiation

5 Voir page 4.

6 Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 22.

7 Michèle GUILLAUME-HOFNUNG, La médiation, Paris, P.U.F. 5

e Ed., 2009, p. 70.

8 « La médiation créatrice a pour but de susciter entre des personnes ou des groupes des liens nouveaux ; la

médiation rénovatrice qui réactive des liens distendus ; la médiation préventive pour éviter l’éclatement d’un

conflit ; la médiation curative pour aider les parties en conflit à en trouver la solution ». (Jean-François SIX, Le

temps des médiateurs, Paris, Seuil, 1990, p. 164).

7

« participe non seulement à une recherche d’apaisement entre les individus mais à un objectif

à long terme : promouvoir une culture de paix dans le monde9 ».

Malheureusement, nous constatons que la médiation est plus souvent connue comme

méthode de gestion de conflits. Elle consistera à créer un cadre où les parties en rivalité

pourront renouer le dialogue vers un processus de paix. « Elle permet d’amener les parties à

comprendre, à se comprendre, à parler, à se parler, voire à se parler pour la première fois10

».

En général, la médiation sera vécue dans un accord consenti entre les fractions en conflit, et,

en aucun cas, ne peut leur être imposée. Mais, il existe des situations où un médiateur peut

être imposé. Cela se vérifie dans le cadre de problèmes juridiques par exemple.

Les conflits

En général, lorsqu’un être humain entend le mot « conflit », il pense à un affrontement

entre deux sujets antagonistes. En outre, il croit qu’il faut automatiquement un gagnant et un

perdant pour parvenir à le résoudre. La vérité est que nous sommes influencés par notre

culture et nos propres schémas de pensée. En fait, que signifie réellement le mot conflit ? Ce

terme est emprunté du latin conflictus, lui-même issu du verbe confligere qui signifie

« heurter » 11

ou encore affrontement, choc.

« Le conflit constitue un rapport de forces de deux pouvoirs ou deux

principes dont les applications exigent dans un même objet des déterminations

contradictoires […] il peut aussi avoir conflit d’une seule autorité avec elle-même,

si elle ne peut s’appliquer à un objet donné sans aboutir à une conclusion12

».

Le dictionnaire des synonymes13

emploie des mots comme guerre, ou encore

antagonisme (état d’opposition de deux forces, de deux principes). Selon Lascoux et Tavel,

un conflit a trois composantes.

« Tout d’abord, une composante juridique14

: qui concerne le lien de droit

qui existe entre les parties en conflit, lien contractuel (qu’il s’agisse d’un contrat

écrit ou non) ou délictuel. Ensuite, une composante technique : qui recouvre les

aspects plus complexes du conflit, pour lesquels l’avis d’un expert est utile, ainsi

que les aspects pratiques, organisationnels ou financiers. Et enfin, une composante

affective : c’est-à-dire émotionnelle, typique d’une relation dégradée, entretenant le

9 Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 22.

10Jean-Louis LASCOUX, Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la résolution des conflits, Issy-

les-Moulineaux, ESF, 2001, p. 38. 11

Oscar BLOCH, Walter VON WARTBURG, Dictionnaire Etymologique de la langue Française, Paris, P.U.F.,

1968, p. 150. 12

André LALANDE, Vocabulaire Technique et Critique de la Philosophie, Paris, P.U.F., 12e Ed., 1976, p.168.

Cf. le Petit Larousse présente le conflit « comme une opposition de motivations contradictoires chez la même

personne ». (Bertrand Eveno, Yves GARNIER, Mady VINCIIGUERRA, Le Petit Larousse, Paris, (éd.)

Larousse, 1998, p. 247-248). 13

« Autres synonymes : compétition, contestation, désaccord, dispute, lutte, opposition, rivalité, tiraillement ».

(Henry BERTAUD DU CHAZAUD, Dictionnaire de synonymes et contraires, Paris, Le Robert, 1998, p. 193). 14

Chaque expression soulignée dans ce travail, ici et ailleurs, l’est par nos soins.

8

différend par-delà l’éventuel règlement du litige dans ses aspects juridiques et

techniques15

».

Par conséquent un conflit peut surgir soit entre deux entités distinctes au sein d’un

groupe, ou au cœur d’un individu en opposition avec lui-même. D’ailleurs, il nous semble que

le conflit n’est pas à envisager seulement dans une perspective négative, conduisant à la

violence. Tout individu vit de relations avec des congénères qui lui sont différents autant que

lui-même est différent d’eux. Cette condition peut engendrer tensions et désaccords. Il

n’existe pas de relations sans conflits16

. Poujol, citant Max Weber, déclare que le conflit est

une relation sociale.

« Si la relation sociale est un comportement réciproque de plusieurs

individus, celle-ci peut s’exprimer sous la forme de l’entente et de l’amour, ou au

contraire, du désaccord et de la haine. Tout rapport social est porteur d’un double

potentiel d’amour et de haine17

».

Il convient donc pour les protagonistes de pouvoir appréhender et gérer au mieux

leurs relations, qu’elles soient positives ou non. Pour ce faire, il faut bien connaître la nature

du conflit en question. Nous en distinguons trois : des conflits de besoins, d’intérêts, et de

valeurs. Le conflit de besoins nous renvoie à la pyramide de Maslow18

déterminant les besoins

essentiels de tout être humain en cinq caractéristiques.

Ainsi, la satisfaction de ces besoins est capitale pour favoriser le maintien et le

développement de tout individu. Le conflit d’intérêts traite des avantages qu’une tierce

personne souhaite défendre pour assurer son bien-être. « Le conflit de valeurs est ce qui rend

une chose, un objet ou un idéal digne d’estime. Or, les échelles de valeurs varient d’un

individu à l’autre…19

». Nous pouvons prétendre que tout conflit affecte l’homme dans son

entièreté, il touche à sa vie physique, morale et émotionnelle. Dans le conflit, « le sentiment

reste souvent très flou : on est mal sans pouvoir identifier la cause, l’angoisse monte et la peur

s’instaure20

». Le conflit, faut-il le rappeler, peut conduire à quelque chose de constructif et de

salutaire pour les groupes qui s’opposent. Poujol précise que la présence du conflit montre

que nous sommes en vie, et permet aussi à l’autre d’exister. En effet, il est une réaction à un

15

Jean-Louis LASCOUX, Agnès TAVEL, Code de la médiation, Bordeaux, Médiateurs (éds.), 2009, p. 18. 16

« S’il n’y a pas conflits, c’est qu’ils sont occultés, refoulés, et d’autant plus virulents qu’ils agissent soit en

rongeant les personnes de l’intérieur, soit par retour du refoulé après des années de non-dits ». (Frédéric

ROGNON, Gérer les conflits dans l’Eglise, Lyon, Olivétan, 2005, p. 15). 17

Claire POUJOL, Jacques POUJOL, Les Conflits. Origines, évolutions, dépassements, ( ?), E.T.P., 1989, p. 25. 18

Abraham, MASLOW, Devenir le meilleur de soi-même, Paris, Eyrolles, 2008, p. 57-67. Cf. Claire POUJOL,

Jacques POUJOL, Les Conflits. Origines, évolutions, dépassements, p. 97. 19

« En effet, du fait de la culture, de l’éducation, de l’expérience de la vie, du système de croyances… ».

(Frédéric ROGNON, Gérer les conflits dans l’Eglise, p. 16). 20

Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 34.

9

choc. « Le conflit construit l’identité ; favorise la maturation ; crée l’équilibre et apporte du

changement dans la vie des groupes…21

». Mais si les protagonistes n’arrivent pas à

comprendre ce qui leur arrive, ils ne peuvent plus dialoguer, et ont besoin d’aide ! Il leur

faudra un médiateur pour favoriser les échanges.

Les bases de notre travail étant posées, les termes « médiation » et « conflit » ayant été

définis, il nous reste maintenant à pénétrer dans l’univers de la Bible pour en voir leurs

manifestations. Puis viendra pour nous le moment d’apprécier la médiation, comme

compagne de vie et outil promouvant la paix. Car en fin de compte, dans nos relations soit

verticales (de l’homme à Dieu), soit horizontales (d’humain à humain), c’est d’équilibre, de

paix dont nous avons besoin22

.

21

Claire POUJOL, Jacques POUJOL, Les Conflits. Origines, évolutions, dépassements, p. 50-60. 22

Comme toute recherche, notre travail n’est pas exhaustif et trouve des prolongements qui mériteraient à eux

seuls une étude à part entière.

10

Premier chapitre

11

1. Fondement biblique de la médiation dans une perspective

pastorale

Dans ce premier chapitre, nous examinerons différents textes de l’Ancien et du

Nouveau Testament où un vocabulaire biblique familier à la médiation est employé. Puis nous

nous intéresserons à l’évolution du concept de médiation entre Ancien et Nouveau Testament.

Cela constituera une base de notre réflexion ultérieure sur le pasteur-médiateur.

1.1 Principes de médiation dans l’Ancien Testament

Ici, notre travail consistera précisément à analyser les aspects et implications de la

médiation à l’époque de l’ancienne alliance. Cette méthode nous permet d’examiner au plus

près les divers profils de médiations et de médiateurs. Déjà, dès les premières lignes de la

Genèse, Dieu intervient en faveur d’Adam, d’Eve et de Caïn, en vue de leur salut. Cependant,

c’est à partir de Moïse23

que l’on commence à parler véritablement de médiateur humain. Puis

viennent les prêtres, juges, prophètes et rois. Le rôle principal de ces différents acteurs est de

créer le lien entre le peuple et YAHWE. Ce qui représente une dimension verticale de la

médiation. Ce que Dieu désire c’est établir une relation harmonieuse avec ses enfants.

« Le message de la délivrance parvient aux affligés au moyen d’une bouche

humaine, d’un être humain parmi les autres. C’est une parole transmise. Et à son

tour, la marche guidée à travers le désert s’effectue au moyen d’un intermédiaire,

d’un homme. Ni la proclamation, ni la réalisation de la délivrance ne saurait se

passer de médiateur. La parole, comme l’action de Dieu, peuvent être

communiquées à son peuple par un homme…24

».

1.1.1 Gestion de conflits au sein de la première famille biblique

Aux chapitres 3 et 4 de la Genèse, nous retrouvons deux situations problématiques

liées à la vie de la première famille biblique : Eve, Adam et leurs deux fils Caïn et Abel.

Vouloir d’emblée présenter Dieu comme un médiateur lors des premiers conflits bibliques est

un exercice risqué, voire impossible. Bien au contraire, c’est face à un Dieu/juge que nous

nous retrouvons. Un Dieu nanti d’une certaine autorité, intervenant avec fermeté dans la vie

des individus. Par conséquent, l’étude de ces textes n’a pour objectif que de nous aider à

déterminer si dans ces premiers jugements, Dieu ne posait pas déjà les jalons d’une certaine

médiation à venir. De plus, à travers ces épisodes, il apparaît comme un Dieu à double

casquette, car si sa fonction de juge est dominante, on ne peut évincer les éléments de

23

Claus WESTERMANN, Théologie de l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2002, p. 89. 24

Ibid.,

12

médiation qui font surface. Cela étant, ces péricopes ne peuvent dévoiler en elles-mêmes

toutes les clés de la médiation. Par conséquent, nous nous contenterons des éléments textuels

significatifs qui ressortent de ces premiers conflits de l’humanité.

Par exemple, voyons ce qu’implique la notion de Dieu/juge (sofèt) dans l’Ancien

Testament.

« Celui qui ouvre la Bible ne tarde pas à découvrir Dieu sous les traits d’un

juge (sofèt). Dès le chapitre 3 de la Genèse en effet, confronté à un désordre

introduit par l’être humain dans l’ordre de la création, Dieu vient en juge et vient

sanctionner la faute. Il vaut donc la peine d’aller relire ce récit mythique pour

tenter de voir ce qui s’y joue à propos du jugement dès l’aube de l’humanité25

».

Sofèt vient du verbe שפט (shapat), qui implique le fait de juger, mais dans le sens de

libérer. Selon les auteurs du Theological Wordbook of the Old Testament, le sens premier de

est d’exercer un processus de gouvernement שפט26

. De plus, déclarent-ils, dans l’A.T. ce

gouvernement incluait souvent des fonctions législative, exécutive et judiciaire. Ce qui n’est

pas le cas dans notre fonctionnement moderne, où tout est bien distinct27

. Le sofèt est un juge

capable de rendre justice de façon claire. Dans le livre des Juges, Dieu est désigné comme

étant le Sofèt, le juge par excellence28

. Sofèt évoque collectivement dans un seul passage (Jg

2.16-19) les agents du juge suprême. Partout ailleurs, le narrateur préfère (quelle que soit la

25

André WENIN, « Le jugement d’Adonaï Dieu en Genèse 3. Récit et théologie » Le jugement dans l’un et

l’autre Testament, Paris, Cerf, 2004, p. 33-48. 26

Gleason L. ARCHER, R. Laird HARRIS, Bruce K. WALTKE, et al., The Theological Wordbook of the Old

Testament, Vol. 1, Moody Press, Chicago, 1980, p. 947. 27

« La traduction de שפט n’est pas évidente. Il est traduit en anglais par, fonction juridique de gouvernement ou

encore ministère (de). Et, l’avons-nous dit en amont, à l’époque ancienne, שפט englobait ‘‘ plusieurs ministères

dans l’exercice de gouvernement ’’. A cette époque, les hommes se sentaient davantage dirigés par la vie de

leurs ancêtres que par des lois précises. Ainsi l’administration de la justice dans les nations orientales, comme

parmi les Arabes du désert à ce jour, repose sur les aînés patriarcaux. […] par conséquent l’analyse suivante de

l’utilisation de ce mot de base pour l’exercice du gouvernement apparaît. Premièrement pour agir en tant que

règle. Ce qui pourrait être fait par la congrégation d’Israël (Nb 18.22) ; par un juge individuel (Dt 1.16 ; 1Sm

7.16) ; par un Roi (Jg 8.20) ; par le Messie (Ps 72.4) ou Dieu lui-même (Ps 96.13). Toutefois, seul Dieu peut

exercer la véritable justice. Il est ‘‘ celui qui juge toute la terre ’’ Gn 18.15. Néanmoins, Moïse traitant des cas

criminels, domestiques, religieux ou autres agit pour Dieu et par autorité divine (Ex 18.13). Il en est de même

pour les autres règles de la théocratie de l’AT (Dt 1.17). Deuxièmement שפט est employé pour décider des cas

de polémique, comme juge des cas civils, domestiques, et religieux. En pareil cas, le devoir du juge renvoie

spécifiquement à juger avec la mishpat (justice) et la sedeq (la droiture) Ps 72.2-4. Et en cas de frais, ‘‘ ils

justifieront le juste et condamneront le mauvais ’’ (Dt 25.1). Troisièmement, dans la mesure où une situation est

gouvernée par des personnes plutôt que simplement par des lois, le dirigeant civil (le juge) a le pouvoir exécutif

aussi bien que le pouvoir judiciaire. Par exemple, David qui en appelle à Dieu dans sa polémique avec Saül,

déclare que ‘‘ le Seigneur rendra la justice, il sera juge (shapaf) entre toi et moi ; il regardera, il défendra ma

cause, il jugera en me délivrant de ta main (1S 24.16) ’’. Par conséquent, des mots tels que livrer, condamner,

punir, et des mots relatifs au jugement exécutif peuvent être employés dans les traductions. Quatrièmement, Dieu

est la vraie autorité, il est Sofèt prééminent (Ps 50.6, 96.13, 94.2, 103.19) ». (Gleason L. ARCHER, R. Laird

HARRIS, Bruce K. WALTKE, et al., The Theological Wordbook of the Old Testament, p.947-948). 28

Néanmoins ce substantif figure une seule fois au singulier dans le livre pour désigner Yahvé le juge par

excellence (11. 27). (Brian TIDIMAN, Le livre des Juges, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2004, p. 25).

13

traduction adoptée par nos versions) la forme verbale « il jugea29

». Etant donné que

l’occurrence sefet parle d’un acte de jugement, cela implique la demande d’une justice

pouvant répondre aux besoins d’une société.

Chez les Akkadiens, le roi nommait un sapitum qui :

« Selon les documents du Mari, était nommé par le roi (sarrum) pour agir en

tant que gouverneur territorial ; ses activités comprenaient l’administration, la

conduite des campagnes militaires, et l’arbitrage des conflits domestiques (cf.

marzal)30

».

Maintenant, comment Dieu, le sofèt prééminent, gère-t-il l’acte de désobéissance

d’Adam et Eve ? Le couple édénique, bien que jouissant d’une communion réelle avec son

Créateur, demeurait libre quant à ses choix de vie. D’ailleurs, c’est dans une totale confiance

mutuelle que la relation évoluait. Et lorsque Dieu dit : « tu pourras manger de tous les arbres

du jardin, mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal31

», il leur

permettait d’exister, de prendre leurs propres décisions. En somme de vivre la liberté, celle

qu’il leur proposait ! En faisant le choix contraire, Adam et Eve devenaient esclaves de leur

propre personne, de leur désir. Le résultat de la désobéissance fut sans appel : peur, fuite,

honte, mensonge32

. Sommer commente :

« Avoir pris la place et le rôle de Dieu en définissant leur liberté les a

conduits, non à plus de responsabilités (la saine capacité à assumer ses choix), mais

à l’irresponsabilité et en définitive au mensonge. Ainsi donc traiter des conflits,

c’est parler de liberté, de relation, d’affirmation de soi, de responsabilité. Le récit

de Genèse ‘‘ indique que l’être humain est toujours tenté de se mettre au centre et

de s’élever ’’. Cet acharnement contre Dieu et contre les autres est une tentation si

forte que l’être humain semble incapable d’y résister33

».

Rappelons qu’il existe quatre personnages dans la narration : Dieu, Adam, Eve et le

Serpent. Si conflit il y a, il se présente avant tout entre le Créateur et le couple, lequel ne peut

plus supporter la présence divine. Et c’est précisément ici que commence la « médiation ».

Dieu n’abandonne34

pas Adam et Eve à leur désespoir. Un premier principe de

29

Brian TIDIMAN, Le livre des Juges, p. 25. 30

Willem A. VAN GEMEREM, New International Dictionary of Old Testament Theology & Exegesis, Vol. 4,

General Editor, 1996, p. 213. 31

Gn 3.16-17. 32

PIROT et CLAMER disent : « Sans doute qu’habituellement Adam et Eve étaient heureux de la rencontre avec

YHWH [...] ils se cachent pour ne pas apparaître dans leur nudité. Au sentiment de la pudeur s’ajoute celui du

remords (culpabilité) ». (Louis PIROT, Albert CLAMER, La Sainte Bible, T. 1 Genèse, Paris, Letouzey et Ané,

1953, p. 144 ; « Godet déclare que ces éléments sont « des signes avant-coureurs de la punition proprement

dite ». (Frédéric GODET, La Bible annotée. A. T. 1 Genèse, Exode, St-Légier, Emmaüs, 1985, p. 114). 33

Juan José ROMERO, Michel SOMMER, « Entrée en conflits », p. 36. 34

PIROT et CLAMER, en commentant la chute d’Adam et Eve, déclarent : « quoi qu’il en soit, par ce passage,

l’auteur entend montrer que Dieu, malgré la faute, n’abandonna pas nos premiers parents, mais qu’il les guida

14

médiation apparaît ici : Dieu crée un espace de parole. Cet espace permettra de renouer la

relation brisée. Sans ce positionnement, le couple fautif serait resté dans une situation

d’échec. L’objectif de Dieu est de permettre la continuité dans le dialogue qui existait

auparavant entre Eve, Adam et lui. Néanmoins, la possibilité de médiation paraît restreinte

entre les trois protagonistes, car Dieu ne peut être neutre35

. Il est vrai que créer la possibilité

d’échanges, élément incontournable de la médiation, est mis en avant par Dieu. Mais c’est au

sein d’un conflit opposant Adam et Eve que ce principe semble fructueux. Cela se dévoile au

moment où Dieu invite le couple à s’exprimer (Gn 3.9). « Où es-tu ? Qui t’a appris que tu es

nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre »…? Dieu s’intéresse au couple avant de traiter l’objet

du conflit. Ballesteros stipule :

« Nous ne pouvons traiter le conflit en le résolvant comme si un conflit

pouvait se dissoudre et disparaître. Il s’agira d’accorder une grande importance aux

personnes et à la façon dont elles communiquent dans leur conflit. Bien entendu, le

conflit doit trouver des issues afin que les personnes puissent satisfaire leurs

besoins respectifs. Autrement dit, une médiation exclusivement centrée sur le

conflit risque de passer à côté de ce qui est le centre d’un conflit, à savoir les

personnes et leurs relations. Sans négliger l’objet du conflit36

».

Maintenant qu’une médiation semble possible entre Adam, Eve et Dieu, voyons les

autres principes qui surgissent. Tout d’abord, la neutralité37

. C’est la meilleure attitude que

puisse adopter le Seigneur ici, car il est à présent décentré de la crise. De plus, il ne prend pas

parti. Ainsi donc les fautifs peuvent s’exprimer librement et avouer leur forfait, même si en

fin de compte chacun rejette la faute sur l’autre38

. Nous retenons dans ce passage que la

responsabilité de chacun a été établie. L’un n’est pas plus coupable que l’autre. Et Dieu en

tant que médiateur change les accusations des protagonistes en termes de responsabilité. Il est

ici un facilitateur de dialogue39

. Néanmoins, le Dieu juge (sofèt) reste bien présent ici, car il

prononce une sentence. Un verdict est énoncé pour chacun des trois protagonistes. Ces

dans la voie des arts qui vont leur être nécessaires […] on voit que le vêtement convient à l’homme comme une

chose spécialement voulue de Dieu ». (Louis PIROT, Albert CLAMER, La Sainte Bible, p. 144). 35

Toutefois rappelons qu’être « neutre ne signifie pas avoir une absence d’engagement […] le médiateur est

neutre vis-à-vis des parties, mais il ne l’est pas vis-à-vis des relations humaines ». (Jean-Louis LASCOUX,

Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la résolution des conflits, p. 79 et 81). 36

Juan BALLESTEROS, La médiation : une expression du pacifisme mennonite, Sion (Suisse), Institut

Universitaire Kurt Bosch, 2007, p. 54. 37

« Le médiateur doit savoir ne pas s’identifier aux causes défendues (ou représentées) par l’une ou l’autre des

parties ; la neutralité est une préoccupation essentielle, c’est pourquoi elle est traitée à chaque fois qu’il s’agit de

l’intervention d’un médiateur ». (Jean-Louis LASCOUX, Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la

résolution des conflits, p. 33-34). 38

« Ce qui devait être affirmation de soi conduit en réalité à la fuite (Gn 3.12 à 14). L’homme accuse la femme,

la femme accuse le serpent, plutôt que d’assumer leurs actes et les conséquences ». (Juan José ROMERO,

Michel SOMMER, « Entrée en conflits », p. 36). 39

Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 19.

15

derniers reçoivent leur sanction en fonction de la gravité de leurs méfaits40

. Ce ne sont pas les

prérogatives d’un médiateur qui sont ici présentées, mais bien celles d’un juge impartial41

.

Nous y reviendrons. De plus, la possibilité de résoudre le conflit entre Adam et Eve ne vient

pas d’eux comme le veut la médiation actuelle42

, mais de Dieu. En définitive, Dieu fera

retomber la conséquence du péché sur son véritable instigateur : le Serpent43

, car au bout du

compte, le véritable conflit est entre le Serpent et Lui. Par ailleurs, nous n’avons aucune

information sur la cause de la rivalité qui existe entre Dieu et Satan. Certes le dialogue

suspicieux qu’a le Serpent avec la femme suppose une animosité antérieure envers Dieu, mais

nous ne disposons ici d’aucune preuve textuelle. Remarquons aussi que lorsqu’il reçoit sa

sentence, le serpent n’intervient pas, plus un mot ne sort de sa bouche. L’action de Dieu revêt

ici une autorité particulière, celle d’un juge omnipotent44

. En concluant, nous dirions que le

titre de juge est à attribuer au Créateur sans équivoque. En effet, il sanctionne chacun des

individus d’après leurs implications dans le conflit qui les lie. Néanmoins, une perspective de

médiation a été envisagée. Grâce à son intervention dans la relation conflictuelle d’Adam et

Eve, le dialogue redevient possible et ces derniers sont réhabilités.

Le verbe שפט (shapat), faut-il le rappeler, évolue dans un cadre juridique où Dieu est

présenté comme le Juge des juges ayant un verdict équitable. Autrement, si le jugement est

posé par des hommes, il concerne son environnement sociétal. Mais, dans les deux cas, שפט

décrit « une gamme d’actions qui reconstituent ou préservent l’ordre dans la société, de sorte

que la justice, particulièrement la justice sociale, soit garantie 45

».

40

« Parce que tu as fait cela…parce que tu as écouté la voix de ta femme… ». (Gn 3.14 à 17). 41

Voir note 25. 42

Le rôle du médiateur « n’est pas de trancher, ni même de conseiller. Il sera de faciliter les échanges pour que

chacun comprenne mieux les besoins sous-jacents au conflit afin de chercher ensemble des solutions

satisfaisantes ». (Samuel PERRIARD, La médiation en pratique. Huit clés pour réussir, Saint-Julien-en-

Genevois, Jouvence, 2010, p. 39). 43

Gn 3.15 ; Selon le livre de l’Apocalypse, le serpent ancien c’est le Diable (Ap 12.9) ; pour Jésus il est le père

du mensonge (Jn 8.44). 44

Gn 3.14-15. 45

Willem A. VAN GEMEREM, New International Dictionary of Old Testament Theology & Exegesis, p. 214 ;

continuant son propos il dit : « il existe plus de 202 occurrences de Spt en Hébreu. Lorsque Dieu est sujet il est

employé à 40% et si c’est un agent humain 60%. Ses champs d’application couvrent des activités continues, et

seront par conséquent traduits par règle, ou régissez. Ou encore des activités spécifiques et peut être traduite par

livrer, sauver ou juger. Autre statistique de l’emploi de Spt : 13% dans le pentateuque, en grande partie ils

concernent des activités juridiques humaines ; 34% dans les livres historiques indiquant une grande partie des

chefs humains ; 22% dans les livres des psaumes et Sagesse, en grande partie pour l’activité divine ; 31% dans

les prophètes, en grande partie pour le jugement divin, y compris l’acte d’accusation des juges humains. Les

sujets de l’action indiquée par le verbe Spt : Moïse, les Rois, les Juges, le prophète Ezékiel, l’assemblée Israëlite

dans son ensemble, aussi bien que ses fonctionnaires, et Yahweh. Les objets incluent Israël dans son ensemble

(également décrit figurativement comme des moutons) aussi bien que les nations étrangères, les parties en

contestation, et particulièrement ceux qui sont dans le besoin. Les passages qui concernent les parties en besoin

16

Considérons à présent la péricope de Gn 4.3 et suivants, où deux frères Caïn et Abel

présentent chacun une offrande au Seigneur. L’offrande d’Abel (un des premiers nés de son

troupeau) est agréée par Dieu tandis que celle de Caïn (offrande des fruits de la terre) est

rejetée. De cette expérience va naître un conflit. Calloud dit que « s’il y a conflit, il n’est pas

d’Homme à Homme mais de l’homme à son frère46

». La cause apparente de ce désordre

semble être l’accueil que Dieu fait à l’offrande d’Abel. Mais la réaction de Caïn est plutôt liée

à sa naissance. Gn 4.1 stipule qu’Adam connut Eve ; elle conçut Caïn (du verbe hébreu

Qanah signifiant acquérir). Mais Eve dit : j’ai acquis un homme de la part de Dieu. Tandis

qu’Abel (vanité, vapeur ou fumée en hébreu) n’est que son frère. Caïn est reconnu et plus

honoré : cela renforce le sentiment d’appréciation de soi chez un individu. Mais poussé trop

loin, ce sentiment peut détruire, surtout si l’individu est sujet de comparaison avec un autre,

quel qu’il soit. Pire s’il s’agit de deux frères comme dans notre récit47

:

« Dans leurs relations de frère, Caïn est mis au centre, sur un piédestal,

Abel est en marge, insignifiant. En agréant l’offrande d’Abel, Dieu prend la

défense de la victime, du petit, du faible. Dieu corrige l’injustice initiale. Le conflit

qui opposera Abel et Caïn est la conséquence de cette situation d’injustice

première48

».

Maintenant, comment apprécier l’intervention de Dieu auprès de Caïn ? Son offrande

n’étant pas agréée, celui-ci se réfugie dans la colère. Caïn et Abel n’ont pas estimé de la

même manière le sacrifice qu’ils offraient au Seigneur. De ce fait, le conflit qui les sépare

porte sur la valeur49

du don offert. Caïn est frustré. Mais le Seigneur veut créer un espace de

dialogue avec Caïn. Certes il rejette l’offrande, mais non celui qui la présente. La médiation

est difficile ici car Dieu est au cœur du conflit. L’irritation de Caïn est liée au refus de son

offrande par Dieu. La relation brisée est dans une perspective verticale, de l’homme vers

Dieu. Mais Caïn refuse le dialogue. Il préfère parler à celui qui lui est accessible, relation

horizontale, son frère Abel. C’est comme si Dieu ne pouvait être médiateur ici. Précisément

parce que c’est à lui que Caïn en voulait. Le principe de neutralité essentiel à la médiation

n’est pas possible ici, donc Caïn ne lui répond pas. Néanmoins, Dieu se constitue lui-même en

médiateur, car il pressent l’acte de Caïn. Ici, Dieu fait preuve d’une autorité qui ne peut être

reflètent la corrélation étroite entre le verbe Spt et l’établissement voire l’entretien de la justice dans un contexte

plus large que celui de la cour ». Ibid., 46

Jean CALLOUD, « Caïn et Abel. L’homme et son frère », Sémiotique & Bible 92 (1998), p. 8. 47

André WENIN commente : « À propos de la naissance d’Abel, le texte est très laconique ; ‘‘ elle [continua à

enfanter son frère] Abel ’’ (Gn 4.2). Abel n’est, aux yeux de sa mère, que le frère du premier. Il semble n’être

que la simple continuation de son frère. En face de Caïn, il ne compte pas vraiment. Ainsi sa mère n’a pas de

parole pour lui. Et le nom qu’il reçoit dit ce qu’il représente : Abel signifie en hébreu, vanité, fumée, vapeur ».

(André WENIN, « Le meurtre d’Abel », Biblia 10 (2010), p. 11). 48

Juan José ROMERO, Michel SOMMER, « Entrée en conflits », p. 37. 49

Voir page 8.

17

contestée. Nous comprenons ici que l’autorité50

constitue un des éléments clés de la résolution

de conflits dans l’Ancien Testament. Dieu se place donc entre les deux frères et se penche sur

celui qui est mal dans son être. Autre principe de médiation : il conviendrait ici de permettre à

Caïn d’identifier son besoin. Ce que fait précisément Dieu.

« La jalousie de Caïn s’exprime par la colère et la dépression : ‘‘ et Caïn en

fut très irrité et son visage fut abattu ’’ (Gn 4.5b). Pour l’aider à traverser cela, le

Seigneur vient lui parler. Il lui pose des questions comme pour l’inviter à

s’exprimer à son tour. La parole, en effet, permet d’humaniser le sentiment qui fait

souffrir, d’avoir en quelque sorte une emprise sur lui51

».

Les deux questions posées au v. 6 de Gn 4 devraient inviter Caïn à préciser sa

souffrance et surtout à émettre ses attentes52

. La balle est dans son camp. Pour résoudre ce

conflit, Caïn a la possibilité de faire des choix, exprimer son besoin, proposer des solutions.

Cette étape est importante dans le processus de la médiation. Car elle permet de recadrer53

la

situation, de désamorcer « la bombe » qui est latente. Dans notre péricope, Dieu lui dit que le

péché est tapi à sa porte et que ses désirs se portent vers lui. Mais Caïn ne s’exprimant pas54

,

Dieu lui conseille : « toi, domine sur lui55

». A ce moment précis, il n’est plus un médiateur56

,

mais un juge/conseiller qui s’immisce dans sa vie. Dieu est aussi omniscient, car les intentions

cachées de Caïn ne lui sont pas inconnues. Comme celle de « tuer » son frère. Suite à cette

confrontation échouée, une perspective semble néanmoins possible. Caïn s’avance vers son

50

« La plupart des systèmes de résolutions de conflits sont en effet fondés sur l’autorité […] mais l’autorité

connaît des limites dans la société contemporaine ; l’auteur déclare qu’aujourd’hui on constate l’effacement des

normes traditionnelles, morales ou religieuses […] le rejet des figures d’autorité Ŕ le pater familias, l’instituteur,

le professeur, le prêtre, le patron, le policier, etc. Résultat, la résolution des conflits n’échappe pas à ce

mouvement : quels que soient les contextes, les parties prenantes accepteront de moins en moins bien qu’une

autorité extérieure tranche à leur place leurs conflits et les contraigne à une solution ». (Alain PEKAR

LEMPEREUR, Jacques SALZER, Aurélien COLSON, Méthode de médiation, Paris, Dunod, 2008, p. 2). 51

André WENIN, « Le meurtre d’Abel », p. 12 ; Romero et Sommer signalent : « ce conflit autour de la jalousie

et de la convoitise décrit une tentation fondamentale de l’être humain : vouloir ce qu’a l’autre alors que l’on est

soi-même en situation de richesse et de pouvoir ». (Juan José ROMERO, Michel SOMMER, « Entrée en

conflits », p. 37). 52

Ce questionnement est important car par son biais, « le médiateur invite les parties à présenter ce qu’elles

attendent de la médiation qui s’engage […] en résumant les objectifs des uns et des autres, le médiateur

démontre encore une fois sa rigueur dans l’attention portée à chacun ». (Alain PEKAR LEMPEREUR, Jacques

SALZER, Aurélien COLSON, Méthode de médiation, p. 135). 53

Le recadrage permet de ramener l’individu « sur la réalité de la situation initialement évoquée, ou consiste à

montrer les aspects positifs d’une chose ou d’une situation ». (Jean-Louis LASCOUX, Pratique de la médiation.

Une méthode alternative à la résolution des conflits, p.160). 54

Gn 4.6-7. 55

Alfred KUEN déclare que « le premier conseil de Dieu à un homme confronté à la tentation fut : toi maîtrise-le

(le mauvais désir) (Gn 4.7). La maîtrise de soi par la volonté joue un rôle capital dans la lutte contre la

tentation ». (Alfred KUEN, Face à la tentation. Comment y résister ?, Saint-Légier, Emmaüs, 2009, p. 132). 56

« Ainsi le médiateur devrait-il idéalement pouvoir rencontrer les médians sans jugement, sans volonté de rien

faire, sans projet sur l’autre, afin d’être seulement le facilitateur, l’éveilleur de la voix intérieure ». (Jacqueline

MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 97).

18

frère (Gn 4.8a). Mais pas un mot, une explication narrative sur ce qu’ils se sont dit. Plutôt une

réaction, un meurtre. Caïn a fait le choix d’agir pour le pire.

« Caïn amène Abel sur son territoire et s’y affirme comme maître,

propriétaire de plein droit, exerçant l’entière jouissance en vertu de ce qu’il est par

sa naissance, ‘‘ homme ’’ sans autre. Rien du frère n’a plus là sa place, qui lui

laisserait entendre quelque attraction d’un désir supérieur et la promesse d’un

accomplissement à venir. Caïn lui est tout entier dans l’acquis : ‘‘ j’ai acquis un

homme ’’, désormais seul dans un univers parfaitement unidimensionnel. Abel son

frère, par cette affirmation prétendue, ‘‘ massacré ’’, non pas ‘‘ assassiné ’’ mais

dépouillé de toute figure corporelle, écarté autant que faire se peut de la vue et du

savoir, laissé pour mort sur le côté du chemin57

».

Pour Caïn, le petit frère n’avait peut-être pas droit à la parole. La possibilité de

dialogue n’étant pas réelle, l’absence d’une médiation facilitant le passage de l’un vers l’autre

étant manifeste, la violence prend le dessus. Plus que la résolution du conflit, la médiation

facilite la transformation du regard que l’un porte sur l’autre58

. Dieu donne à Caïn la

possibilité de vivre une expérience positive, mais ce dernier reste maître de ses choix59

.

Ainsi donc l’expérience de la première famille humaine nous fait découvrir un Dieu à

double casquette qui s’immisce dans la vie de l’homme auquel il a fait don de liberté

d’expression. Et, même si ses actes sont parfois prohibés par Dieu, l’humain jouit d’une

attention particulière. Sans quoi, les deux prérogatives de Dieu, à savoir juge et médiateur,

sont difficiles à combiner. L’un agit de façon flagrante, avec autorité, décide, sanctionne

même, il s’agit du juge. Et l’autre crée un espace d’échanges, invitant l’homme souffrant à

exprimer son ressenti. Mais une chose est certaine, que Dieu soit juge ou médiateur le contact

est établi entre les parties en conflit. Nous notons aussi que les conflits opposant Dieu et

l’Homme (Adam/Caïn) n’ont pas été résolus. Ce point sera élucidé plus tard quand nous

parlerons du Christ médiateur. Ce qui revient à se demander qui d’autre que Dieu pouvait

relever de cette double fonction ? D’où l’intérêt de repérer maintenant des exemples de

médiation humaine dans le même Testament.

57

Jean CALLOUD, « Caïn et Abel. L’homme et son frère », p. 12-13. 58

Alain PEKAR LEMPEREUR, Jacques SALZER, Aurélien COLSON, Méthode de médiation, p. 3. 59

Ce point sera développé en deuxième partie de ce travail de recherche.

19

1.1.2 Moïse comme médiateur

Moïse est un personnage incontournable de la Bible, considéré comme le plus grand

des prophètes60

, il l’est aussi comme médiateur entre Dieu et son peuple. Après la sortie

d’Egypte vers Canaan, Moïse devra faire face à plusieurs difficultés qui mettront en avant ses

qualités d’intercesseur et de guide. Parlant des sections présentes dans le livre de l’Exode, en

particulier des chapitres 19 à 24, Vogels déclare :

« Les trois acteurs principaux sont Yahvé, Moïse et le peuple. Moïse,

l’homme aux multiples visages, continue à jouer certains rôles des sections

précédentes, mais ici il occupe clairement le rôle de médiateur entre Yahvé et le

peuple, les deux acteurs principaux. Il passe continuellement de l’un à l’autre,

rapportant des paroles de l’un à l’autre61

».

Le terme62

signifiant intercéder semble lui convenir particulièrement. Au (Paga) פגע

hiffil, il peut se traduire par pour intervenir (Es 53.12, 59.16 ; Jr 36.25), intercéder auprès de

quelqu’un en faveur de… (Jr 15.11). פגע désigne aussi rencontrer quelqu’un (Es 47.3), ou

encore toucher en Jos 16.7. La racine paga en Araméen signifie rencontre au qal. En

Syriaque, en ajoutant la préposition b, il signifie aussi rencontrer (une personne)63

tout en

exprimant l’idée d’un contact physique64

. Maiberger déclare que « l’étymologie de la racine

pg’ décrit un mouvement vers un endroit ou une personne. Ce mouvement peut être volontaire

60

Nb 12.6-8 ; Dt 34.10. 61

Walter VOGELS, Moïse aux multiples visages. De l’Exode au Deutéronome, Paris, Cerf, 1997, p. 187 ;

commentant précisément les versets 3a à 8a Vogels dit que : « Déjà auparavant dans le livre de l’Exode, Yahvé a

fréquemment parlé à Moïse. Mais ici dans cette section, Moïse doit gravir la montagne avant que Dieu ne lui

parle. Il est seul à y monter. La structure souligne ainsi que Moïse est vraiment le médiateur. Il ‘‘monte’’ vers

Dieu sur la montagne où Dieu l’ ‘‘appelle’’ et lui parle en lui livrant le message qu’il devra porter au peuple.

Moïse alors ‘‘descend ’’, il ‘‘appelle ’’ les anciens et leur ‘‘expose ’’ ‘‘tout ’’ ce que Yahvé lui a dit. Et le peuple

promet de ‘‘tout ’’ faire ». ( p. 18) ; Cf. Dt 5.23-27. 62

« Le verbe פגע a produit 46 occurrences dans l’A.T., dont 39 fois dans la forme du qal, 1 fois au niffal (Esaïe

47.3), et 6 fois au hiffil (Jb 36.32) ». (Johannes BOTTERWERCK, Helmer RINGGRER, Heinz-Josef FABRY,

Theological Dictionary of The Old Testament, Vol. XI, Grand Rapid, Michigan / Cambridge, William Eerdmans

Publishing Company, 2001, p. 470). 63

« A part son sens de rencontre, pega en Syriaque veut aussi dire : porter quelque chose (vers un lieu),

arriver/arrivée (d’une maladie, d’un malheur), attaquer, résister […] dans le milieu Hébreu paga signifie venir au

moment, rassembler et souvent attaquer. Au niffal ; soyez frappé, soyez assailli (par des mauvais esprits ou

démons). En Arabe nous avons faga’a : infliger la souffrance et la peine, affliger. L’auteur relate que la racine

faga’a en Arabe met l’accent sur l’effet de surprise.[…]. Garbini cité par Maiberger a identifié une signification

spécialisée de pg à un terme sacrificatoire dans les inscriptions Néo-Punic, et cela, à cause de sa signification de

base : rencontre, portée. Garbini compare le Punic pg à son synonyme hébreu qrb et se rend compte que le

sacrifice est souvent un intermédiaire au hiffil. L’auteur en conclut de même au piel pg et qrb est souvent

l’intermédiaire ». (Johannes BOTTERWERCK, Helmer RINGGRER, Heinz-Josef FABRY, Theological

Dictionary of The Old Testament, p. 470-471). 64

Gleason L. ARCHER, Bruce K. WALTKE, R. Laird HARRIS, et al., The Theological Wordbook of the Old

Testament, p. 715.

20

ou intentionnel65

». D’ailleurs, פגש (pagash) un dérivé de פגצ suggère l’idée de

rassemblement66

. L’intervention de Moïse en Nb 11.1 entre autres, nous permettra d’apprécier

au mieux son titre d’intercesseur. Nous sommes en plein conflit, et trois acteurs se

démarquent : le peuple, Dieu et Moïse. Après les murmures persistants du peuple, Dieu

« s’enflamma » de colère. Dans l’original hébreu, il est dit que « le peuple gémit » מתאננם.

Rotman Garrido rappelle que « ce verbe ne se retrouve nulle part ailleurs dans les récits de

rébellion, mais que surtout le texte ne justifie pas la cause des plaintes67

». Mais la réaction de

Dieu est manifeste : « le feu de l’Eternel s’alluma parmi eux, et dévora l’extrémité du camp »

(Nb 11.1b). Il est important de rappeler que l’action de Dieu ne vise pas à détruire le peuple,

car le feu consume l’extrémité du camp. Le peuple n’est pas touché. Néanmoins il a peur et se

retrouve dans l’incapacité d’agir. A cet instant précis, la relation étant rompue entre Dieu et

Israël, il faut un intermédiaire. Le peuple réagit sans appel : impuissant face au cataclysme, il

fait appel à son médiateur, Moïse.

« Moïse joue le rôle d’intercesseur comme dans les péricopes de la marche

avant le Sinaï ; mais son intercession porte sur une autre chose. Avant, elle avait

pour but d’épargner au peuple des difficultés, ici elle veut obtenir de Dieu qu’il

cesse son châtiment68

».

En tant que médiateur, il ne s’intéresse pas à la cause du conflit, il ne fait aucun

reproche aux personnes. Ce qui lui importe c’est le bien-être du peuple que Dieu lui a confié.

Son rôle semble se concentrer dans l’intercession. L’emploi de פלל (phalal) intercéder qui

veut aussi dire juger selon Ex 21.2269

, est de rigueur ici. Mais précisément au hitpaël, où ses

applications vont dans le sens d’intervenir comme arbitre (1S 2.25) ou intercéder auprès de,

accompagné de l’article אל (Nb 11.2). Il existe plus de 84 utilisations de פלל (lahphp) dans

l’A.T. En général, ils sont au hitpaël et la racine signifie pour prier. Tandis qu’au Piel il

signifie pour compter dessus. Aussi la médiation de Moïse est-elle d’ordre spirituel : « que les

crises que traverse Israël soient d’ordre politique, social ou économique, Moïse ne cesse

65

Johannes BOTTERWERCK, Helmer RINGGRER, Heinz-Josef FABRY, Theological Dictionary of The Old

Testament, p. 471. 66

« De plus au niffal il semble signifier ‘‘ pour coexister ’’ selon Pr 22. 2 , 29.13. Et dans le Ps 85.11 פגצש est

mis en parallèle avec נשק, donner un baiser, embrasser ». (Gleason L. ARCHER, R. Laird HARRIS, Bruce K.

WALTKE, et al., The Theological Wordbook of the Old Testament, p. 715). 67

Pablo ROTMAN GARRIDO, Moïse, le leader face aux murmures du peuple d’Israël. Du Sinaï aux plaines de

Moab, Thèse, Strasbourg, Faculté de théologie protestante, 1987, p. 41. 68

Walter VOGELS, Moïse aux multiples visages. De l’Exode au Deutéronome, p. 222. Cf. ROTMAN

GARRIDO qui précise que « le peuple s’adresse à Moïse et non à Yahvé pour chercher du secours. Moïse, en

tant qu’intermédiaire entre le peuple et Yahvé, intercède en faveur du peuple. Dieu répond à cette pétition, tout

de suite, sans qu’il soit besoin que Moïse plaide longuement la cause des coupables ». (Pablo ROTMAN

GARRIDO, Moïse, le leader face aux murmures du peuple d’Israël, p. 42). 69

Ex 21.22 ; Dt 32.31 ; Jb 31.28.

21

d’intervenir auprès de son Dieu70

». Par ce biais, Moïse crée le contact entre le peuple et son

Dieu. Ce dernier accepte son intercession et y répond favorablement.

En outre, la médiation de Moïse consiste aussi en le rétablissement de la relation entre

ses frères lors d’un désaccord. En effet, en Ex 18.15-16, Moïse explique à Jéthro (son beau-

père) sa position de conciliateur au sein du peuple. « Le peuple vient à moi pour consulter

Dieu. S’ils ont une affaire, ils viennent à moi, je règle le litige qu’ils ont entre eux et je fais

connaître les décrets de Dieu et ses lois ». Moïse fut aussi médiateur entre le Pharaon

d’Egypte et le peuple71

.

Un chef, médiateur spirituel entre Dieu et son peuple, tel fut le cas de Moïse. Plus que

le dialogue, le but poursuivi ici était le salut, et le bien-être de la multitude. Le message oral à

transmettre de Dieu au peuple, et du peuple à Dieu, met en évidence un principe important de

la médiation, la reformulation72

. Nous trouvons un exemple intéressant en Ex 19.16-20,

20.18-1973

. Dieu parle et le peuple a peur, le langage employé (tonnerre, son de trompette…)

nécessite un traducteur/intermédiaire. Les Israélites demandent à Moïse d’être le récepteur du

message divin et de le leur retransmettre. Un message audible, perceptible, qui permettra à

chacune des parties de comprendre les attentes de l’autre. Ce rapprochement parfois difficile

nous évoque aussi l’importance du rôle des prêtres de l’ancienne alliance.

1.1.3 Le sacerdoce des prêtres

Dans le Lévitique, aux chapitres 6 et 7, nous trouvons toutes les directives liées au rôle

des prêtres en rapport avec les sacrifices présentés du chap.1 à 5. Westermann stipule que le

prêtre est un médiateur entre Dieu et l’homme, un médiateur de l’action divine. Dans le

contexte de la prêtrise de l’ancienne alliance, il existe un fossé entre le peuple et Dieu, une

relation brisée. Celle-ci se traduit dans une perspective verticale. La médiation a pour but

« d’offrir une possibilité de passage, car elle permet de sortir du passé pour retrouver un

présent74

». Seul le prêtre avait pour fonction d’établir le contact. Pour ce faire il devait avoir

70

Robert MARTIN-ACHARD, « Moïse, figure du médiateur selon l’Ancien Testament », La figure de Moïse,

Genève, Labor et Fides, 1978, p. 19. 71

Ex 5.1-6. (En effet, à chaque fois que Moïse se présentait devant le monarque au nom de Dieu, il plaidait pour

la libération du peuple). 72

La reformulation fait partie de l’écoute active. Elle permet de « vérifier que chacun a bien compris l’autre,

dans ses différences et ressemblances ». (Samuel PERRIARD, La médiation en pratique, p. 74) ; mais aussi, « la

reformulation doit veiller à bien rendre à son auteur la responsabilité des propos qu’il tient […] Et laisse à

l’interlocuteur la possibilité d’acquiescer ou de corriger ». (p. 122). 73

« Tout le peuple percevait les voix, les flamboiements, la voix du cor et la montagne fumante ; le peuple vit, il

frémit et se tint à distance. Ils dirent à Moïse : ‘‘ Parle-nous toi-même et nous entendrons ; mais que Dieu ne

nous parle pas, ce serait notre mort ’’… ». (Ex 20.18-19). 74

Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 25.

22

une activité constante, liée à la vie sédentaire ; tout au long de l’année ponctuée par des fêtes,

sa place est au sanctuaire75

. Son rôle d’intermédiaire est manifeste lorsqu’un pécheur vient

obtenir le pardon pour ses fautes76

. Selon Dt 21.1-9 et Nb 5.11-31, les prêtres détenaient aussi

des prérogatives d’ordre juridique. De plus, le Deutéronome précise qu’ils doivent se

« prononcer sur toute contestation et sur toute voie de fait » (v.5). Cette fonction s’apparente

au יכח 77

(Yaka) traduit par arbitre en Jb 9.3378

ou encore par juge en Am 5.1079

. Au niffal, il

signifie discuter, débattre (נוכחה)80

. Au hiffil nous trouvons plusieurs équivalents comme

juger, décider, dans le sens de destiner quelqu’un à ce rôle (כיח)81

. Quant à sa forme au

hitpaël יתוכח il signifie, entrer en procès avec un tiers82

.

Le grand prêtre quant à lui détenait un rôle prédominant surtout le jour des expiations

(Yom Kippour). En effet c’est lui qui officiait et jouait le rôle d’intermédiaire entre Dieu et le

peuple. Les autres prêtres n’avaient accès à aucune partie du sanctuaire ce jour-là. Seul le

grand prêtre était « protégé contre » les effets de la proximité de Dieu83

. Les vêtements qu’il

portait étaient marqués par la simplicité et l’innocence84

. C’est le sacrifice (Hattat) qui était en

vigueur le jour du grand pardon. Ce sacrifice servait à l’absolution du grand prêtre et du

75

Claus WESTERMANN, Théologie de l’Ancien Testament, p. 93-94. 76

Dans le Cahier Evangile 111, nous trouvons dans la rubrique Rîtes communs comment chaque pécheur vivait

ce temps de repentance. (Alfred MARX, Cahier Evangile 111, Paris, Cerf, 2000, p. 17) ; Lv 1.5, 4.16, 4.30-31. 77

n’existe pas dans la forme qal, et est employé 54 fois au hiffil et trois fois au niffal. Il est à noter que la יכח »

notion juridique de יכח est clairement établie. Par exemple : en Gn 31. 30 et suivants, Jacob s’en prend à Laban

qui l’accuse d’avoir pris ses dieux en lui disant que c’est son Dieu qui est intervenu entre eux en prononçant son

jugement . Un rapprochement peut être aussi fait avec Jb 9.33 où ce dernier demande que Dieu soit arbitre

(juge) entre ses amis et lui. Plus loin, Job s’interroge : qui peut contester ou accuser Dieu (Jb 40.2) ? Ailleurs,

nous trouvons d’autres textes où Dieu offre à Israël un espace de parole : Es 1.18. (Venez et plaidons). Dans ce

contexte, les auteurs du Theological Wordbook of The Old Testament voient un procès d’engagement où Dieu en

veut au peuple infidèle. Selon ces mêmes auteurs, Esaïe fournit au peuple un appel au repentir (Es 1.16-20).

Ainsi, devrions-nous comprendre que Dieu laisse le peuple discuter son cas devant le tribunal (d’après la

traduction KJV). Mi 6.2 soutient cette notion en parlant de l’acte d’accusation de Yahweh : ‘‘ l’Eternel a un

procès avec son peuple, il veut plaider avec Israël ’’ […]. Ces écrivains, en s’appuyant sur Es 11.3, relatent que

la signification primaire du יכח a une base théologique claire. En effet, le rejeton de David (Christ) est présenté

comme un juge loyal : ‘‘ il respirera la crainte du Seigneur ; il ne jugera pas sur l’apparence, il n’arbitrera pas

sur des ouï-dire ’’ ; mais au contraire, au verset 4, il jugera les pauvres avec justice, il arbitrera avec droiture en

faveur des affligés du pays. Ainsi, déclarent les auteurs de cet ouvrage, le fait que Yahweh s’engage à agir avec

justice devrait inciter son peuple à faire de même ». (Gleason L. ARCHER, R. Laird HARRIS, Bruce K.

WALTKE, et al., The Theological Wordbook of the Old Testament, p. 376-377). 78

« Il n’y a pas entre nous d’arbitre qui puisse poser sa main sur nous deux ». 79

« Ils haïssent celui qui rappelle à l’ordre le tribunal, celui qui prend la parole avec intégrité, il l’abomine ». 80

« Venez, je vous prie, et argumentons (plaidons) ensemble, dit le Seigneur… ». (Esaïe 1.18a). 81

Philippe REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, Paris, Cerf, 1999, p. 158. 82

Ibid., 83

René PETER-CONTESSE, Lévitique 1-16, Genève, Labor et Fides, 1993, p. 256. 84

« Le costume du grand prêtre n’est pas celui qu’exige sa dignité suprême, mais un costume moins riche qui se

rapporte à celui d’un simple prêtre […] ces vêtements sont symboles de l’innocence et de la pureté recouvrées

par les rites d’expiation, et une figure de la sainteté du médiateur futur, grand prêtre, saint, innocent, sans tâche,

qui devait accomplir l’expiation des péchés de l’humanité ». (Louis PIROT, La sainte Bible, T. 2, Paris,

Letouzey et Ané, 1940, p. 124).

23

peuple. Le rite du sang était accompli en deux temps : premièrement sur le rideau séparant le

lieu saint du saint des saints et les cornes de l’autel de l’holocauste, deuxièmement dans le

saint des saints sur l’expiatoire.

« La fonction de ce rite est expressément précisée en Lv 17.11. Encadré par

deux versets qui interdisent strictement toute consommation du sang (v. 10 et 12)

[...] “ car la vie d’une créature est dans son sang ; et moi, je vous l’ai donnée sur

l’autel pour l’absolution de votre vie ’’. En effet, le sang procure l’absolution parce

qu’il est la vie85

».

Ainsi, en ce jour de jugement, le peuple recevait l’absolution de tous ses péchés

commis durant l’année écoulée (Lv 16.17b). Sans le rôle décisif du grand prêtre, la relation de

paix du peuple avec son Dieu n’était pas assurée. Dans cette expérience précisément, le

peuple n’avait pas d’autre moyen d’entrer en communication avec la divinité. Le médiateur

représentait le peuple devant Dieu et parlait en son nom. De même, le médiateur représentait

Dieu auprès du peuple et lui transmettait sa volonté.

Au travers de la médiation des prêtres, c’est le désir de connaître la volonté de Dieu et

de s’y soumettre que recherchait le peuple86

. Rappelons qu’en dehors de la médiation orale

des prêtres, les rites et sacrifices revêtaient une importance capitale.

« Le créateur est trop grand pour que sa créature puisse supporter sa présence ;

YHWH est trop saint pour tolérer la proximité du coupable…il existe une distance

infinie entre Dieu et l’humanité, un abîme que par eux-mêmes les hommes ne

peuvent franchir87

».

Ainsi, grâce à ces rituels, le peuple aussi bien que les prêtres88

entraient en contact

avec Dieu. L’adhésion à ces pratiques sacrificielles ainsi que leur observance faisaient partie

intégrante du processus de la médiation. Par conséquent, toutes les étapes constituaient des

éléments clefs, sans quoi pas de rétablissement de la communication entre Dieu et le fautif. Le

pécheur, en adhérant aux rites sacrificiels reconnaissait sa culpabilité et entrait ainsi dans un

processus de guérison.

« Ainsi, la médiation permet-elle de reconnaître sans jugement que nous

sommes faillibles, que nous pouvons commettre un acte inacceptable pour la

société, mais que nous avons la capacité de retourner la situation en expérience

positive pour l’avenir89

».

85

Alfred MARX, Cahier Evangile 111, p. 20. 86

Albert VANHOYE, Prêtres anciens prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1980, p. 37. 87

Robert MARTIN-ACHARD, « Moïse, figure du médiateur selon l’Ancien Testament », p. 18. 88

Vanhoye déclare que pour se faire agréer de Dieu, le prêtre doit « se soumettre à toutes les prescriptions

rituelles… ». (Albert VANHOYE, Prêtres anciens prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, p. 48). 89

Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 140.

24

En médiation moderne, nous serions en plein dans le passage de l’étape de la

résolution du conflit90

à sa validation91

.

A présent, intéressons-nous aux prophètes, ces hommes-ponts au même titre que les

prêtres, lesquels cependant, relèvent d’un ministère où la parole est prédominante par rapport

aux actes.

1.1.4 Le rôle des prophètes

Dans la Bible, les prophètes sont des hommes généralement choisis par Dieu pour une

mission particulière. Dans Dt 5.23-27 et 18.15-22, nous trouvons les récits parlant de l’origine

et du rôle du prophète. C’est à la demande du peuple craignant le contact avec Dieu que

Moïse, premier prophète d’Israël, et les autres reçurent ce mandat.

« L’être humain croit profondément que certaines personnes ont un don

spécial qui leur permet d’entrer en contact avec le monde divin, pouvant ainsi

devenir des intermédiaires pour communiquer le message des dieux à la société

dont elles font partie92

».

Le prophète doit communiquer au peuple un message de Dieu. Il est essentiellement

l’homme de la parole93

. D’ailleurs les termes prophètes et nabi l’expriment bien. Le prophète

a pour but de transmettre la parole du Seigneur94

. L’apôtre Paul dit en 1Co 14.3 que le

message du prophète édifie, exhorte, encourage. Ce sont des paroles qui construisent, créent

des liens dans une communauté. Autrement, son message concerne soit un jugement, soit un

message de compassion95

. Il est là pour susciter un changement au sein du peuple (Es 62.6-7 ;

Os 9.8). Le prophète est un bâtisseur de communauté96

. Son ministère de parole va de Dieu

vers l’homme, et de l’homme à Dieu. Il intercède pour le peuple. On peut le constater chez le

prophète Amos au chap. 7, v.2 et 5. Le livre d’Amos présente un Dieu en colère. Cela est dû

au fait que le peuple renonce à suivre ses voies (Am 2.4). Pire encore, il commet injustices sur

injustices. « Le droit est tourné en poison et le fruit de la justice en absinthe97

». Le Seigneur

avoue à son prophète son intention de punir le peuple, comme pour inciter son serviteur à

90

Lascoux dit que « lors du choix de la solution, le médiateur doit insister sur l’engagement mutuel des parties.

Elles doivent pouvoir dire ce qu’elles vont faire et s’engager à faire ce qu’elles auront dit ». (Jean-Louis

LASCOUX, Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la résolution des conflits, p. 174). 91

« Dans cette étape de validation, il est important de dire qui fait quoi, quand et comment… ». (Ibid., p. 175). 92

Walter VOGELS, Les prophètes, Ottawa, Novalis, 1990, p. 13. 93

« Les prophètes sont voulus et ont été essentiellement des hommes de la parole. Leur message a été entendu

avant d’être lu et il est fait pour être proclamé ». (Samuel AMSLER, Jésus ASURMENDI, Joseph AUNEAU, et

al., Les prophètes et les livres prophétiques, Paris, Desclée, 1985, p. 17). 94

Ibid., p. 15. 95

Claus WESTERMANN, Théologie de l’Ancien Testament, p. 179. 96

Walter VOGELS, Les prophètes, p. 95. 97

« Le juste est vendu pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales ». (Am 2.6). Cf. Am 6.12.

25

intervenir. Par deux fois, il déclare vouloir détruire son peuple par les sauterelles et le feu.

Mais le prophète Amos se dispose en médiateur. Rentrant dans son rôle d’intercesseur, il

implore Dieu d’épargner le peuple. Résultat, le Seigneur s’en repentit. « Cela n’arrivera pas »

dit le Seigneur dans Am 7.3 et 6. Cette expérience nous rappelle aussi Abraham98

implorant le

Seigneur d’épargner Sodome, s’il trouve au moins dix justes dans la ville. La médiation chez

ces prophètes est particulière. Car nous décelons clairement le lien entre le prophète et Dieu :

une parole. Mais il ne semble pas avoir de retour du peuple vers Dieu via le prophète. De nos

jours, une médiation requiert un échange de paroles entre les deux parties en crise. Dans les

deux passages cités, les prophètes supplient נא (s’il te plaît, je t’en prie)99

. Etonnamment, les

bénéficiaires semblent ne pas en être conscients. Toutefois, la particule נא intensifie

l’intercession d’un prophète pour la délivrance d’un individu ou d’un peuple. L’exemple du

roi Sédécias est intéressant, il supplie le prophète Jérémie d’intercéder en sa faveur, « s’il te

plaît, prie pour nous… » (התפלל נא)100

. L’occurrence פלל est ici utilisée au Hitpaël. Cela nous

permet d’affirmer avec ces auteurs :

« Premièrement : la majeure partie des verbes hébreux pour la prière sont issus

de la racine hitpaël de פלל . De plus, la tradition stipule que le hitpaël est relié au

Et par conséquent, le hitpaël évoque Dieu en tant que juge. Une .(juge) פלילים

deuxième explication interprète פלל par ‘‘ casser ’’ au piel, et au hitpaël un verbe

réfléchi qui se traduit par ‘‘ casser soi-même ’’, c’est-à-dire, ‘‘ être contrit, prier ’’

(Goldman). La troisième explication invite à passer de la forme piel (pillèl) פלל

voulant dire ‘‘ pour décider, arranger une affaire ’’ au hitpaël, il signifie ‘‘ pour

agir en tant que médiateur ’’ (Ap-Thomas). La quatrième suggestion concerne

toujours un déplacement du piel de פלל ‘‘ estimer, faire l’évaluation ’’ vers le

hitpaël ‘‘ chercher l’évaluation, considérer, prier pour ’’101

».

Nous trouvons aussi la forme פלט (palat), un dérivé de פלל qui apparaît 37 fois dans

l’A.T. dont 19 dans les Psaumes où il est principalement utilisé pour parler de la délivrance

opérée par Dieu lui-même102

, le פלילים (le juge suprême). Le terme פלט (palit), fugitif, évadé,

se rapporte à quelqu’un qui s’est échappé d’une calamité, le survivant d’une bataille ou d’une

98

Ce verset déclare qu’Abraham aussi est un prophète : « Rends maintenant à cet homme sa femme, c’est le

prophète qui intercédera ( ויתפלל ) en ta faveur pour que tu vives ». (Gn 20.7). 99

est une particule utilisée à l’impératif et au jussif. C’est une formule de politesse ; utilisée par une personne נא »

de condition inférieure à l’endroit d’une autre personne de condition supérieure, en vue d’obtenir une faveur ».

(David J.A. CLINES, The Dictionary of Classical Hebrew, Vol. V, Sheffield, Academic Press, 2001, p. 577). 100

Jer 37.3. 101

« D’ailleurs, il existe un texte où Phalal est employé dans les deux formes : piel et hitpaël (1Sm 2.25). GB

divise la racine en deux verbes : juger au piel et prier au hitpaël. Et le plus souvent le verbe et le nom se

rapportent à la prière d’intercession ». (Gleason L. ARCHER, R. Laird HARRIS, Bruce K. WALTKE, et al., The

Theological Wordbook of the Old Testament, p. 726). Cf. 1R chap. 8 ; 2Ch 6. 102

est toujours traduit au piel sauf en Es 5.29 et Ez 7.16 où il est au Qal […]. Nous notons aussi (palat) פלט »

que les endroits où (palat) est au piel hormis les Psaumes, il a souvent le sens de délivrer (Jb 21.10, 23.7) ».

(Gleason L. ARCHER, R. Laird HARRIS, Bruce K. WALTKE, et al., The Theological Wordbook of the Old

Testament, p. 725).

26

guerre103

. Autre dérivé de פלט (palat), פליטה (évasion, survie)104

. Ces deux termes font écho au

résultat de l’intercession d’Abraham. Car avant de détruire les villes de Sodome et Gomorrhe,

les anges disent à Loth המלט échappe-toi, c’est la forme Niffal de מלט échapper, survivre.

Verbe synonyme de פלט (palit), délivré.

Le prophète joue bien ce rôle de pont entre Dieu et la nation. Dieu l’envoie parler,

avertir l’Homme de ses directives. Le Seigneur cherche à établir des relations pour le salut.

Ainsi, le prophète est-il l’homme de la situation qui ira jusqu'à supplier la bonté de Dieu. De

plus, l’idée de délivrance résultant de l’implication de Dieu lui-même est fort intéressante. La

notion de salut est aussi manifeste par l’emploi de (palit) et (palat). Présentement, voyons en

quoi la fonction de juge en Israël s’assimile à la médiation.

1.1.5 Le rôle des juges au sein du peuple

Le livre des Juges (shophetim105

) raconte l’expérience du peuple d’Israël dans sa

conquête de Canaan. Nous notons que seule Débora (4.4) exerce la fonction de juge au sens

juridique du terme106. Autrement, les juges relèvent d’une deuxième fonction, ils sont appelés

à sauver (yasa107

) le peuple de leurs ennemis. Dans le cas d’Othniel et Ehoud, le terme

sauveur (môsîa108

) est même employé. Dès les débuts de l’écrit, suite à la mort de Josué et de

ceux de sa génération, nous constatons l’abandon du Seigneur par la génération nouvelle109

.

Puisqu’ils préférèrent servir les Baals, Dieu les laissa en subir les conséquences : oppression,

détresse, désarroi. Cependant, « l’Eternel fit surgir des juges afin qu’ils les délivrent de ceux

qui les dépouillaient » (Jg 2.16).

103

est présent 19 fois dans l’A.T. Nous avons comme exemple l’homme (le fugitif) qui vient vers (palit) פלט »

Abraham lui annoncer la capture de son neveu Lot et de sa famille (Gn 14.13) ». (Gleason L. ARCHER, R. Laird

HARRIS, Bruce K. WALTKE, et al., The Theological Wordbook of the Old Testament, p. 725). 104

« Présent 28 fois dans l’A.T., ce mot se rapporte au reste du peuple de Dieu (2R 37.31). Ainsi ceux qui ont

survécu ne le doivent ni aux circonstances, ni à la chance, mais à la grâce de Dieu. פליטה ne promet pas

seulement de s’échapper, mais parle aussi de délivrance. Par exemple 2Ch 12.7 ; Gn 45.7. ‘‘ Dieu m’a envoyé

avant vous pour vous assurer un reste dans le pays et pour vous permettre de rester en vie, par une grande

délivrance ’’… ». (Gleason L. ARCHER, R. Laird HARRIS, Bruce K. WALTKE, et al., The Theological

Wordbook of the Old Testament, p. 725). 105

Vient de Shaphat, point traité en page 5. 106

« Et hormis le sommaire de Jg 2.16-18 ‘‘ le SEIGNEUR suscita des juges ’’, personne ne porte ce nom dans

le livre, si ce n’est le SEIGNEUR lui-même en 11.27 (yhwh hassopet), c’est-à-dire au centre du livre ». (Philippe

ABADIE, Des héros peu ordinaires. Théologie et histoire dans le livre des Juges, Paris, Cerf, 2011, p. 11). 107

Jg 3.31, 6.15, 10.1. 108

Jg 3.9, 3.15. 109

Jg 2.11s.

27

« Le terme juge prête malheureusement à confusion car, à lire le texte, on

constate qu’il s’agit en réalité de personnes très diverses, y compris une

prophétesse (4.4s). Elles sont toutes suscitées par le Seigneur et animées par son

esprit pour sauver, c’est-à-dire délivrer une des tribus d’Israël de la main de ses

ennemis, de proches voisins pour la plupart. A vrai dire, le terme juge n’apparaît

pas comme un nom commun, mais seulement comme une forme de verbe…110

».

En parcourant le livre, nous constatons que l’apostasie du peuple aussi bien que

l’intervention d’un juge choisi par Dieu sont récurrentes. Nous prendrons pour exemple le cas

d’Otniel au chap. 3. 7-10. Au v.7 où il nous est relaté une infidélité d’Israël. Voici les faits, le

peuple délaisse le Dieu D’Israël pour se tourner vers Baal et les Achéras. Cette situation crée

un fossé entre les Israélites et leur Dieu. Naturellement ce choix est suivi par son lot de

conséquences ! Nous constatons que la notion de liberté si chère aux yeux du Créateur peut

constituer pour l’humain une occasion d’échec, si ce dernier n’en jouit pas pour prendre de

bonnes décisions. Au v. 8, le mécontentement de Dieu se manifeste par « une non protection

face à l’ennemi ». Nous devrions plutôt comprendre que la décision du peuple d’abandonner

Dieu pour aller vers d’autres divinités a naturellement soustrait Israël de la protection du

Seigneur. Et c’est bien ce que veut dire le terme « les livra ». De manière plus claire, on

pourrait entendre que Dieu laissa advenir les conséquences de leurs désirs. Cette attitude

« passive » de Dieu crée une réaction au v. 9a : un appel de détresse en provenance du peuple

est lancé à Dieu. Et Dieu dans sa grande compassion n’y reste pas sourd, v. 9b et 10 : Il

choisit un libérateur pour les délivrer. Cela montre que l’agent susceptible de produire le

changement devait jaillir avant tout du cœur de celui qui s’était éloigné (le peuple). Avant la

période des Juges, Josué, précédé par Moïse, faisait le lien entre le peuple et Dieu. Peut-on

affirmer que n’ayant plus d’intermédiaire humain, le peuple était obligé d’aller directement à

Dieu ? Ce qu’il nous faut retenir c’est la réponse de Dieu. Il suscite un homme sur lequel

reposera son esprit. Ce qui implique aussi qu’il faut un individu disponible pour faire le lien

entre YHWH et son peuple. Le cri du peuple est entendu, mais la réponse se fait par la voix

d’un seul homme, bien qu’issu du peuple. Cela implique que « l’orientation générale du juge

est volontairement et consciemment ou non, conforme à la volonté de Dieu111

». Les juges,

instruments de Dieu, jouent un rôle prédominant, car il est dit qu’Otniel fut juge en Israël, et

que le pays fut tranquille pendant quarante ans (Jg 3.10-11). Tidiman indique que le ministère

110

Daniel SCHIBLER, « L’enjeu du livre de Josué et du Livre des Juges », Hokhma 61 (1996), p. 6. 111

Brian TIDIMAN, Le livre des Juges, p. 97.

28

de ce dernier eut pour but de ramener le peuple vers l’obéissance à la loi de Dieu112

. Le juge

semble être un intermédiaire à double casquette, à savoir sauveur et enseignant.

Parcourir le livre des Juges dévoile la faiblesse de la créature incapable de rester fidèle

à son Créateur au-delà de la vie d’un intermédiaire humain. Mais on y décèle aussi l’amour

d’un Dieu qui, voyant la déchéance de ses enfants, envoie toujours vers eux un juge-sauveur.

Considérons à présent ce qu’il en est de l’expérience des rois d’Israël en termes de

médiation !

1.1.6 La gestion d’un conflit par le Roi Salomon

Il est important de souligner que le roi Salomon n’est pas le seul monarque d’Israël

ayant plaidé en faveur de la justice. Nous en distinguons d’autres, comme le roi David en 2Sm

12.1ss113

. L’autre roi que nous citerons, c’est Josaphat, qui en plus de ses prérogatives de

chef d’état, instituera des juges, des prêtres, des lévites etc…, pour juger, exercer le droit, et

trancher en cas de litiges114

. Commentons présentement une expérience du roi Salomon.

Charpin précise que « dans ce que l’on pourrait appeler le ‘‘casting biblique’’ dans la Bible,

le rôle de législateur a été attribué à Moïse, celui de juge à Salomon115

». Arrêtons-nous

précisément sur son jugement prononcé en 1 R 3.16-28. Le contexte présente deux prostituées

ayant chacune accouché d’un enfant dans un intervalle de trois jours. L’un des deux enfants

meurt et chacune se réclame de l’enfant vivant. Se présentant devant le roi Salomon, ces

femmes attendent de lui un verdict déclarant qui est la vraie mère. Salomon se retrouve entre

les deux femmes : nous sommes dans une nouvelle perspective de médiation. Ce n’est plus de

l’homme à Dieu, mais d’humain à humain. Vision horizontale.

112

« Le premier acte de l’homme équipé par l’Esprit, il jugea Israël, c’est-à-dire qu’il ramena ses compatriotes

au respect des normes fixées par la loi de Dieu : la reconnaissance de son autorité au sein du peuple […]. Avec la

remise en vigueur de la loi du suzerain, la victoire va de soi tant et si bien qu’elle se passe de commentaires (sa

main fut puissante contre Kouchân-Richeatayim) tout comme les retombées positives pour toute une région sur

laquelle aucune menace extérieure ne pèsera du vivant de la génération qui s’est laissée ‘‘ juger ’’ (le pays fut

tranquille pendant quarante ans) ». (Brian TIDIMAN, Le livre des Juges, p. 97). 113

Dans ce texte, le roi David prononce une sentence à son encontre sans même le savoir. La colère et l’autorité

ressortant de ses paroles laissent entendre qu’il aurait tout fait pour que l’individu en question répare ses torts.

Malheureusement, quand Nathan le prophète lui révèle qu’il s’agit de lui, il lui sera impossible de réparer

totalement ses méfaits. Cela aurait été plus simple, s’il n’y avait pas eu mort d’homme. Cette expérience nous

fait comprendre que certains conflits, même s’ils sont dépassés, ne restaureront pas les relations brisées. 114

2Ch 19.5-11. 115

Dominique CHARPIN, « En Mésopotamie, aux origines de la royauté », Le monde de la Bible 163 (2005), p.

26.

29

Analysons ce conflit. Le premier principe de communication à considérer est le droit à

la parole. Le monarque écoute chacune des femmes exposer son point de vue de la situation.

« Et Salomon est devant des mots, les mots de l’une contre l’autre116

». Néanmoins le langage

est confus117

, nous nous trouvons dans une auto-accusation réciproque. Cette situation

particulière suggère l’aide d’une tierce personne, d’un intermédiaire. Quelqu’un qui puisse

permettre un échange. De plus, le texte rapporte que lors des faits, les femmes étaient seules à

la maison, il n’y avait aucun témoin118

. Le roi est donc celui qui a la capacité de juger119

.

Autre élément à prendre en considération : le roi reprend les propos des deux femmes (v. 23).

Par l’exercice de la répétition, Salomon permet aux parties en conflit de reconsidérer leurs

déclarations, d’entrer en elles-mêmes. Plus encore, le roi montre sa qualité d’écoutant120

.

Deuxième élément, la résolution du conflit ! Il y arrive par l’énonciation d’un « jugement par

l’épée ». Le conflit n’est pas géré par la raison mais par le cœur121

. Ici, le roi fait preuve d’une

sagesse éclairée et d’un grand discernement. Il sait que ses paroles vont trouver un écho

favorable dans le cœur de la vraie mère. Cette attitude du roi s’apparente en négociation au

principe de la parole active :

« En négociation, les mots comptent. La négociation n’est pas le lieu de la

parole dans le vide. Je ne m’y exprime pas pour le plaisir de parler, mais pour la

nécessité d’amener l’autre à prendre des engagements qui serviront ses intérêts en

même temps que les miens. La parole est donc façonnée par moi, mais pour

l’autre 122

».

Pour finir, tombe le verdict : « Donnez-lui l’enfant vivant et ne le mettez pas à mort.

C’est elle qui est sa mère » (v. 27). Cette déclaration témoigne du plein pouvoir du roi. Une

fois de plus, nous constatons que la fonction des médiateurs dans l’A.T. inclut la possibilité

pour ce dernier de trancher [autorité123

].

116

Jean-Pierre SONNET, « Le jugement de Salomon : un cœur qui écoute » Biblia 56 (2007), p. 14. 117

« La forme verbale en hébreu fait comprendre qu’elles parlent en même temps ». (Jean-Pierre SONNET, « Le

jugement de Salomon : un cœur qui écoute », p. 15). 118

« Nous étions ensemble, il n’y avait pas d’étranger avec nous, rien que nous deux dans la maison ». (1R

3.18) ; Sonnet de répliquer : « ce qui exclut la présence d’un tiers, assassin potentiel ou témoin de ce qui est

réellement advenu ». (Jean-Pierre SONNET, « Le jugement de Salomon : un cœur qui écoute », p. 14). 119

Le Code de Hammu-rabi rappelle « qu’il était important pour ce roi que sa descendance suive son exemple,

en exerçant un juste jugement. Le Code de Hammu-rabi précise qu’avant toute sentence, il est fondamental de

faire une enquête, d’entendre les deux parties ». (Dominique CHARPIN, « En Mésopotamie, aux origines de la

royauté », p. 26). 120

« Le roi répète mot pour mot ce que les deux femmes lui ont dit ; pour être capable de le faire, il faut savoir

écouter ; Salomon montre qu’il a vraiment un cœur qui écoute (1R 2-11) ». (Walter VOGELS, « Salomon et la

sagesse : une image contrastée », Le Roi Salomon un héritage en question. Hommage à Jacques VERMEYLEN,

Bruxelles, Lessius, 2008, p. 239). 121

Walter VOGELS, « Salomon et la sagesse : une image contrastée », p. 239. 122

Alain PEKAR LEMPEREUR, Aurélien COLSON, Méthode de Négociation, 2e Ed., Paris, Dunod, 2010, p.

151. 123

Voir note 50.

30

« En prononçant un tel jugement, le roi exerce pleinement la dimension

judiciaire inhérente à son pouvoir royal. Sa sentence, appuyée sur des faits

indubitables et de surcroît conformes à ce que déclare le texte, ne saurait donc être

contestée124

».

Nous comprenons ici qu’il n’y a pas eu de consensus organisé par les deux femmes.

La solution n’est pas arrivée par elles. Nous ne sommes donc pas dans un cas de médiation

comme nous le concevons aujourd’hui, où l’on invite les parties en conflit à proposer des

sorties de crise. La vraie mère retrouve son enfant, mais les deux femmes ne sont pas entrées

dans un chemin de réconciliation : entre elles il n’y a eu aucun échange constructif.

1.1.7 Conclusion

A ce niveau de notre recherche, il résulte que l’un des buts principaux de ces

médiateurs, était de guider l’Homme vers le salut de Dieu. Autrement, le gouffre séparant

Dieu et l’Homme après le péché rendrait toutes relations impossibles. Ces médiations à

dimension verticale prioritairement nécessitaient des hommes choisis par Dieu, capables de

faire le lien entre l’Homme et son Créateur. Dieu montrait ainsi ce que serait l’œuvre du

Christ-médiateur : réconcilier l’Homme avec Lui. Mais nous ne pouvons ignorer le rôle des

médiateurs de l’Ancien Testament quant au maintien des relations humaines lors des conflits.

Oui, grâce à leurs implications au sein de la société, c’est la justice et l’équité qu’ils

pérennisaient. Eléments qui rappellent la volonté de Dieu pour ses créatures. Selon Lyonnet,

la loi aussi constituait une médiatrice pour les Juifs. Toutefois dit-il, Dieu reste pour les Juifs

le seul auteur de la justification. Continuant son propos, l’écrivain atteste que la loi est

médiatrice en sorte que Dieu l’utilise comme outil pour amener ses enfants vers la

justification125

. L’autorité décisionnelle qui ressort de l’intervention des médiateurs de l’A.T.

nous rappelle que nous évoluons aujourd’hui dans un tout autre univers. Effectivement,

comme cité en note 50, de nos jours la résolution de conflit relève principalement des parties

en rivalité.

Autrement, dans le N.T., avec la présence de Jésus, la médiation est d’un tout autre

ordre. Car en Jésus, à la fois Dieu et humain, celle-ci trouvera son apogée. Se dégage ainsi

dans un même être, une double perspective : horizontale/verticale.

124

Anne FORTIN, Anne PERICAUD, « L’énonciation au service du jugement de Salomon » Sémiotique et Bible

107 (2002), p. 29. 125

« La loi joue pour le Juif le rôle d’un véritable médiateur, beaucoup plus que Moïse, beaucoup plus que le

Messie qui en dehors de son rôle politique, aura tout au plus celui d’enseigner à pratiquer la loi. Il sera à cet

égard un maître de justice ». (Stanislas LYONNET, Etudes sur l’épître aux romains, Rome, Editrice Pontificio

Instituto Biblico, 1990, p. 164).

31

1.2 Principes de médiation dans le Nouveau Testament

Dans cette partie, nous nous intéresserons principalement au statut du Christ-

médiateur, en nous demandant, en quoi son ministère s’identifie à ceux des médiateurs de

l’ancienne alliance ? Quels sont les avantages de la nouvelle alliance ? Quelles sont les

implications de la médiation en vue du sacerdoce universel de tous les croyants ? Et en

terminant, quels principes émergent des médiations dans le N.T. ?

1.2.1 Le Christ médiateur de la nouvelle alliance

L’accent sera mis sur la personne du Christ car Il est celui qui en définitive permettra

aux hommes de restaurer la relation brisée avec Dieu. Surtout qu’en première partie de ce

chapitre, nous avions déclaré que la situation conflictuelle qui sépare Dieu de l’Homme

n’avait pas encore été rétablie. C’est donc à juste titre que Sesboüé présente le Christ comme

notre Sauveur et notre salut, puisqu’Il est le véritable médiateur entre Dieu et l’Homme126

.

Dans le N.T., c’est le terme μεζιηης127

qui est employé pour parler de médiation. Il signifie

aussi intermédiaire, ou encore arbitre. Il vient du verbe μεζόω128

: être en son milieu. Un

autre terme, issu de la même famille, μεζεύω, signifie plutôt se trouver entre deux, être

neutre. Nous repérons aussi le terme μεζος : qui est au milieu, utilisé pour situer précisément

dans l’espace et le temps. Prenons pour exemples les versets de Jn 8.3 et 9 où il est dit

clairement que la femme prise en flagrant délit d’adultère fut mise au milieu (μεζος) de la

scène. C’est-à-dire entre ses accusateurs et Jésus.

Dans le monde hellénistique, «μεζιηης » (médiateur, arbitre) fut utilisé avec

parcimonie. Aristote se démarque des quelques auteurs qui l’ont employé, il préférait l’emploi

de δικαζηης μεζος (celui qui se tient au milieu pour faire expiation, pour venger)129

. Il

semblerait que μεζιηης soit peu commun dans les papyrus, seulement 3%130

. Notons que

pendant la période hellénistique, le citoyen (πολιηης) de la ville (πολις) préférait le terme

ηεχνιηης (artisan, constructeur) à celui de Μεζιηη. Et cela, bien que les deux termes revêtent

pratiquement le même sens. Car, finalement, ils mettent l’accent sur le μεζος, celui qui est au

126

Bernard SESBOUE, Jésus-Christ l’unique médiateur. Essai sur la rédemption et le salut, p. 87. 127

Pierre CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, Ed.

Klincksieck, 1984, p. 688-689. Cf. A. BAILLY, Abrégé du dictionnaire Grec français, Paris, Hachette, 1901,

p.562. 128

Ibid., 129

Gerhard KITTEL (éd.), Theological Dictionary of the New Testament, Michigan, Grand Rapids, Vol. IV,

1975, p. 599. 130

Ces faits sont rapportés par l’écrivain Polyb, qui déclare aussi que « μεζιηης ne figure pas dans les

inscriptions ». (Gerhard KITTEL, Theological Dictionary of the New Testament, p. 599).

32

milieu/centre et qui détient une fonction ou a un rôle particulier. Autrement, dans sa forme

neutre : ηο μεζον, μεζος fait référence à une personne de confiance à laquelle les parties en

conflit peuvent s’attendre. Il peut signifier « arbitre, négociateur de paix, ou médiateur131

».

Au travers des éléments suivants, nous verrons que μεζιηης est devenu l’un des termes

techniques les plus divers du vocabulaire hellénistique. Il peut signifier tour à tour :

« a) arbitre dans des transactions juridiques civiles. b) le témoin d’une

transaction ou d’une caution juridique de l’exécution d’un accord. c) Un

‘‘ kidnappeur ’’, neutre… d) prêteur sur gages. Cette signification surgit parce qu’il

y a similitude entre séquestration et prêteur sur gage. La position centrale

(μεζιηεια) permet une promesse ou un pacte. Plus tard le fonctionnaire d’entrepôt

qui note en bas des factures sur le maïs, qui rend compte et assigne en raison des

différents propriétaires. En plus du sens technique, le mot semble avoir eu deux

significations moins précises : 1. l’intermédiaire dans le sens spatial général ; 2. le

médiateur ou le négociateur dans le sens de celui qui établit une relation qui

n’existerait pas autrement132

».

L’apôtre Paul quant à lui présente Jésus-Christ comme le médiateur unique entre Dieu

et l’Homme, celui qui s’offre en rançon pour tous (1Tm 2. 5-6)133

. En tant que médiateur et

Dieu, Il fait l’acte d’une réconciliation134

prévue par Dieu depuis la fondation du monde135

.

Gourges parle de la révélation de la mort rédemptrice. Quelques lignes plus loin, cet auteur

déclare que le v. 5b du premier chapitre de Timothée démontre l’humanité du Christ, « en

regard de la médiation que celui-ci exerce dans l’ordre de la révélation du salut136

». Lehmann

précise que « Jésus n’est pas un médiateur qui doit changer les sentiments du Père à notre

égard […] il est celui qui rétablit entre Dieu et nous le pont que nous avions rompu137

». Telle

était aussi la vocation de la prêtrise sous l’ancienne alliance. Néanmoins, la médiation du

Christ va plus loin. En effet Jésus donne sa propre vie pour sauver l’homme, tout en

131

« (Cf. Thuc., IV, 83 : εηοιμος ων βραζιδα μεζω δικαζηη επιηρεπειν,) (le général spartiate de l’armée se tient

au milieu pour réaliser un jugement sûr). En ce qui concerne la compréhension du médiateur, les auteurs

rapportent que ce dernier pouvait être compris comme synonyme de garantie ou caution ». (Gerhard KITTEL,

Theological Dictionary of the New Testament, p. 600). 132

Ibid., 133

« Cette formule de 2Tm 2.5-6 résume et interprète à la fois le kérygme primitif, en faisant intervenir la

catégorie de médiation. Elle est structurée comme une confession à deux articles, l’une adressée au Dieu unique

et l’autre au Christ (cf. 1Co 8.6). Cet article christologique désigne le Christ à la fois selon son identité (Dieu) et

selon son action (rachat de l’homme) ». (Bernard SESBOUE, Jésus-Christ l’unique médiateur. Essai sur la

rédemption et le salut, p. 88). 134

Bénétreau atteste que : « dans le N.T., le terme μέζιηης indique la place et la fonction du Christ Jésus : entre

Dieu et les hommes, comme agent de réconciliation et de relations heureuses ». (Samuel BENETREAU, L’épître

aux hébreux, T. 2, Vaux-sur-Seine, Edifac, 1990, p. 58 ; 2Co 5.19). 135

1Pi 1.18-20. 136

Michel GOURGUES, Les deux lettres à Timothée et la lettre à Tite, Paris, Cerf, 2009, p. 104. 137

Richard LEHMANN, « Jésus notre médiateur. Jésus-Christ, qui est cet Homme ? Sauveur de Qui, de Quoi ?

Sauvé et après », Signes des temps, (novembre Ŕ Décembre 2007), p. 12 ; L’auteur dit encore que : « La

médiation du Christ n’est pas extérieure à nous, elle ne s’opère pas dans un au-delà où le Christ négocierait avec

son Père un quelconque apaisement, elle s’opère dans nos cœurs quand nous recevons Jésus en vérité. La vie

même de Dieu, celle qui échappe à la mort, s’établit en nous ». Ibid.,

33

promouvant la réconciliation. Par sa mort Jésus nous reconnecte à la vie. Dans l’ancienne

alliance, le prêtre sacrifiait un animal pour le pardon des péchés. Ici, c’est le Grand-prêtre

(Jésus) qui offre sa propre vie. Et c’est par son titre de souverain sacrificateur (grand prêtre)

par excellence, selon He 7.26-27, qu’il fait expiation une seule fois pour toutes. Un ultime

sacrifice qui rétablit la communication avec Dieu. D’où la déclaration de Trébeau :

« La nouvelle alliance permet de nous approcher de Dieu, non plus par

obligation comme héritier de la loi, mais par la foi qui devient une condition du

cœur. Le Christ apparaît comme le médiateur entre Dieu et l’homme qui accepte

son sacrifice. Bénéficier de cette alliance et de la réconciliation de l’individu avec

son Dieu requiert la foi en Christ138

».

1.2.2 La nouvelle alliance

Dans l’épître aux Hébreux, l’ancienne alliance est présentée comme n’étant plus

valable. Puis, au chap. 8 v.8-10, apparaît une prophétie de Je 31.31-34 assimilée à la nouvelle

alliance. L’ancienne alliance était basée sur des lois, des rites sacrificiels139

. Tandis que la

nouvelle semble avoir une dimension spirituelle : je mettrai mes lois dans leur intelligence, je

les inscrirai dans leur cœur. L’ancienne alliance était une image, une copie de la véritable140

.

La nouvelle alliance, dont Christ est médiateur, est présentée comme la véritable dans le sens

où « la mort de Christ eut lieu pour la rédemption des transgressions commises sous la

première alliance141

». C’est comme si les sacrifices de l’ancienne alliance n’apportaient pas

un réel pardon, une vraie réconciliation142

. D’après Vanhoye143

, ce n’est pas exactement cela,

car l’élément central de la médiation des prêtres était de donner au peuple la possibilité de

communiquer avec Dieu. Mais la médiation du Christ va beaucoup plus loin dans le sens où Il

est celui qui permet la réconciliation avec Dieu, plus encore Il est le réconciliateur

(intrinsèquement). « C’est parce qu’il vient de Dieu et qu’il est venu vers nous en s’abaissant,

qu’il peut établir réellement une communication parfaite et définitive entre l’homme et

Dieu144

».

138

Rouslana TREBEAU, « La médiation du Christ. L’instruction du jugement », Revue Adventiste, (Septembre

2011), p. 9. 139

He 8.3 ; He 9.6-7. 140

He 8.5. 141

He 9.15. 142

« C’est lui (Christ) que Dieu s’est proposé de constituer comme expiation, au moyen de la foi, par son sang,

pour montrer sa justice ; parce qu’il avait laissé impunis les péchés commis auparavant, dans sa tolérance, Dieu a

voulu montrer sa justice dans les temps présents, pour être juste tout en justifiant celui qui relève de la foi de

Jésus ». (Rm 3.25-26). (Version NBS) 143

Albert VANHOYE, Prêtres anciens prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, p. 48. 144

Ibid., p. 234.

34

Sesboüé confirme l’importance du Christ-médiateur en déclarant qu’il est du côté de

Dieu et vient de Dieu, mais aussi qu’il est du côté des hommes par son incarnation145

. Il nous

semble ici qu’une des différences entre ancienne et nouvelle alliance vient de l’origine des

médiateurs qui les ont promulguées. La première fut donnée à Moïse (humain) par

l’intermédiaire des anges, selon Ga 3.19146

. Ce n’est qu’ensuite que Moïse la transmit au

peuple. La deuxième alliance vient du Christ qui est à la fois Dieu et Homme. Ici, il n’y a pas

d’intermédiaire. D’ailleurs en Ga 3.20, Paul lui-même faisait déjà une distinction entre Moïse

et le Christ. Il existe aussi un changement important en lien avec les sacrifices offerts pour la

rémission des péchés. Effectivement, les sacrifices et leur symbolisme se rejoignent sous les

deux alliances. Néanmoins dans la nouvelle alliance, l’objet du sacrifice et l’officiant ne font

qu’un. He 9.11-12 déclare que Jésus est à la fois le sacrifice et le prêtre qui officie. De plus, le

sacrifice du Christ est ultime, « il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire147

». Plus

besoin d’offrir des animaux pour l’expiation des péchés. C’est ainsi que la religion de

l’esprit148

remplace les rites de la première alliance. La prophétie du prophète Jérémie a

trouvé son accomplissement « au jour149

» du Christ-médiateur.

1.2.3 Médiation et sacerdoce universel des chrétiens

Pour aller plus loin dans notre étude, il convient de rappeler que le ministère sacerdotal

du Christ constitue l’essence même de l’Eglise chrétienne. Sans Christ, pas d’Eglise. Ainsi le

sacerdoce universel des chrétiens se vit au travers de l’œuvre expiatoire du Christ. « Le

sacerdoce du Fils fut donc institué par Dieu même, et se trouve dans la ligne du dessein de

Dieu pour le salut de l’homme150

». L’ancienne alliance étant caduque, les sacrifices et

holocaustes n’étant plus valables, plus besoin d’intermédiaires humains pour accéder au salut.

« Le sacrifice du Christ a eu lieu une fois pour toutes. Il est total, et définitif, ce qui revient à

dire que personne ne peut ni le répéter, ni le compléter151

». La médiation du Christ est donc

parfaite et agissante pour l’Eglise encore aujourd’hui (He 7.25152

). Cependant, Hans Küng

déclare que « l’Eglise risque toujours de se faire elle-même médiatrice, elle et ses

145

Bernard SESBOUE, Jésus-Christ l’unique médiateur. Essai sur la rédemption et le salut, p. 88. 146

Sesboüé présente le médiateur de Ga 3.19 comme étant Moïse. (Bernard SESBOUE, Jésus-Christ l’unique

médiateur. Essai sur la rédemption et le salut, p. 89). 147

He 9.12a. 148

He 8.10 ; Je 31.31-34. 149

« Les jours viennent, déclaration du Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une

alliance nouvelle ». (Je 31. 31). 150

Norbert HUGEDE, Le sacerdoce du Fils, Paris, Fischbacher, 1983, p. 249. 151

Ibid., p. 251. 152

« Et c’est pourquoi, il est en mesure de sauver d’une manière certaine et définitive ceux qui s’approchent de

Dieu, puisqu’il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur ». (He 7.25).

35

mandataires153

». Il nous faut donc bien saisir la notion de sacerdoce universel. 1Pi 2.9

présente la communauté sacerdotale des chrétiens comme le peuple élu et choisi pour

proclamer les hauts faits de Dieu. L’unité, aussi bien que l’amour, constitue l’apanage d’une

telle assemblée, ce qui permet de surmonter les différends qui peuvent en surgir154

.

L’assemblée sacerdotale ne fait pas de distinction entre les ministères ecclésiaux. L’Eglise est

le corps du Christ, et « le peuple tout entier doit être sacerdoce qui appartient au Roi divin155

».

Les dons ou ministères sont différents, et cela constitue un souhait du Seigneur, en vue de

l’édification du corps du Christ156

. Nous pouvons attester que le sacerdoce universel situe

chaque chrétien sur le même plan, et que si la déclaration de l’apôtre Pierre fait écho à la

prêtrise, « ce n’est pas pour désigner les prêtres ministériels157

». Quels sont donc les

privilèges exacts du sacerdoce universel ? Küng les présente en cinq points. Tout d’abord

l’accès direct à Dieu : l’homme n’a plus besoin de passer par un intermédiaire humain.

« Grâce au Christ, TOUS ont directement accès par la foi à la grâce158

». Deuxièmement, le

sacrifice spirituel, « le sacrifice du Christ qui a eu lieu une fois pour toutes, a comblé tous les

sacrifices expiatoires des prêtres et les a même rendus inutiles159

». Le chrétien est invité à

offrir son corps comme « un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte

spirituel160

». La vie du croyant devient un chant de louange et de reconnaissance à Dieu pour

tout ce qu’Il a fait pour lui. Troisièmement, la prédication de la parole. Selon Mt 28. 18ss, la

prédication de l’Evangile est donnée à l’Eglise dans son ensemble. « Cette prédication ne doit

pas seulement se faire par une bonne conduite, mais aussi par le témoignage extérieur161

».

Quatrièmement, l’accomplissement du baptême, de la cène et de la rémission des péchés.

Hans Küng dit que :

« L’Eglise tout entière a reçu l’ordre de baptiser et que tout chrétien a

fondamentalement le pouvoir de baptiser et d’enseigner (Mt 28.19). De même que

l’ordre de pardonner les péchés tel qu’il apparaît en Mt 18.18, dans le contexte

d’un enseignement général des disciples, c’est-à-dire une loi concernant la

communauté, est confié à toute l’Eglise. C’est l’Eglise tout entière qui est autorisée

à pardonner les péchés […] TOUT chrétien a fondamentalement le pouvoir de

coopérer activement au pardon des péchés. Et enfin, la célébration du repas du

Seigneur, qui certes s’est accomplie dans le cercle des douze, et le ‘‘ faites ceci en

153

« Toutefois, ajoute l’auteur, si le Nouveau Testament connaît de nombreux mandataires qui annoncent le

jugement et la volonté de Dieu (anges, apôtres, prophètes etc.) ils ne sont jamais appelés médiateurs ». (Hans

KUNG, L’Eglise, Bruges (Belgique), Desclée De Brouwer, 1986, p. 510). 154

Fritz GUY, « Le malentendu de l’Eglise », Servir 3 (1994), p. 8. 155

Hans KUNG, L’Eglise, p. 512. 156

Ep 4.7-13. 157

Hans KUNG, L’Eglise, p. 514. 158

Ibid., p. 516 . Cf. Rm 5.2 ; Ep 3.12 ; He 10.22. 159

Hans KUNG, L’Eglise, p. 517. 160

Rm 12.1b. 161

Hans KUNG, L’Eglise, p. 518. Cf. 1Pi 3.15.

36

mémoire de moi ’’ (Lc 22.19) sont confiés à l’Eglise. […] TOUT chrétien a

fondamentalement le pouvoir de prendre une part active à ce repas eschatologique

de souvenirs, d’actions de grâce et d’alliance162

».

Et enfin cinquième privilège : la fonction de médiation. La vie chrétienne n’implique

pas seulement une relation d’ordre vertical entre le croyant et son Dieu. Bien au contraire, elle

s’établit avant tout dans la relation horizontale entre frères, si l’on en croit la Bible. Il est dit

en 1Jn 4.20, « si quelqu’un dit : ‘‘ J’aime Dieu ’’, et qu’il haïsse son prochain, c’est un

menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit

pas ». La relation qu’a le chrétien avec Dieu se vit dans ses rapports avec son frère. Ainsi tous

les chrétiens sont-ils impliqués dans l’œuvre médiatrice du Christ.

« C’est directement de Dieu que le sacerdoce commun crée la communion

parmi les croyants […] Chacun sait ce que les autres sont pour lui devant Dieu.

Chacun est donc responsable de son prochain […] Le sacerdoce universel est donc

la communion en laquelle chacun ne vit pas pour soi, mais des autres et pour les

autres devant Dieu163

».

1.2.4 Exemple de médiation dans le Nouveau Testament

Après avoir démontré les implications pratiques de la médiation verticale opérée par le

Christ, ainsi que les apports du sacerdoce universel, nous nous pencherons sur des cas de

médiation exclusivement horizontale. Par des exemples où Jésus-Christ et certains dirigeants

de l’Eglise primitive sont en situation de médiation, seront mises en évidence des perspectives

susceptibles d’être utiles au pasteur d’aujourd’hui.

Tout d’abord une péricope de l’évangile de Jn 8.1-11. Dans ce passage, deux conflits

s’entremêlent. En effet, des chefs religieux conduisent une femme vers Jésus pour la faire

condamner, mais en réalité c’est un piège pour accuser le Christ164

. Notons que l’utilisation du

terme μεζος (milieu) nous renvoie au thème de la médiation. Et c’est précisément l’exercice

auquel va se livrer Jésus pour libérer la femme de la condamnation qui l’attend. En réalité, se

distinguent dans notre narration quatre catégories de personnages. Le peuple, les dirigeants

religieux (scribes et pharisiens), une femme adultère, et Jésus (maître et enseignant). Les

protagonistes du récit sont Jésus, les responsables religieux et la femme adultère. Néanmoins,

la femme détient un rôle très particulier. Effectivement, c’est autour d’elle que sera construite

la trame de l’histoire. Les faits sont les suivants : étant accusée d’adultère elle mérite de

mourir selon la loi. L’attitude de Jésus est sans équivoque. Alors que la femme est placée au

162

Hans KUNG, L’Eglise, p. 525. 163

Ibid., p. 527. Cf. Ga 6.2. 164

Jn 8.6a.

37

milieu (μεζος) de la scène, Jésus, lui, se constitue en médiateur (Μεζιηης) pour la défendre.

Quels sont les principes qui émergent de son approche ? Nous avons premièrement un Jésus

qui prend le temps d’écouter ses détracteurs, lesquels viennent d’interrompre son discours

avec brutalité (v. 2-4). Alors qu’on s’attendait à une réponse ou un questionnement, il se

baisse et trace des traits sur le sol (v. 6b). Nous sommes en plein dans le langage non verbal.

En se baissant, Jésus se met au niveau existentiel de la femme, et ne la juge pas. Peut-être

pour lui dire qu’elle n’est pas seule dans son conflit, car accompagnée d’un médiateur qui

veut cheminer avec elle. Autrement, la posture et le silence165

de Jésus devraient pousser les

scribes et les pharisiens à réfléchir aux véritables mobiles de leur démonstration. Maintenant

le Christ se redresse, et se place au niveau des accusateurs. Par ses mouvements dans l’espace,

nous avons un intermédiaire qui va et vient vers les deux parties en conflit, comme pour créer

du lien. Cette situation est tout de même particulière. Les religieux ont droit à la parole, tandis

que la femme n’a pas droit de cité. Les mots que le Christ prononce en se redressant

« compensent » le mutisme de la femme. De plus, nous constatons que si le silence du Christ

a travaillé les consciences, ses paroles ont transpercé leur cœur : « que celui d’entre vous qui

n’a jamais péché lui jette la première pierre » (v. 7b). Est-ce que la réaction qui suivra cette

fameuse question était celle que désirait le Christ ? Ces individus ont préféré fuir face au

constat de leur état intérieur. Le plus étonnant c’est que la foule aussi s’en est allée ! « Et

Jésus resta seul » (v. 9a) avec la femme. Par ce questionnement, il leur était donné l’occasion

d’exprimer leurs sentiments, de saisir l’occasion de vivre une expérience nouvelle. Mais ils

choisirent le mutisme, la fuite166

. A présent, Jésus s’adresse à la femme. Maintenant elle peut

sortir de son silence et parler, alors que ses détracteurs qui avaient droit à la parole sont

rentrés, eux, dans un « silence invisible ». Nous étions dans un conflit spécifique où la loi

faisait autorité167

. Mais le Christ-médiateur transcende la loi pour atteindre et relever l’âme

blessée et meurtrie. Dans cette péricope, la médiation du Christ englobe aussi bien une

dimension verticale qu’horizontale. Verticale, car en déclarant à la femme que son péché est

pardonné, Jésus lui annonce que Dieu l’accueille. Horizontale, car ses détracteurs ont

165

« Pour nous, ce temps d’arrêt, ce rappel de la conscience, a aussi une autre fonction. Comme aucun de nous

n’est naturellement non-violent, ce temps sert à briser notre réaction instinctive, naturelle : ‘‘ nous sauver ’’.

C’est un temps pour passer de ‘‘ réagir ’’ à ‘‘ agir ’’ en accord avec notre conscience. Un temps pour nous

rappeler notre désir profond, pour rentrer dans notre corps, et le pacifier, nous rappeler la source présente en

nous et dans celui qui nous fait face ». (Ariane THIRAN-GUIBERT, Benoît THIRAN-GUIBERT, Entrer dans

l’Evangile pour sortir de la violence, Bruxelles, Fidélité, 2006, p. 91). 166

« Ce qui s’est passé dans le cœur de ces hommes se passe si souvent dans le nôtre aussi […] quand nous

prenons conscience de notre rayé (erreur), nous avons tendance à le laisser prendre toute la place. Nous nous

sentons coupables, honteux, pas dignes… ». (Ibid., p. 95). 167

Lv 20.10. Cf. Dt 22.22-24.

38

définitivement laissé la femme. Elle recouvre le droit de vivre et est donc socialement

réadmise. La méthode du Christ, son empathie, son désir de rejoindre l’autre dans sa

difficulté, son amour inconditionnel pour chacune des parties, sont pour le pasteur des

conditions indispensables à une relation d’aide.

Dans le N.T., des individus autres que le Christ, révèlent l’application de cette

fonction médiatrice. L’établissement des sept diacres par exemple, résultat de l’intervention

des apôtres pour gérer une crise qui apparut lors du service quotidien du pain168

. Cette

expérience rappelle au pasteur médiateur qu’il n’est pas seul à gérer les crises dans l’Eglise, et

qu’il peut faire appel à un tiers au sein de sa paroisse pour des interventions précises.

D’ailleurs, les comités d’Eglise ou de départements constituent des lieux où questionnements

et conflits peuvent être entendus, « apprivoisés ». En Ac 9.26-27, Barnabas se constitue en

médiateur afin que Paul soit accueilli par les chrétiens. En effet, ces derniers ont du mal à

croire que Saul, le grand persécuteur, soit devenu un des leurs. Barnabas décide d’introduire

Paul auprès des apôtres et leur raconte sa conversion.

« En retraçant l’itinéraire de Paul, celui-ci (Barnabas) prend en compte son

histoire ‘‘ individuelle ’’ (être, nature), son histoire ‘‘ sociale ’’ (famille, culture,

valeurs, religion). Barnabas indique ainsi qu’un médiateur sait rester ouvert à

l’autre, au-delà des normes, des jugements et des milieux. Il prend en compte le

récit de vie de Paul ; il l’écoute, ne le juge pas, analyse sa situation et élabore une

relation pour l’amener à savoir où il en est169

».

Barnabas montre combien il est important que le dirigeant d’Eglise accepte chaque

individu dans sa différence. Qu’il croit que le changement lui est toujours possible. Par

conséquent, si un conflit éclate dans une communauté, le dirigeant/pasteur, au milieu, peut

rappeler à chacun que la perception qu’il a de celui qui est en présence peut être erronée.

Quelques chapitres plus loin, c’est l’apôtre Pierre en Ac 15 qui agit en conciliateur pour gérer

un conflit d’ordre théologique en rapport avec le salut des « païens ». Ce sont les paroles de

Pierre, jointes à celles de Jacques, qui permettront le dénouement de la situation. Ces deux

apôtres témoignent de qualités d’écoute particulières, car ils respectent la parole des uns et des

autres. Puis, après avoir présenté leur discours, c’est ensemble que toute l’Eglise et les apôtres

décident d’une solution170

. Cela veut dire que la parole du médiateur a trouvé un écho

favorable chez les parties en opposition. Cet exemple de médiation montre que l’Eglise

168

Ac 6.1-7. 169

Jean-Luc LIEBE, « Le temps de la médiation, un espoir de réparation ? », Les cahiers de l’école pastorale 79

(2011), p. 69. 170

Ac 15.22.

39

chrétienne d’hier comme celle d’aujourd’hui peut vivre son unité en dépit des divergences

d’opinions.

1.2.5 Conclusion

Cette première partie de notre recherche révèle que le principe de médiation a été mis

en avant par Dieu. En effet, Dieu n’a pas pu se résoudre à voir l’Homme séparé de lui ou en

conflit avec son prochain. De ce fait, il s’est lui-même approché de la première famille

biblique pour l’accompagner dans ses difficultés. Autrement dit, les intermédiaires de

l’ancienne alliance, suivis du Christ, le Médiateur qui rétablit une fois pour toutes le lien entre

Dieu et l’Homme, mettent en exergue le désir de Dieu de construire des relations durables

avec ses créatures. Néanmoins, cette volonté divine trouve sa limite en la liberté de l’Homme.

Mais le conflit, faut-il le rappeler, fait partie intégrante de notre monde. Il n’est ni positif, ni

négatif. L’aborder le mieux possible reste un défi pour nous humains. C’est pourquoi, en nous

inspirant des principes surgissant des médiations bibliques, nous pouvons en envisager des

résolutions. En outre, le sacerdoce universel indique que chaque chrétien est appelé à soutenir,

encourager son frère en cas de difficultés. Mais, la gestion des conflits nécessite une certaine

rigueur, et des méthodes d’approches. Par conséquence tous ne peuvent prétendre à ce rôle.

D’ailleurs, nous avons observé qu’au temps de l’ancienne alliance, Dieu destinait des

individus spécifiques à cette fonction. Par conséquent se former dans ces pratiques ne peut

être que bénéfique. Il est donc important pour tout membre d’Eglise, et les dirigeants en

particulier, de s’y adonner. Nous croyons aussi que le pasteur, en tant que médiateur des

relations humaines au sein d’une paroisse, peut s’inspirer des exemples bibliques pour mieux

vivre son ministère.

Ainsi, dans le deuxième chapitre, nous nous intéresserons précisément à ses capacités

de gestion des relations humaines. Ou comment vivre au mieux la médiation dans notre

société postmoderne ? Ensuite, quels sont les différents acteurs (dans la société, l’Eglise,

etc…) ? Quels en sont les enjeux ?

40

Deuxième chapitre

41

2. Le pasteur, un médiateur

Dans ce chapitre, qui se veut une charnière entre la première et la troisième partie de

notre étude, nous tenterons de voir comment peut se vivre la médiation pastorale au sein de

nos communautés ecclésiales. Les médiations bibliques sont-elles inspiratrices ? Pour y

répondre, nous prendrons en considération le rôle du pasteur, ainsi que les attentes de ses

fidèles. Notre société vivant de perpétuelles évolutions, nous verrons en quoi cela peut

interférer avec le rôle du médiateur. En définitive, est-ce toujours au pasteur d’assumer la

fonction médiatrice, ou bien existe-t-il d’autres types de médiateurs auxquels il pourrait faire

référence ?

Nous rappelons que, « la médiation, en tant que processus de résolution d’un conflit,

n’est pas un lieu de reconstruction, mais seulement de rétablissement d’un lien suffisant pour

permettre de réengager le dialogue171

». Par conséquent, en cas de conflit dans une Eglise, le

pasteur devrait éviter tout jugement hâtif. A cet effet, Ballesteros déclare que dans la sphère

chrétienne on associe trop facilement le conflit à la notion de péché.

« Nous comprenons qu’adopter un comportement violent est un péché car

ne correspondant pas à ce que la Bible nous demande en matière relationnelle. Déjà

sur cette question, nous comprenons toute la difficulté que peuvent avoir les

chrétiens lorsqu’ils assimilent le péché au conflit. En effet, dans l’Histoire de

l’Eglise, le fait de pratiquer la violence (légitimée par le raisonnement et dans

certaines conditions) n’était pas un péché (manquer la cible de l’intention de Dieu)

mais au contraire un droit ou du moins une possibilité172

».

Le pasteur considérera avant tout ses paroissiens comme des individus chargés de leur

propre histoire, évoluant dans une société spécifique. Ensuite, si un conflit intervient, en

berger, il pourrait l’appréhender potentiellement comme un vecteur de vie au sein du groupe

que Dieu lui confie. Le pasteur fera preuve de qualités diverses telles que l’écoute, afin de

parvenir à des résultats positifs. Il sera aussi capable de reconnaître ses limites, quant aux

situations délicates qui lui seront soumises. Discernement173

et sagesse sont de rigueur, afin de

mieux cerner les conflits, et éviter de voir le péché à tout moment. Plus encore, savoir

171

Jean-Louis LASCOUX, Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la résolution des conflits, p. 44. 172

Juan BALLESTEROS, La médiation : une expression du pacifisme mennonite, p. 54. 173

« Le discernement n’est pas enfermé dans la situation relationnelle délimitée par l’échange spécifique entre

un accompagné et un accompagnateur, il concerne l’agir humain puisque la traduction des principes raisonnables

dans le divers du monde quotidien ne se réalise pas sans interprétation […] Le discernement est un usage

raisonnable des éléments situationnels qui permettent d’éviter des conflits inextricables suscités par la

soumission aux instincts grégaires ou aux passions incontrôlées ». (Christian DUQUOC, « Accompagner et

discerner », Lumière et vie 252 (2001), p. 6).

42

déléguer est prudent, si le problème n’est plus du ressort du pasteur ou dépasse ce dernier.

Après ces quelques lignes, attardons-nous un instant sur la notion de responsabilités du

pasteur.

2.1 Responsabilités du pasteur

Pasteur vient du latin pastor signifiant berger. Il s’applique au responsable d’une

communauté de croyants. Généralement, le pasteur est un homme (ou une femme) qualifié

ayant suivi pendant quelques années des études de théologie en faculté. C’est une personne

consacrée, appelée à administrer des projets et des hommes pendant une période donnée,

(pour ce qui est d’un groupe défini), ou toute la vie durant s’il est question de l’Eglise de Dieu

en général.

Dans le N.T., en 1Tm 3.1-13, les responsables religieux sont présentés comme des

hommes appelés à être irréprochables dans toutes leurs voies174

. Ailleurs, leur rôle

d’enseignant, d’exhortant, ainsi que leur engagement profond pour le bien-être des croyants

sont fortement mis en relief (1Tm 2.7, 4.11, 6.2 ; 2Tm 4.2 ; Tt 2.1)175

. Dans l’A.T., c’est

l’image du berger qui explicite le mieux les responsabilités du pasteur. D’ailleurs, dans

certaines langues latines comme le français, pasteur est synonyme de berger. Ezéchiel se veut

explicite au chap. 34. v. 4-16 : la responsabilité du berger est de fortifier les bêtes faibles,

guérir les malades, ramener celles qui s’éloignent, rechercher celles qui sont perdues. Ainsi,

en Eglise, le berger aura un œil attentif sur ses fidèles, il saura avec l’aide de Dieu, mais aussi

de son équipe pastorale, accompagner ceux qui présentent des difficultés. Et lors des

entretiens ou visites pastorales, il pourra entendre toutes difficultés, qu’elles soient liées à la

famille, au couple, au monde professionnel, etc... L’objectif n’étant pas forcément d’apporter

une solution dans l’instant, mais d’aider l’autre, l’assister, l’entendre dans son besoin. La

Bible présente donc le pasteur176

comme un acteur essentiel quant à l’équilibre holistique de

ses paroissiens, soit un consolidateur de la foi. Il est appelé à offrir aux membres, ou à tout

autre individu un accueil de haute qualité humaine et spirituelle177

. Quand il prêche par

174

« Si quelqu’un aspire à l’épiscopat, c’est une belle tâche qu’il désire. Aussi faut-il que l’épiscope soit

irréprochable, mari d’une seule femme, sobre, pondéré, de bonne tenue, hospitalier, capable d’enseigner, ni

buveur, ni batailleur, mais doux ; qu’il ne soit ni querelleur, ni cupide… ». (1Tm 3.1-13). 175

Barth dit : « C’est un homme de prière, sincère, travailleur, discipliné, enseignant, prédicateur, bon

citoyen ». (Karl BARTH, Le ministère du pasteur, Labor et Fides, Genève, 1961, p.7-9). 176

Nous soulignons que la figure du pasteur d’aujourd’hui n’a pas d’équivalent dans la Bible. 177

Sophie TREMBLAY, Le dialogue pastoral. Outils de réflexion et mise en œuvre, Ottawa, Novalis et Lumen

Vitae, 2007, p. 10.

43

exemple, son message178

ne devra pas concerner seulement ses fidèles, mais tout individu

lambda, tel que celui qu’il croise dans la rue, qu’il rencontre lors d’un voyage en train ou en

avion. A l’instar de Jésus, le Pasteur/Berger par excellence, le dirigeant s’engage aussi à créer

ou sauvegarder les conditions favorisant des relations de qualité entre les membres et Dieu et

entre les membres eux-mêmes.

Toutefois, nous croyons que le ministère du pasteur est étroitement lié au modèle de

société dans laquelle il évolue. Willaime dit bien que le pasteur est « un acteur social qui

s’adonne professionnellement à un type particulier d’activité : l’activité religieuse179

», mais

cela n’atténue en rien le fondement transcendantal de sa vocation. Il lui faut aussi compter

avec un monde en perpétuelle évolution. Sans compter qu’avec la sécularisation, les

institutions religieuses et leurs responsables ont beaucoup moins d’influence sur la société.

« Dans la classification de l’I.N.S.E.E., le clergé (dont font partie, prêtres,

pasteurs, rabbins) est rangé parmi les professions qui sont spécialisées dans le soin,

l’aide, l’accompagnement des personnes, des professions qui travaillent beaucoup

sur la base de la relation interpersonnelle et qui, de façon extrêmement diverse et

avec des légitimations différentes, s’occupe de conduite de la vie. Ces professions

‘‘ sociales ’’ s’occupent des personnes, interviennent dans leur vie, ont une certaine

autorité pour le faire, autorité qui s’appuie à la fois sur les institutions dont ils sont

les agents et sur le savoir qu’ils revendiquent et qui les situent comme des

experts180

».

Cette déclaration de l’I.N.S.E.E illustre une certaine marginalisation du/des religieux

qui ont de moins en moins d’impacts sur les affects spirituels de leurs contemporains. Nous y

relevons aussi que la fonction cultuelle du clerc (prêtre, pasteur, rabbin) n’est pas prise en

compte. Toutefois, pasteurs et autres ministres sont présentés comme des acteurs

incontestables de la relation d’humain à humain. Ici, nous avons l’impression que la

dimension horizontale de la relation pastorale prime sur la verticale. Néanmoins, l’Eglise

évolue dans la société, et de ce fait la vie religieuse se tisse à travers des liens sociaux. Ainsi,

d’une certaine manière, le pasteur fait le lien entre le monde religieux et la société dans

laquelle l’Homme évolue. Nous pourrions nous demander comment les fidèles conçoivent

aujourd’hui la réalité des fonctions. « Le rôle imagé du pasteur qui est de conduire son

troupeau vers les vertes pâtures et de trouver pour lui des pâturages toujours meilleurs181

»

178

« En herméneute, il délivrera le sens de l’oracle divin aux destinataires profanes ; il s’appliquera à « produire

un message intelligible ». (Friedrich SCHLEIERMACHER, Herméneutique, Genève, Labor et Fides, 1987, p. 5). 179

Jean-Paul WILLAIME, Profession pasteur, Genève, Labor et Fides, 1986, p. 24. 180

Ibid., p. 31. 181

André GODIN, La relation humaine dans le dialogue pastoral, Bruxelles, Desclée de Brouwer, 1963, p. 16.

Cf. La recommandation de Paul : « prenez soin […] de tout le troupeau dont l’Esprit-Saint vous a établis les

gardiens, soyez les bergers de l’Eglise de Dieu… ». (Ac 20.28).

44

est-il toujours d’actualité ? Nous croyons que oui, car il demeure un berger inlassablement

attentif aux besoins du troupeau. Il saura instruire, protéger, diriger, défendre, accompagner,

aimer toute brebis182

. Seulement, il se rappellera qu’elles n’ont pas toutes les mêmes attentes

ou conditions. Picon183

, parlant de la fonction pastorale, soutient que les attentes des

nouveaux membres issus de la société contemporaine, sans lien direct avec les Eglises

historiques, diffèrent des attentes des autres membres, fortement liés quant à eux aux modèles

anciens.

« Les nouveaux membres identifient le pasteur à partir de modèles de

représentation plus diversifiés et qui ne correspondent pas toujours aux

compréhensions plus normatives et traditionnelles que les Eglises ‘‘historiques’’

ont du ministère pastoral et que les pasteurs ont d’eux-mêmes184

».

Nous venons de mettre en lumière des éléments déterminants quant à la

compréhension de la responsabilité du dirigeant religieux. Tout d’abord, comment les saintes

écritures présentent le ministère pastoral. Il en est ressorti que le responsable ecclésiastique

joue un rôle prépondérant quant au bien-être des fidèles que Dieu lui confie. Deuxièmement,

notre société est en perpétuelle évolution. Le constat est que l’impact du religieux est moins

présent dans la pensée de nos concitoyens. Le dernier point, qui est fortement lié au

précédent, fait mention des attentes différentes qu’ont les fidèles en fonction de leur

provenance, ainsi que de leur vécu. Le pasteur se retrouve donc dans une position délicate :

réussir à s’adapter à une société en mutation. C’est un vrai défi pour tout berger soucieux de

répondre aux attentes de ses fidèles. Toutefois, les principes mis en évidence démontrent bien

ce rôle d’intermédiaire que détient le dirigeant, qu’il soit prêtre, rabbin ou pasteur. D’ailleurs,

le fait que l’I.N.S.E.E intègre le ministère des clercs dans les professions spécialisées en

entraide, n’est-ce pas lui reconnaître une certaine fonction médiatrice ? Car soulignons-le, la

médiation est l’un des outils clés utilisés en relation d’aide.

182

Thomas E. TRASK, Wade I. GOODALL (éds.), Le Pasteur : sa vie, ses défis, Québec, Ministères

Multilingues, 2004, p. 228-237. 183

Raphaël PICON, Ré-enchanter le ministère pastoral. Fonction et tension du ministère pastoral, Lyon,

Olivétan, 2007, p. 12-13. 184

Ibid., p.13.

45

2.2 Différentes attentes des communautés

« Le prêtre est pour moi le représentant de Jésus-Christ sur la terre. Je lui demande la

vie par les sacrements185

». Plusieurs membres d’église pourraient formuler ainsi une de leurs

précieuses attentes. Le prêtre, le pasteur, en l’occurrence, est celui qui communique la vie aux

membres. Une distinction reste tout de même à faire entre prêtre et pasteur. En effet, pour le

catholique, le prêtre représente Dieu « symboliquement et efficacement » et, dans ce sens, il

est le seul par lequel la vie peut être transmise. Quant au pasteur, s’il communique la vie c’est

au même titre que tous les chrétiens liés au sacerdoce universel. Néanmoins, grâce à sa

formation pastorale, il peut être plus apte à guider un membre en questionnement sur un point

doctrinal. Dans le cas où un paroissien a du mal à jouir pleinement de la joie du salut, et vit

dans une forme de culpabilité, le pasteur pourra par des études bibliques, la prière, aider celui-

ci à jouir de la liberté que Dieu lui offre. Par ailleurs, des « images inconscientes, […]

exprimées ou dissimulées » des paroissiens peuvent se traduire par des besoins de sécurité,

protection, amour, appartenance, estime de soi et désir d’acceptation par autrui, ou par des

dispositions instinctives comme la crainte, la culpabilité, la sexualité, … « Ces forces

inconscientes peuvent influencer profondément le rôle attribué au prêtre et se projeter

fortement dans la relation avec lui186

». Souvenons-nous que le pasteur, comme tout

responsable d’église, est aujourd’hui plus que jamais investi de plusieurs vocations :

prédicateur, enseignant, accompagnant, dirigeant. Bref, il s’agit d’un éducateur au sens noble

du terme. Ce qu’il est, sait, et sait faire transparaît à travers tout type de relations qu’il établit

avec la communauté, laquelle le considère souvent comme un modèle à suivre, et un

conseiller par excellence187

. Toutefois, soulignons que le paroissien qui interpelle son pasteur

le fait en toute confiance, croyant que ce dernier peut l’aider à résoudre ses soucis. Les

attentes peuvent être disproportionnées, mais le membre d’Eglise n’en est pas forcément

conscient.

A ce moment précis, le religieux entre dans une dynamique de relation d’aide, où il

pourra accueillir les paroles du fidèle. Ce dernier demande audience, mais c’est au

responsable ecclésial qu’il revient d’orienter le membre quant aux émotions qui l’habitent, par

une attention toute particulière. Par ce moyen, il pourra mieux répondre aux attentes des

individus. Grâce à une écoute active, par exemple, le pasteur amènera l’individu à mieux se

185

Paul Claudel cité par André GODIN, La relation humaine dans le dialogue pastoral, p. 76. 186

André GODIN, La relation humaine dans le dialogue pastoral, p. 76-78. 187

Gilbert BAUSINGER, « Le pasteur, un éducateur d’adultes », Les cahiers de l’école pastorale 42 (2002), p.

15.

46

connaître, mieux comprendre son besoin réel, à mettre des mots justes sur son/ses ressenti(s).

Et peut-être l’écouté arrivera-t-il à la conclusion qu’il a en lui-même la réponse à ses

questions et que la présence d’une tierce personne n’a plus de raison d’être.

Par ailleurs, l’église est plongée dans une société sécularisée, laquelle a régulièrement

recours à des médiateurs ou interprètes, dans plusieurs secteurs : vie de famille, politique ou

publique. Dans des situations de mal-être profond ou même de résolution de ses conflits

personnels, l’église pourrait se tourner vers l’un d’entre eux et ne pas voir l’intérêt de faire

appel à un pasteur-médiateur. Dans ce cas, les attentes de la communauté quant au pasteur

sont moins conséquentes. C’est l’expression d’un désir de plus de liberté qui émerge ici : le

paroissien usant du droit de se tourner vers qui bon lui semble pour répondre à ses besoins.

En revanche, certains fidèles pourraient exiger une efficacité absolue de

l’ecclésiastique, puisque considéré comme un religieux proche de Dieu. Aujourd’hui, sur le

plan intellectuel et socioculturel, le membre d’église est plus mûr et plus responsable

qu’autrefois. Une vision progressiste des ecclésiastiques consisterait à faire d’un paroissien un

gestionnaire aux multiples compétences. Ainsi, en éducateur-accompagnateur188

, il

contribuerait à ce que les membres d’Eglise aient plus d’autonomie face à certaines

difficultés. Par cette contribution, son rôle de médiateur se situera entre l’apprenant et l’objet

d’apprentissage. Toutefois, en bon gestionnaire des besoins, du temps et des personnes, le

pasteur ne s’imposera à personne, mais tâchera d’être une « force de proposition active189

» au

service de la communauté.

2.3 Pasteur et médiateur

En quoi le pasteur peut-il revêtir le titre de médiateur aujourd’hui. Nous pourrions

aussi nous demander si une distinction est à faire entre le ministère pastoral et la médiation,

ou s’ils sont naturellement liés.

Etre pasteur est avant tout une vocation. Nous croyons que le pasteur est une personne

qui veille amoureusement et raisonnablement sur le groupe que le Seigneur lui a confié.

« Conducteur du troupeau »190

, il est un berger qui marche en avant des fidèles. « En anglais,

to lead signifie aller devant, et les synonymes sont conduire, guider, influencer, amener, […]

l’image qui convient très bien est celle du berger marchant devant le troupeau et le troupeau

188

Gilbert BAUSINGER, « Le pasteur, un éducateur d’adultes », p. 13-14. 189

Michèle GUILLAUME-HOFNUNG, La médiation, p. 71. 190

Jer 25.35.

47

qui le suit, grâce à sa relation avec le berger191

». Cet éclairage de Farmer nous semble très

intéressant car correspondant à la plus noble tâche du ministre de l’Evangile. Toutefois, outre

ses compétences spirituelles, psychologiques et intellectuelles, le pasteur aura besoin de

s’offrir lui-même (temps, énergie physique et mentale…) pour aider une église, « corps du

Christ »192

, « colonne de la vérité »193

, à s’élever comme un palmier. Nous comprenons que la

vocation pastorale sollicite toutes les facultés de l’être qui s’y destine. Autrement, dans son

mandat, en association avec les anciens et quelques fois les diacres, des visites pastorales sont

organisées sans qu’il y ait de conflit à la base. Grâce à ses visites de « courtoisie », l’Eglise

peut prévenir certaines difficultés au sein d’un foyer ou entre membres. Par ses contacts

établis entre la direction de l’Eglise et les frères, dans l’écoute et le partage, c’est l’Eglise qui

grandit. Nous pouvons ainsi affirmer que la relation pasteur/membre se révèle comme une

bonne méthode de prévention de conflit.

Autrement, même si le pasteur a des aptitudes innées quant aux relations humaines,

souvenons-nous que ni une médiation, ni même une écoute active ne s’improvise. Il serait

donc, judicieux pour lui de se former194

. Car, si ce dernier n’a pas les compétences requises, la

prudence est de rigueur. Nous l’avons déjà signalé, la vocation du pasteur fait de lui un être

relationnel, garant du bien-être de ses fidèles. Mais ce sentiment de responsabilité ne le rend

pas infaillible195

. S’il est formé à la relation d’aide, il pourra répondre plus facilement à

l’appel des paroissiens. Par exemple, le membre qui l’interpelle parce que la perte de son

travail le fait déprimer, bénéficiera d’une attention toute particulière quant aux sentiments

qu’il éprouve en cette épreuve. Néanmoins, nous croyons qu’un pasteur soucieux du bien-être

de son prochain, peut en homme de prière et avec l’aide de Dieu, sans formation spécifique,

écouter et accompagner ses paroissiens196

. Ici se prédéfinit une forme de médiation liée de

manière naturelle au ministère pastoral.

191

Jeanne FARMER, Le ministère pastoral, Paris, Empreinte Temps Présent, 2006, p. 13. 192

Eph 4.12. 193

1Ti 3.12. 194

« D’une manière générale, l’action du médiateur nécessite une discipline d’accompagnement dans le

traitement des informations par les personnes. Toutefois, comme le bricolage, elle peut s’improviser et être tout à

fait efficace. Mais une pratique professionnelle de la médiation dans les relations interpersonnelles directes,

nécessite de la part du médiateur une maîtrise de savoir-faire et de savoir-être qui ne peuvent s’acquérir que dans

le cadre d’une formation ». (Jean-Louis LASCOUX, Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la

résolution des conflits, p. 12). 195

Ce point sera réétudié dans le sous-chapitre « Les limites et faiblesses de la médiation ». 196

« A cet effet, Vallotton estime que le but de la simple visite pastorale s’oriente dans la même direction que

celui de la relation d’aide : permettre à chaque être humain de s’approprier le sens de sa vie… ». (Claude Henry

VALLOTTON, La visite. Une ouverture vers l’essentiel, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 59.

48

Souvenons-nous que dans la première partie de notre travail, l’accent avait été mis sur

la médiation biblique, dans la perspective du rétablissement d’une relation brisée avant tout

entre Dieu et l’homme. Il fut important de signaler aussi que cette rupture eut des

conséquences dans les relations humaines, lesquelles furent troublées à leur tour. Dieu doua

certains hommes d’aptitudes particulières afin que leur ministère contribue à combler le

gouffre qui les sépare de lui. Il nous semble que de manière générale, le pasteur entre dans ce

cadre-là, faisant partie de la lignée des serviteurs de Dieu. Et c’est principalement par le biais

de la prédication, l’enseignement, la catéchèse, la cure d’âme que le pasteur vit son ministère.

Lièbe déclare même que, durant le Moyen-Âge, les évêques avaient investi les prêtres d’une

mission de médiation entre les paroissiens197

. A ce niveau de notre recherche, nous décelons

deux orientations précises dans la fonction médiatrice du pasteur. Une préventive émanant des

visites pastorales de routine, une autre issue du lien qu’il (pasteur) crée entre Dieu et l’homme

au travers de son ministère particulier198

. Mais, ces fonctions sont-elles en adéquation avec

notre société actuelle ?

Dans le passé, la culture traditionnelle véhiculée par le christianisme laissait entendre

que « les différents secteurs de la vie sociale, économique, familiale, et la religion se

compénétraient étroitement, formant un écheveau complexe, dont le religieux constituait le fil

de liage199

». Dans ce schéma, les responsables religieux étaient reconnus comme pouvant

répondre à toutes questions liées à la vie, voire capables d’apporter une solution. Ainsi,

« l’héritage culturel, ainsi élaboré et entretenu par tout un système d’emprise, constituait

l’ossature de raisonnement et de compréhension des choses au sein du clergé, et, en définitive,

dans l’ensemble de la population200

». Cette composante culturelle dotait l’homme religieux

d’une certaine autorité.

Il nous semble qu’aujourd’hui, l’image du dirigeant religieux est différente. Sutter

parle d’un effondrement de cette culture traditionnelle en lien avec le rôle du clergé religieux.

Premier changement, la notion d’autorité n’est plus aussi marquée. « Elle s’exprime plus

rarement sur le registre du charisme, mais beaucoup plus sur celui de la compétence et de

l’efficacité201

». A cet effet, Willaime dit que le clerc « serait moins l’homme du discours que

197

Jean-Luc LIEBE, « Le temps de la médiation, un espoir de réparation ? », p. 60. 198

Prédication, catéchèse, administration des sacrements, assemblée vie d’église, programmes culturels ou

récréatifs… 199

Jacques SUTTER, Prêtres, pasteurs et rabbins dans la société contemporaine, VIe Colloque du centre de

sociologie du protestantisme, Paris, Cerf, 1982, p. 77.

200

Ibid., 201

Ibid., p. 78.

49

l’homme de l’écoute, il ne serait plus l’idéologue cherchant à imposer une doctrine et une

morale, mais l’animateur du débat social autour des questions de sens et d’éthique202

».

Deuxièmement, le pasteur n’est plus l’homme à tout faire, comme au début du siècle dernier.

Il est plutôt l’homme de la spécialisation203

. Nous sommes dans une époque « où le caractère

totalisant de l’engagement clérical » est remis en question « au profit d’une conception plus

fonctionnelle de la profession204

». On peut donc déduire que si le cahier des charges d’un

pasteur prévoit plusieurs fonctions, dont la médiation, ce dernier n’a pas obligation à les

remplir toutes. Et la société ne l’exige pas forcément. Ainsi, les compétences spécifiques du

pasteur seront-elles plus appréciées qu’une reconnaissance globale de ce dernier émanant

simplement de son titre de pasteur. Dans le sens où le titre de pasteur à lui seul engloberait

tout un lot de compétences naturelles non sanctionnées par une formation spécifique.

Nous sommes obligés de constater qu’il y a une évolution relative au rôle et aux

compétences du pasteur. En voici quelques-unes : En éducateur205

, il facilitera la rencontre

d’un individu ou d’un groupe à travers un espace, un temps et une organisation. « L’important

pour lui sera de donner du sens et de créer du lien206

». En formateur, il veillera à ce que

chaque membre s’investisse pleinement dans la mission du Christ. En animateur de groupe, il

aura pour mission « d’aider les gens à entrer en relation les uns avec les autres, tout comme il

souhaite pouvoir les seconder dans la relation qu’ils entretiennent (ou n’entretiennent pas

encore) avec Dieu. En d’autres termes, la relation d’aide…207

». Ces éléments démontrent

bien que le pasteur possède des outils techniques. Godin fait directement usage de

l’expression « fonction de médiation ». Pour lui, la relation pastorale dépasse de loin

« l’influence psychologique et pédagogique qu’un homme exerce sur un autre208

». La

médiation pastorale vise à remplacer l’action de l’homme par celle de Dieu. Par conséquent,

le pasteur a besoin, en plus de spécialisation, d’aptitudes spirituelles particulières : « une

disposition d’infinie patience ; une disposition de confiance absolue dans les ressources

202

Jean-Paul WILLAIME, La précarité protestante. Sociologie du protestantisme contemporain, Genève, Labor

et Fides, 1992, p. 147. 203

« Les pasteurs d’hier étaient isolés les uns des autres, chacun dans sa paroisse ou son secteur […] chargés de

beaucoup d’autres tâches, par exemple dans le domaine de l’éducation religieuse ou de l’action sociale, ils en

devenaient, dans le pire des cas, des hommes à tout faire de la paroisse, et dans le meilleur, des généralistes de

l’action pastorale. Ces dernières décennies ont été marquées par une certaine tendance à la spécialisation, surtout

dans les régions où la concentration protestante permet au ministre de travailler en équipe et de la répartir en

fonction de ses compétences ou de ses charismes ». (Bernard REYMOND, Le protestantisme et ses pasteurs.

Une belle histoire bientôt finie ?, Genève, Labor et Fides, 2002, p. 98). 204

Jean-Paul WILLAIME, La précarité protestante. Sociologie du protestantisme contemporain, p. 131. 205

Gilbert BAUSINGER, « Le pasteur, un éducateur d’adultes », p. 13. 206

Ibid., p.15. 207

Bernard REYMOND, Le protestantisme et ses pasteurs. Une belle histoire bientôt finie ?, p. 99. 208

André GODIN, La relation humaine dans le dialogue pastoral, p. 70.

50

(naturelles et surnaturelles) à l’œuvre dans le consultant ; une tendance à s’effacer, à se retirer

psychologiquement, à renvoyer le sujet à sa propre conscience209

». Continuant son propos,

Godin déclare que la médiation du pasteur sera réussie, si « l’Esprit-Saint agit dans la relation

même entre consultant et pasteur210

». Ainsi donc le pasteur peut être pasteur-médiateur, si

toutefois il revêt à la fois des compétences spirituelles et humaines pour mener à bien une

médiation. Mais, il ne peut composer sans prendre en compte l’évolution des pensées. Ce

faisant si une complication qui n’est pas de son ressort lui est présentée, il devra déléguer.

Prenons pour exemple un jeune qui rencontrerait des difficultés au sein de son établissement

scolaire. Ce dernier pourrait s’approcher du pasteur et recevoir toute l’attention nécessaire

mais pas forcément l’aide technique dont il aurait besoin. Animé de sagesse et de

discernement, le berger pourrait orienter le jeune vers un spécialiste apte à l’assister dans son

problème. Il en est de même dans les difficultés sociales que peut rencontrer une famille. Le

pasteur n’étant pas un assistant social, il doit diriger ses fidèles vers des personnes

compétentes. En faisant ceci, il ne manque pas à sa mission, au contraire, il contribue au bien-

être des humains que Dieu lui confie. Nonobstant, il continuera à prier pour eux et se souciera

des suites de l’affaire.

Il semblerait que le pasteur soit un médiateur dans le sens où il crée du lien entre Dieu

et l’homme, et entre les humains. Mais, faut-il le rappeler, les changements sociologiques ont

fortement transformé l’image du religieux.

« L’unité de production, le groupe familial, l’institution religieuse ne

peuvent plus fonctionner en symbiose, dans leurs interférences réciproques ; la

propriété, la famille, l’autorité, l’ordre social, les valeurs considérées comme

intangibles, ne peuvent plus fonctionner comme un système compact et homogène.

La religion, sectorisée et privatisée, ne peut plus jouer un rôle déterminant dans les

décisions collectives. Ainsi, les changements intervenus dans les rapports sociaux

ont entraîné des évolutions décisives pour le champ religieux. Les détenteurs de

pouvoir à l’intérieur de ce champ, les prêtres tout spécialement, ont perdu les

moyens d’emprise qui leur permettaient d’asseoir leur autorité et de confirmer leur

statut211

».

Ce qui revient à dire que la fonction médiatrice du responsable d’Eglise, l’engage

aussi à reconnaître ses limites. Face à cette réalité sociale, le pasteur-médiateur aura deux

choix : soit il se spécialise afin de répondre aux besoins de l’Eglise dans un domaine précis ;

soit il fait le lien (un aspect de la médiation) entre individus en difficulté et une tierce

personne qui pourrait les accompagner. Ces professionnels de la médiation horizontale

209

André GODIN, La relation humaine dans le dialogue pastoral, p. 72. 210

Ibid., 211

Jacques SUTTER, Prêtres, pasteurs et rabbins dans la société contemporaine, p. 78.

51

peuvent se trouver dans l’Eglise même. Dans ce cas, il serait intéressant qu’un listing de ces

acteurs de la relation d’aide soit établi, en accord bien entendu avec ces derniers. Mise à part

cette initiative, les membres peuvent être encouragés à consulter de manière naturelle des

personnes, à la fois discrètes et compétentes, susceptibles de les accompagner en cas

d’épreuves. Car le pasteur ne peut pas être vu comme l’homme à tout faire, mais comme le

garant et de l’unité du corps et du développement des capacités humaines. Dans ce cadre-là, il

restera un médiateur de par sa fonction et son titre, mais accentuera son ministère sur d’autres

secteurs (prière, visites, prédications…). Pour Willaime, le clerc du XXIe siècle sera à la fois

un expert et un médiateur. Un expert dans ses méthodes d’approche des membres dans une

société qui évolue rapidement. Et « un expert qui continuera à médiatiser du sacré212

».

En conclusion, nous croyons que le pasteur est un médiateur, aussi bien dans la

dimension spirituelle qu’humaine. Néanmoins, sa fonction médiatrice n’est pas toujours

évidente lorsqu’il gère des conflits en lien avec la discipline ecclésiastique. Comment rester

neutre dans le traitement d’un cas disciplinaire, alors qu’en tant que pasteur il est appelé à

réagir, à donner son avis ? Surtout si dans le cadre de sa mission, il a recueilli des confidences

de (des) (l’) intéressé (s). N’encourt-il pas le risque d’être vu par l’Eglise comme un agent

double ?

En tant que médiateur, il s’est engagé dans un processus de confidentialité, neutralité,

impartialité213

, et parallèlement en tant que pasteur, il est encouragé à faire « respecter » la

discipline. Cette ambivalence pourrait laisser entendre qu’un pasteur ne peut être

« médiateur », sans violer un des principes clés de la médiation : la confidentialité. Toutefois,

nous croyons qu’il est en mesure de remplir cette fonction même dans les cas de discipline. Il

conviendra pour lui de définir au préalable avec les parties ce qu’il sera en mesure de partager

avec le conseil d’Eglise. Autrement, si lors d’une visite de membre, le pasteur réussit à gérer

un conflit, il nous semble qu’il n’est plus nécessaire de traiter l’affaire dans un comité

d’Eglise, sauf si l’intégrité des personnes ou des biens est menacée. Auquel cas, le pasteur-

médiateur et son comité ont le devoir éthique de tout mettre en œuvre214

pour protéger la vie.

Il est tout de même difficile d’avoir une réponse univoque à cette question de discipline

ecclésiastique en lien avec la médiation. Par conséquent, il nous semble que dans des cas

disciplinaires, il serait sage de traiter chaque situation de manière individuelle et unique. De

plus, le principe de l’amour chrétien demeure au cœur de nos relations. Ainsi donc, si la

212

Jean-Paul WILLAIME, La précarité protestante. Sociologie du protestantisme contemporain, p. 151. 213

Voir chap. 3.3. 214

Dans certains cas, se référer au système judiciaire ou médical garantirait une meilleure prise en charge des

personnes dans leur désarroi. Voir le chapitre suivant.

52

recherche du bien-être du membre est supérieure à la mise en application stricte et mécanique

d’une règle de l’Eglise, alors les fonctions de médiation pastorale et de garant des principes

ecclésiastiques sont conciliables.

Il existe donc d’autres acteurs : spécialistes de la relation d’aide, psychologues,

conseillers familiaux, médecins. Ces derniers sont aptes à répondre spécifiquement aux

besoins d’une société de plus en plus en mal de vie. Le pasteur composera avec eux pour

mieux répondre aux besoins de ses fidèles, mais aussi de tous ceux que le Seigneur placera sur

sa route. C’est en association avec ces forces vives, qu’il pourra mener au mieux une

médiation à la fois verticale et horizontale.

Au troisième et ultime chapitre, nous nous intéresserons particulièrement aux modèles

de médiation extra bibliques. Dans ce contexte-là, c’est la relation d’humains à humains qui

prime, et le caractère religieux n’est pas forcément à envisager. Il n’empêche que ces modèles

peuvent éclairer l’approche de la médiation pastorale. Car si les outils ne sont pas identiques,

l’objectif demeure le même : promouvoir le rétablissement du/des lien(s) disparu(s) entre les

fractions en conflit.

53

Troisième chapitre

54

3. Quelques caractéristiques pour la médiation pastorale

Ce troisième chapitre nous permettra de pénétrer plus profondément dans l’univers de

la médiation. Avant tout, nous apporterons un éclaircissement sur les notions de relation

d’aide, d’écoute pastorale, et de médiation. Suivant ces explications, nous verrons en quoi

consiste la médiation, quelles sont ses modalités de fonctionnement, ses diverses formes, et

quelles en sont les limites ? Nous ferons aussi un point sur les autres méthodes de résolution

de conflits. Après quoi, nous présenterons succinctement quelques médiations vécues extra-

ecclésia. En dernier point, nous présenterons une conclusion générale de notre travail de

recherche.

3.1 Relation d’aide, écoute pastorale et médiation, quel lien ?

Qu’est-ce que la relation d’aide ? « C’est une manière de procéder dans une relation

interpersonnelle, manière de procéder qui cherche à libérer la capacité de la personne aidée,

pour vivre plus pleinement qu’elle ne le faisait au moment du contact215

». Ainsi, la relation

d’aide permet à l’individu d’exister, de s’exprimer en dépit de ses faiblesses. L’écoute

pastorale est une forme de relation d’aide. Par ce biais, le pasteur accompagne tout individu

qui vit des tensions. C’est un ministère qui engage le pasteur à cheminer avec ces personnes

dans une voie de réconciliation, de guérison, de croissance. Le pasteur devient un

intermédiaire pour servir de relais entre l’individu et Dieu, ou entre deux individus. Nous

constatons déjà que la notion de médiation est très présente dans l’écoute pastorale. Pour ce

qui est de la définition de la médiation, nous nous référerons à la définition donnée en

introduction de notre travail216

. A présent, quels liens existent entre ces différents procédés ?

La relation d’aide est un terme utilisé dans le cadre des métiers qui interviennent pour le bien-

être des personnes217

. L’écoute pastorale fait partie de la relation d’aide, mais c’est un terme,

une activité qui reste propre au domaine religieux. Quant à la médiation, elle demeure un

principe de gestion de conflit qui peut être utilisé dans la vie religieuse comme dans tout autre

secteur de la vie humaine. En conclusion, nous dirions que ces expressions ont un lien

commun, et promeuvent les mêmes buts : le dialogue, le bien-être d’autrui, et en fin de

compte la paix. Maintenant que ces éclaircissements ont été apportés, nous sommes fins prêts

à pénétrer dans les diverses sphères de la médiation.

215

Lucien AUGER, Communication et épanouissement personnel. La relation d’aide, Ottawa, Les Editions de

L’homme, 1972, p. 14. 216

Voir page 6. 217

Voir note 180.

55

3.2 Processus de médiation

Le processus de médiation permet au professionnel et donc au pasteur qui s’y destine

de mener à bien son œuvre. Quel que soit le conflit qui apparaît dans la société ou dans

l’Eglise, le centre d’intérêt porte sur les personnes qui le vivent. L’objet du conflit qui n’est

pas en reste devra en général passer au second plan218

. Effectivement, une fois ce dernier mis

en lumière, la mission première est d’accueillir les groupes en rivalités. Ensuite, le pasteur

informe les parties en mésentente du déroulement du processus de médiation, et les

accompagne dans un engagement mutuel. Rappelons que dans l’Eglise, selon Mt 18.15-18,

avant toute médiation « les frères » devaient tout faire pour résoudre leurs différends219

. Et ce

n’est que s’ils n’y arrivaient pas qu’une tierce personne était à envisager. Selon ce même

texte, l’individu aidant peut être le pasteur ou quelqu’un d’autre. Bref, après cela le médiateur

instruit les protagonistes sur les limites de leurs actions : « ils ne sont pas là pour juger, pour

dire qui a tort, qui a raison, pour imposer une solution220

». C’est le principe de neutralité qui

est mis en avant ici. Puis, les individus sont invités à exprimer leur ressenti quant au pourquoi

du problème. Ensuite, le médiateur résume ce qu’il vient d’entendre. Ce point lui permet de

faciliter le « commencement des échanges221

». Certains médiateurs, comme Ballesteros,

préconisent des entretiens préliminaires222

avant d’entrer réellement dans le processus de

médiation. Cela rend le médiateur apte à juger par lui-même si la médiation en question est de

son recours. Dans la négative, il devra transmettre le flambeau. C’est ainsi que Perriard

conseille par exemple de diriger les individus vers un homme de loi, si le conflit relève du

domaine juridique223

. Par cette attitude, le pasteur se protège d’erreurs et ne laisse pas croire à

ses fidèles qu’il a réponse à tout. Néanmoins, en homme de prière, sa médiation dépassera le

cadre de la relation horizontale, et il tentera avec l’aide de Dieu de gagner ses frères en

favorisant la réconciliation. Une fois les personnes au clair sur leur rôle et leurs limites, la

médiation peut alors commencer. Juste avant d’entrer dans le fonctionnement même de

l’exercice de la médiation, nous précisons qu’il existe deux types de médiation, une

informelle et l’autre formelle.

218

Toutefois, nous voulons nuancer notre propos, car s’il s’agit d’un conflit où la vie de personnes est en jeu, il

conviendra de prendre en compte l’objet du conflit pour préserver l’intégrité physique des gens. 219

Verset 16 : « S’il ne t’écoute pas prends encore avec toi une ou deux personnes… » 220

Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 19. 221

Ibid., 222

Juan BALLESTEROS, La médiation : une expression du pacifisme mennonite, p. 120. 223

Samuel PERRIARD, La médiation en pratique. Huit clés pour réussir, p.19.

56

3.3 Médiation informelle et formelle

1) Médiateur informel

Le médiateur informel est tout individu qui se dispose à promouvoir la communication

entre deux groupes. En général, ces personnes ne s’attribuent pas le titre de médiateur. Leur

souhait est que les parties s’écoutent, se comprennent, qu’il y ait interactions entre les parties

pour arriver à un consensus224

. Ces dernières ne suivent pas une méthode particulière et

interviennent à un moment donné parce qu’elles sont présentes dans l’instant. Pas

spécialement formées aux techniques de médiation, elles n’ont pas de statut social particulier.

Ce peut être un citoyen lambda qui désire une atmosphère de paix au sein du voisinage ; un

professeur qui souhaite de l’harmonie dans la salle de classe ; un élu politique œuvrant pour le

bien-être de ses administrés, ou encore un religieux cherchant à créer un climat de confiance

au sein de sa communauté.

2) Médiateur formel

Les auteurs de l’ouvrage Méthode de médiation proposent deux grands groupes de

médiateurs formels : les médiateurs ponctuels, et les médiateurs institutionnels. Les

médiateurs ponctuels, de profession libérale, interviennent à titre privé, en vue de répondre à

l’appel d’un tiers, ou bien interviennent dans le cadre de centres de médiation. Toutefois, seul

certains d’entre eux sont formés à la pratique de la médiation. Une des caractéristiques

principales de ces médiateurs ponctuels est « qu’une fois leur mission achevée ils cessent

leurs fonctions, que la médiation ait aboutit à un résultat positif ou non225

».

Les médiateurs institutionnels, comme le veut ce sous-titre, sont « rattachés à une

institution, laquelle leur confère l’atout de la permanence226

». Leur rôle est de créer du lien

entre les citoyens et l’état, ou une quelconque organisation. Comme pour les médiateurs

ponctuels, ce sont des personnes qualifiées et expérimentées, capables de respecter le principe

de neutralité entre les deux parties. Et cela même s’ils sont mandatés par l’institution en

conflit avec un tiers ! L’organisation qui les embauche doit leur garantir une « indépendance

de jugement et d’action, indispensable à la recherche de solutions équitables entre

l’organisation et le requérant227

». Le pasteur est lui aussi employé par l’institution « Eglise ».

De ce fait, dans la gestion de certains conflits, il peut être amené, au nom de l’institution, à

224

Claude Henry VALLOTTON, La visite. Une ouverture vers l’essentiel, p. 13. 225

Alain PEKAR LEMPEREUR, Jacques SALZER, Aurélien COLSON, Méthode de médiation, p. 15-16. 226

Michèle GUILLAUME-HOFNUNG, La médiation, p. 95. 227

Alain PEKAR LEMPEREUR, Jacques SALZER, Aurélien COLSON, Méthode de médiation, p. 17.

57

décider de leur finalité. Par exemple, s’agissant d’une opposition ouverte quant à une vérité

fondamentale semant le trouble au sein de la communauté, le pasteur et le conseil d’Eglise

peuvent être amenés à trancher pour préserver l’harmonie au sein de la communauté. Pour

autant, il faudrait qu’au préalable tout ait été tenté pour trouver un consensus entre les parties.

Comme synthèse, nous retiendrons que ces médiateurs institutionnels ont la possibilité

de proposer des solutions de sortie de crise. Les médiateurs ponctuels n’ont pas ces

prérogatives. Ils viennent en aide aux parties afin que ces derniers trouvent elles-mêmes une

solution. Les médiateurs informels quant à eux s’investissent dans les groupes sans ambitions

particulières : leur seul désir, créer du lien entre les gens en discorde. En fin de compte, nous

croyons que le pasteur peut être tantôt l’un ou l’autre. Tout dépendra des circonstances, et des

conflits.

Il convient pour nous à présent de mieux comprendre les objectifs de la médiation en

nous interrogeant sur les modalités de son fonctionnement.

3.4 Application de la médiation : comment fonctionne-t-elle ?

Tout d’abord, nous rappelons qu’une médiation peut se vivre sous deux axes distincts.

Dans certains cas, l’attention du médiateur peut se porter principalement sur l’objet du conflit,

tandis qu’un autre privilégiera les individus qui vivent le conflit. Nous pourrions nous

demander laquelle de ces orientations est plus importante, ou encore si chacune a sa place.

Dans la première initiative, si l’accent se porte sur l’objet du conflit, nous parlerons de

« résolution de conflit ». Si l’accent est mis sur les sentiments, émotions, et liens entre les

antagonistes, il sera question de « transformation du conflit228

». Autrement, « la logique de la

médiation place les parties dans une situation où elles restent en permanence maîtresses du

déroulement de la démarche229

». Les protagonistes ayant pris conscience qu’ils ont un

problème en commun, cherchent volontairement à le résoudre. L’objectif du médiateur ou du

pasteur-médiateur sera « de permettre aux parties en conflit de renouer le dialogue et de

trouver elles-mêmes leur propre dénouement230

». Il s’agit en fait de l’élaboration commune

228

En parlant de transformation de conflit, nous mettons l’accent sur les transformations qui surgissent dans la

vie des protagonistes. Nous reviendrons sur ce point aux pages 59-60. 229

Jacques TREMINTIN, « La médiation, les médiations », Le journal de l’animation 40 (2003), p. 65. 230

Frédéric ROGNON, Gérer les conflits dans l’église, p. 67.

58

d’une solution où chacun s’en sort avec dignité, c’est-à-dire une solution où la « logique de

compétition » est rompue en vue du respect des « intérêts de chacun231

».

Selon Rognon, d’une manière générale, pour être efficace, le processus de médiation

doit suivre plusieurs étapes :

- Acceptation du médiateur par tous

- Tampon (interposition) et modération exercés par ce dernier

- Présentation individuelle, ininterrompue des faits et sentiments, causes et issues

souhaitées

- Reformulation réciproque de la pensée de l’autre

- Reprise de chaque aspect du conflit afin de trouver des points d’entente possibles

- Si accord, présentation d’un résumé des termes à respecter de tous

- Si désaccord, chacun prend acte, échec de la médiation232

Il est aussi indispensable de structurer des principes avant de se lancer dans la médiation.

Car dans certaines situations, au sein d’une congrégation par exemple, les conflits non réglés

peuvent faire tâche d’huile. Les principes suivants sont fortement conseillés : principes

d’indépendance, de neutralité, d’impartialité, de confidentialité, de respect du droit, d’équité,

de volonté233

.

3.4.1 Médiation axée sur la résolution de conflits

L’expression résolution de conflits peut laisser entendre qu’en finalité de l’exercice

une solution sera trouvée entre les parties. Ce n’est pas exactement cela. Pour tenter de

résoudre le conflit, ce sont avant tout les besoins des individus qui sont mis en lumière. En

général, les besoins d’une des parties interfèrent sur ceux de l’autre partie. Le médiateur doit

œuvrer, en collaboration avec les deux groupes, pour régler le contentieux et tenter de

satisfaire chacun. Il conviendra aussi de bien distinguer le type de conflit auquel les deux

groupes font face. Conflits de besoin, de valeur…?234

Lors de la résolution du conflit, il

faudra aussi veiller à ce que l’on ne fasse pas l’amalgame entre l’objet conflit et les personnes

qui le vivent. « Un objet est toujours négociable, tandis qu’une accusation personnelle

envenime le conflit et provoque de la violence235

». Poujol nous propose une résolution de

231

Jacques TREMINTIN, « La médiation, les médiations », p. 71. 232

Frédéric ROGNON, Gérer les conflits dans l’église, p. 67-71. 233

Alain PEKAR LEMPEREUR, Jacques SALZER, Aurélien COLSON, Méthode de médiation, p. 61-82. 234

Voir page 8. 235

Frédéric ROGNON, Gérer les conflits dans l’église, p. 35.

59

conflits en six étapes successives : « définir le problème ; décider de le traiter ; formuler des

solutions : sélectionner la meilleure ; établir un plan d’application ; évaluer et réviser la

décision236

». Selon lui, cette progression est déterminante quant au déroulement du processus

de résolution, car elle implique désirs et sentiments des individus. Néanmoins, si nous

sommes dans un conflit de valeur, la gestion est plus complexe. En effet, chaque individu a

son propre baromètre de moralité et d’éthique, et nul n’a envie qu’un tiers suggère de le

modifier. Dans ce cas précis, Poujol recommande les points suivants :

« Il faut apprendre à s’accommoder des différences ; changer, en modifiant

son propre système de valeurs ; demander à l’autre qu’il modifie au moins son

comportement ; essayer d’influencer le système de valeurs de l’autre en lui

expliquant le nôtre ; et pour terminer, changer la nature de la relation avec

l’autre237

».

En conclusion nous dirions qu’il n’est pas aisé de mettre en place un processus de

résolution de conflits. L’être humain peut ne pas en voir l’intérêt, par peur d’affronter la

réalité, peur de souffrir, ou simplement parce qu’il ne juge pas nécessaire de passer par ce

chemin. Dans l’Eglise aussi, en présence d’un conflit, nous pouvons avoir cette même

attitude. Mais penser ainsi est une erreur. Les conflits sont intimement liés à notre structure

sociale, il convient donc de ne pas les occulter, mais plutôt d’apprendre à les apprivoiser.

Surtout que face à une difficulté, faut-il le rappeler, l’individu est plus important que le conflit

(objet) lui-même. C’est ainsi que le pasteur-médiateur devra tout faire afin que les parties en

opposition renouent le dialogue. Le but reste de trouver une solution convenant à tous.

3.4.2 Médiation axée sur la transformation du conflit

Quelle différence entre la résolution du conflit et la transformation du conflit. Avant

tout, retenons que ces deux axes ne sont pas « forcément incompatibles mais qu’ils participent

à deux visions différentes de la paix. La première porte sur l’objet du conflit tandis que la

deuxième porte sur la relation entre les parties en conflit238

». Ici, nous parlerons donc des

relations de réciprocité qui existent entre individus en rivalité. L’être humain est au cœur de

l’action. Cette prise en compte de l’agent humain s’avère très importante, car généralement

les difficultés relationnelles interfèrent dans leur moi et peuvent créer des conflits internes.

Ainsi, la transformation du conflit permet aux personnes en altercation de faire beaucoup plus

attention à leur opposant. Plus encore, cette vision de la médiation donne la possibilité de

236

Claire POUJOL, Jacques POUJOL, Les Conflits. Origines, évolutions, dépassements, p. 198. 237

Ibid., p. 209. 238

Juan BALLESTEROS, La médiation : une expression du pacifisme mennonite, p. 56-57.

60

« découvrir l’autre dans sa différence, dans sa vision opposée et tenter de le reconnaître et

même de le valoriser239

». En fait, c’est la possibilité de changer son regard sur l’autre qui

s’offre à chacune des parties. Et cela n’est possible que lorsque l’on décentre son regard du

conflit (objet), pour s’intéresser d’avantage à l’humain. La reconnaissance, est un élément

primordial dans la médiation240

. En effet, par ce biais, les individus blessés dans leur être

intérieur ont la possibilité d’entrevoir une porte de sortie. Reconnaître ses erreurs peut être un

acte libérateur pour l’autre. Néanmoins, « la reconnaissance est un acte spontané et librement

donné à l’autre241

». Il faut aussi savoir que chaque individu présent dans le conflit sera amené

à vivre sa propre transformation. C’est-à-dire que, ce sera pour eux la possibilité de vaincre

leur peur, de retrouver confiance en eux-mêmes. Le conflit ne sera plus vu comme quelque

chose d’insurmontable, mais comme une opportunité de croître, de muer vers quelque chose

de meilleur, de plus fort. La transformation du conflit sera en fin de compte le fruit de la

transformation de chaque individu dans son unicité. C’est la victoire de chacun sur lui-même,

ainsi que sur les préjugés qu’il avait sur l’autre. Cela étant, ensemble, ils auront la possibilité

de trouver une solution qui convienne à tous.

3.5 Autre(s) méthode(s) de gestion de conflit

En plus de la médiation, il existe une pluralité de méthodes de gestion de conflits.

C’est par une analyse de la péricope de Mt 18.15-20 que nous tenterons de les mettre en

exergue. Entre autres, nous ferons ressortir les différences existant entre ces méthodes de

gestion de conflit et la médiation. Dans ce passage, Jésus présente de manière pratique

comment peut se vivre un conflit dans l’Eglise. Tout d’abord, c’est le dialogue qui est à

envisager entre les deux sujets en conflit. « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui

tes reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère ». (v. 15).

Le dialogue242

: il constitue ici un moyen d’appréhender le conflit, car il permet

l’échange et la confrontation en dépit de la faute. Grâce à cet échange, aux paroles exprimées,

les sentiments des uns et des autres peuvent être reconnus. Le dialogue permet aussi

d’humaniser la souffrance. C’est une opportunité de vivre un chemin de pardon et de paix, et

cela sans la nécessité d’intervention d’une tierce personne. Dans une église, une telle attitude

239

Juan BALLESTEROS, La médiation : une expression du pacifisme mennonite, p. 60. 240

Jacqueline MORINEAU, L’esprit de la médiation, p. 139. 241

Juan BALLESTEROS, La médiation : une expression du pacifisme mennonite, p. 64. 242

Bernadette BAYADA, Anne-Catherine BISOT, Guy BOUBAULT, et al., Conflit. Mettre hors-jeu la violence,

Lyon, Chronique Sociale, 2004, p. 75.

61

permettrait de ne pas avoir recours au pasteur ou au comité d’Eglise pour la gestion de

certains problèmes. Ce peut être aussi une preuve de maturité des individus, qui grâce à

l’acceptation de soi, de l’autre, et avec l’aide de Dieu parviennent à s’entendre en laissant

l’amour vaincre la « haine ». Bien sûr, certains individus, à cause de leur contexte de vie, ne

peuvent arriver à entériner un conflit simplement par le dialogue. Nous ne portons pas de

jugement ici, mais nous devons prendre en compte le cadre de vie des gens pour mieux

comprendre leur fonctionnement face à une situation. Dans le cas où le dialogue entre les

frères aurait abouti à un échec, le texte de Matthieu poursuit : « s’il ne t’écoute pas, prends

encore avec toi une ou deux personnes… ». (v. 16). Dans ce cas précis, cette tierce personne

pourrait être assimilée à un conciliateur ou à un négociateur.

Rappelons avant tout que le rôle principal de celui qui interviendra à ce niveau du

conflit sera de libérer la parole. Car Mt 18.16 insiste sur le fait que « l’écoute243

» a échoué.

Une « écoute active244

» est de rigueur ici pour le pasteur ou l’individu qui au sein de la

communauté est appelé à assister ses frères en désaccord. Si nous parlons d’une conciliation,

celui-ci devra effectivement entendre les individus en conflit, puis analyser la situation

conflictuelle. Le conciliateur, comme on l’entend aujourd’hui, a la prérogative de faire des

propositions pour régler les différends. Le texte biblique ne fait pas référence à ce que la/les

personne(s) qui viennent en renfort apportent une solution, mais cela n’est pas exclu245

. Dans

l’Eglise, il peut effectivement arriver que certains individus jouent ce rôle de conciliateur et

émettent des propositions de sortie de crise. Toutefois, il nous semble que cela ne peut avoir

lieu sans le consentement des protagonistes. La différence entre le conciliateur et le médiateur

réside principalement dans ce fait (proposition de solutions), tandis que le médiateur aide,

encourage, stimule la réflexion des gens. Et ainsi, ils parviennent à trouver eux-mêmes leurs

propres solutions.

Présentement, la négociation. Elle consiste en la recherche d'un accord entre les parties

opposées. Dans ce sens, elle peut avoir lieu entre les deux individus, sans qu’il y ait forcément

besoin d’une tierce personne. « La négociation repose sur un fond d’intérêts communs et

d’intérêts opposés ; elle suppose une volonté de parvenir à un accord afin de pouvoir coopérer

de nouveau246

». Ainsi, les frères antagonistes peuvent en fonction du conflit, « besoin ou

243

« S’il ne t’écoute pas… ». (Mt 18.16). 244

L’écoute active sera largement présentée à la page 64. 245

« S’il ne les écoute pas… ». (Mt 18.17). 246

Jean-François SIX, Le temps des médiateurs, Paris, Seuil, 1990, p. 145.

62

intérêt » qui les oppose, parvenir à s’entendre sur les modalités de résolution. Dans le cas où

ils n’arriveraient pas se comprendre, un négociateur peut intervenir. Prenons pour exemple un

conflit qui naît entre un directeur de département dans l’Eglise et son adjoint. Supposons que

l’adjoint soit peu reconnu dans l’œuvre effectuée au sein de la communauté et ait un profond

besoin de reconnaissance. Cette situation peut générer des tensions entre les deux individus, et

donner lieu à des critiques, des allégations non fondées. Nous sommes face à un conflit lié à la

personnalité247

de l’individu. Ce dernier peut avoir un problème d’estime de soi. Le

négociateur permettra aux deux parties, grâce à l’analyse du type de conflit, de réajuster les

modalités de fonctionnement en équipe. Il pourra leur proposer soit une

négociation raisonnée, impliquant que les deux groupes se concentrent sur des intérêts

communs afin de trouver un accord qui conviennent à tous. Soit une négociation contributive,

visant à un accord durable entre les protagonistes. Autrement, il importe que chacun prenne

conscience qu’il ne peut arriver à ses fins au détriment d’autrui. Chacun doit contribuer au

bien-être de l’autre. En tant que frère dans la foi, c’est le principe de l’amour chrétien qui est

mis en avant ici248

. Mais quelquefois, il faut malgré tout passer par un accord écrit, basé sur

la confiance et le respect des sentiments de chacun. Ce qui doit obligatoirement être fait en

présence d’une tierce personne. Dans la société, « le négociateur est de parti pris, car il

représente les intérêts d’une des parties. Cela implique qu’il cherchera à donner satisfaction à

la partie qu’il représente249

». Cet élément constitue sa principale différence d’avec le

médiateur, qui lui demeure neutre du début à la fin de son intervention. Normalement, dans

l’Eglise, ce devrait être ainsi, car le chrétien, qu’il soit pasteur ou un membre lambda, ne

privilégiera pas un paroissien par rapport à l’autre, mais œuvrera pour l’épanouissement de

tous.

Une affaire non résolue entre les deux frères peut aussi être traitée au comité d’Eglise,

ou devant l’assemblée. Mais, ce que l’on peut déjà retenir de la péricope de Matthieu, c’est

que les deux premières tentatives de gestion du conflit ont échoué. Ainsi, même après

l’intervention d’un intermédiaire, l’être humain/le chrétien peut refuser d’entendre, de

dialoguer avec son prochain. Il n’y a donc pas d’autre choix que de présenter le cas devant

l’Eglise. D’après Bonnet, l’Eglise présentée en Mt 18.17 « est non l’Eglise universelle, mais

une Eglise locale. Une assemblée de chrétiens devant laquelle peut être portée, et

247

Harris W. LEE, Effective Church Leadership. A Practical Sourcebook, Silver Spring, Pacific Press Publishing

Association, 2003, p. 149. 248

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». (Mt 19.19). 249

Jean-Louis LASCOUX, Agnès TAVEL, Code de la médiation, p. 20.

63

fraternellement traitée, une cause250

». Bonnet déclare : « La lettre du texte n’impose pas

l’idée d’une expulsion de l’Eglise, mais plutôt une mise en quarantaine dans l’Eglise ; le texte

ne dit pas ‘‘qu’il soit pour l’Eglise…’’ mais ‘‘ pour toi (ζοι)’’ comme un païen251

». Dunon

déclare que « cette Eglise peut être de nos jours n’importe quel groupe partageant des valeurs

identiques à celles dispensées par Jésus. Elle est investie d’un rôle d’arbitrage entre les

protagonistes, tout comme ce fut le cas pour les tribunaux mis en place par Moïse dans le

désert252

».

L'arbitrage : C’est un consensus pris entre deux parties en confrontation, consistant à

faire appel à un tiers ou à un collège arbitral pour résoudre leurs différends. L’arbitre est

indépendant et impartial. Il possède les qualités et l’autorité nécessaires quant aux

propositions et décisions qui seront prises. L’arbitrage permet aux protagonistes d’éviter de

passer par les instances juridictionnelles. Néanmoins, « l’arbitrage est contraignant253

», car

les parties en litige sont soumises à son verdict. Le conseil d’Eglise peut être conduit à exercer

son autorité254

dans certains conflits où le comportement d’un individu s’avère être dangereux

pour la communauté255

. Dans la Bible, nous trouvons des exemples où le comportement256

de

frères portait atteinte à la communauté. Selon Farelly, ces comportements trouvent leur source

dans une doctrine défectueuse, et c’est la raison pour laquelle l’apôtre Paul par exemple

évoquait une doctrine qui avait une incidence sur le comportement257

». Aujourd’hui le

pasteur, comme Paul, fait face à certains conflits. Toutefois, on ne peut s’imaginer résoudre

un conflit sans prendre en considération les individus. Il est vrai que la Bible dicte des avis

clairs sur certaines résolutions, ceci n’empêche pas de faire preuve de sagesse quant aux

250

Louis BONNET, Bible annotée NT1 Matthieu à Luc, Saint-Légier, P.E.R.L.E, 1994, p 204-205. 251

Pierre BONNARD, L’Evangile selon saint Matthieu, Genève, Labor et Fides, 1992, p. 275. Cf. Mello

« rappelle que le vrai pouvoir conféré par le Seigneur à l’Eglise est le pardon, l’acte de dénouer plutôt que de

lier. Il y a encore une chose que l’on peut faire pour le pécheur, quand auraient été épuisées toutes possibilités de

corrections, c’est la prière ». (Alberto MELLO, L’Evangile selon saint Matthieu, Paris, Cerf, 1999, p. 331). 252

Jérémy DUNON, Jésus : paradigme et modèle dans la résolution des conflits humains selon Matthieu 18,

Collonges-Sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 2006, p. 34. 253

Jean-Louis LASCOUX, Agnès TAVEL, Code de la médiation, p. 20. 254

« Le Rédempteur du monde a investi son Eglise d’une grande autorité. Il a établi les règles qui doivent être

appliquées en cas de difficultés entre les membres de cette Eglise ». (Ellen WHITE, Témoignages pour l’Eglise,

vol. 1, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1972, p. 448). 255

Farelly déclare qu’: « un conflit ou un péché contre un frère ou une sœur dans la communauté ne sont jamais

privés. Quand deux personnes se déchirent dans l’Eglise, c’est toute la communauté qui est affectée. Ces conflits

ne doivent donc jamais être sous-estimés. Dans un certain sens, ils concernent tout le monde ». (Nicolas

FARELLY, « Discipline dans l’Eglise selon le Nouveau Testament », Les cahiers de l’école pastorale 87 (2013),

p.64). 256

1Co 5.1-13, 6.12-20 ; Ga 5.19-21. 257

Nicolas FARELLY, « Discipline dans l’Eglise selon le Nouveau Testament », p. 71.

64

décisions à prendre aujourd’hui dans notre société258

. Ne l’oublions pas l’enjeu pour le

pasteur/médiateur est avant tout de favoriser la paix et la réconciliation au sein de sa paroisse.

Si non, « la différence entre la médiation et l’arbitrage réside dans le fait que l’arbitre rend

une décision qui s’impose aux parties qui l’ont choisi 259

». Le médiateur reste neutre et

n’intervient pas à ce niveau, seuls les protagonistes prennent des décisions.

3.6 Quelques outils fondamentaux en vue d’une médiation réussie

Pour réussir la médiation, la bonne volonté des parties ne suffit pas. Le pasteur doit

savoir utiliser des techniques qui l’aideront lors de ses visites pastorales, qui éventuellement

peuvent être des médiations. Il nous semble que l’écoute pastorale260

possède certains atouts

non négligeables.

Tout d’abord, l’écoute active : C’est une « écoute du cœur, soit des sentiments et non

pas de l’idée. Elle consiste à renvoyer à l’autre, sans jugement, sans interprétation, le simple

décodage du message en mettant en valeur son ressenti261

». En d’autres termes, il s’agit

d’éviter l’écoute passive ou impassible, réactive ou directive, pour écouter patiemment avec

bienveillance262

. C’est avant tout se taire pour faire attention à l’autre. Donner à autrui le droit

d’exister tel qu’il est, donner de la valeur à sa personne et à ses pensées, gagner sa confiance,

s’investir réellement dans l’échange avec lui. L’écoute active permettra au médiateur de

mieux saisir les souffrances et doléances des personnes en difficulté, après qu’elles aient pu

elles-mêmes les identifier et les exprimer. Pour Auque, quand un pasteur écoute, « il doit être

attentif à l’autre, et il doit savoir s’arrêter pour être pleinement présent. Il dit encore : la

revendication de l’individu peut être mal formulée, mais elle signifie une demande

258

« Comment laisser le texte biblique nous façonner, nous instruire ? Clairement, il nous faut réaliser qu’une

application stricte inspirée d’un décalquage sur nos contextes actuels, est impossible, voire dangereuse […] Dieu

préfère responsabiliser et faire confiance à ses enfants que de leur dicter dans les détails comment conduire la vie

de son Eglise ». (Nicolas FARELLY, « Discipline dans l’Eglise selon le Nouveau Testament », p. 73). 259

« Il existe une extension de l’arbitrage : le med-arb, c’est l’association de la médiation et de l’arbitrage. C’est

une pratique développée dans les pays anglo-saxons. Cette méthode consiste simplement dans le fait qu’un

médiateur se transforme en arbitre si une médiation n’a pas réussi. Encore faut-il qu’il existe une instance

garantissant la mise en application effective de cette décision ». (Jean-Louis LASCOUX, Agnès TAVEL, Code

de la médiation, p. 20). 260

Voir page 54. 261

Geneviève AUROUZE, extrait du diaporama du cours d’Ecoute pastorale du 23 Novembre 2011, non publié,

Campus adventiste du Salève, Faculté de théologie, Collonges-sous-Salève. Cf. « la capacité à l’écoute est sans

conteste l’outil fondamental du médiateur ». (Alain PEKAR LEMPEREUR, Jacques SALZER, Aurélien

COLSON, Méthode de médiation, p. 4). 262

Samuel PERRIARD, La médiation pratique. Huit clés pour réussir, p. 119.

65

contemporaine à laquelle le théologien doit être sensible263

». Ce qui nous amène à traiter

maintenant de l’empathie, autre élément déterminant de la médiation pastorale.

L’empathie, c’est la capacité de se mettre à la place de l’autre, d’accueillir ses

sentiments et émotions264

, non de ressentir la même chose265

. Par cette attitude, le

pasteur/médiateur pourra mieux transmettre les sentiments des individus écoutés. L’individu

empathique est apte à se « décentrer de lui-même afin de prendre en compte les

caractéristiques, les besoins […], les peurs et les intérêts de l’autre266

». C’est là où l’empathie

se distingue de la sympathie, car elle permet d’être simplement présent à l’autre et à tout ce

qui est vivant en lui dans l’instant. C’est, selon Rosenberg, la première étape de l’empathie267

.

En deuxième étape, l’auteur considère que l’écoutant doit s’assurer d’être effectivement relié

aux sentiments et aux besoins du souffrant, sans lui donner l’impression d’être l’objet d’une

technique. En cas d’ambiguïté, le pasteur/écoutant peut s’en enquérir verbalement, car, faut-il

le rappeler, le but est que l’autre se sache compris. Ensuite, le pasteur doit capter les différents

signaux indiquant que l’individu est vraiment soulagé, et vérifier l’information avant

d’achever l’entretien. Tous ces éléments donnent à penser que l’exemple par excellence du

personnage empathique est Jésus, l’interlocuteur le plus accueillant. Saint-Arnaud affirme que

l’empathie du Sauveur comporte trois qualités spécifiques : elle est affectivement chaleureuse,

profondément objective, car connectée avec le salut individuel ; et enfin, elle est fondée sur

une sensibilisation personnelle aux réalités divines268

. Maintenant que le pasteur/médiateur a

écouté et reconnu les émotions, sentiments et besoins des parties, il lui reste à présent à

communiquer ce qu’il aura entendu d’elles. C’est le moment de faire place à la reformulation

grâce à laquelle le médiateur pourra retransmettre les paroles d’un groupe à l’autre avec des

mots plus « justes ».

263

Hubert AUQUE, Je parle, un autre parle. L’entretien pastoral, Genève, Labor et Fides, 2000, p. 22. 264

C’est aussi, « la capacité de s’immerger dans le monde subjectif d’autrui à partir d’éléments fournis par la

communication verbale et non verbale ». (Jean DECETY, Empathy : from bench to bedside, Cambridge, MIT

Press, 2012, p. 57-58). 265

Marshall B. ROSENBERG, L’art de la réconciliation. Respecter ses besoins et ceux des autres, Saint-Julien-

en-Genevois, Jouvence, 2010, p.24. 266

Sarah FAMERY, Développer son empathie. Se mettre à la place de l’autre pour comprendre et anticiper ses

émotions, Paris, Eyrolles, 2007, p.49. 267

Marshall B. ROSENBERG, L’art de la réconciliation. Respecter ses besoins et ceux des autres, p.30. 268

Yvon SAINT-ARNAUD, La relation d’aide pastorale, Ottawa, Novalis, 2005, p. 56-57.

66

La reformulation, c’est la capacité de redire autrement ce que l’on vient d’entendre,

par l’énonciation d’idées et de pensées. Il s’agit « d’énonciations successives, car pour avoir

reformulation, il faut (sup) poser une première formulation, un temps

d’arrêt269

; d’écoute/lecture de [l’élément] émis avant270

».

L’écoute, l’empathie et la reformulation sont autant d’aptitudes intégrant la

Communication Non Violente271

. La C.N.V.272

, moyen de gestion de conflits qui repose sur

une pratique du langage, aide à développer nos qualités de cœur, même dans des conditions

éprouvantes. Elle se base sur quatre composantes : observation, expression des sentiments,

des besoins, demande273

. L’objectif étant qu’un individu exprime à son auditeur ce qu’il

ressent et désire dans un contexte donné274

.

En médiation, il existe donc une relation très forte entre écoute, empathie,

reformulation et communication non violente. Le médiateur peut posséder ces qualités de

façon naturelle. Mais dans le cas contraire, il devra les acquérir s’il veut réellement venir en

aide aux personnes en rivalité. Toutefois, rappelons que toutes les qualités humaines du

pasteur, aussi belles soient-elles, ne peuvent suffire à elles seules pour qu’une médiation soit

réussie. Il en est de même pour tout le processus de médiation. Et cela même suivi de la

manière la plus digne et la plus responsable que possible. Car n’oublions jamais que l’être

humain étant parfois complexe, restaurer des relations tendues ou brisées peut se révéler

pénible. D’où l’intérêt de considérer maintenant les limites/faiblesses de la médiation.

3.7 Limites ou faiblesses de la médiation

Comme exprimé au préalable, la médiation est une des méthodes qui peuvent être

utilisées en relation d’aide. Par conséquent, en partant des modalités qui lui sont propres, nous

tenterons de définir ce qu’est premièrement l’échec. Puis les pièges à éviter par les

responsables ecclésiaux, entre autres le pasteur-médiateur, lors d’une relation d’aide. Et en

terminant nous répondrons à la question suivante : la médiation ne constituerait-elle pas la

panacée pour notre temps?

269

Elisabeth RICHARD, « Mais que corrige la reformulation ? Le cas de structure avec réitération d’un même

lexème », La reformulation. Marqueurs linguistiques stratégies énonciatives, Rennes, P. U. R., 2008, p. 147. 270

Jacqueline AUTHIER-REVUZ, cité par Elisabeth RICHARD, « Mais que corrige la reformulation ? Le cas

de structure avec réitération d’un même lexème », p. 147. 271

« La Communication Non Violente définit un mode de communication, d’expression et d’écoute qui favorise

l’élan du cœur et nous relie à nous-mêmes et aux autres, laissant libre cours à notre bienveillance naturelle ».

(Marshall B. ROSENBERG, Les mots sont des fenêtres, Paris, La Découverte, 2005, p. 19). 272

Communication Non Violente. 273

Marshall B. ROSENBERG, Les mots sont des fenêtres, p. 22. 274

La C.N.V. est un large domaine qui mériterait d’être exploré en prolongement de notre étude.

67

3.7.1 Définition de l’échec dans la relation d’aide/médiation

En médiation, l’échec c’est lorsque les parties en présence n’arrivent absolument pas à

renouer le dialogue. Communiquer c’est dire, se dire et écouter autrui. Cette écoute requiert

beaucoup de souplesse, car nous aurons souvent face à nous des individus différents par leur

âge, profession, nationalité, culture, etc… En d’autres termes, l’écoute exige de tolérer autrui,

même s’il adhère à des valeurs différentes des nôtres. Écouter, c’est aussi faire silence afin de

recevoir la voix de l’autre. Ce n’est pas comprendre intellectuellement avec logique ce qui se

dit. C’est d’abord s’efforcer de rejoindre, de partager ce que vit celui qui parle275

. Si une des

parties en présence n’en est pas capable, la médiation ne peut fonctionner. C’est l’échec.

Cependant, ce n’est point une fatalité. « Mal géré, le conflit peut devenir destructeur, mais sa

survenance résulte de la liberté de l’homme et du caractère imprévisible qu’elle communique

à ses actes276

». En effet, un conflit, même non résolu, permet de voir un problème sous

différentes représentations. Le pasteur peut être lui-même la cause de l’échec, si ses affects

influent sur sa neutralité277

. Effectivement, s’il est trop proche d’un membre de sa

communauté, dans un conflit cela peut troubler sa perception des faits. Il convient que le

pasteur garde une certaine distance. En médiation, on parle du phénomène de la distanciation.

Le berger doit prendre les distances suffisantes d’avec, « les parties, les choses, les idées, les

plaintes 278

». Il faut qu’il reste cohérent dans ses paroles et son comportement. Par exemple,

faire attention à ses mots, gestes ou mimiques, sans pour autant être indifférent. Aucun

membre d’Eglise ne doit apercevoir une attitude de sa part qui montrerait qu’il a pris parti. Ce

serait là un véritable échec, et le berger perdrait tout crédit aux yeux de ses fidèles279

.

275

Alfred VANNESSE, Ecouter l’autre. Tant de choses à dire, Lyon, Vie ouvrière, 1991, p. 37. 276

Michèle GUILLAUME-HOFNUNG, La médiation, p. 95. 277

En parlant de neutralité, nous n’enfermons pas le pasteur dans une attitude passive, car en réalité nul n’est

neutre à 100%. Nous pensons plutôt que cette neutralité est synonyme de maîtrise de soi, de ses émotions, de ses

sentiments. 278

Jean-Louis LASCOUX, Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la résolution des conflits, p.

138. 279

Rappelons toutefois que le pasteur est garant d’une certaine éthique de vie au sein de sa communauté. Ce

faisant il ne peut être totalement neutre dans un conflit, surtout si des valeurs bibliques sont en cause. Donc

l’Eglise peut ne pas comprendre son silence, son éventuelle impartialité, et contester.

68

3.7.2 Piège du pasteur super médiateur

En outre, le pasteur-médiateur doit être sûr de remplir les conditions basiques

favorisant un bon accompagnement. La vie du pasteur postmoderne est chargée de défis de

tous ordres. Etre et se rendre disponible est un acte généreux de sa part, bien que ceci fasse

partie intégrante de ses attributions280

. Aussi compétent qu’il puisse être, le pasteur est un être

soumis à toutes sortes de pressions exercées dans et hors de l’église. On parle même de burn-

out (épuisement émotionnel) comme la conséquence d’une trop grande charge de travail281

.

Dans ces conditions, l’équilibre est difficile. Vouloir fonctionner à tout prix, pour sauver les

âmes en détresse et/ou entretenir sa renommée, est un piège à éviter. Le pasteur peut aussi

tomber dans le piège du surfonctionnement. « Surfonctionner, c’est faire pour quelqu’un ce

qu’il est capable de faire pour lui-même, et qu’il devrait normalement faire lui-même282

».

Dans cette perspective, il n’est plus dans la médiation, ou il est tombé dans le piège de

l’assistanat. Car certains membres dépassés par les difficultés qui les accablent, peuvent faire

pression afin que le pasteur leur donne des solutions toutes trouvées. Il nous semble qu’ici, le

pasteur-médiateur doit permettre aux fidèles de chercher en eux-mêmes les ressources

nécessaires. Il doit croire que le membre a ce potentiel. Cette prédisposition fondamentale

induit le climat de confiance nécessaire au processus de médiation. Mais c’est une confiance

éclairée, équilibrée. C’est croire que l’humain jouit d’une motivation positive et le lui dire

clairement. Autre piège, la gestion des attentes et des demandes. Si le pasteur donne

l’apparence d’être fort, ingénieux et compétent283

, il va droit à l’épuisement. Et finalement,

son désir d’être compétent pour répondre aux besoins de ses frères s’avèrera défectueux. Il

conviendrait de comprendre que « la vie est plus large que l’église » ; refuser une médiation

pour se restaurer, est un acte sage284

. Déléguer aussi. Dans les relations humaines, il n’est pas

toujours facile d’avoir une attitude univoque, des émotions et des sentiments nous lient à ceux

qui sont autour de nous. Néanmoins, en situation de médiation, donc d’aide, le pasteur-

280

« Il a intérêt qu’une médiation ait lieu, parce qu’il est payé pour la mener, ou parce qu’il pourra se prévaloir

de cette expérience […] car sa participation sert la mission spirituelle qui est la sienne ». (Alain PEKAR

LEMPEREUR, Jacques SALZER, Aurélien COLSON, Méthode de médiation, p. 63). 281

L’auteur affirme que : « le burn-out est souvent attribué à la charge de travail, aux attentes des membres

d’église, ou à la charge de travail lui-même, jamais achevé et qui implique souvent une grande visibilité […] tout

cela est vrai, et pourtant le pasteur n’est pas le seul à être confronté à ces exigences ». (Jeanne FARMER, Le

ministère pastoral, p.81). Cf. « L’épuisement professionnel (ou le burn-out) est connu pour être particulièrement

élevé chez ceux qui prennent soin des autres ». (Jonathan WARD, « Gérer son engagement éviter le burn-out

dans le ministère », Les cahiers de l’école pastorale 77 (2010), p. 6). 282

Jeanne FARMER, « Les pièges qui guettent la femme du pasteur », Les cahiers de l’école pastorale 47

(2003), p. 26. 283

Paul MILLEMANN, « Gérer les attentes, les défis et le stress dans le ministère pastoral », Les cahiers de

l’école pastorale 87 (2013), p. 19. 284

Jeanne FARMER, Le ministère pastoral, p. 86-87.

69

médiateur doit être conscient de ses limites, et faire preuve de sagesse, afin de pouvoir dire

oui quand il a les moyens d’agir et non quand il est dépassé. Dans la Bible, Jéthro adressa une

sérieuse observation à Moïse quand il vit la charge de travail dont celui-ci était affecté : « Ta

façon de faire n’est pas bonne. Tu vas t’épuiser, ainsi que le peuple qui est avec toi. La charge

est trop lourde pour toi. Tu ne peux l’accomplir seul285

». Etre attentif à ce type de piège ne

rend pas un dirigeant incompétent, bien au contraire, car la compétence se vérifie avant tout

dans la capacité à gérer sa propre vie, ses émotions, et dans la reconnaissance de ses propres

limites.

3.7.3 La médiation une panacée ?

« La médiation ne constitue pas la nouvelle méthode révolutionnaire susceptible de

venir régler toutes les difficultés286

». Rappelons que le médiateur est un facilitateur dans la

résolution d’un conflit. Grâce à sa créativité il pourra anticiper, générer un climat de

confiance mutuelle et impulser une saine motivation chez les parties287

. Le pasteur-médiateur,

faut-il le rappeler, est « là pour favoriser, encourager […] le développement de relations par

lesquelles l’Esprit Saint produit de la vie. […] Mais la gestion des relations n’est pas une fin

en soi, elle est une des conditions de la vie288

». Peut-on envisager qu’à l’issue d’un conflit,

certains individus souhaitent des réponses autres que celles qu’a offertes la médiation ? Bien

sûr, car si un individu a beaucoup souffert dans un conflit, il peut ne jamais vouloir entrer en

communication avec l’autre partie. Il n’existerait donc pas de relation entre les deux entités ;

or c’est ce qu’ambitionne la médiation. Ainsi, comme vu au préalable, l’intervention de

négociateurs, de conciliateurs peut mieux convenir à certaines situations. Autrement, les

protagonistes peuvent faire appel à des avocats. Dans l’Eglise, des individus blessés ont aussi

la liberté de refuser de rencontrer l’autre. Le pasteur devra accepter cette vérité. Il reconnaîtra

aussi que malgré toute sa bonne volonté, il n’est pas un faiseur de miracles. Il nous semble

important que chacun reconnaisse ses propres responsabilités vis-à-vis de l’autre, certes, mais

aussi devant Dieu. Dans les moments difficiles de la vie, il serait judicieux que le chrétien

puise en Dieu et en sa Parole toute l’énergie nécessaire pour lâcher prise et renaître. La

médiation ne constitue donc pas la « panacée ». Elle est, certainement par sa vocation

profonde à créer du lien entre les personnes tout en leur permettant de puiser en elles-mêmes

285

Ex 18.17. 286

Jacques TREMINTIN, « La médiation, les médiations », p. 67. 287

Jean-Louis LASCOUX, Pratique de la médiation. Une méthode alternative à la résolution des conflits, p.

163. 288

Richard GELIN, « Pasteur en relations, le ministère pastoral, une relation à vivre », p. 7.

70

les ressources nécessaires pour avancer, la plus belle des entreprises humaines. Toutefois,

dans les relations humaines, nous n’avons pas tous des comportements identiques. Chacun

évolue dans un contexte qui lui est propre. Suivant ce contexte, et à la lumière des

enseignements acquis dans son chemin de vie, il vivra au mieux les tensions rencontrées.

3.8 La médiation vécue dans notre monde contemporain

La médiation est un outil utilisé dans presque tous les domaines de la vie. Guillaume-

Hofnung stipule même que « le champ de la médiation n’a pas de limites289

». Et, d’une

manière générale, tous les secteurs où la médiation est exercée visent le rétablissement des

liens sociaux, entre deux individus ou groupes plus importants. Ainsi pratique-t-on des

médiations au sein des familles, des quartiers, des milieux scolaires, du monde judiciaire,

professionnel, ou encore médical, etc. En effet, comme nous l’avons souligné, la finalité

demeure le rétablissement des liens sociaux. La médiation « permet d’établir une

communication, inexistante ou perturbée, entre des personnes ou des groupes ; la médiation

est par nature, relationnelle290

». Il ne s’agit pas pour nous de reproduire toutes les méthodes

de médiation mises en application dans la société, mais de voir comment nous en inspirer,

pour gérer certains conflits dans l’Eglise. Nous avons fait le choix d’en présenter deux de

manière succincte. Il s’agit du photolangage, qui est une technique thérapeutique où la

médiation est axée sur le groupe. Ensuite nous évoquerons la médiation en milieu scolaire où

l’accent est porté sur la formation des élèves à la médiation.

C’est par le biais de photographies, objets intermédiaires, que se vit le photolangage.

« Les photos ont une forte puissance suggestive et projective. Elles facilitent donc

l’expression orale…291

». Les patients en choisissent une en toute liberté. Ensuite, les

psychologues accompagnateurs et animateurs veillent à ce que chaque malade exprime

quelque chose évoqué par la photo. D’une part, cet exercice lui permet d’appréhender son

conflit psychique interne. D’autre part, il l’aide à tendre vers une vision plus équilibrée de la

réalité. Ces deux éléments favoriseront une meilleure régulation de ses angoisses et/ou de ses

craintes. Cette activité se déroule en groupe, cette méthode favorisant l’apprentissage de

l’écoute de l’autre. En conséquence, chaque individu peut s’identifier à autrui. A long terme,

289

Michèle GUILLAUME-HOFNUNG, La médiation, p. 8. 290

Jean-François SIX, Le temps des médiateurs, p. 164. 291

Propos recueillis lors d’un entretien avec une psychologue clinicienne, le 10 Avril 2013.

71

c’est la résolution de son conflit qui est envisagé. Dans une perspective de gestion de conflits

en Eglise, où des groupes d’individus seraient impliqués, on pourrait s’inspirer de la technique

d’approche du photolangage. Le photolangage vise à soigner les conflits internes de

personnes psychologiquement malades. Tandis que la médiation en Eglise tend plutôt à gérer

les conflits externes aux individus, les tensions entre des groupes. C’est vrai que nous ne

sommes pas dans le même registre. Toutefois, prenons par exemple un conflit qui naît lors de

l’élaboration d’un projet d’Eglise. Imaginons que les membres n’arrivent pas à en partager la

vision, ainsi que les moyens de la réaliser. Cette situation peut créer des tensions pour

finalement s’envenimer. En guise de prévention, il serait probablement intéressant de

sélectionner un objet intermédiaire facilitant la circulation de la parole de chaque membre

autour de sa vision du projet d’Eglise. A notre avis, ce peut être quelque chose de très simple,

un cahier par exemple où chacun mettrait par écrit sa perception. Le pasteur serait

l’animateur-superviseur garantissant la fluidité des échanges. Il ferait aussi le lien entre les

propositions des parties, en les rassemblant et les confrontant. Grâce à cette technique, chacun

serait entendu, accueilli. Personne ne se sentirait blessé ou lésé, mais pris en compte. Passer

par un intermédiaire permet d’éviter des affrontements directs, bien néfastes dans une

communauté qui a du mal à dire et à se dire. Dans cette proposition de cahier-objet

intermédiaire, le rôle du pasteur n’est pas diminué. Son attitude ne le fera pas déchoir. Mais

en tant qu’animateur-accompagnateur, il donnerait aux membres de sa paroisse l’opportunité

d’arriver à un consensus qui convienne à tous.

En milieu scolaire, les médiateurs visent à former certains élèves volontaires en vue

d’une intervention auprès de leurs camarades. Une fois préparés, ceux-ci sont délégués par les

responsables de l’établissement, lors des conflits surgissant entre élèves. Les jeunes sont

supervisés par des adultes avec lesquels ils partagent ensuite leur expérience.

Traditionnellement, dans les établissements scolaires, « le modèle de discipline est basé sur le

principe de la sanction allant de l’avertissement à l’exclusion292

». En faisant le choix d’une

gestion des conflits axée sur la communication, on permet aux élèves dès leur plus jeune âge

de comprendre qu’un problème peut se résoudre autrement que par la violence. De ce fait,

l’élève qui devient médiateur accepte « d’être une ressource pour les autres élèves de

l’établissement, et ces derniers peuvent s’adresser à lui lorsqu’ils rencontrent des difficultés,

292

L’auteur ajoute : « ce mode de règlement des conflits, reproduisant le modèle en vigueur dans la société, n’est

pas adapté à la nature de la relation éducative. La sanction devrait être pédagogique et faire appel aux techniques

de communication ». (Bernadette BAYADA, Anne-Catherine BISOT, Guy BOUBAULT et al., Conflit. Mettre

hors-jeu la violence, p. 112).

72

qu’elles soient d’ordre scolaire, personnel ou familial293

». Il est évident que toute situation

qui dépasse les compétences du jeune médiateur est transmise à un médiateur adulte. Les

jeunes, ayant un langage et un fonctionnement qui leur sont propres, semblent communiquer

bien plus facilement entre eux qu’avec des adultes. Quels sont les principes sur lesquels

repose la médiation par les élèves ? Tout d’abord la délégation de pouvoir. En effet,

l’établissement donne au jeune l’opportunité de participer à la prise de décision. Il contribue

également à mettre en avant la notion de confiance, qui à son tour favorise le développement

de l’autonomie des élèves294

. Il nous semble que donner aux jeunes toute la liberté nécessaire

pour résoudre eux-mêmes leur conflit, est une préparation à leur vie d’adulte. Car ces derniers

« acquièrent des outils, des connaissances et des compétences sociales transférables à la vie

quotidienne295

». Ne serait-il pas judicieux pour le pasteur et le conseil d’Eglise de mettre sur

pied des séminaires sur la médiation ? Il est vrai qu’il existe de plus en plus de rencontres sur

la relation d’aide, et l’estime de soi. On enregistre aussi des rencontres axées sur la gestion

des émotions. Ainsi, nous constatons que dans nos Eglises, les individus sont de plus en plus

pris en compte. Et cela est très bien. Néanmoins, la gestion et la prévention des conflits

semblent en reste. Nous avons plutôt l’habitude de voir le pasteur et le conseil d’Eglise

intervenir dans ce genre de situation. Bien après que le conflit ait eu lieu. Selon nous, il serait

bien de promouvoir dans nos assemblées une sorte de « philosophie » de la médiation.

D’ailleurs, Millemann dit que « L’Eglise est appelée à vivre et à manifester l’importance de

la réconciliation. Le chrétien, qui en est membre, est invité à exercer son rôle d’ambassadeur

de la réconciliation296

». A bien réfléchir, promouvoir une « philosophie » de la médiation ne

peut être que bénéfique, car les chrétiens seraient plus autonomes. De plus, comme pour la

médiation scolaire, il s’agira pour la direction de l’Eglise de faire plus confiance aux

membres, et à leur capacité de gestion des relations. L’occasion leur serait ainsi donnée de

grandir en maturité, en respect de l’autre dans son vécu. Le pasteur serait moins sollicité et

focaliserait son ministère autour d’autres axes. Nous soulignons que tous les membres

d’Eglise ne sont pas des médiateurs en puissance. Seulement, la possibilité de mieux vivre

293

Sophie LAMBOLEZ, Anne-Nelly PERRET-CLERMONT, Regard sur un dispositif de médiation scolaire

par les pairs, Actes de colloque outils pour la formation, l’éducation et la prévention : Contributions de la

psychologie et des sciences de l’éducation, Nantes, 6 et 7 Juin 2011, p. 414. 294

Bernadette BAYADA, Anne-Catherine BISOT, Guy BOUBAULT et al., Conflit. Mettre hors-jeu la violence,

p. 112. 295

Sophie LAMBOLEZ, Anne-Nelly PERRET-CLERMONT, Regard sur un dispositif de médiation scolaire

par les pairs, Actes de colloque outils pour la formation, l’éducation et la prévention : Contributions de la

psychologie et des sciences de l’éducation, Nantes, 6 et 7 Juin 2011, p. 416. 296

Paul MILLEMANN, « L’Anthropologie biblique et la relation d’aide dans l’Eglise », La revue réformée 265

(2013), p. 74.

73

ensemble, mieux appréhender les différences (sources de conflit), est possible si l’on s’en

donne les moyens. Oui, par exemple un temps pour apprendre à se connaître, un temps pour

se former, un temps pour admettre que les conflits font partie de la vie et ne sont pas mauvais

en soi. Prendre exemple sur la médiation scolaire requiert effectivement de la part de la

direction d’une Eglise de la confiance envers les membres de la communauté. C’est aussi la

possibilité pour elle de voir combien ces derniers sont capables de vivre leurs différends. En

définitive, il s’agit de la mise en application du premier conseil donné par Jésus en Mt 18.16.

A savoir, « si ton frère vient à pécher contre toi […] reprends-le seul à seul… » (Version

N.B.S.). Si une relation défectueuse entre deux frères peut se restaurer sans la présence d’un

tiers ou d’une quelconque autorité, ne serait-ce pas là ce que souhaitent le Seigneur et

l’Eglise ?

74

Conclusion et perspectives

Au terme de notre recherche, il convient pour nous de rappeler les points essentiels sur

lesquels nous avons porté notre attention. Ensuite nous nous orienterons vers de nouvelles

perspectives de médiation.

Notre problématique consistait à savoir en quoi le pasteur détient aujourd’hui une

fonction de médiation. Pour ce faire, nous avons premièrement examiné dans la Bible

plusieurs mots familiers avec le terme « médiation ». Au cours de cette recherche, des

médiateurs sont apparus comme étant des acteurs essentiels de la relation humaine et

spirituelle. Dès le commencement de l’existence humaine, il est question dans la Bible d’une

relation brisée entre Dieu et l’Homme, et entre les humains. D’ailleurs, Kirwan déclare : « La

relation d’aide touche le cœur, l’âme, la pensée, en un mot : l’intériorité. C’est le monde des

profondeurs de l’être marqué par la division, ce péché originel de la rupture de

communication avec Dieu, autrui et soi-même297

». Face à cette réalité :

« La plupart des religions ont cherché à combler la distance qu’on ressent

entre Dieu et l’homme ; magiciens, prêtres, rois, héros célestes, incarnations de

Vichnou ou de Mithra, toutes sortes d’êtres sont chargés d’établir un lien entre la

divinité et l’humanité. Chez les juifs, anges, rois, prophètes, prêtres, serviteurs de

YHWH, tous jouent ce rôle ; mais c’est Moïse qui, en définitive, est présenté

comme le médiateur de l’Alliance par la loi et le culte298

».

Le N.T. nous dévoile que c’est au travers de l’œuvre du Christ que le lien fut à jamais

rétabli entre Dieu et l’Homme. Jésus, la révélation du Dieu, comme « médiateur n’est pas un

simple tiers, un moyen qui, par son intercession, ‘‘ médiatise ’’ une relation des hommes avec

Dieu, Il est celui en qui, à jamais, s’opère la communion entre Dieu et les hommes299

». Faut-

il le rappeler, la médiation biblique s’accentuait autant dans une perspective verticale

qu’horizontale. Ainsi tous les médiateurs, depuis la chute d’Adam jusqu’à l’établissement de

l’Eglise, promouvaient une réconciliation totale entre Dieu et ses créatures, et les humains

entre eux. Cependant, après le sacrifice du Christ, la médiation prend une toute autre

dimension. En effet, sa dimension verticale en rapport avec le salut n’est plus à envisager au

travers d’un intermédiaire Humain, mais dans une relation de foi avec le Christ notre salut.

Nonobstant, l’Eglise et ses dirigeants, par la prédication de la parole, l’annonce de l’œuvre du

Christ, invitent l’être humain à vivre ce lien vertical avec Dieu en vue de son salut.

Concernant la dimension horizontale, les relations humaines, il va de soi que l’homme est

297

William KIRWAN, Les fondements bibliques de la relation d’aide, Cléon d’Andran, (France), Excelsis, 1999,

p. 5. 298

Xavier LEON-DUFOUR, Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1975, p. 359. 299

Ibid., p. 360 ; 1P 2.13, 3.16.

75

invité à vivre des relations équilibrées avec ses congénères. Ainsi, nous croyons que le

sacerdoce universel fait de chaque chrétien un acteur essentiel de la cohésion sociale. Ce qui

suggère que le chrétien devrait naturellement avoir des dispositions bienveillantes envers ses

contemporains.

Après avoir mis l’emphase sur la médiation biblique, nous nous sommes intéressés à la

médiation extra biblique. Utilisée principalement comme un outil en relation d’aide, elle

requiert une certaine technicité, et un apprentissage. Il a donc été clair pour nous que si le

pasteur détient, par sa vocation ministérielle, une fonction de médiation, la société et certains

membres de sa communauté attendent de lui qu’il se spécialise s’il veut être efficace dans la

gestion de conflits. Néanmoins, pour Schultz, « la médiation n’est pas seulement un outil

technique, c’est aussi une philosophie. C’est une nouvelle manière de regarder la relation avec

autrui300

». Un nouveau regard porté sur l’autre qui, selon nous, s’inspire du modèle divin.

Dieu a eu compassion de l’humain en s’investissant dans sa restauration totale301

. De même,

le pasteur-médiateur, mandaté par Dieu, fait preuve d’empathie, de congruence et d’amour

envers les membres désespérés. Mais la médiation serait compromise, s’il entrait dans le

dialogue spirituel, disposé à trouver en lui-même la source des conseils, ou la solution aux

conflits. Tout l’effort d’attention doit se centrer avant tout sur la personne302

.

Pour nous, il n’y a aucun doute, le pasteur détient bien une fonction médiatrice, mais il

doit associer les outils liés au ministère pastoral303

à ceux que lui propose la société. Ainsi,

grâce aux connaissances acquises, et à l’œuvre de l’Esprit Saint agissant au sein de la relation

âme/pasteur304

, le berger pourra mieux accompagner ses fidèles. Nous croyons aussi que la

médiation pastorale est une vocation. De fait, se tenir au plus près de la Source de vie

permettra de communiquer : vie, espérance, joie, foi, et paix. Par ailleurs, il nous paraît clair

que le pasteur est responsable de sa conduite devant Dieu, devant l’église et devant la société.

C’est pourquoi, il lui appartient d’acquérir les outils psychologiques nécessaires à une écoute

toujours plus efficace. En outre, nous avons souligné que le pasteur n’est pas le seul à remplir

la fonction médiatrice. Dans l’Eglise même, comme dans plusieurs secteurs de la société, se

trouvent des professionnels de la relation d’aide. Ceux-ci sont capables de répondre aux

divers besoins des fidèles.

300

Philippe SCHULTZ cité par Jacques TREMINTIN, « La médiation, les médiations », p.70. 301

Voir note 2. 302

Es 50. 4. 303

Nous pensons ici à l’exercice de la méditation de la Parole, à la prière, et à l’écoute de l’Esprit. 304

André GODIN, La relation humaine dans le dialogue pastoral, p.73.

76

Notre étude ne prétend pas apporter quelque chose d’innovant en matière de pratique

de la médiation. Car il existe une multitude d’ouvrages sur le sujet, qui de surcroît ont été

écrits par des professionnels compétents. Leurs instructions quant aux différentes manières

d’aborder les conflits sont concluantes. Les conflits, comme énoncé en introduction générale,

peuvent contribuer à construire des relations plus justes et équilibrées, nous faire grandir en

somme. Dans l’Eglise, ils ne sont pas toujours associés au péché.

Outre les autres méthodes de résolution de conflits, nous avons opté pour la médiation

car elle est pacifique, promouvant la réconciliation, aidant les protagonistes à trouver en eux-

mêmes des solutions qui leur conviennent, leurs besoins de reconnaissance et d’acceptation

étant comblés.

Ainsi donc, en termes de perspectives, nous souhaitons mettre l’accent sur ce que nous

appelons une « philosophie » de la médiation. L’idée est que la médiation soit pensée et vécue

de manière naturelle par le pasteur, et par l’Eglise en général. Pour y arriver, il serait

intéressant de concevoir la médiation comme un élément préventif, et ne pas attendre qu’un

conflit se présente pour agir. Les Eglises proposeraient aux membres des rencontres illustrant

le thème par des jeux de rôle, des mises en scène théâtrales, des vidéos-débats, des exercices

en groupe, et/ou toute autre activité stimulant la réflexion et encourageant l’appropriation des

principes de gestion de conflit. Les pasteurs, étant normalement formés à la relation d’aide,

pourraient, en collaboration avec des médiateurs professionnels, animer ces rencontres.

L’objectif à long terme serait que l’Eglise, appréhendant mieux quelque conflit que ce soit,

soit lumière pour la société et encouragement voire inspiration pour les organismes travaillant

au mieux vivre ensemble.

Il serait intéressant aussi de répertorier dans l’Eglise, ou au sein de nos fédérations, les

professionnels de la relation d’aide et de rendre cette liste accessible aux membres de nos

communautés. Bien sûr, cela n’exclut pas de consulter également les professionnels sans liens

avec l’Eglise. En parallèle, à travers les réseaux sociaux de la communauté, une large

diffusion d’informations relatives aux modalités d’une médiation serait souhaitable. Ce sont

autant de pistes contribuant à construire une Eglise plus mature, dont la vision sur les

difficultés de la vie relationnelle est plus équilibrée. Car en médiation, on se soucie davantage

du bien-être de l’Homme. L’amour fraternel prôné par la Bible devient le principe moteur de

77

toute gestion de conflit, particulièrement dans l’application bien délicate de la discipline

ecclésiastique305

.

En effet, la médiation permet de prendre de la hauteur sur le problème ; c’est

apprendre à voir l’Autre comme Dieu l’a vu autrefois, loin de lui, et en mal de vivre. La

médiation c’est donner à l’Autre la possibilité d’exister, de surgir au-delà du conflit.

Ce principe de l’Amour divin fut le moteur de l’agir de Dieu pour l’humanité. C’est

ainsi qu’est apparu le plus grand Médiateur que la terre n’aura jamais connu : Jésus-Christ.

Par sa vie, sa mort et sa résurrection, Il a réconcilié pour toujours l’humanité avec Dieu. Et

aujourd’hui, en qualité de disciples, ou de pasteur-médiateurs, nous sommes invités à

promouvoir la réconciliation entre les Hommes, et entre les Hommes et Le Dieu Créateur.

305

Voir page 50-52.

78

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84

Table des matières

Remerciements ...................................................................................................... 2

Liste des abréviations ............................................................................................................. 3

Introduction générale ............................................................................................. 4

La médiation ........................................................................................................................... 6

Les conflits ............................................................................................................................. 7

Premier chapitre ................................................................................................................... 10

1. Fondement biblique de la médiation dans une perspective pastorale ............. 11

1.1 Principes de médiation dans l’Ancien Testament .......................................................... 11

1.1.1 Gestion de conflits au sein de la première famille biblique ........................................ 11

1.1.2 Moïse comme médiateur ............................................................................................. 19

1.1.3 Le sacerdoce des prêtres .............................................................................................. 21

1.1.4 Le rôle des prophètes ................................................................................................... 24

1.1.5 Le rôle des juges au sein du peuple ............................................................................. 26

1.1.6 La gestion d’un conflit par le Roi Salomon ................................................................ 28

1.1.7 Conclusion ................................................................................................................... 30

1.2 Principes de médiation dans le Nouveau Testament ...................................................... 31

1.2.1 Le Christ médiateur de la nouvelle alliance ................................................................ 31

1.2.2 La nouvelle alliance..................................................................................................... 33

1.2.3 Médiation et sacerdoce universel des chrétiens .......................................................... 34

1.2.4 Exemple de médiation dans le Nouveau Testament .................................................... 36

1.2.5 Conclusion ................................................................................................................... 39

Deuxième chapitre ................................................................................................................ 40

2. Le pasteur, un médiateur ................................................................................. 41

2.1 Responsabilités du pasteur ............................................................................................. 42

2.2 Différentes attentes des communautés ........................................................................... 45

2.3 Pasteur et médiateur ....................................................................................................... 46

Troisième chapitre ................................................................................................................ 53

3. Quelques caractéristiques pour la médiation pastorale ................................... 54

3.1 Relation d’aide, écoute pastorale et médiation, quel lien ? ............................................ 54

3.2 Processus de médiation .................................................................................................. 55

85

3.3 Médiation informelle et formelle ................................................................................... 56

3.4 Application de la médiation : comment fonctionne-t-elle ? ........................................... 57

3.4.1 Médiation axée sur la résolution de conflits ................................................................ 58

3.4.2 Médiation axée sur la transformation du conflit ......................................................... 59

3.5 Autre(s) méthode(s) de gestion de conflit ...................................................................... 60

3.6 Quelques outils fondamentaux en vue d’une médiation réussie .................................... 64

3.7 Limites ou faiblesses de la médiation ............................................................................ 66

3.7.1 Définition de l’échec dans la relation d’aide/médiation .............................................. 67

3.7.2 Piège du pasteur super médiateur ................................................................................ 68

3.7.3 La médiation une panacée ? ........................................................................................ 69

3.8 La médiation vécue dans notre monde contemporain .................................................... 70

Conclusion et perspectives ................................................................................................... 74

Bibliographie ........................................................................................................................ 78