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La Plaine du Kamolondo (!) SON ASPECT NATUREL - SA FAUNE SES FEUX DE BROUSSE PAR P A U L BRIEN (2) Laboratoire de Biologie animale — Faculté des Sciences — Univeriilé Libre de Bruxelles. La Plaine du Kamolondo, située dans le Katanga méridional, s'étend en direction Sudouest, Nordest, depuis les rapides du Lualaba au Sud de Bukama, jusqu'à l'embouchure du Kalumen gongo, c'estàdire sur une longueur de 200 à 250 km. D'une altitude de 575 m. à Bukama, elle descend légèrement vers le Nord, entre les chaînes des Monts Hakanson à l'Ouest et des Mitumba à l'Est, occupant ainsi le fond d'un Graben, le Graben de l'Upemba d'une largeur moyenne de 40 km. environ. La plaine du Kamolondo s'est formée par un effondrement rela tivement récent (MiocènePliocène) d'un voussoire appartenant à la grande dorsale africaine. Les Horsts qui, aujourd'hui, limitent ce graben, sont représentés, à l'Ouest par les Monts Hakanson et à l'Est par les MitumbaKibara. (1) Communication présentée au cours de l'Assemblée extraordinaire destinée à commé morer le soixantequinzième anniversaire de la fondation de la Société Royale Zoologique de Belgique. (2) Mon séjour au Congo Belge fut possible grâce à un subside du Fonds Jacques Cassel qui m'avait fait l'honneur de me confier une mission d'étude à la colonie. M. SCHOUTEDEN, directeur du Musée du Congo, M. DE WiTTE, conservateur au Musée Royal d'Histoire naturelle, M. PoLL, conservateur au Musée du Congo, ont eu l'extrême amabilité de déterminer les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les batraciens, les poissons que j'ai pu ret^contrer dans la plaine du Kamolondo. Mes recherches et pérégiinations en celle région ont été possibles grâce à la complaisance de MM. les administrateurs LoNGFILS, VAN HERWEOHE, LONCIN, de M M . les capitaines baKseurs du bief supérieur, REUMONT et RENSON, de M. CoMLRMAN, de Maka, qui fut pour moi un guide précieux et empressé. A tous, j'exprime mes vifs' remerciements.

La Plaine du Kamolondo (!)

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Page 1: La Plaine du Kamolondo (!)

La Plaine du Kamolondo (!) S O N A S P E C T N A T U R E L - S A F A U N E

S E S F E U X D E B R O U S S E

P A R

P A U L B R I E N ( 2 )

Laboratoire de Biologie animale — Faculté des Sciences — Univeriilé Libre de Bruxelles.

La Plaine du Kamolondo, située dans le Katanga méridional, s'étend en direction Sud­ouest, Nord­est, depuis les rapides du Lualaba au Sud de Bukama, jusqu'à l'embouchure du Kalumen­gongo, c'est­à­dire sur une longueur de 200 à 250 km.

D'une altitude de 575 m. à Bukama, elle descend légèrement vers le Nord, entre les chaînes des Monts Hakanson à l'Ouest et des Mitumba à l'Est, occupant ainsi le fond d'un Graben, le Graben de l 'Upemba d'une largeur moyenne de 40 km. environ.

La plaine du Kamolondo s'est formée par un effondrement rela­tivement récent (Miocène­Pliocène) d'un voussoire appartenant à la grande dorsale africaine. Les Horsts qui, aujourd'hui, limitent ce graben, sont représentés, à l'Ouest par les Monts Hakanson et à l'Est par les Mitumba­Kibara.

(1) Communication présentée au cours de l'Assemblée extraordinaire destinée à commé­morer le soixante­quinzième anniversaire de la fondation de la Société Royale Zoologique de Belgique.

(2) Mon séjour au Congo Belge fut possible grâce à un subside du Fonds Jacques Cassel qui m'avait fait l'honneur de me confier une mission d'étude à la colonie. M . SCHOUTEDEN, directeur du Musée du Congo, M. DE W i T T E , conservateur au Musée Royal d'Histoire naturelle, M. PoLL, conservateur au Musée du Congo, ont eu l'extrême amabilité de déterminer les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les batraciens, les poissons que j'ai pu ret^contrer dans la plaine du Kamolondo. Mes recherches et pérégiinations en celle région ont été possibles g r â c e à l a c o m p l a i s a n c e d e M M . l e s a d m i n i s t r a t e u r s LoNGFILS, V A N HERWEOHE, LONCIN,

de M M . les capitaines baKseurs du bief supérieur, REUMONT et R E N S O N , de M. CoMLRMAN,

de Maka, qui fut pour moi un guide précieux et empressé. A tous, j'exprime mes vifs' remerciements.

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SOCIéTé ROYALE ^ooLoOiaOE be ËELGiâO'è

Cet effondrement participe à tout un ensemble de mouvemenU tectoniques qui ont modifié l'équilibre d'un système fluvial initial, l'ont rajeuni, pour lui donner les profils actuels des cours d'eau du Congo, coupés de rapides et de chutes. 11 en fut ainsi pour la région du Graben de l 'Upemba. L'affaissement de la plaine du Kamolondo, orienta le cours du Lualaba, portion supérieure du fleuve Congo, interrompit les rivières Lovoi et Kalumengongo captées, par la suite, par le Lualaba ; concentra vers lui encore, les affluents descendant des Monts Hakanson et Kibara dont les eaux thermales, les mani­festations volcaniques sont les témoins de l'activité tectonique récente auxquelles le Graben de l'Upemba doit son origine.

*

Sur toute sa longueur la plaine est parcourue par le Lualaba. Elle est encaissée entre les Monts Hakanson et Kibara, d'une altitude moyenne oscillant entre 1.000 et 1.500 m. et d'où descendent en gradins successifs, des collines couvertes de grandes savanes boisées.

Le fond de la fosse de l'Upemba n'est qu'un vaste delta. Le fleuve d'une profondeur variable suivant les saisons, mais très faible, s'y étale, y serpente, se resserre, se perd en des nappes d'eau ou décrit des méandres multiples, entre des rives incertaines.

Large de près de 300 m. à Bukama, il n'a plus que 50 m. au voisinage du Kisale, où il devient un chenal sinueux dans l'immensité des papyrus. Sur tout son parcours, ses rives gauche et droite sont coupées non seulement par les embouchures des affluents mais aussi par les chenaux nombreux, étroits, et pareils à des ruisseaux ou larges de plus de 6 m. Ils viennent de la plaine, des marais, des étangs et des lacs occupant le fond du Graben. D'autre part, les petites rivières descendent des collines en contrefort des Monts en bordure, se perdent successivement en des chapelets de lacs et de mares avant d'atteindre le fleuve. La plaine du Kamolondo est donc, en une grande partie de son étendue, un immense marécage de terre noire, inondée à la saison des pluies, et qui, à la saison sèche, se découvre progressivement, se durcit, se dessèche, se crevasse, se couvre d'herbes entre des nappes d'eau persistantes, des étangs, des chenaux et des lacs. Ce lacis d'eau qui découpe la plaine constitue le régulateur du fleuve. A la saison des crues, il devient le déversoir des eaux ; elles s'écoulent par les chenaux vers les lacs, avant de déborder des rives et de couvrir la plaine. A la saison sèche, au contraire, c'est la réserve d'eau qui revient insen-

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sltslement vers le fleuve. Le sens du courant dans les chenaux change selon la saison.

Ce régime fluvial apporte nécessairement des masses considérables de sédiments limoneux qui lentement, progressivement, comblent les marais, les étangs et les lacs ; à ce limon s'ajoute l'amoncellement continu des débris organiques végétaux et a n i m a u x qui le fertilisent de matières humiques.

La plaine du Kamolondo présente donc les caractères physiques de la vallée du Nil. Comme celle-ci, elle serait particulièrement favorable à la culture si des travaux de drainage et d'irrigation y étaient entrepris. Elle nourrissait d'ailleurs une population indigène importante avant que celle-ci ne fut décimée, il y a une vingtaine d'années par la maladie du sommeil. Les villages ont disparu, d'autres ont été transplantés et seuls quelques palmiers, bananiers, témoignent encore de leur existence d'autrefois. La plaine du Kamolondo est peu fréquentée, actuellement peu peuplée. Elle est souvent impraticable, parfois inhospitalière. La monotonie de son paysage fangeux, les moustiques, les tsétsés laissent aux voyageurs trop pressés un mauvais souvenir. Cependant la plaine du Kamo­londo, avec ses paysages lacustres immenses, les crêtes mauves et bleues des monts en bordure, ses steppes, ses s a v a n e s , sa solitude et son silence inviolable, constituent une région des plus exception­nelles du Congo, dont le charme inoubliable, et le grand intérêt de sa flore et de sa faune, se révèlent lentement avec d'autant plus d'émotion, d'intensité, qu'il a fallu d'efforts pour les découvrir.

*

A Bukama, dans un cirque de collines amples et douces, boisées ou couvertes de savanes claires, prolongation d'une part des Monts Hakanson et des Monts Kibara, et qui, d'autre part, remontent insensiblement au Sud vers les steppes du haut plateau du Biano, on domine le fleuve imposant, large, calme et lent, et le début de la plaine du Kamolondo, dans l'immensité herbeuse de laquelle se découvre à droite la nappe claire du lac Kasibasiba. Des chenaux, la plupart impraticables, le relient au Lualaba à travers une enceinte épaisse et fangeuse, faite de hautes graminées, de joncs, de roseaux et de papyrus. Seuls les indigènes peuvent l'atteindre en se confiant à leurs pirogues légères et par quelques chenaux situés au n i v e a u

du village Katoto, tapi à l'ombre des manguiers sur le bord du fleuve.

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S O C I é T é AOYALE Z O O L O O I Q U E DE B E L O i Q U k

La plaine atteint toute sa largeur et son plus grand intérêt à hauteur du village de Maka. On y arrive après avoir suivi les beaux méandres du fleuve qui coule parfois au pied des collines Ouest pour revenir ensuite vers la plaine, entre des rives plates légèrement ombragées sur lesquelles apparaissent de place en place, de petits villages indigènes, baignés de soleil.

Dans la région de Maka, et sur la rive gauche du fleuve, la plaine est presque entièrement occupée par des nappes d'eau vers lesquelles un chenal serpente sous la voûte légère des graminées, ou des verticilles mordorés des papyrus : ce sont notamment les lacs Sangwa et Kabile. Ils s'étendent jusqu'aux contreforts des Monts Hakanson où se dessinent les crêtes des Kayumba et plus au Nord la pointe solitaire du Mont Tumba. La surface des lacs est couverte de nénuphars, de pistia. Les eaux sont encombrées de myriophyllums, de potamogetons, les rives disparaissent, insaisissables sous les forma­tions denses des papyrus dont les rhizomes, d'abord fixés à la base des rives, envahissent progressivement le lac même, flottant à la surface des eaux. Le vent, les tornades en détachent des îles admirables, pareilles à des corbeilles de verdure d'un charme ineffable, formées de fougères légères, entre lesquelles émergent les tiges sveltes des papyrus.

A droite du fleuve, au delà de berges étroites, artificiellement surélevées, et où s'alignent les cases indigènes, et les maisons blanches des colons à l'ombre des eucalyptus, la plaine fangeuse réapparaît coupée de chenaux, de marais, d'étangs et de lacs. Ce sont les lacs Kimbwe, Kafungwe, Tungwe, Mulenda et Kasaza communiquant tous les uns avec les autres et que départagent de légères dénivellations de terres herbeuses et surtout de vastes étendues de papyrus à travers lesquels les eaux des chenaux se fraient péni­blement passage.

La rivière Londo est la voie la plus facile pour pénétrer au cœur de ces solitudes lacustres. Plus au Sud, cependant, les marécages se prolongent par une plaine herbeuse, la plaine de Mongo coupée de chenaux, de boqueteaux et qui s'élève lentement vers les collines boisées des Monts Kalondo, premier contrefort des bordures monta­gneuses de l'Est.

A u delà de Maka, la plaine se resserre, le fleuve longe les collines des Monts Hakanson, contourne aux environs de Kiabo l'éperon rocheux du Mont Tumba où s'ouvre une grotte non explorée, tandis qu'à droite, dans l'immensité des papyrus, se succèdent les

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lacs Kundwe, Kafugwe, Tungwe et enfin plus au Nord le lac Upemba.

Le lac Upemba est le plus grand des lacs du Graben, auquel il a donné son nom. Il occupe en fait toute la plaine à droite du Lualaba dont il n'est séparé que par une bande étroite de terres noires et inondables, couverte de graminées, de papyrus. Il commu­nique avec le fleuve par quelques chenaux dont le seul vraiment praticable est le Ndala, large de 6 à 7 m., long de 7 km. et qui débouche dans le fleuve au point où celui-ci décrit une courbe brusque, au village de Nionga. Les rives orientales de l'Upemba, formées d'un sable noir, brûlant, s'élèvent immédiatement en collines densément boisées, inhospitalières en leur solitude angoissante. Elles sont aujourd'hui entièrement dépeuplées. Les derniers petits villages, misérables d'ailleurs, Kilubwe, Mabwe, Kisengi qui subsistaient quand j y suis passé, ont été transplantés, cette année, par suite de l'amé­nagement du Parc National au Katanga. De ces villages partent de petits sentiers qui permettent d'atteindre la vallée de la Lufira en communication d'ailleurs avec le lac, par un chenal situé au Nord de Kilubwe, mais obstrué de végétaux.

Dans sa région Nord, l 'Upemba a une profondeur de 3 à 4 m. Il est navigable, fréquemment agité de tempêtes brusques et violentes, dangereuses aux pirogues. Ses rives y sont délimitées par les vastes étendues de papyrus qui le séparent du lac Kisale.

A u Sud, le lac est tout autre. Il est semé d'îles boisées, dont la plus importante est l'île Mumba peuplée d'hippopotames. D'autre part les eaux ne dépassent pas une profondeur d'un mètre. Les myriophyllums, les potamogetons, les joncs, les roseaux, les lotus, les nénuphars, les pistia y abondent, créant un paysage charmant et repoiant. Ces rives Sud sont plates. Elles prolongent au Nord la plaine de Maka. Elles constituent des savanes herbeuses, où légè­rement boisées coupées de marais, dont la plupart disparaissent à la s a i s o n sèche, au point que le petit village de Kande est, à ce moment de l'année, à 1.500 m. du lac et ne peut être atteint que par un chenal.

Au niveau de Nionga, sur la rive gauche du fleuve, les Monts Hakanson s'écartent, délimitant une étroite plaine marécageuse où s'étalent parmi les papyrus, les petits lacs Kuyumbwe, Kajondwe jusqu'aux collines dont le fleuve se rapproche à Kalombo.

D'autre part, au delà de Nionga, le fleuve se rétrécit de plus en plus, décrit de multiples méandres qui serpentent jusqu'à l'horizon,

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comme un ruban de lumière dans l'étendue morne et infinie des papyrus. Les rives sont basses et incertaines, coupées de ci de-là par de petits chenaux, tandis que de place en place, quelques misérables villages de pêcheurs subsistent sur de minuscules îlots de fange, entre le fleuve d'une part et les marais avoisinants. A droite et à gauche du chenal, les eaux des lacs Kana, Lunda, Kisono, se découvrent dans l'immensité monotone des papyrus, formant un paysage irréel d'une beauté calme, immobile et lointaine.

En ces parages, le chenal large de 50 m. est défendu contre l'envahissement des papyrus par les trépieds des ducs d 'Albe, puis, brusquement il se perd dans les eaux du lac Kisale. Seule la double rangée des ducs d 'Albe, signalent aux capitaines des bateaux la zone navigable vers l'embouchure Nord. Le Kisale est sans doute le plus beau des lacs du Kamolondo. C'est un paysage de lumière, de silence et de rêves. Les eaux disparaissent sous les pistia en rose'-te, les lotus mauves, les nénuphars blancs sous les îles de papy­rus où dorment les crocodiles. Elles sont envahies de myriophyllums, de potamogetons qui émergent à sa surface. Les rives se découpent dans les fourrés de joncs, de roseaux, de papyrus, en criques silencieuses peuplées d'oiseaux. Au Sud du petit village de Kadia, où les huttes misérables se tassent sur un îlot de boue séchée, la Lufira vient se déverser à son tour dans le lac. L'enchevêtrement d'une végétation aquatique dense en masque et en défend 1 entrée derrière laquelle une faune, exceptionnellement riche, a trouvé un refuge à peine violé.

A l'Ouest du Kisale dominé par les trois beaux sommets des Kanjibv^fe, dernier éperon des Hakanson, la rive où s'étage à 1 ombre de ses manguiers touffus, le grand village de Kikonja, s'élève lentement vers les monts, la savane et les bois, tandis qu'à l'horizon Est, le ciel et les eaux se confondent en une immensité de lumière blanche et douce.

L A F A U N E

Si la flore du Kamolondo est peu variée et correspond à la flore habituelle du Katanga, la multiplicité des habitats, steppes, savanes herbeuses, savanes boisées, marécages, étangs, lacs, rivières et chenaux, y permettent une concentration de la faune katangaise d'autant plus intense que cette région est peu fréquentée et peu peuplée. La faune y vit encore dans un état originel. Le Graben de l'Upemba est un véritable parc naturel.

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Il (ut cependant menacé d'extermination il y a quelques années. Par suite des besoins croissants de la colonisation, de l'établissement des grands centres industriels ou militaires, la riche plaine du Kamolondo fut le lieu de grandes chasses, véritables massacres en vue de la vente industrialisée de viandes boucanées. Les autorités ayant compris le danger, et sur l'initiative du général Tilkens, la partie la plus intéressante du Kamolondo, devint une réserve de chasse. Aujourd'hui elle est incorporée dans le parc national du Katanga.

Mais si la chasse y est interdite depuis 4 ou 5 ans, par contre les pêcheries constituent la grande préoccupation des noirs et des blancs, sollicités par un commerce intense de poissons salés et séchés. 11 y a un an encore, ces pêcheries risquaient de détruire 1 une des faunes ichtyologiques les plus remarquables du Congo. Les noirs y pratiquent en effet la pêche à la nasse dans les chenaux les plus importants, reliant le Lualaba aux lacs. A cet effet, ils établis­sent 4 à 5 barrages successifs en tige de roseaux, présentant dans la partie immergée quelques issues auxquelles sont fixées d'énormes nasses. Les poissons lors de leur migration du fleuve vers le lac où ils fraient, ou à leur descente pendant la saison sèche, sont capturés en masses énormes. Ces pêcheries pratiquées aussi bien à la montée qu'à la descente procurent des bénéfices considérables mais un tel système n'eût pas manqué de priver la région d'une de ses richesses naturelles. Depuis quelques mois une rég'emenfation vient d'être enfin établie défendant la pêche à 1? nasse au moment de la montée, c'est-à-dire lorsque les poissons viennent frayer dans le lac. Le Parc National du Katanga ayant incorporé le lac Upemba, s'il veut en préserver la faune ichtyologique. devrait aussi pouvoir interdir toute pêc'ne dans les chenaux qui le font communiquer avec le Lualaba.

Il est naturellement impossible d'esquisser un tableau général du monde zoologique qui donne à la plaine du Kamolondo son grand intérêt. D'autre part ce n'est pas en 4 mois qu'il m'eût été possible d'en inventorier les formes les plus caractéristiques, d'autant plus que je m'étais attaché plus particulièrement à l'étude de quelques groupes.

C'est donc une vue extrêmement superficielle que je vais exposer ou plutôt c'est le paysage zoologique qui s'offre à l'observation et à

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l'admiration au cours d'une promenade au cœur de la plaine du Kamolondo.

Je ne parlerai pas des Insectes, si ce n'est occasionnellement. 11 en est cependant qu'on ne peut éviter : les Moustiques, Culicides et Chironomides dont la densité ne peut laisser indifférent, et les Tsétsés, Glossina patpalis, Glossina morsitans sur les bords ombragés des rivières, des mares, du fleuve, dans toute la plaine, mais plus particulièrement abondantes l'une et l'autre sur les rives orientales de l 'Upemba.

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Il est à peine nécessaire d'insister sur l'abondance des animaux aquatiques dulcicoles. Dans les mares, les lacs, les chenaux, les rivières, la vie est prodigieusement intense ( I ).

Retirons une brassée de végétaux aquatiques : voici des Hydres fixées aux plantes de fond ou sur la face inférieure des feuilles de lotus ou de nénuphars ; des éponges {Spongilla) enveloppant les potamogetons, les myriophyllums, plus particulièrement là où l'eau est claire et ombragée ; les sangsues aussi abondantes qu'exaspérantes ; toute la gamme des oligochètes limnicoles Nais, Chaelogasler, Tubi-fex, les beaux Branchiodrilus rouges ondulant la double rangée de leurs branchies blanches, les formes Dero innombrables vivant dars des tubes fixés aux plantes immergées, la touffe de branchies anales étalées à l'un des orifices comme une fine corolle rosée ; le monde des rotifères parmi lesquels les colonies cristallines du groupe des Lacinularia et surtout les petits tubes de certains Mélicertes qui donnent aux végétaux une pilosité étrange. Les Bryozoaires Phylac-lolémates sont abondants. Ils couvrent de leurs colonies ramifiées, traçantes ou massives, tout ce qui flotte à la surface des eaux : face inférieure des lotus, les tiges de potamogeton, de myriophyllum, les rhizomes des papyrus, et même les coquilles d'Ampullariidae que le vent rassemble à la surface des criques notamment sur la rive Est de l'Upemba. On y retrouve naturellement les nématodes innom­brables, les copépodes, les ostracodes, les daphnies, les Rhabdocoeles, les larves d'Ephémères, d'Odonatoptères, de Trichoptères, de Coléop­tères, de Lépidoptères, la masse des Culicides, Chiionomides, les Sphaerodema, les Belostoma, les Naucores, les Ranatra, etc. Bref, toute la faune d'eau douce dont le faciès général correspond à celui

( I ) La plupart des Invertébrés d'eau douce, recueillis, n'ont pas encore été déterminés.

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de nos eaux douces d'Europe mais dont l'intensité, la richesse, la variété révèlent l'abondance de la microfaune et microflore protisto-logiques, dont je ne dirai qu'une chose : c'est qu'elle est à peine étudiée.

Cependant je dois signaler qu'il me fut impossible de découvrir des Triclades (Planaires) pendant les mois de mon séjour (mai à septembre). D'autre part, certains crustacés caractérisent l'hydrobio-logie tropicale, les petites crevettes extrêmement abondantes (Alyides) et les Palaemons de taille plus importante, enfin des crabes, notam­ment Potamonanles dubius jallae (Nobilix).

Les mollusques d'eau douce sont peu variés, mais très abondants : Mélanoïdes, Physopsis africana, les Ampullaridae, tout particulière­ment les énormes Lanistes procerus, enfin les limnées, planorbes, etc. Ils m'ont permis une ample moisson de sporocytes, de rédies. Ils sont les vecteurs des trématodes parasites, que l'on retrouve chez des Vertébrés : les poissons, les batraciens et les oiseaux. Toute cette faune dulcicole est le début et la fin du cycle biologique du Kamo-londo, la réserve alimentaire directe ou indirecte de la grande faune des Vertébrés de cette région, réserve nécessairement prodigieuse en dépit des hécatombes énormes que provoquent à la saison sèche le dessèchement des étangs, des chenaux et des mares. Leurs cadavres amoncelés se désintègrent alors dans la fange et le limon noir qui se couvrent à leur tour de la végétation dense des joncs, des cypéracées, des roseaux et des graminées.

Les eaux du Kamolondo, sont très riches en poissons (I). Pério­diquement, mais à des moments différents selon les espèces, ils émigrent par bancs, remontant du Lualaba, vers les lacs et les mares pour y frayer, puis ils retournent quelques mois après vers le Lualaba. Ils offrent aux biologistes qui voudraient s'y attarder, un champ magnifique d'observations éthologiques importantes.

Dans tout le Kamolondo les Protoptères sont communs : Protop-lerus anneciem (OWEN), Proloplerus aelhiopicus (HECK).

Vivant dans les lacs et le fleuve, on les trouve aussi dans les chenaux et les mares en voie de dessèchement. Ils remontent, au

( I ) PoLL, M., 1933. Contribution à la faune ichlhyologique da Katanga. Ann. Mus. Congo-Belge. Teivueren, Zoologie, séiie I, fasc. II. 1938. Poissons du Katanga (Mission J. Casse!, BRIE.N) Revue de Zoologie et de Botanique africaines, vol. X X X , (sic. 4.

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moment des crues, vers les petits ruisseaux en janvier, février, lorsque les mâles creusent des nids dans la vase où les femelles déposent leurs œufs. Pendant la saison sèche on peut y recueillir tous les stades de développement. En mai et juin leurs larves ont encore les branchies externes et l'aspect si caractéristique du triton, nageant brusquement par ondulation du corps, ou se déplaçant lentement sur le fond grâce à leurs nageoires dont le rythme des mouvements est en tout comparable à celui des pattes de salamandres.

Ils retournent dans les eaux plus profondes à la saison sèche, mais beaucoup d'entre eux se laissent surprendre dans les mares en assèchement. C'est alors que faute de mieux, ils entrent en léthargie en s'enfonçant dans la vase et en s'enroulant sur eux-mêmes dans un cocon de mucilage séché, ainsi que cela fut décrit (1). Ces mares desséchées, ne se distinguent plus, dès le mois d'août, des savanes sèches. Les deux espèces de Protoptères présentent les mêmes mœurs. Ils vivent ainsi dans la terre durcie, pendant des mois jusqu'à la saison des pluies, ils peuvent même subir le feu de brousse sans inconvénient. C'est parfois sous les cendres qu'on observe les petites buttes grossières pareilles à celles des taupes. Ces buttes signalent l'emplacement des cocons enfouis. Il faut les décapiter du sol pour découvrir la cheminée d'aérage au fond de laquelle séjourne le cocon du protoptère. Cette cheminée correspond au chemin parcouru par le poisson lorsqu'il s'enfonce. La butte provient de la vase rejetée lors de cet enfouissement. La butte de vase durcie n'est pas compacte, mais perforée de cavités, de fissures. Elle est poreuse. C'est par celte coiffe poreuse émergeant du sol que l'air pénètre dans la cheminée et de là dans le petit cornet chitinoïde qui, s'ouvrant d'une part à la partie supérieure du cocon est saisi d'autre part, par sa base épatée, entre les mâchoires du poisson en léthargie. C'est ainsi que le poisson reçoit l'air nécessaire à sa respiration pulmonaire. C est aussi ce qui explique cette pêche paradoxale, la pêche à la houe en pleine savane sèche, pratiquée par les indigènes de l'endroit.

Kikondja et surtout Kande, au Sud de l'Upemba sont les régions les plus favorables à cette récolte et à ces observations. Si la rive de Kande pouvait être incorporée au Parc National du Katanga, on serait assuré d'y préserver un habitat favorable à la vie et à l'étude

( I ) Voir notamment la description el les photographies dans 'Poissons du Katanga récoltés pat P. Brian", par M. Max PoLL, dans la Reoue de Zoologie et de Botanique africaines, vpl. X X X , tasc. 4, 1939.

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de ces animaux les plus célèbres et les plus remarquables de toute la faune africaine.

On récolte aussi abondamment dans tout le Kamolondo les Polypleridae : Polypierus senegalus (Cuv.), Polypterus congicus (BLCR.). Ils remontent eux aussi, au moment des crues et en compagnie des Protoptères, de flaque en flaque, de mare en mare, de fange en fange jusqu'aux chenaux de la plaine.

Ce qui caractérise aussi la faune ichtyologique du Lualaba et des lacs notamment en février-mars-avril-mai, ce sont les fameux Mormy-tidae : Mormyrops deliciosus (LEACH), Mormyrops longirostris (PTRS) communs et d'assez grande taille, et des espèces plus petites pendant presque toute l 'année: Petrocephalus, Marcusenius, etc.

Les Characinidae y sont bien représentés, d'abord le Tigerfisch, Hydrocyon lineatus (BLEEK) puis les Alestes, Micralestes, les Citha-rinus, les Distichodus notamment la belle espèce Distichodus lusosso (ScHiLTHUis) ou niembe qui à elle seule fait en grande partie les frais des pêcheries du Kamolondo.

Signalons encore, parmi les Cyprinidae, des Labeo. des Barbus et dans la famille des Siluridae, Heterobranchus longifilis (Cuv. et VAL.), le célèbre Clarias lazera (C. et V.), les Synodontis présen­tant de grosses épines aux nageoires dorsales et pectorales, les Belonoglanis tenuis (BEGR.), dont les formes jeunes se tiennent verticalement à l'aide des nageoires pectorales sur les tiges des roseaux qu'elles paraissent brouter, enfin les Malopltrus electricus (GMEL.), des Cyprinodontidae, les Ophiocephalus obicurus (GTHR.), les Tilapia de la famille des Cichlidae, des Anabantidae Ar}abas multispinis (PTRS), Anabas nanus (GTHR.). Les Tetrodons n'y sont pas rares non plus.

Ces indications fragmentaires suffisent à évoquer la variété des poissons du Kamolondo, M. PoLL a dressé la liste complète des espèces du Katanga, et a bien voulu déterminer celles que j'avais rapportées du Lualaba. Je n'ai donc pas à insister davantage sur cet embranchement.

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M. DE WITTE a décrit les batraciens et reptiles katangais. Il eut l'amabilité de déterminer les formes que j'ai rencontrées. Les espèces courantes sont les Xenopus laevis (DAND) dont les têtards à large bouche ont un faciès de petits Siluridae, les Bufo regularis (REUSS), les Rana angolensis (BOCAGR.), galamensis (D. et B.), oxyrhynchus

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( A . SMITH), les Phrynobatrachus et d'autres encore dont les cris, la nuit, se mêlent au bruissement des cigales en une symphonie mono­tone et continue.

L'herpétologue trouve aussi à s'occuper dans le Kamolondo. On y rencontre habituellement les deux crocodiles : Crocodilus cataphraclus (Cuv.) , Crocodilus niloticus (LAUR.). Ce dernier est plus particu­lièrement abondant dans le fleuve mais il vit également dans les lacs. Il n'est pas rare de le trouver étendu sur les rives découvertes, ou sur les berges ombragées.

Le Cataphraclus est abondant dans les lacs où il se repose et pond sur des îles herbeuses. C'est là que le surprennent les indigènes qui le chassent au javelot. Enfin un colon m'a assuré l'existence dans le lac Upemba d 'une troisième espèce de Crocodilus, petite, à museau court et retroussé. Il s'agirait peut-être d 'un Osteolaenus. Des circonstances malencontreuses ne m'ont pas permis d 'en obtenir le crâne que ce colon avait conservé et de vérifier l'exactitude de ce renseignement.

Dans la vase des marais, vivent des tortues, Pelonudusidae : Sternolhaerus nigricans (DONNDORFF.) et Siernothaerus derhianus (CRAY) et que les nègres découvrent en tâtant la fange de leurs pieds nus.

Evidemment, les lézards ne sont pas rares. Les Geckonidae, les Agamidae : Agama atricollis (SMITH), les Varanidae : le Vtjranus niloticus (L.), fréquent dans les lacs où il se nourrit de poissons ; Amphishaena quadrifrons (GRAY) et dans les savanes les Chamae-leor\ dilepsis (LEACH.) et Chamaeleon quilerisis (BOCAGE).

Je n'ai point vu de Typhlops, qui y existe ; le Python Sebae (GMEL.) se tient dans les endroits marécageux. Parmi les colubridae on trouve surtout le Chlorophis emini (GONTH), vert et élégant, et les Grayia tholloni (MOCQ), Psammophis brevirostris (PTRS.) et Psammophis sibilans (L.). Les Naia nigricollis (REINH.) ou serpents cracheurs sont évidemment célèbres dans la région, d'autre part la vipère nocturne : Causas rhombeatus (LICHT.) et surtout la vipère heurtante : Bitis arietans (MERR.) sont communes aussi bien dans les régions sèches que dans les endroits inondables.

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A u cours d'excursions dans la plaine, les marais et les étangs, les oiseaux attirent plus particulièrement l'attention. M . SCHOUTEDEN a bien voulu déterminer les espèces que j'y avais rencontrées.

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Les premiers que l'on voit le long du fleuve, mais ils sont répandus partout, sont les cormorans : Phalacrocorax africanus africanus (GME-LIN) et les oiseaux serpents : Anhinga rufa rufa (DAUDIN) perchés sur les arbres, le cou tendu, les ailes ouvertes, séchant au soleil, ou bien plongeant dans l'eau et ne laissant dépasser à la surlace que leur tête et leur cou souple pareil à un serpent. Les Pélicans : Pelecanus rufescens (GMEL.), planent par bandes, volent lentement à la surface de l'eau sur laquelle ils se posent calmes et distants. C'est dans les marécages et au bord des lacs que l'on rencontre les hérons et les cigognes : le héron goliath rouge : Ardea golialh (CRETZSCHM.), solitaire mais commun, le héron pourpré : Pyrrherodia purpurea purpurea (L.), Ardea melanocephala ViG. et CHIL., les hérons crabiers : Ardeola rallo'ides (Scop.) si abondants ; les aigrettes gracieuses : Egretta garzeUa garzeita (L.) à pattes noires, et les garde-bœufs ou Bubulcus ibis que l'on voit près des troupeaux de buffles et surtout au voisinage des éléphants. Dans la plaine de Maka le vol de ces Bubulcus ibis signale la présence des éléphants sur lesquels ils aiment à se poser. Les célèbres Balaeniceps rex (GouLT.), sont toujours solitaires, vivant dans les mares silencieuses et écartées. Par contre, les Ibis ibis (L.) roses à tête rouge et Ylbis à têre noire : Sphenorynchus abdinorii (LICHT.) sont fréquents. Les Kapala noirs : Anastomus anasiomus lamelligerus (TEMM.) abondent parmi les mares en dessèchement ou perchent sur les îles herbeuses ; ils se nourrissent de Mollusques, des Amphullariidae. Gavés, ils retourneront le soir par bandes rapides vers quelques arbres où ils se rassemblent pour passer la nuit. Dans le ciel tournoient les grands vols des marabouts : Leptoplilos crumeniferus (LESSON). Ils vivent en sociétés facilement approchables tout absorbés à se disputer les poissons des pêcheries, les cadavres d'antilopes ou autres charognes.

Les grues couronnées : Balearica regulorum (BENNETT) vivent en groupes dans les roseaux, les boqueteaux inondés aussi bien que dans la plaine sèche.

Parmi les roseaux et les papyrus les poules d'eau : Limnocorax flaoirostra (SWAISON) et les Jacana : Actophylornis africanus (GMELIN) courent sur les îles de lotus et de pistia.

Dans les mares barbotent des canards abondants et variés : Anas undulata, Sarliidiorr}is melanotos (PENNANT) OU oie d 'Egypte casquée, Plectroplerus gambensis gambensis (L.) ou oie de Gambie, Dendro-cygna viduata (L.) ou sarcelle, un canard nain : Neltajus auritus (BODDAERT).

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Les rapaces ne manquent pas. O n ne peut manquer de voir Millus egyptius tenebrosus (CRANT), qui joue le rôle de charognard aux alentours des villages ; comme partout au Congo, on rencontre l 'Aigle hurleur : Haliaectus vocifer oocifer (DAUDIN) noir et blanc, tantôt perché sur les arbres, plus souvent sur les barrages des pêcheurs, toujours en quête de poissons au-dessus des lacs et des fleuves ; signalons encore le vautour moine : Necrosyries monacus pileatus (BURCHEL), très répandu et le Circaelus dnereus (VIEILLOT) plus rare.

Les Martins-pêcheurs trouvent en ces endroits un milieu favorable. Ils criblent les rives de leurs terriers. Les trois espèces les plus aisément visibles sont : le gros Ceryle rudis rudis (L.) blanc et noir. Alcyon senegalensis (L.) vert et le Corythornis cristala crislala (PALLAS), gracieux dans son habit vert métallique, avec sa petite hupette bleue et son bec rouge.

Devant les voyageurs s'envolent les Numida meleagris marun-gensis (SCHALOU) ou pintade, les Francolinus, les Pternisies afer Cranchii (LEACH.), perdrix à pattes rouges, le Slreptopelia cajicola Iropica (FREICHENOW) OU tourterelle, les Vinago calva, le pigeon vert, les coucous : Cenlropus superciliosus Loandae (GRAND), etc.

Les Guêpiers : Merops malimhicm (PALLAS), rose et le Melilo-phagus pusilus meridionalus (SHARP), gris dont la queue se prolonge par deux plumes élégantes, volent par bandes parmi les arbres des rives.

Dans la savane, les boqueteaux, vivent le bulbul : Pycnonotus barbalus tricolor (HARTL.), les gobe-mouches : Tchilrea viridis plombeiceps (REICHENOW), les merles métalliques : Lamprocolius splendidus (VIEILLOT), l'étourneau violet : Cinngricinclus leucogasler verreauxi (FINSCH et DARTL.) et enfin dans les papyrus, les grami­nées et les joncs toute une série de tisserins : XanlophiJus xanlo-philus (HARTL.), Hyphanlurgus ocularius crocatus (HARTL.) aux nids en bourse suspendus au sommet des tiges ou des rameaux ; le cardinal : Pyromelana hnrdacea Changamwemis (MEARMS), la veuve : Coliuspacer ardens (BODD.), Spermestes cuculata (SWAINSON) et Vidua macroura (PALLAS), les fauvettes : Cisticola, les nectarins : Cinnyris cupreus (HARTL.), les moineaux et les hirondelles.

Dans la plaine du Kamolondo, presque toute la faune mammalo-gique du Katanga s'est donnée rendez-vous.

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Des rongeurs tels que ces gros rats à l'extrémité de la queue blanche, le Zibizi : Thryonomys swinderianus dont les nègres sont friands, le porc-épic : Atherurus africanus, le lièvre sauteur : Pedetes caffer.

Dans la savane boisée, on peut observer deux lémuriens : Galago monderi, gris et le Perodyctus polio, brun, les Cynocéphales en troupes : Papio cynocephalus kindae (LôNNB.), le magistrat : Colobus palliatus angolensis (LôNNB.), le pain à cacheter : Cercopilhecus nidilans kotangae (LôNNB.), et plus particulièrement caractéristique du Kamolondo, !e singe des Papyrus : le Cercopilhecus aelhiops cynosorus (Scop.), en petites colonies dans les papyrus, se nourrissant exclusivement des jeunes pousses de ces plantes.

Dans les régions sèches, herbeuses, couvertes de termitières, il est possible de rencontrer l'oryctérope nocturne et le pangolin. Là aussi on peut voir le phacochère : Phacochaerus aelhiopicus et le pota-mochère : Choiropolamus chaeropoiamus. L'hippopotame, sans doute est loin d'être aussi abondant que dans la Rutchuru et au lac Edouard où ils constituent un paysage tertiaire, le plus émotionnant sans doute du Parc National Albert. Dans le Kamolondo, ils vivent solitaires, ou par petits groupes, dans les marais, au bord des lacs et plus particulièrement sur les îles du fleuve et des lacs notamment les îles de l 'Upemba (Ile Mumba) où ils défoncent le sol fangeux de leurs pattes énormes. L'éléphant, commun dans tout le Kamolondo descend des collines vers la plaine pour y chercher l'herbe fraîche, traverse le fleuve, réalisant de longues pérégrinations, escorté du vol blanc des garde-bœufs. Dans les Kibara, se tiennent les zèbres et les rhinocéros bicornus : Rhinocéros bicornis.

Les antilopes en troupeaux innombrables parsèment la plaine. Les plus fréquentes sont l'antilope onctueuse, Waterbuck ou âne sauvage : Kobus defassa crawshagi et dans les marais : la cob de Vatdon, Nsunu ou Swala : Cobus vardoni, et la cob lechee. Songe ou Busbuck : Onolragus lechee. Pendant les heures chaudes ces deux dernières espèces s'égaillent dans la plaine qu'elles gagnent à la file indienne par des sentiers tracés par elles à travers les hautes graminées. Les mâles vigilants se tiennent à la périphérie du troupeau pendant que les femelles et les chevreaux broutent paisiblement. La nuit, elles se concentrent auprès des mares qui leur servent de refuge et où, à la moindre alerte, elles se précipitent avec un bruit de cataracte et un ensemble de mouvements souples et puissants. Mais il est bien d'autres antilopes que l'on peut découvrir, la Hartebeest : Bubalis

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lichtensteini, le Cephalophe de Grimm : Sylvicapra grimmi Kasya le Tragelaphus scriptm, l'antilope des roseaux : Cervicapra arundinum. L'antilope des marais : Limnotragus spekH y gîte également. Dans la savane se voit l'antilope naine : Raphicerus sharpei et sur les collines montueuses se lient une charmante antilope sauteuse : Oreotragus sallaioT (KLIPSPRINGER) aux petites cornes, au poil dur, dont la marche légère rappelle celle du chamois et que les colons apprivoisent pour la beauté délicate de ses mouvements. Les deux antilopes chevalines : Hippoiragus equinus et Aegoceros niger, l'élan : Tamotragus oryx s'y rencontrent également. Enfin le buffle roux et le buffle noir y descendent par couples ou par troupeaux, pour brouter en saison sèche l'herbe fraîche des marais et se baigner dans les mares sous le soleil de midi.

Fermant la boucle du cycle biologique, les carnassiers fréquentent toute la plaine, le chat sauvage : Felis ocreata, le chien sauvage : Lycaon pictus, les geneltes : Genelta gtnetla, les civettes : Cioettictis ciceita, les mangoustes : Mungos gracilis, l'hyène tachetée : Crocuta crocuta, le chacal : Canis adustus, le serval : Felis serval, le guépard : Cynaelurus jubatus, enfin le sultan de la savane, le léopard : Felis pardus et son roi incontesté, le lion : Felis leo. Le léopard et le lion en sont les plus remarquables chasseurs. Us constituent le paysage zoologique au même titre que l'éléphant et les antilopes. Le léopard plus farouche se cache dans les régions boisées, mais la nuit il vient rôder aux alentours des villages où il ameute les chiens aux abois. Le lion reste dans la plaine aux hautes herbes. 11 gîte en terrain sec à l'ombre des boqueteaux sur les légères dénivellations du sol qui séparent les mares. 11 repose le jour. Mais il n'est pas rare de le voir très tôt le matin au bord du fleuve où il vient se rafraîchir. Parfois même ils traversent la savane en petits groupes, aux heures chaudes de la journée. Cependant il chasse rarement pendant le jour. A ce moment, sa présence n'effraie guère les antilopes. Il airive qu'à distance respectueuse, elles l'entourent en continuant à paître sans grande inquiétude. Le lion est avant tout un chasseur nocturne. Plusieurs heures après le coucher du soleil, lorsque tout s'endort, que les feux s'éteignent, que les rumeurs du village se sont apaisées et que les noirs sont rentrés dans leur hutte bien close, les lions reprennent alors possession de la nuit. Ils s'annoncent par leurs rugissements d'abord lointains. Ils arrivent par groupe de 3 ou 4, par­fois davantage, à l'entour des camps et des villages où ils viennent faire une ronde de nuit. Les rugissements retentissent, remplissent tout le

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silence nocturne, se répondent, se succèdent, se prolongent chacun par des grognements sourds, étouffés, progressivement atténués, pour reprendre plus impressionnants, plus rapprochés encore avec un éclat violent et triomphant qui, laisse une émotion inoubliable rehaussée encore par la présence invisible et prestigieuse de ce grand roi de la brousse. Dans la plaine, les antilopes, soudain réveillées s'affolent, s enfuient en toute direction, tombent sous les griffes des lions qui les guettent. Et le lendemain matin dans le calme retrouvé et la sérénité ensoleillée il ne restera de l'antilope gracieuse que des membres épars sur une peau maculée de sang, restes que les vau­tours, les marabouts et les milans, successivement, déchirent et se disputent.

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Dans la plaine du Kamolondo, notamment dans la région de Maka, dans ces solitudes qui paraissent inviolées, les animaux semblent mener une vie originelle. On aurait l'impression d'avoir découvert une région où l'homme n'a point paru encore, si, dès le mois de juin, on ne voyait fumer à l'horizon, les feux de brousse allumés par les noirs. Une immense fumée blanche voile la luminosité jusqu'alors si caractéristique du pays africain. L e soir, dans le lointain, on voit naître, se mouvoir, s'allonger, se resserrer des écharpes embrasées qui descendent des sommets, se répandent dans la plaine en guirlandes de lumière. Les feux s'éteignent en un point, rejaillissent en un autre, provoquant pour chaque foyer d'incendie, des appels d'air brusques et changeants. On est saisi alors d'appréhension et de regret à la pensée de la dévastation possible de la faune et de la flore dont on avait admiré l'intensité et la splendeur. Puis on se rassure.

En retraçant à grands traits la vie en brousse nous avions négligé l'existence des noirs. Ils constituent cependant un élément de 1 équilibre biologique. S'il leur est arrivé, s'il leur arrive encore de le rompre, c'est sous l'influence des sollicitations du commerce âpre et sans frein suscité par les blancs. Dans son état naturel, le noir chasse et pêche pour sa subsistance quotidienne, sans esprit de lucre, pour les besoins d 'une vie simple qui s'écoule au jour le jour, à la façon de celle des animaux chasseurs de la faune africaine. Sans doute, lorsque l'homme, quel qu'il soit, s'implante dans un milieu naturel, il en modifie l'équilibre, comme le ferait l'introduction de toute espèce animale nouvelle. Il en fut ainsi lors de l'apparition des noirs dans la nature africaine. Mais l'intervention de l'homme

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crée un nouvel équilibre. Il est incontestable qu'en pratiquant les feux de brousse les noirs ont pu transformer des savanes boisées en savanes herbeuses. La végétation de certaines savanes herbeuses est donc secondaire et le résultat de l'action de l'homme. Elle ne peut être tenue comme artificielle, car d'un point de vue de biologie pure, ce mot n'aurait aucun sens. Ce qui est évident, c'est que la savane herbeuse, aujourd'hui, présente un équilibre biologique. Telle qu'elle nous apparaît aujourd'hui, elle entretient une faune importante qui en vit. Il importe de la préserver en son rythme actuel, si l'on veut conserver en même temps son faciès zoologique. C'est l'intervention de l'homme blanc qui risque aujourd'hui de rompre à nouveau cet équilibre et de le rompre, cette fois, d'une façon dangereuse pour toute la biologie africaine.

D'autre part, vus de plus près, les feux de brousse paraissent moins redoutables. Dans un feu de brousse en savane, l'incendie sévit sur une profondeur de 1 à 2 mètres. Il est rapide et fugace, il s'alimente de la paille sèche des hautes graminées. Les petits arbustes, les arbres en souffrent peu. La terre n'est pas calcinée. La flore micro­bienne en pâtit-elle ? Ce que l'on peut assurer c'est que dans leurs cocons enfouis à 20 ou 30 cm. dans le sol, les protoptères ne sont nullement incommodés par le feu de brousse. Enfin la flore ne paraît pas avoir changé. Trois ou quatre semaines après la destruction des hautes pailles des graminées desséchées, des rhizones intacts renaît une herbe jeune et fraîche. Les cendres ont fertilisé le sol. Le feu de brousse prépare le printemps, le renouveau de la plaine.

Si de petits animaux succombent dans l'incendie, les dégâts ne sont pas considérables et sont vite réparés, autant que ceux provoqués par le dessèchement des marais. Les feux de brousse ont lieu après ou avant la période de reproduction. Ils sont toujours limités. Ils ne s'allument pas partout à la fois. Enfin les feux de brousse sont très favorables aux mammifères herbivores. Dans la paille sèche de la savane, les antilopes ne trouvent plus de nourriture. Elles sont à la merci des grands carnassiers qui s'y cachent. La savane couverte des hautes herbes sèches, les affame et les livre à la griffe des lions et des léopards. Si le feu de brousse ne venait les en délivrer tout en leur assurant une herbe nouvelle, la région se dépeuplerait très vite de tous ses mammifères. C'est ainsi que les feux de brousse allumés par les noirs, apparaisssent comme un élément nécessaire au cycle biologique de la savane.

Il conviendrait avant d'en préjuger ou de les condamner, d'en

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étudier systématiquement les effets. Ils posent un problème biologique important. Peut-être concevra-t-on qu'il soit possible d 'en user rationnellement en fonction du moment et de l'endroit, afin que les feux de brousse viennent apportei régulièrement à la savane et au rythme normal de la vie, leur part d'influence tout comme les pluies périodiques et les saisons.