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This article was downloaded by: [Ams/Girona*barri Lib] On: 08 October 2014, At: 00:06 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Loisir et Société / Society and Leisure Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/rles20 La négociation du temps de travail et les composantes du référentiel temporel Jens Thoemmes a & Gilbert de Terssac b a Laboratoire d'automatique et d'analyse de systèmes LAAS b CERTOP-CNRS et Université de Toulouse Le Mirail Published online: 08 Jun 2013. To cite this article: Jens Thoemmes & Gilbert de Terssac (1997) La négociation du temps de travail et les composantes du référentiel temporel, Loisir et Société / Society and Leisure, 20:1, 51-72, DOI: 10.1080/07053436.1997.10715537 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.1997.10715537 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content.

La négociation du temps de travail et les composantes du référentiel temporel

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This article was downloaded by: [Ams/Girona*barri Lib]On: 08 October 2014, At: 00:06Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Loisir et Société / Society andLeisurePublication details, including instructions forauthors and subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rles20

La négociation du temps detravail et les composantes duréférentiel temporelJens Thoemmes a & Gilbert de Terssac ba Laboratoire d'automatique et d'analyse desystèmes LAASb CERTOP-CNRS et Université de Toulouse Le MirailPublished online: 08 Jun 2013.

To cite this article: Jens Thoemmes & Gilbert de Terssac (1997) La négociation dutemps de travail et les composantes du référentiel temporel, Loisir et Société /Society and Leisure, 20:1, 51-72, DOI: 10.1080/07053436.1997.10715537

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.1997.10715537

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LA NEGOCIATION DU TEMPS DE TRAVAIL ET LES COMPOSANTES

DU REFERENTIEL TEMPOREL

Jens THOEMMES

Laboratoire d'automatique et d'analyse de systemes LAAS

Gilbert DE TERSSAC

CERTOP-CNRS et Universite de Toulouse Le Mirail

Le temps de travail : de quoi parle-t-on?

Le temps de travail est une notion complexe, car elle renvoie a des pratiques multiples eta des conceptions differentes. Tout d'abord, Ies realites que cette notion est censee codifier lui echappent, puisqu'elle est souvent utilisee pour designer Ies activites professionnelles, comme si Ie travail etait limite au temps reserve par Ie salarie a son employeur. Ensuite, cette notion sert souvent a designer un temps objectif, repetitif, sequentiel, discontinu, lineaire, mesurable, quantitatif, comme si le temps subjectif, qualitatif, multiple, heterogene consti­tuait une autre realite exterieure au temps de travail. Enfin, le temps de travail est sou vent associe a une conception unique, universelle, rationnelle, abstraite, entierement orientee vers Ia performance, exterieure aux sujets et aux societes.

Neanmoins, les approches inscrites dans Ia tradition sociologique et exprimees en termes de temps sociaux (Sue, 1994) ou de temporalites sociales (Mercure, 1995) nous permettent de penser ensemble des realites differentes et surtout d'analyser I'ordre tempore) comme une construction sociale. Pour Sue (1994), il faut entendre par temps sociaux:

[ ... ] les grandes categories ou blocs de temps qu 'une societe se donne et se represente pour designer, articuler, rythmer et coordonner les princi­pales activites sociales auxquelles elle accorde une importance particu­liere. Les grands temps sociaux ou blocs de temps se de'composent generalement aujourd'hui en temps de travail, temps de /'education, temps familial, temps libre.

Loisir et soci6t6 I Society and Leisure Volume 20, num6ro I, printemps 1997, pp. 51-72 • ©Presses de l'Universit6 du Qu6bec

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Cette perspective relative a Ia decouverte des temps sociaux se retrouve dans les travaux de Mercure ( 1995): «Par temporalites sociales il faut entendre Ia realite des temps vecus par les groupes, c'est-a-dire Ia multiplicite des conduites temporelles et des representations du temps liees a Ia diversite des situations sociales et des modes d' activites dans le temps.» Selon cet auteur, les « temporalites sociales » ne peuvent etre analysees du seul point de vue de Ia repartition quantitative des activites dans le temps; il faut y ajouter, d'une part, Ia caracterisation de Ia multiplicite des temps sociaux, c'est-a-dire Ia diversite des temps vecus selon les individus, Ies groupes et Ies situations, et, d'autre part, Ia caracterisation des rythmes sociaux, c'est-a-dire Ia regula­rite et Ia discontinuite des evenements, Ia cadence et !'allure de nos activites. Dans cette maniere de voir les temps sociaux, il devient possible de considerer ensemble le temps des individus et des organisations, le temps des groupes sociaux et des institutions, le temps subjectif et le temps objectif. La tentation d'opposer ces deux realites provient d'une separation entre le cadre tempore) et les activites sociales, d'une opposition traitee dans un rapport soit de subor­dination des activites sociales aux temps produits par les institutions, soit de determination du cadre tempore! par Ie seul jeu des interactions sociales.

Le temps de travail constitue, dans Ia perspective esquissee, un champ de recherches particulierement interessant. II institue en effet une dissocia­tion entre, d'un cote, le temps de Ia production des biens et services, temps abstrait, vide de contenu et mesure de plus en plus rigoureusement, et de I' autre, le temps vecu, celui de Ia vie quotidienne, non uniforme et concret. Cette dissociation entre les temps sociaux dissemblables pose le probleme de leur «concordance~~ (Soupiot, 1995), de leur «synchronisation et de leur harmonisation a I' interieur du tissu social» (Mercure, 1995). Le temps de travail institue aussi une separation entre Ia vie de travail dans laquelle le temps constitue Ia mesure des activites professionnelles et Ia vie hors travail. Comme le souligne Naville ( 1969), cette separation constitue un enjeu social extremement important, puisqu'elle fragmente Ia vie sociale en deux, repartit les activites selon les durees et horaires et en rythme Ie deroulement. Le temps de travail definit egalement le cadre des activites sociales; il inscrit Ies acti­vites dans Ie temps et il rythme le passage d'une activite a !'autre. II nous semble bien contribuer a exprimer )'existence de ce que Pronovost (1996) appelle des «points reperes dans le temps, des marqueurs du temps».

Notre recherche sur le temps de travail a pour objectif d'expliquer comment les indi vidus « s' arran gent» pour faire des com prom is tempore Is dans ce climat de «discordance des temps», de dysharmonie entre les temps multiples, de distorsion, voire de rupture entre les temps heterogenes. Plutot que d'opposer des realites indissolublement liees, notre approche vise a essayer de les penser ensemble: a comprendre eta expliciter Ia diversite, voire l'heterogeneite des pratiques temporelles relativement aux manieres de

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concevoir le temps, l'ordre et le changement dans nos societes. Pour nous, le temps de travail n 'est pas un cadre preexistant aux pratiques sociales et determinant totalement leur deroulement, mais un lieu de conflit de rationa­lites du fait de Ia double dissociation qu'il institue, d'une part entre le temps du calcul ou de Ia production d'un cote et le temps vecu de Ia vie quotidienne de !'autre, et, d'autre part, entre le temps des activites professionnelles et le temps des activites non professionnelles. Notre hypothese de travail est que les arrangements temporels auxquels les acteurs procedent sont des construc­tions qui resultent de compromis entre des representations du temps et des representations contextuelles liees a Ia situation locale. Autrement dit, !'arran­gement tempore! est entendu comme cadre tempore! des activites, produit a coup de confrontations, de negociations et de conflits. C'est pourquoi nous proposons d'etudier les pratiques temporelles dans Ia perspective de Ia nature et du mode de construction negociee des arrangements temporels (premiere partie). Mais !'arrangement tempore! est aussi une traduction des represen­tations temporelles; c'est pourquoi nous proposons d'etudier les conceptions du temps qui jalonnent ces pratiques telles qu'elles sont exprimees par les responsables des organisations syndicales (seconde partie) et que nous appel­lerons les referentiels temporels (troisieme partie).

Les pratiques de construction du cadre tempore) de travail

Le cadre tempore! de travail n'est pas decrete mais construit au travers de Ia negociation du temps de travail. Puisque ce dernier est au centre d'un conflit de rationalites (celle qui regit l'ordre de Ia production et celle qui regit l'ordre des activites professionnelles et non professionnelles de Ia vie quotidienne), il convient de s'interroger en quoi Ia negociation peut apporter sa contribution a Ia resolution de ce conflit. Le temps de travail comme objet de negociation est un fait recent en France; il traduit des modes differents d'intervention de l'Etat et l'ouverture a Ia negociation d'un espace precedemment « verrouille ».

II s'agit de comprendre plus precisement en quoi Ia negociation du temps de travail, qui combine un mode d'intervention specifique de l'Etat et Ia mobi­lisation des partenaires sociaux, peut conduire a Ia production d' un cadre tempore! de travail legitime pour chacune des parties engagees dans Ia nego­ciation. La question n'est pas simplement de savoir si les partenaires sociaux sont capables de cooperer, alors que le temps de travail les divise et les oppose; il s'agit egalement de comprendre les conditions de Ia negociation elle-meme et, avant tout, !'objet de Ia negociation. N'y a-t-il pas un paradoxe a supposer que Ia negociation du temps de travail est possible, alors que Ia realite negociee est plurielle et que ces realites negociees sont heterogenes? Le temps abstrait de Ia production, vide de contenu, peut-il etre confronte aux divers temps entre lesquels les individus partagent leur existence? Autrement dit, !'analyse de Ia negociation du temps de travail ne doit pas presupposer

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son objet ni le tenir pour acquis; elle do it le construire. C' est pourquoi no us proposons d' utiliser Ia notion « d' arrangement tempore)» : elle designe d' un cote un compromis dont le resultat est fragile et de !'autre, un accord non seulement sur une solution locale, mais sur Ia realite du temps qui est negociee.

Nous analyserons d'abord Ia negociation du temps de travail a !'aide d'une analyse de I' evolution des dispositifs et des pratiques. Nous cherche­rons ensuite a caracteriser Ia dynamique de construction des arrangements temporels.

La negociation du temps de travail: dispositifs et pratiques

Des dispositifs juridiques orientes vers Ia flexibilite de Ia production

Nos travaux anterieurs, effectues en 1996 entre juristes1 et sociologues2, ont montre !'evolution de Ia maniere de traiter le temps de travail en France du point de vue des dispositifs juridiques. L'analyse de ces dispositifs a un double interet: elle permet d' abord de situer le cadre juridique dans Iequel se deroulent les negociations sur le temps de travail et de montrer I' evolution de ce cadre qui fait entrer le temps de travail dans un processus d'echanges bien singulier; elle permet ensuite de voir ce que les individus font des dispositifs juri diques, les manieres dont ils les utilisent dans des contextes singuliers.

En France, le temps de travail a longtemps releve de !'intervention de I' Etat: Ia legislation de 1936 etait fondee sur Ia definition d' une duree legale du travail consideree dans Ie cadre de Ia semaine, comme une norme egali­taire fixee de fa~on reglementaire, done non negociee. La definition concrete du temps de travail etait du ressort du chef d'entreprise.

De nombreuses transformations de ce cadre tutelaire ont ete apportees a partir des annees 1980 pour ameliorer les conditions de travail ou Ia reactivite des entreprises et pour Iutter contre le chomage. Elles ont eu pour conse­quence de modifier Ia nature et le sens des questions posees par Ia reduction du temps de travail, qui devient un sujet non aborde pour lui-meme, mais par rapport a Ia flexibilite du temps de travail. Les differentes lois qui ont ete promulguees au cours des 15 dernieres annees (1981-1996) ont en commun, moins d'imposer des normes temporelles que d'ouvrir des espaces de nego­ciations par le jeu d'un transfert de competences de Ia loi vers les partenaires sociaux ou vers les parties prenantes du contrat de travail (employeurs et salaries). La flexibilite temporelle devient Ia contrepartie de toute reduction du temps de travail. De plus, Ia duree conventionnelle est fixee par les entreprises, qui se voient dotees de marges de manreuvre accrues et d'une plus grande souplesse pour construire des formes d'amenagement variees.

Ces transformations ont ete apportees pour I' essen tiel depuis les annees 1980. On peut Ies presenter comme un changement profond dans Ia

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regulati.on temporelle (Morin et al., 1996): on assiste, d'un cote, a un chan­gement du mode de regulation et de I' autre, a un changement des regles de I' organisation temporelle.

La premiere transformation concerne le mode de regulation du temps de travail, qui devient objet de negociation. L'accord interprofessionnel du 17 juillet 1981 ouvre Ia voie d'un changement du mode de regulation: il accepte le principe d'une reduction de Ia duree du travail (diminution de Ia duree legale, allongement des conges payes, etc.) contre un assouplissement des regles d'amenagement du temps de travail (modulation, equipes de fin de semaine, etc.). Le temps de travail est desormais traite comme une variable d'ajustement entre Ia logique sociale, axee sur Ia reduction de Ia duree du travail, et Ia logique economique, axee sur !'amelioration de Ia competitivite des entreprises.

La deuxieme transformation concerne !'apparition de nouvelles regles temporelles: Les lois Auroux en France (1982) reduisent Ia duree hebdoma­daire legale du travail. Elles operent le passage de 40 heures a 39 heures par semaine, et de 35 heures pour le travail en continu ; Ia duree legale du travail est reduite et Ia cinquieme semaine de conge est accordee. Mais toute reduction s'entend desormais en contrepartie d'un amenagement du temps de travail, qui est en fait une remise en cause du cadre normatif. L'autre volet concerne Ia possibilite de deroger conventionnellement aux decrets pour assouplir le cadre normatif en contrepartie de Ia reduction de Ia duree. Cette possibilite permet: (a) de faire varier Ia duree hebdomadaire a condition qu'en moyenne sur l'annee, celle-ci soit egale a 39 heures (modulation); et (b) d'adopter de nouvelles formes d'amenagement du temps de travail dero­geant a Ia regie de l'horaire collectif et du repos dominical, comme Ia mise en place d'equipes de fin de semaine et le travail par roulement, maintenant autorises; et (c) de remettre en cause Ia repartition de Ia duree du travail dans le cadre de Ia semaine.

Des 1984, le protocole d' accord du 16 decembre relie les questions de temps de travail a l'emploi. La loi du 28 fevrier 1986 permet: (a) Ia repar­tition de Ia duree du travail sur l'annee, sans paiement de Ia majoration des heures effectuees, dans les limites des variations de Ia duree hebdoma­daire; (b) Ia reduction de Ia duree moyenne de travail; et (c) Ia possibilite d'echanger le paiement des heures supplementaires contre du repos. La loi du 19 juin 1987 ad met des derogations a I' interdiction du travail de nuit pour les femmes.

La loi quinquennale du 20 decembre 1993 poursuit a cet egard le mouvement engage depuis les lois Auroux ( 1982) qui vi sent a favoriser I' adoption negociee « d' arrangements tempore is» diversifies et a renforcer Ia flexibilite par des dispositions visant a repartir le temps de travail sur

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l'annee (y compris le temps partiel). La loi du I I juin 1996 veut reactiver Ia relation entre Ia reduction du temps de travail et I' emploi par un renforcement du dispositif d'allegement des cotisations patronales de securite sociale. Notons qu'en France, le niveau traditionnel de Ia negociation collective de Ia branche aboutissant a des conventions collectives est toujours d'une grande importance du point de vue du nombre des salaries couverts; soulignons aussi que Ia branche se situe au croisement d'un double mouvement de centralisa­tion (negociation interprofessionnelle) et de decentralisation (negociation d'entreprise) marquant !'evolution contemporaine du systeme fran~ais de negociation collective (Morin, 1994)3 ; notons enfin I' impression d'un desordre de Ia negociation collective en France, comme le mentionne Reynaud ( 1988, p. 171 )4 : « Les lois prevoient comment y deroger, les accords sur I' amena­gement du temps de travail anticipent sur le changement de Ia reglementation ou enfreignent les regles conventionnelles. »

Les negociations

Une recherche anterieure effectuee en 1995 visait a montrer que Ia negociation sur le temps de travail conduisait pour I' essen tiel a des accords plus orientes vers Ia flexibilite de Ia production que vers I' amelioration des conditions de vie au travail et en dehors du travail. Cette etude portait sur des accords relatifs au temps de travail dans une region fran~aise, sur une longue periode correspondant aux modifications des dispositifs juridiques. Nous y avons analyse (en collaboration avec Ia Direction Regionale du Travail et de I'Emploi, DRTE) 768 accords signes entre 1984 et 1995. De cette analyse, il ressort que presque 50% des accords (c.-a-d. 366) sont orientes vers Ia flexibilite de Ia production selon quatre modalites differentes ou classes significativement distinctes: (a) les accords sur Ia repartition annuelle du temps de travail pour repondre a des fluctuations du marche ou a des varia­tions saisonnieres de Ia demande, remettant en cause Ies reperes temporels habituels (comme Ia semaine); (b) les accords sur Ie temps partiel et sur les horaires variables, temoignant d'une remise en cause des formes d'emploi habituelles; (c) les accords sur Ia reduction de Ia duree, passes en echange de I'amenagement du temps de travail; et (d) les accords sur les horaires, et notamment sur Ie travail en equipes successives, temoignant d'une delocali­sation des peri odes de travail 5• Les accords restants (50%) concernent so it les conges, so it Ia reconduction d' accords anterieurs.

Ces resultats posent Ie probleme de leur interpretation. S' il s' agit d' accords orientes de fa~on dominante vers Ia flexibilite de Ia production, deux questions se posent: Ies syndicats acceptent-ils Ies exigences de Ia production? Adoptent-ils une position commune a I'egard des differentes voies qu'emprunte Ia flexibilite de Ia production? Pour repondre aces ques­tions, nous avons analyse le comportement des differents syndicats a I'egard des 366 accords visant I' amelioration de Ia flexibilite.

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Un premier resultat indique que dans )'ensemble, ces accords font I' objet d'une approbation elevee de Ia part des syndicats, approbation revelee par le taux de refus de signature. Ce taux se rapporte exclusivement aux accords signes par chacune des organisations presentes ; neanmoins, il varie selon les syndicats. D'un cote, Ia Confederation Franc;:aise des Travailleurs Chretiens (CFTC), avec 2% de refus, etla Confederation Generate des Cadres (CGC), avec 3% de refus, signent quasi systematiquement; de )'autre, Ia Confederation Franc;:aise Democratique du Travail (CFDT) et Ia Force Ouvriere (F0)6 refusent de signer un accord sur 10 (9 %, II%), alors que Ia Confederation generale du travail (CGT) en refuse un sur 4 (24 %).

Un second resultat indique Ia variabilite des comportements syndicaux selon le theme considere. Globalement, on cons tate que les « equipes de fin de semaine » sont les themes qui atteignentle ref us de signature ( 18%) Ie plus important, toutes organisations confondues. Le travail de nuit est refuse en moyenne dans 15% des cas (un accord sur 7). Tandis qu'un accord sur 10 portant sur le travail a temps partie) ou sur Ia modulation n'est pas signe ( 11 % ), Ies syndicats Iimitent leur refus pour Ia reduction de Ia duree du travail a 8% (10 accords refuses sur 132).

I

2

3 4.1 4.2

l:

Trois groupes d'acteurs syndicaux se dessinent dans ces resultats:

I) La CGT pratique plus courammentle refus de la signature: 36% de refus pour les equipes de fin de semaine et 30% pour Ie temps partie!.

2) La FO ella CFDT refusent ponctuellementles accords: Ia FO refuse davantage le travail de nuit (21 % des accords) et Ia CFDT signe moins pour les equipes de fin de semaine (22% des accords).

3) Enfin Ia CFTC et Ia CGC ne refusent que quelques accords tres localises.

FIGURE 1

Comportement syndical (taux de refus de signature d'accord) pour Ies 4 voies qu'emprunte Ia tlexibilite (de 1 a 4),

selon l'organisation syndicate (1984-95)7, (n = 366 accords)

Proportion des accords CGT FO CFDT CFTC CGC l: refuses selon le theme et le syndicat reduction de Ia durt~e du travail 15% 3% 7% 13% 0% 8% modulation-annualisation 25% 8% 4% 0% 4% 11% travail a temps partie) 30% 4% 10% 0% 6% 11% travail de nuit et en equipes 21% 10% 21% 0% 5% 15% travail de fin de semaine 36% 22% 5% 0% 0% 18%

Total 24% 9% 11% 2% 3%

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Les caractt~ristiques des representations du temps de travail qui accompagnent Ia negociation

Les accords conclus sont incontestablement lt!gitimes, meme si, comme nous l'avons vu, ils ne renvoient pas toujours a des positions communes entre les syndicats. Comment, des lors, interpreter le fait que les syndicats acceptent, au moins partiellement, des mesures visant a ameliorer Ia flexibilite de Ia pro­duction? L'accord sur une forme temporelle ne suppose-t-il pas une entente sur une certaine representation commune de Ia situation? Cela signifie-t-il qu'une communaute de vue a propos du temps de travail s'installe entre l'em­ployeur et Ie salarie? Pour repondre aces questions, il convient d' analyser les chemins de Ia negociation pour expliciter ce qui se construit.

La dynamique de construction des arrangements temporels

Le sens des arrangements temporels ne peut etre deduit mecaniquement des compromis negocies. D'abord, parce que ces compromis designent un resultat qui ne prejuge pas des manieres de I'obtenir. Differentes strategies peuvent etre utilisees, en effet, par les negociateurs pour parvenir a un accord, et elles peuvent varier d'un contexte a )'autre en fonction notamment de l'histoire sociale de I' entreprise. Ensuite, parce qu' un accord est un com prom is provisoire qui ne signifie pas pour autant que Ia realite codifiee dans I' accord est homogene d'une situation a l'autre, ni meme que cette codification est partagee par tous.

Pour eviter de conclure un peu hativement a un changement des valeurs qui ordonnent les pratiques, il convient d'analyser Ies chemins par Iesquels Ia negociation passe. II est ainsi possible de comprendre tant Ia complexite et Ia fragilite des arrangements temporels que Ia variabilite des strategies qui ont ete combinees pour les obtenir. C'est pourquoi nous avons procede a une analyse monographique dans dix entreprises au travers de vingt entretiens enregistres (de 2 heures environ) avec Ies representants de Ia direction et des organisations syndicales. Les entreprises8 ont ete choisies parce qu' elles avaient signe un accorcJ9 sur Ie temps de travail en 1994 ou 1995 qui nous paraissait pertinent au regard des voies qu'emprunte Ia flexibilite: Ia reduc­tion de Ia duree du travail, I' annualisation, le temps partie I et les horaires de travail. Sans qu'il soit possible d'exposer ici en detailles resultats, I' analyse de Ia dynamique de construction des arrangements temporels revele Ia complexite de Ia negociation: (a) Ia negociation est doublement finalisee; (b) elle conduit a des solutions variables, c' est-a-dire a un cadre tempore) eclate et remettant en cause les reperes temporels habituels; et (c) les chemins de Ia negociation reposent sur une pluralite de strategies et sur I'etablissement d'un compromis entre le maintien de I'emploi et Ia reprise d'initiative par I' employeur sur Ia question de I' emploi du temps du salarie.

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La negociation sur le temps de travail est orientee vers une double finalite

La negociation est plus orientee vers I' organisation de Ia production que vers I' amelioration des conditions de vie au travail ; elle conduit les partenaires sociaux a definir des regles temporelles favorisant une souplesse d'organi­sation de Ia production en fonction des fluctuations de I'environnement: disponibilite exigee par le client, variations du marche ou du plan de charges, fluctuations saisonnieres. Elle est de plus orientee vers une finalite non seule­ment externe mais interne. Par exemple, dans Ia banque ou domine un syndicat peu dispose a negocier, plusieurs accords sur le temps partie! visent a« creer un mouvement de signataires ». En faisant de ce theme un objet mobilisateur pour tous, il s'agit, pour Ia direction, d'une part de favoriser !'emergence d'un nouvel acteur syndical « contractuel » en entreprise, et d' autre part d' affaiblir le syndicat dominant, voire de s'affranchir de son role hegemonique, estime negatif par Ia direction, car il entretient un modele conflictuel de relations sociales en entreprise. Dans une autre situation (mecanique), !'accord est construit pour diminuer le temps de travail des cadres estime excess if par les interesses en faisant de ce theme une occasion d'engager un debat sur Ia mesure de leur temps de travail. L'enjeu de Ia negociation depasse le theme debattu: Ia negociation chemine dans un contexte marque par les evenements (greves, conflits) et par un etat des rapports de forces entre les syndicats et Ia direction, mais aussi entre les syndicats eux-memes.

Solutions variables, cadre tempore[ eclate et remise en cause des reperes temporels habituels

Les solutions envisagees pour atteindre l'objectif de flexibilite varient d'une situation a !'autre: repos compensateur de remplacement pour limiter les heures supplementaires, temps partie! annualise, eclatement des deux jours de repos hebdomadaire consecutifs, temps partie! et horaires variables, semaine de quatre jours comprenant le travail du samedi, reduction du temps de travail pour faire face a Ia baisse du plan de charges et recours au travail de nuit des femmes pour augmenter Ia disponibilite de Ia main-d'<I!uvre. Cette variete de mesures conduit a un cadre tempore! eclate dont les composantes ne forment pas une vision coherente, et ce, d' autant moins que ce «temps en mosa"ique » s'accompagne d'une remise en cause des reperes temporels habituels. On passe (a) d'un reperage tempore! hebdomadaire a un reperage annuel, (b) d'un reperage du repos de fin de semaine sur deux jours consecutifs a un eclate­ment eta une delocalisation de cette periode de repos, (c) d'une limitation du travail de nuit a son extension aux femmes qui en etaient exclues, (d) d'un reperage en termes d'emploi a temps plein a une vision de l'emploi a temps reduit. La remise en cause des marqueurs temporels habituels souleve aussi Ia question des « normes temporelles du travail», voire des normes de travail.

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Diversite des strategies, maintien de l'emploi et renforcement du controle

Diverses strategies peuvent declencher ou accompagner Ia negociation sur le temps de travail. Dans un cas (sante), le repos compensateur n'est obtenu qu'apres )'intervention de )'inspection du travail, tandis que dans )'autre (travail social), il est obtenu avec I' agrement des interesses pour maintenir l'emploi. Dans deux autres situations, comme dans cette entreprise de Ia meca­nique, Ia «menace» de Iicenciements exprimee par I' employeur a inflechi Ies positions syndicates a I'egard du travail du samedi. Dans d'autres situations (metallurgie) et a propos du travail de nuit des femmes, l'un des syndicats organise une consultation du personnel qui revele I' opposition des destinataires potentiels a toute mesure ayant une emprise sur Ia vie hors de l'entreprise; Ies resultats de cette consultation fragilisent Ia position des syndicats qui avaient )'intention de signer I' accord.

De plus, les chemins de Ia negociation sur le temps de travail passent parfois par le maintien (et non I' augmentation) de l'emploi, qui est Ia monnaie de l'echange contre I' acceptation du renforcement du controle de l'employeur sur I'emploi du temps du salarie. En echange du maintien de l'emploi, I'em­ployeur se donne les moyens, d'une part, de reprendre l'initiative dans Ia fixation des periodes de travail et de disponibilite des salaries - comme cela a ete le cas a propos de I' accord sur le travail du samedi (mecanique) et a propos de I' accord sur l'annualisation du temps partie) (commerce de detail)-; et, d' autre part, de controler plus directement Ia mobilisation des salaries par un usage differencie de Ia main-d'reuvre en fonction des besoins de l'entreprise.

Le referentiel tempore/ qui accompagne Ia negociation

Que nous apprend Ia negociation du temps de travail? D'abord, elle indique Ia capacite des acteurs de debattre une question essentielle qui Ies divise avec, pour les uns, Ia necessite de retrouver une «concordance des temps» et, pour les autres, celle d'augmenter Ia flexibilite de Ia production. Entrer en nego­ciation, c'est accepter de construire un espace de discussion pertinent pour debattre, dans un contexte precis, Ia question de l'ordre temporel. La nego­ciation revele egalement Ia capacite des acteurs de construire un cadre tempore) de travail legitime. Certes il s'agit de solutions communes qui n'ont pas Ia meme force coercitive, et rien ne prejuge des modalites de mise en reuvre. Ce cadre tempore! est le resultat de compromis, de concessions reci­proques et de contreparties qui n' ont de sens et de portee que dans un contexte localise. Le cadre tempore) possede, il convient de le noter, une coherence locale. La negociation montre enfin que les parties en presence s'accordent sur un ordre tempore) qu'ils s'engagent a respecter. Le cadre tempore! a une certaine robustesse, puisqu'il a ete con<;u pour etre mis en reuvre. Bien entendu, ce contrat est fragile, d'abord parce que tousles syndicats ne sont

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pas signataires, ensuite parce que )'usage de ce cadre necessite son interpre­tation et son adaptation aux situations de ses destinataires.

En consequence, nous pensons que Ia negociation du temps de travail aboutissant a un accord produit un equilibre provisoire fonde sur un ordre tempore) en transition. Pour autant, il nous reste a explorer Ia solidite de cet accord. La negociation parvient-elle a reduire l'asymetrie des representations du temps de travail que vehiculent Ies differents acteurs? Conduit-elle a des accords reposant sur une representation unique du temps de travail ? Certai­nement pas. L'analyse des pratiques de construction du cadre tempore) montre qu'il est con~u davantage pour favoriser Ia flexibilite de la production que pour ameliorer Ies conditions de vie des salaries, meme si Ia flexibilite est echangee contre Ie maintien de I' emploi. Le cadre tempore! revele Ia nature des compromis elabores. Cette analyse pourrait nous amener a conclure que les organisations syndicales sont prisonnieres de cette logique tournee vers Ia flexibilite; pourtant, I' etude monographique permet de douter de cette affirmation. Rien n'indique que Ies conduites syndicales obeissent a une conception du temps de Ia production abstrait et mecanique qui mene a une vision du temps vide de contenu. Les chemins qu'emprunte Ia negociation sur le temps de travail rappellent la dualite des rationalites en presence et des tensions entre Ies acteurs: un arrangement tempore) ne s'impose pas meca­niquement, mais il se construit par confrontation, par negociation et conflit. C'est dire qu'on ne peut interpreter les compromis temporels comme des solu­tions temporelles exclusivement tournees vers la flexibilite de Ia production. Dans leurs finalites, leur contenu ou leur mode de construction, ces arran­gements cristallisent Ia dualite de logiques et Ia tension entre Ies acteurs.

Comment interpreter la nature, la portee et la solidite des accords? Une negociation signifie que les parties en presence sont d'accord pour faire le premier pas, pour entrer en negociation et pour tenter d'etablir un compro­mis acceptable. Pour autant, cela ne signifie pas qu'elles sont d'accord pour les memes raisons. Ce qui fait qu' il y a accord, ce sont Ies termes de I' echange: I' acceptation des regles temporelles afin d'ameliorer Ia flexibilite en echange de la prise en compte de Ia situation d'emploi. Notre interpretation est qu'un accord sur Ie temps de travail repose sur une representation de Ia situation dans laquelle Ia flexibilite est echangee contre le maintien de l'emploi; pour le salarie, Ia preoccupation majeure est l'emploi, qu'il per~oit de plus en plus comme instable.

En revanche, un accord ne suppose pas que les parties en presence ont Ia meme vision du temps de travail; il peut s'accommoder d'une difference de conception ace chapitre. C'est ce que nous souhaitons montrer ci-apres en explicitant les representations du temps de travail vehiculees par les responsables syndicaux.

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Le referentiel temporel de base

Les parties en presence ont une representation du temps que nous appelons Ie « referentiel de base». Cette representation est large et correspond a tout ce qui a ete accumule au cours de I' experience. Nous proposons de Ia carac­teriser en prenant appui sur des entretiens realises aupres des responsables des organisations syndicales d'une region du Sud de Ia France 10• De ces entretiens, nous avons tente d'extraire les caracteristiques de Ia representation du temps: (a) Ia pression temporelle, (b) Ia stabilite des reperes temporels, et (c) Ia maitrise du cadre tempore), et de Ies situer au regard des connais­sances acquises dans ce domaine.

A voir du temps pour soi et du travail pour to us

La premiere caracteristique du referentiel tempore) de base est Ia revendica­tion de disposer de «plus de temps pour soi ». Bien entendu, ce theme n' est pas nouveau. En effet, Rezsohazy (1986) montre, dans son enquete effectuee au pres de 1636 personnes et repetee en 1975 et I 980, que ce qui gene le plus les gens dans ce qu'ils voudraient « faire ou etre », c'est le manque de temps, qui apparait comme le facteur Ie plus perturbant. De meme dans une enquete menee en 1982 (cite par Sue, 1994, p. 12) « le temps pour vivre» ressort comme le premier centre de frustration des Franc;ais. Ce manque de temps se retrouve egalement dans l'enquete realisee en I 992 au Canada aupres de 9 8 I 5 personnes (citee par Pronovost, I 996, p. 54). La reponse Ia plus retenue porte sur Ie sentiment de« ne pas avoir tout accomplice qu'on voulait faire dans Ia journee ». C' est dans ce climat de pression temporelle que les orga­nisations syndicates expriment leur point de vue, bien represente par le propos de I'un d'entre eux: «plus de temps pour soi, du travail pour Ies autres ».

Cette expression se traduit, pour eux, par Ia necessite d'une reduction de Ia duree du travail hebdomadaire, voire par Ia semaine de quatre jours permettant d'avoir du temps pour soi.

llfaut vraiment que Ia reduction soitforte, 35 heures, c'est peut-etre pas suffisant, ra do it etre une etape pour aller plus loin. L 'object if vise aujourd'hui c'est bien 32 heures, Ia semaine de 4 jours, c'est ra [ ... ] reduire le temps de travail, c 'est gagner du temps de repos: c 'est du temps pour vivre, pour les lois irs pour erre en famille (CGT).

Reduire /'importance ou /'amplitude de travail par un certain nombre de conges supptementaires et parallelement a cela, reduire aussi le temps de travail d'une far on hebdomadaire ou journaliere, et c 'est ainsi done que dans le processus, dans les revendications que nous avons mises en place depuis long temps, nous avons affiche notre necessite de revenir a 35 heures par semaine (FO).

Done no us on defend Ia semaine de quatre jours, c 'est peut-etre 4 fois 10 heures, je ne sais pas, c'est suivant l'entreprise: mais en disant on

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est Ia present quatre )ours, mais au moins le cinquieme jour, on est vraiment de repos, on est chez no us. Pour quelqu 'un qui est cadre, il est clair qu'une demi-heure par jour, on lafera quand meme. Parce qu'on est embauche pour faire un travail, done puisqu • on est present on le fera [ ... ]. Je dirai travailler quatre )ours sur sept, '"a laisse trois )ours de loisir (CGC).

Pour que Ia reduction du temps de travail so it efficace economiquement, ilfaut qu'il y ait trois regles de mise en a!Uvre: (1) massive, l'objectif c • est d'atteindre les 32 heures par une loi cadre, (2) multiple et ( 3) diver­sifiee pour tenir compte des differentes specialites des entreprises (CFDT).

Ramener Ia semaine a 37 heures, pourquoi pas. d'une maniere tres impe­rative. mais modulee (CFTC).

En revanche, Ia question du partage du travail associee a une diminution de salaire divise les syndicats. Trois d'entre eux pensent qu'elle est ineluctable. Pour Ies uns Ia perte salariale est acceptee :

Je dis qui dit partage dit aussi diminution du salaire, il faut en arriver )usque Ia (CFTC).

Apres Ia difficult e. puis, ce sur quoi on tourne tout autour, sur Ia reduc­tion du temps de travail, c 'est le financement de Ia reduction du temps de travail et c'est la-dessus que d'ailleurs on a des differends avec les aut res organisations syndicates. Puisque les autres disent 32 heures sans reduction sans perte de salaire. Nous, on est un peu plus nuance (CFDT).

Je pense que Ia reduction du salaire. elle joue contre l' emploi, parce que moins de salaire c'est moins de consommation, moins de consommation c'est moins de debouches pour l'entreprise forcement a un moment donne; on est deja dans cette difficulte ou ils ont tellement reduit les sa/aires de partout (CGT).

Quand on ne peut plus taxer les gens, c'est qu'ils sont a un tel niveau qu 'its ne peuvent. Voila pourquoi. aujourd'hui, on ne peut pas erablir une theorie de cette nature sans que pour autant, on regarde comment on l' applique (FO).

Stabilite des reperes tempore Is et retour sur Ia famille

La deuxieme caracteristique du referentiel tempore) concerne Ia revendication d'une stabilite des reperes temporels. Les regularites temporelles qui scandent Ia vie d'un individu (ecole, travail, retraite) sont remises en cause, notamment par des periodes de chomage auxquelles sont soumises de nombreuses per­sonnes, mais aussi par les situations de precarite qu'elles rencontrent au cours de Ia vie professionnelle. A cela s'ajoute la dissociation croissante entre, d'un cote, le temps des machines et, de I'autre, le temps des personnes inserees dans des activites multiples.

La remise en cause des regularites est renforcee par Ia multiplicite des configurations temporelles que l'individu rencontre dans la vie de travail et par les dysharmonies temporelles que les configurations engendrent dans Ia

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vie quotidienne; Ies reperes temporels habituels sont en quelque sorte brouilles. Par reperes temporels, on entend les marqueurs qui delimitent et rythment Ia vie professionnelle et qui determinent le passage des activites pro­fessionnelles aux activites non professionnelles. Sue ( 1996) parle de« dilution des reperes temporels ». Selon lui, ces reperes sont brouilles aujourd'hui par I'annualisation, le temps partie), le travail de nuit et de fin de semaine.

C'est dans ce climat de brouillage des reperes temporels que s'expriment les positions des acteurs syndicaux a l'egard des mesures temporelles permet­tant I' annualisation du temps de travail, Ie travail a temps partie I et Ie travail de nuit des femmes. Une premiere illustration de cette revendication de sta­bilite des reperes temporels nous est donnee parIes reactions a l'egard de l'annualisation du temps de travail qui est consideree par rapport a Ia famille eta Ia division du travail qui s'y opere selon les sexes.

Alors I' annualisation, bien entendu, c 'est un probleme tout a fait different et pour lequel on ne peut pas etre d'accord, parce que l'annualisation, if y a une question aussi de qualite de vie, l'annualisation veut dire sim­plement Ia destruction de La cellule familia/e. ('a veut dire aujourd'hui qu 'un chef d 'entreprise va vous dire dans le cadre de I' annualisation: Vous allez pouvoir travailler enfonction du travail que j'ai. Et ~a peut deja aller par rapport au conge, parce qu'il n'est pas impossible qu'il y ait une commande pendant Ia periode de conge et, comme il a de mai a octobre pour vous les donner (les conges), rien ne lui interdit de me les donner en mai ou en octobre. ('a serait quand meme pas interessant que le pere prenne ses vacances en octobre, que les enfants les prennent en juillet et aout et que Ia mere les pre nne au mois de mai, c 'est deja Ia premiere des choses (FO).

C' est Ia vie familiale qui est mise en cause, Ia mere de famille qui a des enfants, elle ne pourra pas bloquer son temps de travail sur ce niveau de l'annee et puis qu'est-ce qu'elle vafaire les autres mois? elle aura un temps de travail beaucoup plus long. Comment elle pourrafaire pour garder ses enfants ? II y a un equilibre a respecter, je pense, if y a un cadre, mais ce cadre a des limites. Ces limites a mon avis qu 'if ne faut pas depasser (CFfC).

Alors ~a devient facile quand c'est le vendredi soir, vous avez fini Ia semaine, vous etes pret a partir, le client vient de telephoner et fundi mat in, if lui faut 53 000 trues devant Ia porte, parce qu 'if a ses trues arretes et qu 'if faut qu 'if travaille et on no us dit: Oui, if va falloir tra­vailler samedi, if vafalloir travailler dimanche et si vous ne le faites pas, if neva pas etre livre, s'il n 'est pas livre, if va nous en/ever Ia commande et s 'if nous en/eve La commande, on n 'aura pas de travail pendant 6 mois [ .. .]. C'est du cinema ~a. moi je dis qu 'au chantage, if ne faut jamais ceder, si vous mettez le doigt une fois, c 'est fini pour La vie, vous allez travailler tous les samedis, tous les dimanches et tout le temps, il y aura toujours ce true, un moment donne, vous pouvez a voir cette idee, vous dire, effec­tivement c 'est vrai, puis apres vous allez vous rendre compte que c 'est que/que chose d'exceptionnel et avec le temps qui passe, ~a devient le normal, et on s'en sort plus (CGT).

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Un autre theme, celui du travail de nuit et de week-end, permet d'illustrer cette quete de stabilite des reperes temporels.

Au niveau du travail de nuit, du travaille week-end, Ia nous avons une approche qui, peut-etre, n 'est pas Ia meme pour toutle monde. Nous sommes visceralement opposes a cesformules-la, mais nous sommes tres attentifs a Ia mise en place de ces reformes, parce que compte tenu du fait que nous representons, nous defendons des valeurs familiales, une approche familiale de Ia societe, ce type de travail... le week-end ou les nuits ne favorise pas Ia vie de famille et nous ne sommes pas opposes comme fa, il y a des endroits ou on ne peut pas fa ire autrement, mais notre approche n 'est quand me me pas de generaliser ce type de travail.

Nous sommes plutot pour une modulation du temps de travaille reste de Ia semaine, mais pas le week-end et le samedi [ ... ]. Nous avons toujours ete opposes, et notre syndical repond systematiquement non aux ouvertures des grandes surfaces les week-end ... Nous n 'aimons pas ces approches-lil ... II y a une approche travail-societe qu 'it faut quand me me garantir, une symbiose entre les deux qui fait que si on privitegie trop le travail, c 'est Ia cellulefamiliale qui se detruit, c'est aussi beaucoup de problemes qui sont generateurs aussi de chomage ... Si vous voulez, no us avons plus une approche humaniste des chases, qu 'economique tout en sachant que dans certains endroits, peut-etre c'est indispensable[ ... ]. Le travail n 'est pas un but en soi, it permet de vivre, de vivre correctement, mais si on fait du travail, si on s 'amuse a travailler le samedi et le dimanche, si on donne des derogations ace genre de chases, c 'est une conception de vie qui disparaft, c 'est Ia cellule familiale qui a terme sera detruite et, je pense, a mon avis, nous c'est pas Ia meilleure approche. Je pense qu'il y a /'autre formule, de l'amenagement du temps de travail, sans en arriver Ia (CFfC).

Maitriser /'usage du cadre tempore/ de travail et preserver son emploi

La troisieme caracteristique du referentiel de base concerne Ia maitrise du cadre tempore! des activites professionnelles. A l'insuffisance de temps pour soi eta Ia volonte de disposer de reperes temporels stables et coherents avec d'autres temps sociaux, les responsables syndicaux ajoutent Ia necessite de maitriser !'usage du cadre tempore! du travail. La question ne porte pas sur le temps en soi, que !'on pourrait traduire en termes de contlit entre !'alienation par le travail et Ia jouissance par le temps libre, pour reprendre !'expression de Sue ( 1994 ), mais sur le caractere impose des nouvelles regles temporelles. Non seulement ces regles detruisent les reperes temporels habituels, mais elles renforcent le controle de l'emploi du temps des salaries, de leur disponibilite et de leur mobilisation. Au contrat de subordination du salarie a son employeur, inscrit dans le contrat de travail, s'ajoute un contrat de soumission a Ia gestion de l'emploi du temps par l'employeur auquel adhere le salarie afin de main­tenir son emploi ou par crainte de le perdre.

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A propos de l'annualisation, le responsable CFDT observe que les gens disent que, si fa continue comme fa, tout va partir a l 'etranger et on ne va pas avoir notre boulot. De meme, le responsable CGC declare: Je pense que c 'est assez interessant et fa evite des licenciements ou des contrats a duree determinee. A propos du temps partiel, les responsables syndicaux soot clairs:

Le travail a temps partie I, je pense qu 'il faut que ra so it inscrit dans les accords d'entreprise, mais que ce soit temps partie[ voulu et non impose c 'est le premier point; le deuxieme point, que ce ne so it pas un frein a La carriere, on doit avoir un suivi de la carriere de ces gens-la. Si on l'a negocie, l'entreprise etait d'accord pour le mettre en place, done ilfaut le suivre. Done on est favorable au temps partie[ (CGC).

En fin pour le travail de nuit, il est accepte sous contrainte: S'il n 'y a pas de contrainte reelle et forte, je dis de faron nature lie, les gens, n 'ont pas envie de travailler la nuit. [ ... ]. Vous savez, tout se traduit en termes economiques. Ce qui est bien la demonstration que si les gens gagnaient suffisamment pours' eviter la prime de nuit et le week-end, ils ne feraient pas. L 'attrait qui a ete fait, ce n 'est pas, ce n 'est jamais une volonte reelle, c'est un attrait economique [ ... ]. Mais si pour le meme salaire il fallait choisir entre le jour et La nuit, faites-moi confiance qu 'ils ne le feraient pas (FO).

Sur le travail poste, c 'est pareil; j 'en connais qui sont organises avec leur epoux, c'est pas une viefamiliale, un qui travaille la nuit, ['autre qui travaille le jour, on se laisse des petits mots sur la table, mais ra regie un tas de problemes, tels la garde des enfants, economie des sous de creche, parce que ra repond a des difficultes, 33% de primes et puis le pouvoir d'achat [ ... ]. Jl y a celui qui cherche du travail, il arrive chez l'employeur, il a un contrat devant lui, le travail est poste. Si le type est au chomage, il neva pas commencer a debattre avec l'employeur sur le travail post e. Dans sa tete, ra fait six mois qu 'il galere, il signera, c 'est normal. Apres, il y a celui qui a des difficultes: 33% de salaire en plus, ra ['arrange parce que ra va lui permettre de partir en vacances, un peu plus pour les gosses [ ... ]. Je ne porte pas de jugement la dessus; je ne suis pas dans cette situation. Je suis dans la situation de l'activite revendicative, sur des objectifs precis et je reste la-dessus (CGT).

Discussion et conclusion

Notre recherche revele premierement que le temps de travail constitue une realite socialement construite, un cadre tempore) preexistant aux activites professionnelles et visant a les ordonner. Pour autant, ce cadre tempore) ne peut etre considere comme une realite objective, detachee des individus et s'imposant « mecaniquement », voire « naturellement » aux personnes. II est Ie resultat d'une activite de negociation debouchant sur Ia production d'un ordre tempore) des activites professionnelles. Cet ordre est variable, notam­ment du fait qu'il est en permanence renegocie. II est etabli par convention, en fonction de choix qui dependent des conceptions socioculturelles des negociateurs et des rapports de forces que chacun des protagonistes tente de

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tirer a son avantage pour faire valoir ses conceptions du temps et controler le modele rationalisateur du temps de travail.

Deuxiemement, nos resultats indiquent que I'ordre tempore) des acti­vites professionnelles, en tant que construction negociee, n'obeit pas a Ia seule rationalite de Ia production, mais qu'il porte aussi Ia marque de Ia rationalite de Ia vie quotidienne. L'arrangement tempore) incorpore I' ambivalence de Ia notion de temps de travail, qui designe deux realites bien differentes: d'un cote Ia realite du temps determinant et mesurant de maniere abstraite Ies activites professionnelles en vue d'une performance productive; de I' autre, Ia realite du temps qualitatif, renvoyant aux activites concretes, apprehende de maniere personnelle par les sujets agissants et visant a ordonner leurs activites en vue d'obtenir une certaine coherence et concordance dans leur temporalite. La negociation ne reussit en aucune maniere a transformer le temps qualitatif et subjectif en un temps quantitatif et objectif; elle rend pos­sible Ia construction du temps de travail comme temps heteronome, c'est-a­dire comme cadre tempore) dans lequel les activites professionnelles sont inscrites. Que ce cadre ait pu etre negocie ne doit pas Iaisser croire qu'il est controle par Ia personne qui travaille; des Iors que « le temps prevaut sur Ia tache», selon )'expression de Naville (1963), l'homme qui perd Ia maitrise du temps et Ie controle de son processus d'action est affaibli. Cette realite a ete Iargement analysee par Friedmann (1950) pour qui Ia perte de controle du travailleur sur son propre temps et sur son travail conduit a une « deshuma­nisation ».

Troisiemement, nous observons que les arrangements temporels ne reposent pas sur une conception commune du temps de travail. La negociation sur Ie temps de travail mobilise des savoirs et des representations constitutifs de ce que nous avons appele les referentiels temporels. Notons que les refe­rentiels temporels de situation mobilises par les organisations syndicales dans Ia negociation se distinguent Ies uns des autres. La comparaison intersyndicale detaillee de ces referentiels mettrait en relief le fait qu'une position commune de I' acteur syndical face au probleme pose reste hypothetique, meme si, comme nous I' avons vu, des alliances de situation sur des themes precis restent possibles.

Nous avons note que les pratiques temporelles analysees au travers de Ia construction negociee du cadre tempore! sont orientees par un ou des refe­rentiels temporels: il s'agit de representations, de croyances, de valeurs, de savoirs et de connaissances acquises. Les pratiques de negociation conduisant a des accords sur le temps de travail pourraient laisser croire a une sorte de convergence entre les employeurs et les salaries a propos du temps de travail. Pourtant, I' analyse des representations revele que les valeurs enoncees par les organisations syndicales ne visent pas Ia flexibilite de Ia production, mais sont orientees vers Ia vie du salarie: du temps pour soi, des reperes temporels habituels pour favoriser Ia synchronisation des temporalites, de Ia maitrise

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du cadre tempore! pour maintenir son emploi. C'est pourquoi il nous semble que Ia rationalite des pratiques de negociation se manifeste par Ia production de compromis dans Iesquels Ia flexibilite est echangee contre le maintien de I' emploi : ces compromis portent Ia trace des rapports de force, de Ia situation de travail locale, de Ia situation d'emploi et des menaces qui apparaissent, mais aussi des demandes des salaries. L'accord sur le temps de travail signifie qu'il y a un accord de forme entre l'employeur et le salarie, tant sur Ia solution temporelle choisie que sur le referentiel tempore! construit pour et par Ia negociation. Cet accord renferme egalement un desaccord, car il n'y a pas d'accord de fond sur une vision commune du temps de travail; bref un accord de forme cohabite avec un desaccord de fond.

II conviendrait cependant s'interroger sur Ia nature du referentiel tem­pore! de base qui met en avant Ia necessite du temps pour soi, qui marque un retour a Ia famille qui valorise Ia synchronisation des temporalites. D'une part, il faudrait explorer Ia diversite de ces conceptions du temps d'un groupe a !'autre, d'une societe a !'autre; d'autre part, il faudrait interroger les conceptions du temps selon les visions sexuees qui traversent Ia societe.

NOTES

I. Equipe animee par ML Morin (LIRHE, CNRS et Universite Toulouse 1).

2. Equipe animee par G de Terssac (CERTOP-CNRS et Universite Toulouse 2).

3. Morin M.-L. ( 1994).- «Permanence et transformations du role de Ia negociation collective de branche » in : Actes du Colloque international franco-quebequois sur les perspectives de recherche en relations industrielles, 20-23 juin, Universite Laval, Quebec, p. 301-317.

4. Reynaud J.-D. (1988).- «La negociation des nouvelles technologies: une trans­formation des regles du jeu ? » in: Reynaud J.-D. (1995). - Le conflit, Ia nego­ciation et Ia regie, Toulouse, Octares, p. 153-172.

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6. Le sigle exact est CGT-FO (Confederation generale du travail- Force Ouvriere)

7. Le tableau peut se lire de Ia maniere suivante. La CGT, sous condition de sa presence dans I' entreprise, refuse 15 % des accords lies a Ia reduction de Ia duree du travail.

Ces chiffres doivent etre manies avec precaution, car les pourcentages peuvent renvoyer a un nombre effectif d'accords qui peut etre faible, comme l'indique le tableau ci-dessous: le premier chiffre indique le nombre d'accords signes par chacune des organisations syndicales et le second, le nombre de fois ou !'orga­nisation est presente.

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FIGURE 2

Nombre d'accords refuses et presence dans Ia negociation selon !'organisation syndicale et le theme du temps de travail

Nombre de refus exprlmes (X) CGT FO CFDT CFTC CGC presence du syndical (Y) sur 366 accords

dun!e (reduction): 61 accords 6/39 1/35 2/30 1/8 0/20 (X/Y) modulation-annualisation: 15/60 3/40 2/49 0/11 1/26 98 accords temps partie I : 49 accords 8/27 1/25 3/30 0/16 1/16

4.1 nuits, equipes: 125 accords 19/90 7/68 14/66 0/16 2/44 4.2 fin de semaine : 33 accords 9125 5/23 1/21 0/3 0/11

8. Ces entreprises appartiennent aux secteurs suivants: mecanique (I 360 salaries), aeronautique (620), metallurgie (2 126), sante (170), travail social (80), com­merce de detail (92), banque (I 500), electronique (I 550), mecanique (I 900), commerce de gros (80).

9. En France, ces accords d'entreprise du temps de travail s'inscrivent dans !'obli­gation juridique pour les partenaires sociaux de negocier au moins une fois par an sur le temps de travail. Cette obligation ne semble neanmoins ni entrainer !'ensemble des entreprises dans un mouvement de negociation, ni aboutir obliga­toirement a un resultat. Dans le cas de Ia signature d'un accord, celui-ci remonte a Ia Direction Departementale du Travail et de I'Emploi (service lie au ministere du Travail et de Ia Formation professionnelle).

10. II s'agit d'entretiens complementaires enregistres (de 2 heures environ), realises au pres des responsables regionaux des differentes organisations syndicates; ils ont ete con~us de fa~on a expliciter Ies representations du temps de travail que vehiculent Ies differents syndicats, independamment des situations concretes. Les personnes parlent au nom de leur organisation et non en celui d'un engagement dans une entreprise

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lens THOEMMES et Gilbert DE TERSSAC

La negociation du temps de travail et les composantes du referentiel tempore[

RESUME

La recherche presentee vise a expliciter Ies pratiques de negociation du temps de travail en France. Elle s' appuie sur I' analyse des textes juri diques depuis 1982 et sur une etude des accords concernant le temps de travail dans une region sur une longue periode (1982-1995). Ces analyses montrent que les accords concernant le temps de travail sont orientes davantage vers Ia flexibilite de Ia production que vers !'amelioration des conditions de vie des salaries. Comment expliquer alors que ceux-ci acceptent cette logique tournee vers l'ordre de Ia production au detriment de Ia Iogique de leur vie quotidienne? Une premiere explication est fournie par !'analyse monographique de Ia negocia­tion dans dix entreprises. Les entretiens avec Ies partenaires sociaux indiquent que I'emploi est une valeur d'arbitrage forte: I' acceptation de Ia flexibilite est echangee contre le maintien de I'emploi. Pour autant, cela signifie-t-il que les parties en presence partagent une meme conception du temps de travail ? L'analyse des entretiens avec les responsables syndicaux au niveau regional

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nous a permis de caracteriser les representations du temps : du temps pour soi et du travail pour tous, le maintien des reperes temporels habituels (et non J'eclatement des periodes de travail), I' acceptation d'une flexibilite controlee (et non imposee) pour maintenir son emploi. Nous concluons que les accords sur le temps de travail constituent en fait des accords de forme sur une solu­tion temporelle; ils renferment cependant un desaccord de fond entre les employeurs et les salaries a propos de Ia conception du temps de travail.

Jens THOEMMES and Gilbert DE TERSSAC Work-Time Negotiations and Time-Reference Components

ABSTRACT

The research study investigates work-time negotiating practices in France. It is based on an analysis of legal documents written since 1982 and on a study of agreements reached on the issue of work-time in a particular area of France over a long period of time ( 1982-1995). The data show that work-time agree­ments tend to focus on flexibility of production rather than workers' living conditions. How can workers agree on a rationale which favours production, to the detriment of their daily lives? A first interpretation is offered by a monographic analysis of the negotiating process within 10 businesses. The interviews conducted with the social partners show that employment has such a strong negotiating power that flexibility is exchanged for job-security. Does that compromise mean that the negotiating partners share the same view of work time? The analysis of local union representatives' interviews pinpoints the main components of their time reference: time for oneself and work for everyone; maintaining the traditional time markers (no split shifts); and agree­ment on controlled (not imposed) flexibility to keep one's job. Such agreements on work time are found to be only formal; they imply a basic disagreement between employers and employees on the very concept of work time.

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Jens THOEMMES y Gilbert DE TERSSAC

La negociaci6n del tiempo de trabajo y los componentes del referencial temporal

RESUMEN

La investigacion presentada aspira a aclarar las pnicticas de negociacion del tiempo de trabajo en Francia. Esta se apoya en el analisis de los textos jurfdicos desde 1982 y en un estudio de los acuerdos concernientes al tiempo de trabajo en una region, durante un largo perfodo {1982-1995). Estos analisis muestran que los acuerdos, concernientes al tiempo de trabajo, estan mas orientados hacia Ia flexibilidad de Ia produccion que hacia el mejoramiento de las condiciones de vida de los asalariados. ;,Como explicar entonces que estas personas acepten esta logica dirigida hacia el orden de Ia produccion en detrimento de Ia logica de su vida cotidiana? La primer explicacion es dada por medio del anal isis monognifico sobre Ia negociacion en diez empresas. Las conversaciones con los asociadas sociales indican que el empleo es un valor de fuerte arbitraje: Ia aceptacion de Ia flexibilidad es intercambiada contra el mantenimiento del empleo. Por lo tanto, ;,es que eso significa que las partes en presencia comparten Ia misma concepcion del tiempo de trabajo? EI analisis de las conversaciones con los responsables sindicales a nivel regional nos ha permitido de carac­terizar las representaciones del tiempo: del tiempo para sf mismo y del tiempo para todos, el mantenimiento de los indicadores temporales habituales (y no Ia fragmentacion de los perfodos de trabajo), Ia aceptacion de una flexibilidad controlada (y no impuesta) para mantener su empleo. Concluimos que los acuerdos con respecto al tiempo de trabajo constituyen en efecto acuerdos de forma respecto a una solucion temporal; ellos encierran sin embargo un desacuerdo de fondo entre los empleados y los asalariados, a proposito de Ia concepcion del tiempo de trabajo.

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