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La notion de système chez Antoine Meillet Author(s): Georges Mounin Source: La Linguistique, Vol. 2, Fasc. 1 (1966), pp. 17-29 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248789 . Accessed: 16/06/2014 23:37 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.44 on Mon, 16 Jun 2014 23:37:21 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La notion de système chez Antoine Meillet

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La notion de système chez Antoine MeilletAuthor(s): Georges MouninSource: La Linguistique, Vol. 2, Fasc. 1 (1966), pp. 17-29Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248789 .

Accessed: 16/06/2014 23:37

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LA NOTION DE SYSTEME CHEZ ANTOINE MEILLET

par GEORGES MOUNIN

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Cette analyse est nee de deux pr6occupations diff6rentes. D'une part, d'un probleme d'histoire de la linguistique: dans

quelle mesure Meillet, qui se veut le disciple de Saussure, a-t-il

adopt6 la linguistique ge'ndrale de celui-ci ? Et, notamment, son

emploi de la notion de systeme - une des notions-cl6s du saus- surisme - est-il significatif a cet egard ? D'autre part, d'un pro- blkme de s6mantique : si le sens d'un mot ne se laisse ddfinir que par une moyenne entre ses emplois linguistiques, est-ce qu'on peut tirer de cette formule une proc6dure rigoureuse d'analyse : par exemple, du sens du mot systeme chez Meillet ? Les v6rifi- cations operees au sujet de ce second probleme servent 'a la solution du premier.

La recherche dont on pr6sente ici les r6sultats s'est limit6e au corpus form6 par les deux tomes de Linguistique historique et linguistique gendrale : pour le t. I, la deuxieme 6dition, Cham- pion, 1926 ; pour le t. II, le nouveau tirage, Klincksieck, 1951.

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Meillet emploie le mot systeme, et dans des acceptions qui sont vivantes depuis longtemps dans la langue, et dans des

acceptions purement linguistiques plus r6centes. Si l'on prend pour base les indications du dictionnaire

(Littr6), systeme peut se dire soit d'un << ensemble de choses qui se tiennent )), soit d'un (< compos6 de parties coordonnies entre elles ), soit d'une ( doctrine i l'aide de laquelle on dispose et

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coordonne toutes les notions particulires ) (que cette doctrine soit juste, ou qu'elle force les faits).

Meillet parle ainsi, de favon trbs gendrale, du ( systhme de

numeration )) (II : 1651) ; du (( systeme [...] de pensee ) (I : 3501 ; II : 431); des a syst'mes [...] d'idees) (II : 1791) ; des a systemes de faits )(II : 1801, 1971, 1821, 2223) ; du systeme de Schleicher, ou de celui de Bopp (II : 1541, 1542, 2181) au sens d' (( hypothbse trop hardie ), de tentative ( chimerique )) pour obliger les faits a entrer dans un cadre. Il emploie avec les memes valeurs les mots syst6matique ou systv'matiquement (I : 1311, 2311, 2351, 2471, 2961, 3061, 3091, 3092; - II : 1551, 1561). Pour Meillet, le mot

systeme s'oppose explicitement a ce qu'il appelle ( une poussiere d'explications )) (I : 71), une collection de (( faits particuliers )) sans ( doctrine d'ensemble ) (I : 151). Au total, 23 occurrences. (Le chiffre port6 en indice dans chaque r6f'rence indique le rang des occurrences du mot dans la page; on abrigera desor- mais la mention de chaque occurrence du mot systeme en 6crivant s.)

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De fagon plus specifique, Meillet se sert frequemment des expressions a s. de la langue )) (I : 2051, 2093, 2102; - II : 1021, 1022, 1071); ou a s. g6neral de la langue (I: 111, 1151); ou a s. des langues n (II : 2221) ; ou ( s. g6n6ral des langues n (I : 921).

Ii dit aussi que la langue est a un s. rigoureusement li6 de moyens d'expression ) (II : 721; - cf. I :161); que a chaque langue constitue un s. )) (I : 831), et meme a un s. fortement organis )) (I : 2094), a un s. rigoureusement agenc6 oix tout se tient)) (II : 1581), et (( qu'une langue est un s. de signes arbitraires n (II: 1001).

Dans 11 contextes il emploie l'expression ( s. linguistique ) (I : 291, 491, 493, 791, 792, 837, 2096, 2101, 3252 ;- II: 512, 1601).

21 occurrences apparaissent sans aucun des determinatifs ci-dessus, mais le contexte immediat renvoie a l'un d'entre eux (I : 162, 16f, 492, 801, 821, 822, 832, 833, 83., 835, 836, 127, 3253 ; - II: 501, 502, 503, 504, 505, 506, 751, 821).

Il n'y a pas lieu de s'attarder a vouloir extraire le sens de ces 48 locutions synonymes, car Meillet lui-meme a indiqu6 que la langue comprend a deux parties systimatiques )) : la pho-

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LA NOTION DE SYSTeME CHEZ ANTOINE MEILLET 19

netique ou prononciation, la morphologie ou grammaire. Et

quand il emploie les expressions ci-dessus, c'est toujours par commodit6, pour evoquer soit le systkme phonetique, soit le

systeme morphologique d'une langue, soit les deux.

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47 occurrences utilisent le terme en ce qui concerne la phone- tique. 39 sont de pures mentions, dans un contexte qui ne per- met pas de tirer d'autre renseignement sur le sens que celui-ci :

pour Meillet, la phonitique est une des deux ((parties systima- tiques du langage ) (I: 721). Sur ces 39 occurrences, 12 sont manifest'es par l'expression ( s. phonetique ) (I : 72, 838, 841, 846, 861, 881, 88883, 885, 891, 93', 951; - II : 1521). 5 occurrences appa- raissent sous la forme ( s. phonique) (I : 1101;-- II : 591, 1051, 1081, 1101). 2 autres sous la forme

( s. d'articulations )) et ( s.

articulatoire )) (I : 1111, 1231). 6 autres encore, dans les expres- sions ( s. du vocalisme , a s. vocalique ), ou ( s. des voyelles n

(I : 401;-- II : 1582, 1611, 1761, 176, 2221) ; 2 dans l'expression ( s. [de prononciation] ) (I : 843, 1271). 1 enfin dans l'expression a s. [d'intonation] )) (II: 1811). Les 11 autres occurrences

emploient le mot s. sans aucun determinatif, mais le contexte renvoie a celui d'entre eux qui vient d'etre employe dans le texte (I : 472, 844, 847, 851, 953, 1103; - II : 161, 1613, 1762, 1771, 1772).

7 occurrences sur 47 permettent, grace A leur contexte, d'analyser le sens du mot s. chez Meillet quand il s'agit de phonetique. 2 s'6liminent a la lecture : ( Un s. phonitique... c'est-A-dire une maniere de prononcer (I : 838; - cf. aussi 1271) : il s'agit d'une glose, chaque fois dans une revue de non-

linguistes (Scientia, 1914 et 1911). Les 5 autres occurrences 6noncent deux traits d6finitoires du signifi6 de s.:

1) dans un s. phonetique, (( toutes les parties [...] sont liees les unes aux autres )) (I : 844) ; c'est un ensemble (( rigoureuse- ment agenc6, oii tout se tient )) (II : 1581) ; (( tout s'y tient )) (II : 1772); faire un systeme avec des faits, c'est (( ordonner toutes les trouvailles de d6tail ) (II : 1751) : c'est la d6finition du Littr6 pure et simple et celle du Lalande;

2) un s. phon'tique constitue un ensemble (( ferm6 n (I : 843), trait definitoire qui ne provient pas du Littr6.

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En ce qui concerne la morphologie, comme pour la phone- tique, un certain nombre d'occurrences (44) sont de pures mentions du terme, d'oii il ressort seulement que Meillet consi- d're la morphologie d'une langue comme un systeme.

Sur ces occurrences, 14 sont manifesties par l'expression (( s.

morphologique ))(I : 381, 839, 842, 846, 952, 1081, 1083, 1102, 2971; - II : 50', 592, 601, 611, 641). 12 autres emploient le mot sans determinatif, mais le contexte immediat renvoie a(( morpholo- gique )) (I : 391, 392, 847, 851, 871, 933, 953, 1082, 1103, 1852; - II : 508, 511).

Dans 18 contextes, (( morphologique ) est impliqu6, par r f6rence i un (( s. des cas ))(II : 971, 1182, 1183) ou des (( flexions casuelles )) (II : 961, 1183), ou des (( declinaisons ))(I : 3171, 3172; - II : 1171), ou du genre et du nombre (I: 2091, 2092). Il est impliqu6 aussi quand Meillet parle de (( s. de conjugaison ) (II :

2121), de (( s. du verbe )) (I : 1421, 1851; - II : 1211) ou de (( s. verbal )) (I : 932, 1961; - II : 311), ou de (( s. du present ) (II : 312).

9 occurrences (sur 53) se presentent dans un contexte qui renseigne sur le sens du mot :

1) C'est un ensemble ot << toutes les parties [...] sont liees les unes aux autres )) (I: 844), (( coherent )) (II: 1171), (( bien

organis6 '

(II : 1183), (( fortement organis )) (I : 2094), oi ((tout se tient )) (II : 511) ; et non pas <( l'agregat d'un certain nombre de formations gratuites, independantes les unes des autres ) (II : 1181). Il merite a peine ce nom de s. lorsqu'il atteint a ((un maximum de complication et d'incoherence ))(I : 2091). Il peut se simplifier par suppression de (( distinctions plus ou moins superflues )) (I: 2011).

2) Il constitue un ensemble (( ferm )) (I : 843).

6

Il faut ajouter a ces contextes plusieurs autres (5) qui posent que (( morphologie )) et (( grammaire )) sont employes par Meillet comme synonymes explicites : (( Un systeme morpho- logique [...] c'est-a-dire une grammaire ) (I: 839, 843 et 846,

1102) - la synonymie 6tant aussi exprim6e par l'emploi, indif-

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LA NOTION DE SYSTIME CHEZ ANTOINE MEILLET 21

f6remment, du terme formes pour les faits morphologiques (I :

1083) et les faits grammaticaux (I: 199, 200). La grammaire est pr6sentee comme une des deux (( parties syst6matiques du

langage )) (I : 721). 12 contextes presentent l'expression (( s. grammatical )) (I :

823, 852, 857, 882, 934, 112, 1301, 1302, 1321; - II 581,1052) ou < s. des formes grammaticales )) (I : 884).

22 occurrences emploient le mot s. sans diterminatif, et seul le contexte alors renvoie au sens de (( s. grammatical )) (I : 821, 822, 853, 854, 855, 856, 1271, 1303, 1304, 132, 132, 1324 1331, 1332; - II : 131, 582, 583, 584, 585, 586, 587, 588).

Dans un seul cas le terme est employe pour parler d'un fait de syntaxe (I: 1921: (( systeme compliqu6 de phrases subor- donnies ))).

2 contextes seulement sur 42 permettent de deduire le sens de l'expression (( s. grammatical )). On y voit qu'il faut entendre l'ensemble des regles de construction des formes grammaticales, par analogie, sur un paradigme, au moyen d'une permutation des flexions : finissons, finissez, finissent, etc. (I : 1301); dicit: dixit:: dicebat : dixerat:: dicet : dixerit (I : 1851).

7

Enfin, pour Meillet, la linguistique comporte trois domaines : la phonetique, la grammaire et le vocabulaire ; et 7 occurrences opposent le caractere (( systimatique ) de la phonetique et de la grammaire au caractere (( non systimatique ) du vocabu- laire : (( Au contraire [...] les mots ne constituent pas un s.; tout au plus forment-ils de petits groupes ) (I : 848) ; < le voca- bulaire est ind6pendant des s. phonetique et morphologique , (I : 95); c'est (( la partie de la langue qui, a la diffirence de la

morphologie et de la prononciation, ne constitue pas un s. ferm6 ) (I : 1071) ; Breal a etudi6 le domaine semantique, (( mais sans recherche d'un s. complet et ferme ) (I : 2341) ; entre < la morphologie et le vocabulaire, il y a une grande diff6rence : la morphologie est un s. qui n'admet que tres malaisement l'intro- duction d'dliments 6trangers, non livrds par la tradition de la

langue meme; le vocabulaire se compose de mots dont sans doute la valeur ne se laisse definir precis6ment que par rapport a d'autres mots, mais qui n6anmoins sont independants les uns

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des autres, et, par suite, il peut accueillir en quantit6 illimit6e des 616ments ne provenant pas de la tradition propre de la

langue )) (I : 2971) (cf. aussi II : 751); (( les faits de vocabulaire sont pour une large part independants de la structure de la

langue ) (II : 105).

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La premiere chose qui frappe, aprbs ce depouillement, c'est que Meillet ne donne pas de definition linguistique proprement dite de la notion de s. La chose est d'autant plus intdressante qu'il a eu l'intuition d'une condition fondamentale de toute

terminologie scientifique : a propos de qualitas, il dit express6- ment, et parfaitement, que ce mot poss'de ( la precision d'un mot technique dont le sens est enferm6 tout entier dans les termes de sa definition, et dont la nettet6 scientifique n'est troublee par les reflets d'aucun autre mot ) (I : 339; cf. aussi

l'article remarquable < Sur la terminologie de la morphologie g6ndrale ), II: 29-35, notamment p. 31 : < [mme] un terme qui suggere une idle fausse perd son venin dbs qu'on l'a defini d'une manibre exacte 0). Eit-il mis cette observation marginale au centre de sa pratique linguistique, il aurait jet6 les bases d'une axiomatique de la discipline. Mais chez lui le mot s. recouvre une notion complexe, empruntie a la tradition empi- rique de la langue frangaise, oih s'entrevoient les reflets de

plusieurs emplois distincts. Les occurrences (sur 220 examinees jusqu'ici) qui se pre-

sentent dans des contextes ayant une valeur definitoire sont toutes, sauf une (Festschrift Meinhof), dans des articles destines A des revues oih Meillet s'adresse a des publics de non-linguistes, avec la pleine conscience de ce fait (cf. I : 1) : 14 viennent de la revue Scientia, sur 18 ; les trois autres, d'articles destines a des

philosophes ou des psychologues. Meillet n'a pas eu le senti- ment de devoir dffinir son usage du mot s. pour des lecteurs

linguistes. Si l'on applique avec rigueur a ce depouillement la these

selon laquelle le sens d'un terme peut et doit tre extrait de la somme de ses emplois, et de 1l seulement, sans recourir a des definitions extrinseques au corpus, on n'aboutit ici qu'a une definition de ce sens ' la fois multivoque (ce qui n'est pas grave) et incomplete. A supposer - les cas semblables sont frequents

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LA NOTION DE SYSTEME CHEZ ANTOINE MEILLET 23

pour les langues anciennes - que dans un millenaire on dispose seulement des deux tomes de Meillet pour redecouvrir le sens du mot s. en linguistique au xxe si'cle, on ne pourrait pas reconstituer totalement ce sens. On verrait bien par ohi s. est

synonyme de doctrine ou de theorie - mais ce sens n'a rien

d'opiratoire, ni de propre a la linguistique. S. morphologique et surtout s. verbal apparaitraient comme ayant un sens qui n'avait rien de nouveau, qui figurait dej~ au Littr6 (( Ensemble de choses qui se tiennent : s. des temps d'un verbe )) et qui remontait pour le moins au Konjugationssystem de Bopp. Pour s. phonetique et ses equivalents, on ne pourrait en inf6rer vague- ment le sens integral (il est double, ainsi qu'on le verra) que par analogie avec celui de s. morphologique. I1 faudrait avoir l'Apergu d'une histoire de la langue grecque (cf. p. 24, 6d. de 1955) pour savoir que (( s. vocalique ) chez Meillet d6signe l'arrangement connu sous le nom de (( triangle vocalique ) depuis la fin du

xvIIIe si cle (Hellwag, 1781), et pour entendre parler d'un s. des occlusives (p. 20) qui est un tableau; ou l'Introduction a l''tude

comparative des langues indo-europeennes pour saisir ce qu'est chez Meillet le s. des sonores simples ou le s. des sourdes simples (p. 82).

Mais, meme en recourant a ce corpus plus complet des oeuvres de Meillet, on n'arrive pas encore a une definition du mot s. qui permette de saisir l'originalit6 de cette notion vers 1900-1920, par rapport a ses acceptions anterieures - ce qui est notre

problbme : car cette originalit6 revolutionnaire constitue l'un des traits de l'usage de s. chez Saussure, dans le Cours. Or on ne saisit pas, chez Meillet, ce qu'apporte de nouveau, pour la notion de s., le fait de le definir comme (( ferm6 ); on ne voit

pas non plus le comment du n( tout s'y tient ), ni le comment de << toutes [ces] parties [qui] sont lides les unes aux autres )); ni surtout le sens nouveau que ces traits definitoires apporteraient a des procedures d'analyse senties comme revolutionnaires par rapport A celles de la linguistique de 1880.

La these selon laquelle le sens d'un mot, ce sont ses usages, ne se

rvevle donc pas theoriquement fausse au cours de l'investi-

gation ci-dessus; mais celle-ci rend sensibles plusieurs faits. Tout d'abord la raret6 - voire l'absence - sur un corpus 6tendu de contextes propres A en d6duire une d finition (ici, 18 sur 220 - pour obtenir quelque chose d'encore incomplet

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24 GEORGES M OUNIN

comme dkfinition). Puis le fait que l'usage d'un auteur peut ne jamais se difinir dans ses propres contextes, parce que la notion lui vient d'une tradition qu'il n'eprouve plus le besoin de definir; en ce qui concerne Meillet, le corpus devrait sans doute englober, d'une part, tous les usages depuis qu'a la fin du xvIIe siecle le mot s. est sorti du vocabulaire technique des

philosophes et des mathematiciens, jusqu'a la Theorie des S. de Condillac (capitale), jusqu'd Bopp; et, d'autre part, les usages de Saussure, que nous allons prendre en consideration. Cette these, en fin de compte, apparalt donc comme la formulation

scientifique rigoureuse des vieilles procedures par lesquelles la

philologie reconstruit le sens des termes 'a partir des textes : mais elle ne propose pas de procedures foncibrement nouvelles, plus rapides ou plus efficaces, pour extraire d'un corpus le sens d'un terme. On peut meme se demander si, pour des notions

techniques concernant l'activit6 intellectuelle, on pourra tou-

jours extraire d'un corpus le sens d'un terme, sans recourir a des depouillements aussi vastes historiquement que l'activit6 intellectuelle elle-meme en question, ou sans recourir 'a des recueils specialis6s de deffinitions.

9

I1 est vraisemblable au depart que Meillet a subi l'influence de la pensee, et du vocabulaire, de Saussure ; mais il est visible, apres le depouillement ci-dessus, que la pensee ni le vocabulaire de Meillet ne sont pourtant pas saussuriens, au sens courant du terme.

Dans le Cours de linguistique g-nedrale de Saussure, on trouve 138 occurrences du mot s. pour un corpus d'environ 100 000 mots (1,38 O/oo) ; contre 229 chez Meillet, pour un cor-

pus d'environ 250 000 mots (0,90 O/oo). La frequence du terme est a premiere vue moins 6levee chez Meillet. Mais il faut noter

aussit6t qu'on relbve chez lui 89 occurrences du terme structure, dont l'6tude est tres interessante en elle-m me, et qui se rivdle presque toujours un synonyme de s. au sens linguistique ; tandis

que ce meme terme n'apparait qu'une fois dans le Cours (p. 244 de la 5e ed.), suivi d'un commentaire, duquel il resulte que Saussure rejette consciemment le terme structure, ia ses yeux tres ambigu. L'usage de structure + systeme chez Meillet donne

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LA NOTION DE SYSTAME CHEZ ANTOINE MEILLET 25

une fr6quence de 1,24 O/oo, proche de la fr6quence saussurienne. Ajoutons, pour etre complet sur l'usage de Saussure, que son vocabulaire sur ce point se montre a la fois tres novateur et

plus archaique que celui de Meillet : il emploie 13 fois le terme mecanisme de la langue qu'on ne rencontre pratiquement plus chez Meillet (cf. II : 218) ; et surtout 11 fois le terme organisme (explicitement synonyme de s., cf. pp. 40 et 107), terme cher a Bopp et Schleicher, d6ji si critiqu6 par Br6al a cause de ses connotations naturalistes; et bien que Saussure lui-mame l'ait critiqu6 de ce point de vue (p. 19).

L'usage saussurien du mot s. m6rite a lui seul une analyse philologique; mais ce qui int6resse ici, c'est ce qui le s6pare des usages de Meillet. Ce qui frappe, c'est que celui-ci n'a pas retenu, dans ce qu'ils ont d'op ratoire quant a la construction de la notion de s., les trois concepts saussuriens d'opposition des termes dans le s. (cf. Cours, pp. 421, 562, 1491, 167, 168, 1821, etc.) ; de signes linguistiques conqus comme de pures diffe- rences (1662, 1663, 1664, 167) ; et de s. de valeurs (pp. 1161, 1162, 1163, 1551, 1601, 1621, 1665) (cf. aussi toutes les comparaisons avec le jeu d''checs: 434, 435, 1251, 1261, 1262). M me quand Meillet remploie, rarement, la terminologie saussurienne d'oppo- sition (Aperqu, p. 28, par exemple), ou moins rarement celle de valeurs (I : 2971), c'est en passant, ce n'est pas comme opera- tions centrales dans une analyse.

I1 reste a chercher l'explication de cette constatation : que Meillet, disciple h l'aEcole Pratique des Hautes (I : 2 ;- II : 178, 179), admirateur (II : 179), ami de Saussure (cf. Godel, Les sources manuscrites du CLG, Lettre de Saussure ' Meillet du 4 janvier 1894) -, que Meillet, donc, n'est pas le propaga- teur ni le continuateur du saussurisme (s'il l'avait et6, la phono- logie aurait pu naitre en France, ou s'y implanter facilement). Cette explication est d'autant plus n6cessaire que, si Meillet a

ignor6 jusqu'en 1916 le d6tail de ce qui allait tre le Cours (cf. II : 183), il n'en a pas ignor6 certaines theses essentielles, comme l'opposition synchronie /diachronie (II : 183); de plus, de 1916 a 1936, vingt ans durant, il a continue a produire : dans

Linguistique historique et linguistique generale (I et II), il y a plus d'articles dat6s posterieurs

' 1916 (33) que d'articles ant6- rieurs (13).

La cl6 de tout, pour ce qui est de la notion de s., semble bien

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le refus, chez Meillet, d'adopter le point de vue saussurien fon- damental, a savoir la necessit6 de distinguer la diffirence de nature scientifique entre l''tude synchronique du fonctionne- ment linguistique et l'6tude diachronique du changement lin-

guistique : < Il n'y a ainsi au fond - 6crit-il en 1918 -, en ce

qui concerne l'6tude positive des langues particulieres, qu'une seule discipline grammaticale, ' la fois descriptive et historique, et qui met seulement en 'vidence le c6t6 descriptif ou le cat6 historique suivant le but special de la recherche entreprise n (I : 48; cf. aussi I : 44). Ii faut insister sur ce refus, bien que par ailleurs, et nettement, Meillet puisse insister sur la necessit6 de dicrire d'abord (I : 5, 9), de ne pas priviligier la linguistique historique (I : 7) - et ceci des 1906. Mais chez lui le moment de la description n'est jamais que le moment prialable, preli- minaire - auxiliaire -, du moment linguistiquement central : l'analyse historique. Il congoit toujours la linguistique comme

l'etude des changements historiques. Il decoule de 1a que chez lui la notion linguistique de s. est

essentiellement lide '

l'analyse diachronique telle qu'on la concevait depuis 1880. En synchronie, ce qu'il nomme s., ce sont essentiellement des tableaux pour la presentation des clas- sifications phoneitiques courantes 1'6poque, sans ref6rence meme embryonnaire a ce qui deviendra la phonologie. Le caractere traditionnel, et non operatoire, de cet emploi du mot s. en

phonetique est manifeste dans ce fait : Le Trait6 de phon"tique grecque de Michel Lejeune (qui continue et transmet sur ce

point l'enseignement de Meillet puis celui de Vendryes) ne sent pas le besoin, tres l'gitimement, d'utiliser la notion ni le mot de s., qu'il n'emploie que rarement, de faqon purement traditionnelle (cf. le titre de chapitre et la presentation du (( s. vocalique ) du grec). Pour la morphologie, chez Meillet, le mot s. renvoie aussi ' des tableaux (s. du verbe), d'oit pouvait naitre la notion de commutation. (Meillet lui-meme en a bien vu le principe, en 1918 : (< Toutes proportions gardees, on peut dire - 6crit-il - que le langage procede avec les mots comme le typographe proc'de avec les caracteres mobiles qui lui servent a composer des mots infiniment divers, etc. I : 65; cf. aussi II : 10, 70.) Mais ces tableaux n'aboutissent pas a des concepts operatoires, c'est-a-dire propres a tre utilis6s systimatiquement pour effectuer des operations d'analyse qui seraient vraiment

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LA NOTION DE SYSTeME CHEZ ANTOINE MEILLET 27

la base de la description du fonctionnement du s. de communi- cation constitu6 par une langue.

Au contraire, pour ce qui est de la diachronie, la notion de s., chez Meillet, a ce caractere operatoire : le s. des voyelles est essentiellement vu comme un tableau des regles de corres- pondances qui expliquent les formes vocaliques sanscrites, grecques et latines, par exemple, a partir d'une reconstruction du tableau des voyelles indo-europeennes. I1 s'agit done ici d'un emploi rigoureux de la notion de s. : l'ensemble fini des regles (telles qu'on les formulait a cette epoque) qui permettent de passer d'un 6tat de langue A un autre : un (( s. de correspon- dances )), un (( s. regulier de correspondances ), un < s. de concor- dances ), dit Meillet (I: 471, 3241, 3242, 3243, 3251, 3252); ou encore un (( s. des comparaisons ) (II : 1551), des (( formules de correspondance ) (I: 931; - II: 1521; cf. aussi I: 891, les regles de passage de f latin " h espagnol, type facere/hacer). (Chose curieuse, Meillet semble penser que la grammaire est a ce point de vue plus systematique que la phonetique, cf. I: 721.) C'est dans le meme sens qu'il parle de (( s. de la grammaire compare )) (II: 851) ou de (( s. d'explication )) (II: 157): il s'agit toujours de regles pour expliquer le changement linguis- tique, et non le fonctionnement du code linguistique.

A ce point de l'analyse des emplois de la notion de s. chez Meillet, on aperqoit mieux que, pour l'essentiel, ils d rivent de ceux de Saussure non pas dans le Cours, mais dans le M4moire sur le systeme primitif des voyelles dans les langues indo-euro-

p6ennes, de 1879. Dans cet ouvrage, en effet, pour lequel a maintes reprises on voit Meillet dire sa grande admiration (des 1900, cf. I: 41-42), le mot s. signifie tant t le tableau (pp. 1, 134, 135, etc.), le schema (p. 122) d'un 6tat de langue (ou d'une hypothese, ou d'une theorie, sur un 6tat de langue), et tantat le tableau ou le schema des regles de passage d'un 6tat de langue A un autre (pp. 1, 2, 3, 4, 5, etc.) - mais avec predominance de ce dernier sens, qui est encore celui de la linguistique historique. On a des raisons de dire aujourd'hui que le Mgmoire contenait deja, par son type meme d'analyse des voyelles indo-europeennes, le germe de ce qui dans le Cours deviendra la these selon laquelle le signe linguistique ne se ddfinit que par sa diffirence avec les autres signes du systeme. Mais ce n'est pas ce germe (que nous distinguons bien sans

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28 GEORGES MOUNIN

doute aujourd'hui parce que la suite de l'histoire de la linguis- tique nous aiguise le regard sur ce point) que Meillet prend dans le Memoire, avec la notion de s. : c'est le raffinement d'une

technique d'analyse n6e avec le Konjugationssystem de Bopp; ainsi que l'indistinction d'emploi du mot s., encore chez Saus- sure a cette date, pour designer tant6t le tableau d'un 6tat de langue, et tant6t le tableau du passage d'un 6tat ' un autre. Quand Meillet dit son immense dette g l'agard de l'enseignement de Saussure, c'est toujours a l'auteur du M6moire qu'il pense, et sans doute jamais a l'auteur du Cours : en 1906, 6videmment, dans la

lemon d'ouverture au College de France, comme dans la

dedicace renouvelee de l'Introduction... (depuis 1905), et dans la notice nicrologique de 1913 (II : 174-183, surtout 178-179). Mais, meme apres 1916, bien qu'il ait adopt6 la terminologie de l'opposition langue /parole (II : 29, 73), ou mentionn6 l'oppo- sition synchronie /diachronie (II : 183), c'est presque toujours a l'auteur du M#moire qu'il revient (II: 158, 159, 202, 222).

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Une telle investigation, sur le plan de l'analyse simantique, montre que les vieilles techniques eprouvees de la philologie ne

cofitent pas trop cher en temps dans les domaines de la recherche terminologique et de la recherche historique ; et qu'elles restent precieuses pour cerner le sens d'un terme, meme quand elles ne livrent pas l'outil, semblait-il infaillible, dont revait Witt-

genstein, quand il 6crivait : Don't look for the meaning, look for the use. La collection, puis l'analyse des usages, surtout dans le domaine des terminologies intellectuelles, est sans doute un travail beaucoup plus long qu'il ne l'imaginait lorsqu'il frappait sa formule - comme la philologie l'avait demontr6 depuis longtemps (Meillet, d'ailleurs, quand il crit celle qu'on a cit6e, r6sumait peut-etre ainsi sa vaste experience de chercheur en matiere de philologie indo-europeenne).

En ce qui concerne l'histoire de la linguistique gendrale, on peut apercevoir a quelles causes tient le fait bien ressenti

aujourd'hui que la linguistique g'ne'rale de Meillet n'accompagne ni ne continue ni ne developpe directement celle de Saussure; et le fait, egalement ressenti, que malgr6 la presence et l'activit6 de son disciple a Paris, Saussure - et par la suite la phonolo-

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LA NOTION DE SYSTEME CHEZ ANTOINE MEILLET 29

gie - n'a penetr6 que si lentement dans le public franqais. Sur le plan plus gen6ral encore de l'histoire des doctrines, et

de leur transmission, le cas Meillet-Saussure illustre aussi le fait

qu'il n'y a pas obligatoirement d'heritiers naturels en matiere de science : c'est '

Prague et ' Copenhague, plus qu'i Geneve

et ' Paris, qu'on heritera de Saussure. Une telle observation

d'histoire des sciences, qui n'est pas unique, ouvrira sans doute a la reflexion de l'enseignant-chercheur un large champ de m6ditations.

Faculte" des Lettres et Sciences humaines d'Aix-en-Provence.

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