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Olympiades de Physique 2010 Lycée JJ Henner, Altkirch LA PHYSIQUE DES MILIEUX GRANULAIRES Applications dans la vie quotidienne

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Olympiades de Physique 2010 Lycée JJ Henner, Altkirch

LA PHYSIQUE DES MILIEUX GRANULAIRES

Applications dans la vie quotidienne

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Résumé

Les matériaux granulaires ? On regroupe sous cette appellation des substances très diverses telles que les fines poudres compactées des cachets d’aspirine, les ballasts des voies ferrées, les dunes du désert…ou même les anneaux de Saturne. Des expériences permettent de mettre en évidence les propriétés étonnantes de ces matériaux, intermédiaires entre celles d’un solide, d’un liquide ou d’un gaz. Les applications dans la vie quotidienne sont nombreuses : effet de voûte dans un silo, ballast des voies ferrées, amélioration du rendement de l’agriculture en Thaïlande, fonctionnement des matelas-coquille, avalanches, technique de chasse de la larve du fourmilion, formation du grès par stratification, remontée des grains dans le müesli ou béton haute-performance.

PLAN INTRODUCTION

1. Le sable : solide , liquide … ou gaz ? 2. Histoires de silos

3. Marchons sur le sable humide… : la dilatance

4. A petites différences d’angles, grands effets :

les avalanches

5. Stratification de grains en écoulement

6. Mélanger des grains : mission impossible ?

7. Un mélange étonnant

CONCLUSION

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INTRODUCTION

Le « tas de sable » est un nom commode pour désigner les matériaux granulaires. Chaque fois que l’on entasse plusieurs centaines de milliers d’objets et que les interactions entre ces objets sont semblables à celles qui existent entre des blocs durs, on a affaire à un matériau granulaire. Autrement dit, un matériau granulaire est un matériau formé de grains (de taille supérieure à 100 µm), ces derniers étant des « parties élémentaires discernables de l’ensemble » (Encyclopédie Universalis). Généralement, ces grains sont arrangés de manière désordonnée et présentent souvent des différences de forme, de taille et d’état de surface.

Ainsi, cette définition permet de regrouper sous une même appellation « granulaire » des substances très diverses et d’échelles très différentes telles que des fines poudres compactées composant les cachets d’aspirine, en passant par les ballasts des voies ferrées, les dunes du désert ou même les anneaux de Saturne…

Les milieux granulaires ont une place très importante dans de nombreux secteurs de l’activité humaine. On les rencontre en génie civil (ballasts des voies ferrées, sables, ciments, bétons, routes, digues,…), et mécanique des sols et des roches (glissements de terrains, avalanches, mouvements de dunes, minerais,…), mais aussi dans l’industrie pharmaceutique, cosmétique et chimique (poudres de lessives, engrais,…), dans le secteur agroalimentaire (céréales, farines, blé, sucre, riz,…), et même dans l’industrie spatiale (remplissage des propulseurs d’Ariane 5) !

Près de 70% de la matière que manipulent les industriels est sous forme granulaire. Le problème de leur transport, stockage, mélange, séparation, conditionnement ou transformation se pose donc aux industries qui cherchent à satisfaire certains objectifs : sécurités d’ouvrages, performances, coûts…

1. LE SABLE : SOLIDE, LIQUIDE… OU GAZ ?

Localement, un matériau granulaire peut être ordonné (comme un solide). Mais il s’écoule aussi comme un

liquide…et peut se disperser dans tous les sens, comme un gaz. Observer un simple sablier fournit des informations précieuses sur la façon dont les milieux granulaires

s’écoulent. Voyons comment il se vide lorsqu’on le retourne. En premier lieu, à l’inverse de la surface horizontale d’un liquide, la surface du sable contenu dans le compartiment supérieur est fortement creusée : l’écoulement est donc plus rapide dans la partie centrale. Par ailleurs, il apparaît dans le récipient inférieur un tas conique, centré sur la verticale du jet de sable, dont l’angle au sommet ne varie pratiquement pas lorsque le tas grossit ! Voilà qui nous oriente vers une propriété-clé de ces milieux : les avalanches, en se déclenchant sur les flancs du tas, maintiennent l’angle à une valeur constante en moyenne, ainsi que nous le verrons plus loin.

Ecoulement de grains dans un sablier

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Un des points les plus importants (en particulier pour la mesure du temps) est la très faible variation du débit du sablier pendant la durée de l’écoulement. Pour cela, deux conditions doivent être vérifiées : le diamètre de l’orifice doit être grand devant la taille des grains afin d’empêcher les blocages, et petit devant la hauteur de sable dans le réservoir supérieur.

Au contraire, lorsqu’une colonne d’eau se vide, le débit diminue continûment au cours du temps, car le poids de la colonne d’eau à la verticale de l’orifice décroît lorsque le niveau supérieur baisse.

La raison de cette différence entre le sablier et l’antique horloge à eau (la clepsydre) est la distribution totalement différente des forces dans les deux cas. Dans le sablier, les grains présents dans l’orifice subissent seulement la pression des couches situées juste au-dessus d’eux. Le poids des grains plus éloignés est, de fait, redirigé vers les parois par des chaînes de forces entre grains : c’est un « effet de voûte ». Ainsi, c’est uniquement lorsque le réservoir est quasi vide que la pression sur les grains dans l’orifice, et donc le débit, diminue.

Que d’effets physiques dans ce simple sablier !

Le phénomène en détails L’effet de voûte résulte de la transmission des forces entre les grains en contact : elle s’effectue de

proche en proche, jusqu’aux parois du récipient. Ce phénomène évoque la voûte d’une cathédrale qui renvoie le poids des éléments s’appuyant sur elle vers les murs latéraux. L’effet de voûte est crucial pour comprendre la statique et la dynamique des milieux granulaires.

voûtes dans une cathédrale

Il est possible de visualiser la distribution instantanée des forces entre grains dans un sablier modèle grâce

à une technique astucieuse, la photoélasticimétrie. C’est une technique optique utilisant les propriétés de la lumière polarisée et de la réfraction. Elle permet de visualiser les contraintes exercées au sein d’un milieu transparent.

Visualisation par photoélasticimétrie d’un empilement de disques en plexiglas,

s’écoulant dans une trémie simulant un sablier. Le dispositif est placé entre deux polariseurs croisés : les disques fortement contraints apparaissent clairs et forment des chaînes continues de forces qui vont jusqu’aux

parois. Les cylindres non contraints apparaissent en foncé.

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Observations des contraintes avec des pailles comprimées Le poids des grains situés assez loin de l’orifice est renvoyé en permanence vers les parois latérales par un

réseau continu de lignes de forces. Ce réseau évolue en permanence lors de l’écoulement du sable, si bien que, dans certains cas, des voûtes stables se forment et provoquent un blocage complet. On observe facilement ce blocage en tentant de vider du riz par un entonnoir étroit.

APPLICATION Le ballast des TGV

La matière granulaire en tas semble être une structure bien peu solide. Et pourtant, la matière en grains se

révèle être un support quasi idéal pour la fabrication des voies empruntées par de très lourds transports. Il s’agit des voies ferrées, dont le soubassement est, depuis les origines du rail, formé de matériaux granulaires : les ballasts.

Le train roule sur des rails qui reposent sur des traverses, elles-mêmes réparties sur un ballast de pierres

dures (par exemple de porphyre), concassées et aux formes anguleuses, et dont les dimensions sont typiquement de l’ordre de quelques centimètres. En-dehors des gares, la hauteur de ce lit pyramidal de gravier est de l’ordre d’un

ou deux mètres, parfois plus.

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Comment se fait-il que l’on utilise encore exclusivement cette technique vieille de 150 ans, alors que les inconvénients (coûts d’entretien considérables, projections sous le TGV) existent ?

Quelles sont les propriétés que l’on ne trouve pas dans les matériaux modernes ? Tout d’abord, le ballast est un milieu poreux, l’eau de pluie peut donc s’infiltrer. Mais surtout, l’empilement

de graviers (ou de grains quelconques) présente une forte tendance à rediriger vers l’horizontale les forces verticales qui lui sont appliquées en un point ( les premières analyses détaillées datent des années 1950, suite aux travaux de P. DANTU, un ingénieur des ponts et chaussées). Ainsi, on transforme une force importante, qui s’exerce en un point, en une force plus faible, répartie sur une large surface. Pour un ballast de forme pyramidale, cela revient à étaler le poids du train sur une grande surface horizontale au sol, plutôt que sur deux rails appuyés sur une seule rangée de traverses. La pression au sol est ainsi minimisée de manière spectaculaire.

Une autre caractéristique à prendre en compte, c’est le prix de revient assez faible.

2. HISTOIRES DE SILOS

Les industriels qui travaillent depuis longtemps avec des graviers, des sables ou des grains de blé le savent bien : les bouchages et blocages sont fréquents lors du transport en conduite. C’est pour les éviter qu’ils équipent leurs tuyaux de dispositifs coûteux et compliqués, comme des vis d’Archimède motorisés. Dans le pire des cas, la physique des granulaires leur joue de si mauvais tours qu’ils sont obligés de débloquer leurs conduites en y appliquant de violents coups de maillet…dont on peut voir les traces sur les tuyaux cabossés ! Le silo est un objet industriel et agricole bien réel. Il suffit de se promener sur les petites routes de campagne pour s’en rendre compte ! Or, la géométrie du silo reste suffisamment élémentaire pour que la description des forces en jeu soit relativement simple. Ce n’est donc pas très étonnant que les ingénieurs et physiciens se soient penchés sur ce problème depuis plus d’un siècle. On fera en effet souvent référence par la suite au modèle de silo proposé par Janssen en 1895, mais les premières publications sur ce sujet ont été écrites par Roberts en 1884. A titre de comparaison, l’expérience qui a fait renaître l’intérêt des physiciens pour la statique du tas de sable date de 1981. Toute étude sur ce sujet a ainsi potentiellement des applications pratiques directes. La seconde raison pour laquelle les silos ont été prisés pour l’étude des milieux granulaires est que la manifestation des effets de voûte dans un silo est amplifiée par la présence des parois. L’expérience pour mettre en évidence ces effets de voûte est la suivante : on remplit un silo avec une masse Mversée de grains, c’est la masse versée. Le fond du silo est un piston indépendant des parois. Celui-ci permet de mesurer la masse Mpesée qui

pèse sur le fond du silo. Si l’on effectuait ces mesures avec un fluide, on trouverait bien entendu que les deux masses sont les mêmes. Avec des grains, la masse Mpesée n’est qu’une fraction de la masse des grains contenus

dans le silo, une masse apparente. Cela signifie que le poids des grains est en partie supporté, ou écranté, par les parois du silo. Plus précisément, si l’on trace Mpesée en fonction de Mversée , on s’aperçoit que lorsque la hauteur des

grains dans le silo devient comparable à quelques diamètres de celui-ci, Mpesée « sature » et devient indépendant

de Mversée. Autrement dit, toute surcharge imposée à un silo, disons, trois ou quatre fois plus haut que large

n’affectera pas le fond du silo mais sera au contraire supportée entièrement par les parois. Cet effet d’écrantage se comprend bien en termes de voûtes : les chemins de contrainte (ou, par extension, les voûtes) qui propagent le poids des grains ne sont pas verticaux mais sont au contraire déviés vers les parois du silo et, par friction, y transfèrent une partie du poids qu’ils charrient.

EXPERIENCE

Un matériau granulaire confiné dans une colonne s’appuie sur les parois pour s’opposer aux forces extérieures (poids, force de poussée). Il en résulte un couplage entre propriétés mécaniques du matériau et propriétés de surface de la colonne. L’étude de ce couplage a constitué l’objet de ce travail.

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1) Mise en évidence du phénomène : Le matériau granulaire est versé dans un cylindre vertical clos à sa base par un piston qui peut coulisser

librement, sans frottement . Le piston est couplé à une balance, dont la déformation donne la force qu’exerce le milieu granulaire sur le piston.

Mise en évidence du phénomène

Nous avons étudié la variation de la masse Mpesée supportée par le piston en fonction de la masse Mversée

de billes dans la colonne. La masse Mpesée supportée par le piston tend exponentiellement vers une valeur de saturation Msat .

Trois paramètres expérimentaux peuvent être changés : la densité du tas, le rayon de la colonne, et la friction aux parois. Nous avons étudié quantitativement l’influence des deux premiers paramètres sur les résultats de l’expérience.

2) Description des conditions expérimentales :

a) Contrôle et mesure de la densité d : Nous avons réalisé nos expériences sur des tas de trois densité différentes :

- un tas lâche (densité d = 0,59) est obtenu par décompaction : un cylindre muni à son extrémité inférieure d’une grille dont les trous font 5 mm de diamètre est introduit dans la colonne. On verse les billes dans ce cylindre, puis on le retire lentement. Ce procédé a pour effet d’aérer la structure.

- un tas dense (d = 0,645) est obtenu par versement en pluie. Ces méthodes nous ont permis d’obtenir de façon reproductible des tas de densité fixée, indépendamment de la hauteur du tas, du diamètre et de la rugosité de la colonne.

- nous avons également tenté d’effectuer des expériences sur des tas de densité intermédiaire (0,62) obtenus par « tapping » (secousses) à partir du tas lâche .

à gauche, tas dense obtenu par versement en pluie ; à droite, tas lâche obtenu par décompaction

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Mesure de la densité d du tas

On remplit le tube de rayon R avec une masse m de billes, jusqu’à une hauteur H. Le volume V occupé est

donc : V = π.R2.H

La masse volumique est : ρ = mV =

m

π.R2.H et la densité d : d =

ρρeau

d = m

π.R2.H.ρeau

Par exemple, pour R = 1,9 cm , m = 250 g , ρeau = 1 g.cm-3, on obtient :

H (cm) 37,4 35,6 34,2

Densité d 0,59 0,62 0,64 Par la suite, nous n’exploiterons la série de mesures que si la masse m = 250 g introduite correspond à la

hauteur H de remplissage donnée ci-dessus.

b) Matériel utilisé : Nous avons utilisé trois tubes en plastique transparent (diamètres intérieurs : 38 , 56 et 80 mm) , et des

billes de verre calibrées de 1,5 mm de diamètre.

3) Résultats expérimentaux :

a) Modèle de Janssen :

On utilise un tube de 38 mm de diamètre. On remplit pour obtenir une densité de 0,645. La courbe suivante a été obtenue à partir de l’exploitation de 10 séries de mesures.

Modèle de Janssen

0

10

20

30

40

50

60

70

0 50 100 150 200 250 300 350Masse versée (en g)

Mas

se lue

(en

g)

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Les résultats obtenus sont cohérents avec le modèle prévu par Janssen en 1895 :

Mpesée = Msat . ( 1 – exp(-Mversée

Msat ) ) , avec Msat = ρπR32Kµs

µs est le coefficient de friction aux parois K est la coefficient de Janssen

ρ est la masse volumique du milieu granulaire R est le rayon du tube

b) Influence de la densité d du tas : Nous avons répété l’expérience ci-dessus en modifiant la densité d du tas. Chaque point correspond à la

valeur moyenne d’une série de 10 mesures.

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On peut noter que Msat augmente quand la densité d du tas diminue.

Regardons cela de plus près : on répète l’expérience précédente, mais avec deux tubes de rayons R différents. Les

masses de saturation sont mises à l’échelle par R3. On fait varier le rayon R du tube (R = 19 , 28 ou 40 mm) , et la densité d du tas (d = 0,59 ou 0,62 ou 0.645). Pour toutes les expériences effectuées, nous avons retrouvé la dépendance de Msat avec la densité, pour les trois densités, et pour les trois colonnes.

Masses de saturation remises à l’échelle par R3pour les trois colonnes (R = 19 , 28 et 40 mm)

et pour trois densités différentes (d = 0,59 , 0,62 , 0,645)

Pour une densité d fixée, le rapport Msat

R3 est constant : on peut en déduire que Msat est proportionnel à R3 .

EXPERIENCE

On remplit lentement un tube transparent en plastique avec du sable fin et sec. Appliquons alors de petits chocs d’amplitude constante sur le haut du tube. On voit, dès le premier choc, que le niveau du sable a notablement baissé dans le tube. On note la hauteur H du sable en fonction du nombre N de coups. Il est possible de vérifier que H décroît selon une loi exponentielle (à une constante additionnelle près) en fonction de N . Une telle dépendance est assez fréquente, dans différents domaines de la physique.

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Que se passe-t-il au sein du milieu granulaire ? En tapant régulièrement su le tube, les grains se réorganisent pour diminuer les espaces vides. On conçoit bien que cela sera facile au début. Par la suite, cela sera de plus en plus difficile car la quantité d’espaces vides diminue progressivement. On comprend ainsi que l’opération va prendre de plus en plus de temps, c’est-à-dire que la vitesse du tassement va diminuer au cours du processus. Quels sont les empilements qui occupent le minimum de volume ? Cet empilement est celui pour lequel on a minimisé tous les espaces libres entre les grains, que l’on supposera sphériques. Il s’agit de l’empilement « cubique à faces centrées », ou bien de l’empilement « hexagonal compact », car chaque cellule de base est de forme hexagonale. Ces hexagones sont empilés les uns sur les autres de manière compacte. L’empilement n’a rien de mystérieux ; nous pouvons l’observer tous les jours au marché, avec les fruits et légumes : les commerçants rangent les oranges, par exemple, en de très belles pyramides pour gagner de la place. En revanche, ce qui est assez curieux, c’est que si cet arrangement peut s’obtenir à la main, en empilant des billes une par une comme des oranges, il est rigoureusement impossible d’y parvenir depuis un tube rempli de façon désordonnée, en tapant ou en agitant ce dernier. Quoi qu’on fasse et même si on y passe un temps infini, on ne peut pas atteindre l’empilement optimal théorique. Ce qui est plus étonnant encore, et que l’on ne se l’explique toujours pas, c’est qu’en tapant, agitant dans tous les sens le tube, nous allons toujours atteindre une seule et même valeur limite d’empilement : le rapport du volume réellement occupé par les grains sur le volume total tendra vers 0,64 ( dans l’empilement « hexagonal compact », le rapport est de 0,74).

APPLICATION

Après avoir trouvé une explication plausible à notre expérience de pesée du sable, il serait intéressant d’en profiter pour inventer un nouveau procédé. Christian HARTMANN, chercheur en physique des sols à l’ IRD (Institut de Recherche pour le Développement), a pensé appliquer ce mécanisme d’effets de voûte pour améliorer sensiblement les rendements de l’agriculture en Thaïlande. Ce pays est soumis à de fortes moussons, donc, si l’on fait appel aux techniques de labour de nos contrées, le résultat est désastreux : la terre se tasse fortement, jusqu’à présenter la consistance du béton. De ce fait, les racines ne peuvent pas se développer. En pratique, il ne s’agit plus de faire des sillons, mais plutôt de creuser des trous cylindriques, plus profonds que larges et régulièrement espacés, jusque dans la sous-couche de terre, fortement compacte à cause de la mousson.

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La tarière qui sert à pratiquer ces trous cylindriques ameublit considérablement la terre à l’intérieur du

cylindre vertical, dont les parois restent en revanche solide. Cette terre meuble joue le même rôle que les petits grains de notre manipulation précédente, alors que la terre alentour, très dure, joue le rôle de l’enveloppe cylindrique en plastique ou en verre. Ainsi, la terre contenue au fond du petit puits cylindrique se trouve protégée (« écrantée »), entoure les racines et les protège des méfaits de la mousson, par effet de voûte !

3. MARCHONS SUR LE SABLE HUMIDE… : LA DILATANCE

En marchant sur une plage à marée basse, nous avons tous déjà vu la formation d’une zone sèche autour de nos pieds.

En y songeant bien, cette observation est des plus surprenantes, à tel point qu’Osborne Reynolds prit la peine d’attribuer un nom en 1860 au phénomène associé : la « dilatance ». Intuitivement, on pourrait s’attendre en effet à ce que l’eau emprisonnée dans les interstices entre grains migre vers le pourtour de la surface pressante, comme le ferait un liquide contenu dans une éponge comprimée. Comment expliquer que l’inverse se produise avec du sable saturé d’eau ?

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Nous savons qu’un milieu granulaire peut se comporter à la manière d’un liquide, les différentes couches de grains glissant alors les unes par rapport aux autres. Cela n’est cependant possible que si les interactions entre grains sont faibles et que la compacité (c’est-à-dire le rapport entre le volume des grains et le volume total) n’est pas trop élevé. Dans le cas du sable de marée basse, le mouvement de va-et-vient de l’eau à marée descendante déplace les grains, ce qui finit par compacter fortement le sable mouillé. Les grains sont alors tellement proches qu’ils ne peuvent bouger qu’en s’écartant les uns des autres lorsqu’on cherche à déformer l’empilement : ce dernier se dilate alors, d’où le nom donné à ce phénomène. Comme le volume des grains eux-mêmes est invariable, c’est celui des interstices qui augmente : l’eau est donc aspirée sous la surface pressante, ce qui assèche la zone adjacente.

EXPERIENCE On tient dans sa main un petit sac de matière souple (ballon pour enfant en caoutchouc) rempli de sable fin

et d’un liquide coloré (de l’encre, par exemple). Ce sac est étanche, mais communique avec un petit tube de verre dans lequel on aperçoit le niveau du liquide coloré.

A la surprise générale, le niveau du liquide ne monte pas quand on serre le poing. Au contraire, il descend !

Le phénomène en détails

Etudions plus en détails le phénomène à l’échelle des grains.

Sous l’effet de la contrainte de cisaillement exercée sur le milieu granulaire, le grain 1 est poussé vers la droite. Cependant, il ne peut se déplacer qu’à la condition de passer par-dessus le grain 2 : le milieu granulaire se dilate et diminue sa compacité (ou, ce qui est équivalent, augmente sa porosité à l’eau) pour autoriser ce mouvement. Nous verrons également la dilatance intervenir dans les phénomènes d’avalanches (voir partie 4) : pour s’écouler sur le flanc d’une dune, les grains doivent d’abord s’écarter les uns des autres.

La dilatance est étroitement liée à l’arrangement intime des grains à l’échelle locale que la physique a du mal

à modéliser. Même pour un empilement de sphères de diamètres identiques, la compacité peut être très variable. Elle va de celle d’un empilement compact, obtenu en secouant et tassant en cours de remplissage (l’équivalent des va-et-vient de la marée descendante), à celle d’un état désordonné lâche, obtenu en remplissant d’un seul coup un récipient. Ces empilements peu denses ne présentent pas d’effets de dilatance.

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Réaliser des empilements compacts est nécessaire dans l’élaboration des matériaux de construction (béton à haute performance pour le viaduc de Millau par exemple), tant pour assurer leurs performances mécaniques que pour diminuer leur perméabilité aux agents externes agressifs. Diverses stratégies sont exploitées à cet effet, comme l’utilisation de grains de tailles très diverses, allant de poudres fines à des gros graviers. Les petits grains remplissent alors les intervalles entre les gros (voir partie 6) : encore faut-il éviter la ségrégation ! (voir partie 5) .

APPLICATION

La dilatance explique le principe de fonctionnement des matelas coquille utilisés par les pompiers pour immobiliser un blessé lors de son transport. Ce dernier est placé sur une enveloppe contenant des microbilles et de l’air. L’enveloppe se déforme pour épouser le corps du blessé, puis on fait le vide dans l’enveloppe, ce qui augmente la compacité du granulaire dans la forme prise et interdit sa déformation ultérieure, assurant une immobilisation parfaite lors du transport.

4. A PETITES DIFFERENCES D’ANGLES, GRANDS EFFETS : LES AVALANCHES

Les grains de sable s’écoulent entre les doigts, comme un liquide, mais se déposent en un tas sur une surface

horizontale, alors que de l’eau s’étalerait en une large flaque. Ce phénomène qu’illustre la formation du cône inférieur d’un sablier a été étudié il y a plus de deux siècles par un ingénieur des fortifications, Charles Augustin Coulomb, davantage connu pour ses travaux en électrostatique.

Pour comprendre la stabilité de la surface d’un tas de grains, intéressons-nous aux avalanches qui se déclenchent sur la face arrière d’une dune (celle située sous le vent). Un premier paramètre important est l’angle maximum αM que peut adopter la surface de la dune avec l’horizontale sans qu’il y ait développement spontané

d’avalanches. Cet angle dépend fortement du matériau : il est ainsi plus élevé pour des grains anguleux que pour des grains sphériques.

Pour un angle très légèrement inférieur à cette valeur, des avalanches peuvent pourtant être déclenchées en poussant du sable en haut de la dune : la pente finale de la surface derrière l’avalanche définit un second angle, l’angle de repos αR , inférieur de quelques degrés à l’angle maximum. Pour une pente plus faible que celle définie par

l’angle de repos, les avalanches ne se déclenchent plus. Entre ces deux angles αM et αR , il existe donc un domaine

de métastabilité : les avalanches n’apparaissent pas spontanément, mais elles continuent de se propager une fois provoquées. C’est un phénomène bien connu des skieurs descendant une forte pente de neige fraîche : la moindre chute risque d’amorcer l’avalanche tant redoutée qui entraînera le sportif.

Le phénomène en détails

La valeur de ces angles est mesurée en laboratoire à l’aide d’un tambour cylindrique de faible épaisseur tournant autour d’un axe horizontal, à moitié rempli de sable. En rotation lente depuis l’horizontale, le tas reste stable jusqu’à l’angle maximum αM . La déstabilisation du tas induit alors une avalanche de grains en surface, ce qui

a pour effet de réduire l’inclinaison de la pente jusqu’à la valeur αR , inférieure de quelques degrés à αM .

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Superposition de deux photos prises juste avant et juste après le

déclenchement d’une avalanche.

L’existence de ces deux angles est liée au phénomène de dilatance (voir partie 3), c’est-à-dire à l’augmentation de volume de la couche granulaire lorsqu’elle se met en mouvement. Chaque grain doit en effet passer par-dessus d’autres grains, et il ne le fera sans recevoir d’impulsion extérieure qu’au-delà de l’angle seuil αM

. Dans les avalanches de dunes, les couches de grains qui se déplacent vibrent parfois de façon synchrone, produisant un son pur, le fameux « chant des dunes », par couplage avec l’air proche de la surface.

On peut comprendre simplement l’existence des deux angles en considérant le mouvement d’une bille sur une rangée de cylindres parallèles.

Modélisation des deux angles d’un talus de grains par le déplacement d’une bille (en rose) sur une surface

rugueuse, constituée d’une rangée de cylindres (en gris) d’axe horizontal.

Aux faibles inclinaisons de la rangée (cas 1), la bille est immobile et dans un état stable. Aux fortes inclinaisons, elle descend continûment le long de la chaîne sans qu’il soit nécessaire de la pousser (cas 2). Pour un angle d’inclinaison plus faible mais supérieur à l’angle de repos αR (cas 3), la bille continue sa course une fois lancée,

à condition donc de lui avoir communiqué une énergie cinétique initiale.

APPLICATION

La larve du fourmilion est absolument étonnante : pour capturer ses proies, cet insecte construit en effet un piège dont l’ingéniosité laisse rêveur. D’autant qu’elle met à profit, sans doute depuis des millénaires, certaines subtilités théoriques découvertes que tout récemment.

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Tapies au fond du cône de sable qu’elles ont creusé en éjectant les grains à l’extérieur, les larves de

fourmilion guettent leurs proies (pince-oreille ou fourmi par exemple). Lorsqu’une fourmi imprudente s’aventure sur le bord de ce cône, elle sera entraînée inexorablement vers le fond par une avalanche. Si cette dernière ne se déclenche pas assez vite, le fourmilion lance quelques grains afin de précipiter la glissade (remarque : le plus grand diamètre du cône est de l’ordre de 5 cm). Une fois la proie à sa portée, la larve s’en saisit et l’absorbe, après lui avoir injecté une substance liquéfiante qui ne laisse que l’exosquelette. Ce résidu est ensuite très judicieusement expulsé hors du piège par le fourmilion.

5. STRATIFICATION DE GRAINS EN ECOULEMENT

Les milieux granulaires naturels sont des mélanges de grains de caractéristiques (taille, forme ou rugosité) différentes : en s’écoulant sur une pente, ces grains auront tendance à se séparer, même si le mélange est initialement homogène. C’est ainsi qu’on retrouve les plus gros cailloux au pied des tas de gravier ou des éboulis.

L’expérience de la figure suivante illustre de manière spectaculaire ce phénomène : elle consiste à verser entre deux plaques de verre, verticales et parallèles, un mélange initialement homogène de petites sphères (en blanc), et de plus gros grains anguleux (en rouge). Au début de l’opération, les petits grains s’amassent à la verticale de l’endroit où est versé le mélange, alors que les gros vont plus loin. On observe alors une ségrégation des grains. En continuant l’expérience, il apparaît spontanément une stratification : des couches alternativement blanches et rouges se forment par paires (la couche la plus basse contient les petites billes).

Stratification spontanée d’un mélange de deux types de particules de taille et forme différentes entre deux

plaques de verre verticales distantes de 10 mm. Le mélange et versé près du milieu de la cellule. Les particules blanches (60% du mélange) sont des sphères à peu près lisses, de 0,3 mm de diamètre ;

les particules rouge (40%) sont des grains de sable anguleux de 0,8 mm environ.

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Certaines roches sédimentaires présentent des alternances du même type (voir image suivante). Le processus de stratification spontanée que nous venons de décrire est l’une des explications possibles de ces stries régulières.

Grès formé sur le site de Pétra (Jordanie) par dépôt éolien de sable constitué

de grains grossiers (en rouge) et fins (en blanc).

Le phénomène en détails La structure finale du milieu résulte d’une compétition entre deux processus. Le premier est la ségrégation

due à la différence de taille entre les deux types de particules. En effet, lors d’une avalanche, les gros grains roulent assez facilement sur une couche de petits grains. En revanche, les petits grains tendent à tomber dans les espaces entre les gros, ou à se bloquer entre ces derniers en surface ; les particules de grande taille iront donc plus loin.

La stratification que l’on observe par la suite résulte de la différence entre les angles de talus des deux types de grains, qui résulte de leurs formes différentes. Cet angle est l’inclinaison maximum que peut présenter une couche de particules sans qu’une avalanche ne se déclenche (voir partie 4) ; il est plus faible pour les grains sphériques seuls (26°) que pour les grains à facettes seuls (35°). L’inclinaison des strates correspond à cette dernière valeur car la couche supérieure d’une paire est formée de gros grains. Décrivons un cycle de formation d’une telle paire. Initialement, le mélange des deux types de particules roule sur toute la longueur du talus (figure a) ; progressivement, il se forme une couche fine de petites particules, arrêtées sur la couche de gros grains de la paire précédente. Lorsque le mélange atteint le bas du talus, il apparaît un bourrelet qui bloque l’écoulement (figure b) : les petites billes s’arrêtent les premières et les gros grains passent par-dessus (figure d). Cette séparation crée les deux couches : elles se développent quand on continue de verser le mélange, tandis que le bourrelet remonte vers le haut du talus (figure c) ; un nouveau cycle recommence ensuite.

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La formation de cette structure en strates tient donc à un antagonisme entre les effets de taille et de forme : si le mouvement des petites billes est gêné par leur faible taille, il est en revanche facilité par leur forme ronde qui leur permet d’atteindre le bas de la pente. Avec une configuration inverse où les gros grains sont sphériques et les petits anguleux, les effets de forme et de taille se cumulent et les petits grains s’arrêtent rapidement près de la paroi de gauche. On a alors une simple ségrégation sans stratification.

Remarque : c’est également le processus de ségrégation qui aurait influencé des phénomènes naturels

comme la formation des anneaux de Saturne.

6.MELANGER DES GRAINS : MISSION IMPOSSIBLE ?

EXPERIENCE La remontée des gros grains dans le müesli

(analogie avec la convection dans un liquide chaud)

Remontons le cours de l’histoire jusqu’au XIIIème siècle : c’est à cette époque que furent en effet utilisées les premières bombardes, par les Anglais notamment. Le tir de ces engins très rustiques était souvent plus meurtrier pour les artilleurs que pour leurs adversaires. De plus, la précision et la portée de ces engins étaient très aléatoires. Il fallut attendre la fin de la guerre de cent ans (vers 1450) pour que les frères Bureau, grands maîtres de l’artillerie de Charles VII, comprennent que les problèmes de tir des bombardes tenaient de la pauvreté des mélanges de poudres (mélange de salpêtre, de soufre et de charbon de bois). Au Moyen-Âge, ces mélanges étaient soigneusement faits à la main. Cependant, c’est lors du transport sur les routes défoncées que les ingrédients du mélange intime se séparaient. Ce phénomène de séparation est appelé la « ségrégation granulaire », vu dans la partie 5. Remarque : un synonyme de « ségrégation » est « démixtion ». De nos jours, on a toujours de gros soucis à réaliser des mélanges homogènes de particules. Par exemple, la fusée Ariane 5 est propulsée par diverses sortes de comburants et carburants très sophistiqués. Les propulseurs (ou boosters) utilisent des mélanges complexes de particules solides, dont la combustion produit la poussée nécessaire pour arracher l’engin à l’attraction terrestre. La suite du voyage de la fusée est assurée par la combustion des propergols dits solides (ce sont en fait des liquides très épais), une sorte de carburant qui lui-aussi contient des particules solides de tailles et de natures diverses.

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Il faut savoir que la fabrication des poudres de boosters pose d’immenses problèmes, tout comme d’ailleurs, la fabrication des pastilles pharmaceutiques contenant des mélanges complexes de produits solides.

Pour se rapprocher d’un mélange idéal, une solution consiste à réaliser une sorte de millefeuille incluant, dans chaque couche, un des composants utiles. Le résultat est cependant encore loin d’être totalement satisfaisant et son prix de revient est élevé.

Pour mélanger, les industriels ont tenté de copier un geste simple de la vie quotidienne : le mélange du

sucre, avec une cuillère, dans un yaourt ! Pour cela, ils utilisent des vis d’Archimède.

Vis d’Archimède

7. UN MELANGE ETONNANT

EXPERIENCE

On mélange deux types de grains, de même volume mais de taille différente (par exemple, des billes de

verres de diamètre 8 mm et du sable, entre 200 et 500 µm de diamètre). Le volume total n’est pas la somme des deux volumes !

100 mL + 100 mL = 150 mL ??

Ce résultat semble étonnant, si on le compare à celui obtenu au mélange de liquides ou de solides.

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Le phénomène en détails Le mélange est constitué de trois composants, et non deux : les billes, le sel, et … les espaces vides qui se

trouvent entre les grains. Dans le mélange, les petits grains de sel viennent se loger, en partie, dans les espaces vides entre les billes.

APPLICATION

Le béton haute-performance

Le béton résulte du mélange intime de plusieurs composants : des graviers et/ou du sable fin, et du ciment, qui fait office de « colle ». Le ciment est en réalité le point faible de l’édifice. L’idéal serait de minimiser la quantité de ciment au profit de la pierre, plus résistante. A l’extrême, on pourrait rêver d’un béton aussi dur que la pierre qui ne contiendrait aucun ciment. C’est irréalisable, évidemment.

Il se trouve qu’un géomètre de l’Antiquité grecque, Apollonios de Perga, s’est posé la bonne question, vers 200 avant JC : « Comment paver avec des disques circulaires de toutes tailles un espace plan, en s’assurant que les interstices entre les disques occuperont une surface minimale ? ». Notre génial géomètre proposa la réponse suivante :

On peut remarquer que le grand motif de base (un grand cercle entouré de 3 petits) se retrouve à

différentes échelles. Cette figure a eu le mérite de donner à nos grands constructeurs une idée toute simple : fabriquer un béton très solide, c’est minimiser les petits espaces vides qui subsistent entre les graviers et dans lequel vient se nicher le ciment, moins dur et moins solide que la pierre. Utilisons alors plutôt des mélanges de graviers de tailles différentes ! On a même été jusqu’à utiliser ce que l’on appelle de la fumée de silice, c’est-à-dire de toutes petites particules de silice de taille bien inférieure au micron, afin de boucher une grande partie des petits interstices laissés entre les graviers de tailles différentes et les grains de sable. Les résultats sont stupéfiants : nous serions actuellement capables de construire des gratte-ciels de plus d’un kilomètre de haut comme certains l’envisagent à Tokyo !

Malheureusement, ces bétons modernes (les « bétons haute-performance ») coûtent chers. Ils sont pour l’instant réservés aux projets architecturaux de grande envergure, comme le viaduc de Millau par exemple.

CONCLUSION

Les efforts de recherche sur la matière granulaire, en raison de son caractère « low tech » (à faible valeur ajoutée), ont été limités dans le passé. Mais avec la sophistication croissante de l’ensemble des procédés industriels et la complexité des matériaux composites nécessaires à l’industrie (aimants de moteurs de TGV, futurs produits pharmaceutiques pulvérulents, bétons à haute performance,…), les industries à forte valeur ajoutée (« high-tech ») ont été amenées à jeter un regard nouveau et à reconsidérer cette matière.

« Les milieux granulaires contrôleront l’industrie des matériaux de demain. » Etienne GUYON

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BIBLIOGRAPHIE • Annales de physique : « La physique des tas de sable » de Ph. Claudin (EDP Sciences) • « Mécanique des milieux granulaires » de Jack Lanier (Hermès Science) • « Ce que disent les fluides » d’Etienne Guyon, JP Hulin et Luc Petit (Belin-pour la

science) • « Sables émouvants : la physique du sable au quotidien », de Jacques Duran (Belin-pour

la science) • « Du sac de billes au tas de sable » d’Etienne Guyon et JP Troadec (Ed. Odile Jacob) • Cours : « Les milieux granulaires : entre fluide et solide » d’Olivier Pouliquen (2001)