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LA PENSÉE ÉCONOMIQUE AVANT 1870 (2 E PARTIE) L’Economie Classique Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 1

LA PENSÉE ÉCONOMIQUE AVANT 1870 (2 PARTIE) · Avec Adam Smith, Jeremy Bentham (1748-1832) est le philosophe politique le plus influent du début du XIX e siècle dans le paysage

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LA PENSÉE ÉCONOMIQUE AVANT 1870 (2E PARTIE)

L’Economie Classique

Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 1

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De la philosophie morale à l’économie classique■ Comme nous venons de le voir, Smith, dont La Richesse des Nations (1776) a

permis de synthétiser les grandes idées économiques de son siècle, a su créer un discours économique cohérent.

– Cependant, ce discours reste ancré dans une question de philosophie morale (comment des hommes aux aspirations diverses peuvent-ils vivre ensemble ?) et politique (comment organiser la société ?)

■ Avec l’avènement de l’Economie classique va démarrer une période où l’économie va peu à peu devenir plus scientifique

– Développer une méthode de réflexion plus abstraite– S’émanciper de la philosophie et de la politique

■ Le contexte politique et économique explique cette transition.

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Contexte économique britannique ■ Apparition d’une classe laborieuse pauvre (fin du 18e siècle)

– Causée par la contraction du commerce international et domestique– Entraîne un débat sur l’aide aux travailleurs pauvres en bonne santé

■ La protection des malades, des personnes âgées et des enfants était, elle, admise.– On pense qu’une telle aide (financée par l’impôt) entraînera une baisse des salaires, ce qui

réduira d’encore plus le revenu des travailleurs pauvres■ Crise économique de 1797

– suppression de la conversion en or de la livre– L'Angleterre passe à la monnaie-papier. Il y a de l’inflation. – Les prix augmentent au profit des propriétaires fonciers et des bailleurs

■ La système de la manufacture– Invention de la machine à vapeur (James Watt, 1783)– Passage d’une économie de la laine à une économie du coton.

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Malthus contre les « Poor Laws »■ Dans les années 1790, des auteurs s’élèvent pour

condamner la propriété privée et défendre des lois redistribuant les richesses en direction des plus pauvres.

– En France, le Marquis de Condorcet (1743-94)– En Angleterre, William Godwin (1756-1836)

■ Thomas Robert Malthus (1766-1834), un homme d’église et intellectuel, va s’élever contre cette doctrine :

– Il affirme que la propriété privée est nécessaire à l’équilibre des sociétés

– L’amour-propre décrit par Smith ne suffirait pas. ■ De plus, des lois pour les pauvres :

– Diminueraient la consommation– Les rendraient dépendants de l’Etat

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Le malthusianisme■ Essai sur le Principe de Population, ouvrage publié anonymement en 1798 (puis publié en 1803

sous son nom).■ Bien qu’il ne s’agisse que d’une idée parmi d’autres, il est surtout connu pour l’idée qu’une

tendance naturelle pousse les populations à excéder les ressources. – Les ressources croissent suivant une progression arithmétique (1,2,3,4…)– La population croît suivant une progression géométrique (1,2,4,8,16…)– Malthus affirme qu’il y a trois sources de limitation de la population.

■ La misère (guerres, famines)■ Les vices (infanticide, prostitution, contraception)■ La retenue morale (retardement du mariage et abstinence)

– Les faits ne corroborant pas les idées de Malthus, il expliquera que c’est sans doute la troisième source qui a permis de limiter la croissance de la population.

■ Le « malthusianisme » est devenu un nom commun, désignant toute théorie qui prône la restriction démographique (aujourd’hui liée à l’écologie). Terme souvent péjoratif, mais Malthus influencera toutefois les idées de Charles Darwin.

■ C’est en référence notamment aux théories de Malthus qu’on parle de la science lugubre (the dismal science), un terme inventé par l’historien Thomas Carlyle en 1849.

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L’utilitarisme■ Avec Adam Smith, Jeremy Bentham (1748-1832) est le philosophe politique le plus

influent du début du XIXe siècle dans le paysage intellectuel britannique. ■ Bentham rejette l’idée de « droit naturel », les lois doivent servir la société (droit civil).

Certes, il existe des impératifs moraux, mais ceux-ci doivent changer. – Bentham propose alors de baser les lois sur le principe de l’utilité– La maximisation de la somme du bonheur des individus qui composent la société

■ Trois principes sous-jacents (« hypothèses », si on veut) :– L’intérêt de la société est la somme des intérêts de ses membres– L’individu est le meilleur juge de ce que sont ses intérêts– Chaque individu a la même capacité à accéder au bonheur

■ Influence de Bentham sur les « radicaux philosophiques »– Ces personnes se basent sur le principe de Bentham pour se faire les avocats de

réformes sociales, institutionnelles et économiques. Il se situent à gauche (whigs) de l’échiquier politique.

– James Mill (1773-1836), son fils John Stuart Mill (1806-73) et son « protégé » David Ricardo (1772-1823)

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DAVID RICARDOet ses contemporains

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David Ricardo (1772-1923)■ Fils d’agent de change, d’origine juive.

– Il se marie à une Quaker et est désavoué par sa famille.

■ Ami de James Mill et de Malthus, il est Membre du Parlement (Whig)

■ Contrairement à Mill et Malthus, il pense que l’économie n’est est pas une branche de l’économie morale.

– Il veut donner à l’économie la rigueur de la géométrie.– Il adopte une démarche hypothético-déductive,

raisonne en termes de systèmes.

■ Principes de l’Economie Politique et de l’Impôt (1817-23)

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Reprise critique des idées d’Adam Smith■ Ricardo va reprendre notamment deux idées de Smith, mais en les altérant.

■ La première est celle de la valeur travail. – Nous l’avons vu, pour Smith, la valeur d’un bien est la quantité de travail que celui-ci permet de

commander. – Ricardo, lui, va dire que la valeur d’un bien correspond à la quantité de travail nécessaire à la

production de ce bien. On parle de valeur travail incorporé. ■ Si un bien met deux fois plus de temps à être produit qu’un autre, alors, il vaut deux fois plus.

■ La seconde est la défense de l’ouverture des échanges internationaux.– Smith le faisait sous l’hypothèse qu’un pays qui est plus efficace dans la production d’un bien

qu’un autre doit se spécialiser dans la production de celui-ci. On parle d’avantage absolu. – Ricardo, lui dit, que même si un pays est moins efficace dans la production d’un bien qu’un autre

pays mais qu’il est cependant plus efficace dans la production de ce bien que dans celle des autres biens de l’économie, il doit se spécialiser dans la production de celui-ci, afin d’améliorer son efficacité productive. On parle alors d’avantage comparatif.

■ La théorie du commerce international de Ricardo est peut-être son idée qui a eu l’effet le plus durable sur le théorie économique. Mais son idée la plus discutée au XIXe siècle est sa théorie de la répartition.

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La théorie de la répartition de Ricardo (1)■ Elle se comprend dans un contexte de hausse des prix et des rentes agricoles. ■ Contrairement à Smith, il pense que l’intérêt des propriétaires fonciers est contraire à

celui de la société.– La société est divisée en trois classes (propriétaires fonciers, capitalistes,

travailleurs), qui sont donc placées dans des situations d’antagonisme.■ Le revenu des propriétaires foncier est la rente. Elle est différentielle.

– Les terres sont de moins en moins fertiles (loi des rendements décroissants). ■ On cultive d’abord les terres les plus fertiles, puis celles qui le sont un peu moins, et

ainsi de suite.– La rente associée à la dernière terre cultivée, la moins fertile, est nulle. Celui de

toutes les autres se mesure par comparaison à celle-ci. ■ En effet, il va y avoir concurrence de la part des fermiers pour travailler les terres les

plus fertiles. – Plus on cultivera de terres, et plus la rente associée aux terres les plus fertiles

s’élèvera.

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La théorie de la répartition de Ricardo (2)■ Le revenu des travailleurs est le salaire lui, correspond au prix des biens nécessaires à

la subsistance de ces derniers. – Plus la population augmente, plus il faut cultiver de terres pour assurer la

subsistance des travailleurs. – Du fait (encore) de la loi des rendements décroissants, le salaire a donc tendance

à augmenter au fur et à mesure que l’économie se développe.■ Le revenu des capitalistes est le profit. Il est résiduel. C’est la somme qu’il reste au

capitaliste lorsque les salaires et les rentes ont été payées.■ Le profit aura donc tendance à diminuer au fur et à mesure que le capital s’accumule.

L’accumulation du capital pousse à vouloir cultiver de plus en plus de terres. Cela va provoquer :

– La hausse de la rente– La hausse des prix agricoles et donc du salaire de subsistance.

■ C’est la baisse de la productivité dans le secteur agricole qui explique ce résultat. Ce raisonnement est valable car Ricardo raisonne dans le cadre d’un modèle à un secteur (agricole).

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Les implications politiques de la théorie ricardienne■ Critique du Corn Law Act de 1815

– Loi protectionniste (restriction du commerce international des grains). Le but est de maintenir un prix des grains élevés, ceci afin de favoriser les revenus des propriétaires terriens.

– Deux groupes d’intérêt s’y opposent :■ Les salariés qui la jugent à l’origine de la baisse de leur pouvoir d’achat■ Les capitalistes qui espèrent qui la tiennent pour responsable de la hausse des salaires

– La vision de Ricardo, qui oppose les propriétaires aux deux autres classes, soutient cette opposition aux Corn Laws.■ Mais attention, sa théorie affirme que même sans Corn Laws, les profits diminueront du fait de la loi des

rendements décroissants.

■ Opposition aux Poor Laws– Lois datant de 1601 (Elizabeth I), instituant l’aide aux pauvres.– Malthus pense qu’elles poussent les pauvres à se reproduire– Ricardo affirme qu’elles contribuent à la baisse des salaires. Le capitaliste va payer les travailleurs

en dessous du salaire de subsistance car il sait que ces derniers ont accès à un complément de revenu.

– Une loi de 1834 réforme l’aide aux pauvres, en favorisant le travail. Elle doit beaucoup aux idées des économistes.

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Les contemporains de Ricardo■ Nassau Senior (1790-1864)

– Détient la première chaire d’économie à l’Université d’Oxford– Il s’oppose tant au malthusianisme qu’à la théorie ricardienne

sur certains points■ Le profit n’est pas qu’un « surplus », c’est la rémunération du

renoncement à consommer■ Il affirme que la valeur d’une unité additionnelle d’un bien

diminue avec la quantité de bien consommée Cela permet d’ouvrir la voie à une théorie de la valeur qui ne repose pas que sur le travail (comme chez Smith ou Ricardo).

■ Jean-Baptiste Say (1767-1832)– Membre du Tribunat sous Napoléon– Il adopte, comme beaucoup d’économistes français (cf.

Turgot) une théorie subjective de la valeur, s’opposant à la théorie de la valeur travail.

– Il est à l’origine de la loi des débouchés : dans une économie concurrentielle, il ne peut y avoir une insuffisance de la demande car « les produits s’échangent contre des produits ».

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Pensée monétaire au début du XIXème s.■ Sur le plan monétaire, Ricardo est un tenant de la « currency school ».

– Il pense que l’émission de monnaie papier par la banque d’Angleterre doit être corrélée au stock d’or détenu par celle-ci.

– Sinon, la valeur de l’or augmentera (la monnaie se dépréciera), ce qui créera de l’inflation.

■ Un autre économiste, Henry Thornton (1760-1815), partage globalement la position de David Ricardo. Mais il y a une exception.

– Lorsque l’économie est en situation de crise, la Banque d’Angleterre doit émettre plus de monnaie pour renflouer les banques de second rang.

– Elle agit comme prêteur en dernier ressort, afin de restaurer la confiance jusqu’à ce que la situation de crise se résorbe.

■ Ces économistes sont critiqués par les tenants de la « banking school », comme Thomas Tooke (1774-1858).

– Ce n’est pas la quantité de métaux précieux qui doit limiter la création monétaire mais le volume des échanges.

– Si trop de monnaie est mise en circulation, elle sera retournée à la Banque centrale (loi du reflux) ce qui limitera l’inflation.

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L’ÉCONOMIE CLASSIQUE DANS LA SECONDE MOITIÉ

DU XIXÈME SIÈCLEJohn Stuart Mill et Karl Marx

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John Stuart Mill (1806-1873)■ Fils du philosophe James Mill (disciple de Bentham) et

membre des « radicaux philosophiques ». ■ C’est un « libéral » dans le sens où on l’entend en

Angleterre au milieu du XIXème siècle.– C’est un libéralisme pragmatique, nettement

moins dogmatique que le libéralisme des économistes français de son époque (Say, puis Frédéric Bastiat, par exemple).

– Influencé par sa compagne puis femme, la philosophe Harriet Taylor (1807-1858), il s’ouvre au socialisme et au féminisme.

– On pourrait ainsi le qualifier de progressiste.■ Sa pensée reprend et étend les idées de Ricardo mais il

a un point de vue plus large, notamment sur la justice sociale.

■ Principles of Political Economy (1848-1973)

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Lois de la production et de la distribution■ Mill, comme Ricardo et la plupart des Classiques, est convaincu que la production suit des « lois

naturelles »– Des lois physique, qui viennent de la propriété de la matière– Des lois qui viennent de la nature humaine

■ Cependant, il distingue ces lois naturelles de la production des lois de la distribution dépend des institutions humaines.

– Les gouvernements peuvent déterminer quelles institutions doivent exister– Par contre, la façon dont ces institutions fonctionnent se doit de ne pas trop s’opposer aux

lois de la nature (humaine ou physique).

■ Concrètement, Mill accorde sa préférence aux institutions qui donnent aux hommes le contrôle de leurs propres vies.

– Il distingue le socialisme, qui préserve les incitations, et le communisme, qui les détruit. – Il est ainsi pour les coopératives et les partenariats industriels. – Il insiste sur le rôle de l’Etat dans l’éducation, qui permet à l’individu de prendre des

décisions éclairées.

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Karl Marx (1818-83)■ Karl Marx, philosophe allemand d’origine juive, reprend aussi les

écrits de Ricardo. La comparaison avec Mill, cependant, s’arrête là.

– D’une part, définir Marx comme un disciple de Ricardo serait réducteur.

– C’est d’abord un disciple de Friedrich Hegel (1770-1832) dont il reprend la notion de dialectique.

– Il va reprendre l’économie ricardienne pour en montrer les apories théoriques et les contradictions internes.

■ Si Marx veut comme Ricardo créer une science économique rigoureuse, il ne croit pas qu’il existe des lois naturelles de l’économie.

– Ce que les économistes présentent comme telles sont des produits du système capitaliste.

■ Le Capital, publié en 1867 (vol 1), 1885 (vol. 2) et 1894 (vol. 3)

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Dialectique et matérialisme historique■ L’idée de dialectique, c’est qu’il existe dans tout système d’idées des contradictions qu’il faut arriver

à dépasser.– Ex : le plan thèse / antithèse /synthèse d’une dissertation

■ Marx reprend cette idée du progrès par dépassement des contradictions mais, contrairement à Hegel, il ne s’intéresse pas qu’aux idées.

– La contradiction se situe dans les conditions matérielles d’existence elles-mêmes– L’histoire progresse par dépassement de ces contradictions

■ Souvent les intellectuels croient que les idées sont autonomes, qu’elles dirigent le monde– Marx réfute cela. Ce sont les rapports sociaux qui dirigent le monde. Les idées, la plupart du

temps, n’existent que pour les justifier a posteriori. – L’économie politique est un exemple. Ce n’est pas une science qui vient de nulle part, c’est

l’émanation du rapport de domination des capitalistes sur les travailleurs. – En prenant conscience de cela, Marx entend reprendre les théories économiques, en exposer

les contradictions et la transformer en une étude critique du système capitaliste qui l’a produite.

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Valeur travail et plus-value■ Karl Marx reprend la valeur travail de David Ricardo.

– Il affirme en effet que toute richesse vient du travail, y compris le capital qui n’est rien d’autre que du travail cristallisé.

– Il distingue cependant le prix de la valeur. La valeur est ce qui se cache derrière le prix, c’est le temps de travail qui a été nécessaire a produire le bien.

■ Cette différence entre valeur et prix va être la base d’une théorie de l’exploitation. – Marx distingue en effet le travail et la force de travail. – Ce que le capitaliste paie, le salaire, ce n’est pas le temps de travail mais le temps de

reproduction de la force de travail. ■ Si cela prend six heures pour un travailleur de produire les biens nécessaires à sa survie et sa

reproduction, c’est la quantité de travail que le capitaliste va payer.■ Mais le travailleur, lui, va peut-être travailler douze heures. Il va donc produire une valeur de douze

heures payées six. – La différence, la plus value, est appropriée par le capitaliste. C’est son profit.

■ Circuit M-C-M’ : le capitaliste échange de la monnaie contre des biens (dont la force de travail) et ceux-ci, via la plus value, s’échangent contre plus de monnaie. C’est le principe de l’accumulation du capital.

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Capital fixe, capital variable et baisse tendancielle du taux de profit■ Marx distingue le capital fixe (les machines) du capital variable (la force de travail mise en jeu dans

le production)■ Le jeu de la concurrence entre capitalistes va les pousser à accumuler de plus en plus de capital

fixe pour améliorer la productivité du travail. – Dès lors la part du capital fixe dans le capital total augmente– Or, c’est le capital variable qui produit la plus value et est à l’origine de son profit.– Donc, le taux de profit va diminuer.

■ Marx retrouve ici un résultat de Ricardo mais :– Chez Ricardo, c’est la loi des rendements décroissants (et l’augmentation des rentes) qui

était à l’origine de la baisse du profit. – Chez Marx, la baisse du taux de profit s’explique par l’accumulation même du capital.

■ Il y a donc une contradiction interne du système capitaliste pouvant, à terme, mener à sa perte.

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Crises et fin du capitalisme ?■ La baisse tendancielle du taux de profit a deux conséquences pour Marx.

■ D’une part, elle pousse les capitalistes à toujours accumuler plus de capital fixe (remplacer l’homme par la machine pour payer moins de salaires), sans réaliser que ce mécanisme est la cause même de la baisse du taux de profit.

– Il en résulte des cycles. Lorsqu’il y a suraccumulation du capital, le marché est incapable de liquider les actifs. Il en suit des faillites et une crise de suraccumulation.

■ L’autre moyen que les capitalistes vont avoir de freiner la baisse du taux de profit, c’est l’augmentation de la cadence de travail ou la baisse du taux de salaire, afin d’extraire plus de plus-value.

– Cela va accroître la pauvreté, les maladies, ainsi que les tensions entre la classe des capitalistes et celle des travailleurs.

– A terme, cela conduit à l’organisation des travailleurs (souvent interdite par des lois libérales), leur révolte et la fin du système capitaliste.

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Critiques et héritage des idées de Marx■ Marx est mort lorsque les volumes deux et trois du Capital sont publiés par son ami et

collaborateur Friedrich Engels (1820-95).– Des économistes, de nationalité autrichienne notamment, comme Eugen Böhm-Bawerk

(1851-1914), vont le critiquer sur le plan théorique. – On n’entrera pas dans les détails mais la théorie de Marx, pour s’avérer totalement

convaincante aurait nécessité une explication de la formation des prix dans une économie à plusieurs secteurs. Marx tente une explication mais elle est jugée peu convaincante.

– C’est notamment à cause de cela et parce qu’une théorie subjective de la valeur sera préférée par les économistes ultérieurs que l’idée de la valeur-travail, centrale chez les Classiques, va tomber en désuétude.

■ Cependant, au-delà de l’attrait qu’elle a pour toute une partie de la gauche (sans parler de son impact sur les révolutions communistes du XXème siècle), la théorie marxiste a un impact fort sur l’économie contemporaine à cause de son analyse des cycles et des crises.

– En particulier, un économiste né l’année de la mort de Marx, Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950) exposera sa propre explication des crises et prophétisera la chute du capitalisme (pour des raisons différentes) dans ouvrage Capitalisme, Socialisme et Démocratie (1943).

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De l’économie politique à la science économique■ Ce que l’on a appelé l’Economie Classique comprend en réalité une grande diversité de théories

économiques– Les pensées de Smith, Ricardo et Marx ont des points communs (valeur-travail, partage de la

population en classes, opposition au mercantilisme)– Mais aussi des divergences fortes (rôle de l’Etat, description des antagonismes dans la société) et

d’approche (philosophie morale ou politique, conception de l’histoire, raisonnement déductif ou empirisme, etc.)

■ Il y a cependant un vrai renforcement théorique durant cette période– La construction, par Ricardo et Marx notamment, d’un système de pensée cohérent qui

expliquerait l’ensemble du système économique et pas juste certains éléments (monnaie, accumulation du capital, distribution, etc.)

– Création de chaires d’économie politique à l’université.

■ Au milieu du XIXe siècle, des économistes comme Senor ou Mill sont assez confiants pour affirmer que l’économie politique est arrivée à maturité.

■ Pourtant, la théorie va s’avérer incapable d’expliquer certains phénomènes (les monopoles) et sera critiquée pour ses jugements de valeur. Le malthusianisme devient invalidé.

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