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LA POLITIQUE URBAINE ET DU LOGEMENT DE JACQUES PEIROTES, DÉPUTÉ-MAIRE SOCIALISTE DE STRASBOURG La vie et l'œuvre municipales de Jacques-Laurent PEIROTES (1869- 1935), député-maire socialiste de Strasbourg, s'inscrivent dans la ligne des grands bourgmestres bâtisseurs de cette ancienne ville libre d'Occident plus que millénaire (1). Nous pouvons dire qu'il est un des plus grands bâtis- seurs de notre capitale régionale de- puis les débuts de la révolution indus- trielle, en tant que premier magistrat élu, œuvrant pour une ville et une vie urbaine plus justes, plus démocrati- ques, plus humaines et aussi plus bel- les. Apprenti typographe, d'abord à Stras- bourg où il est né, puis en Autriche où il fait connaissance avec le mouve- ment ouvrier, journaliste, rédacteur, puis directeur politique au quotidien socialiste strasbourgeois la Freie Presse, Jacques PEIROTES fera son apprentissage et son ascension d'homme public au sein du parti so- cial démocrate allemand, porteur du grand espoir révolutionnaire du début du siècle (2). Militant politique fran- cophile dans une Alsace alors alle- mande, il devient pendant la guerre de 1914-18 un ardent défenseur de l'idée du rattachement immédiat de sa ré- gion natale à la France. Élu en avril Stéphane JONAS Faculté des Sciences Sociales, Laboratoire de Sociologie Régionale (1) Conférence annotée, prononcée à la Table Ronde des Journées Jacques PEIROTES du 20-22 septembre 1985 à Strasbourg, à l'occa- sion du cinquantième anniversaire de sa mort. (2) Pour sa biographie plus complète, voir le do- cument de l'association Alsace, Culture, Dé- mocratie — Club Jacques PEIROTES (Pré- sident : le Prof. Léon STRAUSS), publiée par Jean-Claude RICHEZ et Léon STRAUSS, intitulée Pour le Cinquantenaire de Jacques PEIROTES (1869-1935), Député- Maire de Strasbourg, Strasbourg, 1985, 6 p. 1819 Président de la Fédération du Bas-Rhin de la SFIO, il sera élu Maire de Strasbourg le 10 décembre de la même année sur une liste d'entente de tous les partis politiques. Il n'est pas facile de résumer briève- ment les grandes étapes significatives de cette œuvre de bâtisseur, c'est-à- dire la décennie d'activité en tant que Maire, de 1919 à 1929, et les treize an- nées d'activité en tant que Président- fondateur de l'Office Public d'Habi- tations à Bon Marché, depuis sa fon- dation en 1922 jusqu'à sa mort en 1935. Ce qui est important ici pour mieux cerner sa personnalité et son ca- ractère d'homme public socialiste, c'est le fait qu'il a été un dirigeant d'un esprit à la fois de continuité et d'innovation. * * * * Jacques PEIROTES a le mérite d'avoir accepté, préservé et développé l'héritage social, démocrate et libéral de son prédécesseur, le Maire Rudolf SCHWANDER, élu, par ailleurs, pour la première fois en 1906 grâce aux voix des conseillers municipaux socialistes (15 voix sur 24). Mais PEI- ROTES a surtout été un Maire nova- teur en matière d'urbanisme et de lo- gement populaire, en introduisant à Strasbourg des œuvres municipales nouvelles, qui sont autant d'expres- sions remarquables de l'œuvre histori- quement reconnue de la social- démocratie, qui nous entoure dans no- tre quotidien. Ce cinquantenaire de la mort de PEI- ROTES est aussi une période de crise de la société où nous vivons, où les hommes cherchent leurs racines et leur identité ; c'est le moment d'un de ces retours inéluctables de l'histoire. Il en était de même, quand en 1918, sous la poussée révolutionnaire de la classe ouvrière allemande qui en avait assez d'une guerre et d'un régime dont elle était la première victime, dans un -143-

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LA POLITIQUE URBAINE ET DU LOGEMENT DE JACQUES PEIROTES, DÉPUTÉ-MAIRE SOCIALISTE DE STRASBOURG

La vie et l 'œuvre municipales de Jacques-Laurent PEIROTES (1869-1935), député-maire socialiste de Strasbourg, s'inscrivent dans la ligne des grands bourgmestres bâtisseurs de cette ancienne ville libre d'Occident plus que millénaire (1). Nous pouvons dire qu'il est un des plus grands bâtis­seurs de notre capitale régionale de­puis les débuts de la révolution indus­trielle, en tant que premier magistrat élu, œuvrant pour une ville et une vie urbaine plus justes, plus démocrati­ques, plus humaines et aussi plus bel­les.

Apprenti typographe, d'abord à Stras­bourg où il est né, puis en Autriche où il fait connaissance avec le mouve­ment ouvrier, journaliste, rédacteur, puis directeur politique au quotidien socialiste s t rasbourgeois la Freie Presse, Jacques PEIROTES fera son apprent issage et son ascension d'homme public au sein du parti so­cial démocrate allemand, porteur du grand espoir révolutionnaire du début du siècle (2). Militant politique fran­cophile dans une Alsace alors alle­mande, il devient pendant la guerre de 1914-18 un ardent défenseur de l'idée du rattachement immédiat de sa ré­gion natale à la France. Élu en avril

Stéphane JONAS Faculté des Sciences Sociales, Laboratoire de Sociologie Régionale

(1) Conférence annotée, prononcée à la Table Ronde des Journées Jacques PEIROTES du 20-22 septembre 1985 à Strasbourg, à l'occa­sion du cinquantième anniversaire de sa mort.

(2) Pour sa biographie plus complète, voir le do­cument de l'association Alsace, Culture, Dé­mocratie — Club Jacques PEIROTES (Pré­sident : le Prof. Léon STRAUSS), publiée par Jean-Claude RICHEZ et Léon STRAUSS, intitulée Pour le Cinquantenaire de Jacques PEIROTES (1869-1935), Député-Maire de Strasbourg, Strasbourg, 1985, 6 p.

1819 Président de la Fédération du Bas-Rhin de la SFIO, il sera élu Maire de Strasbourg le 10 décembre de la même année sur une liste d'entente de tous les partis politiques.

Il n'est pas facile de résumer briève­ment les grandes étapes significatives de cette œuvre de bâtisseur, c'est-à-dire la décennie d'activité en tant que Maire, de 1919 à 1929, et les treize an­nées d'activité en tant que Président-fondateur de l'Office Public d'Habi­tations à Bon Marché, depuis sa fon­dation en 1922 jusqu'à sa mort en 1935. Ce qui est important ici pour mieux cerner sa personnalité et son ca­ractère d 'homme public socialiste, c'est le fait qu'il a été un dirigeant d'un esprit à la fois de continuité et d'innovation.

* * *

*

Jacques P E I R O T E S a le méri te d'avoir accepté, préservé et développé l'héritage social, démocrate et libéral de son prédécesseur, le Maire Rudolf SCHWANDER, élu, par ailleurs, pour la première fois en 1906 grâce aux voix des conseillers municipaux socialistes (15 voix sur 24). Mais PEI­ROTES a surtout été un Maire nova­teur en matière d'urbanisme et de lo­gement populaire, en introduisant à Strasbourg des œuvres municipales nouvelles, qui sont autant d'expres­sions remarquables de l'œuvre histori­quement reconnue de la social-démocratie, qui nous entoure dans no­tre quotidien.

Ce cinquantenaire de la mort de PEI­ROTES est aussi une période de crise de la société où nous vivons, où les hommes cherchent leurs racines et leur identité ; c'est le moment d'un de ces retours inéluctables de l'histoire. Il en était de même, quand en 1918, sous la poussée révolutionnaire de la classe ouvrière allemande qui en avait assez d'une guerre et d'un régime dont elle était la première victime, dans un

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(3) G. LIVET et F. RAPP, Histoire de Stras­bourg des origines à nos jours, T. IV, Livre VII, DNA-ISTRA, Strasbourg, 1982; F. IGERSHEIM, L'Alsace des notables, 1870-1914 ; la bourgeoisie et le peuple alsacien, BF, Strasbourg, 1981 ; E. BAAS, Situation de l'Alsace, Alsatia, 1973.

(4) Bauordnung, 1910 ; carte au 20 000e, d'après E. JOYANT, Traité d'urbanisme, 1923.

(5) S. JONAS, « Urbanisme réformiste et habi­tation en Europe au début du XXe siècle », in revue Espaces et Sociétés, n ° 34-35, Paris, 1980 ; A. COTTEREAU, «Les débuts de la planification urbaine dans l'agglomération parisienne», in revue Sociologie du Travail, n° 4, 1970 (sur le mouvement municipal et le socialisme municipal) ; A. FIX, Cent ans de politique de l'habitat : l'Office du logement de la ville de Strasbourg, Éditions Gyss, Obernai, 1978.

(6) F. BOLLEREY, K. HARTMANN, «Der neue Alltag in der grùnen Stadt ; zur lebens-reformischen Idéologie und Praxis der Gas-tenstadtbewegung», in Kunst und Alltag um 1900, Werkbund - Archiv - Jahrbuch 3, Lahn - Giesen, 1978.

Strasbourg qui voulait retourner à la France, PEIROTES a été propulsé par l'histoire à la tête de la magistrature suprême de notre ville (3).

Il s'est révélé alors, et par la suite, comme un homme public sachant pré­server, consolider et développer l'héri­tage d'une œuvre urbanistique muni­cipale considérable, dont les pièces maîtresses étaient : le plan d'extension de la ville, une des grandes réussites de l'urbanisme moderne de l 'Europe ; l'invention et l'exercice réel du droit local, notamment dans le cas de la Bauordnung de 1910, qui est le pre­mier plan directeur moderne de la France (4) ; la mise en place d'un mo­dèle municipal d'économie sociale et des cités-jardins par la création en 1899 de la Société Coopérative des Lo­gements Populaires de Strasbourg (SOCOLOPO), la plus ancienne coo­pérative de location de la France ; la création d'un modèle de jardins ou­vriers ; la mise en place d'un plan de dérasement des fortifications du Sud de la ville ; la mise en place d'un plan d'assainissement et de rénovation des quartiers vétustés du centre histori­que, appelé la «Grande Percée», la première introduction en urbanisme du bail emphytéotique en France. D'une manière générale, il s'agit de l'affirmation d'un puissant mouve­ment municipal, phénomène nouveau dans l'Europe bourgeoise de 1900, marqué notamment par la célèbre Ge-meinderordnung, la première loi mu­nicipale du 6 juin 1895, qui donne tout pouvoir urbanistique au Maire de Strasbourg (5).

Devenu Maire du Strasbourg français et chef du parti socialiste, la forma­tion polit ique la plus importante d'après 1918, PEIROTES était aussi l'homme de la continuité d'une tradi­tion socialiste allemande en matière d'urbanisme moderne devenu le meil­leur modèle de l'Europe et du monde jusqu'à la montée du fascisme. Les so­cialistes strasbourgeois — de même que les Alsaciens en général — adhè­rent vite, avec leurs mots d'ordre et

leurs objectifs sociaux, au puissant mouvement associatif et culturel alle­mand appelé Lebensreform : changer la ville et changer la vie, qui se déve­loppe à partir de 1900. Changer non pas par une révolution violente, mais par une réforme sociale profonde ; une réforme qui va donc bien au-delà des institutions et de l'environnement. Il s'agit de transformer, réformer la vie même (6).

Résumons simplement ici les éléments urbanist iques principaux du pro­gramme de socialisme municipal d'avant 1918, que le Maire Jacques PEIROTES réalisera intégralement : construction de logements ouvriers sur les fonds municipaux ; municipali-sation des entreprises-clés ayant un ca­ractère de service public ; construction d'habitations populaires à bon mar­ché pour les économiquement faibles ; assainissement des taudis ; renforce­ment du mouvement des jardins ou­vriers ; construction d ' immeubles nouveaux dans le centre historique, avec locaux professionnels pour les petits artisans et commerçants ; amé­nagement des banlieues ; création d 'unités d 'habi ta t ion et de cités-jardins.

Cité jardins de la Robertsau.

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(7) S. JONAS, «La ceinture verte de Stras­bourg », Conférence publiée in Courrier de Schiltigheim, n° 38, décembre 1975 ; «Po­litique urbaine et espaces verts ; les vicissi­tudes de la Ceinture Verte et de la Rocade Nord de Strasbourg », in Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, n" 5, Stras­bourg, 1976 ; je suis en train de faire une étude, à la demande du Club Jacques PEI-ROTES, sur l'influence de la politique du socialisme municipal des municipalités de Lille et de Paris sur Strasbourg en matière de dérasement des fortifications et de mise en place d'un programme d'espaces verts et de jardins (période : 1918-1930).

(8) Concours international pour l'établisse­ment d'un plan général de développement de la ville et aménagement des terrains dé­classés. Strasbourg, 1923, Archives de la Ville de Strasbourg.

(9) Société Française des Urbanistes, Où en est l'Urbanisme en France et à l'étranger, Édi­tions Librairie de l'Enseignement Techni­que, Paris, 1923 (Les Comptes rendus du Colloque).

(10) «Le développement des jardins ouvriers de Strasbourg » (« Die Entwicktung des Strass-burger Kleingartenwesens» in Compte Rendu de l'Administration de la Ville de Strasbourg (1919-1935), Strasbourg, 1936 (en bilingue) ; S. JONAS, Contribution à la sociogenèse du jardin de l'habitat ouvrier unifamilial d'origine industrielle et ur­baine ; cas alsaciens (1850-1930), Écomusée du Creusot, mars 1979 (conférence pu­bliée) ; «Politique d'espaces verts et jardins ouvriers» in Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, n" 10, Strasbourg, 1981.

Plus importante a été l'œuvre urbanis-tique de PEIROTES, non pas en tant qu'œuvre d'un continuateur, mais celle d'un novateur et initiateur. Je distinguerais dans ce domaine deux di­rections que je séparerais pour la com­modité de cet article : l'aménagement urbain et la construction des loge­ments sociaux neufs.

En matière d'urbanisme, les relations et le rayonnement international de PEIROTES ont permis à Strasbourg de devenir non seulement un lieu de création d'un urbanisme local de qua­lité, réalisé déjà par ses prédécesseurs, mais aussi un modèle national et euro­péen, un lieu de concours et de congrès internationaux sur l'urba­nisme moderne. Quand en 1919 l'ar­mée française est disposée à permettre le dérasement des fortifications qui entourent la ville municipale, PEIRO­TES réussit à racheter ces terrains qu'il a transformés grâce à la loi de 1922, en une ceinture verte — notre ceinture verte actuelle menacée de dis­parition — qui devient un modèle du genre en France, avec ceux de Lille et de Paris (7).

Il lance en 1925 un concours interna­tional pour l'établissement d'un plan d 'aménagement de cette ceinture verte, tout en profitant de l'occasion pour lancer également un plan général de développement de Strasbourg. C'est grâce à lui que notre ville entre ainsi, et si tôt, dans l'ère européenne des plans urbains, quand en France il n 'y a pas encore de lois d'urbanisme (8). Entre ces deux dates s'ouvre à Strasbourg en 1923, sous la Prési­dence de PEIROTES, un des grands congrès d'après la première guerre mondiale, le Congrès International d'Urbanisme et d'Hygiène Munici­pale, sous la présidence d'honneur de cinq ministres dont M. STRAUSS, un des pères français des lois sur le loge­ment social, et avec la participation des grandes figures de l'urbanisme moderne de l'Europe telles que Ray­mond UNWIN, Ebenezer HOWARD,

FORD, etc., et un jeune architecte qui s'appelle LE CORBUSIER (9).

PEIROTES arrive à innover même là où il y a déjà d'anciens dossiers d'ur­banisme de bonne qualité. Ainsi, pour le mouvement des jardins ouvriers dont, pour lui, l'appui faisait partie intégrante de sa politique d'urbanisme social et qui a débuté en 1902 avec beaucoup de difficultés, PEIROTES crée en 1919 un Office municipal — probablement le plus ancien en France —, triple le nombre des jardins ou­vriers au cours de son mandat de Maire et offre aux jardiniers dans la ceinture verte les meilleurs terrains. Le grand prestige de notre ville dans ce domaine commence donc sous son mandat (10).

Pour ce qui est de la grande opération d'assainissement du centre historique obsolète appelée la Grande Percée, commencée en 1907, on peut dire que PEIROTES l'a sauvée d'un échec iné­vitable. En effet, son prédécesseur, Rudolf SCHWANDER, n'avait pu lancer ce projet remarquable que grâce à l'aide financière des banques mutuelles de Mannheim, c'est-à-dire grâce à l'économie sociale allemande et à ses relations avec les socialistes. Il

La Grande Percée.

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(11) A. ARBOGAST, Un problème d'urba­nisme : la Grande Percée à Strasbourg, École pratique de l'administration de Stras­bourg, 1953, 49 p. ; A. FIX, Cent ans de politique de l'habitat... op. cit. ; G. FOES-SEL et J.P. KLEIN, Strasbourg à la belle époque, Bruxelles, 1974.

(12) Dix années d'activité ; les réalisations de l'Office Public d'Habitations à Bon Marché de la Ville de Strasbourg (1924-1934) (Pré­face de J. PEIROTES, Président de l'Of­fice), Société Française d'Éditions d'Art, Paris, 1934.

faut en effet savoir, parce qu'on n'en parle pas assez malgré la fin actuelle du bail emphytéotique, que les capita­listes strasbourgeois qui ont siégé dans le parti libéral de SCHWANDER et même dans son conseil municipal, ont refusé de financer cette opération (11).

Pour l'opération Grande Percée, PEI­ROTES a fait après 19)9 un excellent montage financier, en s'appuyant no­tamment sur les fonds de l'Office des HBM, ce qui était une véritable inno­vation pour ce type de projet commer­cial à caractère social, non seulement en Alsace, mais dans toute la France (12). Le député-maire socialiste a, avec cette opération, continué à s'ins­pirer des exemples remarquables des villes allemandes.

La deuxième innovation de ce Maire socialiste a consisté à introduire dans cette opération des logements sociaux moyens, et les plus-values ainsi ga­gnées ont servi à financer les équipe­ments collectifs des ensembles HBM construits pour la classe ouvrière dans les banlieues. L'opération de l'Avenue de la Division Leclerc est une des grandes et des meilleures réalisations de logements sociaux moyens de qua­lité de l'entre-deux-guerres en Europe. Il faudrait que les jeunes architectes et

Cité Jules Siegfried.

urbanistes strasbourgeois et alsaciens se penchent un jour sur son cas, pour s'en inspirer dans leurs réalisations de logements sociaux neufs.

Le député-maire Jacques PEIROTES a été un grand patron, le grand pa­tron, incontesté de l'Office des HBM de Strasbourg ; le rayonnement de cette institution était international et n'avait pas son pareil en France, sauf peut-être à Paris et à Lille. Les Stras­bourgeois qui s'intéressent à la réalisa­tion des logements sociaux faits par

Cité Alexandre Ribot.

PEIROTES, peuvent visiter cet archi­pel de cités-jardins et d'unités d'habi­tation modèles ; un parc d'habitat so­cial d'une qualité exceptionnelle pour l ' époque , mais aussi pour au­jourd'hui. Il suffit de demander aux familles qui les habitent si elles aime­raient en changer, pour les habitations construites par l'Office après 1950...

Il faut dire très clairement, parce que cela n'apparaît pas assez nettement dans les rares publications de l'Office HLM de notre ville après 1945 desti­nées au grand public, que tout ce qui a été construit à Strasbourg entre les deux guerres en matière d'habitations sociales à bon marché — rappelons qu'il s'agit d'un parc d'habitat excep-

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tionnel de plus de 3 270 logements et de maisons unifamiliales — est l 'œu­vre de PEIROTES ; excepté la seule opération de l'époque due au Maire Charles FREY, située dans la rue Jac­ques PEIROTES dans le quartier suisse, appelée par ailleurs cité Jac­ques PEIROTES. Même cette unité d'habitation devait donc faire perdu­rer l'esprit de Jacques PEIROTES.

Quelles pourraient être les principales caractéristiques des réalisations de l'ère PEIROTES ? Résumons-les ici, très brièvement : d'abord leurs gran­des richesse et variété selon le tissu ur­bain où elles sont implantées. Dans la Préface d'une publication de l'Office en 1934, PEIROTES dit à ce propos : «A la haute portée des offices au point de vue constructif et social s'ajoute le rôle qu'ils sont appelés à remplir dans l'urbanisme moderne. Toutes les constructions que l'Office a réalisées sont en harmonie avec le plan d'extension et d'embellissement de la ville» (13).

Cité Georges Rister.

PEIROTES a veillé personnellement à ce que les équipements collectifs dont l'invention est très récente en urba­nisme moderne, situés toujours à l'in­térieur des ensembles réalisés, soient, comme il disait, des «œuvres socia­les», de véritables fondations d'orga-

Crèche.

nisations sociales : garderies d'en­fants, crèches, bains et lavoirs, servi­ces d'infirmières sociales, consulta­tions de nourrissons. De plus, l'Office a accordé des primes de propreté pour encourager l'entretien des logements, des primes à la natalité — sous forme d'exonération de loyer et de réduction du loyer pour les familles ouvrières ayant des revenus faibles. Je n'entre pas dans le détail à ce propos, parce que les réalisations en donnent des élé­ments d'appréciation précis.

On parle un peu trop souvent d'un PEIROTES pragmatique. Je serais plus nuancé à ce sujet et par rapport à mon thème, et j ' en apporte comme preuve le sérieux sociologique avec le­quel le député-maire socialiste caracté­rise son programme de logement so­cial. Pour lui, il existe bien une question de logement dans notre so­ciété, qu'il a définie comme la crise de l'habitation, et il a mis à l'ordre du jour dès 1922, un programme de lutte contre la crise des logements à Stras­bourg. Et c'était nouveau dans l'his­toire du logement populaire de cette ville. Il a dit à ce propos dans sa conférence de 1923 prononcée au Congrès International d'Urbanisme : « Le problème du logement qui a tou­jours été l'une des grandes questions de la Prévoyance sociale, se présente aujourd'hui sous un aspect assez dif­férent de celui qu'il avait avant la guerre. Si avant la guerre la politique sociale des grandes collectivités et en première ligne des communes, tendait à l'amélioration des logements exis­tants au point de vue de l'hygiène et à la suppression des logements ne ré-

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(14) Président du Conseil Général du Départe­ment de la Seine, Maire de Suresnes, cofon-dateur, avec Marcel POETE, du premier Institut d'Urbanisme de la France (Sor-bonne), Henri SELLIER est considéré comme un grand théoricien et militant de ce que les historiens appellent le socialisme municipal. Voir à ce sujet notamment les comptes rendus du colloque international «Banlieues, Municipalités et Réformisme 1900-1940», organisé à Suresnes les 24-26 novembre 1983, à l'occasion du centenaire de la naissance de H. SELLIER.

(15) Max WEBER, La ville, Aubier-Champ ur­bain, Paris, 1982 ; S. JONAS, «Commune et communauté urbaine chez Max WE­BER», in ouvrage collectif d'A. BOURDIN et M. HIRSCHHORN, Figures de la ville ; autour de Max WEBER, Aubier-Champ ur­bain, Paris, 1985, pp. 36-46.

pondant pas à l'idéal moderne de salu­brité, la crise de l'habitation les met aujourd'hui dans la nécessité de créer

Cité Alexandre Ribot.

des logements nouveaux tout court et à tous prix, et même de renoncer à la suppression de logements malsains» (9). Pour résumer la vie et l'œuvre du député-maire socialiste dans les do­maines de l'urbanisme et du logement, je dirais ceci : c'était un grand fonda­

teur, bâtisseur et novateur. Sur ce ter­rain aussi, sa vie et son œuvre ressem­blent beaucoup à celles de Henri SEL­LIER, grande figure nationale du soù&usmç municipal l 'entre-deux-guerres, Président du Conseil Général de la Seine, autre grand fondateur en urbanisme et bâtisseur de logements sociaux et po­pulaires dans l'agglomération pari­sienne. PEIROTES, comme SEL­LIER, n'hésitait pas à faire bloc avec des familles politiques différentes de la sienne, mais œuvrant pour le pro­grès et ayant une politique sociale communale, si le pouvoir municipal et les intérêts supérieurs de sa commune et de ses concitoyens l'exigeaient, et cela s'est produit plus d'une fois. C'est un sujet d'actualité (14). Ces deux grandes figures du socia­lisme municipal français me rappel­lent les grands magistrats — bourg­mestres et greffiers syndics — des villes libres d'Occident alsaciennes, comme ceux de Strasbourg et de Mul­house, pour qui le droit à l'autonomie et l'indépendance politique, le local et le régional, exigeaient des «compro­mis, des ententes et des coordina­t i o n s » , pour reprendre ici des concepts sociologiques inventés au su­jet des communes et des communautés urbaines de nos villes européennes du passé par le grand sociologue alle­mand contemporain, Max WEBER (15). C'est aussi un point d'actualité.

Qu'une réflexion sur la vie et l'œuvre de Jacques PEIROTES, grand pre­mier magistrat de notre ville, serve d'exemple pour les temps à venir.

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LA COMPOSITION DU PARC D'HABITAT SOCIAL STRASBOURGEOIS CONSTRUIT SOUS LA PRÉSIDENCE DE JACQUES PEIROTES

Groupe d'habitation Année de construction

Nombre de logements

Rue Observations

Municipal 1923 233 Forêt-Noire, Vauban Collectif, HBM ordinaires

Cité J.-Dollfus 1924-25 105 Forêt-Noire, Edel, B. Leblois

Collectif, HBM ordinaires

Cité L.-Bourgeois 1924-25 150 Leblois, Edel, Vauban, Guérin

Collectif, HBM ordinaires

Cité J.-Siegfried 1927-28 332 Neudorf, route du Polygone, allée de l'Orphelinat

Collectif, HBM ordinaires

Bourse 1928-30 270 Lucerne, Berne, Genève, Stoltz

Collectif, HBM ordinaires

Cité L.-Loucheur 1929-31 405 Port du Rhin Collectif, HBM ordinaires

Cité A.-Ribot 1930-32 200 Neudorf, rue du Stockfeld, place des Colombes

Maisons unifamiliales vendues

Cité Lauth 1931-32 65 Lauth, Boll Collectif, HBM ordinaires

Quai des Alpes 1931-32 142 Alpes, Annecy, Chamonix, Grenoble

Collectif, HBM ordinaires

Kibitzenau 1931-32 30 Neudorf Maisons unifamiliales vendues

Cité G.-Risler 1931-33 256 Neudorf, A.-Briand Collectif, à loyer moyen (ILM)

Cité G.-Risler 1931-33 353 Neudorf, A.-Briand Collectif, HBM ordinaires

Canonniers 1932 192 Neuhof, Canonniers, rue de Neuhof

HBM simplifiées, maisons métalliques démolies

Allée Reuss 1932 117 Neuhof HBM simplifiées, maisons métalliques démolies

Ateliers Provisoires 1932 4 Lucerne HBM simplifiées, maisons métalliques démolies

Cité Bâle 1932-34 240 Neudorf, Bâle, Ribeauvillé

Collectif, HBM ordinaires

Fleckenstein 1932-35 19 Robertsau Maisons unifamiliales vendues

Division Leclerc 1933-34 97 D.-Leclerc Opération Grande Percée, collectif standing

Total des opérations 1923-35 3 275 Strasbourg Parc d'habitat de qualité et en bon état actuel

Source : OPHLM de la Communauté urbaine de Strasbourg. Rapport Moral, bilan et comptes, 1972. Stéphane JONAS

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