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1 La mégalopole japonaise Introduction : Définir une mégalopole : région qui se définit à travers 3 éléments : concentration d’habitants, de richesses, de voies de communication Par concentration d’habitants, il faut entendre évidemment présence de villes, donc une population à majorité urbaine. Des villes géantes, qui s’étalent dans l’espace, dans une dynamique de fusion, qu’on appelle conurbation. Par richesses, il faut entendre le terme au sens large : concentration de richesses matérielles, usines, infrastructures, etc. mais aussi richesses culturelles, intellectuelles. Concentration de voies de communication : élément important car détermine la capacité de la mégalopole à se relier à l’extérieur. Contexte de la mondialisation dans lequel le dynamisme économique dépend tout autant de facteurs internes que de facteurs externes. Dans les 2 cas, la qualité des contacts, qui fondent le dynamisme économique, créateur de richesses, est basée sur les moyens de communications. Ces derniers peuvent être matériels, immatériels (informations, monétaires, informatiques), en mouvement (on parle de flux), polarisés (certains lieux concentrent un certain type de flux, exemple une bourse polarise les flux financiers), en réseau, les flux partent dans des directions précises (une ligne TGV se constitue en réseau). Le Japon est un ensemble insulaire gigantesque, plus de 1600 îles, avec 4 principales (Honshu, les Kyushu, Shikoku, Hokkaido). L’insularité est un phénomène qui se définit traditionnellement sous l’angle de l’éloignement et de l’isolement. Vivre sur une île, c’est vivre à l’écart. Le Japon a vécu à l’écart pendant quelques 2000 ans, développant une

La mégalopole japonaise

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Page 1: La mégalopole japonaise

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La mégalopole japonaise

Introduction :

Définir une mégalopole : région qui se définit à travers 3 éléments : concentration

d’habitants, de richesses, de voies de communication

Par concentration d’habitants, il faut entendre évidemment présence de villes, donc une

population à majorité urbaine. Des villes géantes, qui s’étalent dans l’espace, dans une

dynamique de fusion, qu’on appelle conurbation. Par richesses, il faut entendre le terme au

sens large : concentration de richesses matérielles, usines, infrastructures, etc. mais aussi

richesses culturelles, intellectuelles. Concentration de voies de communication : élément

important car détermine la capacité de la mégalopole à se relier à l’extérieur. Contexte de la

mondialisation dans lequel le dynamisme économique dépend tout autant de facteurs

internes que de facteurs externes. Dans les 2 cas, la qualité des contacts, qui fondent le

dynamisme économique, créateur de richesses, est basée sur les moyens de

communications. Ces derniers peuvent être matériels, immatériels (informations,

monétaires, informatiques), en mouvement (on parle de flux), polarisés (certains lieux

concentrent un certain type de flux, exemple une bourse polarise les flux financiers), en

réseau, les flux partent dans des directions précises (une ligne TGV se constitue en réseau).

Le Japon est un ensemble insulaire gigantesque, plus de 1600 îles, avec 4 principales

(Honshu, les Kyushu, Shikoku, Hokkaido). L’insularité est un phénomène qui se définit

traditionnellement sous l’angle de l’éloignement et de l’isolement. Vivre sur une île, c’est

vivre à l’écart. Le Japon a vécu à l’écart pendant quelques 2000 ans, développant une

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civilisation originale, sans pour autant qu’elle soit totalement coupée de tout lien avec

l’extérieur (pénétration du bouddhisme qui est venu de Corée et de Chine). C’est à partir de

l’ère Meiji (1868) que le Japon va s’ouvrir, contre son gré (amiral Peary), à la modernité et au

monde extérieur. L’ouverture se fait le long de la façade Pacifique, qui deviendra le Japon de

l’Endroit (par opposition à l’autre façade maritime, celle qui borde la mer de Chine, le Japon

de l’Envers). Le long de la façade Pacifique, se mettent en place les éléments qui font

émerger une mégalopole. Mégalopole qui se renforce après la défaire de 45 avec

l’inscription du pays dans un contexte de développement économique et de mondialisation.

Page 3: La mégalopole japonaise

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Plan du cours :

I. Un espace moteur dans la mondialisation

1. Poids de la mégalopole dans l’économie mondiale et nationale

2. un espace de flux, connecté à l’économie-monde multipolaire

3. Des aménagements littoralisés qui renforcent la capacité de la mégalopole à s’intégrer

dans la mondialisation

II. L’organisation interne de la mégalopole

1. La mégalopole japonaise est-elle une mégalopole ?

2. L’aspirateur Tokyôite

3. Un espace soumis à des défis

III. Vivre dans la mégalopole

1. Une vie structurée par le train

2. Une société « infernale »

3. « cool Japan »

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I. Un espace moteur dans la mondialisation

1. Poids de la mégalopole dans l’économie mondiale et nationale

100 Millions d’habitants (80% de la population japonaise_un peu plus de 140 Millions

au total).

Pèse 90% du PIB national

Concentre les ¾ de l’activité portuaire

5 aéroports internationaux

La mégalopole est donc un espace fort, riche, qui se constitue historiquement le long

du tracé d’une route, celle du Tokaido, qui relie Tokyo à Osaka, via Kyoto. Après les

années 50, le gouvernement axe son développement et son ouverture sur cet espace,

lequel prend le nom de Japon de l’Endroit.

2. Un espace de flux, connecté à l’économie-monde multipolaire

Europe de l’ouest Amérique du Nord

Japon

Corée du Sud

Taiwan Hong-Kong

Singapour

Beijing

Shanghai

Thaïlande

Indonésie

Philippines

Page 5: La mégalopole japonaise

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Le schéma ci-dessus résume les niveaux d’intégration du Japon au sein de l’économie-

monde contemporaine :

Elle se présente comme multipolaire : contrairement aux périodes

précédentes : XIXe avec la Première et les débuts de la seconde

industrialisation, l’économie-monde était dominée par l’empire

Britannique. Après 1914, l’économie-monde est dominée par les Etats-

Unis, la période contemporaine, celle qui débute après la fin de la guerre

froide se présente comme multipolaire, c’est-à-dire que ses pôles

d’impulsion ne sont plus uniques mais multiples.

Le Japon s’inscrit donc dans cette multipolarité en s’intégrant d’une part au

sein de la Triade (cercles en rouge) : pôles structurants de l’économie

mondiale, dominée par les vieilles nations industrialisées que sont

l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon à partir des années 50

Dans un second temps, le Japon s’inscrit dans une dynamique d’intégration

asiatique. Le schéma montre ainsi un double-niveau d’intégration, qui

correspond aux intégrations successives des différents pays d’Asie

orientale dans la mondialisation: le premier niveau correspond aux 4

Dragons, Taiwan, Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, qui se développent

de façon substantielle à partir des années 70, sur le modèle du « vol d’oies

sauvages », c’est-à-dire en capitalisant sur le coût de leur main-d’œuvre et

en produisant sur leur territoire des biens à faible valeur-ajoutée. Le

principe du vol d’oies sauvages se définissant comme un pays ou un

ensemble de pays qui, ayant atteint un certain seuil de développement, se

spécialise dans la production de biens à plus forte valeur-ajoutée. Ses

Page 6: La mégalopole japonaise

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anciennes productions vont donc être délocalisées dans des pays

proposant des avantages plus compétitifs en termes de coûts de la main-

d’œuvre, dans des espaces moins développés, qui vont suivre eux-mêmes

la même voie de développement. Ainsi, pour être clair, le Japon entame

son développement dans l’espace de l’Asie orientale à partir des années 50

en produisant du textile, sidérurgie, automobile, etc. à partir des années

70, il dépasse un seuil de développement, et son économie se porte vers

l’électronique, bon marché dans un premier temps, plus performante dans

un second. Ses anciennes productions sont délocalisées ailleurs, où la

main-d’œuvre est moins chère, c’est-à-dire les 4 Dragons. Aujourd’hui, et

ce sera notre deuxième niveau d’intégration de l’espace asiatique dans la

mondialisation, ce sont les « bébés Tigres » qui prennent le relais des

Dragons, en gros le sud-est asiatique, Thaïlande, Philippines, Indonésie, etc.

Des pays comme la Chine entamant leur évolution vers des productions

plus performantes (n°1 mondial dans les panneaux photovoltaïques… mais

toujours un pays-atelier pour la production de jouets, concentrant 80% de

la production mondiale… donc une transition en cours et non-achevée). Le

Japon s’intègre donc dans la mondialisation d’abord dans une logique

régionale : Dragons, BB Tigres, sud-est asiatique, avec lesquels il entretient

des relations complexes : il y délocalise ses usines tout en étant le 1er client

de ces productions délocalisées et ensuite réexportées en direction du

Japon. Il y envoie des IDE (Investissement direct à l’étranger), mais aussi

des aides publiques au développement, joue ainsi dans ces territoires la

double-carte du soutien « humanitaire » et de l’investisseur . Tout un

Page 7: La mégalopole japonaise

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réseau se noue entre ces territoires, en recomposition perpétuelle dans le

temps et dans l’espace, selon les seuils de développement atteint et selon

la qualité des relations entre les pays. Le mouvement d’intégration part

donc du Japon et s’étend donc vers des espaces de plus en plus éloignés,

qui obéit peu ou prou au même schéma, sans pour autant négliger

l’influence des autres espaces moteurs de la mondialisation (Australie,

Etats-Unis) et la concurrence plus forte qui s’exerce entre pays asiatiques

en particulier entre le Japon, la Chine et les anciens Dragons, dont les

économies sont devenues très performantes (Corée du Sud = 12è PIB

mondial).

L’intégration du Japon dans l’espace mondialisé est fortement régionalisée : c’est une

tendance commune à l’ensemble des régions du monde. On échange d’abord avec

ses voisins proches (pays de l’U.E réalisent 70% de leurs exportations avec d’autres

pays de l’U.E). donc le Japon, en suivant la même tendance, privilégie les contacts

avec les autres pays d’Asie. Prenons l’exemple des APD, aides publiques au

développement, dons en argent à destination de territoires sous-développés. Le

Japon était la première source d’APD au monde avant 2000, aujourd’hui 3è place

mondiale, derrière les USA et la GB. Principaux bénéficiaires : les pays d’Asie (45%).

Dons qui ne sont pas uniquement motivés par la générosité, mais aussi une manière

d’exercer une influence diplomatique (Soft Power). Autre exemple : poids des

exportations du Japon (= 50% vers l’Asie), des importations (= 55% depuis l’Asie).

3. Des aménagements littoralisés

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Brisons un mythe pour commencer : celui du manque d’espace au Japon. 70% du

territoire national est couvert par la forêt. L’île d’Hokkaido, au nord de l’Archipel, est

dominée par des parcs nationaux, le Japon étant un pays précurseur en la matière,

dans lesquels on réintroduit des espaces menacées et sauvages (l’ours en particulier).

Le Japon ne manque donc pas d’espace, mais il l’occupe de manière inégale. Parce

que c’est un pays qui a fait le choix de l’ouverture, il a privilégié la façade littorale,

une façade où les plaines sont peu étendues, et pourtant nécessaires pour accueillir

les infrastructures lourdes que nécessitent un développement industrialo-portuaire

et urbain.

L’insertion dans l’économie-monde passe donc par un aménagement du territoire

adéquat. Cet aménagement prend des formes spécifiques au Japon. Par exemple,

celui des terre-pleins, ou polders (terme hollandais à l’origine) : des terres artificielles

gagnées sur la mer qui vont accueillir toutes les infrastructures nécessaires au Japon.

Ainsi à Osaka, un terre-plein relié à l’île d’Honshu par un pont géant, abrite un des

plus grands aéroports du pays (ouverture en 2006). La motivation pour construire des

terre-pleins n’est pas uniquement motivée par le manque de place : acquisition

foncière peu chère, pas de riverains, donc un fonctionnement 24h/24, possibilité d’y

installer des activités bruyantes, polluantes, facilités de connexion avec d’autres

infrastructures, etc. après les années 70, les terre-pleins ne sont plus réservés

uniquement à des fonctions industrialo-portuaires, mais on trouve des zones

résidentielles, de loisirs, domination de fonctions tertiaires, etc.

II. L’organisation interne de la mégalopole japonaise

Page 9: La mégalopole japonaise

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1. La mégalopole japonaise est-elle une mégalopole ?

A priori, la question ne se pose pas : territoire qui s’étend le long de la façade

maritime Pacifique sur plus de 1000 Km de Sendaï à Fukuoka. Importance du

Shinkansen, le TGV national qui relie les plus grandes villes du pays entre elles.

Concentration d’habitants, de richesses, de voies de communication. Nous sommes

donc, sous cet angle, dans l’espace d’une mégalopole.

En observant le paysage de cette mégalopole, l’affirmation devient moins évidente :

pas de continuum le long de cet espace. Prendre le Shinkansen c’est traverser des

mégapoles (littéralement des villes géantes, +3 Millions d’habitants), longer des ports

de dimension planétaire, mais aussi traverser des zones rurales où la culture du riz

s’inscrit dans le moindre interstice, c’est aussi faire le constat d’une population qui

privilégie toujours de vivre en maison individuelle plutôt que dans des immeubles,

avec une forte présence de forets. La mégalopole en somme regroupe aussi des

territoires moins peuplés, ruraux, qui semblent en-dehors des zones d’influence

urbaines.

Pour comprendre la réalité de la situation japonaise, il faut la considérer sous l’angle

de la MEA (Metropolitan Employment Area), c’est-à-dire la zone d’influence propre à

chaque métropole, influence fondée sur l’emploi. Cette zone correspond donc au

territoire urbain lui-même plus les zones rurales alentours au sein desquelles une

large partie de la population effectue des trajets pendulaires vers la ville pour se

rendre à leur travail. La définition officielle des MEA s’applique pour des centres

urbains de plus de 50.000 Hab. les principales mégapoles de la mégalopole sont donc

Tokyo (34 Millions d’hab. plus grande ville au monde), Osaka (12,1 Millions), Nagoya

Page 10: La mégalopole japonaise

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(5,3 Millions). Parmi les MEA, on en trouve 3 qui couvre un territoire entre 2 et 2,5

Millions d’habitants ; 6 entre 1 et 2 Millions ; 13 entre 500.000 et 1 million

d’habitants.

L’aspect incomplet de la mégalopole vient donc de cette forme de domination des

mégapoles sur leur territoire environnant. Les MEA incluant des villes moyennes, des

villages, et on rencontre également certaines parties de la mégalopole qui ne se

retrouvent sous l’influence d’aucune MEA. Les espaces correspondant à des zones

plus rurales, des espaces récréatifs pour maintenir intact le lien ancestral entre le

peuple japonais et la nature « sauvage » (le mont Fuji, dans la région des 5 lacs, ne se

trouve qu’à 1h30 de la gare routière de Shinjuku, au cœur de la métropole tokyoïte).

2. L’aspirateur Tokyoïte

La capitale concentre les forces vives du pays :

Politique : présence du palais impérial au cœur de la capitale, au centre d’un carré

boisé de 3 Km² dans le quartier de Chiyoda avec un empereur invisible et toujours

puissant pour bcp de japonais.

1ère concentration industrielle du pays : le PIB de Tokyo > France, 80% du PIB

national, 2/3 sièges sociaux des Keiretsu (conglomérats d’entreprises), 50% des

étudiants nationaux, 1/3 de la production nationale.

1 million de fonctionnaires qui font tourner les bureaux de la haute administration

(cour suprême, ministères, parlements, etc.)

Quartiers spécialisés : Ginza et la mode, Akihabara et le produits culturels, médias

dans le quartier de Minato, Shibuya, le quartier branché.

Page 11: La mégalopole japonaise

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Une capitale attractive : +80.000 Hab./an, mais un mouvement de rétraction urbaine.

Tokyo ne s’étend plus sur ses marges, on a atteint un seuil difficilement franchissable

(durée transport pour trajets pendulaires. Voir III.). Mouvement de redynamisation

des centres avec une transformation du paysage urbain : espaces verts,

infrastructures scolaires, enfouissement des autoroutes. Programmes de

construction de barres d’immeubles. Une redynamisation qui n’entraîne pas de

mouvement de gentrification (revitalisation d’un centre urbain qui entraîne une

hausse de la valeur de l’immobilier laquelle modifie la structure sociale des

habitants : départ des classes populaires, retour des classes plus aisées.

Gentrification = Gentry, bourgeoisie en anglais).

3. Un espace confronté à des défis

Espace soumis aux risques naturels (1923, tremblement de terre du Kanto = 143.000

morts), tsunamis, séismes, etc. mais une vulnérabilité atténuée grâce à une prise de

conscience très forte au sein de la population : éducation, normes antisismiques, etc.

mais le séisme de Kobe en 1995 montre les limites de ces mesures de

prévision/prévention/protection, sans pour autant tomber dans l’idée simpliste

d’une nature qui dominerait l’Homme. Les manifestations de la nature font partie

intégrante de la culture japonaise, laquelle ne porte pas un regard unique sur elles.

Elles sont vues de façon ambivalentes, malheur et bonheur, positif et négatif. Un

séisme peut détruire mais les terres volcaniques permettent aux japonais de profiter

des Onsen, bains dans des sources d’eau chaude naturelles, même au cœur de la

capitale, et qui représentent des lieux et des moments de sociabilité incontournables

pour les japonais de toutes classes et tous âges confondus.

Page 12: La mégalopole japonaise

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Le problème des pollutions est très présent au sein de la mégalopole. Surtout depuis

l’incident de Minimata, 1956, pollution par rejet de mercure dans la mer, qui a

entraîné la mort de plus de 850 personnes et l’empoisonnement de milliers d’autres,

souffrant de maladies diverses, cécité, surdité, handicaps cérébraux que l’on va

associer sous le vocable syndrome de Minimata. Les effets de la pollution ne seront

reconnus et assumés par l’Etat que depuis 1968.

III. Vivre dans la mégalopole

1. La domination du rail

Principal mode de transport au quotidien : environ 10 Milliards de passagers en 2006

contre 2 Milliards pour l’automobile au sein du grand Tokyo. Shinjuku = 1ère gare au

monde avec 3,5 Millions de passagers/jour. Un mode de transport qui rythme la vie

de 70% des japonais chaque jour.

Un mode de transport qui impacte les modes de vie :

Trajets longs, entre 1h et 1h30/jour

Les gares sont des lieux de vie et de sociabilité à part entière. Elles représentent le

cœur incontournable de la vie urbaine. Chaque gare du Yamanote (ligne de chemin

de fer qui ceinture le grand Tokyo) représente un grand quartier de Tokyo (ceux là

même mentionnés dans la partie consacrée à « l’aspirateur Tokyoïte » : Akihabara,

Ginza, Ueno, etc.).

Dans une société où le travail représente toujours une valeur forte (bcp moins

qu’avant cependant, environ 1 japonais sur 2 reconnaît que le travail n’est plus une

fin en soi, mais un levier pour profiter de ses loisirs), les instants de délassement sont

des moments importants dans le quotidien (des hommes). Ainsi, à la sortie du

Page 13: La mégalopole japonaise

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bureau, il est coutumier d’aller boire (beaucoup et vite, entre collègue, parfois en

présence du patron), de manger un morceau et d’aller chanter dans un Karaoke.

Eventuellement de profiter des services d’une hotesse dans un bar réservé à cet

effet. En cas de cuite ou de soirée prolongée, on peut même terminer dans un

capsule-Hôtel. Tout ceci étant concentré dans un quartier spécifique, le Sakariba, ou

quartier fleuri, systématiquement placé à proximité immédiate d’une gare (pour

pouvoir prendre le dernier train afin de rejoindre facilement son domicile). Des

quartiers où la prostitution est autorisée et sous le contrôle des Yakuza, mafieux

locaux qui entretiennent généralement d’assez bons rapports avec la police tant que

leurs activités ne débordent pas au-delà de ce territoire et qu’ils s’arrangent pour ne

pas nuire à l’ordre public (généralement, ils en sont même les responsables).

Trajets multimodaux dans lesquels les japonais passent d’un mode de transport à un

autre, le chemin de fer étant le plus important. Dans les espaces les plus éloignés de

la capitale, on rejoint généralement la gare locale avec son vélo, que l’on stationne

pour la journée sur place. On prend ensuite un train local vers une gare de la ligne

Yamanote. A partir de là, on suit la ligne du Yamanote (un cercle qui entoure la

capitale) jusqu’au point le plus proche de son lieu de destination, que l’on atteint à

pied ou grâce au métro. Les trajets, les changements de ligne entraînent une gestion

des flux parfois compliquée, surtout en heures de pointe. Pour autant, ils sont aussi

des révélateurs de la culture japonaise et en particulier de sa très grande capacité à

garder son calme et à respecter l’espace intime de ses voisins (taux de remplissage

des wagons qui peuvent atteindre 250% en heures de pointe, mais on trouve des

wagons réservés aux femmes pour les protéger de « gestes indélicats », on trouve

également des employés munis de gants blancs, chargés de pousser les voyageurs

Page 14: La mégalopole japonaise

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afin de « bourrer » les wagons, cela entraîne évidemment des bousculades, mais

chacun garde son calme, assuré que la personne que lui rentre dans le dos ne le fait

pas de sa propre initiative, mais subit en quelque sorte elle-même la bousculade de

l’employé. L’honneur de chacun est ainsi préservé).

2. Une société infernale

Compétition, poids du groupe, liens hiérarchiques contraignants et écrasants,

codification extrême des rapports sociaux. Poids de la honte qui entraîne une

importance du suicide. Amélie Nothomb, dans son roman Stupeur et tremblements,

1999, en partie autobiographique, décrit en ces termes la condition féminine dans la

société japonaise :

« S’il faut admirer la japonaise – et il le faut- c’est parce qu’elle ne se suicide pas. On

conspire contre son idéal depuis sa plus tendre enfance […] : « si à 25 ans tu n’es pas

mariée, tu auras de bonnes raisons d’avoir honte », « si tu ris, tu ne seras pas

distinguée », « si ton visage exprime un sentiment, tu es vulgaire », « si tu

mentionnes l’existence d’un poil sur ton corps, tu es immonde », « si un garçon

t’embrasse sur la joue en public, tu es une putain », « si tu manges avec plaisir, tu es

une truie », etc […]. A part cela, tu peux espérer vivre vieille, ce qui n’a pourtant

aucun intérêt, et ne pas connaître le déshonneur, ce qui est une fin en soi. Là s’arrête

la liste de tes espoirs licites. »

Ne pas exagérer la portée de ce texte toutefois: dimension caricaturale assez

excessive. Pour autant, un fond de vérité subsiste : les contraintes collectives sont

Page 15: La mégalopole japonaise

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effectivement fortes, la société japonaise est effectivement machiste pour un pays

sorti du Moyen-âge et de la féodalité qu’à la fin du XIXe siècle. Le poids du groupe

commence dès l’école : l’uniforme est plus qu’un signe de reconnaissance, il est

d’abord un moyen de contrôle. Un élève dont le comportement serait dommageable

n’implique pas seulement lui-même mais l’institution à laquelle il appartient. Il n’est

pas étonnant de voir des voisins fouiller les poubelles pour vérifier que le tri des

ordures a bien été fait. Pour terminer sur le système éducatif, il est structuré en 4

parties : école primaire, collège, lycée, université, avec des concours pour assurer le

passage d’un niveau à l’autre. Système élitiste qui justifie la prolifération des cours

du soir, « Juku », parfois dès l’école maternelle, pour s’assurer d’un passage en

direction des meilleures écoles. Une pression très forte donc qui entraîne des

comportements déviants : le suicide (20,4 °/oo, chiffre important, mais à relativiser

avec celui de la France, 19,1°/oo. Nous vivons donc nous-mêmes dans un pays où le

suicide est un réel problème de société. Quant au Japon, il est davantage présent

certes, mais d’abord en direction des personnes plus âgées, 45-65 ans, en passent de

sortir de la vie active, déprimée par l’inactivité) ; le phénomène des Hikikomori,

véritable phénomène de société au Japon, qui concerne tous ces jeunes qui refusent

le monde réel, par peur de la pression, et qui s’enferment toute la journée dans leur

chambre à lire des mangas, s’inventer une vie virtuelle à travers les anime, mangas,

jeux vidéo et internet.

3. « Cool Japan »

Avoir 20 ans au Japon, c’est avoir grandi durant la « décennie perdue » (1990-2000),

période de crise, marquée par la fin et la remise en cause d’un certain nombre de

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valeurs traditionnelles. Parmi ces dernières : le travail à vie, et l’entreprise comme

relais à la cellule familiale. La place du père, du mariage, de la famille en général.

Génération qui doute sur la capacité du pays à mobiliser la population sous l’angle de

slogans fédérateurs, comme cela a pu être le cas lors de périodes précédentes

(« armée forte, nation forte » dans les années trente ; « rattrapons l’Occident ! »

dans les années 50). Aujourd’hui, plus rien ne fonctionne vraiment. Prise de

conscience des japonais, effet indirect de son inscription dans un phénomène plus

large, celui de la mondialisation, que leur destin leur échappe en partie.

La jeunesse développe des comportements en rupture avec ceux de ses parents :

volonté hédoniste de profiter de la vie, exubérance qui passe par le vêtement, la

musique (on trouve des groupes punk/Rock/Metal à chaque coin de rue). Des

comportements qui peuvent être plus radicaux même, rappelant à certains égards

celui des Hippies des années 60 : ainsi en est-il des NEETS (Not in Education,

employment or training), des Freeters, des jeunes à peine sortis de leurs études, et

qui font le choix d’un retour à la nature, avides de voyages initiatiques. Un certain

nombre choisit la vie rurale, des modes de vie alternatifs (le « slow life »), un

mouvement qui s’inscrit à la jonction entre rupture et respect des traditions, les

japonais ayant toujours entretenu un lien très fusionnel avec la nature. Un état

d’esprit que l’on retrouve dans certaines œuvres d’Hayao Miyazaki, comme mon

voisin Totoro, 1988, qui exalte la douceur d’une existence simple et dépouillée, au

contact d’une nature mystérieuse dont il convient d’en respecter les règles pour vivre

en harmonie avec elle et profiter de sa générosité.