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La parité à l'épreuve des élections municipales de mars 2001

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La parité à l'épreuve desélections municipales de mars2001Sandrine DauphinPublished online: 18 Aug 2010.

To cite this article: Sandrine Dauphin (2002) La parité à l'épreuve des électionsmunicipales de mars 2001, Modern & Contemporary France, 10:1, 59-73, DOI:10.1080/09639480120107578

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ISSN 0963-9489 print/ISSN 1469-9869 online/02/010059-15 q 2002 ASM&CFDOI: 10.1080/0963948012010757 8

Modern & Contemporary FranceVol. 10, No. 1, 2002, pp. 59–73

Abstract

On 6 June 2000, France adopted a law concerning ‘women and men’s equalaccess to elected office’. This gender parity law was first implemented in themunicipal elections of 11 and 18 March 2001 which resulted in the proportionof women town councillors more than doubling from 21.9 per cent to 47.5 percent in municipalities with more than 3500 residents. In other words, the lawreached its quantitative goal. However, it did not have the effect of wideningwomen’s access to the most prestigious posts: those of mayors, deputy mayors,inter-town concillors (conseillers inter-communaux), and general councillors(conseillers généraux). While political parties did respect the law, they alsoshied away from promoting women to truly strategic positions.

La France est le premier pays au monde à s’être doté d’une loi constitutionnelle etd’une loi organique visant à instituer la parité dans la sphère politique. La mobilisa-tion des femmes politiques de gauche et de droite, mais également des associationsféminines et féministes, a contribué à la prise en compte par les leaders politiques decette revendication. Les femmes politiques se sont mobilisées, quelques mois seule-ment après le limogeage d’Edith Cresson comme Premier ministre, avec le sommeteuropéen ‘Femmes au pouvoir’ du 3 novembre 1992 à Athènes qui réunissait lesprincipales m inistres des États membres.1 Quant aux associations,2 elles ontcommencé une véritable action commune au moment de la préparation de laquatrième conférence mondiale des femmes à Pékin en 1995 où les Françaises ontproposé la parité comme moyen d’accès à l’égalité.

Cette mobilisation a conduit à diffuser très largement des chiffres désignant laFrance comme la lanterne rouge de l’Europe, juste avant la Grèce en terme dereprésentation des femmes dans les Assemblées (10,9 pour cent de femmes àl’Assemblée nationale depuis 1997 et 5,9 pour cent au Sénat). Ces derniers ontfavorisé une véritable prise de conscience d’autant plus qu’ils se sont accompagnésde témoignages de femmes sur les difficultés qu’elles rencontraient dans le milieu

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SANDRINE DAUPHINUniversité Paris VII-Jussieu

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politique.3 La parité est finalement devenue l’un des enjeux de la campagne présiden-tielle de 1995 liée à la modernisation des partis politiques. Elle a été présentéecomme une exigence démocratique permettant le renouvellement des élus. Enpériode de crise de représentation politique, elle est effectivement apparue auxreprésentants des partis politiques comme un gage de leur modernisation. Legouvernement d’Alain Juppé4 mettra en place l’Observatoire de la parité5 tandis quecelui de Lionel Jospin modifiera la Constitution6 ralliant, en période de cohabitationpolitique, le Président de la République à sa volonté. Le texte adopté le 28 juin 1999est issu d’un véritable consensus entre une Assemblée nationale majoritairement degauche et un Sénat de droite, ce qui est perceptible dans la formulation même de laloi constitutionnelle. L’article 3 indique désormais que ‘[l]a loi favorise l’égal accèsdes femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives’, tandisque l’article 4 précise que les partis politiques sont chargés de la mise en œuvre decet alinéa. Le terme de parité n’a pas été utilisé. Seul l’exposé des motifs s’y réfère.L’article 3 de la Constitution consacre donc l’égal accès, c’est-à-dire le principe del’égalité des chances en politique.7 En conséquence, la parité ne peut être effectiveque sur les candidatures et non sur les élues. Elle a donc été définie par l’égalité deschances qui établit une distinction entre ‘l’égalité formelle’, acquise dans la loi et‘l’égalité réelle’ qui reste à atteindre. Toutefois, cette modification est somme touteassez timide par rapport aux ambitions affichées par le Premier ministre puisque laloi ‘favorise’ et ne ‘garantit’ pas.8 Au bout du compte, ce texte encourage maisn’oblige pas les partis politiques à tout mettre en œuvre pour une réelle parité entreles femmes et les hommes.

Or la loi d’application, adoptée le 6 juin 2000, va plus loin que la modificationconstitutionnelle puisqu’elle impose davantage qu’elle ne favorise. C’est, en effet,une logique de parité qui a été votée et non de quotas (parité progressive). Dans lesouci de préserver la liberté de l’électeur et dans la logique de la modification con-stitutionnelle, la loi impose une parité de candidatures (égal accès) et non d’élus (pasde parité de résultats). Elle ne remet pas en question le système électoral français(élargissement de la proportionnelle), ce qui avait été la condition émise par lessénateurs pour adopter la loi constitutionnelle.

La loi sur l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux etfonctions électives ne s’applique pas à toutes les élections. Elle concerne lesélections municipales, législatives, sénatoriales à la proportionnelle, européennes etrégionales, mais pas les cantonales et une partie des sénatoriales en raison de leurmode d’élection particulier.9 Concernant les élections municipales, la loi du 6 juin2000 ne prend en compte que les municipalités de plus de 3500 habitants afin làencore de préserver le mode de scrutin.10 Sur les 36.680 communes, seules 2679,représentant près de 80 pour cent de la population française, sont ainsi touchées parla loi. Du fait de la parité des listes, une augmentation importante du nombre defemmes dans les conseils municipaux est assurée. Toute la question est de savoirdans quelle mesure cette loi a eu un effet d’entraînement d’une part, sur lescommunes de moins de 3500 habitants et d’autre part, sur les élections cantonales.Par ailleurs, la loi impose une parité de candidatures pour les listes par tranche de sixnoms ce qui ne garantit pas l’ordre des postes en position éligible. La loi est égale-

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ment muette sur la composition sexuée des exécutifs municipaux.11 Dès lors, on peuts’interroger sur la manière dont les femmes ont trouvé une place stratégique sur leslistes et dans les exécutifs municipaux.

Finalement la loi a-t-elle été efficace? Les femmes se retrouvent-elles dans leslieux de pouvoir qui leur permettent non seulement de participer à la gestion de leurville, mais éventuellement de faire une carrière politique au niveau national? Lespartis politiques n’ont-ils pas insidieusement dévoyé, non pas la loi qui n’est qu’unmoyen, mais le principe même de parité hommes/femmes? C’est ce que nous nousattacherons à saisir dans cette analyse des élections de mars 2001 par une réflexion,dans un premier temps, sur les femmes et le pouvoir par le prisme des électionslocales et, dans un second temps, sur la manière dont les partis politiques ont respectéles contraintes imposées par la loi.

Des élues en nombre aux confins du pouvoir

Les femmes semblent s’être emparées du pouvoir local avec l’appui de la loi. Lenombre de conseillères municipales passe ainsi du simple au double. De 1947 à1977, le pourcentage de femmes dans les conseils municipaux a évolué de 3,1 à 8,4pour cent.12 Il faut attendre 199513 pour que ce pourcentage atteigne 21,7 pour cent.Aujourd’hui il est de 47,5 pour cent dans les communes concernées par la loi.Pour autant la parité exacte, c’est-à-dire 50 pour cent de femmes dans les conseilsmunicipaux, n’a pas été obtenue en raison du système d’une parité par tranche de sixet non alternée. Néanmoins, la loi du 6 juin 2000 a atteint son objectif qui concernaituniquement, pour cette élection, les conseillères municipales.

La question qui se pose alors est l’effet d’entraînement possible sur d’autresrésultats non dépendants directement de la loi. Les chiffres sont notamment moinsprobants pour les femmes maires avec seulement 10,8 pour cent contre près de 8pour cent auparavant. De 1995 à 2001, le pourcentage de femmes maires avaitaugmenté de 2,8 pour cent contre une augmentation de 2,7 de 1989 à 1995. Cette

Figure 1. Femmes conseillères municipales (communes de plus de 3500habitants) et maires de 1983 à 2001 (%).

Source: Ministère de l’intérieur.

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faible augmentation du nombre de femmes maires s’explique notamment par le faitque peu de femmes ont été choisies comme tête de liste. Dans les villes de plus de20.000 habitants, le Parti socialiste n’a présenté que 14,2 pour cent de femmes têtesde liste contre 9 pour cent pour la droite dans les villes de plus de 30.000 habitants.Les partis ont privilégié les maires sortants favorisant, de fait, les candidaturesmasculines; en effet, il apparaît bien délicat de ne pas reconduire un maire populairequi aurait à son actif un bon bilan. C’est pourquoi, l’enjeu du renouvellement dupersonnel politique s’inscrit dans un phénomène assez complexe de légitimation despostes de pouvoir auxquels les femmes peinent encore à trouver leur place.

Des élections de proximité profitant aux femmes

Comme le nombre de conseillères municipales en témoigne, ces élections ont su êtreprofitables aux femmes. On peut raisonnablement penser que la loi du 6 juin 2000 afacilité les démarches entreprises par les femmes souhaitant être sur les listes. Maisplusieurs autres facteurs sont à prendre en considération. Premièrement, le scrutin deliste est généralement plus favorable aux femmes comme l’ont souligné FrançoiseGaspard et Philippe Bataille.14 C’est effectivement un scrutin qui permet moins depersonnalisation des élections et un grand travail de proximité. Autant de paramètressignificatifs pour les candidatures féminines selon les études sur les femmes enpolitique.15 Un autre facteur a pu également encourager les candidatures féminines:l’opinion publique est particulièrement favorable à la présence des femmes dans lesmairies et dans les conseils municipaux. Selon un sondage de la revue Lunes16, 63pour cent des personnes interrogées pensent que la présence des femmes va améliorerle fonctionnement de la démocratie et les choix politiques locaux. En outre, près dedeux tiers des personnes interrogées souhaiteraient qu’une femme soit élue maire deleur commune: 73 pour cent des électeurs de gauche contre 55 pour cent pour ceuxde droite. L’opinion dans son ensemble attribue donc une parfaite légitimité auxfemmes pour exercer leurs compétences dans toutes les sphères de l’action politique.

Comment expliquer, et tirer toutes les conséquences politiques, de cet a priorifavorable aux femmes? Les municipales sont perçues comme des élections deproximité qui interfèrent dans la vie quotidienne des citoyens et ce souci deproximité, associé à un rapport au quotidien, est perçu différemment par les hommes

Tableau 1. Femmes élues, mars 2001 (%)

Conseillères municipales dans les communes de plus de 3500 habitants 47,5%Maires sur l’ensemble des communes 10,8%Conseillères générales 9,5%Conseillères régionales 25%Députées 10,9%Sénatrices 5,9%Députées européennes (pour la France) 40,2%

Source: Ministère de l’intérieur.

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et les femmes. Lors du débat sur la parité, certaines femmes politiques etintellectuelles avaient notamment appuyé leur argumentation sur la manièredifférente dont les femmes feraient de la politique parce qu’elles seraient, du fait dela responsabilité des enfants, plus ancrées dans le quotidien. Ainsi, Janine Mossuz-Lavau et Anne de Kervasdoué écrivent dans Les Femmes ne sont pas des hommescomme les autres: ‘[c]ertes, les hommes évoquent les problèmes des gens, des élèvesde banlieues aux bénéficiaires du revenu minimum d’insertion en passant pardiverses autres catégories, mais aucun ne met en scène et ne donne à voir la réalitéavec cette précision. Les femmes traduisent de manière très concrète, très informée,des considérations qui restent plus générales chez les hommes’;17 ou encore: ‘[p]eut-être les hommes sont-ils complètement dans le politique alors que les femmes, pourdes raisons historiques et socioéconomiques, seraient encore dans l’infra politique oudans le pré-politique?’.18 Ces propos trouvent un écho parmi les femmes politiques àl’instar de la socialiste Catherine Trautmann qui affirme: ‘[l]a politique autrement, jecrois qu’on doit la revendiquer comme femme’.19 L’argument selon lequel lesfemmes auraient une autre pratique de la politique que les hommes, véritable senscommun, paraît d’autant plus fallacieux qu’il repose sur les qualités dont seraientdotées toutes les femmes tandis que les hommes seraient dotés de compétences. Or,la politique est une affaire de compétences parce qu’objectivement les hommespolitiques ont une formation qui leur permet de posséder le savoir technique. Lesfemmes sont encore renvoyées à des qualités innées alors qu’elles peuvent prétendreaux compétences. Rappelons qu’en France les filles sont plus diplômées que lesgarçons. Il apparaît ainsi contradictoire de réclamer l’égalité entre les sexes, etparallèlement de s’appuyer sur des ‘qualités’ acquises justement par ce rôle joué dansla sphère privée pour légitimer l’accès des femmes au politique.

Ceci dit, l’utilisation d’un tel argumentaire sert également les partis politiques. Enpériode de perte de confiance du citoyen envers les hommes politiques, ce n’est pastant leurs compétences que leurs ‘qualités morales’ qui sont remises en cause. Dèslors, il n’est guère étonnant que les électeurs accordent davantage leur confiance auxfemmes politiques, a priori moins expérimentées donc moins corrompues. On peutmesurer toute l’ambiguïté d’un tel syllogisme qui ne soit pas basé sur la seuleexigence démocratique d’égalité entre les sexes. C’est pourquoi, la seule logique dedifférence présente au moins deux dangers: l’enfermement de toutes les femmes dansun même modèle alors que tout individu est pluriel et la tendance à la naturalisationdu rapport des femmes au pouvoir. En effet, l’utilisation de ce type d’argumentairepeut se retourner contre les femmes puisque, comme le précise Marie-BlancheTahon, ce sont les mères et non les femmes qui ont été tenues à distance de lacitoyenneté.20 Aujourd’hui, la maîtrise de leur fécondité leur permet d’accéder austatut d’individu abstrait et de réclamer, dès lors, la parité sans visée essentialiste.

Somme toute, les femmes ne sont pas encore assimilées en politique commeindividus amenés à représenter l’ensemble des citoyens puisqu’elles ne font quereproduire dans la sphère politique le rôle qui leur est dévolu dans la sphère domes-tique. Ces craintes sont confirmées par un sondage IFOP pour l’hebdomadaire Ellequi porte notamment sur les qualités et défauts que les électeurs appliquent à l’un oul’autre sexe en politique.21 Les résultats sont édifiants puisque les hommes ont les

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pires défauts tandis que les femmes sont dotées de vertus, telle que l’honnêteté (52pour cent des femmes contre 8 pour cent des hommes).

Aussi la place des femmes dans les conseils municipaux est à penser par rapport àces stéréotypes sociaux encore vivaces dans les esprits. D’après le sondageBVA/Lunes, les personnes interrogées continuent à cantonner les femmes dans dessecteurs traditionnels:22 l’éducation et la petite enfance, les affaires sociales, la santéet l’environnement. Les nouveaux conseils municipaux correspondent à cette image.Selon les estimations du quotidien Libération, si près du tiers des maires ontconstitué un exécutif paritaire dans les villes de plus de 3500 habitants, les femmesont obtenu des postes dits ‘traditionnels’: 65 pour cent de femmes occupent le social,62 pour cent l’éducation, 40 pour cent la culture et 36 pour cent l’environnement.23

Les finances, le sport et les transports restent à 85 pour cent une affaire d’hommes.Même s’il faut nous garder de généraliser en l’absence de l’ensemble des données,les femmes se dirigeraient, et seraient dirigées, vers ce qui leur est familier,les secteurs où elles se sentent légitimées et compétentes, à savoir le social etl’éducation. Première mise à l’épreuve de cette loi, il apparaissait somme toute assezprésomptueux d’imaginer un bouleversement culturel dès les élections municipalestant les stéréotypes sociaux imprègnent encore les esprits. De fait, l’efficacité réellede la loi ne peut être mesurée, en ce qui concerne les municipales, que quantitative-ment.

Les femmes restent absentes des vrais lieux de pouvoir

Globalement le nombre de femmes maires a peu augmenté avec près de 10.8 pourcent dans les l’ensemble des communes. Les femmes sont donc peu présentes auposte le plus important de la ville. En effet, si être conseiller municipal est d’unintérêt non négligeable en terme d’apprentissage politique, seul le poste de mairedonne du pouvoir: ‘[p]ersonnage le plus et le mieux connu de ses administrés, iléclipse souvent les autres membres du conseil municipal tout comme les autrespersonnages de la collectivité’.24 Le maire n’est pas un homme seul mais disposed’un réseau dont on connaît l’importance pour faire une carrière politique. Comme leremarque Philippe Braud:

[le maire] se verra imputer personnellement la responsabilité de processus décisionnelscomplexes qui, en réalité, ont associé des acteurs beaucoup plus nombreux, mais peu oupas du tout connus. Il s’ensuit un processus d’identification du premier magistrat à sa‘ville’, qui fonctionne dans les deux sens: à la fois comme assignation identitaireextérieure, en provenance des administrés ou des tiers, mais également comme endosse-ment personnel d’un rôle.25

C’est ainsi qu’être maire d’une ville assure bien souvent une notoriété qui peut êtrenationale et surtout une assise électorale pour la députation; le mandat maire-députéest largement généralisé à l’Assemblée nationale. De plus, c’est un poste qui peutfavoriser l’obtention d’un ministère. En 1997, Catherine Trautmann, qui possédaitalors un bilan très positif en tant que maire de Strasbourg et une popularité certaine,obtient le ministère de la Culture. On peut aussi regretter que le nombre conséquent

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de conseillères municipales ne leur permette pas pour autant d’alimenter les réseauxd’accès aux postes les plus prestigieux.

Il en est de même pour un autre poste qui alimente le vivier des parlementaires, àsavoir celui de conseiller général. Les élections cantonales, qui assurent l’électiondes conseillers généraux au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, renouveléspour moitié tous les trois ans, ont coïncidé avec les élections municipales.Concernant ces élections, aucun mécanisme n’est proposé par la loi du 6 juin 2000 etmalgré le choix du Parti socialiste de réserver 30 pour cent des cantons aux femmes,les élections municipales n’ont pas eu d’effet d’entraînement sur la représentationdes femmes aux élections cantonales. Au total, seulement 20 pour cent de femmesétaient candidates tous partis confondus. En 1998, on comptait 6,3 pour cent defemmes conseillères générales, aujourd’hui 9,8 pour cent. Une seule femme estprésidente d’un conseil général. Cette faible évolution peut s’expliquer en grandepartie par le cumul des mandats entre maire et conseiller général. Il se trouve que lerôle joué par les conseillers généraux au sein de ce qui constitue l’assemblée dudépartement est important: création et fonctionnement des services publics, gestiondu patrimoine, intervention économique et sociale (subventions, revenu minimumd’insertion). Le conseil général peut donc être considéré comme un lieu éminemmentstratégique pour faire une carrière politique. Par l’exemple des élections cantonales,comparée aux élections municipales, on perçoit ainsi à quel point l’augmentation dunombre de femmes dans les assemblées élues n’est pas ‘naturelle’ en raison même dela culture politique. Il s’agit de rompre avec certaines habitudes de non intégrationdes femmes au processus de sélection des candidatures aux différentes élections parles partis. Dans cet objectif, on ne peut faire l’économie de la contrainte de la loi.

Autre lieu stratégique de pouvoir, les communautés urbaines d’agglomération,créées par la loi du 12 juillet 1999, et qui contribuent à renforcer par effet de con-centration la distribution du pouvoir local existant. En échange de substantiellesdotations supplémentaires de l’État (250 francs par habitant), ces nouvelles com-munautés se voient transférer d’importantes compétences par les communesmembres comme le prélèvement de la taxe professionnelle, devenue unique surl’ensemble de l’agglomération. Un an et demi après l’entrée en vigueur du texte, lesdeux tiers des aires urbaines de plus de 50.000 habitants ont adopté le nouveaudispositif. L’intercommunalité est donc bien un lieu stratégique qui gère d’importantsbudgets et prend de plus en plus d’importance par rapport au pouvoir communaltraditionnel. Cependant, les délégués intercommunaux étant élus par les conseilsmunicipaux et non directement par la population, ils ne sont pas concernés par la loidu 6 juin 2000. Selon Rémy Le Saout, la pratique au sein des assemblées inter-communales est d’élire un maire, président de l’assemblée. 26 Pour détenir laprésidence de la communauté urbaine, être maire est donc un atout non négligeable.Dès lors, le temps passé à la direction d’une mairie fonctionne comme une ressourcesupplémentaire et discriminante pour accéder au pouvoir intercommunal. Ainsi,l’ancien maire de Lille, Pierre Mauroy, a cédé sa place à Martine Aubry en seréservant toutefois la présidence de la communauté urbaine. Autre cas de figure pourun maire, se saisir du pouvoir intercommunal pour placer ses propres collaborateurs.En effet, les postes sont généralement attribués par cooptation par le maire en place

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pouvant désormais y nommer un conseiller évincé pour cause de parité. C’est ainsique Jean-Claude Gaudin, Sénateur RPR et maire de Marseille, et Gérard Collomb,Sénateur et candidat du PS à Lyon, se sont alliés bien qu’appartenant à deux partisopposés idéologiquement pour faire adopter une loi le 7 décembre 2000 sur lereclassement des conseillers municipaux sortants à Paris, Marseille et Lyon. La loipermet ainsi aux conseillers municipaux qui ne pourraient pas se représenter sur leslistes du fait de la parité de devenir conseillers de leur communauté urbaine. Cetexemple est significatif de la persistance de réseaux spécifiquement masculins. Pourpermettre aux listes d’être paritaires, certains hommes ont démissionné de leur proprechef mais bien d’autres se sont reconvertis comme conseiller général ou conseillerintercommunal.

Malgré le nombre important de femmes conseillères municipales, on peut regretterleur absence des vrais lieux de pouvoir qui constituent autant de réseaux d’influencealimentant les plus hauts postes politiques. Constat est fait que les femmes n’appar-tiennent pas aux mêmes réseaux que les hommes. L’hypothèse peut alors être poséede viviers de femmes se constituant sur des modes différents de ceux des hommes.

L’instrumentalisation politique de la parité

Des listes électorales féminisées mais peu renouvelées

Puisqu’il n’est pas nécessaire d’être inscrit dans un parti politique pour être sur leslistes aux municipales, les recrutements ont pu s’effectuer également dans la sociétécivile. Le monde associatif est souvent sollicité d’autant plus qu’il existe des liensinformels avec les partis politiques. À droite de l’échiquier politique ce sont lesassociations de parents d’élèves, les associations catholiques et familiales, lesassociation d’action sociale; à gauche, les associations humanitaires, les associationsde lutte contre les exclusions et les associations écologistes. Et dans ce typed’associations, les femmes sont justement bien représentées.27

Cette présence des femmes dans des associations qui sont devenues un véritablevivier de citoyenneté peut être considérée comme une étape les conduisant às’engager en politique. D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, 72.2 pour centdes conseillères municipales dans les communes de plus de 3500 habitants, contre 56pour cent des hommes, ne sont pas militantes de partis. Le monde associatif estsouvent un tremplin en ce qui concerne la carrière politique des femmes. Lors durenvoi des huit femmes ministres en novembre 1995, le Premier ministre Alain Juppéavait tenu à préciser qu’il avait puisé dans les listes des mouvements associatifs et ils’était permis de justifier leur renvoi, malgré leurs compétences, au motif de leurinexpérience politique. Les femmes restent-elles les profanes de la politique? Dans lechamp politique, selon Pierre Bourdieu, les professionnels de la politique concentrentles moyens de production proprement politiques et dépossèdent les profanes.28 Onpourrait alors comprendre la parité comme le moyen permettant aux femmes lepassage du monde des profanes au monde des professionnels de la politique. Aussifaut-il prendre en compte la position des femmes dans le jeu politique et plus précisé-ment ‘leur distance ou proximité du pôle le plus autonome ou du pôle le plus

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hétéronome du champ politique’.29 Mais les trois quarts des conseillères municipalesn’étant pas militantes dans un parti politique, elles se situent résolument dans le pôlele plus hétéronome. Alors ‘[qu’]une part très importante des conduites politiques sontinspirées par un souci de reproduction de l’appareil qui garantit l’existence politiquede ses membres’, les femmes se situent encore en dehors du champ traditionnel desforces politiques.30 Aussi, les nouvelles élues municipales ne se présentent pas, dansleur grande majorité, comme des concurrentes directes pour les hommes politiques.

Dès lors, quel a été le choix stratégique des partis qui ont constitué les listes?Privilégier la société civile, le monde associatif, peut constituer un moyen derenouveler le personnel politique. Mais cela signifie surtout que les partis n’ont paspuisé autant que possible dans le vivier de leurs militantes. Ceci semble confirmé pardes associations défendant la cause de la parité qui précisent qu’imposer des femmesn’a pas toujours été facile et que plusieurs candidates se sont vues écartées. Or, êtresur une liste est un signe de reconnaissance de son militantisme et nous devons doncen conclure que globalement ces élections n’ont pas profité aux femmes des partis.Peut-on pour autant penser que ces élections ont largement favorisé les femmesalibis? Dans son analyse des candidatures féminines dans les circonscriptionsréservées aux femmes par le PS aux législatives de 1997, Françoise Gaspard etPhilippe Bataille soulignaient que ‘[l]e modèle de la femme politique “épouse de”,utilisé aussi dans d’autres partis politique, faisait ainsi des émules au Parti socialiste,qui l’utilisait pour biaiser avec la contrainte du quota de femmes et ses conséquencessur les carrières programmées dont certains réalisaient qu’elles pouvaient se briser’.31

Même s’il ne s’agit pas de nier l’existence de femmes alibis, aucune donnée à l’heureactuelle ne peut confirmer cette ‘instrumentalisation familiale’. En outre, cettehypothèse entretient l’idée qu’un homme empêché en politique utiliserait une femmepour garder officieusement le pouvoir. Et être conseiller municipal n’est pas, commenous l’avons vu, un poste des plus stratégiques. Ce débat n’est pas exempt d’unecertaine ambiguïté car il implique la non-légitimité d’un couple de militants pourbriguer tous deux des fonctions politiques. Le poids persistant de stéréotypes visant àfaire de l’homme le chef de famille et de sa compagne une simple subordonnée estainsi largement alimenté par la crainte de la ‘femme alibi’.

Si une analyse beaucoup plus approfondie afin de repérer les ‘réseaux familiaux’reste à être effectuée, il est néanmoins possible de dresser un portrait sociologiquedes conseillères municipales. Globalement il n’existe pas de forte différence entre leprofil des femmes et des hommes conseillers municipaux. Plus du tiers des femmessont dans le secteur privé ce qui est équivalent aux hommes. Deux catégories sontsur-représentées par rapport aux catégories socioprofessionnelles dans la populationglobale: les professions de l’enseignement (13,7 pour cent de femmes dansl’enseignement pour 4 pour cent de la population globale; 10,5 pour cent des éluspour 2,9 pour cent dans la population globale) et les professions libérales (6 pourcent de conseillères municipales pour 0,5 pour cent dans la population globale; 8pour cent d’hommes parmi les conseillers municipaux pour 0,9 pour cent dans lapopulation globale). Le profil est également plutôt similaire entre les femmes et leshommes maires: un tiers des hommes et des femmes maires sont retraités et environ20 pour cent appartiennent au secteur privé. Seule différence significative est l’âge

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des candidates. Le tiers des candidates ont entre 18 ans et 40 pour le quart descandidats hommes. En fait, les femmes jeunes sont surtout des étudiantes ce qui peutsoulever deux hypothèses: une jeunesse qui se saisit de la loi sur la parité pours’engager ou une volonté des partis de jouer la carte de la séduction avec unrenouvellement également générationnel, à l’exemple de la forte médiatisation àParis de la candidature de Clémentine Autain, présidente de Mix-cité et tête de listepour la gauche plurielle dans le 17e arrondissement.

Globalement les femmes n’ont pas des profils différents des hommes, ce quicorrobore les propos de Pierre Bourdieu: ‘[c]es luttes risquent de redoubler les effetsd’une autre forme d’universalisme fictif, en favorisant par priorité des femmes issuesdes mêmes régions de l’espace social que les hommes qui occupent actuellement lespositions dominantes’.32 Si la parité a été l’objet d’un consensus gauche/droite, c’estbien qu’elle ne remettait pas fondamentalement en cause le processus de sélectiondes dirigeants politiques. La parité ne permet sans doute pas complètement unrenouvellement du personnel politique devenu nécessaire à la démocratie; leproblème de la mixité sociale se pose toujours. On peut sans doute reprocher à larevendication paritaire de ne pas avoir permis une réflexion sur les objectifs etfonctionnement de notre démocratie. Toutefois, elle a le mérite de mettre fin à uneexclusion sociale fondée sur le sexe et rompt, parce qu’elle vise à terme à l’assimila-tion des femmes au corps politique, avec la logique entretenue de solidarité desfemmes avec les autres exclus de la société.

Une première étape vers un changement des pratiques politiques

Les élections municipales ont montré l’utilité d’une loi qui impose davantage defemmes en politique puisqu’elle a permis de doubler le nombre de conseillèresmunicipales. Cette utilité a d’ailleurs été reconnue par d’anciennes opposantes à uneloi sur la parité. Clémentine Autain reconnaît: ‘[c]’est vrai, au départ, je n’étais pasfavorable à cette loi. Cela étant, quand on voit le machisme qui règne dans lesmilieux politiques, je doute des possibilités de faire autrement’.33 Des propossimilaires ont été tenus par Françoise Keller34 qui a conquis la mairie de Strasbourg.Il semble donc qu’un consensus généralisé autour de cette loi se soit établi pour lesfemmes politiques. Même Michèle Alliot-Marie, présidente du RPR et qui n’a jamaiscaché son hostilité à la parité, s’est bien gardée de tout commentaire sur son applica-tion. Le processus qui conduit, certes par une contrainte sur les partis, davantage defemmes en politique est désormais irréversible.

Cette nouvelle réalité trouve un large écho dans les médias, miroirs d’une sociétéqui ne fait plus des femmes des exceptions mais souhaite les intégrer pleinement auchamp politique. La revendication de la parité a ainsi conduit à une prise deconscience sur des inégalités perdurantes entre les femmes et les hommes dont lesjournaux se font l’écho. Les journaux féminins traditionnels tels que Elle et Marie-Claire ont publié des dossiers sur les municipales qui encourageaient les femmes àsaisir l’opportunité de la loi à travers des portraits de candidates qui laissaientdésormais davantage de places à leurs idées qu’à leur présentation. Ces magazinesqualifiés de féminins, ne s’intéressant généralement pas à la politique, se sont

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engagés avec le débat sur la parité et la forte présence de femmes au gouvernementpour une égalité des chances dans la vie politique au nom du principe démocratique.Mais ce ne sont pas les seuls magazines féminins qui se sont engagés pour la parité.Du côté des grands quotidiens, Le Monde a régulièrement publié une rubrique sur lacampagne intitulée: ‘Place aux femmes’. Cette rubrique a dressé le portrait dequelques candidates ou s’est intéressée plus globalement à la constitution des listes etaux réactions de certains hommes politiques et de la société. Le journal a mêmepublié un supplément35 sur la révolution des municipales (‘Place aux femmes’) du faitde l’arrivée massive des femmes dans les conseils municipaux. Avec ces deuxexemples, la visibilité du sujet ‘femmes en politique’ n’est plus anecdotique maiscette attention lui offre de surcroît une légitimité difficilement acquise jusque là.

Les journaux ont pu d’une certaine manière sensibiliser et encourager les femmes àse présenter aux municipales puisque l’objectif de cette loi est somme toute d’amenerdavantage de femmes en politique. Comme l’a confié Lionel Jospin au magazineMarie-Claire,

avec la parité, nous faisons pour la première fois une avancée décisive qui va avoir uneffet sur la société […] Les conseils municipaux vont enfin ressembler à la ville et à lavie, qui sont mixtes […] La parité va également diversifier les expériences de ceux quivont être aux responsabilités locales et progressivement créer un vivier, si je peux dire,de femmes qui pourront accéder à d’autres fonctions politiques.36

Or, la constitution d’un vivier implique des femmes formées, tout comme leshommes, à remplir ces fonctions. Il revient généralement aux partis politiquesd’offrir des formations à leurs militants puisqu’ils ont à charge la sélection dupersonnel politique. Curieusement, semble-t-il, ce sont surtout des formationsspécifiques destinées aux femmes qui leur ont été proposées. Excepté au Partisocialiste et chez les Verts, des formations spécifiques ont donc été offertes auxmilitantes du RPR et du Parti radical de gauche; ce dernier a même créé ‘L’école desfemmes’.37 Les stratégies des partis diffèrent ainsi entre ceux prêts à l’assimilationdes femmes et ceux qui les enferment dans leur prétendue spécificité.

Néanmoins, il semble que les femmes elles-mêmes souhaitent suivre ce genre deformations. C’est ainsi que des associations ont proposé des formations instaurant undialogue entre les femmes élues et celles potentiellement candidates. Deux millepersonnes ont participé aux forums ‘Pourquoi pas conseillères municipales?’ del’association ‘Elles aussi’. L’Union féminine civique et sociale et la ‘Compagnie desfemmes’ proposaient quant à elles des formations payantes sur le fonctionnementd’une collectivité locale mais également basée sur l’entraînement personnel à la prisede parole. Pourquoi les femmes ressentent-elles le besoin de suivre une formationparticulière? Un certain nombre d’entre elles ont même constitué des réseaux defemmes élues à l’exemple des associations de conseillères municipales et femmesélues de l’Isère qui aident les candidates retenues à se former à la vie municipale, ouencore de l’association de Brest ‘Rien sans elles’ qui a créé un réseau de soutien. Cebesoin de formation est caractéristique de groupes qui ont construit socialement unsentiment d’incompétence: ‘[l]a convoitise du pouvoir politique a peu de chanced’être largement répandue dans les catégories sociales où le sentiment d’incom-

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pétence est fortement intériorisé’.38 Dès lors, on peut sans doute percevoir cesformations comme l’expression d’une certaine inquiétude de femmes ne souhaitantpas n’être que des femmes alibis des partis et ayant bien conscience de leur res-ponsabilité. Ceci peut également traduire le fait, contrairement aux arguments desanti-paritaristes, que ces femmes ne souhaitent pas être élues en tant que femmesmais accomplir pleinement leur mission sur les mêmes bases que les hommes.

Quel est l’intérêt des partis politiques à s’être saisis de la parité? Cette dernièreoffre l’opportunité d’un check-up au monde politique de plus en plus éloigné desélecteurs et répond à la crise générale de représentation politique: ‘[l]’entreprise deféminisation des candidats socialistes est alors comprise comme un élément dudispositif de reconquête de l’électorat’.39 Plutôt que de s’attaquer à des réformesprofondes du fonctionnement des partis politiques et de l’exercice du pouvoir il estapparemment plus facile de s’offrir une nouvelle image par la ‘féminisation despartis’ ce qui n’est pas dénué d’un certain attachement aux stéréotypes sexuéstraditionnels. En effet, les partis sous-entendent ainsi l’intégration de valeurs ditesféminines très en vogue aujourd’hui: les femmes seraient plus proche des réalités,moins idéologues et utiliseraient un langage plus explicatif … En ce sens lesdirigeants des partis ont su instrumentaliser la revendication paritaire malgré lescontraintes quantitatives qu’elle leur impose. À l’instar de la politologue MarietteSineau, on pourrait parler d’une forme de ‘marketing politique’.40

La parité peut ainsi devenir un indicateur pertinent de l’évolution même des partispolitiques. Par la volonté de Lionel Jospin, le Parti socialiste a été à l’initiative de laloi. Or la nouvelle instance du parti, le Secrétariat national, ne compte que 30 pourcent de femmes et le PS se trouve être le parti qui a le moins de femmes-maires avecseulement 5,9 pour cent. Inversement Paris est devenu le miroir du gouvernement.Dans son discours d’investiture, le nouveau maire de Paris, Bertrand Delanoë,proclame: ‘[à] Paris, donner aux femmes le rôle politique et culturel qui leur estd Ê représente, à mes yeux, un des enjeux de la mandature’.41 Symboliquement à Parisle poste de Premier adjoint va à une femme, Anne Hidalgo, qui a en charge l’égalitéentre les femmes et les hommes et un bureau des temps.42 Au sein du conseilmunicipal parisien, on trouve 44,8 pour cent de femmes mais 54,5 pour cent dansl’exécutif. Cependant, si ce sont des femmes qui ont hérité de postes considéréscomme ‘masculins’ tels que les nouvelles technologies et les marchés publics, ellesrestent plutôt cantonnées à des postes traditionnels que sont les affaires sociales et lapetite enfance. La sécurité, les finances, le logement, les transports ont été donnés àdes hommes. Bien que ce soient les femmes du PS, avec l’appui de Lionel Jospin, quiont très largement portée la revendication paritaire, ce dernier n’a pas pour autantmodifié ses pratiques.

Autre parti qui a porté la revendication paritaire, les Verts. Plus de 10 ans aprèsavoir instauré la parité dans ses statuts, les Verts sont devenus un véritable partipolitique. Ses succès électoraux des quatre dernières années, consécutifs de leurappartenance à la gauche plurielle, a placé ce parti face à des enjeux de pouvoirimportants; en conséquence, des courants portés par des leaders masculins se sontcréés et la parité a alors été reléguée en arrière-plan. À Paris par exemple, lesmilitantes ont dû s’imposer avec force pour que les hommes cèdent des places et

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obtenir une parité des têtes de liste. De fait, pour les présidentiables de 2002, seulsdes hommes sont potentiellement candidats. La prise en compte des femmes enpolitique ne dépend donc pas de la différence entre ancienne structure (partitraditionnel) et nouvelle structure (parti jeune).

Au contraire, un parti qui perd des électeurs, le Parti communiste s’appuie sur lesfemmes et les féministes depuis sa liste ‘Bouge l’Europe’ pour les électionseuropéennes de 1999 et la présence de la philosophe féministe Geneviève Fraisse enseconde position sur la liste. La popularité de Marie-Georges Buffet, ministre de laJeunesse et des sports, féministe et communiste, n’est peut-être pas étrangère à cetteprise de conscience. Il reste le parti qui a obtenu le plus de femmes maires avec 9,5pour cent ce qui constitue une constante dans son histoire; il a toujours été le parti quipossédait le plus d’élues. Peut-on affirmer qu’un parti en crise s’ouvre davantage auxfemmes?

C’est ce que nous serions tentés de croire puisqu’il a fallu une importante crise auRPR pour qu’il soit dirigé par une femme, élue par les adhérents. Les électionsmunicipales ont d’ailleurs plutôt bien profité aux femmes de droite: 7,25 pour centdes femmes maires pour l’Union pour la démocratie française (UDF), 6,7 pour centchez les divers droite et 6,4 pour cent au RPR. Trois femmes sur les quatre mairesd’une ville de plus de 100.000 habitants sont de droite (Aix en Provence, Strasbourget Caen). De même que le PS pour les législatives de 1997, la crise à la foisélectorale et de fonctionnement de la structure facilite le renouvellement des candida-tures. Mais il ne sera possible de parler d’égalité des chances en politique qu’à partirdu moment où les femmes trouveront leur place au sein des partis politiques aussibien en temps de crise qu’en non crise.

Il existe donc bien une certaine instrumentalisation de la parité par les partispolitiques qui s’appuient sur une présence féminine pour se doter d’une imagedynamique de renouvellement. Il n’est pas pour autant question de parité dans lespostes les plus stratégiques. Ainsi les femmes sont-elles rentrées en force dans lapolitique locale mais restent absentes des véritables lieux de pouvoir. Alors que la loivise à l’assimilation des femmes au politique, l’organisation et les habitus politiquescontinuent à les placer en dehors du système traditionnel d’accès au pouvoir. C’estpourquoi les législatives de 2002 constitueront sans doute le véritable test de la loi du6 juin 2000. L’augmentation du nombre de femmes députées ne sera sans doute pasaussi significative. La loi est, en effet, moins contraignante pour ce mode de scrutinbien que l’objectif soit également de construire l’égalité réelle entre les femmes et leshommes en politique. Cette ambition tend à trouver sa légitimité avec la parité carcomme se plaisait à le clamer Léon Gambetta: ‘[c]e qui constitue la vraie démocratiece n’est pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire’.

Notes et références

1. Dans la déclaration finale de ce premier sommet européen ‘Femmes au pouvoir’, il est fait le constatd’un déficit démocratique et il est inscrit ‘puisque les femmes représentent plus de la moitié de lapopulation, l’égalité impose la parité dans la représentation et l’administration des nations’. VoirSLEDWIECSKI, E., ‘Rapports sur les idéaux démocratiques et les droits des femmes’, Séminaire surla démocratie paritaire (Conseil de l’Europe, 1989).

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2. Dès 1992 se sont créées les premières associations réclamant la parité politique. À partir de 1993, lepremier réseau ‘Femmes pour la parité’ se met en place, et dès 1994 des associations féministes etféminines traditionnelles en ont fait l’un de leurs objectifs.

3. Élisabeth Guigou, Édith Cresson, Frédérique Bredin, Ségolène Royal …4. Premier ministre de mai 1995 à juin 1997. Son premier gouvernement (mai–novembre 1995) était

composé de 12 femmes. Il en renvoya huit lors du remaniement ministériel de novembre 1995. 5. Sous l’égide du Premier ministre, l’Observatoire de la parité a pour fonction d’améliorer les connais-

sances sur l’évolution de la situation des femmes en France et à l’étranger et d’éclairer les pouvoirspublics sur les projets de textes législatifs ou réglementaires. Son rôle a été renforcé en 1998.

6. La Constitution a d Ê être modifiée en raison de la décision du Conseil constitutionnel de 1982considérant une loi visant à instaurer un maximum de 75 pour cent de personnes de même sexe sur leslistes des municipales comme inconstitutionnel le.

7. L’égalité des chances contrairement aux simples mesures d’actions positives vise à s’installer dans ladurée et ne peut donc être perçue comme une mesure temporaire.

8. Lionel Jospin a tenu à préciser lors des élections municipales qu’il aurait préféré ‘garantit’ commel’avait proposé l’Assemblée nationale mais que Jacques Chirac avait imposé le verbe ‘favoriser’.

9. Au scrutin uninominal à deux tours pour les cantonales et au scrutin majoritaire à deux tours dans lesdépartements qui ont droit à quatre sénateurs ou moins.

10. Pour les communes de moins de 3500 habitants, les conseillers sont élus au scrutin majoritaire.11. Le député UDF Gilles de Robien a pour projet de déposer une proposition de loi tendant à établir la

parité entre les femmes et les hommes dans les exécutifs municipaux .12. Les stat istiques présentées dans cet article ont été fournies par le ministère de l’Intérieur et

l’Observatoire de la parité. 13. On peut penser que depuis le débat sur la parité au moment des élections présidentielles, un effet

d’entraînement a eu lieu: les élections municipales de 1995, l’initiative socialiste pour les législativesde 1997, la place faite aux femmes pour les Européennes de 1999.

14. GASPARD, F. et BATAILLE, P., Comment les femmes changent la politique et pourquoi les hommesrésistent (La Découverte, 1999).

15. MOSSUZ-LAVAU, J. et SINEAU, M., Enquête sur les femmes en politique (Presses universitaires deFrance, 1983); SINEAU, M., Des femmes en politique (Economica, 1988).

16. Lunes (janvier 2001), sondage BVA/Lunes auprès d’un échantillon représentatif de 1000 personnes.17. KERVASDOUÉ, A. de et MOSSUZ-LAVAU, J., Les Femmes ne sont pas des hommes comme les

autres (Odile Jacob, 1997), p. 166.18. Ibid., p. 178.19. TRAUTMANN, C., ‘Femmes: rôle et place dans les municipalités’, Après-demain, 380–1 (janvier–

février 1996), p. 23. 20. TAHON, M.-B., ‘Citoyenneté et parité politiques’, Sociologie et société, 31(2) (automne 1999).21. Sondage Elle/IFOP réalisé au téléphone les 25 et 26 janvier 2001 auprès d’un échantillon de 946

personnes représentatif de la population. ‘Les Français veulent une maire!’, Elle (15 mars 2001), p. 88.22. Sondage BVA/Lunes de janvier 2001.23. Libération (31 mars 2001), résultats sur un échantillon de 85 villes.24. SOUCHARD, M. et WAHNICH, S., La Communication politique locale (PUF, 1995), p. 30.25. BRAUD, P., L’émotion en politique (Presses de sciences po, 1996), p. 158.26. LE SAOUT, R., ‘L’intercommunalité, un pouvoir inachevé’, Revue française de sciences politiques,

50 (3) (juin 2000).27. CREDOC, ‘Étude’, Les Français et la vie associative, no. 201 (juillet 1999).28. BOURDIEU, P., Propos sur le champ politique (Presses universitaires de Lyon, 2000).29. Ibid., p. 22.30. Ibid., p. 67.31. GASPARD et BATAILLE, Comment les femmes changent la politique, p. 116.32. BOURDIEU, P., La Domination masculin (Seuil-Liber, 1998), p. 124.33. FAUCON, C., ‘Profil féministe autrement’, L’Express (22 février 2000), p. 37.34. Tête-à-tête de Ruth Elkrief dans Elle (9 avril 2001).35. Supplément du Monde (9 mars 2001).

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36. Interview accordée à Michèle Manceaux du mensuel Marie-Claire (avril 2001) intitulée ‘LionelJospin est-il féministe?’, pp. 32–8.

37. Terme un peu incongru si l’on songe à la pièce de Molière qui n’avait d’autre but que de dénigrer lesfemmes instruites.

38. BRAUD, L’émotion en politique, p. 163.39. GASPARD et BATAILLE, Comment les femmes changent la politique, p. 139.40. Lunes (avril 2001), entretien avec Mariette Sineau, pp. 6–11.41. Paris-Le Journal (avril 2001), p. 3.42. À l’initiative des femmes, de nombreuses villes italiennes ont développé de tels bureaux des temps qui

tentent à la fois de coordonner et d’articuler les horaires à partir de négociations entre employeurs ,salariés, syndicats et consommateurs .

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