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LA MONDIALISATION EN DÉBAT : L'APRÈS -11 SEPTEMBRE Eddy Fougier Gallimard | Le Débat 2003/3 - n° 125 pages 52 à 63 ISSN 0246-2346 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-debat-2003-3-page-52.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Fougier Eddy,« La mondialisation en débat : l'après -11 septembre », Le Débat, 2003/3 n° 125, p. 52-63. DOI : 10.3917/deba.125.0052 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard. © Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universit? de Toulouse 1 - - 193.49.48.249 - 30/03/2015 21h29. © Gallimard Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universit? de Toulouse 1 - - 193.49.48.249 - 30/03/2015 21h29. © Gallimard

LA MONDIALISATION EN DÉBAT : L'APRÈS -11 SEPTEMBRE

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LA MONDIALISATION EN DÉBAT : L'APRÈS -11 SEPTEMBRE Eddy Fougier Gallimard | Le Débat 2003/3 - n° 125pages 52 à 63

ISSN 0246-2346

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-debat-2003-3-page-52.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Fougier Eddy,« La mondialisation en débat : l'après -11 septembre »,

Le Débat, 2003/3 n° 125, p. 52-63. DOI : 10.3917/deba.125.0052

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Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard.

© Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Eddy Fougier

La mondialisation en débat :l’après -11 septembre

Il est certainement trop tôt pour savoir si le11 septembre 2001 constitue véritablement untournant dans les relations internationales, aussifondamental que le 9 novembre 1989, tournantqui refermerait la parenthèse ouverte par la chute du mur de Berlin et la disparition del’Union soviétique. Il est également encore diffi-cile d’évaluer l’incidence durable d’un tel événe-ment sur le processus même de mondialisation.En revanche, les attentats aux États-Unis mar-quent à coup sûr une nouvelle étape à la foisdans le débat sur la mondialisation, même sicelui-ci a perdu de son caractère central, et dansles formes de sa contestation.

L’évolution du débat sur la mondialisation

L’actuel processus de mondialisation corres-pond à l’accélération, perceptible depuis lesannées 1980 et surtout depuis la fin de la guerre

froide, des flux de capitaux, de biens et de ser-vices, de main-d’œuvre et d’informations,mais aussi d’autres phénomènes transnationauxcomme les trafics illicites, la pollution, les épidé-mies ou la dissémination d’armes de destructionmassive. Ce processus a d’abord suscité un débatd’experts qui portait principalement sur soncaractère inédit ou non, sur ses conséquences,positives ou négatives, ou encore sur le rôle del’État dans ce nouveau contexte. À partir dudébut des années 1990, le débat s’est élargi. Lamondialisation est alors devenue l’objet d’un vifdébat public.

Maastricht-Alena-Gatt :l’émergence d’un débat public

Les premiers débats sur la mondialisationdatent de 1992-1994. À cette époque, trois pro-

Eddy Fougier est chercheur à l’Institut français des rela-tions internationales. Le Débat a déjà publié : « Y a-t-il unclintonisme ? L’héritage d’un Président controversé » (n° 115,mai-août 2001).

L’auteur tient à remercier Philippe Colombani, Sean Gui-bert, Christophe Jaquet et Françoise Nicolas pour leur aide.

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jets économiques et commerciaux font, pour lapremière fois et avant même que la notion demondialisation ne soit popularisée, l’objet dedébats publics et politiques : le traité sur l’Unioneuropéenne signé à Maastricht, prévoyantnotamment l’instauration d’une Union écono-mique et monétaire (U.E.M.) ; l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre leCanada, les États-Unis et le Mexique ; et le cyclede l’Uruguay, cycle de négociations commer-ciales multilatérales menées dans le cadre duGatt. Ces débats portent sur les thèmes de l’ou-verture économique, de l’accélération de la libé-ralisation des échanges, de l’intégration régionaleet de la souveraineté nationale. À la différencedes accords précédents, ces projets ont pour particularité d’avoir des incidences pratiquessur la vie quotidienne des individus (monnaie,culture, santé, alimentation ou droit du travail) etsur la politique menée par les États qui y sontpartie prenante.

Ces débats particulièrement vifs ont induit denouvelles lignes de fracture, qui transcendent les clivages traditionnels, entre les partisans del’ouverture, ceux d’une ouverture maîtrisée et,enfin, ceux de la fermeture ou, plus précisément,d’une défense de la souveraineté et de principessupérieurs aux seuls intérêts économiques, ceque Sophie Meunier appelle le « protectionnismeglobal », par rapport au simple protectionnismesectoriel 1. Ils impliquent des acteurs qui inter-viennent habituellement dans les débats poli-tiques et sociaux : des formations politiques (les« souverainistes » en France ou Ross Perot auxÉtats-Unis), des syndicats et des mouvementssociaux (le grand syndicat américain AFL-CIOfait de l’opposition à toute nouvelle libéralisationdes échanges son nouveau cheval de bataille),des groupes de pression (des secteurs de laculture ou de l’agriculture) ou des organisations

de la société civile. De nouveaux types d’acteursémergent également à cette occasion ou dans lesillage de ces débats. Ni syndicats défendantles intérêts de leurs adhérents, ni O.N.G. four-nissant un service ou une aide sur le terrain,certains groupes tendent à développer unecontre-expertise et une surveillance de l’activitéde différentes organisations ou de l’applicationeffective d’un traité ou d’une législation. Ils peu-vent avoir la forme d’un réseau, comme l’Inter-national Forum on Globalization (IFG), créé en1994 et qui réunit les principaux groupes pro-testataires nord-américains et du Sud, ou dece que les Américains appellent les « WatchdogGroups ». En 1995, deux groupes importants dece type sont institués : Global Trade Watch(GTW), dans l’orbite de l’organisation deconsommateurs Public Citizen, qui sera la che-ville ouvrière de la lutte contre l’Accord multi-latéral sur l’investissement (A.M.I.) et del’organisation des manifestations à Seattle, etFocus on the Global South, dirigé par WaldenBello, l’une des grandes figures contestataires duSud. Des groupes radicaux partisans d’actionsdirectes non violentes et composés de jeunesrévoltés de la génération X sont également for-més durant cette période, avec Reclaim theStreets ou le camp d’entraînement d’activistesaméricain Ruckus Society. Enfin, c’est le 1er jan-vier 1994 qu’est lancée une guérilla au Chiapas(Mexique). Outre le fait de défendre le sort et lesdroits des Indiens de la région, l’Armée zapa-tiste de libération nationale (EZLN) déclenchesymboliquement cette action le jour de l’entréedu Mexique au sein de l’Alena. Nombreux sontceux qui considèrent cet événement comme ledébut de la vague de contestation de la « mon-

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1. Voir Sophie Meunier, France, Globalization and GlobalProtectionism, Center for European Studies Working PaperSeries, 71, Harvard University, 2000.

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dialisation libérale ». L’action des zapatistes vaservir de modèle à la plupart des groupes contes-tataires par leur habile utilisation des médias etdes nouvelles technologies (Internet), mais aussipar le lien qu’ils établissent entre le local etle global, entre leur lutte spécifique et une « rébellion anti-néo-libérale 2 » globale rejetantle processus de mondialisation. Ces débats ontégalement impliqué, pour la première fois, l’opi-nion publique, qui se révèle extrêmement parta-gée sur le thème de l’ouverture. En ont témoignéles résultats du référendum français sur le traitéde Maastricht, adopté à une courte majorité(51 %), ou les enquêtes d’opinion outre-Atlan-tique à propos de l’Alena.

Seattle : l’explosion de la contestation

Les manifestations de Seattle à l’occasionde la conférence ministérielle de l’Organisa-tion mondiale du commerce (O.M.C.), ennovembre-décembre 1999, représentent laseconde étape décisive dans le débat sur la mon-dialisation. Plusieurs évolutions sont notablespar rapport à la période précédente. Le cadre dela mondialisation est désormais en place. Unezone de libre-échange a été instaurée en Amé-rique du Nord par l’Alena. L’O.M.C. a été ins-tituée par l’Acte final du cycle de l’Uruguay,signé à Marrakech en 1994. La diffusion d’In-ternet explose littéralement, tout comme ce quel’on appelle la « nouvelle économie », fondée surla diffusion des nouvelles technologies de l’in-formation et de la communication. Enfin, l’euroest lancé le 1er janvier 1999. Apparaissent égale-ment les premières difficultés, avec les crisesmonétaires et financières en Asie de l’Est, enRussie ou en Amérique latine, ainsi que lespremières formes de contestation de la mon-dialisation, cette fois en tant que cible explicite

des critiques, que l’on appelle alors « l’anti-mondialisation ».

En effet, cette contestation n’a pas com-mencé à Seattle. Ses grandes caractéristiques,comme les campagnes internationales, la consti-tution de réseaux transnationaux ou les manifes-tations spectaculaires, étaient déjà présentesavant la conférence ministérielle de l’O.M.C. Àpartir de 1995, d’importantes campagnes inter-nationales se mettent en place. Elles visent l’ac-tivité d’acteurs de la mondialisation, comme lesinstitutions de Bretton Woods (campagne « Fiftyyears is enough » à l’occasion de leur cinquantièmeanniversaire), ou des entreprises multinationales(campagne obligeant Shell à revenir sur son pro-jet de sabordage d’une plate-forme de stockageen mer du Nord, campagne anti-sweatshopscontre les conditions de travail chez les sous-traitants d’entreprises de l’industrie de la chaus-sure, comme Nike). Elles s’opposent égalementà un projet d’approfondissement du processuspar la libéralisation des investissements (projetd’A.M.I. négocié à l’O.C.D.E.). La fin des négociations sur l’A.M.I. en décembre 1998 estconsidérée par les contestataires comme leurpremière victoire, même si leur contributionréelle à cet échec s’avère en fait beaucoup pluslimitée que ce qu’ils affirment. Enfin, la cam-pagne internationale en faveur de l’annulation de la dette des pays les plus pauvres (Jubilé2000), à partir de 1996, recueille quelque 24 millions de signatures, ce qui est sans précé-dent pour ce type d’initiative.

Des réseaux internationaux de mouvementsprotestataires se constituent, avec l’IFG, l’Actionmondiale des peuples contre le libre-échange etl’O.M.C. pro-zapatiste (1998), le mouvement

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2. Sous-commandant Marcos, « La quatrième guerremondiale a commencé », Le Monde diplomatique, août 1997.

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international Attac (1998) ou Direct Action Network, un réseau de mouvements anarchistesnord-américains (1999). Avant même Seattle,des manifestations spectaculaires se produisentégalement lors de sommets (« euromarches »convergeant à Amsterdam en 1997, à l’occasiondu Conseil européen ; immense chaîne humaineformée lors du sommet du G7 à Birmingham, en mai 1998) ou dans des lieux hautement sym-boliques (violentes manifestations au cœur de laCity à Londres, en juin 1999 ; « démontage »d’un restaurant McDonald’s à Millau, en août de la même année, par José Bové et d’autresmilitants de la Confédération paysanne). Durantcette période, réapparaissent enfin d’importantsmouvements sociaux relativement populaires,comme les grèves du secteur public en Francefin 1995, décrites à l’époque par Le Mondecomme « la première révolte contre la mondiali-sation 3 », les actions de mouvements de défensedes « sans » (sans papiers, sans logement, sansemploi), ou encore les grandes grèves de 1996-1997 en Corée du Sud.

Les manifestations de Seattle représententmalgré tout un tournant décisif. En effet, jus-qu’alors les différents groupes contestatairess’exprimaient plutôt de façon séparée. Or, àSeattle, pour la première fois, se forme une asso-ciation des syndicats et des O.N.G., ce que l’on aalors appelé la coalition « turtle-teamster », fai-sant référence aux défenseurs des tortues et auxcamionneurs syndiqués. Ces groupes manifes-tent ensemble autour d’objectifs communs, enl’occurrence bloquer l’organisation concrète desréunions et surtout empêcher le lancement d’unnouveau cycle de négociations commercialesmultilatérales, le « cycle du Millénaire ». Lenombre de manifestants est très élevé (environ50 000) et des dégradations de biens sont com-mises par des groupes radicaux. Les contesta-

taires parviennent à perturber l’organisation pra-tique du sommet et à créer un tel chaos dans laville qu’un couvre-feu est décrété par les autori-tés, et ceci pour la première fois depuis la guerredu Vietnam (il faut cependant noter que cetteconfusion est aussi largement liée à l’imprépara-tion des forces de l’ordre et aux carences de l’or-ganisation du sommet). Parallèlement, lesnégociations échouent.

La masse des manifestants et les actes dedésobéissance civile, la confusion régnant dansla ville, la désorganisation du sommet, l’émer-gence d’un front commun des pays du Sud y participant et l’échec du lancement du cycle duMillénaire ont alimenté, à tort, l’idée selonlaquelle l’échec de Seattle était à mettre au cré-dit des contestataires. Il n’en reste pas moins que leur présence massive et le retentissementde leurs manifestations, mais aussi de cet échec,ont ouvert une brèche dans le consensus globalqui existait jusqu’alors sur les bienfaits de lamondialisation. Ces événements ont ainsi donnéun écho sans précédent à la critique de la « mon-dialisation libérale » et ont fait prendreconscience aux responsables qu’il existait bienun malaise face à ce processus.

La formule « gagnante » de Seattle – vastecoalition de groupes disparates, masse de mani-festants pacifiques, actions visant à bloquer l’or-ganisation des sommets et violence des radicaux– est alors reproduite lors de chaque grande réunion internationale, le sommet de Gênes(G7/G8) de juillet 2001 en constituant l’apogée,avec ses 200 000 manifestants pacifiques, sesviolences et le premier décès d’un activiste.Cette vague de manifestations crée alors un rap-port de force de plus en plus favorable aux idéesdéfendues par les contestataires de la mondiali-

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3. Le Monde, 7 décembre 1995.

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sation. Ces derniers réussissent même à façon-ner un climat général de vigilance et de suspi-cion face au processus de mondialisation et àceux qui sont considérés comme ses « acteurs » :les gouvernements des pays riches, les firmesmultinationales ou les grandes institutions mul-tilatérales. Les responsables gouvernementaux,d’entreprises ou d’institutions internationalessont désormais tenus de répondre d’une manièreou d’une autre à leurs critiques, sous peine defaire l’objet d’une vigoureuse campagne inter-nationale et, par conséquent, de fortement nuireà leur image et à leur crédibilité. La mise en placed’organismes consultatifs ou de mécanismes deconsultation avec les acteurs de la société civilepar des organisations internationales, comme laBanque mondiale à travers son comité O.N.G.,ou des firmes multinationales particulièrementmises en cause, telles que Shell 4 ou Monsanto 5,sont autant de symptômes de cette influencenouvelle des contestataires.

La redéfinition de la contestationaprès le 11 septembre

Les attentats perpétrés aux États-Unis,notamment contre le World Trade Center, sym-bole de la puissance économique et financièreaméricaine et de la mondialisation, et ses consé-quences internationales (lutte antiterroriste,interventions en Afghanistan puis en Irak) ontbrisé cette dynamique en ouvrant une nouvellephase dans le débat sur la mondialisation. Cedébat reste public, mais il semble être passé ausecond plan des priorités internationales. Omni-présent tout au long des années 1990, il paraît en effet avoir perdu de son caractère central auprofit des enjeux de sécurité interne et externe.

Ces nouvelles conditions remettent en cause le « mouvement pour la justice globale » tel qu’il apu se « structurer » à Seattle, ses modes d’actionet son type de critiques.

Les défis d’un nouveau contexte global

Depuis les attentats aux États-Unis, le nou-veau contexte global est dominé par la luttecontre le terrorisme et la prolifération des armesde destruction massive, de nouvelles tensionsinternationales (Israël-Palestine, Inde-Pakistanou Irak), une dégradation de la situation écono-mique, la domination des gouvernements decentre droit au sein des principaux pays indus-trialisés et la montée des mouvements radicaux(national-populisme en Europe, droite néo-conservatrice aux États-Unis). Les préoccupa-tions post-11 septembre ne sont plus, parconséquent, les mêmes que celles qui existaientau moment des manifestations de Seattle. Ellesapparaissent beaucoup plus immédiates et « matérialistes », en liaison avec le ralentissementde l’activité économique, et beaucoup plus sécu-ritaires, tant sur le plan interne qu’externe.

Ce nouveau contexte représente un véritabledéfi pour la mouvance contestataire. En effet, lacontestation de la mondialisation est apparue ets’est développée dans la seconde partie desannées 1990, c’est-à-dire durant la période post-guerre froide qui se caractérisait par une paixinternationale (malgré la multiplication desconflits locaux particulièrement violents, enAfrique centrale ou dans les Balkans), une crois-sance économique globale et la domination des

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4. Première entreprise touchée par la critique, Shell atout particulièrement développé ses relations avec les O.N.G.et a été pionnière dans la promotion du développementdurable.

5. Monsanto a mis en place un Comité consultatif desbiotechnologies (C.C.B.), auquel participent des O.N.G.

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gouvernements de centre gauche au sein desprincipaux pays industrialisés. Ce contexteparaissait particulièrement favorable à la diffu-sion des valeurs et des préoccupations éthiqueset « post-matérialistes » véhiculées par les groupescontestataires, que ce soit l’équité, la justice, ladémocratie, la défense de l’environnement, desdroits de l’homme ou du développement despays du Sud.

Par ailleurs, depuis le 11 septembre, le thèmede la mondialisation est passé quelque peu ausecond rang des priorités internationales. Sur leplan interne, en particulier en Europe, les ques-tions d’insécurité et d’identité nationale sontdésormais au cœur des débats politiques. Lamontée des mouvements populistes sur le VieuxContinent entre 2000 et 2002, ou les résultats del’élection présidentielle en France, contraire-ment à ce à quoi l’on aurait pu s’attendre, n’onteu qu’un lointain rapport avec le thème de lamondialisation. Celui-ci ne paraît plus consti-tuer le débat central autour duquel les forcespolitiques, syndicales et associatives doivent sepositionner, comme ce fut le cas entre Seattle etGênes. Ce déclassement du thème de la mon-dialisation explique, en grande partie, le faibleretentissement médiatique des manifestations decontestation depuis septembre 2001, en parti-culier dans les médias anglo-saxons. Alors queplus d’une centaine d’articles étaient consacrésau Forum social mondial (F.S.M.) de PortoAlegre de 2003 dans les quotidiens nationauxfrançais, leur nombre a été beaucoup plus faibledans leurs équivalents britanniques (avec unevingtaine d’articles) et a fortiori américains (qua-siment aucun article sur ce thème).

La remise en cause des modesd’action nés à Seattle

Depuis le 11 septembre 2001, la mise enœuvre de la formule « gagnante » de Seattle estdevenue de plus en plus difficile. Les manifesta-tions massives lors de sommets, les actionsvisant à contrecarrer leur organisation et la vio-lence des éléments radicaux ne sont plus vrai-ment possibles. Cependant, les attentats auxÉtats-Unis n’ont fait, de ce point de vue, qu’ac-célérer des tendances qui étaient déjà percep-tibles auparavant.

La montée de la violence, tant en raison del’aggravation des actions commises par certainsmanifestants, notamment les Black blocs (jeunesradicaux masqués et vêtus de noir qui agissentpar groupes d’affinité lors de manifestations)que de la répression des forces de l’ordre (utili-sation de balles réelles à Göteborg et à Gênes,descente de police « musclée » dans les locauxdu Forum social de Gênes), a été la principalecaractéristique des sommets qui ont eu lieu en2001. Les gouvernements hôtes et les organisa-teurs de ces sommets ont réagi en prenant desmesures de sécurité exceptionnelles (Forum économique mondial de Davos, sommet desAmériques de Québec ou du G7/G8 à Gênes) etpar une stratégie d’évitement (annulation de laconférence annuelle de la Banque mondiale surle développement économique, initialement pré-vue à Barcelone à la fin du mois de juin ; déci-sion d’organiser les sommets dans des lieuxéloignés et difficiles d’accès : à Doha, au Qatar,pour l’O.M.C. en novembre 2001, ou à Kana-naskis au Canada pour le G7/G8 en juin 2002).Aux craintes de menaces de violences des élé-ments les plus radicaux se sont ajoutées, bienévidemment, les menaces d’actions terroristes,qui avaient déjà incité les autorités italiennes à

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prendre des mesures de sécurité spécifiques àGênes.

Après les attentats aux États-Unis, lesgroupes contestataires ont donc de plus en plusde difficultés à organiser des manifestations lorsdes sommets, à l’exception des Conseils euro-péens (Laeken, Barcelone ou Séville). Ils ont étédans l’obligation de s’adapter à ce nouveaucontexte en sortant de l’ambiguïté face à la vio-lence et en privilégiant leurs propres manifesta-tions. Depuis les affrontements de Göteborg, lors du Conseil européen de juin 2001, le débatsur la violence des radicaux commençait à divi-ser les contestataires. Certains condamnaient lesauteurs des violences et considéraient qu’à terme celles-ci seraient préjudiciables à la mou-vance en contribuant à masquer la perception de son message et à la discréditer aux yeux del’opinion. D’autres préféraient ne pas trancher et condamnaient autant les « ultras » que larépression et la « criminalisation » de la contes-tation. Les attentats du 11 septembre semblentavoir clos ce débat en incitant les contestatairesà prendre leurs distances vis-à-vis des groupesles plus violents, et ce, afin d’éviter toute tenta-tive d’amalgame entre terrorisme, anti-américa-nisme, violence et contestation. Cela a été toutparticulièrement le cas à Porto Alegre, début2002, où un certain nombre de groupes, dont les Farc (Forces armées révolutionnaires deColombie) ou la branche politique de l’organi-sation basque ETA, Herri Batasuna, n’ont pas étéadmis. De même, à Florence, lors du Forumsocial européen (F.S.E.), en novembre 2002,aucune violence n’a été déplorée, en dépit descraintes du gouvernement italien après lesaffrontements de Gênes l’année précédente. Lesmanifestations de Gênes marquent donc à la foisl’apogée de cette combinaison de la masse desmanifestants pacifiques et de la violence des plus

radicaux, qui était née à Seattle, et certainementson dernier épisode, du moins sous cette formespécifique.

Les groupes protestataires privilégient deplus en plus leurs propres manifestations à tra-vers lesquelles ils tentent de définir des stratégieset des modes d’actions communs, ainsi qu’unealternative à l’actuel processus de mondialisa-tion. Ces manifestations se déroulent principale-ment dans le cadre du Forum social mondial. Lesecond et le troisième F.S.M., qui ont eu lieu une nouvelle fois à Porto Alegre, ont d’ailleursremporté un vif succès en accueillant quelque60 000 personnes en 2002 et 100 000 personnesdébut 2003. Ce Forum se décline désormais àl’échelle régionale et nationale. Un Forum socialeuropéen, qui a réuni environ 60 000 partici-pants, a ainsi été organisé à Florence, tandisqu’un Forum social asiatique (F.S.A.) s’est tenuà Hyderabad, en Inde, en janvier 2003. Desforums sociaux nationaux se sont égalementtenus, par exemple, en Belgique et au Québec en septembre 2002.

Une protestation post-11 septembre

Les groupes qui rejettent la « mondialisationlibérale » n’ont pas uniquement adapté leursmodes d’action au nouveau contexte global, ilsont aussi redéfini leur discours et leurs proposi-tions. En privilégiant leur propre processus,à travers l’organisation de forums sociaux, cesgroupes, au-delà de la simple énonciation de cri-tiques et des campagnes d’opposition, tendent àmettre de plus en plus l’accent sur la définitiond’alternatives et de propositions concrètes. Lesprincipaux groupes impliqués dans la mouvancecontestataire ont ainsi publié des rapportsdéfinissant leur vision d’une mondialisationalternative. Ce fut le cas récemment d’Oxfam

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international 6, de l’IFG 7 ou de l’US CivilSociety Coalition 8. Entre Seattle et Gênes, ilexistait une sorte de consensus au sein de lamouvance contestataire sur la base d’une mêmecritique de la « mondialisation libérale ». Or, lapublication de ces rapports a révélé l’existencede fortes divergences entre ces différents groupes,voire de visions souvent opposées de la mondia-lisation et de sa gouvernance.

Le rapport d’Oxfam international, tout enreprenant les principales revendications de lamouvance contestataire, défend ainsi l’idéed’une « mondialisation intégratrice » (« inclusiveglobalisation »). Pour l’O.N.G. britannique, ledéveloppement des pays pauvres et la luttecontre la pauvreté passent par leur intégrationaux flux de mondialisation, et donc par leur libreaccès aux marchés des pays du Nord, notam-ment dans les secteurs agricole et textile. Cequ’elle critique et ce qu’elle souhaite réformer enpriorité, c’est par conséquent la forme actuellede gouvernance qui favoriserait des échangesinéquitables au profit des intérêts des gouverne-ments des pays riches, des institutions multilaté-rales ou des firmes multinationales. Elle défendl’idée que le commerce serait un outil particuliè-rement efficace pour aider les pays du Sud à sor-tir de leur pauvreté et que l’économie deces pays doit être en grande partie orientée versl’exportation.

Le rapport de l’IFG développe une approchetotalement opposée de l’économie et de la mon-dialisation. Il semble représenter le point de vuedominant dans la contestation nord-américaineet des pays du Sud. Il a d’ailleurs été rédigé parquelques-unes des plus grandes figures de lacontestation : Maude Barlow (Council of Cana-dians), Walden Bello (Focus on the GlobalSouth), John Cavanagh (Institute for Policy Stu-dies), Martin Khor (Third World Network),

Vandana Shiva (Foundation for Science, Tech-nology & Ecology) ou Lori Wallach (GlobalTrade Watch). Il privilégie plutôt ce que Wal-den Bello appelle la « déglobalisation 9 », ainsique la « localisation » et l’indépendance (self-reliance) des unités locales. Le système écono-mique alternatif défini par l’IFG doit répondreen priorité aux besoins locaux et impliquer le « contrôle démocratique » des communautés oudes États-nations. Il promeut, en fait, une nou-velle forme de développement autocentré en rupture avec le principe du libre-échange, commeavec celui d’une mondialisation qui se réaliseraitau seul profit des entreprises multinationales.Dans ce contexte, la gouvernance globale doit seréduire à une simple coopération entre les com-munautés sur des thèmes globaux, comme lechangement climatique, suivant le principe desubsidiarité et la prédominance de la « souverai-neté locale ».

L’autre évolution notable des thématiquesdéveloppées par les « No global » est l’adaptationde leurs critiques à la nouvelle situation interna-tionale, alors que le thème même de mondia-lisation apparaît désormais secondaire dansl’agenda international. La mouvance contesta-taire tend à se muer progressivement en un mou-vement de protestation globale contre touteforme de pouvoir arbitraire et d’injustice, au-delà de la seule thématique de la mondialisation.Ainsi, pour nombre d’activistes, la dénonciationde la guerre est désormais mise sur un mêmeplan que la critique de la mondialisation, les

Eddy FougierLa mondialisation en débat

6. Rigged Rules and Double Standards. Trade, Globali-sation, and the Fight against Poverty, Londres, 2002.

7. A Better World Is Possible ! Alternatives to EconomicGlobalization, Berrett-Koehler, San Francisco, 2002.

8. Responsible Reform of the World Bank. The Role of theUnited States in Improving the Development Effectiveness ofthe World Bank Operations, 2002.

9. Walden Bello, Deglobalization : New Ideas for Runningthe World Economy, Zed Books, Londres, 2003.

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États-Unis étant en ligne de mire dans les deuxcas. En ont témoigné les imposantes manifesta-tions de Florence et de Porto Alegre contre laguerre en Irak, ainsi que la participation massivedes groupes contestataires aux manifestationspacifistes, le 15 février 2003, ou après le déclen-chement des hostilités. En effet, si, durant lesannées 1990, la critique portait sur une mondia-lisation qui se déploierait au nom des intérêts desentreprises multinationales, notamment amé-ricaines, depuis le 11 septembre, et tout particu-lièrement à propos de l’affaire irakienne, celle-ciporte de plus en plus sur la politique extérieureet de sécurité de l’« Empire » américain aunom des intérêts économiques et militaires deWashington. Les contestataires tendent même àrelier guerre et mondialisation en dénonçant les« pressions économiques et militaires visant àimposer le modèle néo-libéral 10 » et l’alliancedu « néo-libéralisme » et du « militarisme 11 », lesecond étant, selon eux, un moyen d’imposer lepremier par la force. La construction d’un rap-port de force passe donc désormais par d’autrescanaux que par les manifestations d’oppositionlors de sommets, et par la promotion d’autresthématiques que la dénonciation des injusticesen liaison avec la mondialisation au nom de ladéfense des « exclus ».

L’avenir incertain de la contestation

Contre toute attente, la mouvance de contes-tation de la mondialisation a donc survécuau 11 septembre. Elle a montré ses capacitésd’adaptation au nouveau contexte induit par lesattaques terroristes et la réaction américaine àces attentats. Elle est par conséquent loin d’êtreun simple feu de paille. Son avenir n’en est pas

pour autant dégagé. Elle reste à la merci d’uneévolution aléatoire de la situation internationale,notamment liée aux conséquences de la guerreen Irak. Par ailleurs, elle se heurte à un certainnombre d’écueils qui ont trait à son rapport aupouvoir.

Les contestataires ont tiré les enseignementsdes expériences protestataires passées en lamatière, ce qui leur a permis d’éviter quelquesimpasses. Mais cela souligne également certainesdes limites de leur entreprise. Principale leçondu passé et du double échec de l’expériencesoviétique et du terrorisme rouge des années1970, ils n’aspirent plus à la conquête et à l’exer-cice du pouvoir, ni a fortiori au « grand soir » parla conquête violente du pouvoir en vue de trans-former radicalement la société et le système éco-nomique. Ils considèrent que le « mouvement »ne doit en aucun cas se transformer en force politique ou en une nouvelle Internationale, etqu’il doit, par conséquent, rester pluriel dans sacomposition et son opinion. Son objectif est bien plutôt de former un contre-pouvoir face àceux qu’ils considèrent comme les principaux « acteurs » de la mondialisation et de gagner ledébat des idées contre le « néo-libéralisme », etce, en développant une contre-expertise et en sefondant sur une protestation de masse suscep-tible de créer un rapport de force favorable.Cependant, leur refus de donner une expressionproprement politique à leur mouvance, deconquérir le pouvoir, de passer par le jeu électo-ral à l’échelle nationale, ou encore d’éviter toutetentative de récupération, notamment politique,ou de promiscuité trop grande avec les diffé-

Eddy FougierLa mondialisation en débat

10. Appel des mouvements sociaux, F.S.M., PortoAlegre, 2003.

11. Résistance au néo-libéralisme, à la guerre et au milita-risme : pour la paix et la justice sociale, Appel des mouvementssociaux, F.S.M., Porto Alegre, 2002.

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rentes formes de pouvoir, limite grandement leur influence. Ce fut le cas d’Attac en Francedurant la campagne présidentielle où, malgré son influence certaine sur le débat d’idées, lepoids de l’association a été plutôt faible, la thé-matique contestataire ayant été récupérée par uncandidat comme Olivier Besancenot. Le rapportau politique et au pouvoir sera donc certaine-ment l’un des enjeux clefs pour la mouvancecontestataire dans les années à venir. En effet,comment peut-elle espérer influencer les sphèresdécisionnelles politiques, économiques, régio-nales ou internationales en refusant à la fois toutcontact avec ces dernières et toute tentative deprise de pouvoir ? Et comment peut-elle envisa-ger entrer dans des mécanismes de consultation,voire de décision, sans perdre pour autant de sadimension critique et son lien avec le terrain etles préoccupations des militants de base ?

Une alliance Porto Alegre-Davos ?

Ces préoccupations ne sont pas nouvelles.Les clivages entre socialistes et communistes ou,par exemple, entre Fundis et Realos chez lesVerts allemands reflétaient déjà cette approchedifférenciée du pouvoir. Au sein de la mouvancecontestataire, on peut également percevoir, d’unepart, l’existence d’une approche plutôt réfor-miste, plus pragmatique, développée par ceuxqui sont prêts à accepter un dialogue, voire unecoopération, avec les pouvoirs, et, d’autre part,une approche plutôt radicale, défendue par tousceux qui se refusent à envisager une telle pro-miscuité, synonyme pour eux de compromissionet de reniement. Dans les faits, la délimitationd’une telle ligne de clivage n’est cependant pastoujours aisée. Attac, par exemple, se situe parmiles réformistes pour les uns et parmi les radicauxpour les autres. Il n’en reste pas moins qu’en

certaines occasions cette dichotomie est visible.Ainsi, le rapport d’Oxfam, qui se situe dans uneoptique plutôt réformiste, comme on a pu le voir, a fait l’objet de vives critiques de la part defigures contestataires du Sud plus radicalescomme Walden Bello ou Vandana Shiva, ou d’un groupe comme Earth First.

Dans ce contexte, on peut émettre l’hypo-thèse d’une formation de compromis pragma-tiques entre la frange la plus réformiste descontestataires et les responsables les plus ouvertsà la critique. C’est notamment ce que pense le commissaire européen chargé du Commerceinternational, Pascal Lamy : « Il n’est donc pasexclu que nous soyons entrés dans une phasenouvelle : incertaine, contradictoire et complexecertes, mais aussi potentiellement propice àdes compromis et arrangements entre forcesréformistes décidées à surmonter les problèmesd’acceptabilité sociale et politique de la mondia-lisation 12. » On le voit d’ores et déjà à traversdiverses tentatives de rapprochement ou initia-tives de part et d’autre. Ainsi, la Commissioneuropéenne a non seulement rédigé un mémo-randum en réponse à la publication du rapportd’Oxfam 13, mais a aussi déclaré, par la voixde Pascal Lamy, partager « totalement la philo-sophie au fondement de ce rapport ». La maintendue par le Premier ministre belge GuyVerhofstadt dans sa Lettre ouverte aux altermon-dialistes 14 se situe dans cette même logique. Ducôté des organisations de la société civile, le rap-port de l’US Civil Society Coalition 15, coalitionde grandes organisations de la société civile amé-ricaine (AFL-CIO, Bank Information Center,

Eddy FougierLa mondialisation en débat

12. Pascal Lamy, « Après Doha. Les chemins de la gou-vernance mondiale », Les Cahiers En temps réel, n° 1,février 2002.

13. Commission, Mémorandum, 22 avril 2002.14. Libération, 18 octobre 2002.15. Op. cit. supra note 8.

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CPER, Friends of the Earth, Jubilee USA,Oxfam America, Public Citizen et de nombreusesorganisations religieuses), développe lui aussiune approche très réformiste en se donnant pourobjectif de transformer la Banque en une « insti-tution globale de développement efficace ». Lesinitiatives de l’O.N.G. World Wildlife Fund(WWF) en direction des entreprises (accord departenariat stratégique avec l’entreprise Lafargeet octroi d’un label à un fabricant italien depâtes) et la certification par l’O.N.G. RainforestAlliance de la banane Chiquita (Better BananaProject) constituent autant d’exemples de parte-nariats entre des O.N.G. réformistes et desacteurs privés dont les pratiques étaient jus-qu’alors plutôt controversées : le cimentierLafarge dans le domaine de l’environnement, etl’entreprise Chiquita, ex-United Fruit, en matièrede respect de normes sociales et environnemen-tales. Ces tendances, critiquées par certainscontestataires, sont, malgré tout, appelées à sedévelopper.

La contestation dans un seul pays ?

Si le clivage réformistes-radicaux constitueun trait commun de la mouvance contestataireactuelle avec les mouvements protestataires pas-sés, elle s’en différencie pourtant sur deux pointstrès précis. Aujourd’hui, l’idée d’une alternativeglobale à la démocratie de marché, la fameuse « fin de l’Histoire » de Francis Fukuyama, relèvetrès certainement de l’utopie. Le projet de taxeTobin, par exemple, ne vise pas à créer un sys-tème économique alternatif au capitalisme, maisà mettre en place une forme de gouvernance etde redistribution des richesses à l’échelle globalequi soit plus équitable pour les pays pauvres.Plus qu’une alternative globale, la contestationactuelle va plutôt sécréter des micro-alternatives

ou des poches d’alternatives comme il en existedéjà sur le plan économique, avec l’économiesociale et solidaire par rapport à l’économie marchande ou le commerce équitable par rapportau commerce international, ou, sur le plan politique, avec les expériences de démocratieparticipative telles qu’elles ont pu se développerdans la ville de Porto Alegre. L’exemple de laguérilla du Chiapas montre que les zapatistesn’aspiraient pas au lancement d’une révolutionmondiale, mais plutôt à l’instauration d’un « traitement différencié » pour les Indiens de larégion.

L’autre différence notable est l’absence depays mettant en œuvre une véritable alternative à une échelle nationale et qui pourraient êtreérigés en modèles, à l’instar de l’Union sovié-tique dans les années 1920-1930. En la matière,il convient cependant de suivre avec attention lesexpériences sud-américaines à la suite de l’ar-rivée au pouvoir de gouvernements de gauchedéfendant des thèses proches de celles des oppo-sants à la « mondialisation libérale », avec LucioGutierrez, qui a été élu à la présidence de l’Équa-teur en novembre 2002, et surtout Lula (LuizInacio Lula da Silva) du Parti des travailleurs(P.T.), élu président de la République du Brésilen octobre 2002. En effet, leur campagne, prin-cipalement axée sur les thèmes de la lutte contrela pauvreté et la corruption, a été soutenue pardes mouvements sociaux et la gauche alterna-tive : mouvement Pachakutik (MUPP-NP) enÉquateur et Mouvement des sans-terre au Brésil.Par ailleurs, le P.T., au Brésil, a été l’une deschevilles ouvrières de l’organisation du F.S.M.de Porto Alegre, municipalité dirigée par ceparti, tandis que Lula lui-même a été l’une desgrandes figures des différents forums. En mêmetemps, ces nouvelles présidences font face à denombreuses contraintes, qui sont à la fois poli-

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tiques (difficultés à constituer une majorité par-lementaire), économiques (relations avec lesentreprises privées et les acteurs financiers) etinternationales (relations avec le F.M.I. etWashington) qui montrent les limites de l’appli-cation d’une « politique contestataire » dans unseul pays. Gutierrez et Lula semblent s’êtredonné pour objectif de combiner orthodoxie économique (discipline budgétaire et monétaire,respect de l’accord avec le F.M.I. sur le rem-boursement des échéances de la dette) et inno-vations sociales, dont l’exemple le plussymbolique est le programme brésilien « Faimzéro » de lutte contre la malnutrition. Cette « troisième voie », certainement plus sociale quecelle développée par Bill Clinton 16 ou TonyBlair, constitue un pari ambitieux, mais risqué,d’autant plus que leur marge de manœuvreparaît des plus étroites. Ils doivent, en effet, évi-ter de soulever une opposition à la fois interna-tionale (F.M.I., marchés financiers, États-Unis)et interne (l’exemple d’Hugo Chavez au Vene-zuela servant certainement de contre-exemple dece point de vue), sans pour autant décevoir leursélecteurs et leurs soutiens, dont les attentesparaissent immenses. Ces tentatives visant àcombiner un programme social proche de la

vision alternative des contestataires et uneapproche économique réaliste pourraient parconséquent être très riches d’enseignements.Leur réussite est susceptible de favoriser l’aileréformiste de la contestation et de servir demodèle pour une alternative « réaliste » en mon-trant que les préoccupations économiques etsociales ne sont pas incompatibles, tandis queleurs difficultés à réaliser leurs promesses, ouleur reniement, tendraient à radicaliser la mou-vance contestataire qui considérerait alors le « système » comme définitivement non réfor-mable. Au-delà de l’environnement internatio-nal, la réussite ou l’échec de ces expériencesgouvernementales constituera donc une donnéefondamentale de l’évolution de la contestationde la mondialisation, le risque de désillusionétant à la hauteur des espoirs soulevés dans lespopulations locales et au sein des groupescontestataires, comme on a pu le voir lors de lavisite de Lula à Porto Alegre, début 2003.

Eddy Fougier.

Eddy FougierLa mondialisation en débat

16. Sur ce thème, voir Eddy Fougier, « Y a-t-il un clin-tonisme ? L’héritage d’un président controversé », Le Débat,n° 115, mai-août 2001.

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