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La notion de régulation en EPS PAR F. SUTTER «Quoi observer, quand réguler et comment?» L'auteur témoigne des obstacles qu'il a rencontrés dans la mise en oeuvre des apports théoriques de la formation initiale sur le terrain PROBLÉMATIQUE Lors de mon entrée dans le métier, je me suis intéressé priori- tairement à la notion de régula- tion (1) dans les situations d'en- seignement avec des élèves de 5 e et de 3 e . J'ai en effet la profonde conviction qu'elles sont le vec- teur pour atteindre les acquisi- tions que je vise pour mes élèves. J'entends ici par régulations, toutes les interventions du profes- seur dans le but d'améliorer les conduites motrices des élèves à partir du moment où la situation d'apprentissage est lancée. Le Petit Robert définit l'intervention comme «un acte consistant à prendre part à des événements dans lesquels on n'était pas initia- lement engagé, un acte qui consiste à tenter d'influer sur le déroulement d'une affaire en cours, un traitement énergique et enfin une action ou un rôle ». Pour D. Siedentop (2), les com- portements des enseignants durant leur travail professionnel décrivent leurs interventions : « ils planifient, expliquent, pré- sentent, questionnent, corrigent et fournissent des rétroactions dans le but d'aider les élèves à apprendre et à se développer». Les régulations ambitionnent de favoriser les transformations envisagées en réduisant l'écart entre l'état initial des élèves et l'état final visé. Elles s'appuient sur l'observation, la correction, l'analyse, le guidage et l'évalua- tion des «conduites motrices» (3) des élèves. Plus précisément en fonction du fil rouge de la leçon, c'est-à-dire les acquisi- tions prioritaires attendues durant la leçon (ou en fin de cycle), le professeur cherche à identifier un observable ou indicateur corporel qui lui donne des informations sur les modifications des conduites motrices de l'élève à effectuer. Mon hypothèse est la suivante : en fonction des moments de l'ap- prentissage et selon les connais- sances que le professeur a de ses élèves, il privilégiera un type de régulation et adaptera son mode d'intervention dans le but de favoriser les acquisitions des conduites motrices. On peut ajouter également que le climat de classe joue, consciem- ment ou non, sur la manière d'in- tervenir du professeur. Les régu- lations peuvent se dérouler de façon sereine dès lors que l'élève éprouve le désir ou le besoin d'apprendre. Ce n'est pas le cas si l'adolescent ne montre qu'un intérêt de façade voire aucun intérêt. J'ai, pour ma part, décidé d'intervenir avec des régulations fréquentes quoi qu'il en soit. Fort de ce constat, j'ai émis les sous-hypothèses suivantes. •Dès qu'un élève affirme (non sans frustration): «Monsieur, j'y arrive pas ! », la régulation doit être immédiate. La demande n'est pas anodine. Malgré le mécontentement qu il affiche, il me semble que l'élève recherche des conseils et de l'aide. • Les effets des régulations sont d'autant plus positifs lorsque l'en- seignant laisse à l 'élève la possi- bilité de reproduire son action et reste à ses côtés pour voir sa réali- sation et constater si l'acquisition recherchée «germe»? •Plus l'observable corporel est éloigné de l'acquisition visée, plus la régulation doit être rapide et peut s'adresser à un groupe d'élèves. Le professeur pourra proposer une démonstration com- mentée. Par exemple: effectuer un tour de corde à sauter en insis- tant verbalement, durant la réali- sation, sur le placement des bras à l 'oblique basse. •Plus l'observable corporel est proche de l'acquisition visée, plus la durée de la régulation est courte et peut se faire en rappe- lant un contenu d'enseignement ou en utilisant un code gestuel. CONTEXTE L'établissement, les élèves, les conditions matérielles, l'acti- vité, la durée, les outils • Le projet EPS décrit les caracté- ristiques de l'établissement. Le collège Les Mousseaux à Ville- pinte se situe en zone prévention violence. Il recrute ses élèves sur un grand ensemble (le parc de la Noue) et une zone pavillonnaire (la Haie Bertrand). On compte environ 20% d'élèves boursiers et le collège rassemble des élèves de plus de 20 origines diffé- rentes. La population scolaire s'avère très hétérogène sur le EP.S № 331 - MAI-JUIN 2008 7 Revue EP.S n°331 Mai-Juin 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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La notion de régulation en EPS

PAR F. SUTTER

«Quoi observer, quand réguler et comment?» L'auteur témoigne des obstacles qu'il a rencontrés dans la mise en œuvre des apports théoriques de la formation initiale sur le terrain

PROBLÉMATIQUE

Lors de mon en t rée dans le métier, je me suis intéressé priori­tairement à la notion de régula­tion (1) dans les situations d'en­seignement avec des élèves de 5 e

et de 3 e . J'ai en effet la profonde conviction qu'elles sont le vec­teur pour atteindre les acquisi­tions que je vise pour mes élèves. J ' e n t e n d s ici par r égu la t ions , toutes les interventions du profes­seur dans le but d'améliorer les conduites motrices des élèves à partir du moment où la situation d 'apprent issage est lancée. Le Petit Robert définit l'intervention comme « u n acte cons is tan t à

prendre part à des événements dans lesquels on n'était pas initia­lement e n g a g é , un acte qui consiste à tenter d'influer sur le dé rou lement d 'une affaire en cours, un traitement énergique et enfin une action ou un rôle ». Pour D. Siedentop (2) , les com­p o r t e m e n t s des ense ignan t s durant leur travail professionnel décrivent leurs interventions : « ils planifient, expliquent, pré­sentent, questionnent, corrigent et fournissent des rétroactions dans le but d'aider les élèves à apprendre et à se développer». Les régulations ambitionnent de favor iser les t r ans format ions envisagées en réduisant l 'écart

entre l'état initial des élèves et l'état final visé. Elles s'appuient sur l 'observation, la correction, l'analyse, le guidage et l'évalua­tion des «condui tes motr ices» (3) des élèves. Plus précisément en fonction du fil rouge de la leçon, c 'est-à-dire les acquisi­tions prioritaires attendues durant la leçon (ou en fin de cycle), le professeur cherche à identifier un observable ou indicateur corporel qui lui donne des informations sur les mod i f i ca t i ons des conduites motrices de l 'élève à effectuer.

Mon hypothèse est la suivante : en fonction des moments de l'ap­prentissage et selon les connais­sances que le professeur a de ses élèves, il privilégiera un type de régulation et adaptera son mode d'intervention dans le but de favoriser les acquisitions des conduites motrices. On peut ajouter également que le climat de classe joue, consciem­ment ou non, sur la manière d'in­tervenir du professeur. Les régu­lations peuvent se dérouler de façon sereine dès lors que l'élève ép rouve le désir ou le besoin d'apprendre. Ce n'est pas le cas si l ' ado lescen t ne montre q u ' u n intérêt de façade voire aucun intérêt. J 'ai , pour ma part, décidé d'intervenir avec des régulations fréquentes quoi qu'il en soit. Fort de ce constat, j ' a i émis les sous-hypothèses suivantes. •Dès qu 'un élève affirme (non sans frustration): «Monsieur, j ' y arrive pas ! », la régulation doit ê t re i m m é d i a t e . La d e m a n d e n'est pas anodine. Ma lg ré le

mécontentement qu il affiche, il me semble que l'élève recherche des conseils et de l'aide. • Les effets des régulations sont d'autant plus positifs lorsque l'en­seignant laisse à l 'élève la possi­bilité de reproduire son action et reste à ses côtés pour voir sa réali­sation et constater si l'acquisition recherchée «germe»? •Plus l 'observable corporel est éloigné de l 'acquisi t ion visée, plus la régulation doit être rapide et peut s 'adresser à un groupe d 'é lèves . Le professeur pourra proposer une démonstration com­mentée. Par exemple: effectuer un tour de corde à sauter en insis­tant verbalement, durant la réali­sation, sur le placement des bras à l 'oblique basse.

•Plus l 'observable corporel est proche de l 'acquis i t ion v isée , plus la durée de la régulation est courte et peut se faire en rappe­lant un contenu d'enseignement ou en utilisant un code gestuel.

CONTEXTE L'établissement, les élèves, les conditions matérielles, l'acti­vité, la durée, les outils • Le projet EPS décrit les caracté­ristiques de l 'établissement. Le collège Les Mousseaux à Ville-pinte se situe en zone prévention violence. Il recrute ses élèves sur un grand ensemble (le parc de la Noue) et une zone pavillonnaire (la Haie Bertrand). On compte environ 2 0 % d'élèves boursiers et le collège rassemble des élèves de p lus de 20 o r ig ines diffé­rentes . La populat ion scolaire s ' avère très hétérogène sur le

EP.S № 331 - MAI-JUIN 2008 7 Revue EP.S n°331 Mai-Juin 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

plan social et s co la i r e . Cet te hétérogénéité se retrouve dans les classes et dans l'attitude des élèves face au travail. • L e taux d ' a b s e n t é i s m e est important chez certains élèves et une centaine d'exclusions tempo­raires a lieu chaque année et de nombreux actes d'incivilité sont présents dans l'enceinte du col­lège. Enfin des conseils de disci­pline avec exclusion définitive ne sont pas rares.

Certains élèves semblent porter assez peu d'intérêt à leur parcours scolaire. Pour preuve, la difficulté des professeurs principaux de 3 e à travailler avec des élèves sur un projet d'orientation cohérent. •Les élèves de 5 e montrent un in térê t impor tan t pour l 'EPS selon le questionnaire de début d'année et l'engagement constaté dans les activités. Toutefois les conseils de classe, les discussions avec les enseignants, l'itinéraire de d é c o u v e r t e s réa l i sé sur le mouvement avec le professeur d'arts plastiques, ou le nombre d'exclusions temporaires, révè­lent une difficulté pour la plupart des é l èves à se c o n c e n t r e r , à écouter et à travailler ensemble. Individuellement, les élèves sem­blent être attentifs aux régula­tions, aux r e m a r q u e s , aux conseils ou aux rappels à l'ordre. Mais collectivement, cette classe

fonctionne sur un mode d'affron­tement verbal avec échange d'in­sultes ou encore un manque de concentration. Par conséquent, le « face-à-face » avec les élèves exige de la part de l'enseignant, une attention permanente pour éviter les débordements. •Les élèves de 3 e portent égale­ment un intérêt certain à l 'EPS. Le profil de la classe est cepen­dant très différent. Les élèves posent peu de problèmes de disci­pline, les conseils de classe mon­trent que leur motivation est quasi exclusivement centrée sur l 'EPS. Les élèves sont très demandeurs, le climat de classe est propice aux apprentissages et la classe est à l 'écoute des régulations. Ils ont une réelle envie d'apprendre. Et cela se manifeste par le plaisir (visible) éprouvé à pratiquer.

Témoignage En fonction des profils de classe, il m'a semblé devoir privilégier différents types de régulations. Mes observations ont porté sur les effets des régulations à partir des critères suivants: l'écoute de l'élève, son engagement et le degré d'acquisition de conduites motrices recherchées. Je me suis également appuyé sur un questionnaire à partir duquel j ' a i pu mettre en évidence une efficacité différente selon les types de régulation (encadré).

Résultats et interprétation Avec les élèves de 5e, les régula­tions adressées à l'ensemble de la classe m'ont paru peu efficaces. En revanche, les feed-back indivi­dualisés m 'on t permis d 'abord d'obtenir leur écoute, puis de for­muler un ou plusieurs contenus d'enseignement et enfin d'obser­ver la qualité de leurs acquisitions. J'ai alors pris le parti de limiter les cons ignes à l ' en semble de la classe pour me centrer sur des

régulations individuelles. J'ai fait le choix de solliciter souvent mes élèves un par un ou par groupe de 4 ou 5 pour faire passer mon mes­sage. D'abord, parce qu'obtenir leur concentration me semble plus aisé quand le nombre est limité et lorsque les élèves sont ainsi réunis en groupe de besoins. Leurs diffi­cultés étant voisines, le travail de régulation est simplifié. L'analyse du questionnaire révèle que, pour ces élèves, la notion d'écoute (pour 65% d'entre eux) est la principale source de pro­grès . Et on consta te a i sément qu'elle n ' e s t pas d ' e m b l é e acquise. Il m'a fallu répéter fré­quemment que. pour progresser, leur attention et leur concentra­tion étaient des prérequis pour aller plus loin dans les contenus d ' e n s e i g n e m e n t . Les é l èves considèrent de façon quasi équi­valente l'utilité d'une démonstra­tion effectuée par le professeur (à 60%) et celle effectuée par un élève « bon » (à 55%). La possibi­lité de s ' ident i f ier à celui qui réussi t bien la démons t ra t ion demandée pourrait expliquer ces résultats. Enfin, un élève sur cinq affirme que l'absence de régula­tion est source de progrès. Il sem­blerait que cette réponse s 'ex­p l ique par des s t r a t ég ies d'évitement d'élèves qui préfè­rent ne pas être sollicités pour ne pas montrer une gêne à échouer. Pour les élèves de 3e, les démons­trations effectuées par le profes­seur sont plébiscitées (à 88%) par rappor t aux d é m o n s t r a t i o n s «é lèves» (28%) . Il semble que ces é lèves aient besoin d ' un modèle (le professeur) pour iden­tifier la condu i t e motr ice « idéale». Ils considèrent égale­ment que les leçons dirigées sont moins efficaces. Pour cette classe demandeuse et à l ' é cou t e , les régulations peuvent souvent se l imiter à un code ges tuel . Par exemple en badminton, lorsque j 'observe chez un élève un coude bas l 'empêchant de frapper un dégager, je cherche son regard pour lui démontrer, même loin de lui, un dégager coude haut. Ce code gestuel permet d'une part de mul t ip l i e r les r égu la t ions et d 'autre part de pointer précisé­ment l ' ob se rvab l e corpore l à modifier (la hauteur du coude avec les épaules de profil). Pour 46% des élèves, la régula­tion consistant à poser une ques­tion sur leur réalisation leur appa­raît efficace. Ce sont les mêmes

élèves qui ont également besoin de « met t re en mots » leurs actions. J'ai fait le constat que ce type d ' intervention devait être précis dans le questionnement au r i sque de ne pas pe rmet t re à l 'élève d'identifier l 'élément à transformer. Si l 'on reste trop général, par exemple en deman­dant à l ' é lève : « qu 'es t ce qui n'est pas bon?», il me paraît dif­ficile de se rapprocher de l'acqui­si t ion a t t endue . En r evanche , demander à l'élève, en badminton par exemple (si l'on recherche un placement de profil des épaules) : « comment sont p lacées tes épaules?», il semblerait que son attention se centre davantage sur la conduite à transformer. Enfin, pour les 3 e , les régulations ne peuvent être efficaces que si eux-mêmes s ' inves t i s sen t . Ils affirment que la volonté d ' ap ­prendre est tout aussi importante que les interventions du profes­seur. En déf ini t ive pour cet te classe, le rôle du professeur est celui d'un guide qui observe, ana­lyse et cherche des régulations rapides, précises et claires.

Perspectives Le choix du type de régulation et la mesure de leurs effets nous ont interrogés sur notre courte pra­tique professionnelle et sur le lien théorie-pratique de la formation initiale vers la réalité du terrain. Rechercher des acquisitions dans les condui tes motr ices de nos élèves revient à opérer des choix et privilégier différentes régula­tions. Les perspectives à l'issue de cette expérience sont les sui­van tes : nous p e n s o n s que la quest ion du « q u o i o b s e r v e r » chez nos élèves pour favoriser les acquisitions et celle du «quand réguler et comment » vont de pair. Les effets de nos régulations semblent tout autant la consé­quence du choix et du moment que de l 'apparition d'un obser­vable corporel qui nous pousse à

intervenir. François Sutter

Professeur d'EPS néotitulaire [email protected]

Q u e s t i o n n a i r e d is t r ibué aux é lèves

•Quand je parle a chacun d'entre vous durant les exercices ou durant les matchs, que vous dites-vous?

• D'après vous, qu'est-ce qui vous fait progresser en EPS?

•Le mieux pour progresser d'après vous, c'est: (cochez une ou plusieurs cases) :

- la démonstration du prof: •

- la démonstration d'un élève bon: •

- une consigne que je vous donne : • -quand je vous regarde et que je vous donne une consigne après : "I -quand je vous pose une question et que vous m'expliquez comment vous faites pour réussir: "1

-quand vous jouez et que je vous donne juste le règlement : 3 -quand je ne dis rien et que je vous laisse faire : •

( 1 ) Cette réflexion a pour point de départ le mémoire professionnel PLC2 rédigé en 2006 avec D. Lefevre et sous la direc­tion de L. Giordana à l'IUFM d"Alsace.

(2) SIEDUNTOP (D.). Apprendre à ensei­gner l'éducation physique, G. Morin éd.. 1 9 9 4 .

( 3 ) PARLF.BAS (P.). in Lexique commenté en science de l'action motrice, INSEP 1981. définit les c o n d u i t e s motrices ainsi «organisation signifiante du comportement moteur».

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