19
1 Comment renforcer la performance énergétique immobilière avec le comportement vertueux des usagers ? Pia Imbs, Maître de conférences en Sciences de Gestion, HDR, EM Strasbourg- Université de Strasbourg, Laboratoire HuManiS EA1347, [email protected] Tél: +33 (0)3 68 85 83 77, Port : +33 (0)6 67 30 41 30 61, Avenue de la forêt Noire, 67085 Strasbourg Cedex Jacky Biard, Diplômé de l’Executive MBA Développement Durable et Responsabilité Sociale de l’Entreprise, EM Strasbourg, [email protected] Port : + 33 (0) 6 45 30 76 49 8, Rue des Iris – 67500 HAGUENAU Résumé : L’objet de cet article est de mettre en lumière la place majeure du facteur comportemental dans l’atteinte des performances énergétiques immobilières. Après avoir rappelé les forts enjeux environnementaux relatifs au secteur du bâtiment, nous mettrons en évidence le poids des facteurs individuels et collectifs qui peuvent guider les comportements propres à renforcer la performance énergétique du bâtiment. A cet effet, des cadres théoriques seront mobilisés dans le champ de la psychologie et de la sociologie économique. Et c’est au regard des résultats obtenus c’est à dire les réels facteurs de changement comportemental que nous proposerons des pistes d’intervention possibles favorisant des comportements vertueux et réellement économes en énergie. Summary: The aim of this paper is to clarify the important place of the behavioral factor in an attempt to achieve energy performances in buildings. After having reminded ourselves of the strong environmental challenges relating to the building sector, we will highlight the weight of the individual and collective factors which can guide the behaviors appropriate to reinforce their energy performance of the building. For this purpose, theoretical approaches will be mobilized in the field of psychology and economic sociology. And it is by taking into consideration those

La performance énergétique et le comportement vertueux des

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La performance énergétique et le comportement vertueux des

1

Comment renforcer la

performance énergétique immobilière avec le comportement vertueux des usagers ?

Pia Imbs, Maître de conférences en Sciences de Gestion, HDR, EM Strasbourg- Université de Strasbourg, Laboratoire HuManiS EA1347, [email protected]

Tél: +33 (0)3 68 85 83 77, Port : +33 (0)6 67 30 41 30

61, Avenue de la forêt Noire, 67085 Strasbourg Cedex

Jacky Biard, Diplômé de l’Executive MBA Développement Durable et Responsabilité Sociale de l’Entreprise, EM Strasbourg, [email protected]

Port : + 33 (0) 6 45 30 76 49 8, Rue des Iris – 67500 HAGUENAU

Résumé :

L’objet de cet article est de mettre en lumière la place majeure du facteur comportemental dans l’atteinte des performances énergétiques immobilières. Après avoir rappelé les forts enjeux environnementaux relatifs au secteur du bâtiment, nous mettrons en évidence le poids des facteurs individuels et collectifs qui peuvent guider les comportements propres à renforcer la performance énergétique du bâtiment. A cet effet, des cadres théoriques seront mobilisés dans le champ de la psychologie et de la sociologie économique. Et c’est au regard des résultats obtenus c’est à dire les réels facteurs de changement comportemental que nous proposerons des pistes d’intervention possibles favorisant des comportements vertueux et réellement économes en énergie.

Summary:

The aim of this paper is to clarify the important place of the behavioral factor in an attempt to achieve energy performances in buildings. After having reminded ourselves of the strong environmental challenges relating to the building sector, we will highlight the weight of the individual and collective factors which can guide the behaviors appropriate to reinforce their energy performance of the building. For this purpose, theoretical approaches will be mobilized in the field of psychology and economic sociology. And it is by taking into consideration those

Page 2: La performance énergétique et le comportement vertueux des

2

results - i.e. the real factors of behavioral change – that we will be able to suggest possible potential avenues to develop support for virtuous and energy-saving behaviors.

L’objet de cet article est de mettre en lumière la place majeure du facteur comportemental dans l’atteinte des performances énergétiques immobilières.

En France, dès 2005, la Charte de l’Environnement adossée au préambule de la Constitution française ne prévoit- elle pas un devoir pour toute personne de prendre part à la préservation et à l‘amélioration de l ‘environnement ? La protection de l’environnement est ainsi hissée sur la plus haute marche de la hiérarchie des normes. Cette charte institue un devoir tant à l’égard des citoyens que des acteurs économiques.

Aujourd’hui les enjeux énergétiques visent à atteindre un niveau de consommation effective réduite à son minimum et non seulement une réduction relative par rapport à l‘existant ; ainsi les gains réalisés à travers les innovations technologiques représentent un premier défi technique à relever par l‘ensemble des intervenants professionnels.

Pour leur part, les usagers c'est-à-dire les citoyens-habitants ne sont pas en reste: ne s’agit-il pas de savoir les accompagner afin qu’ils adoptent un comportement en ligne avec les nouvelles performances énergétiques attendues ? Cette question se révèle aujourd’hui de toute importance tant le décalage semble frappant entre l’engouement général pour la cause du développement durable et la réalité des comportements quotidiens. Comment conduire à davantage de comportements favorables à l’environnement ? Quels facteurs influencent la tendance des individus à « agir durable » ?Il importe dans notre cas d’étude de savoir identifier les déterminants relevant de la psychologique et de la sociologie comportementale propres à renforcer la performance énergétique immobilière. Formuler des pistes et des recommandations pour favoriser un comportement individuel et collectif économe en énergie se révèle comme un autre défi, tout à fait complémentaire aux innovations technologiques pour le bâtiment durable.

Dans ce texte, après avoir rappelé les enjeux environnementaux en général puis spécifiques pour le cas des logements sociaux, nous mettrons en évidence le poids des facteurs individuels et collectifs qui peuvent guider les comportements propres à renforcer la performance énergétique du bâtiment. Des cadres théoriques disponibles dans le champ de la psychologie et de la sociologie économique seront mobilisés. Au regard des résultats obtenus – les réels facteurs de changement comportemental - on proposera les pistes d’intervention possibles favorisant des comportements vertueux et réellement économes en énergie.

1 Les usages de l'énergie dans l'habitat

1.1 Les enjeux environnementaux dans le bâtiment

En France, le bâtiment représente 43 % de la consommation d'énergie finale et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre. Il devance en consommation le transport (33%) et l'industrie

Page 3: La performance énergétique et le comportement vertueux des

3

(21%). La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 (Grenelle1) rappelle l'objectif de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 (Facteur 4, division par quatre des émissions de CO2 en 2050 / 1990). De fait, les enjeux en terme de gaz à effet de serre (GES) pesant sur le bâti existant sont considérables et la possibilité de les relever par des travaux de rénovation extrêmement coûteuse.

L'objectif fixé par les pouvoirs publics au secteur du logement est de réaliser 38% d'économies d'énergie d'ici 2020 (réduction de la consommation d'énergie primaire 2020 / 2008). Ceci représente 800 000 logements consommant plus de 230 kWh/m2.an (classes énergétiques E, F et G) qui devront être ramenés à moins de 150 kWh/m2.an.

L’ensemble des intervenants professionnels est amené à travailler avec de nouvelles méthodes pour satisfaire de nouvelles exigences. L'enjeu consiste à obtenir les performances réelles issues d'une bonne conception et mise en œuvre des solutions. Les conditions d'exploitation sont un élément déterminant pour obtenir un bon résultat.

L'Union Européenne a, dès 2006, émis une directive (2006/32 du 5 avril 2006) favorisant une nouvelle forme contractuelle, les Contrats de Performance Energétique, visant à garantir le résultat final à l'utilisateur et non plus à se limiter aux seuls engagements de moyens. C'est ainsi qu'a été créé une nouvelle notion d‘Entreprise de Services Energétiques s'engageant dans la durée (20 ans) à travers un Contrat de Performance Energétique sur la performance effective issue des travaux réalisés. Ceci constitue le premier pas vers un changement comportemental pour les professionnels et qui doit se transposer jusqu'à l'utilisateur final. De fait, chaque utilisateur contribue par son comportement à la performance effective à atteindre.

Dans le cas des logements sociaux, les bailleurs sociaux sont sollicités en priorité et doivent réhabiliter énergiquement 20 % des logements avant 2020.L'amélioration de l'efficacité énergétique du logement social représente un enjeu social, la montée de la précarité énergétique (les dépenses d'énergie d'un ménage représentent plus de 10 % de son budget), étant un phénomène marqué depuis plusieurs années.

Depuis 2012, la mise en application des plans énergie territoriaux obligatoires pour les collectivités de plus de 50 000 habitants, conduit les bailleurs à rendre des comptes sur les performances énergétiques et leurs plans d'amélioration. Les bailleurs doivent intégrer des contraintes : - techniques, liées à l'état du patrimoine- sociales, liées aux demandes des locataires et aux dysfonctionnements dans un certain nombre de sites ; - politiques, au travers notamment des politiques de renouvellement urbain. Les bailleurs ne pratiquent pas que des rénovations « purement énergétiques », celles-ci s'inscrivant souvent dans une opération globale de réhabilitation qui traite avant tout du confort et de la qualité d'usage des logements.

Dans le cas de la réhabilitation purement énergétique, il s'agit d'un coût financier en soi, tandis que dans le cas de réhabilitations classique et énergétique conjointes, c'est un surcoût à la marge1.

1Les montants à financer sont significatifs. Si l'on considère un montant d'investissement moyen (partie énergétique) de 15 000 euros par logement (Bullier et alii, 2011) appliqué à 800 000 logements, cela représente à minima 12 milliards d'euros à investir en 10 ans d'ici 2020.Pour situer l‘enjeu pour les bailleurs, signalons que le coût moyen d'une opération de rénovation comprenant aussi les opérations non énergétiques était en 2010, de 27 500€ /logement en moyenne (Bulier et alii, 2011).

Page 4: La performance énergétique et le comportement vertueux des

4

Les principaux freins pour les bailleurs sont les surcoûts des nouvelles techniques, le manque de fiabilité des économies d’énergie, l’absence de retour sur investissement pour le bailleur et un modèle de financement "autonome" présentant des risques sur les autres missions du bailleur..

Les économies d'énergie générées permettent rarement un temps de retour sur investissement inférieur à 25 ans. Elles participent, par leur intégration à l'enjeu patrimonial, à optimiser l'approche financière globale. Les économies bénéficient au locataire. Le CPE est justement une alternative pouvant lever ces freins ; précisément, l’application des CPE sur 20 ans pour de telles réhabilitations implique la prise en compte de l ‘aspect comportemental.

En France, le législateur a fixé les droits et devoirs des protagonistes : les textes d'application 40 de la loi MOLLE du 25 mars 2009 permettent au bailleur de récupérer jusqu'à 50 % des économies d'énergies du locataire pendant 15 ans. La mise en œuvre de la troisième ligne de quittance s'effectue lors d'une concertation locative, mais ne nécessite pas légalement d'accord collectif signé par les locataires, comme c'est le cas en cas d'augmentation de loyer. Néanmoins, il essentiel d'obtenir un accord collectif afin de motiver les locataires à coopérer pour réduire les consommations énergétiques.

1.2. La problématique du comportement vertueux

Cette étude est réalisée dans ce contexte et doit permettre d’apporter des éléments concrets pour la compréhension des leviers d’actions comportementales visant à obtenir le résultat énergétique final visé. Dans son travail de thèse, BRISEPIERRE (2011) a identifié deux principaux problèmes liés aux comportements : � Premièrement, l’écart entre les intentions et les actes. Pourquoi alors qu’on mesure une progression de la sensibilité écologique dans la population et une meilleure connaissance des gestes verts, leur mise en pratique reste très limitée ? � Deuxième problème, le phénomène dit de l’effet rebond. Qu’est ce qui explique que lorsqu’on met en place des mesures techniques d’efficacité énergétique, les résultats attendus en matière économie d’énergie sont rarement à la hauteur ? Pour dépasser ces problèmes, il est essentiel de mieux connaître les comportements associés à la consommation d’énergie et de comprendre les mécanismes en jeu. Au delà des facteurs techniques et économiques, la consommation d’énergie dans l’habitat est une construction sociale et organisationnelle.

Une véritable réduction des consommations d’énergie devient possible quand les habitants ont la possibilité de participer aux choix collectifs concernant leur immeuble.

Notre travail prend appui sur la question de la représentation que les individus ont de leur responsabilité ; il s’agit en effet de comprendre comment ils se mobilisent pour définir les actions à mener.

Ce faisant nous nous rapportons aux travaux de ROUQUETTE (2006) qui énonce que l’environnement ne constitue pas en tant que tel une donnée objective ; c’est bien davantage un jugement auquel sont affectés des enjeux sociaux. Dans cette approche qui se situe dans le

Page 5: La performance énergétique et le comportement vertueux des

5

champ de la psychologie sociale et environnementale, on peut alors explorer les conditions et perspectives d’évolution des comportements de consommation énergétique : comment une remise en cause des représentations et des comportements individuels et collectifs peut- elle induire des attitudes plus vertueuses en matière de développement durable ?

C’est que le bâtiment se situe au cœur de ces enjeux ; il représente à la fois une menace environnementale en tant que contributeur majeur aux émissions de GES et victime potentielle car vulnérable face à ces menaces (LAWRENCE, 2006). L’habitat participe aussi de l’espace refuge que constitue le chez soi ; et ce fort rapport affectif entretenu par l’individu avec son espace intime rend difficile la possibilité d’y faire évoluer les comportements. Les exigences de confort et la résistance au changement semblent particulièrement fortes dans l’habitat. Face au confort, valeur ancrée dans les modes de vie contemporains, le défi de la réduction de la consommation d’énergie dans l’habitat n’est –il pas difficile à relever ? Cependant les perspectives d’économies d’énergies et donc de réduction des charges peuvent se révéler comme un levier concret pour faire évoluer les comportements en faveur du développement durable.

D’autres travaux soulignent de nouveaux freins perceptibles aujourd’hui : ceux du sentiment d’impuissance individuelle lié à la perception de ne pouvoir contribuer individuellement à l’effort collectif en faveur du développement durable. Les actions individuelles risquent d’être perçues comme inefficaces face à l’ampleur du défi environnemental (WEISS, MOSER, GERMANN, 2006).

Du reste, l’habitat n’est pas forcément identifié comme une cause possible du changement climatique. Est-il bien connu comme l’une des premières sources d’émissions nocives pour l’environnement ? Il semble que l’industrie, l’agriculture et les transports soient bien davantage identifiés comme des sources de pollution (LANGE, VIDEAU, 2007).

C’est ainsi que Marchand conclut avec l’existence d’un « déni du risque, en partie lié à l’absence d’emprise liée perçue sur les catastrophes et la perception d’une capacité minime sur l’aléa ». Et il n’y aurait qu’un pas de la capacité réduite perçue à la déresponsabilisation. On observerait aussi une habitude à reporter ou à confier la gestion des soucis collectifs aux pouvoirs publics.

On peut donc en déduire que l’exercice de la responsabilité écologique passe aussi par une modification des comportements de consommation. Il importe donc de questionner les modèles de l’implication et de l’engagement. Nous recouperons ce cadre théorique avec le pré requis de Moser (2003) selon lequel des comportements écologiques peuvent être suscités par la mise en place de conditions qui seraient favorables à leur adoption.

Nous avons mené une démarche d’observation sur un chantier de rénovation d’une résidence comportant 4 bâtiments, 64 logements avec 200 locataires. La réhabilitation est réalisée dans le cadre d’un CPE incluant outre l’amélioration énergétique (isolation et systèmes de chauffage), des améliorations intérieures (nouveaux équipements sanitaires), des améliorations sécurité (accès aux parties communes et visiophonie) et des améliorations du cadre de vie de la résidence (espace de jeux, jardinets privatifs, remise en peinture des espace communs).

Page 6: La performance énergétique et le comportement vertueux des

6

2 Le changement comportemental dans sa dimension individuelle

Les opérations de Maitrise des Dépenses Energétiques sont aujourd’hui placées dans un contexte nouveau : il s’agit désormais de satisfaire des objectifs de sobriété énergétique, d’efficacité énergétique et de mutation de sources énergétiques. Les comportements individuels sont alors influencés par les nouvelles technologies mises en place. Mais divers travaux (ZELEM, 2010) ont déjà relevé les stratégies individuelles susceptibles de se manifester. Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique peut être assimilée à une scène de jeu : la stratégie du jeu est basée sur un pari à prendre (ZELEM, 2010).En l’occurrence, les participants sont amenés à prendre deux types de postures (A. HIRSCHMANN, 1982) :

- La stratégie du passager clandestin: Il y a suffisamment d’autres participants qui changent pour que je puisse individuellement ne pas encore changer. Le risque pour l ‘individu est que personne ne change.

- La stratégie "durable":

L'axiome de base est que nous sommes tous perdants à ne rien faire et que pour gagner l’individu doit commencer à jouer. En rendant sa participation visible, l’individu va inciter les autres à jouer et à éviter le risque fatal. L'entrée dans le jeu, même à petite échelle, permet de gagner du temps. Cela limite la vitesse d'augmentation des coûts (énergie dans notre cas), évite des mesures obligatoires subies. Les mesures collectives sont par nature subies et rien ne garantit priori qu’elles seront bien proportionnées à la capacité personnelle d'effort..

2.1 Le calcul bénéfice– coût

Le principe du comportement intéressé n’est- il pas d’abord un fondement de l'action humaine: l'homme est motivé par la recherche d'une satisfaction autocentrée. L’évaluation d'une mesure de maîtrise des dépenses énergétiques met alors en regard des coûts immédiats par rapport à des bénéfices attendus. La valeur ajoutée est estimée par la différence entre la satisfaction obtenue et les coûts engendrés.

Le coût peut regrouper des éléments comme :

- les coûts concrets : l'effort financier direct (la part de la troisième ligne pour des locataires). - les coûts immatériels (efforts à fournir) liés à l'adaptation, aux caractéristiques des nouvelles technologies et aux changements d'usages. - l'incertitude L'incertitude d'une prise de décision à effectuer dans un environnement aléatoire (évolution supposée des prix des énergies) représente un risque. La tendance naturelle lors d'une prise de décision va vers la réduction des risques, en allant soit vers un seuil maximal de satisfaction soit vers un seuil minimal d'insatisfaction. - le poids de l'engagement: l'impossibilité à se rétracter est un frein - l'anticipation: les individus sont davantage focalisés sur le présent que sur le futur. La diminution des coûts immédiats est préférée à un bénéfice supérieur, même admis, mais trop lointain. - la perception de la valeur ajoutée: les coûts sont concentrés et les bénéfices sont diffus

Page 7: La performance énergétique et le comportement vertueux des

7

En retour l’amélioration du coût d'usage et du confort perçu sont les principaux bénéfices. L‘énergie n'est pas consommée directement mais résulte de l‘utilisation d'un autre produit. C'est le bénéfice retiré du produit qui motive son usage, l ‘aspect énergétique n ‘étant qu'une contrainte, un coût indirect qui limite son usage. Sur cette base d’analyse, comment induire des changements motivés ?

2.2 Les changements motivés

Le premier niveau d’action consisterait alors à informer et à motiver les habitants à changer pour un comportement plus économe en énergie. Mais les résultats en terme de prise en compte de ce changement sont très variables. En effet, des travaux laissent à penser que la population peut être divisée en trois grandes familles de publics en fonction de leur perception des enjeux.

- Le public d'identification : concerné directement de par ses engagements militants ou ses implications scientifiques/techniques - Le public attentif : sensible sans être disposé à modifier de suite ses habitudes - Le grand public : apathique, en attente d'une criticité avérée

Différents types d'appropriations des enjeux entrent en jeu : - l'appropriation spontanée : les pionniers - l‘appropriation réfléchie: après observation des inconvénients et avantages - la non appropriation : refus de participer

Le niveau de confiance entre également en ligne de compte : - Confiance adhésion : croyance au caractère légitime du projet - Confiance d'anticipation ou de sécurité : s'engager de peur de devoir rendre des comptes (cas des professionnels vis à vis de la RT 2012) - Confiance obligée : peur de sanction, engagement a minima - Méfiance : abstention générée par un manque de crédibilité du porte-parole - Défiance : doute sur la crédibilité du projet, refus de participer à l'enjeu.

A ce stade on peut craindre un écart entre la déclaration d'intention et le passage à l'acte. Les déclarations d'attitude correspondent à une norme socialement diffusée (transmise par les médias par exemple) mais les attitudes réelles ne suivent pas2. Notons que pour changer de comportement l’adhésion à la finalité n’est pas le seul agent conduisant à la décision de changement…

2.3. Les actions comportementales

2Par exemple, pour les appareils électroménagers 84% des Français déclarent faire attention à la consommation mais seul 41 % en tiennent compte lors de l'achat (ZELEM, 2010). Si 95 % de personnes interrogées se déclarent concernées par la propreté de l‘environnement et se disent prêtes à ramasser les papiers par terre, l'observation montre que moins de 2% les ramassent effectivement (WEISS-GIRANDOLA et alii, 2010).

Page 8: La performance énergétique et le comportement vertueux des

8

Le passage à l’acte est aussi le fruit de modifications comportementales qui vont progressivement conduire à une modification complète et assimilée. Deux effets principaux peuvent être retenus (JOULE-BEAUVOIS, 2002) :

-La cohérence : Le moteur comportemental essentiel est la recherche de cohérence. La cohérence s'applique entre l'acte, l'information, la croyance et les valeurs. Le risque en cas de dissonance est l'indifférence, le rejet, la négation de l'information et finalement le maintien de l'attitude. Une décision découle d'un processus qui est enserré dans un contexte3.

-L'effet de gel : L'effet de gel est le processus qui mène à une posture durable suite à la somme d'actes de plus en plus impliquant (JOULE-BEAUVOIS, 2002).

Cet effet reconnu permet d'arriver à modifier des comportements par une incitation à la réalisation d'actes sans pour autant avoir pour préalable une adhésion absolue à l'enjeu visé. Quelques leviers favorisent la mise en place de l ‘effet de gel. - Le passage à l'engagement est d'autant plus fort que le coût de l'action est élevé. - Pris comme partenaire, les individus considèrent les solutions comme les leurs et tendent plus à les adopter - Une politique participative permet d'étendre les décisions prises sur un point à d'autres aspects similaires.

3 Le changement comportemental dans sa dimension collective

Manifestement, la motivation individuelle autocentrée doit être complétée par la motivation liée aux constructions sociales.

3.1. L'effet Hawthorne On retient généralement de cette expérience qu’il convient de stimuler l‘engagement par des relations, la création d'un sentiment d'élection à une expérience constituant en elle seule un privilège. La motivation première de faire des économies d'énergie deviendrait alors secondaire car la participation à la dynamique, la valorisation collective prend le dessus. La mise en place de médiateurs ou d'ambassadeurs internes au groupe sont des activateurs de la participation et créent un élan social. L’animation des opérations de sensibilisation et de maitrise des dépenses énergétiques relèverait alors d’une posture de « jeu collectif ». La participation étant plus importante que la finalité et lorsque l'animation disparait l'enjeu retombe.Il importe aussi de passer par des éléments structurants (réunions, protocoles de mise en œuvre, communication sur l'opération,...) autour desquels les pratiques quotidiennes vont s'organiser. Les objectifs de résultat (économies d'énergie et baisse des charges) ne sont certes pas garantis mais les atteindre représente une valorisation individuelle au sein d'une aventure collective. Cette

3Les individus adhèrent plus facilement aux choix déjà faits plus qu'aux raisons ayant conduit à ce choix (JOULE-BEAUVOIS, 2002).La médiatisation de l'acte atténue le poids de la motivation dans la prise de décision. Le besoin de justification du choix (souvent vis-à-vis de l'entourage) va conduire à infléchir a postériori ses "croyances/valeurs/opinions" pour retrouver la cohérence.

Page 9: La performance énergétique et le comportement vertueux des

9

valorisation favoriserait l'engagement de certains qui s'investissent d'une mission et qui vont la diffuser dans le collectif.

3.2. Les motivations engageantes collectives

Le changement peut également être porté par une minorité active et charismatique pour donner envie de l'imiter (éviter le risque de dénoter). La quête de la conformité permet de rester en accord avec le groupe d'appartenance (par exemple la communauté des habitants du groupe d'immeubles). La norme comportementale collective est assimilée à une règle avec un risque en cas de transgression. Les bonnes habitudes prises sont un mode de pérennisation de l'action. La participation aux réunions de sensibilisation constitue donc un élément fort pour construire cette culture. Les changements consentis doivent être communiqués au sein du groupe partageant les mêmes valeurs. Un engament public solidaire peut être la signature d'une charte des objectifs et des bons usages. Les réunions d'échange d'expériences remplissent aussi cet objectif. L'engagement doit être significatif, visible par la communauté et répété pour être irrévocable. La dimension collective pèse sur les changements individuels. Les interdépendances et les contraintes sociales qui les englobent favorisent le statu quo obtenu. Aller vers un changement durable est favorisé par une présentation positive de la nouveauté en accord avec les normes et les valeurs du groupe.

3.3. Les réseaux de liens forts et faibles La sociologie économique postule également une interférence forte du social sur le comportement d'achat (Steiner, 2005).L'individu est d'abord un être social qui doit préserver sa position sociale, son confort, sa réputation. L'individu ne peut pas prendre de décision comme s'il était seul en faisant abstraction de son environnement. Dans ce cadre, la thèse de l'encastrement renvoie au réseau de relations sociales (GRANOVETTER, 2006).La décision individuelle (ou du ménage) est enchâssée dans des contextes, orientée pour réduire ses incertitudes. Le contexte familial, social, relationnel est référent et il est difficile de s'éloigner du fonctionnement des autres membres. On fait d'autant mieux quelque chose que son entourage proche l'approuve. La structure des relations sociales impose des contraintes fortes aux actions. Dans notre cas d’étude, on distinguera deux typologies de groupes sociaux : - Les groupes à liens forts : ex famille, immeuble, entreprise - Les groupes à liens faibles : amis, relations circonstancielles, cercles d'échanges.

L'émotion et l'affect sont moins présents dans les réseaux de liens faibles. Ceci les rend plus aptes à l'appropriation d'un nouveau concept par l'absence de jugement de la communauté. Les liens forts peuvent faire un véritable obstacle aux changements, l'ingérence d'un élément étranger sera considérée comme perturbateur et rejetée.

3.4. Les cercles d'influence On sait aussi que les comportements s'apprécient aux différents niveaux : individus, univers sociaux, catégories sociales, réseaux d'affinités, réseaux d'intérêts. Les comportements se construisent par le jeu des différentes interférences et influences à trois niveaux : (ZELEM, 2010)

Page 10: La performance énergétique et le comportement vertueux des

- L'échelle micro-sociale L'échelle domestique permet de comprendre comment l'individu construit ses savoirs, ses croyances, prend ses décisions et se comporte au quotidien.- L'échelle méso-sociale

(infrastructures, offre disponible par exemple).La notion d'habitat va d’ailleurs delà du seul logement (Stéphane Chevrier, 2006).L‘espace domestique correspond à la capacité humaine de s’approprier le monde qui l‘entoure. Cet espace va au-delà des seuls murs de son appartement, s’étend au palier, au square, à la rue.

3.5. Les déterminants individuels et collectifs

La représentation ci-dessous tente une synthèse des analyses du changement comportemental dans ses dimensions individuelles et collectives. Elled'impact personnel et sociétal. L'impact personnel a une influence plus isociétal est souvent plus étalé dans le temps. La réduction de la consommation énergétique personnelle est immédiate, son impact sur lsur 100 ans.

Micro-sociale

Macro-sociale

Méso-socia le

Les sphères d’influence

Figure 1 : Les sphères d'influence

e domestique permet de comprendre comment l'individu construit ses savoirs, ses croyances, prend ses décisions et se comporte au quotidien.

L'échelle de la société place les opinions et les préférences de l'individu dans un schémacohérence par rapport aux règles et aux valeurs du groupe pour guider son action- L'échelle macroLe système global de consommation apporte de grandes contraintes sociétales sociologiques), les effets d'appartenance à une structure (sociale, générationnelle, sexuelle) et les effets de contexte

(infrastructures, offre disponible par exemple). d’ailleurs au-

seul logement (Stéphane L‘espace domestique

correspond à la capacité humaine de s’approprier le monde qui l‘entoure.

delà des seuls murs de son appartement, s’étend au palier,

déterminants individuels et

dessous tente une synthèse des analyses du changement comportemental dans ses dimensions individuelles et collectives. Elle croise les deux notions fondamentales de bénéfice/coût et d'impact personnel et sociétal. L'impact personnel a une influence plus isociétal est souvent plus étalé dans le temps. La réduction de la consommation énergétique

est immédiate, son impact sur l‘effet de serre va avoir un impact sociétal qui s'étale

Logement Changements

techniques

Figure 2 : L'habitat : une notion étendue

10

e domestique permet de comprendre comment l'individu construit ses savoirs, ses

L'échelle de la société place les opinions et les préférences de l'individu dans un schéma de cohérence par rapport aux règles et aux valeurs du groupe pour guider son action

L'échelle macro-sociale Le système global de consommation apporte de grandes contraintes sociétales (physiques et sociologiques), les effets d'appartenance à une structure (sociale, générationnelle, sexuelle) et les effets de contexte

croise les deux notions fondamentales de bénéfice/coût et d'impact personnel et sociétal. L'impact personnel a une influence plus immédiate, l'impact sociétal est souvent plus étalé dans le temps. La réduction de la consommation énergétique

‘effet de serre va avoir un impact sociétal qui s'étale

Logement

Habitants

ImmeubleEspace commun de la résidence: L'habitat : une notion étendue

Page 11: La performance énergétique et le comportement vertueux des

Le changement des habitudes estet psychosociologiques qui sont représentés par les différents liens.

On peut donc en déduire que, communication et son partage avec le groupe va progressivement en faire une nouvelle norme comportementale qui par effet boomerang va dans un second temps contribuer à maintenircomportement dans un souci de cohérence avec la norme du groupe et la cohésion sociale qui en aura résulté.

4. Les préconisations en faveur d’uncomportemental

Pour faciliter l’appropriation des différentes notions que nsynthèse, nous proposons de représenter le changement comportemental en trois phases

- l‘acceptation du changement- le passage à l‘acte - l’appropriation ou l‘ancrage du changement comportemental

Figure 3 : Diagramme Bénéfice/Coût et impact Personnel/Sociétal

Le changement des habitudes est donc bien le résultat d'éléments d'influence à la fois matérielles et psychosociologiques qui sont représentés par les différents liens.

On peut donc en déduire que, après un changement comportemental individuel, sa communication et son partage avec le groupe va progressivement en faire une nouvelle norme comportementale qui par effet boomerang va dans un second temps contribuer à maintenircomportement dans un souci de cohérence avec la norme du groupe et la cohésion sociale qui en

réconisations en faveur d’un processus de changement

Pour faciliter l’appropriation des différentes notions que nous avons décrites, représenter le changement comportemental en trois phases

du changement

l’appropriation ou l‘ancrage du changement comportemental

: Diagramme Bénéfice/Coût et impact Personnel/Sociétal

11

le résultat d'éléments d'influence à la fois matérielles

après un changement comportemental individuel, sa communication et son partage avec le groupe va progressivement en faire une nouvelle norme comportementale qui par effet boomerang va dans un second temps contribuer à maintenir le comportement dans un souci de cohérence avec la norme du groupe et la cohésion sociale qui en

processus de changement

ous avons décrites, et en guise de représenter le changement comportemental en trois phases :

Page 12: La performance énergétique et le comportement vertueux des

12

Dans chaque phase les individus ont différentes postures possibles. Le modèle proposé réduit les postures à trois typologies par phase. Pour simplifier leur utilisation, elles sont symboliséesen utilisant le modèle du « triple A », inspiré des notations bancaires largement médiatisées.

A : Phase d’acceptation du changement

� A- : Acceptation apathique, aucune prise en compte de l‘enjeu, pas d’écoute active ni d’intérêt pour l’intérêt d’un changement.

� A : Acceptation attentive : écoute et sensibilité aux enjeux énoncés sans pour autant se prononcer sur leur validité pour lui.

� A+ : Acceptation motivée : les enjeux sont pris en compte et l’envie de passer à l‘acte est exprimée.

AA : Phase du passage à l‘acte

� AA- : Action minimaliste visant à participer au changement tout en y mettant un investissement personnel minimal

� AA : Action conforme aux nouveaux types de comportement à adopter tout en gardant une distance par rapport à l‘enjeu qui reste à confirmer

� AA+ : Action assimilée, les changements comportements sont conformes, et assimilés par rapport à l‘enjeu final.

AAA : Phase d’appropriation du changement comportemental (ancrage)

� AAA- : Appropriation sécuritaire, le coût du retour en arrière est supérieur à celui du maintien du nouveau comportement, qui peut être très facilement remis en cause dès que le risque perçu a diminué (exemple baisse du coût de l ‘énergie)

� AAA : Appropriation normative, les nouveaux comportements sont devenus la norme dans le groupe de référence et s’en éloigner représente un risque d’incohérence.

� AAA+ : Appropriation engagée, le changement comportemental est devenu une norme personnelle acquise et il est transmis aux autres.

Le passage entre les différentes phases peut se faire quelque soit la posture initiale par le jeu combinatoire des multiples facteurs possibles.

Page 13: La performance énergétique et le comportement vertueux des

Figure 4 : Le changement comportemental : Modèle Triple A

4.1. Les facteurs de succès du changement comportemental

La stratégie générale préconisée attentistes.

La tactique consiste à utiliser le jeu de la complémentarité des réseaux de liens forts et

La communication engageante sur les enjeux doit factuelle des résultats. Les contenus des supports d'informations doivent avoir des bases "techniques" et "comportementales" cohérentes. La sémantique decohérente. La communication doit circuler dans plusieurs cercles. En effet, le récepteur interprète l'information en fonction de son contexte. De fait, l'écart se réduit par la multiplicité des sources sous réserve de la cohérence par rapport à l'enjeu.

Ces résultats sont à la fois individuels et collectifs par rapport au groupe de liens forts impliqué dans la communication engageante par les acteurs/ambassadeurs au positionnement social complémentaire est succès. On notera que le rôle des structures d'encadrement est essentiel pour tendre vers la cohérence "au fil de l'eau".

Le changement comportemental : Modèle Triple A

Les facteurs de succès du changement comportemental

préconisée vise à faire basculer ceux qui hésitent, puis de mobiliser les

La tactique consiste à utiliser le jeu de la complémentarité des réseaux de liens forts et

La communication engageante sur les enjeux doit aussi être soutenue par une mise en évidence Les contenus des supports d'informations doivent avoir des bases

"techniques" et "comportementales" cohérentes. La sémantique des différents cercles doit être cohérente. La communication doit circuler dans plusieurs cercles. En effet, le récepteur interprète l'information en fonction de son contexte. De fait, l'écart se réduit par la multiplicité des sources

rence par rapport à l'enjeu.

Ces résultats sont à la fois individuels et collectifs par rapport au groupe de liens forts impliqué dans la communication engageante initiale. La cohérence des informations et des attitudes portée

au positionnement social complémentaire est rôle des structures d'encadrement est essentiel pour tendre vers la

13

vise à faire basculer ceux qui hésitent, puis de mobiliser les

La tactique consiste à utiliser le jeu de la complémentarité des réseaux de liens forts et faibles.

être soutenue par une mise en évidence Les contenus des supports d'informations doivent avoir des bases

s différents cercles doit être cohérente. La communication doit circuler dans plusieurs cercles. En effet, le récepteur interprète l'information en fonction de son contexte. De fait, l'écart se réduit par la multiplicité des sources

Ces résultats sont à la fois individuels et collectifs par rapport au groupe de liens forts impliqué cohérence des informations et des attitudes portée

au positionnement social complémentaire est donc un facteur clé de rôle des structures d'encadrement est essentiel pour tendre vers la

Page 14: La performance énergétique et le comportement vertueux des

14

La récompense des comportements responsables et la stigmatisation des comportements déviants doivent intégrer des aspects rationnels et des aspects émotionnels, des aspects individuels et des aspects communautaires.

Pour limiter l'effet rebond4, le coût de fonctionnement (résultant d'un "effort" préalable significatif) est un indicateur fort s'il est lié à une référence crédible. La référence au groupe de liens forts, si elle est réalisable, apporte un aspect factuel et un aspect sociologique favorable à l'ancrage des comportements individuels.

La récompense d'estime individuelle peut être construite sur le principe de l'anonymat et de la référence aux résultats du groupe de liens forts. Une valorisation positive du résultat du groupe par rapport à une référence locale extra groupe peut être l'objet d'une communication ou d'un micro-évènement inclus dans un évènement festif de lien social comme par exemple à l'occasion de la fête des voisins ou de la musique.

Pour sa part, l’éventuelle stigmatisation doit être" librement" consentie (négociée pour ne pas être contournée systématiquement), elle peut être anonyme vis-à-vis du groupe de liens forts tout en étant identifiable par la personne concernée.

Les résultats observés (BewareE, 2010) montrent qu'il est essentiel de combiner différents modes d'intervention pour obtenir un changement pertinent et durable. Ainsi des gains jusqu'à 20% ont été observés en combinant information, visite sur site et monitoring (BewareE, 2010).

La planification d'un processus de changement commence par la pré-information pour aboutir l'autorégulation des comportements.

Les processus d'appropriation reposent sur : - l'appropriation des techniques - l'appropriation des comportements individuels - l'appropriation de nouvelles normes comportementales de groupe.

Le changement comportemental est bien à considérer comme un apprentissage permanent.

De fait, les étapes de la roue de Deming s’appliquent de façon adaptée : - comprendre/objectiver - expérimenter - mesure/évaluer - intégrer/appliquer

4Dans sa définition économique, l'effet rebond consiste à utiliser le gain économique issu de la nouvelle technologie pour le réinvestir dans une augmentation, soit du taux de service de la nouvelle technologie, soit d'achat d'autres services. Ainsi l'introduction d'une nouvelle technologie plus économe ne génère pas nécessairement le gain réalisable car l'utilisateur va avoir tendance à améliorer ses conditions de vie. Dans le cas des économies d'énergies, cela peut se traduit par une augmentation de la température de confort, de la consommation d'eau chaude sanitaire ou une utilisation d'autres sources de consommation électrique. Dans une étude de septembre 2011(BRANGER ,2011) sur la consommation d'énergie dans le secteur résidentiel, les incidences de l‘effet rebond ont été évaluées dans leur globalité. Il en ressort que l‘effet rebond peut annuler de 5 à 50% des économies d'énergies théoriques.

Page 15: La performance énergétique et le comportement vertueux des

15

4.2.Accompagner les usagers vers des comportements vertueux

Nous préconisons les étapes suivantes :

La phase A préparatoire au changement

Créer la relation par la cohérence et qualité de l‘information implique la mise en œuvre des pratiques ci-dessous :

- Implication avant le démarrage des travaux : enquête préalable à la définition des travaux, présentation des enjeux sociétaux, intervention de représentants des collectivités, réunion de présentation pour validation de la troisième ligne - Communication régulière vers ses locataires : une lettre d'information pendant les travaux - Utilisation du support de structures spécialisées d'accompagnement, médiateur social, association de sensibilisation énergétique - Réunion d’expression des locataires, verbalisation des engagements, détection des ambassadeurs - Ecoute des locataires pour créer une sémantique partagée par rapport aux feuillets d’information pour l‘utilisations des nouveaux appareils et usages généraux du logement - Diffusion d’une information commune à toutes les parties prenantes en contact avec les habitants, pour obtenir une cohérence de l’information diffusée (entreprises, bailleur, sensibilisation énergétique, …)

La phase AA du passage à l‘acte L'efficacité technique des solutions en place reste un préalable à l’optimisation de leur utilisation. Un document d'information sur les usages pour être remis à la fin des travaux au locataire. - Réunions d’information après la mise en route et pendant la première saison de chauffe pour valider le fonctionnement et favoriser l‘expression du groupe. - Monitoring et visualisation de la consommation L'objectif du monitoring en temps réel est de rendre transparent l'effet caché lié à l’usage des

appareils et installations. Rappelons que selon les études le gain lié au seul monitoring est de l’ordre de 4 à 18 %. (BewareE, 2011). L’objectif premier est de fournir un référentiel simple aux utilisateurs. Cependant, la fixation d'objectifs chiffrés (une moyenne par exemple) tend à produire un effet boomerang (OULLIER et SAUNERON, 2011) car les personnes sous la moyenne ont tendance petit à petit à augmenter leur consommation. Pour éviter cet effet, dans l‘expérimentation californienne, l‘apposition d’une appréciation sur leur comportement par un symbole graphique à permis de revenir à un niveau de consommation antérieur.

Figure 5 : Consommation énergétique d'un foyer : exemple de représentation- Source Nudges verts CAS, 2011

Page 16: La performance énergétique et le comportement vertueux des

16

Un affichage dans les espaces communs vient en complément avec les informations accessibles dans le logement. Une proposition consiste à indiquer la répartition du nombre de logements qui sont dans la tranche dite normale, ceux qui sont au-dessus et ceux qui sont en dessous.

La phase AAA d’appropriation Nous préconisons de :

- Donner un sens au monitoring : à partir des résultats individuels par rapport au groupe, il s’agit de créer une dynamique de progrès, en suivant par exemple au fil des ans l'évolution du nombre de logements étant « standard » ou « standard + ». Il s'agit surtout d’éviter des retours en arrière en donnant des éléments de comparaison par rapport aux années précédentes, non pas par rapport à la valeur de consommation mais par rapport à la norme comportementale du groupe. - Communiquer les résultats obtenus hors de la résidence pour visualiser et valoriser le résultat collectif. - Favoriser les résultats communautaires lors d’évènements collectifs (fêtes de voisins par exemple). La communication aura donc pour vocation de valoriser les avancées obtenues, de les rendre publiques et ainsi de rendre un retour en arrière individuel ou collectif inconfortable. Conclusion Notre étude a bien confirmé que « les comportements dans le contexte du bâti sont des composantes majeures de la mise en place et de la pérennisation d’une politique de développement durable » (MARCHAND, 2010). Et, pour obtenir un comportement adapté à une nouvelle technologie, il est indispensable de déployer une approche complète couvrant les phases antérieures et postérieures à la période d’intervention technique proprement dite. Cet article met aussi en question la dissociation traditionnelle entre l’efficacité technique liée aux innovations dans le bâti et la sobriété attendue par le changement de comportement des habitants.

Dans cette nécessité d’une meilleure connaissance des processus complexes d’appropriation, le préalable est que l‘enjeu final soit clairement énoncé pour être partagé par tous. Bien sûr, le partage et l‘expression de cet enjeu revêt des formes différentes en fonction des individus, des phases du changement et des circonstances. Il ne s’agit pas seulement de convaincre. C’est la combinaison des différents modes d’action et d’interaction qui conduit au résultat visé.

Un suivi, au sens managérial du terme, vient donner plus de chances d’atteindre le but commun. Savoir évaluer les postures (A, AA ou AAA), et trouver des actions adaptées permet d’apporter un soutien selon les principes classiques d’amélioration continue. Il s’agit bien de s’approprier des comportements de sobriété non pas de façon ponctuelle mais sur la continuité.

Il convient de prendre en compte un cercle plus large d’intervenants, de préparer les participants et de les accompagner. Ceci représente un investissement en temps, moyens qui doit aussi être intégré économiquement.

On observera aussi que la sobriété énergétique ne se résume pas à adopter des petits gestes simples mais passe par une véritable révolution de la vie domestique. Or l’adoption de pratiques économes se heurtent aux diverses contraintes qui structurent les activités domestiques, ce qui explique pourquoi la sensibilité écologique ne peut entraîner à elle seule ces changements.

Page 17: La performance énergétique et le comportement vertueux des

17

Premièrement, des contraintes symboliques comme le manque d’information des habitants sur leur consommation d’énergie. Les outils actuels comme la facture ou le compteur délivrent une information trop globale pour permettre au consommateur d’attribuer une signification énergétique à ses comportements et pouvoir suivre l’évolution de sa consommation en fonction des changements5. Deuxièmement, les pratiques économes se heurtent à des contraintes sociales comme les tendances d’équipement6. Une autre contrainte sociale renvoie au fait que la consommation d’énergie participe à la construction du lien social7. Inviter des amis chez soi s’accompagne d’un rebond de la consommation. De même la norme relationnelle contemporaine est celle d’une connexion permanente au réseau mobile ou Internet entraînant des consommations d’énergie continues. Troisièmement, les pratiques économes sont confrontées à des contraintes matérielles. La consommation d’énergie passe toujours par un objet technique dont le fonctionnement conditionne les usages. Ces objets manquent cruellement d’outil de pilotage de la consommation, comme le chauffe-eau électrique qui ne prévoit pas de thermostat facilement accessible. Les indicateurs de consommation font aussi souvent défaut rendant certaines consommations invisibles8. En définitive on voit que les changements de comportements des habitants ne dépendent pas uniquement de leurs motivations, qu’elles soient écologiques ou économiques. Il faut aussi tenir compte des contraintes qui organisent la vie domestique pour comprendre la relative inertie des pratiques (BRISEPIERRE, 2012). C’est en levant ces contraintes plus qu’en cherchant à responsabiliser le consommateur que l’on pourra faire évoluer les comportements vers plus de sobriété.

Néanmoins nous retiendrons que le premier facteur de succès est lié à la capacité naturelle de l’Homme à déployer ses talents avec enthousiasme lorsqu’il trouve du sens et de la

5 Autres contraintes symboliques, les croyances associées au fonctionnement des appareils

comme le fait que les ampoules consomment plus au démarrage et que l’ordinateur risque de s’abîmer si on l’allume et on l’éteint trop souvent. Enfin, il y a aussi des imaginaires très structurants comme l’hygiénisme qui attribue à l’eau chaude une fonction purificatrice au delà du nettoyage. Laver à l’eau froide suppose alors un imaginaire plus naturaliste où les microbes ont une fonction de vaccins, ce qui est moins répandu aujourd’hui. 6 Dans l’électroménager, l’étiquette énergie a permis des progrès dans l’efficacité énergétique mais parallèlement les ménages se tournent vers des réfrigérateurs de plus en plus grand qui au final consomment au moins autant. Mais surtout la grande évolution de ces 20 dernières années est l’apparition de l’électronique domestique : l’ordinateur et ses périphériques, les télé à écran plat plus grandes et plus énergivores que les tubes cathodiques, auquel il faut ajouter les appareils mobile qui bien souvent se rechargent à la maison. 7On fait mijoter les plats, on sort l’appareil à raclette, on allume les lumières, on augmente un peu le chauffage… 8 Par exemple, les chargeurs qui consomment même quand l’appareil mobile est rechargé ou

débranché. Mais la consommation domestique n’est parfois que la face émergée de l’iceberg, nos pratiques pouvant entrainer une consommation à l’extérieur du logement. Savez-vous que chaque recherche avec Google consomme l’équivalent en énergie de ce qu’il faut pour chauffer une tasse de thé ?

Page 18: La performance énergétique et le comportement vertueux des

18

reconnaissance personnelle. L’environnement comme enjeu partagé devient alors un vecteur économique et de bien-être.

Bibliographie BewareE, 2010, « Développer et mettre en œuvre des services efficaces de sensibilisation de l ‘énergie domestique », BewareE, http://www.izt.de/bewaree

BRANGER F., 2011, « Modélisation de la consommation de l‘énergie dans le secteur résidentiel français »., CIRED, Paris

BRISEPIERRE G., 2011, Les conditions sociales et organisationnelles du changement des pratiques de consommation d’énergie dans l’habitat collectif, Thèse de Doctorat, Université paris Descartes

BRISEPIERRE G., 2012, « Motivations et représentations des enjeux énergétiques dans le logement par les Français », Colloque « Vers une éco performance pour tous dans l’habitat », Leroy Merlin Source.

Strasbourg.

BULLIER A., LEVEVRE C., MADOULE D., AZAN W., BIGOT E., 2011, « Guide du CPE en logement social- Guide de mise en œuvre », Groupe ICF, Paris

CHEVRIER S., 2006, « Usage des technologies de communication dans la sphère familiale et résidentielle », Laboratoire de Recherche en Sciences Humaines et Sociales de l’Université Rennes 2, LARES/UHB, Rennes

GRANOVETTER M., 2006, « L’influence de la structure sociale sur les activités économiques », Sociologies Pratiques, n°13, p 9-39

HIRSCHMAN A.O., 1982, « Bonheur privé, action publique », PUF, Paris

JOULE R.V., BEAUVOIS J.L., 2002, « Petit Traité de manipulation à l‘usage des honnêtes gens », Presses Universitaires de Grenoble

LANGE E., VIDEAU S., 2007, Engager des travaux d’amélioration thermique du logement : les craintes environnementales des propriétaires constituent –elles un levier ? Air Pur, n°73

LAWRENCE R., 2006, Représentations sociales de l’habitat : la pertinence de l’écologie humaines, in K WEISS et D MARCHAND, Psychologie sociale de l’environnement, PUR.

MARCHAND D., 2010, « Le bâti au cœur des enjeux du développement durable : entre logiques d’anticipation et d’adaptation » in WEISS K., GIRANDOLA F. et alii, « Psychologie et Développement Durable », In Press Edition OULLIER O., SAUNERON S., 2011, « Nudges verts : de nouvelles incitations pour des comportements écologiques », Centre d’Analyse Stratégique, Paris

Page 19: La performance énergétique et le comportement vertueux des

19

ROUQUETTE ML, 2006, Introduction in K WEISS et D MARCHAND, Psychologie sociale de l’environnement, PUR.

STEINER P., 2005, « La sociologie Economique », La Découverte, Paris

WEISS K., GIRANDOLAF. E alii, 2010, « Psychologie et Développement Durable », In Press Edition, Paris

WEISS K., MOSER G., GERMANN C., 2006, Perception de l’environnement, conception du métier et pratiques culturales des agriculteurs face au développement durable, Revue Européenne de psychologie appliquée, n°56

ZELEM M.C., 2010, "Politiques de maîtrise de la demande d'énergie et résistances au changement", L'Harmattan, coll. « Logiques sociales », Paris