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81 LA MUSARAIGNE Son utilité dans les Champs et les Jardins Le mot Musaraigne dérive du latin mus, rat, souris, et aranea araignée, allusion à ia forme de ce petit animal qui rappelle celle de la souris et a ses habitudes carnassières: les araignées, les limaces, les cloportes, les insectes et leurs larves composent, en effet, toute sa nourriture. Ce genre, l'un des plus naturels de l'ordre des Insecti- vores, fut créé par Linné et adopté par lous les zoolo- gistes. « II renferme de petits mammifères, qui ont lous l'apparence de la souris, mais avec une tète plus allon- gées, des oreilles plus courtes, un nez long el pointu, des dents et des moeurs très différentes de celles des Ron- geurs. Leurs incisives fortes et proclives, rappellent cependant un peu celles de ces derniers, mais elles sont suivies de chaque côté d'autres dénis plus petites, à la place où l'on trouve un vide ou barre chez les rongeurs; la dentition esl dans son ensemble excessivement car- nassière el robuste (1). » On compte dans l'Orne trois espèces de Musaraignes, la vulgaire ou Carrelet, la Crocidure araniçore dési- gnées indiffère mm eut sous les noms populaires de (1) D r Trouëssart, Les Mammifères de France, Paris, Deyrolle, lû-8° (s. d.), p. 75.

LA MUSARAIGNE - affo-nature.org · de la Musaraigne ne contiennent aucun venin; « les « insectes seuls ont à les redouter, non qu'elles soient « empoisonnées d'une façon quelconque,

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LA MUSARAIGNE

Son utilité dans les Champs et les Ja rd ins

Le mot Musaraigne dérive du latin mus, rat, souris,et aranea araignée, allusion à ia forme de ce petitanimal qui rappelle celle de la souris et a ses habitudescarnassières: les araignées, les limaces, les cloportes,les insectes et leurs larves composent, en effet, toute sanourriture.

Ce genre, l'un des plus naturels de l'ordre des Insecti-vores, fut créé par Linné et adopté par lous les zoolo-gistes. « II renferme de petits mammifères, qui ont lousl'apparence de la souris, mais avec une tète plus allon-gées, des oreilles plus courtes, un nez long el pointu, desdents et des mœurs très différentes de celles des Ron-geurs. Leurs incisives fortes et proclives, rappellentcependant un peu celles de ces derniers, mais elles sontsuivies de chaque côté d'autres dénis plus petites, à laplace où l'on trouve un vide ou barre chez les rongeurs;la dentition esl dans son ensemble excessivement car-nassière el robuste (1). »

On compte dans l'Orne trois espèces de Musaraignes,la vulgaire ou Carrelet, la Crocidure araniçore dési-gnées indiffère mm eut sous les noms populaires de

(1) Dr Trouëssart, Les Mammifères de France, Paris, Deyrolle,lû-8° (s. d.), p. 75.

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Miseraigne, Miserenne, Miserette, et la Musaraigned'eau appelée Taupillon, particulièrement aux environsde Gacé et de la Ferté-Fresnel.

Les deux premières différent surtout par la colorationde la pointe des dénis, qui est rouge chez le Carrelet etblanche chez l'Aranivore. Le Carrelet a le pelage desparties supérieures épais et velouté comme celui de laTaupe, tandis qu'il est d'un gris brun ou de gris sourischez l'Aranivore. Cette dernière espèce présente aussi degrands poils parsemés sur toute la queue au milieu despoils fins, qui la recouvrent.

Toutes deux ont d'ailleurs à peu près les mêmes habi-tudes et nous rendent les plus grands services par ladestruction énorme d'Insectes qu'ils font dans les champs,les prairies et les jardins. « La Musaraigne, dit J.-H.Fabre, a les goûts de la Taupe. C'est un ardent chasseurde menu gibier, un mangeur de larves et d'insectes,comme le témoignent ses dents finement dentelées. Soncorps fluet, capable de se glisser dans le moindre trou,son long museau propice à l'exploration du plus étroitrecoin, lui permettent de fureter partout où la verminetrouve un asile. Gare au cloporte roulé en boule dansune fissure du mur, à la limace abritée sous la pierre ;la Musette saura bien les atteindre, elle si petite, quitrouverait à se loger dans une coquille de noix. Vaine-ment ils se cachent ; la Musaraigne n'a pas besoin deles voir pour les découvrir. De son flair subtile elle lesdevine; pour peu qu'ils remuent, elle les entend. Lesclapiers des scarabées, les garennes des larves, lescachettes du moindre ver n'onl pas de secrets pour elle.On pourrait l'appeler le furet des Insectes » (1),

La Crocidure aranivore se voit dans les champs et

(1) J.-H. Fabre, Les Auxiliaires, récits de l'oncle Paul sur lesanimaux utiles à l'agriculture. Paris, Delagrave, 6e édlt. 1894, in*8°,p. 59.

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ies jardins au voisinage des habitations. Le Carrelet estd'une nature plus sauvage ; il fréquente les bois et lesprairies humides; plus robuste que l'Aranivore il fait lachasse aux Campagnols et aux Mulots, qu'il va chercherjusque dans leurs trous à la manière du furet.

Durant l'hiver ces deux Musaraignes, pour éviter lesgrands froids gagnent les granges, les écuries, les éta-bles ; parfois même elles viennent jusque dans nosdemeures. Elles fréquentent beaucoup les maisonsinfestées par les Blattes, qu'elles détruisent en grandnombre; elles font aussi la guerre aux Souris.

Les Musaraignes terrestres sont, comme je l'ai dit,exclusivement carnassières ; jamais elles ne touchent niaux légumes, ni aux fruits, ni aux graines, leur systèmedentaire s'y oppose absolument. Elles méritent ainsid'être protégées. Ce sont, comme les Chauves-Souris,des auxiliaires qui nous rendent des services gratuits,sans nous les faire payer en aucune façon.

Et cependant des serviteurs aussi utiles, aussi désin-téressés, sont encore regardes dans nos campagnescomme des êtres malfaisants, qu'il faut exterminer sanspitié. On les accuse de mordre les pieds des chevaux,de leur laire des blessures incurables. Mais «commentun petit animal, dont la tète est au plus grosse commeun pois, peut-il mordre un cheval et lui happer le cuirépais d'un doigt et plus ? »

Elles sont venimeuses, dit-on, même pour l'homme :préjugé non moins absurde que le, précédent. Les dentsde la Musaraigne ne contiennent aucun venin; « les« insectes seuls ont à les redouter, non qu'elles soient« empoisonnées d'une façon quelconque, mais parce« qu'elles les croquent très bien. »

Ce qui leur a valu cette réputation d'être venimeuses,c'est que les chats, les jeunes surtout, leur font lachasse et les étouffent, mais ne les mangent jamais. Mais

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ceci tient à ce qu'elles répandent, surtout à l'époque durut, une odeur musquée provenant de la matière, quisuinte des glandes de leurs flancs.

J'ai dit que les Musaraignes terrestres ont tout droit ànotre protection, je ne puis en dire autant de la Musa-raigne d'eau. C'est une espèce d'une taille un peu plusforte (jue les autres, qui habite au bord des rivières, desruisseaux, des mares et des étangs, où elle se creuse destrous le long des berges.

Elle nage, plonge et se submerge avec la plus grandeagilité, grâce à ses pieds très larges, bordés de poilsraid.es en guise de rames. Elle poursuit les Insectesaquatiques et leurs larves, les Batraciens, le Irai de pois-son et les petits poissons, dont elle fait sa nourriture.

Elle ne néglige pas non plus les Oiseaux, ceux surtoutqui nichent au bord des rivières, et qu'elle guette à lamanière des Chats. « Mais son grand régal est la cervellede Poisson, et pour satisfaire ce goût elle s'attaque auxcarpes de la plus grande taille, se cramponne sur leurfront, leur crève les yeux, trépane le crâne et suce acti-vement la substance cérébrale, puis elle abandonne lereste de la victime. On croirait difficilement que lacarpe, ce Léçiathan de nos rivières, puisse être détruitpar un animal à peine gros comme une souris, si l'onn'avait pas pris ce petit carnassier en flagrant délit » (1).La Musaraigne d'eau doit être rangée parmi les espècesnuisibles.

A.-L. LETACQ.

(1) DT Trouessart, loc. cit-, p. 96.